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« Des traîtres se montraient déboutonnés »

une métaphore impudique




 

dans les Misérables

Les Misérables, Ire Partie (Fantine), Livre III (En l’année 1817), Chapitre I (L’année 1817)

Par petites touches, dans ce préambule à la chute de Fantine, Victor Hugo déroule un
diaporama de tableautins d’importance inégale reliés à 1817, montrant quels souvenirs
et quelle atmosphère le narrateur choisit d’évoquer à l’intention du lecteur. Bon nombre
de personnages mentionnés sont tombés dans l’oubli, mais l’ensemble est enlevé et savou-
reux.
Le ton — celui de la farce — est donné par l’incipit où l’on voit souligné l’« aplomb » qu’il y
avait de la part de Louis XVIII à qualifier l’année 1817 « vingt-deuxième de son règne » (à
compter, donc, de la mort du jeune Louis XVII, ce qui revient à considérer comme non ave-
nus le Directoire, le Consulat et le Ier Empire). La formule abrupte « C’est l’année où M. Bru-
guière de Sorsum [l’un des premiers traducteurs en vers de Shakespeare] était célèbre » est de
la même encre que “In the future, everyone will be world-famous for 15 minutes” (Andy Warhol).
Coincé entre les boutiques des perruquiers et les casquettes de garçonnets « assez ressem-
blantes à des mitres d’esquimaux », le comte Lynch « avec son cordon rouge et son long nez » ouvre
le bal des girouettes : nommé maire de Bordeaux en 1808 par Napoléon, il livre sa ville aux
Bourbons le 12 mars 1814, se met à l’abri en Angleterre pendant les Cent-jours et ne man-
que pas d’être récompensé à son retour en France.

C’est le comportement des opportunistes (Plusieurs se sont trouvés qui, d’écharpe changeants…),
traîtres, transfuges, déserteurs, que vise l’écrivain en se servant des flèches les mieux em-
pennées de son riche carquois. Avant de conclure « Voilà, pêle-mêle, ce qui surnage confusé-
ment... » et d’enchaîner sur la « farce » de Tholomyès et de ses acolytes, il envoie une der-
nière volée qui, au plan stylistique, est une métaphore filée dans le registre de la pudeur.

Des traîtres se montraient-déboutonnés ; des hommes qui avaient passé à l’ennemi la veille d’une
bataille ne cachaient rien de la récompense et marchaient impudiquement en plein soleil dans le
cynisme des richesses et des dignités ; des déserteurs de Ligny et des Quatre-Bras, dans le débrail-
lé de leur turpitude payée, étalaient leur dévouement monarchique tout nu ; oubliant ce qui est
écrit en Angleterre sur la muraille intérieure des water-closets publics : Please adjust your
dress before leaving.

Les deux bornes (déboutonnés et Please adjust…) sont des euphémismes : voyons ce qu’ils
recouvrent.
« Comme ie ne puis souffrir d’aller desboutonné et destaché, les laboureurs [paysans] de mon voisinage se
sentiroient entravez de l’estre »
Montaigne, De l’usage de se vestir
Il est clair que ce n’est pas le sens qui convient à notre texte ; pour s’en convaincre, il
suffit de comparer avec les deux autres occurrences de déboutonné dans le roman :
Ney, éperdu, grand de toute la hauteur de la mort acceptée, s’offrait à tous les coups dans cette tourmente [à
Waterloo]. Il eut là son cinquième cheval tué sous lui. En sueur, la flamme aux yeux, l’écume aux lèvres,
l’uniforme déboutonné, une de ses épaulettes à demi coupée par le coup de sabre d’un horse-guard […].

Enjolras avait un fusil de chasse à deux coups, Combeferre un fusil de garde national portant un numéro de
légion, et dans sa ceinture deux pistolets que sa redingote déboutonnée laissait voir, Jean Prouvaire
un vieux mousqueton de cavalerie […].

