SORBONNE
MÉMOIRE DE MAÎTRISE
ANNÉE 2003-2004
Roch Giraud
Roch.giraud (a) hypertemps.com
1
Foucault Michel, préface de l’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969.
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION .................................................................................................................... 4
5. L’individualisme impossible............................................................................... 62
CONCLUSION ....................................................................................................................... 91
1. Bibliographie ...................................................................................................... 96
intègre comme une notion stable du lexique des concepts comme celui de
2
Bonnet, date d’apparition du mot dans la langue, 1760.
l’origine, ce qui est primitif » (l’origo latin), « ce qui ne peut être copié »
pouvoir être des deux côtés de l’égalité tout en étant le même, pouvoir
être deux tout en restant un, être semblable tout en étant distinct et cela,
3
Nous pensons par exemple à sa parenté sémantique avec « singularité » que les emplois de l’un
pour l’autre attestent.
4
En toute rigueur, nous devrions utiliser le signe « ≡ »
5
Nous pensons au latin individuum qui traduit le grec atomos (atome), littéralement « qu’on ne
peut pas couper »
C’est Ricœur qui nous donne à la fois le titre de notre mémoire,
question :
prédicat ne faisait pas partie de nous. Nous notons bien ici l’usage du
verbe avoir et cet usage fait question et apporte pour nous une réponse.
c'est-à-dire bien unique parmi les autres êtres uniques, un parmi les
autres uns, tout en étant ce qui le lie aux autres hommes comme membre
6
Ricœur, Soi-même comme un autre, Éditions du Seuil, 1990, p. 49.
de l’espèce humaine, comme « semblable » nous dit Rousseau (mortalité,
mortels, donc Socrate est mortel » c’est dire que le sujet Socrate est un
qu’il soit assis ou debout (vérité contingente), et qu’il est toujours mortel
hiérarchie qui n’est jamais remise en question tant l’enjeu se situe autour
7
Rousseau, incipit des Confessions, Gallimard, Folio Essais, 1997
8
Russel, Principles of Mathematic, §427, W. W. Norton & Company, 1996.
À cela s’ajoutent généralement différents facteurs plus ou moins
sociaux, etc.
d’un Dieu formel chez Fichte10, nous ne voyons pas bien au fond ce que
et autres paradoxes.
aporétique ? En quoi nous donne t-il les moyens et les méthodes pour
9
Guénancia, « Par là se trouve donc confirmé, nous semble-t-il, l ‘idée initiale de cette exposé
d’après laquelle être identique c’est, en termes statiques, demeurer, ou bien, en termes
dynamiques, résister. », « L’identité » dans les Notions de Philosophie, Gallimard, Folio Essai,
1995.
10
Philonenko, L’œuvre de Fichte, Vrin 1984.
Comme l’écrit très justement Ricœur, la réflexion sur l’identité se
« théorie de la personne ». Ce sont sur ces deux points que Leibniz ouvre
11
Réintroduire au sens de la réintroduction d’espèces animales dans leurs milieux d’origine. En
l’occurrence, c’est la pensée de Leibniz qui mérite de reprendre sa place dans les réflexions sur
« le problème de l’identité ».
12
Leibniz G.W., Lettre à Basnage. Cité par Harald Höffding, Histoire de la philosophie moderne,
tome 1, Paris, Félix Alcan éditeur, 1906.
Leibniz est le philosophe qui a compris que l’identité n’est pas un
avoir, mais un être. Chez Leibniz, telle individualité n’a pas telle ou telle
du même nom. Or, une grande partie de notre travail consiste justement à
démontrer que le Principe d’identité comme outil logique est bien loin de
l’impasse sur les liens qu’ils entretiennent nécessairement avec ses autres
l’identité ».
que Leibniz écrit et nous dit, mais aussi ce que peuvent être la
nous avons deux grands soucis en forme d’écueil à éviter. Il faut d’une
monades sont, de notre point de vue, tout à fait « hors sujet » si l’on s’en
13
Species infima
Ce qui nous importe ici, c’est bien « la complexité prédicative »14
de l’identité et de l’individualité.
êtres humains finis) pouvons parler de Socrate qui est Socrate (Socrate
14
Fichant, L’invention métaphysique, dans Discours de Métaphysique, Monadologie et autres
textes, Gallimard, Folio Essais, 2004.
