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« Les Dames galantes »

au fil  des mots 002

 Une grande, belle et jeune dame1 du regne du roy François Ier, mariée avec un grand
seigneur de France et d’aussi grande maison qui y soit point2, se sauva bien autrement,
et mieux que la precedente : car fust3, ou qu’elle eust donné quelque sujet d’amour4 à son
mary, ou qu’il fust surpris d’un ombrage5 ou d’une rage soudaine et fust venu à elle
l’espée nue à la main pour la tuer, desesperant de tout secours humain pour s’en sauver,
s’advisa soudain de se voüer à la Glorieuse Vierge Marie, et en aller accomplir son vœu à
sa chapelle de Lorette, si elle la sauvoit, à Sainct-Jean des Mauverets6, au païs d’Anjou. Et,
sitost qu’elle eut fait ce vœu mentallement, ledict seigneur tumba par terre et luy faillit
son espée du poing7 ; puis tantost8 se releva, et, comme venant9 d’un songe, demanda à
sa femme à quel saint elle s’estoit recommandée pour eviter ce peril. Elle luy dit que c’estoit
à la Vierge Marie, en sa chappelle susdite, et avoit promis d’en visiter le saint lieu. Lors10 il
luy dit : « Allez-y donc, et accomplissez vostre vœu » ; ce qu’elle fit, et y appendit11 un tableau
contenant l’histoire, ensemble12 plusieurs beaux et grands vœux13 de cire, à ce jadis accous-
tumez14, qui s’y sont veus long-temps après. Voilà un bon vœu, et belle escapade15 inopi-
née ! Voyez la Cronique d’Anjou16.

1 Françoise de Daillon du Lude [† 1540] épousa en premières noces Jacques Ier de Ro-
han et de Léon [1478-1527], comte de Porhoët (il y a, semble-t-il, débat sur l’identité de
son second époux, mais l’anecdote que relate Brantôme ne se rapporte pas à lui).
2 Georges Gougenheim, 1974 :
Marguerite de Navarre emploie volontiers point (sans ne) dans des subordonnées comparatives
dépendant d’une comparaison d’égalité, en particulier dans le type de phrase assez fréquent aussi
(autant)… qu’il en est (qu’il y en a) : Il me semble qu’Amadour estoit ung aussy honneste et vertueux cheva-
lier qu’il en soit poinct (Heptameron, 10 : éd. M. François, p. 84).
Mais aussi dans d’autres types de phrase : Encores que vostre compte soyt court, dist Oisille, si est il aussi
plaisant que je n’en ay poinct oy (Ibid., 27 ; éd. M. François, p. 223).
Bien que Gougenheim ne la signale pas chez notre auteur, Brantôme utilise volontiers
cette construction (conclusif sans discordantiel) ; exemples :
«... d’autant que l’on tient le sang royal pour le plus precieux qui soit point. »
« Pour fin, à mon gré, c’estoit une des plus accomplies princesses estrangères que j’aye point veu. »
« Ceste princesse, à mon gré, a esté une des belles princesses et autant accomplies que j’aye point veu. »
« Il y eut quelques-uns... qui.. firent un pasquin d’elle, le plus scandaleux que j’aye point veu. »
3 c’est la conjonction « soit » (subjonctif présent sans béquille) introduisant une alter-
native, mais avec concordance des temps ; il suffit de comparer « ou soit de loing ou soit de
pres » et « ou fust a tort ou fust a droit » (tirés d’Érec). Du Bellay, Jeux rustiques, Epitaphe de
l’abbé Bonnet, dernière strophe :
Vray est, qu’on luy feit maint exces,
Mais il gaigna tous ses proces :
Et fut Bonnet tant habile* homme, * « savant, docte »
Qu’onq’ ne perdit en court de Romme,
Ou fust à droit, ou fust à tort,
Proces, si-non contre la mort :
Dont encores il se lamente
(Ce croy-ie) deuant Rhadamante :
Mais Bonnet aura beau crier,
S’il peult Rhadamante plier*. * « fléchir »
ou encore Bonaventure des Periers : « ou fust qu’il n’était pas au gré d’elle ou qu’il ne sçavoit
pas s’y gouverner ».
4 « quelque motif de jalousie »
5 « soupçon »
6 Saint-Jean-des-Mauvrets, canton des Ponts-de-Cé, arrondissement d’Angers (Maine-
et-Loire). — Loreto (province d’Ancône, région des Marches) est surtout connu pour son
sanctuaire marial (1294)
7 « et son épée lui échappa du poing, lui tomba de la main » mais l’ordre des mots
est bien plus intéressant dans le texte original
8 « aussitôt après »
9 « sortant »
10 « alors » (qui est un renforcement de « lors »)
11 spécialisé dep. le XVIe s. au sens de « offrir en hommage, dédier, consacrer à la divi-
nité dans un lieu sacré » (TLFi)
12 « en même temps que » — autre exemple : « Elle [Élisabeth de France, fille d’Henri
II et de Catherine de Médicis, 3e femme de Philippe II, roi d’Espagne] me presenta à don
Carlos, l’estant venue voir en sa chambre, ensemble à la princesse [sa fille aînée], et à don
Jouan » ‖ ensanble od (mot à mot "ensemble avec") est très fréquent chez Marie de France.
13 « ex-voto »
14 « tels qu’ils étaient habituels jadis à cette fin »
15 c’est chez Brantôme que se trouvent les premières attestations du mot, emprunté
— selon TLFi — à l’espagnol escapada, mais — selon Vastin Lespy — au béarnais ; l’écrivain
l’emploie le plus souvent soit au sens de « fuite » (« Car bienheureux [= chanceux] est celuy,
qui n’a fait quelque escapade reprochable en la guerre »), soit à celui d’« évasion » :
Quand le duc d’Ascot [Philippe II de Croüy, duc d’Ærschot] sortit hors de prison du bois de Vincennes, du
règne du roy Henry II, la comtesse de Senningan [Françoise d’Amboise, comtesse de Seninghem] fut
fort accusée et suspecte de sa delivrance, et d’y avoir fort tenu la main, et y trouvé les moyens ; car elle estoit
fort sa proche parente [sa belle-sœur]. M. le Connestable [Anne de Montmorency], à qui estoit le pri-
sonnier, et qui avoit soigneuse cure [mettait un soin particulier] de le garder pour en faire eschange de
luy à M. de Montmorency son fils [François], qui estoit prisonnier en Flandres, ne faut point penser s’il fut
fasché de ceste escapade [il ne faut pas demander s’il fut mécontent de cette évasion] ; et, pour ce,
par ordonnance du Roy, que M. le Connestable gouvernoit [manipulait], ladite comtesse fut constituée pri-
sonniere et resserrée [écrouée], et commissaires ordonnez pour l’oüyr [l’entendre] et faire [instruire] son
procès : et de faict, fut en une trés-grande peine, et possible [peut-être] en grand danger de la vie, sans mes-
sieurs de Guyse et cardinal son frere, lesquels, esmeus [émus], prirent sa cause en main, et luy rendirent si
bonne, qu’elle n’en eut que la peur.
Mais ici, Brantôme adapte à son propos un calque de l’expression béarnaise bère escapade
(le fait de l’échapper belle).
16 Puisque nous sommes invités à consulter la Chronique d’Anjou, de noble et discret messire
Jean de Bourdigné [† 1547], voici le passage en question dans l’édition parue à Angers en
1842 (pp. 355-356), ce qui permet de mesurer l’écart par rapport à notre texte :

 J’ai oüy parler que le roy François une fois voulut aller coucher avec une dame17 de sa
cour qu’il aimoit. Il trouva son mary l’espée au poing pour l’aller tuer ; mais le roy luy
porta la sienne à la gorge et luy commanda, sur sa vie, de ne luy faire nul mal, et que s’il
luy faisoit la moindre chose du monde, qu’il le tueroit ou qu’il luy feroit trencher la
teste ; et pour cette nuict l’envoya dehors, et prit sa place.
Cette dame estoit bien heureuse18 d’avoir trouvé un si bon champion et protecteur19 de son
con, car onques puis le mary ne luy osa sonner20 mot, ains luy laissa tout faire à sa guise.

17 Il pourrait s’agir, selon color che sanno, de Françoise de Foix [1495-1537], dame de
Châteaubriant, et donc de François Ier. ‖  sur sa vie « sous peine de perdre la vie »
18 Une traduction en anglais rend par ‘This lady was quite happy to have found such a
good champion and protector of her cunt’ ; le sens est ‘lucky, fortunate’.
19 En 1411, l’antipape Jean XXIII [Baldassarre Cossa, v. 1360-1419], dans sa lutte pour
reprendre Rome à Ladislas Ier d’Anjou-Durazzo [1376-1414], a pour allié Louis II d’Anjou
[1377-1417], auquel il confère le titre de « principal champion et protecteur de la sainte
Église » ipsum pugilem precipuum constituit et protectorem sancte matris Ecclesie, pour citer dans
le texte la Chronique du religieux de Saint-Denis [Chronicorum Karoli Sexti, Liber tricesimus secun-
dus, Capitulum I], voir Bellaguet, 4, 1842, p. 391. Telle est la formule traditionnelle (nettement
antérieure à 1411 : dès 769, Charlemagne est qualifié de deuotus sanctæ ecclesiæ defensor, at-
que adiutor in omnibus apostolicæ sedis), devenue cliché, que détourne Brantôme.
20 le syntagme soner mot est attesté depuis la fin du Xe siècle

 J’ay oüy dire que non seulement cette dame, mais plusieurs21 autres, obtindrent22 pareille
sauvegarde du roy. Comme plusieurs23 font en guerre pour sauver leurs terres et y mettent
les armoiries du roy sur leurs portes, ainsi font24 ces femmes celles de ces grands roys, au
bord et au-dedans de leur con, si bien que leurs marys ne leur osoyent25 dire mot, qui26, sans
cela, les eussent passez27 au fil de l’espée.

21 « de nombreuses »
22 forme analogique de tindrent, vindrent (qui sont héréditaires)
23 « bien des gens »
24 = « mettent »
25 retour aux temps du récit
26 a pour antécédent marys
27 les règles d’accord du participe passé avec « avoir » remontent à Marot ; leur applica-
tion n’était pas systématique

 J’en ay cogneu d’autres dames, favorisées ainsi des rois et des grands, qui portoyent ainsi
leurs passeports28 partout ; toutesfois si29 en avoit-il aucunes30 qui passoyent le pas31, aux-
quelles leurs marys, n’osans y apporter le couteau, s’aydoient des poisons et morts cachées
et secretes, faisant à croire32 que c’estoyent catherres33, apoplexie et mort subite. Et tels ma-
rys sont detestables, de voir à leurs costés coucher leurs belles femmes, languir et tirer à la
mort34 de jour en jour, et meritent mieux35 la mort que leurs femmes ; ou bien les font mou-
rir entre deux murailles, en chartre perpetuelle36, comme nous en avons aucunes croniques
anciennes de France, et comme j’en ay sceu un grand de France, qui fit ainsi mourir sa
femme, qui estoit une fort belle et honneste dame, et ce par arrest de la cour, prenant son
petit plaisir par cette voye à se faire declarer cocu.

28 l’autorisation de circuler n’était pas seulement nécessaire aux personnes pour sortir
de France ou pour y (r)entrer, mais aussi à l’intérieur du pays
29 « pourtant, cependant »
30 « certaines » : « Et si l’on me reprend que je parle fort sobrement d’aucuns, et d’aucuns
point, je leur responds qu’ainsy me plaist, et en ay ensuivy ma fantaisie en cela, ne pensant faire
tort à aucun. » ‖ nous avons encore « d’aucuns » (« Il est un singe dans Paris À qui l’on avoit
donné femme : Singe en effet d’aucuns maris, Il la battoit. »)
31 « mouraient » cf. Pathelin : « Le front me sue De fine frayeur ; je tressue, Tant je doubte à
[je redoute de] passer le pas. » — jeu de mots entre passeports et passer le pas
32 (Brantôme emploie, par ailleurs, le verbe accroire)
33 « catarrhes » (écoulements, inflammations) ; désignait une affection cérébrale
34 « dépérir et se rapprocher de la mort »
35 « plus »
36 l’accusatif latin cărcĕrem « prison » (cf. incarcérer, carcéral ; italien carcere [parola
sdrucciola], castillan cárcel, avec dissimilation) aboutit à chartre, concurrencé puis remplacé
par « geôle », à son tour supplanté par « prison » ; chartre perpetuelle (il s’agit de perpétuité
réelle) équivaut à « détention jusqu’à ce que mort s’ensuive » : le 23 mai 1431, Jeanne
d’Arc est condamnée par ses deux juges — un évêque, un inquisiteur — à être mise « en char-
tre perpetuelle avec pain de douleur et eau d’angoisse ». L’expression ne s’employait, en toute
rigueur, que dans le cas où la condamnation était prononcée par un tribunal ecclésiastique
et, au moins à Paris, avait pour synonyme populaire « oubliette ».