Passons à Théophile de Viau (Contre l’ambition d’un courtisan) :


Là le plus souvent il preside,
C’est dans les bordeaux* que j’entends : * bourdeaux, bordels
Où il sert à beaucoup de guide
Afin qu’ils y passent leur temps.
Là le chapeau sur une oreille,
Et le pourpoint desboutonné,
Jure que s’il ne fait merveille*, * s’il n’accomplit pas d’exploits sexuels
Qu’il veut estre à l’heure damné.
Ce n’est pas davantage le sens qui convient dans notre texte.

Le registre du premier euphémisme n’est pas celui des porteurs de hottes de vendanges
mangeant des coquillages « à ventre déboutonné » qu’évoque le seigneur Baisecul, ni du dé-
jeuner où Pantagruel et Thaumaste « beurent à ventre déboutonné », ni de Pécuchet, déam-
bulant boulevard Bourdon « le gilet déboutonné » parce que la température est de 33o, et pas
davantage le secrétaire particulier dépeint par Balzac (décembre 1841) : « avec lui, le ministre
ôte sa perruque et son râtelier, pose ses scrupules et se met en pantoufles, déboutonne ses roueries
et déchausse sa conscience » [exemple antérieur à celui de Taine (1867), cité par TLFi « Un ami
qui déboutonne ses paradoxes »].

On retrouve le même procédé lorsque Vasari, décrivant en partie la fresque de Michel-Ange


à la Chapelle Sixtine, exprime son admiration pour la façon dont l’artiste a représenté « la
storia di Noé quando, inebriato dal vino, dorme scoperto, et ha presenti un figliuolo che se ne ride e
due che lo ricuoprono » (l’histoire de Noé quand, enivré de vin, il dort [le sexe] exposé aux re-
gards, et sont présents ses trois fils, dont l’un que cela fait rire tandis que les deux autres re-
couvrent leur père), scoperto étant l’écho de la Genèse ἐγυμνώθη,  nudatus est « (il) se mit à
nu, se dénuda ». Vasari voit — ce n’est pas mon cas — Cham (sou)rire parce que c’est ce que
rapporte une légende tardive (elle se trouve déjà dans la Biblia Pauperum), le rapport allé-
gorique entre la nudité de Noé et le sacrifice du Christ remontant à saint Augustin (De Ciui-
tate Dei, XVI). Autres représentations de la scène : par Bellini à Besançon et par Juan Mon-
tero de Roxas [1613-1683] au musée Goya de Castres.
Nous en apprenons plus avec l’esquisse que Lichtenberg trace du « grand esprit » („Der
große Geist“, Sudelbücher, [F 214, octobre 1776]) 1 :
Er hatte die Eigenschaften der größten Männer in sich vereint. Er trug den Kopf immer schief wie Alexander, und
er hatte immer etwas in den Haaren zu nisteln wie Cäsar. Er konnte Kaffee trinken wie Leibniz, und wenn er ein-
mal recht in einem Lehnstuhl saß, so vergaß er Essen und Trinken drüber wie Newton, und man mußte ihn wie
jenen wecken. Seine Perücke trug er wie Dr. Johnson und ein Hosenknopf stund ihm immer offen, wie
dem Cervantes.
En lui étaient réunies les qualités des plus grands hommes. Il penchait toujours la tête comme Alexan-
dre [παρεγκλίίνων τὸν τράάχηλον, Plutarque], avait toujours quelque chose qui se nichait dans ses cheveux
comme César, était capable de boire autant de café que Leibnitz ; une fois installé dans son fauteuil,
oubliait de boire et de manger comme Newton, et comme lui, il fallait le réveiller ; portait sa perruque
comme le Dr Johnson et avait toujours la braguette déboutonnée comme Cervantès.
(Où Lichtenberg est-il allé chercher l’idée de Cervantès, la bragueta siempre desabrochada ? Y a-t-il
un rapport — fantaisiste — avec les hidalgos de bragueta ?)