15
Leibniz, « Notio individui non est explicabilis mente humana, et in eo differt a specie ». Grua
354
devenant, en un sens mais certainement pas selon l’exacte vérité des
de l’identité.
et pourquoi il faut penser avec Leibniz une tout autre théorie. Une théorie
logique du métaphysique.
Enfin, nous essayerons de donner de l’amplitude à nos analyses
métaphysiques.
métaphysique.
16
Quillet J., Les Études philosophiques, Paris, 1979, p. 79-105.
17
Saint-Thomas avait ainsi dressé une liste de 27 type d’identité dans La
Somme théologique.
cas pendant plusieurs siècles du point de vue
craindre la contradiction.
« personnes » :
18
Leibniz, Lettre XVII à Arnauld, 28 nov. / 8 déc. 1686.
Du même coup, ces trois principes ne se contentent
individuelle.
prédication.
19
Leibniz, « Concevoir la pensée et l’étendue comme la substance pensante ou
la substance étendue elles-mêmes, cela ne me paraît ni exact ni possible. Cet
expédient est suspect et semblable à celui qui commandait de considérer les
choses douteuses comme fausses. Par de telles déformations des choses, on
prépare les esprits à l’entêtement et aux paralogismes. », Remarques sur la
partie générale des principes de Descartes, sur l’article 63, dans Opuscules
philosophiques choisis, traduit par Paul Schreker, Vrin, 1978.
2. Principe d’identité (ou de contradiction)
l’identique ».21
20
Leibniz, Lettre à Clark, II, I ; E 748 a ; GP VII, 355 ; Cassirer 1, 124 ;
Robinet 35.
21
Lalande, article sur l’identité, Vocabulaire technique et critique de la
philosophie, Paris, Presses Universitaires de France, 1988.
comprendre que A=A, mais de prendre en compte l’idée
d’identité.
forcément l’autre.
permanence et l’intermittence ?
Socrate.
En différenciant prédicats essentiels et prédicats
22
Leibniz, Lettre à Arnauld, 14 juillet 1696, GP II, 56, Le Roy, 121.
En effet, cette inhérence des prédicats essentiels et
au métaphysique ou à l’ontologique.
tout.
à Socrate.
23
Ici et maintenant
maintenant ne peuvent être compris sans une relation
à tout le reste.24 »
Socrate ne doit pas être égal à son contraire pour être lui-
de l’identité personnelle25.
24
Leibniz, C. 19 ?
25
Ricœur, « Le problème de l’identité personnelle constitue à mes yeux le lieu
privilégié de la confrontation entre les deux usages majeurs du concept
d’identité [...]. Je rappelle les termes de la confrontation : d’un côté l’identité
comme mêmeté [...], de l’autre l’identité comme ipséité [...]. », Soi-même
comme un autre, Points, Seuil 1990, p.140.
3. De la notion complète et accomplie
26
Leibniz, Extrait de l’article VIII du Discours de Métaphysique, Paris, Vrin,
1993.
de César, ou de celle de tous ceux qui ont été empereurs :
27
« Le prédicat est dans le sujet »
28
1907
c’est sa complétude qui le définit en dernière instance
« pratique ».
sens on peut dire que toute action a sa raison. Kant n’a pas
29
Leibniz, NE I, 1, 23. E 212 a ; GP V, 71 ; ak VI, 6, 85.
30
Kant, Critique de la raison pure, 1 217. B 264.
« Nihil est sine rationne seu nullus effectus
sine cause. »31
de notre réflexion.
31
Leibniz cité par Heiddegger : « Rien n’est sans raison ou aucun effet n’est
sans cause », Le Principe de raison, Tel-Gallimard, 1962, p. 77.
32
Heidegger avance notamment cette thèse dans Le Principe de raison, Tel-
Gallimard, 1962.
symétrie qui devrait elle-même « exister » en conformité
33
Leibniz, Discours de métaphysique, article XIII.
34
Robinet A., « [...] Arnauld ne se fera pas faute de fondre sur le sommaire de
l’article XIII, qui va entraîner le plus bel échange philosophique que deux
philosophes aux forces égales aient pu soutenir [...]. », introduction du
Discours de métaphysique de Leibniz, Vrin, 1977.
La distinction entre « vérité de fait » et « vérité
Discours de métaphysique.
35
Leibniz, Grua 303.
la connexion y est évidente par soi. Quand aux autres,
elle doit y apparaître par l’analyse des termes. »36
36
Leibniz, Grua 303.
accident, il évacue du même coup l’opposition entre
du premier.
