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François Villon est une immense énigme littéraire.

C’est sans doute pour


cela qu’il a été l’un des rares, avec Homère et Shakespeare, à voir mettre son
existence en doute par certains chercheurs universitaires.
Mais, s’il est exact que plus de cinq cents ans ont passé, et que les
documents d’époque qui le concernent ne sont pas plus d’une dizaine ; s’il est
vrai aussi qu’il a soigneusement brouillé les pistes dans cette autobiographie
déguisée qu’est son œuvre, il n’en reste pas moins que le plus grand poète du
Moyen Age français est incroyablement présent.
Les livres scolaires le prétendent né en 1431. On propose aussi, parfois,
1429. Ces hypothèses, on les a d’ailleurs principalement extrapolées de la
datation donnée par Villon lui-même dans ses poèmes. En vérité, la date et le
lieu (Pontoise ?) de sa naissance sont inconnus, ou plutôt douteux.
On ignore même jusqu’à son nom réel. François De Montcorbier ?
François des Loges ? « Villon » était le nom du chanoine de Saint-Benoît-le-
Bestourné, Guillaume Villon, qui avait adopté le futur poète, probablement très
tôt orphelin de père. Mais on ne saurait exclure non plus que ce nom de Villon
ne soit un jeu de mots sur le latin villus (« poil »), d’autant plus que les
autoportraits cocasses abondent où Villon insiste, justement, sur son système
pileux.
Après avoir été reçu bachelier en 1449, il est licencié puis maître ès arts à
Paris en 1452. En 1456, à environ 25 ans, François Villon écrit son premier
chef-d’œuvre, Le Lais. Il l’écrit en toute hâte, à vrai dire. Car le 5 juin 1455, au
cours d’une rixe, Villon a tué un prêtre, Philippe Sermoise. Villon, sans doute
gravement blessé lui aussi, et toujours amoureux des pseudonymes, se fait
panser sous le nom de Michel Mouton. Contraint à quitter Paris pendant environ
un an, il rentre à Paris vers la fin de 1456, et reprend son activité d’écriture,
probablement dans une petite chambre du cloître de Saint Benoît, à côté de la
Sorbonne. Mais notre poète doit de nouveau prendre la fuite, après avoir cette
fois dévalisé le Collège de Navarre de cinq cents écus d’or. Il séjourne peut-être
à Angers, chez un parent, puis à la cour de Jean II de Bourbon, établie à
Moulins. Et, enfin, à la cour de Charles d’Orléans, à Blois. Il passe les quatre
années qui suivent tantôt en cavale, tantôt en prison. A la fin de 1461, c’est une
certitude, il est libéré de la prison de Meung-sur-Loire.
Et à en croire François Villon c’est alors, « dans l’an trentième de son
âge » et donc en 1461, qu’il aurait rédigé ce qui sera son œuvre littéraire
principale, le Testament. Et dans quelles conditions d’existence, encore ! Que
l’on y songe : il a passé l’été de 1461 dans la prison de Meung-sur-Loire, pour
des motifs mal élucidés mais sur l’ordre de son grand ennemi, l’Evêque
d’Orléans. Libéré le 2 octobre grâce à l’arrivée du roi Louis XI dans la ville, on
le trouve ensuite en chemin vers Moulins puis, en décembre, vers Paris.
En novembre 1462, le voici emprisonné au Châtelet, pour vol. Un mois
plus tard, nouvelle incarcération, pour une nouvelle bagarre au cours de laquelle
un notaire pontifical, François Ferrebouc, a été blessé. Villon est comme
d’habitude arrêté, torturé et condamné à la pendaison, mais fait appel de la
sentence. Quand il est à la fois libéré et banni le 5 janvier 1463, François Villon
disparaît. Il se dissout non seulement dans les brumes de l’hiver, mais aussi dans
celles de l’Histoire. Ce jour-là, en effet, un décret royal change sa condamnation
à la peine capitale en une condamnation à dix ans d’exil. C’est le tout dernier
document, aujourd’hui connu, qui évoque Villon.