Mérimée n’a pas peur des mots et écrit en janvier 1836 au naturaliste avignonnais Esprit
Requien [1788-1851] :
« Croiriez-vous que j’ai fait quatre cent lieues en Bretagne sans déboutonner ma braguette. »

Que le sens de l’expression ait échappé à bon nombre de lecteurs ressort des approxima-
tions qu’on relève dans les traductions du début de l’énoncé.
« Des traîtres se montraient déboutonnés » →
● Charles Edwin Wilbour, 1862 : Traitors showed themselves stripped even of hypocrisy.
●  Isabel Florence Hapgood, 1887 : Traitors showed themselves unbuttoned.
● Norman Denny, 1976 : But the traitors under Napoleon now came out of hiding.
● Lee Fahnestock and Norman MacAfee, 1987 : Traitors showed themselves openly, stripped
even of hypocrisy.
● Wilhelm Schroers, 1863 : Die Verräther traten offen und kühn auf.
● Renato Colantuoni, 1981 : I traditori si mostravano apertamente.
● J. A. R., 1897 : Los traidores se presentaban desembozados.
● « Отверженные » : Изменники распоясались. [Les traîtres en prenaient à leur
aise, se croyaient tout permis]

Les traîtres « se montraient » (s’exhibaient ?), « déboutonnés », la braguette ouverte ; ils « ne


cachaient rien », « marchaient impudiquement ». Leur « cynisme » évoque par l’étymologie l’ab-
sence de pudeur des chiens en toutes circonstances. Le « débraillé » de la tenue des déser-
teurs rappelle le braiel, puis brail, ceinture qui retenait les braies ; il n’est pas indifférent que
leur turpitude soit dite « payée » (je force à peine le trait en glosant par « rémunérée, tari-
fée »). On en vient à se demander à quoi ressemblait leur dévouement monarchique qu’ils
« étalaient … tout nu ».

1
cité par Freud. — Lichtenberg revient à la charge en [L 471] : Er trug den Kopf auf einer Seite wie Alexander, wie dem Cervantes
stund immer der Hosenlatz offen, und wie Montaigne konnte er nicht rechnen, weder mit Ziffern noch mit Zahlpfennigen.
Passons à la seconde borne du passage.

Sa présence a dû être la plus déconcertante pour le public du livre en 1862 (les langues
vivantes étaient absentes des programmes d’enseignement). L’anglomanie n’avait pas
encore répandu water-closet (le pluriel est propre au français) et on parlait de garde-
robes ou commodités ou lieux ou cabinets d’aisance ou encore toilettes à l’anglaise (lieux à
l’angloise, 1761), qui supplantaient peu à peu les installations à la turque.

L’enchaînement se fait avec une version burlesque du festin de Balthazar [akkadien Bēl-šarra-
uṣur « le dieu (= Mardouk) protège (uṣur) le roi (šarra) » ; au VIe siècle, ce nom a été joint à ceux
de Gaspard et Melchior pour identifier les rois mages] (titre d’un tableau de Rembrandt, illus-
trant l’épisode du livre de Daniel, V 2) qu’évoque en anglais l’expression ‘the writing on the wall’
dont voici un exemple chez Swift (1720) qu’on croirait écrit à l’intention de certains de nos
contemporains :
A baited Banker thus desponds, Un banquier aux abois déprime ainsi,
From his own Hand foresees his Fall ; Prévoyant sa chute causée par sa propre main :
They have his Soul who have his Bonds ; Ceux qui détiennent ses effets possèdent son âme ;
’Tis like the Writing on the Wall. Comme écrit sur le mur / Au bout du fossé la culbute.
Dans le monde francophone, l’allusion évoque — dans le meilleur des cas — l’interprétation
par Daniel « tu as été pesé, ton temps est compté, ton royaume sera divisé » ou la citation biblique
directe : « L’étonnement, la colère, la stupéfaction de Balthazar en apercevant le Mane-Tekel-
Pharès ne sauraient se comparer au froid courroux de Grandet… » (Eugénie Grandet) ; « Alors cette
lettre dénonciatrice qu’il [Edmond Dantès] avait vue, que lui avait montrée Villefort, qu’il avait tou-
chée, lui revenait à l’esprit, chaque ligne flamboyait sur la muraille, comme le Mane, Thecel, Pharès
de Balthazar » (Le Comte de Monte-Cristo). Voir encore Proust, Sodome et Gomorrhe.