Rheinfels :
37
Arnauld, Lettre au Landgrave, 13 mars 1686.
cet événement n’advienne pas) n’implique pas
contradiction.
inintéressantes.
le banquet de Xénophon ?
Socrate n’a pour ainsi dire aucune raison de ne pas
contradiction.
38
Aristote, Éthique à Nicomaque, traduction de Jean Voilquin, GF-
Flammarion, Paris, 1992.
39
Kant, Thèse : «La causalité suivant les lois de la nature n’est pas la seule
d’où puissent être dérivés les phénomènes du monde dans leur ensemble. Il est
encore nécessaire d’admettre pour les expliquer, une causalité par liberté. »
Antithèse : « Il n’y a pas de liberté, mais tout dans le monde arrive suivant les
lois de la nature. », 3ième antinomie dans « La dialectique transcendantale »
dans Critique de la raison pure, Paris, Gallimard, Folio Essais, 1980.
40
Leibniz, Grua 385.
le poussent à agir dans tel ou tel sens, et donc pas
41
Les reproches philosophiques adressés par Ricœur à Anscombe dans la
troisième étude de Soi-même comme un autre sont centrés autour de l’idée
selon laquelle Anscombe ne tient pas pleinement compte du « temps
phénoménologique » et encore moins du « sujet de l’action ». Anscombe
pense, selon Ricœur, une « sémantique de l’action sans agent ».
6. Principe des indiscernables : Identité et différence
« [...] la vérité est que tout corps est altérable, et même altéré
toujours actuellement. Je me souviens qu’une grande princesse, qui
est d’un esprit sublime, dit -un jour en se promenant dans son jardin
qu’elle ne croyait pas qu’il y avait deux feuilles parfaitement
semblables. Un gentilhomme d’esprit, qui était de la promenade,, crut
qu’il serait facile d’en trouver ; mais quoiqu’il en cherchât beaucoup,
il fut convaincu par ses yeux qu’on pouvait toujours y remarquer de la
différence. »42
Nouveaux Essais42 :
Et ajoute :
42
Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain, Chap. XXVII, GF-Flammarion, 1990.
défend l’idée selon laquelle deux choses ne sont pas les mêmes au
lieu.
même niveau.
43
Etymologiquement : « celui qui aime la vérité ».
44
Etymologiquement : « celui qui aime Dieu».
« Il n'est pas vrai que deux substances se ressemblent
entièrement solo numero, [...] pourvu qu'on prenne la différence
spécifique comme la prennent les géomètres à l'égard de leurs
figures. »45
distinction.
substance individuelle.
45
Leibniz, Discours de métaphysique, Article IX, Gallimard, Folio Essais, 2004.
I. IPSÉITÉ, MÊMETÉ ET HUMANITÉ
précédemment.
de substance individuelle.
la « personne ».
identité « ajoutée »…
contradiction même !
d’une identité qui multiplie les ipse, les idem pour n’en faire qu’un.
d’agir ».
de montrer que les trois sens de l’identité dont nous venons de parler ci-
46
Leibniz, Discours de Métaphysique, Article VIII, Paris, Vrin, 1993.
1. L’identité apparente, le moi et l’individu
seul corps qui participe à une commune vie, ce qui dure pendant que
apparence »48
organisés qui ne sont pas « un par soi » comme les substances, mais
visibilité.
47
Locke, cité par Leibniz, chapitre XXVII, §4, Nouveaux essais sur l’entendement humain, GF-
Flammarion, 1990.
Le paradoxe apparent de la question de savoir si le bateau de
Thésée que les athéniens réparaient toujours est bien le même bateau
est balayé par la distinction entre ce qui est un par soi et ce qui un
par accident.
propre à une entité qui n’a pas de « Principe de vie subsistant »48.
visibilité.
que ces changements dont il est ici question ne font pas partie de sa
notion.
48
Leibniz G. W., chapitre XXVII, §4, Nouveaux essais sur l’entendement humain, GF-
Flammarion, 1990.
Le bateau de Thésée ne demeure pas le même individu car il
ou cet esprit qui fait le moi dans celles qui pensent. »48
par cette âme ou esprit qui fait son moi, et sans ce rapport, l’identité
permanence.
L’identité réelle est le privilège des individus réels, c’est-à-
les végétaux et les brutes sont des individus réels est pour ainsi dire
ce qui est conservé ») de la même âme n’est pas pour Leibniz une
substance individuelle.