Constant Leber a publié en 1838 un document dont j’extrais le montage ci-dessous :

(Le symbole qui suit les nombres est un d, initiale de denarii/deniers.)

Hugues Aubriot [† 1382], prévôt de Paris de 1367 à 1381 (il a fait construire le pont Saint-Michel, le
Pont-au-Change, le Petit-Châtelet et la Bastille), fut mis en accusation sous Charles VI pour « héré-
sie » et condamné le 17 mai 1381, puis incarcéré (écrit Froissart) « à la prison qu’on dit Oubliette » [donc
au Grand-Châtelet, mais l’ancien prévôt était détenu au For-l’Évêque, rue Saint-Germain l’Auxerrois ;
erreur rectifiée par Le Roux de Lincy en 1862] ; il fut délivré le 1er mars 1382 par les Maillotins, sur-
nommés ainsi parce qu’ils s’étaient emparés de douze mille maillets (de plomb ? de fer ?) que Hugues
Aubriot avait autrefois fait faire en prévision d’une guerre. Les insurgés veulent le mettre à leur tête,
mais il préfère s’enfuir et regagner sa Bourgogne natale ; il se rend ensuite à Sommières, dans le Gard,
où le pape (qui siège à Avignon) lui assigne résidence et où il ne tarda pas à mourir.
C. Leber écrit « Les moines avaient aussi leurs oubliettes » : on les appelait in-pace (cf. Les Misérables,
2e Partie : Cosette, Livre 7e : Parenthèse, Chapitre II : Le couvent, fait historique), de vade in pace [ὕπαγε
εἰς εἰρήνην] « va en paix » (ce que dit le confesseur en congédiant le pénitent)

 De ces forcenez37 et furieux maris de cocus38 sont volontiers39 les vieillards, lesquels se
defians de leurs forces et chaleurs40 et s’asseurans41 de celles de leurs femmes, mesmes
quand ilz ont esté si sots de42 les espouser jeunes et belles, ilz en sont jaloux et si ombra-
geux43, tant par leur naturel que par leurs vieilles pratiques44 qu’ils ont traittées eux-mes-
mes autresfois ou veu traitter à d’autres, qu’ils meinent si miserablement45 ces pauvres
creatures que leur purgatoire leur seroit plus doux que non pas46 leur autorité. L’Espagnol
dit : El diablo sabe mucho, porque es viejo, que « le diable sçait beaucoup parce qu’il est vieux » :
de mesme ces vieillards par leur aage et anciennes routines47, sçavent force choses. Si sont-
ils grandement à blasmer de ce poinct que, puisqu’ils ne peuvent contenter les femmes, pour-
quoy les vont-ils espouser ? et les femmes aussi belles et jeunes ont grand tort de les aller es-
pouser, sous l’ombre des biens48, en pensant joüir49 après leur mort, qu’elles attendent
d’heure à autre50 ; et cependant se donnent du bon temps avec des amis jeunes qu’elles font,
dont aucunes d’elles en patissent griefvement51.

37 « forcené » (cf. occitan forsenat) est d’abord le participe passé du verbe forsener : ex.
dans la Vie de saint Alexis « La vint curant[e] cum femme forsenede » (elle accourut, comme
folle furieuse) et chez Montaigne : « De mesme aux femmes, un animal glouton et avide, au-
quel si on refuse aliments en sa saison, il forcene, impatient de delai », « Je veux que l’avantage
soit pour nous, mais je ne forcene point s’il ne l’est ».
Composé de la préposition fors « hors de » (l’acception « excepté, sauf, hormis » est secon-
daire) et de sen « intelligence, bon sens » [cf. les noms de famille Sené, Malsené], en parti-
culier dans l’expression changier le sen « perdre le sens » chez Chrétien de Troyes : Tel duel ot
que le san chanja, Onques ne but ne ne manja, Si morut con huem forssenez (Cligès 6607), Mes ainz
voldroit le san changier Que il ne se poïst vengier De lui, qui joie s’a tolue (Yvain 2793). [Dictionnaire
Électronique de Chrétien de Troyes, DÉCT].
Pour le sémantisme, cf. « ça m’a mis hors de moi », « estaba fuera de sí », “he was beside him-
self with anger”.
Sen provient du westique *sinn- (all. der Sinn [néerl. zin] et le dénominatif sinnen), appa-
renté au vieil-anglais sinnan [fort 3e cl.], dont le causatif est sendan. On pourra consulter
l’ouvrage de Louis Guinet, Les Emprunts gallo-romans au germanique (du Ier à la fin du Ve siècle),
1982. — La graphie forcené a subi l’influence de « force ».
Ici, furieux a un sens très voisin : « en délire, dément, égaré, insensé » (furĭōsus : Ira furor
breuis, la colère est une courte folie).
38 la comparaison s’impose avec « des marauts de vallets »  qui répond au schéma
[Dét N1 de N2], équivalant à celui de notre grand flandrin de vicomte.
Mais si « le thème (topic) est ce dont on parle, le rhème (comment) ce qu’on en dit », la répar-
tition dans le nouvel énoncé ne répond pas à l’attente (**ces cocus de maris**).

Se pourrait-il que l’écrivain ait été induit en erreur par la construction en miroir qu’il a adop-
tée ? (Comparer : Les vieillards sont volontiers de ces forcenés et furieux…)
39 « souvent »
40 « leurs capacités d’avoir une érection et l’intensité de leur désir »
41 « étant sûrs »
42 « assez sots pour »
43 « soupçonneux
44 « manigances /menées / intrigues auxquelles ils ont eu recours »
45 « qu’ils traitent d’une façon si odieuse et méprisable »
46 Dans des cas de comparaison d’inégalité où la langue actuelle utilise un « ne » dit
explétif (le purgatoire des femmes en question leur serait plus doux que n’est l’autorité
de leur vieux mari), les écrivains de la Renaissance avaient la latitude d’employer la locu-
tion adverbiale négative continue.
47 « et (leurs) vieilles pratiques » — « routine » n’est attesté que depuis 1559
48 sous l’ombre de « sous prétexte de » (cf. sous couleur de, sous couvert de) ; mais les
femmes visées mettraient en avant leur cupidité comme motif pour se marier ?
49 « en pensant en profiter »
50 « d’une heure à l’autre, à tout moment ; sans cesse »
51 « terriblement »

 J’ay oüy parler d’une, laquelle estant surprise sur le fait, son mary, vieillard, luy donna
une poison52 de laquelle elle languit plus d’un an et vint53 seiche comme bois ; et le mary
l’alloit voir souvent, et se plaisoit en cette langueur, et en rioit, et disoit qu’elle n’avoit que
ce qu’il luy falloit54.

52 le mot a d’abord été du genre féminin, étant issu de l’accusatif du latin pōtĭo, -ōnis,
fém. « action de boire ; boisson, breuvage ; breuvage médicinal, potion, drogue ; breuvage
empoisonné ; philtre, breuvage magique » — La répartition des 13 occurrences du mot
dans les Essais est la suivante : fém. 3 ; masc. 3 ; indécidable 7.
53 « devint »
54 « que son dû, que ce qu’elle méritait »
 Une autre, son mary l’enferma dans une chambre et la mit au pain et à l’eau, et bien sou-
vent la faisoit despouiller55 toute nue et la foüettoit son saoul56, n’ayant aucune compassion
de ceste belle charnure57 nuë, ny non plus d’emotion. Voilà le pis58 d’eux : car estant des-
garnis de chaleurs et despourveus de tentation comme une statuë de marbre, n’ont pitié de
nulle beauté, et passent leurs rages par de cruels martyres59, au lieu qu’estans jeunes la pas-
seroyent, possible, sur leur beau corps nud, comme j’ay dict cy devant.

55 « lui faisait retirer ses vêtements, la faisait déshabiller » cf. spogliarsi et despojarse
(de sus ropas) ‖ D’où le jeu de mots dans la formule que Montaigne cite en la donnant
pour traditionnelle : « Ie ne me veulx pas despouiller devant que de m’aller coucher », c’est-à-
dire au figuré « je ne veux pas me dessaisir de mes biens de mon vivant [si ce n’est par
testament] »
Cotgrave, 1611
sous despouiller.

56 « tout son soûl, jusqu’à ce qu’il en ait assez, à satiété »


57 l’accusatif singulier carnem de căro, carnis « chair » aboutissait à charn (cf. charnel),
d’où est tiré charnure.
58 l’adjectif latin mălus « mauvais, méchant » faisant partie de ceux qui recourent à la
supplétion pour leurs degrés de comparaison, s’est constitué un comparatif de supério-
rité à partir des formes suivantes :
masculin/féminin (épicène) neutre
nominatif pēiŏr
pēius
accusatif pēiōrem

« Pire » est issu de pēiŏr et « pis » de pēius. (Il a existé, en ancien français, un cas-régime
pieur, issu de pēiōrem.) Ici, pour exprimer le superlatif, Brantôme se sert déjà de le pis qui
avait supplanté la forme héréditaire pesme.
59 « en infligeant de cruelles souffrances »

 Voylà pourquoy il ne fait pas bon d’espouser de tels vieillards bizarres : car, encor que la
veuë leur baisse et vienne à manquer par l’aage, si en ont-ils tousjours prou60 pour espier et
voir les frasques61 que leurs jeunes femmes leur peuvent faire.

60 « beaucoup » ; ne subsiste que dans la locution « peu ou prou » (La Fontaine : « L’un
jura foi de roi, l’autre foi de hibou, Qu’ils ne se goberoient leurs petits peu ni prou »). Il s’agit de
l’emploi adverbial du substantif d’ancien français prod (dans la Chanson de Roland), pro
(dans la Vie de saint Alexis) « avantage, profit » : « Fust li a preu u a damage », que cela
tourne à son avantage ou à son désavantage (Marie de France, Lai de Guigemar).
« La Civilité puérile et honneste ‹1537› apprenait aux enfants à dire à leurs père et mère,
après les grâces, prouface, c’est-à-dire bon prou vous fasse, que ce repas vous profite. »
François Génin.
Furetière présente la formule comme n’étant plus guère en usage à son époque, si ce n’est
par raillerie (par antiphrase, le sens avait fini par être « allez au diable ») ; mais auparavant
elle était passée outre-Manche.
(La scène se passe en octobre 1527, à Hampton Court, où le cardinal Wolsey, Lord Chancellor, a été
chargé par Henry VIII d’accueillir une délégation française de 280 personnes ayant à sa tête pas
moins de quatre ambassadeurs.)
“Ye must understand that my lord was not there, ne yet come, but they [la délégation] being merry and
pleasant with their fare, devising and wondering upon the subtleties. Before the second course, my Lord Car-
dinal came in among them, booted and spurred, all suddenly, and bade them proface ; at whose coming
they would have risen and given place with much joy. Whom my lord commanded to sit still and keep their
rooms […].”
Thomas Wolsey, Late Cardinall, his Lyffe and Deathe, by George Cavendish, His Gentleman Usher

Il faut savoir que son éminence était absente et n’était pas encore arrivée, mais que les membres
de la délégation prenaient plaisir au festin et en étaient joyeux, le raffinement leur faisant échan-
ger des propos admiratifs. Avant le deuxième service, Son Éminence le Cardinal, en bottes et
n’ayant pas quitté ses éperons, fit soudain son entrée parmi eux et leur souhaita « bon appétit » ;
sur quoi, les Français voulurent se lever et lui faire place avec grand plaisir. Mais son éminence
leur dit de ne pas se déranger et de rester à leur place.

