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En approchant de la ville, ils rencontrrent un ngre tendu par terre, n'ayant plus que la moiti de son habit, c'est--dire d'un caleon de toile bleue ; il Opinion de Voltaire manquait ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite. Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais- tu l, mon ami, dans l'tat horrible o je te vois ? -- J'attends mon matre, M. Vanderdendur, le fameux ngociant, rpondit le ngre. -- Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t'a trait ainsi ? -- Oui, monsieur, dit le ngre, c'est l'usage. On nous donne un caleon de toile pour tout Ironie vtement deux fois l'anne. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouv dans les deux cas. C'est ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mre me vendit dix cus patagons sur la cte Mauvais traitements de Guine, elle me disait : " Mon cher enfant, bnis nos ftiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux, tu as l'honneur d'tre esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par l la fortune de ton pre et de ta mre. " Hlas ! je ne sais pas si j'ai fait leur fortune, mais ils n'ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous. Les ftiches hollandais qui m'ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas gnalogiste ; mais si ces prcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains. Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en user avec ses parents d'une manire plus horrible. Candide, Voltaire, Chap 19
Biographie : Voltaire, de son vrai nom Franois-Marie Arouet, est le fils dun notaire. Volontiers moqueurs lgard des grands, il est emprisonn deux fois la Bastille. En 1726, il sexile en Angleterre, pays beaucoup plus libre quen France, puis revient Paris o il est la fois pote, philosophe, historien et auteur de thtre. Menac cause de ses critiques de lEglise et de labsolutisme, il rpond linvitation du roi de Prusse, Frdric II auprs duquel il sjourne trois ans. En 1758, il se rend Ferney, la frontire Suisse, pour pouvoir sy rfugier en cas de menace. Il peut alors crire librement, sengage dans de grandes causes. Il meurt 84 ans.