Leibniz explique que dans ce cas précis, nous pouvons fort bien
d’identité morale pour dire que ce serait une même personne. »50
parties.
49
Leibniz G. W., chapitre XXVII, §6, Nouveaux essais sur l’entendement humain, GF-
Flammarion, 1990.
qui a des parties corporelles ne peut point manquer d’en perdre à tout
moment. »50
substance.
sur l’idée que c’est bien le moi qui est sans partie, pas le corps qui
50
Leibniz, chapitre XXVII, §11, Nouveaux essais sur l’entendement humain, Paris, GF-
Flammarion, 1990.
51
Locke, cité par Leibniz, chapitre XXVII, §11, Nouveaux essais sur l’entendement humain,
Paris, GF-Flammarion, 1990.
En effet, chez Leibniz, les âmes « expriment originairement
[les portions de matière] à qui elles sont et doivent être unies, par
ordre. »52.
52
Leibniz, chapitre XXVII, §14, Nouveaux essais sur l’entendement humain, Paris, GF-
Flammarion, 1990.
53
Leibniz G. W., chapitre XXVII, §9, Nouveaux essais sur l’entendement humain, Paris, GF-
Flammarion, 1990.
La conscience de soi , ou dirons nous la seule conscience de
propre réalité ».
personnelle.
« Pour ce qui est du soi, il sera bon de le distinguer de
l’apparence de soi et de la consciosité. Le soi fait l’identité réelle et
physique, et l’apparence du soi, accompagné de la vérité, y joint
l’identité personnelle. »53
3. Un animal raisonnable
raisonnable est insuffisante puisque rien n’empêche qu’il n’y ait des
utilise ici le même type d’argument que dans le cas d’une, par
transférée dans un âne, alors bien qu’on puisse dire qu’il s’agit du
54
Leibniz G. W., chapitre XXVII, §8, Nouveaux essais sur l’entendement humain, GF-
Flammarion, 1990.
Or chez Leibniz, l’identité de substance va de pair, pour les
mal « classée ».
Cela est très important, car Leibniz sait bien que « d’une
définie, tant qu’il n’est pas établi que cette définition exprime une
les génies ne sont pas des hommes pour Leibniz. Ainsi, c’est un
55
Leibniz G. W., Remarques sur la partie générale des principes de Descartes, sur l’article 14,
dans Opuscules philosophiques choisis, traduit par Paul Schreker, Vrin, 1978.
4. Le même individu et le droit
l’homme fou pour les actions que fait l’homme de sens rassis, ni
son identité.
contradictoirement dans son identité. Ces sont des formes que prend
la même personne.
56
Leibniz, Chapitre XXVII, §20, Nouveaux essais sur l’entendement humain, Paris, GF-
Flammarion, 1990.
L’idée selon laquelle dans un tel cas de figure, la loi devrait
même.
comme unité.
5. L’individualisme impossible
Nous pouvons même dire qu’il s’agit d’une idée curieuse, autant
57
Renaut, L’ère de l’individu, P. 134 : « [...] lire dans le devenir-monadologique de l’ontologie
moderne un simple moment dans le triomphe des valeurs de la subjectivité ou de l’humanisme,
c’est se méprendre gravement, et manquer ce qui constitue pourtant l’une des significations les
plus nettes de cette inauguration leibnizienne de l’ère des monadologies : philosophiquement,
l’ébranlement de la figure de la subjectivité ; culturellement, la promotion des valeurs de
l’individualisme. »
La critique d’une telle théorisation a déjà été faite58, et nous nous
58
Fichant, Science et métaphysique dans Descartes et Leibniz, De l’individuation à l’individualité
universelle, PUF, Epiméthée. Juillet 1998.
59
« Que chaque substance singulière exprime tout l'univers à sa manière et que dans sa notion
tous ses événements sont compris avec toutes leurs circonstances et toute la suite des choses
extérieures. »
Aucun monde existant ou possible n’est pensable sans la totalité
concevoir le contraire.
singularités.
Loi de Leibniz : Eadem sunt qorum unum potest substitui alta salva
veritate.61
60
Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain, p. 180, GF-Flammarion, 1990.
61
Fichant, « Deux choses sont les mêmes lorsque l’une peut être substituée à l’autre, la vérité
étant respectée », Science et métaphysique dans Descartes et Leibniz, p. 293.
62
Fichant, Science et métaphysique dans Descartes et Leibniz, p. 293.