Dans King Henry IV, Part Two (V, III), Davy (domestique de Master Robert Shallow) dit de même au
page que Prince Hal a attribué par dérision à Falstaff :
“Master page, good master page, sit : proface ! ”
L’expression a existé en italien (« Come ha bevuto, sen porta la taccia, E parli a ponto aver pa-
gato l’oste Con dir, quando sen va : - Buon pro vi faccia ! » Orlando innamorato) et en espa-
gnol (« ¡ buena pro le haga al Corregidor ! » Alarcón, El Sombrero de tres picos, XVII in fine).
61 « tours pendables, mauvaises plaisanteries ; écarts de conduite »

 Aussy j’ay oüy parler d’une grande dame qui disoit que nul samedy fut sans soleil62, nulle
belle femme sans amours, et nul vieillard sans estre jaloux ; et tout procede pour63 la debo-
lezze64 de ses forces.

62 Étienne Vaucheret : « Dicton se rapportant à la croyance populaire qu’il ne se passe


pas de samedi sans que le soleil se montre, en l’honneur de la Vierge à qui ce jour est consa-
cré. »
63 « et tout s’explique par » — Étienne Vaucheret : « tout vient de »
64 l’italien debolezza est l’abstrait de l’adjectif debole [parola sdrucciola] « faible » (du
latin dēbĭlis) ; « l’insuffisance » (afin d’éviter "la faiblesse de ses forces")
 C’est pourquoy un grand prince que je sçay disoit65 qu’il voudroit ressembler66 le lion,
qui, pour vieillir67, ne blanchit jamais ; le singe, qui tant plus68 il le fait, tant plus il le veut
faire ; le chien, tant plus il vieillit, son cas69 se grossit ; et le cerf, que tant plus il est vieux,
tant mieux il le fait, et les biches vont plustost à luy qu’aux jeunes.

65 Les commentateurs ont fait le rapprochement avec le passage suivant, dans le Moyen
de parvenir, de Béroalde de Verville :
A propos de chien, je me souviens de monsieur le Commandeur de Compesières qui desiroit estre comme trois sor-
tes d’animaux, à sçavoir, ainsi que le signe [cygne] qui plus vieillit et plus embellit, comme le chien auquel vieil-
lissant le membre grossit, et tel que le cheval ou le cerf qui plus vieillissent plus le font.
[Compesières, qui se trouve maintenant dans la Confédération helvétique (canton de Genève), appar-
tenait à l’époque au duché de Savoie. En 1270, l’évêque de Genève Aymon de Cruseilles fit donation de
l’église Saint-Sylvestre à l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem (aujourd’hui ordre de
Malte) qui, par la suite, construisit une Commanderie dans la localité.]
66 « ressembler », simple intensif de « sembler », en a longtemps conservé la construc-
tion transitive : « Par tels paroles vus resemblez enfant » (Chanson de Roland) ; « Cette majesté infi-
nie [de Dieu], … ne ressemble pas les grandeurs humaines où il y a toujours quelque foible… » (Bos-
suet).
Littré, en citant dans la partie historique cette phrase de Montaigne : « Le jeune Ciceron,
qui n’a ressemblé son pere que de nom… », fausse un peu la réalité, car on trouve aussi dans
les Essais « qui ne cognoit pas Socrates, voyant son pourtraict, ne peut dire qu’il luy ressemble »
et « Comme nul evenement et nulle forme ressemble entierement à une autre… ».
67 « tout en vieillissant, quoiqu’il vieillisse » ; cf. « Ah ! pour être dévot, je n’en suis pas
moins homme »
68 la variation proportionnelle exprimée par tant plus… tant plus… est attestée depuis
1200 env.
69 « sa verge » (avec influence de l’italien cazzo : Montaigne « [les Romains] s’essuyoient le
catze de laine perfumée, quand ils en auoyent faict » ; cf. caiche chez Rabelais)

 Or, pour en parler franchement, ainsy que j’ay oüy dire à un grand personnage, quelle
raison y a-il70, ny quelle puissance71 a-il le mary si grand, qu’il doive et puisse tuer sa femme,
veu qu’il ne l’a point de Dieu, ny de sa loy, ny de son saint Evangile, sinon de la repudier seu-
lement ? Il ne s’y parle point de mort, de sang, de meurtre, de tourmens, de prison, de poi-
sons ny de cruautez. Ah ! que Nostre Seigneur Jesus-Christ nous a bien remonstré72 qu’il y
avoit de grands abus en ces façons de faire et en ces meurtres, et qu’il ne les approuvoit
guieres, lorsqu’on luy amena cette pauvre femme accusée d’adultère pour jetter sa senten-
ce73 de punition ; il leur dit, en escrivant en terre de son doigt74 : « Celuy de vous autres qui
sera le plus net75 et le plus simple76, qu’il prenne la premiere pierre et commence à la lapider ! » ce que
nul n’osa faire, se sentans atteints par telle sage et douce reprehension77.

70 Henri Estienne, Hypomneses de Gallica lingua (1582), Théodore de Bèze, De Francicae lin-
guae recta pronuntiatione (Genève, 1583), Antoine Cauchie, Grammatica Gallica (1570-1586) et
d’autres grammairiens du XVIe siècle nous ont légué des observations précieuses sur ce que
nous appelons le -t- euphonique.
Jacques Peletier du Mans [1517-1582] préconise un système original pour réformer l’ortho-
graphe et l’utilise dans son ouvrage Dialogue de l’ortografe e prononciation françoęſe (1re éd. :
1550), qui déclenche une polémique avec Louis Meigret, lui aussi réformateur. Voici ce qu’il
écrit sur le point de phonographématique qui nous intéresse :

« Souvant außi nous prononçons des lęttres qui ne ſ’ecriuet point. ‖ Comme quand nous diſons díne ti ?
ira ti ? e ecriuons díne il ? ira il ? e ſeroit choſe ridicule ſi nous les ecriuions ſelon quíz ſe prononcet. »
[Il ne m’a pas été possible de reproduire le symbole « e + barre oblique » dont Peletier se sert
pour noter e caduc.]
Si l’on en croit donc Peletier du Mans et les autres grammairiens ses contemporains, Bran-
tôme (ou plutôt son amanuensis) écrit a-il ce qui devait se prononcer /ati/, la consonne fi-
nale étant muette.
Mais il est envisageable que l’écrivain n’ait trouvé aucun inconvénient à l’hiatus : on en
trouve des exemples chez Ronsard (Puisse-il tousjours sous ses ailes couver Ton chef royal, et, nud,
tousjours laver Le sien crespu dans l’argent de ton Loire) et Du Bellay (Ce Dieu t’a donné encor Le
thresor De sa langue bien apprise. Te puisse-il tousjours aider, Et guider Chacune tienne entreprise).
Chez les prosateurs, on peut mentionner l’indifférence de Bonaventure Des Periers vis-à-vis
du -t- euphonique : « il l’emploie ou ne l’emploie pas sans suivre pour cela de règle fixe » (Adolphe
Chènevière).
71 la patria potestas du chef de famille, qui lui donnait droit de vie et de mort (uitæ ne-
cisque) sur ses enfants, sa femme et ses esclaves. — NB : grand se rapporte à puissance.
72  ce n’est pas « en remontrer à quelqu’un », mais « exposer à quelqu’un ce qu’on
lui reproche, ce dont on lui fait grief » (remontrances)
73 « prononcer la condamnation » (sententiam emittere)
74 détail caractéristique du texte source (Jean, 8, 1-11) : τῷ δακτύλῳ κατέγραφεν εἰς
τὴν γῆν, digito scribebat in terra
75 « sans souillure » (immaculatus)
76 « innocent, qui n’a rien à se reprocher »
77 « blâme » (reprehensio)

 Nostre Createur nous apprenoit à tous de n’estre si legers78 à condamner et faire mourir
les personnes, mesmes sur ce sujet, cognoissant les fragilitez de nostre nature, et l’abus que
plusieurs y commettent : car tel fait mourir sa femme, qui est plus adultère qu’elle, et tels
les font mourir bien souvent innocentes, se faschans79 d’elles pour en prendre d’autres nou-
velles ; et combien y en a-il ! Saint Augustin dit80 que l’homme adultère est aussi punissable
que la femme.

78 « prompts »
79 « se lassant » : « Sondit pere [Rodrigo de Borja] eut un fils aisné [Juan/Giovanni] qui
fut duc de Candie [Gandía] ; et Caesar Borgia fut le second, qui fut faict cardinal, et eut le chapeau
[et reçut le chapeau de cardinal des mains] de son pere après estre creé [une fois que celui-
ci fut devenu] pape [Alexandre VI, 1492-1503]. Mais se faschant de la robbe, et ayant la
fantaisie dressée aux hautes conceptions et entreprises du monde, la quicta […]. »
80 De Coniugiis adulterinis ad Pollentium, livre II, chap. VIII (Viri adulteri grauius puniendi
quam adulteræ uxores, Les maris adultères doivent être punis avec plus de sévérité que les
épouses adultères)

 J’ay oüy parler d’un trés-grand prince de par le monde, qui, soubçonnant sa femme81
faire l’amour avec un gallant cavalier, il le fit assassiner sortant le soir de son palais, et puis
la dame ; laquelle, un peu auparavant, à un tournoy qui se fit à la cour, et elle fixement arre-
gardant82 son serviteur qui manioit si bien son cheval, se mit à dire : « Mon Dieu ! qu’un tel
pique bien ! — Oüy, mais il pique trop haut » 83; ce qui l’estonna, et après fut empoisonnée par
quelques parfums, ou autrement par la bouche.

81 Élisabeth de France [1545-1568] (appelée en Espagne Isabel de Valois et Isabel de la


Paz), fille d’Henri II et de Catherine de Médicis, 3e femme de Philippe II, roi d’Espagne.
Voici ses dates de naissance :
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lisabeth_de_France_%281545-1568%29 2 avril 1545
http://es.wikipedia.org/wiki/Isabel_de_Valois_%281546-1568%29 13 de abril de 1546
http://en.wikipedia.org/wiki/Elisabeth_of_Valois : 2 April 1544 2 April 1544
Brantôme, qui avait eu l’occasion de la rencontrer à Madrid, lui a consacré une vingtaine de
pages dithyrambiques : « Que pleust à Dieu fussé-je un bon petrarquiseur, pour bien l’exalter… ! »
La pauvre femme mourut en couches.
82 arregarder est une variante d’argarder, déformation « non-conventionnelle » (popu-
laire) de « regarder » (et croisement avec agarder ?) mais le verbe lui-même n’appartient
pas à un registre particulier : lors de leur première rencontre après leur mariage (qui a
eu lieu par procuration), Philippe II d’Espagne (33 ans), trouvant que sa femme (14 ans)
le dévisage trop, lui demande « Que mirais, si tengo canas ? » [selon les sources espagnoles :
¿ Qué miráis ? ¿ Por ventura, si tengo ya canas ?], ce que Brantôme rend par « Qu’arregardez-
vous, si j’ay les cheveux blancs ? »
83 Mérimée et Lacour :
On raconte le même mot de Philippe IV [1605-1665], à l’occasion d’une course de taureaux où le comte
de Villa-Mediana [Juan de Tassis y Peralta, 1582-1622], amant, dit-on, d’Isabelle de Bourbon [Élisabeth de
France, 1602-1644, fille d’Henri IV et de Marie de Médicis], recevait les éloges de cette princesse. (Voy. le
poème charmant du duc de Rivas, El conde de Villa-Mediana.) Ce passage de Branthôme prouve que
l’anecdote conservée en Espagne par la tradition ne peut s’appliquer aux personnages auxquels on
l’attribue. Je crois d’ailleurs que Branthôme désigne ici une reine d’Espagne, peut-être la femme de
Philippe II, Élisabeth de France. Je fonde cette présomption sur le mot piquer employé par Branthôme.
En français, de son temps, piquer voulait dire pousser un cheval, le faire galoper. On ne pique ni haut
ni bas un cheval, tandis que dans une course de taureaux l’adresse du picador consiste à frapper l’ani-
mal sur le col, ni trop haut près de la tête, ni trop bas, c’est-à-dire près des épaules. Enfin, en espagnol,
picar muy alto est une métaphore très usitée qui signifie avoir beaucoup d’ambition, se proposer un
but trop élevé [« viser très haut »].