Mais ici, l’inscription se trouve, en Angleterre, « sur la muraille intérieure des water-closets
publics » :
« Veillez à reboutonner votre braguette
avant de sortir »
Cet emploi particulier de l’expression “to adjust one’s
dress” « rectifier son vêtement » est un euphémisme entré
dans l’usage au XIXe siècle, à la suite de l’introduction
de toilettes publiques (“public conveniences”).
Autre euphémisme, qui l’avait précédé : “Commit No
Nuisance” « Ne faites pas vos besoins n’importe où ».

2
Ἐν αὐτῇ τῇ ὥρᾳ ἐξῆλθον δάάκτυλοι χειρὸς ἀνθρώώπου καὶ ἔγραφον κατέέναντι τῆς λαµπάάδος ἐπὶ τὸ κονίίαµα τοῦ τοίίχου τοῦ οἴκου τοῦ βασιλέέως,
καὶ ὁ βασιλεὺς ἐθεώώρει τοὺς ἀστραγάάλους τῆς χειρὸς τῆς γραφούύσης.
In eadem hora apparuerunt digiti manus hominis et scripserunt contra candelabrum in superficie parietis palatii regis ; et rex aspiciebat arti-
culos manus scribentis.
Au même moment apparurent les doigts d’une main d’homme qui écrivirent face à la lampe sur le crépi de la muraille du
palais royal ; et le roi suivait du regard les phalanges en train d’écrire.
La citation anglaise valide l’interprétation de « déboutonnés ».

‘Please adjust…’ a dû provoquer un haut-le-corps chez certains traducteurs.


● Chez Wilbour, de « oubliant » à la fin devient ‘forgetting the commonest requirement of
public decency.’
● Hapgood omet tout ce qui suit « étalaient leur dévouement monarchique tout nu » (‘exhi-
bited their devotion to the monarchy in the most barefaced manner’).
● Schroers de même : „zeigten in der Offenlegung ihrer bezahlten Schurkerei nackt und
blos ihre monarchische Hingebung.“
(J.A.R. et l’auteur de la version russe sont les seuls à avoir eu l’heureuse idée de joindre la
traduction de l’anglais : « Sírvase usted abrocharse antes de salir », Перед уходом опра-
вляйте одежду, le texte russe reproduisant l’euphémisme de l’anglais.)

Victor Hugo s’attache à flétrir traîtres et déserteurs en les montrant dévergondés, ce qui
veut dire sans vergogne (uerecundia), ignorant la pudeur et le sentiment de honte.

Comme indiqué plus haut, on en vient à se demander à quoi ressemblait leur dévouement
monarchique qu’ils « étalaient … tout nu » ; la réponse me semble être associée assez claire-
ment à leur braguette ouverte.

Le but étant de jeter l’opprobre sur eux, il n’y a là rien de rabelaisien.


Guy Rosa écrivait dans « Outils de travail : les Carnets des Misérables » (groupugo), p. 8 :
« Son ébauche [celle du chapitre L’année 1817 dans les Carnets] proprement dite… cons-
titue bien une série de faits historiques notés dans un ordre que le texte ne se privera
pas de bousculer, mais elle comporte aussi une structure : celle de la progressive révé-
lation d’une forme éthico-historique fondamentale qui est le contre-sens ou la trahi-
son. L’ébauche comme le chapitre s’acheminent à travers l’insignifiance apparente des
détails entassés vers leur signification : « les traîtres se montraient déboutonnés ». Non
sans raison. Ainsi la grande histoire s’assimile à la petite, et devient petite elle-même ;
la bonne farce des étudiants reproduit la farce de la Restauration ; la trahison de l’his-
toire rejoint celle de l’amour : toutes deux trahison du peuple. »

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