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Excellente édition des Œuvres de Villon, par A. Longnon, quatrième édition revue par L. Foulet (Paris, « Les
classiques du Moyen Age », Librairie Champion, 1958).
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Notamment, pour le Testament, le manuscrit 20041 de la Bibliothèque nationale de Paris.
Il conviendrait d’ajouter à tout cela entre six et onze Ballades en jargon,
ultra-sexuelles et « triviales », dont la plupart sont attribuables à Villon. Leur
compréhension reste extrêmement difficile, leur signification ambiguë. Mais le
fait qu’il existe, dans ces ballades, des différences métriques ou de vocabulaire
avec ses autres œuvres, ne signifie nullement qu’il n’en soit pas l’auteur.
D’autant que le Testament contient, lui aussi, de telles ballades en argot (par
exemple, CLVI-CLVIII), ainsi que maintes descriptions extrêmement salaces et
détaillées de coïts hétérosexuels, sans parler des caricatures des moeurs
homosexuelles dans la ville de Paris d’alors. L’écrivain, comme tout grand
écrivain, avait évidemment plusieurs registres (il suffira de songer à Verlaine,
capable tantôt d’être le plus délicat et tantôt le plus pornographe des poètes).
François Villon, poète et mauvais garçon, n’enseigne pas seulement, aux
hommes d’aujourd’hui, que le fait d’avoir été assassin, bagarreur, voleur et
fréquentateur de putains n’empêche pas d’avoir du génie. Son extraordinaire
anti-modernité, celle qui lui confère justement un caractère éternel, est avant
tout d’ordre littéraire. Il est le premier à avoir, consciemment, mêlé la fausse et
la vraie autobiographie. Son œuvre - littéralement truffée d’allusions, de sous-
entendus, d’anagrammes, de jeux de mots voire de jeux lettristes - permet une
double, voire une triple lecture. Car elle était écrite, d’abord, pour les lecteurs de
son temps, dans des termes qui permettaient à l’auteur d’échapper à toute
censure toujours possible ; mais elle était aussi écrite, ensuite, dans le langage
codé (aujourd’hui presque indéchiffrable) des « Coquillarts », bandits de grand
chemin qui étaient aussi davantage que cela, une sorte de maçonnerie ésotérique
du crime organisé. Et enfin, elle était écrite de façon à donner, en cas de
nécessité, l’impression d’une foi catholique profonde. Ce qui a engagé maints
critiques à élogier une telle foi, et à faire de Villon un exemple de bon chrétien.
Alors qu’en vérité, un examen sémantique, philologique et grammatical
minutieux7 permet de dire, à bon droit, que la poésie de Villon est un monument
constant, une cime perpétuelle d’ironie non seulement à l’égard des hommes
(dans le Lais, XXV-XXVI, puis dans le Testament, CXXVII-CXXX, il prétend
faire un legs à trois usuriers parisiens), non seulement vis-à-vis de l’amour
courtois, mais aussi et surtout à l’égard de la religion et d’un Dieu chrétien
auquel François Villon ne demande strictement jamais directement pardon de
quelque « faute » que ce soit.
Avec François Villon, prit fin – chronologiquement - ce que Huizinga a si
joliment appelé « l’automne du Moyen Age ».
Mais en vérité, avec Villon, commençait quelque chose qui n’a pas encore
pris fin. Villon clôt le Moyen Age, oui. Mais aussi, il annonce la Renaissance, et
bien davantage encore. C’est un révolutionnaire. C’est un révolutionnaire
quand, par exemple, il invente la formule « Mais où sont les neiges d’antan ? »,
il semble certes se référer à la demande médiévale « ubi sunt ? » mais, et cela
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Parmi tant de travaux, signalons L. Spitzer, Etude historique d’un texte. Ballade des Dames du temps jadis,
dans la revue « Modern Linguage Quarterly », I (1940), travail republié en 1959.
contre la tradition qui était jusque-là celle de la poésie, sans apporter de réponse.
C’est un révolutionnaire quand il prend la défense des pauvres, des humiliés et
des vaincus de la vie ou de l’Histoire. C’est un révolutionnaire parce qu’il n’a
d’autre arme que son talent, sa plume, son ironie. C’est un révolutionnaire parce
qu’il n’y a, chez lui, nulle rédemption possible. Et que, en écrivant sa « Ballade
des pendus », il nous dit que certains – ceux qui forgeront et suivront leur propre
destin – risquent, un jour ou l’autre, de monter au gibet mais que ce risque,
comme tout risque, doit toujours être pris. François Villon est révolutionnaire,
parce que profondément et véritablement humain et que, à travers ses tableaux,
naît pour la toute première fois l’image d’ êtres humains qui – F. Neri8 l’a
souligné – ne sont plus égaux devant Jésus-Christ, mais liés entre eux par
l’amour, la folie, la douleur, n’ayant pour destin que la décomposition
prochaine, un jour ou l’autre, de leurs corps. Vivre est difficile, nous dit
François Villon : et c’est pour cela qu’il faut vivre. Vivre en beauté.
Sa légende romantique pouvait commencer : celle d’un « Coquillart », la
mystérieuse bande des truands auxquels il fut associé, auxquels il resta fidèle
jusqu’au bout, et qui ont inspiré de si sensibles pages à Théophile Gautier ou à
Marcel Schwob.
François Villon, le 5 janvier 1463 et, au plus tard, le 15 de ce mois,
s’enfonça dans l’hiver rigoureux, en direction de l’Ouest (si l’on en croit
Rabelais), ou vers le Sud (afin de trouver des climats plus cléments). Il
emportait probablement9 avec lui le manuscrit au moins ébauché de son
Testament, qui fut publié en 1489 à Paris, juste quatre ans après que le libraire-
éditeur Guyot Marchand eut reproduit la Danse Macabre des fresques,
aujourd’hui détruites, du Cimetière des Innocents : source cruciale d’inspiration
du « povre petit eschollier » François Villon. Quarante ans plus tard, en 1532,
Clément Marot publia la première édition commentée des œuvres de Villon.
Un homme s’enfonçait dans le brouillard et dans le mystère, peut-être
volontairement. Et c’était le plus grand poète français du Moyen Age, voire le
plus grand poète français tout court. Sa voix résonnera à jamais dans le cœur de
tous les « enfants perdus », s’ils savent en recueillir la leçon.
Olivier MATHIEU
8
F. Neri, Villon : le Lais, le Testament et les Ballades (Turin, 1944).
9
F. Neri, op. cit. ; et Luigi de Nardis, préface à la traduction des Poésies de François Villon, Feltrinelli, avril
1966, page 32.