Mérimée renvoie au romance intitulé El conde de Villamediana, composé à Paris en 1833 par le duc de Ri-
vas [Ángel de Saavedra y Ramírez de Baquedano, 1791-1865], morceau d’anthologie où se trouvent —
dans la 1re partie : Los toros — les répliques qui font mouche :
La reina, que, sin aliento, « ¡ Qué bien pica el conde ! », dice,
los ojos desencajados y « Muy bien », los cortesanos
en jinete y toro tuvo, repiten. El rey responde :
vuelve, ansiosa, respirando ; « Bien pica, pero muy alto. »

Dans la 2e partie du poème (Las máscaras y cañas), le comte paraît avec un écu où on peut lire la devise
« Son mis amores… » surmontant des réaux (reales) d’argent ; peu après le fou du roi, le nain Vasquillo,
élucide la devise : « mes amours sont royales », ce qui fait dire au souverain à mi-voix : « Pues yo se los
haré cuartos », je lui rendrai la monnaie de sa pièce.

Autre extravagance à mettre au compte de Villamediana, la représentation le 15 mai 1622 à Aranjuez,


au cours de fêtes fastueuses, de sa pièce la Gloria de Niquea (avec prologue de son ami Góngora), suivie
d’une œuvre de Lope de Vega, el Vellocino de Oro, dont le deuxième acte est interrompu par un incen-
die réel que le conte met à profit pour emporter la reine dans ses bras (crime de lèse-majesté punis-
sable de mort), dans le seul but — nul n’en doute — de lui sauver la vie.
Villamediana mourut assassiné.
 J’ay cogneu un seigneur de bonne maison qui fit mourir sa femme, qui estoit trés-belle et
de bonne part et de bon lieu84, en l’empoisonnant par sa nature85, sans s’en ressentir86, tant
subtile et bien faitte avoit esté icelle poison, pour espouser une grand’ dame qui avoit es-
pousé un prince ; dont en fut en peine, en prison et en danger, sans ses amis87 ; et le mal-
heur voulut qu’il ne l’espousa pas, et en fut trompé et fort scandalisé88, et mal veu des hom-
mes et des dames.

84 Étienne Vaucheret : « de noble origine et issue d’une grande famille »


85 on disait nature pour désigner le sexe de la femme et membre de nature pour désigner
celui de l’homme (d’où laboureur de nature, chez Rabelais).
Marco Polo (éd. de Roux de Rochelle, 1824) : « E si vos di qe en toute ceste provence de Mabar [maabar
« passage, détroit », actuelle côte de Coromandel] ne a mester por taillier ne cuire dras, por ce qe il ont tuit
nus de tous les tens de lan. Car ie vos di quil ont tout tens tenpréé, ce est quil ne ont ne froit ne chaut, e por ce vont
toutes foies nus, for qe il se cuvrent lor nature dou pou de drap tant solamant. »
Ambroise Paré : « I’atteste auoir veu et medicamenté vne ieune femme, à qui sa matrice tomboit hors de sa na-
ture la grosseur d’vn gros œuf de poulle, auoir esté guerie et porté depuis des enfans, et sa matrice n’estre iamais
retombée. »
Amyot (Vie de Romulus), traduisant Plutarque qui décrit les lupercales : « Cela fait, on couppe les peaux de
chevres, et en faict lon des courroyes, qu’ilz prennent en leurs mains, et s’en vont courans par la ville [Rome] tous
nuds, fors qu’ilz ont un linge ceinct devant leur nature, et frappent avec ces courroyes ceulx qu’ilz rencontrent
en leur chemin » [Ἐκ δὲ τούτου τὰ δέρματα τῶν αἰγῶν κατατεμόντες, διαθέουσιν ἐν περιζώσμασι γυμ-
νοί, τοῖς σκύτεσι τὸν ἐμποδὼν παίοντες].
► Euphémisme emprunté au latin et dont voici un exemple chez Cicéron (De Diuinatione) : « Parere
quæ-dam matrona cupiens dubitans, essetne prægnans, uisa est in quiete obsignatam habere naturam. Rettulit.
Negauit eam, quoniam obsignata fuisset, concipere potuisse. At alter prægnantem esse dixit; nam inane obsignari
nihil solere. » Une matrone désirant un enfant n’était pas sûre d’être enceinte ; or elle rêva pendant son
sommeil qu’elle avait le sexe scellé. Elle rapporta ce songe. L’interprète considéra que, puisqu’elle
avait le sexe scellé, elle ne pouvait avoir conçu. Mais un autre interprète dit qu’elle était enceinte, car,
généralement, on ne scellait pas un récipient vide. (trad. J. Scheid et G. Freyburger, Paris, 1992) — On
scellait les amphores de vin (avec de la poix, de l’argile ou du plâtre) et la correspondance (avec de la
cire).
86 « sans qu’elle ressente quoi que ce soit »
87 « dont il aurait été… s’il n’avait pas eu ses amis »
88 « perdu de réputation » (cf. Scandalize My Name) ; autre exemple chez Brantôme :
J’ay oüy parler d’une dame qui fort sujette à songer et resver toutes les nuits, qu’elle disoit la nuict tout ce
qu’elle faisoit le jour, si bien qu’elle-mesme s’escandalisa à l’endroit de son mary, qui se mit à l’ouïr parler,
gazouiller et prendre pied à ses songes et resveries, dont après mal en prit à elle.

 J’ay veu de grands personnages blasmer grandement nos rois anciens, comme Louis Hutin
et Charles le Bel89, pour avoir fait mourir leurs femmes : l’une, Marguerite, fille de Robert, duc
de Bourgogne ; et l’autre, Blanche, fille d’Othelin90, comte de Bourgogne ; leur mettans à sus91
leurs adulteres ; et les firent mourir cruellement entre quatre murailles, au Chasteau-Gaillard,
et le comte de Foix en fit de mesmes à Jeanne d’Arthoys92. Sur quoy il n’y avoit point tant de
forfaits et de crimes comme ilz le faisoient à croire ; mais messieurs se faschoyent93 de leurs
femmes, et leur mettoyent à sus ces belles besognes, et en espouserent d’autres.
89 il s’agit de deux des fils de Philippe IV dit le Bel :
● Louis X dit le Hutin (« le querelleur », surnommé aussi le Noiseux) [1289-1316] : sa 1re
épouse, Marguerite de Bourgogne [1290-1315], compromise dans le scandale de la Tour de
Nesle, retrouvée morte dans sa cellule à Château-Gaillard (aux Andelys, dans l’Eure);
● Charles IV dit le Bel [1294-1328] : sa 1re épouse, Blanche de Bourgogne [v.1296-1326],
belle-sœur de Marguerite de Bourgogne, compromise dans le scandale de la Tour de Nesle
et condamnée en 1322 pour adultère, morte à l’abbaye de Maubuisson.
90 Othon IV de Bourgogne
91 « leur reprochant » ; là où nous disons « Qui veut noyer son chien l’accuse de la
rage », Eustache Deschamps écrit : Qui son chien het, on li met sus la raige.
92 Gaston II de Foix-Béarn [1308-1343] « outré des déportements de sa mère, Jeanne
d’Artois [1289-1350 ?], … obtint de Philippe de Valois, en 1331, un ordre d’internement au
Château-Gaillard » (Étienne Vaucheret). Selon d’autres sources, Jeanne d’Artois aurait été
emprisonnée au château de Foix, puis à Orthez, Lourdes et Carbonne, ce qui paraît plus vrai-
semblable.
93 voir note 79 → se fascher de « se lasser de »
« chair »

 Comme de frais94, le roy Henry d’Angleterre fit mourir sa femme et la décapiter95, Anne de


Boulan96, pour en espouser une autre, ainsi qu’il estoit fort sujet au sang97 et au change de
nouvelles femmes. Ne vaudroit-il pas mieux qu’ils les repudiassent selon la parole de Dieu,
que les faire ainsi cruellement mourir ? Mais il leur en faut de la viande fraische à ces mes-
sieurs, qui veulent tenir table à part sans y convier personne, ou avoir nouvelles et secondes
femmes qui leur apportent des biens après qu’ilz ont mangé98 ceux de leurs premieres, ou
n’en ont eu assez pour les rassasier ; ainsi que fit Baudouin99, 2e roy de Jerusalem, qui faisant
croire à sa premiere femme qu’elle avoit paillardé100, la repudia pour prendre une fille du duc
de Malyterne101, parce qu’elle avoit un dot102 d’une grand’ somme d’argent, dont il estoit fort
necessiteux103. Cela se trouve en l’Histoire de la Terre Sainte. Il leur sied bien104 de corriger la loy
de Dieu et en faire une nouvelle, pour faire mourir ces pauvres femmes.

94 « il y a peu, récemment »
95 nouvelle occurrence d’hystéron protéron : « Henry VIII fit mourir sa femme et [à
cette fin] la (fit) décapiter »
96 le nom d’Ann Boleyn [1501 ou 1507-1536] s’écrivait aussi Bullen et Boullan
97 « étant très sanguinaire »
98 « dissipé », mais mangé amène rassasier
99 Je m’en rapporte aux commentateurs qui ont tous noté la confusion commise par
l’auteur entre Baudoin Ier et Baudoin II.
100 « mené une vie de dévergondée » ; le verbe est attesté depuis la Ballade dite « de la
Grosse Margot » (« De paillarder tout elle me destruyt, En ce bordeau ou tenons nostre estat »).
Tiré de « paillard », lui-même dérivé de « paille », « le paillard étant proprement le gueux
couchant sur la paille » explique TLFi (c’est moi qui souligne) ; mais je serais porté à croire
que l’association qui prime est celle avec « paillasse » (sac de toile bourré de paille, servant
de matelas ou de lit).
On en est réduit à interpréter la phrase comme voulant dire que Baudoin a réussi à faire
admettre à sa femme que la conduite de celle-ci (à l’insu de l’intéressée…) constituait un
manquement à la foi conjugale ; si tel est le sens, nous sommes en pleine casuistique.
101 Mélitène, aujourd’hui Eski Malatya (en turc, eski signifie « ancien, vieux »)
102 « dot » est du masculin jusqu’à l’époque classique : Bélise, dans les Femmes savantes,
l’emploie au féminin (« Veuillez, au lieu d’écus, de livres et de francs, Nous exprimer la dot en
mines et talents »), mais il n’en est pas de même dans l’École des femmes (le notaire : « L’or-
dre est que le futur doit douer la future Du tiers du dot qu’elle a ») ni dans l’Avare (Harpagon à
Frosine : « C’est une raillerie, que de vouloir me constituer son dot de toutes les dépenses qu’elle
ne fera point »).
103 « dont il avait grand besoin » : « Vous ne me parlez point assez de vous : j’en suis néces-
siteuse, comme vous l’êtes de folies » Mme de Sévigné, 24 avril 1671. TLFi cite le Journal de
Léon Bloy en 1906 : « Les religieuses n’avaient pas encore été remplacées par des employés munici-
paux tels que ce portier bel-esprit, nécessiteux de gifles et de coups de pieds dans le cul ». Cet exem-
ple n’est pas isolé dans l’œuvre du polémiste, qui parle, dans ce passage d’Un brelan d’excom-
muniés (1889) [où l’adjectif est substantivé], d’un recueil de Verlaine, « le plus grand poète qui
leur [aux bons catholiques] ait apporté son cœur depuis cinq ou six cents ans » :

104 Brantôme procède par antiphrase et ironise : « Il est malséant de leur part… » (It ill
becomes them), et, en modernisant, « Ça leur va bien… ! »
 Le roy Louis le Jeune105 n’en fit pas de mesme à l’endroit de Leonor106, duchesse d’Aquitai-
ne, qui, soubçonnée d’adultere, possible à faux107, en son voyage108 de Syrie, fut repudiée de
luy seulement109, sans vouloir user de la loy des autres, inventée et pratiquée plus par auto-
rité110 que de droit et raison : dont sur ce il en acquist plus grande reputation que les autres
rois, et tiltre111 de bon, et les autres de mauvais, cruels et tyrans ; aussi que dans son ame il
avoit quelque remords de conscience d’ailleurs ; et c’est vivre en chrestien cela ! Voire que
les payens romains112, la pluspart s’en sont acquittez de mesme plus chrestiennement que
payennement, et principalement aucuns empereurs, desquels la plus grande part ont esté
sujets à estre cocus, et leurs femmes trés-lubriques et fort putains ; et, tels cruels113 qu’ilz
ont esté, vous en lirez force qui se sont defaits de leurs femmes plus par repudiations que
par tueries de nous autres chrestiens114.