Maints critiques ont longtemps prétendu, ou continuent donc à prétendre
que toute l’œuvre de Villon avait été écrite avant cette mise au ban. C’est plus
que douteux. Non, Villon n’avait pas écrit le Testament, comme il a voulu le
faire croire, dans « l’an trentième de son âge ». De même que, la nuit même du
cambriolage du Collège de Navarre, il n’écrivait nullement ainsi que, là encore,
il l’a prétendu. Des critiques - notamment Italo Siciliano1 et Ferdinando Neri -
ont indiscutablement établi que la période de composition du Testament, œuvre
pleine d’épisodes autobiographiques, est à situer au contraire après cette
condamnation. En effet, ses poésies (publiées en 1489, à Paris) contiennent la
ballade sur l’appel et sur la mise au ban de 1463. Mais si plus d’un détail de son
œuvre laisse donc penser qu’il a survécu à la date fatidique 5 janvier 1463, on
n’aura plus dès lors la moindre nouvelle de lui. Encore faut-il insister sur le fait
que rien, dans ses derniers écrits, et contrairement à ce qui a parfois été dit, ne
laisse entrevoir, en lui, la volonté de changer de route.
Qu’est-il devenu, alors qu’il doit avoir environ 32 ans, ce poète qui avait
déjà connu, les années précédentes, l’expérience de la fuite et de l’exil ? Des
écrivains et des romanciers innombrables (on doit citer, avant tout, Joris Karl
Huysmans et Théophile Gautier), des historiens, des biographes ou des éditeurs
parmi lesquels Gaston Paris2 et Pierre Champion3 (dont la lecture reste
indispensable malgré le passage des années), absolument tous ont émis des
hypothèses. Mais qu’ils aient adulé ou détesté François Villon, ou qu’ils l’aient
méconnu comme le fit souvent Luigi Foscolo Benedetto4, leurs théories sur
l’existence de Villon après 1463 n’ont été que cela, précisément : de pures
hypothèses, plus fantaisistes les unes que les autres.
François Rabelais a décrit, plus tard, dans le chapitre 13 du Quart Livre,
un Villon vieilli, acteur de théâtre dans la région de Poitiers. Puis, dans le
chapitre 67 cette fois, un Villon accueilli en Angleterre par le monarque
Edouard V. Mais chez Rabelais, au moins, la légende se donne ouvertement
pour telle (Edouard V, on le sait, monta sur le trône anglais une vingtaine
d’années après 1463). D’autres ont voulu, par exemple, que François Villon ait
de nouveau bénéficié, comme il l’avait fait pendant cinq ans quelques années
plus tôt, de l’aide et de l’accueil du poète Charles d’Orléans. Ici encore, c’est
1
Italo Siciliano, François Villon et les thèmes poétiques du Moyen Age, Paris, 1934.
2
Gaston Paris (François Villon, Paris, 1901).
3
Pierre Champion, François Villon, sa vie et son temps, 2 volumes, Paris, 1913.
4
De L. Foscolo Benedetto, voir un article consacré à la mère de Villon, dans la revue italienne « Il Marzocco »,
28 décembre 1930, page 2.
tout sauf probable : ce dernier, neveu du roi Charles VI, et qui était né en 1391,
mourut le 5 janvier 1465, deux ans seulement, jour pour jour, après la mise au
ban de son ami Villon.
Il convient donc de se faire une raison : François Villon, comme d’autres
dans l’Histoire – que l’on songe à Cagliostro – n’a pas de sépulture connue.
Il demeure donc, de lui, une œuvre littéraire. Et quelle œuvre ! De
pudiques éditions scolaires, genre Lagarde et Michard, préfèrent expurger le
poète, et faire par exemple dire à Villon qu’Abélard fut « châtié » (à la place de
« châtré »). D’autres éditeurs coupent étrangement, parfois, les rares passages où
l’on pourrait chercher des poux dans la tête à Villon (comme à Shakespeare à
cause du Marchand de Venise) parce qu’il parle, ici ou là, de « l’affreux pissat
d’une juive ».
Malgré ces quelques restrictions, son opus est généralement disponible en
une multitude d’éditions de qualité variée (et qui diffèrent, quelquefois, selon les
leçons5 que les éditeurs ont tirées des manuscrits originaux), qui vont des
éditions scolaires et simplistes (le texte est retraduit en français moderne) aux
éditions universitaires parfois abstruses.