Sans discuter ce que ce type de définition peut impliquer en
définir. Si l’individualisme ne vaut pas pour tout individu quel qu’il soit,
strictement.
(cata unum).
« dignité » n’est pas réservée aux esprits : aucun individu d’aucune sorte
possibles.
pas une identité nominale. Il n’est pas dans notre propos de réagir à cela,
mais nous pensons simplement que cela est incompatible avec la vision
métaphysique de Leibniz.
vision plus franche (donc aussi plus libre) et plus nette de la philosophie
elle-même que réconcilie Leibniz pour donner un sens tout à fait original
à la notion de « personne ».
disions en introduction :
c’est que nous avons avec Leibniz considérablement fait évoluer cette
63
Guénancia, « L’identité » dans les Notions de Philosophie, p. 627, Gallimard, Folio Essais,
1995.
64
Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Éditions du Seuil, 1990, p.49.
également plus simplement de la « personne » comme « sujet
métaphysique ».
aux trois sens de l’identité que nous avons définis pour notre seconde
partie.
deux personnes.
ses caractéristiques.
65
Locke, Essai sur l’entendement humain, Livre II, Chapitre XXVII dans identité et différence,
Traduction Étienne Balibar, Éditions du Seuil, 1998.
2. La liberté retrouvée
seulement les prédicats classiques, mais aussi les actions comme les
événements.
Arnauld est choqué de ne pas être un moi « une fois pour toutes ».
De son point de vue, son identité précède son individualité. Son moi est
épuise et sature tout ce qu’il a été, est et sera — est pensé par rapport à
par nous-même cette fameuse « notion ». Bien sûr, nos capacités limitées
venir.
raison suffisante. Un accord sur ces deux derniers points peut suffire pour
se classent bien eux-mêmes dans ce courant. Dans le cas qui nous occupe
homme n’est rien d’autre qu’une série d’entreprises, qu’il est la somme,
entreprises »67.
humain ».
Jean-Paul Sartre ne dit pas autre chose que Leibniz quand il fait
dire à Oreste qu’aller vers soi-même, c’est se chercher dans les suites du
67
Sartre, J.-P., L’existentialisme est un humanisme, Gallimard, Folio Essais, 1996.
68
Sartre, J.-P, , Acte 3, Scène III, Les Mouches.
simplement une suspension de notre jugement identitaire. La personne ne
faits en conscience ?
Dire aujourd’hui qu’Arnauld était marié, c’est bien dire quelque
chose de faux. C’est faux car Arnauld est resté célibataire. C’est faux car
Arnauld n’a pas une telle identité : ce n’est pas lui. C’est faux car cela ne
rentre pas dans sa notion, cela ne le définit pas tel qu’il a effectivement
C’est bien là quelque chose qui peut sembler paradoxal pour tous
savoir qu’est-ce qui était « sujet » et qu’est-ce qui était « épisodes ». Sans
texte.
69
Aristote, Poétique, §17, Tel Gallimard, 1996.
70
Conférence du 12 novembre 2003. Basés sur mes notes personnelles prises à cette occasion.
Ce raisonnement s’applique en l’espèce à ce qui nous occupe. La
l’individualité.
C’est sur cette base, sur ce choix de départ que vont par la suite se
ne soient « essentiels ».
manière que nous pourrions donc remplacer tel épisode par tel autre
autre sujet, il faut bien se rendre compte que c’est la forme narrative elle-
les actions et passions ne sont plus vraiment celles des sujets, mais des
épisodes ?
pour une très large partie tout à fait nommable. Pourtant le débat
« sujet de l’action ».
découvrir i.e. son intention. Dans ce débat, nous pourrions déduire des
apprendrait certainement beaucoup sur son action, mais pas plus puisque
voire l’événement.
« La poursuite du signe au détriment de la chose signifiée ; le
langage considérait comme une fin en soi, comme un concurrent de la
réalité ; la manie verbale, chez les philosophes mêmes ; le besoin de
se renouveler au niveau des apparences ; — Caractéristique où la
syntaxe prime l'absolu, et le grammairien le sage. »71
71
Cioran, Syllogismes de l’amertume, Folio Essais, paris, 1993.
4. L’espèce dernière et la « clôture » de Soi
censés appartenir.
espèce.
72
Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, 5-5303, traduction de P. Klossowski, Gallimard.