105 Louis VII [1120-1180]


106 Aliénor d’Aquitaine [† 1204], plus rarement Éléonore de Guyenne, Eleanor of Aquitaine
en anglais ; les élucubrations répandues à propos de l’origine du nom montrent à l’évidence
que l’étymologie en est, à l’heure actuelle, inconnue. — Pour mémoire : Guyenne (attesté
depuis 1258-1259), est l’adaptation de la forme occitane (gasconne) issue d’Aquitania, sans
étymologie.
107 « peut-être à tort »
108 le voyage en question est une expédition militaire : la deuxième croisade (1145-1149)
109 « fut répudiée, sans plus, par le roi »
110 le sens est ici assez proche d’« abus de pouvoir »
111 la forme la plus ancienne est title (d’où l’anglais ‘title’ ; de son côté, l’allemand a
Titel comme le néerlandais a titel), emprunt du latin tĭtŭlu(m) qui est aussi l’étymon du cas-
tillan tilde (avec métathèse) ; voir la finale de la série apôtre, chapitre, épître ← apostolum,
capitulum, epistulam (l’anglais a ‘apostle’ et ‘epistle’).
112 « D’autant que chez les Romains, qui étaient païens »
113 Étienne Vaucheret : « Si cruels qu’ils aient été »
114 Mérimée et Lacour :
Il y a ici une étrange ellipse. L’auteur veut dire que les empereurs romains répudiaient leurs femmes au lieu
de les tuer comme font quelques chrétiens.

 Jules Cesar ne fit autre mal à sa femme Pompeïa, sinon la repudier, laquelle avoit esté
adultere de P. Claudius115, beau jeune gentilhomme romain, de laquelle estant eperdument
amoureux, et elle de luy, espia116 l’occasion qu’un jour elle faisoit un sacrifice en sa maison,
où il n’y entroit que des dames117 : il s’habilla en garce118, luy qui n’avoit encore point de bar-
be au menton, qui, se meslant de chanter et de joüer des instrumens119, et par ainsi120, pas-
sant par cette monstre121, eut loisir de faire avec sa maistresse ce qu’il voulut ; mais, estant
cogneu122, il fut chassé et accusé ; et par moyen d’argent et de faveur il fut absous123, et n’en
fut pas autre chose124. Ciceron y perdit son latin125 par une belle oraison126 qu’il fit contre
luy. Il est vray que Cesar, voulant faire à croire127 au monde qui luy persuadoit sa femme
innocente, il respondit qu’il ne vouloit pas que seulement son lict fust taché de ce crime,
mais exempt de toute suspicion128. Cela estoit bon pour en abbreuver129 ainsi le monde ; mais,
dans son ame130, il sçavoit bien que131 vouloit dire cela : sa femme avoir esté ainsi trouvée
avec son amant ; si que, possible, luy avoit-elle donné cette assignation et cette commodi-
té132 : car, en cela, quand la femme veut et desire, il ne faut point que l’amant se soucie d’ex-
cogiter133 des commoditez, car elle en trouvera plus en une heure que tous nous autres
sçaurions faire en cent ans ; ainsi que dit une dame de par le monde, que je sçay qui dit à son
amant : « Trouvez moyen seulement de m’en faire venir l’envie, j’en trouverai prou pour en
venir là134. »

115 Publius Clodius Pulcher (v.92 av. J.-C.-52 av. J.-C.), démagogue.
116 « guetta »
117 il ne s’agit pas d’un sacrifice mais d’une cérémonie religieuse et Clodius commet un
sacrilège en participant, travesti en femme (cum ueste muliebri), à un rituel — le culte de la
Bona Dea — d’où sont exclus, même en effigie, les êtres humains de sexe masculin et ani-
maux de sexe mâle.
118 « en jeune fille » (par opposition à dames qui précède) ; garce est le féminin de gars,
ancien cas sujet de garçon.
Synthèse à l’art. « garçon » du TLFi :
En a. fr., les termes qui servent à désigner le jeune homme semblent se répartir entre deux catégories :
bacheler (v. bachelier) et damoiseau qui mettent l’accent sur le jeune âge, tandis que valet et garçon font
ressortir l’orig. sociale ; l’enfant noble est appelé valet, l’enfant de couche sociale inférieure, garçon (sou-
vent terme d’injure, cf. garce).
Quant à l’étymologie du terme, je renvoie à l’ouvrage (déjà cité) de Louis Guinet, p. 30.
119 « participant aux chants et aux concerts d’instruments » (Clodius s’était déguisé en
psaltria/ψάλτρια, joueuse de cithare ou plus probablement de harpe)
120 « de cette façon, par ce moyen »
121 (se prononçait montre) « grâce à ce spectacle »
122 « reconnu »
123 « relaxé, acquitté »
124  « il n’y eut aucune autre conséquence (fâcheuse pour Clodius) »
125 en ancien français, latin voulait dire : « langage ; langue, idiome, parler, jargon ; dis-
cours, propos ; ce qu’on a à dire, pensée, réflexion ; gazouillement, gazouillis des oiseaux ;
(au plur.) finesses, subtilités ; science » (d’après A. J. Greimas). L’expression perdre son latin
« (en parlant des oiseaux) demeurer muet » apparaît en 1338 dans l’incipit des Vœux du Héron
(« En le mois de septembre qu’estés va à declin, Que chil oiseillon gay ont perdu leur latin »), d’où y
perdre son latin « rester coi, interdit, sans voix, être à court d’explication ou d’expression,
renoncer à comprendre » en 1558 dans l’Apologie pour Hérodote, où Henri Estienne parle d’un
personnage qui usa « d’une comparaison fort subtile pour prouver un point où tous les docteurs ont
perdu leur latin. »
Latinus est passé dans d’autres langues avec le sens de « langue, idiome, parler, jargon », p.
ex. en vieil-anglais : « Spasmus ðæt ys on úre leódene hneccan sár », Σπασμός, that is in our lan-
guage, a pain at the back of the neck (dans notre langue, un torticolis) et Chaucer emploie leden
pour dire « langage, gazouillis » :
This faire kynges doghter Canacee, Canacée, cette belle fille du roi,
That on hir fynger baar the queynte ryng, qui portait au doigt cet anneau étrange
Thurgh which she understood wel every thyng grâce auquel elle comprenait parfaitement
That any fowel may in his leden seyn, tout ce qu’un oiseau pouvait dire dans son langage
And koude answeren hym in his ledene ageyn... et était capable de lui répondre dans ce langage…
De même, en vieil espagnol, ladino est glosé « el que sabe otra lengua ó lenguas ademas de la
suya ».
C’est la locution en son latin qui a été la plus durable et la plus répandue, grâce au topos sur le
chant des oiseaux (Guido Cavalcanti « e cantin[n]e gli auselli / ciascuno in suo latino / da sera e
da matino »).
Cela dit, Brantôme plaisante en détournant un cliché et veut dire que Cicéron se donna
du mal en pure perte.
Remarque — Dérivé intéressant de latin, le latinier était un « interprète » (le terme appa-
raît d’abord chez Wace, dans le Roman de Rou ; on le rencontre chez Marie de France, Join-
ville, Froissart…). Dans le Domesday Book, certains personnages ont droit à la qualification de
latinarius et d’autres à la variante latimarus : Radulfus Latimarus [Raoul, interprète], of Essex.
D’où des noms de famille tels que Latimer, Lattimore, Latomer, Lanter, etc. dans les pays an-
glophones, Latimier, Latinier dans les pays francophones.
126 « discours, plaidoirie » (c’est un latinisme : oratio)
127 Étienne Vaucheret : « donner le change »
128 Lors du procès intenté à Clodius, César, cité comme témoin et qui, dans l’intervalle, a
répudié Pompéia, dépose qu’il n’avait aucune connaissance des faits imputés à l’accusé ;
cette déclaration ayant paru très étrange (dit Plutarque), l’accusateur lui demanda pourquoi
donc il s’était séparé de son épouse : « Ὅτι, ἔφη, τὴν ἐμὴν ἠξίουν μηδ’ ὑπονοηθῆναι » Parce
que, répondit-il, j’ai estimé que la mienne ne devait même pas être l’objet de soupçons. » D’où :
la femme de César doit rester au-dessus de tout soupçon.
129 Nicot (1606) : on dit par metaphore, Abbreuver aucun de quelque opinion ou persuasion, pour
le remplir, imbuer et outrer de telle opinion ou persuasion — « induire en erreur, tromper »
130 « en son for intérieur »
131 « ce que »
132 « tant et si bien qu’elle lui avait peut-être fixé ce rendez-vous et fourni ce moyen »
133 « faire l’effort d’imaginer, inventer » (latinisme : excogitare)
134 Brantôme a déjà cité cette réflexion dans la Ire partie du Livre des Dames. ‖  venir
là : euphémisme pour « faire l’amour »

 Cesar aussi sçavoit bien combien vaut l’aune de ces choses là, car il estoit un fort grand
ruffian135, et l’appeloit-on le coq à toutes poules136 ; et en fit force cocus en sa ville137, tes-
moing le sobriquet que luy donnoyent ses soldats à son triumphe : Romani, servate uxores,
mœchum adducimus calvum. « Romains, serrez138 bien vos femmes, car nous vous amenons ce
grand paillard et adultere de Cesar le chauve, qui vous les repassera toutes139. »
Voilà donc comment Cesar, par cette sage response qu’il fit ainsi de sa femme, il s’exemta140
de porter le nom de cocu qu’il faisoit porter aux autres ; mais, dans son ame, il se sentoit
bien touché.