Mais dès lors que l’on a mis la main sur une bonne édition6, s’ouvre
l’univers immense de Villon, dont la langue – même s’il s’agit d’ancien français
– est remarquablement accessible. Un univers qui représente une extraordinaire
fresque des étudiants de la Sorbonne, des tavernes de Paris, des saltimbanques,
des prostituées de profession ou des « filles de joie » d’occasion. Les femmes
sont, tantôt, la « Grosse Margot » obscène, paillarde, abjecte. Mais à d’autres
moments, en revanche, les « clarae mulieres », les femmes lumineuses des plus
beaux souvenirs du cœur.
Le monde de Villon est encore celui des trahisons amoureuses, des amis
qui ne lui ont jamais apporté d’aide, de sa vieille mère, des misérables, des
geôliers, des indicateurs de police, des juges, des bourreaux, des cadavres qui se
balancent à la potence. Si le personnage principal est toujours « le povre
Villon » en personne, les états d’esprit et les thèmes de ses poèmes sont sa
jeunesse enfuie, le temps qui passe, et le Destin. En un mot : la Mort, cette mort
dont Villon, à la fois par angoisse et par fiction littéraire, décrit partout et
toujours l’ombre macabre qui s’avance. Oui, « tout va aux tavernes et aux
filles ». Oui, la Mort menace. Mais partout, aussi, François Villon ricane ou
gémit, tantôt en riant et tantôt en pleurant. Il s’amuse et nous amuse fort à
rédiger, à sa propre intention, des épitaphes (Testament, CLXXVII-CLXXVIII)
à la fois tragiques, burlesques, auto-ironiques. Auto-ironiques comme la Ballade
des Pendus, son poème le mieux connu, mais qui fut de toute évidence écrit, lui
aussi, après 1463.

5
Excellente édition des Œuvres de Villon, par A. Longnon, quatrième édition revue par L. Foulet (Paris, « Les
classiques du Moyen Age », Librairie Champion, 1958).
6
Notamment, pour le Testament, le manuscrit 20041 de la Bibliothèque nationale de Paris.
Il conviendrait d’ajouter à tout cela entre six et onze Ballades en jargon,
ultra-sexuelles et « triviales », dont la plupart sont attribuables à Villon. Leur
compréhension reste extrêmement difficile, leur signification ambiguë. Mais le
fait qu’il existe, dans ces ballades, des différences métriques ou de vocabulaire
avec ses autres œuvres, ne signifie nullement qu’il n’en soit pas l’auteur.
D’autant que le Testament contient, lui aussi, de telles ballades en argot (par
exemple, CLVI-CLVIII), ainsi que maintes descriptions extrêmement salaces et
détaillées de coïts hétérosexuels, sans parler des caricatures des moeurs
homosexuelles dans la ville de Paris d’alors. L’écrivain, comme tout grand
écrivain, avait évidemment plusieurs registres (il suffira de songer à Verlaine,
capable tantôt d’être le plus délicat et tantôt le plus pornographe des poètes).
François Villon, poète et mauvais garçon, n’enseigne pas seulement, aux
hommes d’aujourd’hui, que le fait d’avoir été assassin, bagarreur, voleur et
fréquentateur de putains n’empêche pas d’avoir du génie. Son extraordinaire
anti-modernité, celle qui lui confère justement un caractère éternel, est avant
tout d’ordre littéraire. Il est le premier à avoir, consciemment, mêlé la fausse et
la vraie autobiographie. Son œuvre - littéralement truffée d’allusions, de sous-
entendus, d’anagrammes, de jeux de mots voire de jeux lettristes - permet une
double, voire une triple lecture. Car elle était écrite, d’abord, pour les lecteurs de
son temps, dans des termes qui permettaient à l’auteur d’échapper à toute
censure toujours possible ; mais elle était aussi écrite, ensuite, dans le langage
codé (aujourd’hui presque indéchiffrable) des « Coquillarts », bandits de grand
chemin qui étaient aussi davantage que cela, une sorte de maçonnerie ésotérique
du crime organisé. Et enfin, elle était écrite de façon à donner, en cas de
nécessité, l’impression d’une foi catholique profonde. Ce qui a engagé maints
critiques à élogier une telle foi, et à faire de Villon un exemple de bon chrétien.
