Doctrine
Adapter la formation
aux engagements contemporains
“L’erreur de tous ceux qui organisent des armées est de prendre l’instant momentané pour un état
permanent. Ils oublient que, pour rester vivante, une armée doit se modeler sur la courbe des
événements.“ (Général von Seeckt, 1866-1936).
L
a formation délivrée dans les écoles de l’armée de terre a toujours été quelque peu brocardée, parfois
sévèrement, car souvent fondée sur l’expérience du dernier véritable conflit (véhiculée par les cadres
déjà anciens qui y enseignent) et jugée peu réactive aux évolutions vécues simultanément par les
forces sur les nouveaux champs de bataille. Certaines déconfitures magistrales vécues depuis deux siècles
sur presque tous les continents illustrent malheureusement dans le sang la critique acerbe d’un Liddel-Hart,
selon lequel la chose la plus difficile au monde n’est pas de faire entrer une idée nouvelle dans une armée
mais d’en chasser une ancienne.
Pourtant l’armée de terre, à l’aube du XXIe siècle, est bien une armée d’emploi et l’effectif de ses membres
projetés chaque année sur des théâtres d’opérations très variés montre l’effort à fournir pour que tout
cadre sortant d’école soit prêt à remplir les missions de son niveau, dans des environnements de plus en
plus complexes. De son côté, le monde des écoles n’est d’ailleurs plus, depuis déjà longtemps, le temple
de l’immobilisme que l’on a pu de manière assez schématique lui reprocher. Il est en effet maintenu en
contact étroit avec celui des “opérationnels”, par le recours au partenariat avec les forces, sans lequel la
formation des futurs chefs serait vide de sens, faute d’unités de manœuvre subordonnées aux écoles, et
par la participation permanente de son personnel aux opérations en cours. Grâce à ce contact, les
organismes de formation (en particulier les écoles d’armes, maisons mères des régiments) sont pleinement
conscients de n’exister que par et pour les forces. Ils se doivent donc d’être parfaitement en phase avec les
réorientations souhaitées depuis l’été 2006 par le CEMAT1 et traduites dans le document “Gagner la
bataille, conduire à la paix”.
Anticipant en partie cette nouvelle donne, le CoFAT 2 s’y adapte en lançant des chantiers ambitieux qui
touchent pratiquement toute la chaîne, pour contribuer à fournir à l’armée de terre les chefs, les soldats et
les citoyens dont elle a besoin pour remplir l’ensemble des missions qui leur seront confiées, dans un
contexte stratégique et budgétaire en évolution permanente.
Après avoir évoqué brièvement le principe général qui relie tous ces chantiers, à savoir la recherche d’un
équilibre entre l’acquisition de savoir-faire, techniques autant que tactiques, et d’un savoir être conforme à la
culture de l’armée de terre, il convient de décrire le principal défi que représente pour le CoFAT la préparation
des cadres de l’armée de terre à des engagements de toutes natures en zone urbaine, caractéristique
principale des opérations contemporaines, puis de préciser les sujets qui constituent le complément
indispensable à l’atteinte de cet objectif.
S’adapter et accompagner
La liberté d’action par la maîtrise des effets Toutefois, cette maîtrise des effets n’est possible que si le
milieu physique et humain dans lequel il évolue, ainsi que
les moyens qui lui sont assignés (ou avec lesquels il sera
Le fil conducteur de la politique de formation vise à placer amené à coopérer), sont parfaitement connus jusqu’aux
tout cadre sortant d’un stage de cursus dans les conditions plus petits échelons. Dans l’impossibilité matérielle de créer
intellectuelles qui lui permettent de conserver à son niveau aussi souvent que souhaitable les conditions qui réunissent
sa liberté d’action, démultiplicatrice de celle de son l’ensemble de ces paramètres, la formation doit donc avoir
supérieur. pour but de faire comprendre, plutôt que de systémati-
quement faire faire un peu. Elle permet d’acquérir une
En effet, l’usage de la force conduit à coordonner la mise en aptitude que l’expérience acquise ultérieurement en corps
œuvre de systèmes d’armes, d’outils de communication et de troupe permettra de traduire en véritable compétence.
d’équipements mettant en œuvre des technologies si
complexes que le temps consacré à apprendre à maîtriser Ainsi, c’est bien en apprenant la maîtrise des fondements
ne serait-ce que leur mode d’emploi s’est considérablement du combat interarmes5 et en acquérant la hauteur de vue
allongé. Cette dynamique a surtout tendance à réduire la qui garantit la compréhension de l’action d’ensemble, celle
formation tactique à la portion congrue, car les délais de son supérieur, que tout chef militaire sera en mesure de
consentis pour former ne sont pas extensibles indéfiniment. remplir les missions compliquées qui caractérisent les
Le chef d’une section d’infanterie doit-il forcément maîtriser opérations contemporaines, principalement en zone
lui-même parfaitement l’ensemble des systèmes dont il aura urbaine, opposé à un ennemi (réduit à l’état d’“adversaire”,
à coordonner la mise en œuvre : doit-il savoir piloter son mais à l’activité tout aussi mortelle) disséminé au sein d’une
engin, être un tireur confirmé pour tous ses moyens, du population oscillant entre accueil enthousiaste et hostilité
FAMAS au missile Eryx, résoudre un problème sur son PR4G3 avérée.