135 au sens propre, un « ruf(f)ian » était un proxénète (lēnō), un souteneur, mais ici le
divin Jules est seulement traité de débauché. Attesté depuis le XIVe s., le mot est em-
prunté à l’italien :
Così parlando il* percosse un demonio *(il s’agit de Venedico Caccianemico)
de la sua scuriada, e disse : « Via,
ruffian ! qui non son femmine da conio. » Inferno, XVIII, 64-66
Alors qu’il parlait ainsi un démon le frappa de sa lanière de cuir et lui dit : « Va-t’en, maquereau ! ici, il
n’y a pas de femmes que tu puisses vendre. » (femmine da conio : sens controversé ; l’expression a toutes
les chances d’être polysémique)
Dion Cassius (XLII, 34,3) nous montre Cléopâtre découvrant que le tempérament de César
« ἦν γὰρ ἐρωτικώτατος, καὶ πλείσταις καὶ ἄλλαις, ὅσαις που περιτύχοι, συνεγίγνετο », était très
libidineux et qu’il avait possédé de très nombreuses femmes, toutes celles sans doute dont
la route avait croisé la sienne ↔ « il était très-enclin à l’amour et avait eu commerce avec la
plupart des femmes que le hasard lui avait fait connaître » (Étienne Gros (†1856) et V. Boissée,
tome V (1861), p. 69) ↔ “she discovered his disposition (which was very susceptible, to such an
extent that he had his intrigues with ever so many women— with all, doubtless, who chanced to come
in his way)” (Earnest Cary, on the basis of the version of Herbert Baldwin Foster, vol. IV
(1916), p. 167).
136 il est difficile de déterminer si l’expression est de Brantôme ; elle se retrouve dans
la traduction, De l’incertitude, vanité, & abus des sciences ch. LXIII (Des Putains), 1630, p. 264,
que Louis Turquet de Mayerne [† 1618] a donnée de l’ouvrage de Heinrich Cornelius Agrip-
pa von Nettesheim (le texte original dit : Quin & cum Cæsarem dictatorem uirum strenuissi-
mum hanc ob causam omnium mulierum uirum nuncupatum, sans plus, ce qui n’est guère ima-
gé).
137 Rome, bien sûr, mais Brantôme pense à urbs ; cf. la bénédiction urbi et orbi, que tant
de commentateurs expliquent tous les ans de travers.
138 « enfermez »
139 citation (faite de mémoire ?) et traduction de Brantôme approximatives —
Urbani, seruate uxores, mœchum* caluum adducimus. * cf. μοιχόν
Aurum in Gallia effutuisti : hic sumpsisti mutuum. (cité par Suétone)
« Citadins, surveillez vos femmes : nous amenons le dragueur chauve.
Tu as baisé en Gaule avec l’or que tu as emprunté ici. » (trad. Alain Canu)
140 graphie qui reflète la prononciation /εgzãte/

 Octavie Cesar141 repudia aussi Scribonia pour l’amour142 de sa paillardise sans aucune au-
tre chose, et ne luy fit autre mal, bien qu’elle eust raison de le faire cocu, à cause d’une infi-
nité de dames qu’il entretenoit143 ; et devant leurs marys publiquement les prenoit à table
aux festins qu’il leur faisoit, et les emmenoit en sa chambre, et, après en avoir fait144, les
renvoyoit, les cheveux defaits un peu et destortillez145, avec les oreilles rouges, grand signe
qu’elles en venoyent ! lequel je n’avoys oüy dire propre pour descouvrir que l’on en vient,
oüy bien le visage, mais non l’oreille. Aussi lui donna-on la reputation d’estre fort paillard ;
mesmes Marc-Anthoine luy reprocha ; mais il s’excusoit qu’il n’entretenoit point tant les
dames pour la paillardise que pour descouvrir plus facilement les secrets de leurs maris,
desquels il se meffioit.
141 il s’agit de l’empereur Auguste, dont Scribonia fut la 3e épouse
142  « à cause de, en raison de »
143 « avec lesquelles il avait des relations sexuelles »
144 « une fois qu’il en avait fini avec elles »
145 antonyme d’entortillés : l’enroulement des boucles et frisures a souffert

 J’ay cogneu plusieurs grands et autres qui en ont fait de mesmes et en ont recherché les
dames pour ce mesme sujet, dont s’en sont bien trouvez ; j’en nommerois bien aucuns ; ce
qui est une bonne finesse, car il en sort double plaisir. La conjuration de Catilina fut ainsi
descouverte par une dame de joye146.

146 femme de joie est attesté depuis le XIIIe s., fille de joie depuis le XIVe ; dame de joye est
propre à Brantôme. — Selon Salluste, la conjuration fut révélée par Fulvia, maîtresse de lon-
gue date de Q. Curius : « Erat ei cum Fuluia, muliere nobili, stupri uetus consuetudo. »

 Ce mesme Octavie à sa fille Julia, femme d’Agrippa, pour avoir esté une trés-grande pu-
tain, et qui luy faisoit grande honte (car quelquesfois les filles font à leurs peres plus de des-
honneur que les femmes ne font à leurs marys), fut une fois en deliberation de147 la faire
mourir ; mais il ne la fit que bannir, luy oster le vin et l’usage des beaux habillemens, et
d’user de pauvres, pour trés-grande punition, et la frequentation des hommes : grande puni-
tion pourtant pour les femmes de cette condition, de les priver de ces deux derniers points !

147 « décidé, résolu à »

 Cesar Caligula, qui estoit un fort cruel tyran, ayant eu opinion que sa femme Livia Hos-
tilia148 luy avoit dérobé quelques coups149 en robe et donné à son premier mary C. Piso, du-
quel il l’avoit ostée par force, et à luy, encore vivant, luy faisoit quelque plaisir et gracieu-
seté de son gentil150 corps, cependant qu’il estoit absent en quelque voyage, n’usa point en
son endroit de sa cruauté accoustumée, ains la bannit de soy seulement, au bout de deux
ans qu’il l’eut ostée à son mary Piso et espousée.
Il en fit de mesme à Tullia151 Paulina, qu’il avoit ostée à son mary C. Memmius : il ne la fit
que chasser, mais avec defense expresse de n’user nullement de ce mestier doux152, non pas
seulement à153 son mary : rigueur cruelle pourtant de n’en donner à son mary !
J’ay oüy parler d’un grand prince chrestien qui fit cette deffence à une dame qu’il entrete-
noit154 et à son mary de n’y toucher, tant il en estoit jaloux.
Claudius155, fils de Drusus Germanicus, repudia tant seulement156 sa femme Plantia Hercula-
lina157 pour avoir esté une signalée158 putain, et, qui pis est, pour avoir entendu qu’elle avoit
attenté sur sa vie ; et, tout cruel qu’il estoit, encore que ces deux raisons fussent assez bas-
tantes159 pour la faire mourir, il se contenta du divorce.

148 elle s’appelait Liuia Orestilla selon Salluste, Cornelia Orestilla selon Dion Cassius.
149  « rapport sexuel avec un(e) partenaire » ; en robe « en cachette, sous cape, en
douce » (« si j’osasse jurer quelque petit coup en robe, cela me soulageroit d’autant », dit Panurge,
exaspéré par les réponses évasives de Trouillogan) — « dérober » et « robe » sont proches
parents : l’ancien-français rober « faire du butin, dépouiller, piller, voler » vient d’une forme
germanique qui se retrouve dans l’allemand rauben, le néerlandais roven, l’anglais to reave et
to bereave, et le sens initial de robe est « butin ». Si l’on remonte à l’indo-européen, les formes
germaniques sont apparentées au latin rumpĕre (avec nasale infixée, cf. rūpī, ruptum) « péné-
trer de force, faire irruption ».
150  « noble »
151 Lollia Paulina
152 le bas mestier, le petit mestier étaient des périphrases pour les relations sexuelles
153 « non pas même avec »
154 voir note 143
155 l’empereur Claude, qui a eu quatre épouses : Plautia Urgulanilla, Ælia Pætina, Vale-
ria Messalina (« Messaline », dont il va être question), et sa nièce Agrippina (mère de Néron)
156 attesté depuis Chrétien de Troyes
157 Plautia Urgulanilla
158 « insigne, remarquable » : italianisme de fraîche date (1557) ; l’emploi de segnalato
est un véritable tic de langage chez Bandello
159  « amplement suffisantes »

 D’avantage160, combien de temps porta-il161 les fredaines et sales bourdeleries162 de Valle-


ria Messalina, son autre femme, laquelle ne se contentoit pas de le faire avec l’un et l’autre
dissolument et indiscretement163, mais faisoit profession d’aller164 aux bourdeaux s’en faire
donner165, comme la plus grande bagasse166 de la ville ; jusques là167, comme dit Juvenal,
qu’ainsi que son mary estoit couché avec elle, se deroboit168 tout bellement169 d’auprés de
luy le voyant bien endormy, et se deguisoit le mieux qu’elle pouvoit, et s’en alloit en plain170
bourdeau, et là s’en faisoit donner si trés-tant171 et jusques qu’elle en partoit plustost lasse
que saoule et rassasiée172. Et faisoit encor pis : pour mieux se satisfaire et avoir cette reputa-
tion et contentement en soy d’estre une grande putain et bagasse, se faisoit payer et taxoit173
ses coups et ses chevauchées, comme un commissaire174 qui va par païs, jusques à la der-
nière maille175.

160 « en outre » ; davantage est la forme agglutinée de « de » + « avantage »


161 « supporta-t-il »
162 des bourdelleries sont des débauches dignes d’un bordel — Une borde est, avant tout,
une cabane en planches (le mot est un lointain parent de l’anglais board « planche »),
d’où « grange ; bâtisse ; petite métairie » (fréquent en toponymie et, par conséquent, très
présent dans les noms de famille : Laborde, Desbordes, Bordier, Borderie, etc.), diminutif
bordel, p. ex. dans le Roman de Rou, de Wace :
« à pied et sans armes, (le comte Jèbles de Poitiers) est
A pié est e sainz armes en un bordel entrez,
entré dans une petite chaumière
U uns fuluns maneit, dedenz s’est resconsez.
où habitait un foulon et s’y est caché »
Le sens n’a pas tardé à se restreindre à celui de « lieu de prostitution ». Variantes com-
portant un -ou- radical et/ou un autre suffixe ; d’où bourdeau, qui suit.
163 « sans retenue, sans frein »
164 « se rendait ouvertement »
165 euphémisme ancien :
De femme qui faict la grimasse,
Quand son mary va a la chasse,
Et, l’attendant, s’en faict donner,
Gardez vous d’y estre trompé. (Legende des Femmes, strophe 11)
166 « prostituée », emprunt à l’occitan
167 « à tel point »
168 « s’échappait »
169  « tout doucement, sans hâte, sans bruit »
170 confusion fréquente entre plain (de plānum ; it. piano, esp. llano) et plein (de plēnum ;
it. pieno, esp. lleno), d’autant qu’il y a parfois collision homonymique
171 trés-tant se trouve déjà chez Pathelin, l’avocat disant au drapier qui lui fait l’article
à propos d’un drap de Rouen : « la couleur M’en plaist tres-tant, que c’est douleur. »
172 Brantôme, qui adapte tant bien que mal un des morceaux d’anthologie de Juvénal,
rend ici un des vers les plus cités du poète, montrant Messaline sortant du lupanar (où elle
officiait sous le nom de Lycisca/Λυκίσκη « la chienne-louve », forme prob. à l’origine du
mot « lice ») « et que les hommes ont recrue mais toujours pas repue », et lassata uiris nec-
dum satiata recessit.
173 « fixait un tarif à (ses prestations) »
174 un commissaire est celui que l’on commet (nomme, désigne) à une fonction déterminée
(cf. avocat commis d’office) ; cela est bel et bon, mais laquelle ? les commentateurs n’en disent
mot, quelles que soient leurs raisons : il s’agit ici du commissaire des pauvres, « bourgeois que l’on
commet pour recueillir les deniers de la taxe faite par le bureau général des pauvres », désigné par les
marguilliers (la fabrique de la paroisse, d’où leur autre nom de fabriciens). C’était le premier
degré des honneurs bourgeois. Qui dit recueillir les deniers, dit recouvrement, fonction qui ne
va pas de pair avec la popularité. — En 1618, Théophraste Renaudot fut nommé par lettres-
patentes commissaire des pauvres valides et invalides dans tout le royaume.
175 Quand la livre était l’unité monétaire, elle se subdivisait en vingt sous et chaque sou
en douze deniers : une maille valait un demi-denier, soit 1/480e de livre. (Il nous reste l’ex-
pression « avoir maille à partir [= à partager] avec quelqu’un ».) Le commissaire recouvrait
jusqu’au dernier centime.

 J’ay oüy parler d’une dame de par le monde, d’assez chere estoffe176, qui quelque temps
fit cette vie, et alla ainsi aux bourdeaux déguisée, pour en essayer la vie et s’en faire don-
ner177 ; si que le guet178 de la ville, en faisant la ronde, l’y surprit une nuict. Il y en a d’autres
qui font ces coups que l’on sçait bien.
176 « de très haute condition » : « Et jusque-là la fille n’avoit fait Grand cas des gens de même
étoffe qu’elle » (La Fontaine)
177 Un manuscrit (BnF, Ms. fr. 22565, fo41 vo), cité par Bouchot et par Vaucheret, men-
tionne les paroles d’une chanson qui pourrait se rapporter à la dame en question :
« On void Simonne / Proumener aux bordeaux / Matin, soir, nonne, / Avec ses macquereaux. »
178 au même titre que les sergents à pied du Châtelet, les sergents du guet (placés sous
l’autorité du prévôt, répartis par quartiers et dizaines dans la capitale) assumaient un rôle de
police ; mais eux seuls assuraient des rondes de nuit. (Dans ces expressions, sergent n’est
pas un grade.)