Alors qu’en vérité, un examen sémantique, philologique et grammatical
minutieux7 permet de dire, à bon droit, que la poésie de Villon est un monument
constant, une cime perpétuelle d’ironie non seulement à l’égard des hommes
(dans le Lais, XXV-XXVI, puis dans le Testament, CXXVII-CXXX, il prétend
faire un legs à trois usuriers parisiens), non seulement vis-à-vis de l’amour
courtois, mais aussi et surtout à l’égard de la religion et d’un Dieu chrétien
auquel François Villon ne demande strictement jamais directement pardon de
quelque « faute » que ce soit.
Avec François Villon, prit fin – chronologiquement - ce que Huizinga a si
joliment appelé « l’automne du Moyen Age ».
Mais en vérité, avec Villon, commençait quelque chose qui n’a pas encore
pris fin. Villon clôt le Moyen Age, oui. Mais aussi, il annonce la Renaissance, et
bien davantage encore. C’est un révolutionnaire. C’est un révolutionnaire
quand, par exemple, il invente la formule « Mais où sont les neiges d’antan ? »,
il semble certes se référer à la demande médiévale « ubi sunt ? » mais, et cela
7
Parmi tant de travaux, signalons L. Spitzer, Etude historique d’un texte. Ballade des Dames du temps jadis,
dans la revue « Modern Linguage Quarterly », I (1940), travail republié en 1959.
contre la tradition qui était jusque-là celle de la poésie, sans apporter de réponse.
C’est un révolutionnaire quand il prend la défense des pauvres, des humiliés et
des vaincus de la vie ou de l’Histoire. C’est un révolutionnaire parce qu’il n’a
d’autre arme que son talent, sa plume, son ironie. C’est un révolutionnaire parce
qu’il n’y a, chez lui, nulle rédemption possible. Et que, en écrivant sa « Ballade
des pendus », il nous dit que certains – ceux qui forgeront et suivront leur propre
destin – risquent, un jour ou l’autre, de monter au gibet mais que ce risque,
comme tout risque, doit toujours être pris. François Villon est révolutionnaire,
parce que profondément et véritablement humain et que, à travers ses tableaux,
naît pour la toute première fois l’image d’ êtres humains qui – F. Neri8 l’a
souligné – ne sont plus égaux devant Jésus-Christ, mais liés entre eux par
l’amour, la folie, la douleur, n’ayant pour destin que la décomposition
prochaine, un jour ou l’autre, de leurs corps. Vivre est difficile, nous dit
François Villon : et c’est pour cela qu’il faut vivre. Vivre en beauté.
Sa légende romantique pouvait commencer : celle d’un « Coquillart », la
mystérieuse bande des truands auxquels il fut associé, auxquels il resta fidèle
jusqu’au bout, et qui ont inspiré de si sensibles pages à Théophile Gautier ou à
Marcel Schwob.
François Villon, le 5 janvier 1463 et, au plus tard, le 15 de ce mois,
s’enfonça dans l’hiver rigoureux, en direction de l’Ouest (si l’on en croit
Rabelais), ou vers le Sud (afin de trouver des climats plus cléments). Il
emportait probablement9 avec lui le manuscrit au moins ébauché de son
Testament, qui fut publié en 1489 à Paris, juste quatre ans après que le libraire-
éditeur Guyot Marchand eut reproduit la Danse Macabre des fresques,
aujourd’hui détruites, du Cimetière des Innocents : source cruciale d’inspiration
du « povre petit eschollier » François Villon. Quarante ans plus tard, en 1532,
Clément Marot publia la première édition commentée des œuvres de Villon.
Un homme s’enfonçait dans le brouillard et dans le mystère, peut-être
volontairement. Et c’était le plus grand poète français du Moyen Age, voire le
plus grand poète français tout court. Sa voix résonnera à jamais dans le cœur de
tous les « enfants perdus », s’ils savent en recueillir la leçon.

Olivier MATHIEU

8
F. Neri, Villon : le Lais, le Testament et les Ballades (Turin, 1944).
9
F. Neri, op. cit. ; et Luigi de Nardis, préface à la traduction des Poésies de François Villon, Feltrinelli, avril
1966, page 32.

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