ou son SIT4 ? C’est évidemment souhaitable, mais la
tendance actuelle n’est pas à l’allongement des durées de
stage pour permettre, dans des conditions confortables,
d’apprendre d’abord la mise en oeuvre pratique de tous les Le mandat “formation” de la politique AZUR6
systèmes, puis leur combinaison dans une série d’exercices
tactiques. Il importe donc de ne pas se laisser dériver sur le Accompagnant la montée en puissance du CENZUB7, la
fleuve en crue des savoir-faire techniques réduisant alors politique AZUR est la réforme importante qui a pour but de
la tactique à l’application de schémas, mais de réhabiliter donner à l’armée de terre les moyens de se préparer plus
plutôt la manœuvre, en insufflant à chaque chef la maîtrise efficacement à intervenir en milieu urbain, grâce
des effets que sa cellule est en mesure de produire, en lui notamment à un corpus réglementaire refondu et des
faisant connaître ceux que d’autres chefs peuvent produire installations d’entraînement valorisées. Le CoFAT a ainsi été
à son profit, et en améliorant sa capacité à anticiper, plutôt sollicité par l’EMAT depuis fin 2005 pour “accroître la part
que de lui faire accumuler des recettes pour réagir consacrée actuellement à la formation des cadres au combat
successivement aux événements. en zone urbaine, dans la logique d’une continuité terrain
photo fournie par Lt-col Tachon
Outre sur les infrastructures appropriées pour la manœuvre Loin d’être une fin en soi, le plan d’action AZUR du CoFAT
et le tir de munitions réelles, cette démarche s’appuiera s’inscrit dans une politique plus large, décrite dans les
nécessairement sur le développement d’outils pédago- directives adressées à chacun organismes de formation, et
giques de différentes natures. Les outils de simulation, qui vise à optimiser la place qu’occupe la formation des
largement utilisés dans les écoles à chaque niveau de cadres dans le continuum de préparation des forces à
formation doivent pouvoir représenter les particularités des l’engagement opérationnel.
engagements en milieu urbain, notamment l’évolution des
combattants en trois dimensions (des sous-sols aux étages) Ainsi, en cohérence avec les bilans des unités des forces qui
et les effets différenciés des armes sur les infrastructures. sont passées au CENZUB depuis son ouverture en septembre
Le besoin est évidemment différent pour le simulateur qui 2006, la mise en œuvre de la directive sur l’E2PMS13 et la
permet à un pilote d’engin d’apprendre à évoluer dans politique d’aguerrissement doivent contribuer à affermir une
l’espace restreint d’une rue et celui qu’utilise le futur culture de la rusticité, indispensable à tout combattant
commandant d’unité pour conduire la manœuvre de son confronté aux dures réalités, physiques et psychologiques,
SGTIA11. Une gamme de produits audiovisuels évolutifs, mis des opérations en zone urbaine. Pour autant, l’objectif doit
à la disposition des stagiaires, doit venir compléter néanmoins être adapté aux spécificités de chaque fonction,
l’instruction théorique et pratique dispensée par les ce qui se traduit pour chaque école par la recherche d’un
instructeurs, en présentant de façon attractive les procédés projet pédagogique sportif propre, destiné à préparer les
techniques et tactiques, les documents illustrant les effets jeunes cadres aux réalités éprouvantes auxquelles ils seront
des munitions sur les matériaux, les enseignements confrontés dans l’exercice de leur métier.
d’opérations passées, ainsi que les principaux documents
de doctrine. Les stagiaires des écoles ne seront Plus encore que la seule résistance physique du personnel,
certainement pas les seuls bénéficiaires de ces la complexité accrue des opérations contemporaines teste
installations et de ces outils pédagogiques. Les choix qui aussi sa capacité à puiser dans un référentiel de savoir-
ont prévalu à la désignation de tel ou tel camp pour la faire de plus en plus étendu. Cela impose d’harmoniser
valorisation d’un site d’instruction au profit d’une école davantage les contenus de formation, afin d’éviter que telle
(par exemple au camp des Garrigues ou à Saint-Maixent) ou telle école, certes responsable du fait de ses prérogatives
tiennent aussi compte de leur répartition sur le territoire et de pilote de domaine, finisse par être trop décalée par
de la possibilité pour les forces de les utiliser, dans le cadre rapport aux autres dans la prise en compte de tel ou tel
ou non du partenariat. aspect des engagements. Ainsi, la définition de troncs
communs de connaissances en matière de logistique, de
Mais cette politique dépend foncièrement de la poursuite de renseignement et de défense NBC doit répondre à ce besoin
l’effort de refonte des références réglementaires dans d’harmonisation, tout en servant de support à la formation
lesquelles les formateurs doivent puiser. En effet, si la continue au sein des unités. La généralisation de l’IST-C14,
plupart des écoles d’armes peuvent depuis peu appuyer qui devrait permettre à court terme de fournir aux forces des
S’adapter et accompagner
cadres habilités d’emblée à encadrer la
pratique de ces méthodes d’entraî-
nement en corps de troupe, s’inscrit
également dans ce souci de ne pas
laisser se créer deux continents, reliés
par d’étroites passerelles : celui des
guerriers et celui des techniciens. Car
tout militaire doit avant tout être prêt à
devenir un soldat15.
Les réorientations exprimées par le CEMAT depuis le grand rapport de l’armée de terre ont d’ores et déjà
été programmées ou gérées “en conduite”, en conformité avec l’esprit d’adaptation réactive, mais dans les
limites des contraintes qui pèsent sur la capacité d’anticipation des écoles (programmation du partenariat
deux ans à l’avance, volume horaire non extensible, appropriation de compétences nouvelles par les
formateurs...). Les mesures prises s’inscrivent toutes dans une démarche qui vise à redonner un équilibre
entre l’acquisition d’un ensemble de savoir-faire avec celle d’un savoir-être, dans le seul but de
conserver comme finalité la livraison aux forces, après chaque étape de formation, des cadres aptes
d’emblée à être engagés dans leur emploi, quelles que soient les circonstances.