 Bocace, en son livre des Illustres malheureux179, parle de cette Messaline gentiment180, et la
fait alleguant ses excuses en cela, d’autant qu’elle estoit du tout 181 née à cela, si que182 le jour
qu’elle nasquit ne fut en certains signes du ciel qui l’embraserent et elle et autres183. Son
mary le sçavoit, et l’endura long-temps, jusques à ce qu’il sceut qu’elle s’estoit mariée sous
bourre184 avec un Caius Silius, l’un des beaux gentilshommes de Rome. Voyant que c’estoit
une assignation sur sa vie185, la fit mourir sur ce sujet186, mais nullement pour sa paillardise,
car il y estoit tout accoustumé à la voir, la sçavoir et l’endurer.

179 Dans ses Rodomontades espaignoles, Brantôme rapporte l’anecdote suivante qui a pour
héros Charles-Quint :
Or, faut noter que, quelque temps aprés, l’empereur Charles s’estant sorti de son Espaigne, et mis
en campaigne, il produisit tant de braves fruicts de luy et de sa valeur, que les soldats espaignols
se mirent à dire en riant parmy eux : Juro á Dios, que aora no somos mas soldados del emperador hor-
nero, mas del emperador guerrero [Parbleu, nous ne sommes plus maintenant soldats de l’empereur
boulanger, mais de l’empereur guerrier]. Et, certes, il l’estoit, et trés-bon : aussy le pensoit-il bien
estre, ainsy qu’il se vanta, à son retour du voyage [expédition militaire] de la Gollette [la Goulette,
Halq al-Wādī, près de Tunis, en 1535] à Rome, devant Sa Saincteté [Paul III, Alessandro Farnese] et tout
le sainct [sacré] college des cardinaux, où il deschiffra [calomnia] si bien le roy François [Ier], et le
menaça, jusques à dire : Yo lo forzaré y meteré á tal punto de guerra, que servirá para acabar el postrero
capítulo de los ilustres desdichados de Bocacio [J’exercerai sur lui une telle contrainte et le mettrai
dans un tel embarras de guerre qu’il servira à conclure le dernier chapitre des Illustres Malheureux
de Boccace]. D’autant que [En effet] Bocace en a fait un livre, où il exprime la grandeur d’aucuns
grands, et leur déclinaison [déclin] par aprés.
La formule qui, à l’époque, était une référence, s’est ensuite affadie en cliché.
L’ouvrage en latin de Boccace, De Casibus uirorum illustrium [chez Chaucer, sert de sous-titre au
Conte du Moine : “For certein, whan that Fortune list to flee, Ther may no man the cours of hire with-
holde”], sur le thème des vicissitudes de fortune [car fortune a coustume de abattre jus et de des-
rocher presque tous ceux qu’elle a elevés au haut degré de sa roue], eut un très grand retentisse-
ment en Europe ; il a été traduit en français, dans la version la plus connue (« Des Nobles maleu-
reux / Des Nobles hommes et femmes infortunez », 1400 et 1409), par Laurent Guillot de Premier-
fait [† 1418] — ce texte servant de base à l’œuvre de John Lydgate, “The Fall of Princes” — et
en espagnol (« Los acaecimientos & casos de la Fortuna que ovieron muchos príncipes & grandes
señores » = « Caída de príncipes », traducida de latín al castellano por don Pedro López de Ayala y
continuada por don Alfonso García).
180 É. Vaucheret : « de manière élégante » ; gentiment remonte à gentil (épicène) + -ment
181 « entièrement, tout à fait »
182 « du fait que, étant donné que »
183 Boccace (VII, III : Tristes quidam et Tyberii Cesaris atque Gai Caligule iurgium cum Vale-
ria Messalina) imagine une altercation (iurgium) entre Tibère, Caligula et Messaline, cette
dernière répondant aux deux hommes qui lui reprochent sa dépravation par l’argument
de la prédisposition induite par son thème astrologique de naissance :
Memini et meminisse iuvat percontanti Barbato [Valerius Messala Barbatus, père de Messaline] de nativi-
tate mea mathematicum [un astrologue] respondisse: « Dum hec tibi, Messala, nata est, gemina Latone
proles in vestrum orbem chelibus detenta surgebat ab infero, quam hostem tenens Orionis Athlantia-
des sequebatur celique medium hiulco Draconis capiti Martique suo iuncta Cytharea tenebat et suis in
Piscibus Iovem atque infelicem cum Ganimede senem celi vertigo in noctem profundissimam rapie-
bat, quibus agentibus, omnis etherea compago ruere videbatur in Venerem. »
« Il me souvient dune chose qui me delite a recorder [me plaît à évoquer], cestassavoir que ung astro-
nomien [astrologue] en respondit a mon pere Messala, quant il enqueroit de ma nativité [horoscope] et
des inclinacions [propensions] que le ciel me donnoit. Certes dist celluy astronomien mon beau sire
Messala quant ceste tienne fille Messalina fut née le soleil et la lune avoient leur naissement ou ciel
par devers orient et se eslevoient de bas en hault selon lessaulcement du ciel. Le soleil et la lune es-
toient ou siege de la Balance qui est composée de deux parties, cestassavoir des piez de la Vierge et
des bras de le Scorpion qui sont deux estoilles ou ciel. Apres le soleil et la lune venoit la planete de
Mercure qui tenoit une estoille que len nomme lennemy de Orion qui est empres les piedz du Toreau
qui est des douze signes du zodiaque. Et la planete Venus avoit son cours par le milieu du ciel et si es-
toit conjointe a la planete de Mars son amy. Et la planete de Jupiter qui est ou signe des Poissons gou-
vernoit le tournoiement du ciel jusques en la nuyt tresparfonde qui est a douze heures apres midi. Et
aussi faisoit la planete de Saturne quant de soy est mauvaise et demouroit ou signe de Ganimedes que
len nomme Aquarius [Verseau]. Et selon les planetes et les signes dessusdictz il sembloit que tout le
ciel tombast en la planete Venus, cest adire que Venus avoit la seignourie et linfluance en ce monde
plus que quelconques aultres planetes ou estoilles du ciel. Je suis doncques nee soubz telle constel-
lacion que le ciel me constraint aux oeuvres de luxure. »
Laurent Guillot de Premierfait, traduction /adaptation de 1409, dans l’éd. d’Anthoine Vérard de 1494.
184 « clandestinement, en secret » (bourre « poil épais de certains animaux »)
185 Mérimée et Lacour : « c’est-à-dire que ce mariage secret indiquait un complot
contre sa vie »
186 « pour ce motif »

 Qui a veu la statuë187 de ladite Messaline, trouvée ces jours passez en la ville de Bour-
deaux advoüera qu’elle avoit bien la vraye mine de faire une telle vie. C’est une medaille188
antique, trouvée parmy aucunes ruines, qui est trés-belle, et digne de la garder189 pour la
voir et bien contempler. C’estoit une fort grande femme, de trés-belle haute taille, les beaux
traits de son visage, et sa coiffure tant gentille190 à l’antique romaine, et sa taille trés-haute191,
démonstrant bien qu’elle estoit ce qu’on a dit : car, à ce que je tiens de plusieurs philoso-
phes, medecins et physionomistes192, les grandes femmes sont à cela volontiers inclinées193,
d’autant qu’elles sont hommasses194 ; et, estant ainsi, participent des chaleurs de l’homme et
de la femme ; et, jointes ensemble en un seul corps et sujet, sont plus violentes et ont plus
de force qu’une seule : aussi qu’à195 un grand navire, dit-on, il faut une grande eau pour le
soustenir davantage, il faut une grande eau pour le soutenir. D’avantage, à ce que disent les
grands docteurs en l’art196 de Venus, une grand’ femme y est plus propre197 et plus gente
qu’une petite.

187 allusion probable à une statue trouvée en 1594 aux environs de Bordeaux ; Louis
XIV l’ayant réclamée pour Versailles, la statue fut chargée sur un chaland qui sombra en
pleine Garonne en octobre 1686.
188 medaille (emprunt à l’italien medaglia) pour désigner une statue est, à ma connais-
sance, sans autre exemple
189 « digne d’être gardée ; mérite d’être conservée »
190 Étienne Vaucheret : « gracieuse »
191 de trés-belle haute taille … sa taille trés-haute : si l’on essaie de faire crédit à Brantôme en
envisageant qu’il n’y ait pas redite, il faut supposer que taille, dans le premier cas signifie
« stature », et dans le second désigne « le corps humain depuis les épaules jusqu’aux hanches,
le buste » ; cette dernière acception n’étant pas enregistrée avant 1657 [chez Scarron, dans le
Romant comique :
« la Bouvillon, seule de sa troupe, demeura dans l’hôtellerie, se trouvant un peu fatiguée ou feignant
de l’être, outre que sa taille ronde ne lui permettoit pas de monter même sur un âne, quand on en au-
roit pu trouver d’assez forts pour la porter .» (“la Bouvillon was the only one in her group who stayed behind
at the inn, being a little tired or pretending to be. Besides, her round shape would not have allowed her to ride,
even a donkey, were it possible to find one strong enough to carry her.” trad. Jacques Houis)
On ne sait guère qu’il existe une comédie en cinq actes « Ragotin, ou Le Roman comique » (1684), œuvre
de La Fontaine et Champmeslé, qui fut représentée une dizaine de fois.]
il reste à choisir entre modifier la date de première attestation de taille au sens de « buste »
et accepter la redite chez notre auteur.
192 « physiognomonistes » La physiognomonie (φυσιογνωμονία « art de juger quel-
qu’un d’après son air, sa physionomie »), mentionnée par Hippocrate, exposée dans un trai-
té Φυσιογνωμονικά longtemps
attribué à Aristote, tire son nom
du composé φυσιγνώμων, φυσιο-
γνώμων « qui conjecture la na-
ture d’une personne, d’un ani-
mal ou d’une chose par sa mine,
son air » (le mot se trouve, par
exemple, dans l’épitaphe d’Eu-
sthénos par Théocrite) ; le terme,
attesté depuis 1565, chez H. Es-
tienne, est inséparable de physio-
nomie (1256 : phisanomie ; 1532,
Marot : phizionomie) qui en résul-
te par haplologie ou superposi-
tion syllabique.

Physionomiste « qui est ou se pré-


tend habile à juger du caractère d’après la physionomie », quant à lui, apparaît en 1538 dans
la 1re traduction (attribuée à Jacques Colin d’Auxerre) du Libro del Cortegiano, IV, 57, de Casti-
glione ; l’illustration ci-dessus est tirée de la 2e trad. (Gabriel Chappuis, Lyon, 1580), qui offre
l’avantage de présenter vis-à-vis original et traduction : « come si vede, che i Fisionomi al volto
conoscono spesso i costumi, & talhor i pensieri degli huomini » ↔ « comme l’on voit, que les Phy-
sionomistes cognoissent souuent les mœurs par le visage, & quelquefois les pensees des hom-
mes ».
193 « enclines, sujettes, portées à cela (à faire l’amour)»
194 la 1re attestation d’hommasse est indirecte : le Mesnagier de Paris (1393 env.) emploie
l’adverbe péjoratif hommassement, le mari-narrateur conseillant à sa femme de ne pas suivre
l’exemple « d’aucunes yvrongnes, foles ou non sachans qui ne tiennent compte de leur honneur ne de
l’onnesteté de leur estat ne de leurs maris, et vont les yeulx ouvers, la teste espoventablement levée
comme un lyon, leurs cheveulx saillans hors de leurs coiffes, et les colez de leurs chemises et cottes l’un
sur l’autre et marchent hommassement et se maintiennent laidement devant la gent sans en avoir
honte ». Le mot fait une réapparition très remarquée sous la plume d’Olivétan — qui eut
l’idée de rendre par l’Éternel le Yahvé de l’Ancien Testament — dans sa traduction de la Bible
(1535), à Genèse II, 23 quand Adam donne un nom à la femme :
Aὕτη κληθήσεται γυνή, ὅτι ἐκ τοῦ ἀνδρὸς αὐτῆς ἐλήμφθη αὕτη
Hæc uocabitur Virago, quoniam de uiro sumpta est hæc
On appellera icelle Hommace, car elle a esté prise de l’homme.
Le troisième jalon historique est le texte des Dames galantes.
Remarque : uirago « femme forte ou courageuse comme un homme » (Ernout-Meillet ;
c’est moi qui souligne), cf. chez Plaute, Mercator (Le Marchand), II, 3, Demopho (le père)
s’adressant à Charinus (son fils) : « Ego emero matri tuæ / ancillam uiraginem aliquam »
« je me chargerai d’acheter comme esclave pour ta mère quelque grosse fille robuste »,
“I’ll buy for your mother some stout wench of a female slave” (Henry Thomas Riley, 1912).
195 « de même qu’à »
196 « l’aspect concret et pratique, la technique »
197 « apte »

 Sur quoy il me souvient d’un trés-grand prince que j’ay cogneu : voulant loüer une fem-
me de laquelle il avoit eu joüissance, il dit ces mots : « C’est une trés-belle putain, grande comme
madame ma mere. » Dont ayant esté surpris sur la promptitude de sa parole, il dit qu’il ne
vouloit pas dire qu’elle fust198 une grande putain comme madame sa mere mais qu’elle fust
de la taille et grande comme madame sa mere. Quelquesfois on dit des choses qu’on ne
pense pas dire, quelquesfois aussi sans y penser l’on dit bien la verité.

198 Exemple de discours indirect (oratio obliqua, disaient mes bons maîtres), avec concor-
dance des temps, où le locuteur embarrassé, s’apercevant qu’il s’est trahi, ne prend pas
en charge ses propres dires et les récuse, les évacue, par le biais de l’irréel. — Peut-être
« louer » est-il le mot dont l’emploi surprend le plus dans ce contexte, d’autant qu’il est
le fait de l’écrivain et non du personnage dont les propos sont rapportés ; mais on fait les
compliments qu’on peut.
 Voilà donc comme il fait meilleur avec les grandes et hautes femmes, quand ce ne serait
que pour la belle grace, la majesté qui est en elles : car, en ces choses, elle y est aussi requise
et autant aimable qu’en d’autres actions et exercices ; ny plus ny moins que le manegge199
d’un beau et grand coursier du regne200 est bien cent fois plus agreable et plaisant que d’un
petit bidet201, et donne bien plus de plaisir à son escuyer ; mais aussi il faut bien que cet es-
cuyer soit bon et se tienne bien, et monstre bien plus de force et adresse. De mesme se faut-
il porter à l’endroit des grandes et hautes femmes : car, de cette taille, elles sont sujettes
d’aller d’un air202 plus haut que les autres ; et bien souvent font perdre l’estrieu203, voire
l’arçon, si l’on n’a bonne tenuë ; comme j’ay oüy conter à aucuns cavalcadours204 qui les ont
montées et lesquelles font gloire et grand mocquerie quand elles les font sauter et tomber
tout à plat, ainsi que j’en ay oüy parler d’une de cette ville, laquelle, la premiere fois que son
serviteur coucha avec elle, luy dit franchement : « Embrassez-moy 205 bien et me liez à vous206 de
bras et de jambes le mieux que vous pourrez, et tenez-vous bien hardiëment207, car je vays haut208, et
gardez bien de tomber. Aussi, d’un costé, ne m’espargnez pas : je suis assez forte et habile pour souste-
nir vos coups, tant rudes soyent-ils ; et si vous m’espargnez je ne vous espargneray point. C’est pour-
quoy à beau jeu beau retour 209. » Mais la femme le gaigna210.

199 comme l’indique la présence de la double consonne intérieure, c’est — remodelé à


la française — l’italien maneggio « dressage des chevaux » ; « manège » n’est pas attesté
avant 1611 (Cotgrave : “The manage, or managing, of a horse” « lieu où l’on exerce les che-
vaux ; action d’exercer les chevaux » ; ‘manage’ vient de maneggio).
200 On disait et on écrivait il Regno « le Royaume (par excellence) », sans autre précision,
et il fallait comprendre il Regno di Napoli « le royaume de Naples (sous domination espagnole
de 1504 à 1707) ». Ainsi, Rabelais montre (Gargantua, XLI) frère Jean des Entommeures « ar-
mé de pied en cap, et monté sus un bon coursier du royaulme ». Ronsard donne en quelque sorte
la solution de l’équation quand il écrit, dans la préface de la Franciade : « Tous ceux qui escri-
vent en carmes [en vers], tant doctes puissent-ils estre, ne sont pas poëtes. Il y a autant de difference
entre un poëte et un versificateur qu’entre un bidet et un genereux coursier de Naples, et, pour
mieux les accomparer, entre un venerable prophete et un charlatan vendeur de triacles [thériaque]. »
201 « petit cheval ». Cotgrave : “A small nag, or curtall.” Attestation antérieure, dans une
variante du Cinquiesme Livre (1564), à la fin du chap. XXVI : « à rebours de bidet [la tête vers
la croupe du cheval] et à contrepoil ».
202 Littré, AIR2 11o : « En termes de manége, allure du cheval. Airs bas, ceux où le che-
val manie près de terre ; airs relevés, ceux où le cheval s’enlève davantage. »
203 « l’étrier » (cf. anglais stirrup de stīġrāp, all. Stegreif, moyen-néerl. steegereep, vieil-
islandais stigreip) ; « étrivière » a pour point de départ estrief, estrieu. Brantôme, dans son
Discours sur les duels :
Le roy Louis XI estoit maistre passé en telles choses [les coups fourrés] ; car si elles alloient bien il les ad-
vouoit, si mal il les desadvouoit et desnyoit [niait] comme un beau diable : tesmoing la guerre de Liege, qu’il
suscita contre le duc Charles de Bourgoigne [le Téméraire]. Mais aussi il fit bien du fat [commit une bé-
vue], et perdit l’estrieu de son bon esprit, quand, ne s’en souvenant pas, il fut attrapé dans Peronne,
et alla servir son vassal comme son valet.
204 Les métaphores hippiques dans le vocabulaire érotique sont monnaie courante (voir
plus haut « piquer »). Cavalcadour est occitan et correspond à « chevaucheur » (il ne s’agit pas,
ici, d’écuyers cavalcadours) ; Philibert-Joseph LeRoux, dans son Dictionnaire comique, satyrique,
critique, burlesque, libre et proverbial (éd. de 1786, p. 192), fournit l’explication qui convient :
Pour dire un homme qui satisfait vigoureusement une femme, un bon étalon, un homme rude & infa-
tigable au combat de Vénus, un bon sonneur
et, en outre, cite un exemple tiré des Apresdisnées du Seigneur de Cholières (1587), œuvre de
Jean Dagon(n)eau, mort en 1623 [le passage se trouve dans l’Apresdisnée VII : « Des Vieil-
lards et des jeunes enfans. S’ils peuvent engendrer »] :

Cavalcadour appartient au vocabulaire « libre » qu’utilise volontiers Cholières (alors que Ra-
belais n’utilise le terme, dans la Sciomachie, qu’au sens propre « écuyer préposé aux che-
vaux de selle », le cavalcador du seigneur Robert [Roberto Strozzi], ce qui présente un intérêt
pour la datation des sens ; Stanislas De l’Aulnaye a inclus cavalcadour dans les Erotica verba
rabelaisiens, mais cela est mal venu) et qu’il partage avec Brantôme.
205  « serrez-moi fort dans vos bras, étreignez-moi »
206 « accrochez-vous à moi par les bras et les jambes »
207 « sans hésiter, solidement »
208 pour un cheval, aller haut c’est « se cabrer » (Ludovic Lalanne)
209 = « bien attaqué, bien défendu ; chacun trouve occasion de se venger à son tour » ;
Acad. 1re éd. (1694) : « On dit prov. & fig. A beau jeu, beau retour, pour dire, qu’on a bien eu sa
revanche, qu’on a rendu la pareille », à compléter « qu’on a bien eu sa revanche ou qu’on
l’aura, qu’on a rendu la pareille ou qu’on la rendra ». Expression en rapport avec le jeu de
paume (courte paume, real tennis).
Pendant la guerre qu’Henri II fit en Italie, raconte Brantôme, « Amprés que le duc d’Albe desassiegea
Sanjac [Santhià (origine: Sancta Agatha), Province de Vercelli, Région Piémont], M. le marechal Bris-
sac ne fut pas plus heureux au siege de Coni [Cuneo (en piémontais : Coni), chef-lieu de province, Ré-
gion Piémont] : si bien que, si les François leur reprochoient Sanjac, ils nous reprochoient Coni : à beau
jeu, beau retour, et ainsy ils se rendoient la jument [ils se renvoyaient la balle]. »
Le même auteur décrit une algarade survenue entre le cardinal de Lorraine et Michel de l’Hospital :
« Pour faire fin [finalement], & l’un & l’autre vindrent fort à se fascher devant Leurs Majestez, jusques à outra-
ges, reproches & dementis ; de sorte qu’elles leur firent commandement de leur taire ; mais ce fut aprés beau jeu
beau retour. J’estois lors à la cour à Fontainebleau, & nous le sceusmes aussi-tost. »
210 « l’emporta sur lui »

 Voilà donc comme il faut bien adviser à se gouverner211 avec telles femmes hardies,
joyeuses, renforcées212, charnuës et proportionnées, et bien que la chaleur surabondante en
elles donne beaucoup de contentement, quelquesfois aussi sont-elles trop pressantes pour
estre si challeureuses. Toutesfois, comme l’on dit : De toutes tailles bons levriers, aussi y a-il de
petites femmes nabottes213 qui ont le geste, la grace, la façon en ces choses un peu appro-
chante des autres, ou les veulent imiter, et si sont aussi chaudes et aspres à la curée 214, voire
plus (je m’en rapporte aux maistres en ces arts), ainsi qu’un petit cheval se remue aussi
prestement qu’un grand ; et, comme disoit un honneste homme, que la femme ressembloit
à plusieurs animaux, et principalement à un singe, quand dans le lict elle ne fait que se mou-
voir et remuer.
J’ay fait cette digression en m’en souvenant ; il faut retourner à notre premier texte.

211  « se comporter »
212 Étienne Vaucheret : « vigoureuses »
213 TLFi indique comme 1re attestation Cotgrave, 1611.
Or, comme on voit,
le mot se trouve déjà
chez Brantôme.

Par conséquent,
il y a lieu de modifier
cette datation.

214 métaphore tirée de la chasse à courre et dont la saveur s’est perdue : les bas mor-
ceaux du gibier abattu qu’on donnait en pâture à la meute (que des chiens devorans se dispu-
taient entre eux) étaient étendus sur la peau d’une bête fraîchement écorchée, la curée se
donnant dans un cuir.
Extrait du Livre du roy Modus et de la royne Racio (1486, Henri de Ferrières Saint-Hilaire et De-
nis d’Hormes. - Attribué aussi au comte Jean de Melun Tancarville) :
Cy devise commant on doyt faire la curee aux chiens pour les cerfz
Laprentis demande commant on doit faire la curee au chiens. Modus respond pren le foye du cerfz le
poulmon et le jargel [gosier] et le cueur et soit descouppé par morceaulx sur le cuir et sur le sang qui est
sur le cuir, et fay effondrer la pence et vuider et tres bien laver et puis descoupper sur le cuir avecques
les aultres choses et soit la bouelle [boyaux] gardée à par puis prenés dung pain et soit descoupper par
morceaux et quil ait plus pain que char puis soit soublevé le cuir hault aux mains dung chascuns costé et
soit meslé ensemble es mains la char et le pain dedans le cuir et quant tout sera bien meslé si soit estan-
du le cuir à terre, et soit ce dedant esparti sur le cuir puis doit on laissé aller les chiens manger sur le cuir
la curée et quant ils aurons mengé celluy qui tiendra la bouelle qui doit estre long au giet dune pierre…
La tonalité dominante est celle d’avidité animale, bestiale, car aspre à la curée évoquait un
chien ou une chienne.

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