73
Leibniz, « Que là tout individu est une espèce infime », Discours de métaphysique, Article IX,
Vrin 1993
Cette analyse ouvre la voie à des perspectives tout à fait
les premiers pensant que l’espèce humaine prime sur le genre, les
seconds que le genre prime sur l’espèce puisque les différences entre
d’appartenance.
de prédication.
74
Leibniz, Lettre à Des Bosses du 19 août 1715. E 728 b ; GP II, 504. Cité p. 195 dans Logique et
métaphysique de Martin Gottfried, Paris, Beauchesne et fils, 1966.
Alors que nous nous étions bornés à comprendre le pourquoi de
part, les prédicats constituent, pour une bonne partie, le sujet logique et
une jambe75, avec Leibniz, nous pouvons dire deux choses. D’une part,
comme le « moi et le lui sont sans parties », aucun n’a perdu une partie
les rapports entre les choses et leurs caractéristiques ; c’est une totale
75
Leibniz, « [...] ce qui a des parties corporelles ne peut point manquer d’en perdre à tout
moment. », chapitre XXVII, §9, Nouveaux essais sur l’entendement humain, Paris, GF-
Flammarion, 1990.
inversion de la sujétion, de l’assujettissement, du rapport de soumission
de Leibniz, nous pouvons écrire avec lui : "ce n'est pas le sujet qui
car c’est à ce à quoi nous croyons appartenir qui est justement assujetti
76
Leibniz, « [...] rien n’empêche qu’il y ait des animaux raisonnables d’une espèce différente de
la notre, comme ces habitants du royaume poétique ds oiseaux dans le soleil [...]. », chapitre
XXVII, §8, Nouveaux essais sur l’entendement humain, GF-Flammarion, 1990.
travail journalier. Ces deux contraires ne s'excluent pas plus que tous
les contraires qui constituent la nature. »77
exister avec l’autre, qui oblige le premier à s’unir au second pour former
Quand les prédicats sont dans le sujet, ce n’est pas le sujet qui est
77
Baudelaire, Conseils aux jeunes littérateurs, 15 avril 1846.
Celui qui ne se reconnaît pas dans telle ou telle action qu’il a
l’action du soi, insérer des tiers non exclus pour justifier un écart supposé
78
Anscombe, « nous pouvons résumer nos remarques en disant en gros l’intention d’un homme,
c’est son action. », Intention, Gallimard, 2002.
CONCLUSION
une large part l’image qu’il a laissé dans les manuels de philosophie de
79
La déconstruction derridienne, comme nous, d’intéresse particulièrement à l’études des
marges ; à ce qui fait sens à la périphérie du « système » et nonplus à son logos — imaginaire.
Nous lisons d’ailleurs en ce sens la pensée de psychiatres
Dans tous ces cas, Leibniz a quelque chose à nous apprendre qui
dépasse bien largement le cadre même des travaux de recherche qui lui
80
Pringuey D. & Kolh F. S., Préface de Phénoménologie de l’identité humaine et schizophrénie,
Paris, Collection Phéno, Association le Cercle herméneutique, 2001.
81
Ainsi, on retrouve également ces enjeux et problématiques dans la réflexion de la psychanalyse
qui comme théorie de la personne cherche moins à réconcilier les prédicats du sujet, qu'à unifier
le sujet a priori. La psychanalyse est presque entièrement construite comme une théorie de la
causalité puisqu'elle vise toujours à reconstituer a posteriori ce qui a constitué les raisons, les
motifs ou les causes de telle ou telle chose. Dans un double mouvement, elle dualise l'identité au
maximum. Unification a priori de constats a posteriori : nous sommes bien loin de la saisie en
acte d'une quelconque liberté humaine, et cela résulte bien d’une théorie générale de la
prédication malformée ou tout du moins d’une théorie formée à une pensée dialectiquement
hiérarchisée.
découlent, et les « fabricants » d’un autre Leibniz qui perdent Leibniz
dans Frankenstein.
82
Formule empruntée à Charles Ramond dans son Derrida, Paris, Éditions Ellipses, 2001.
Dans ce cadre là, les définitions leibniziennes de l’identité et de
mener à bien. Elle ne peut donc pas être considérée comme une
A – Dictionnaires
1 - Dictionnaires contemporains
Larousse, 2003
XIXème siècle :
o LITTRE, Dictionnaire de la langue française, rééd. en sept vol. chez
vol.)
XVIIIème siècle :
XVIIème siècle :
XVIème siècle :
Larousse.
B – Ouvrages critiques
Belaval,Yvon
Leibniz, critique de Descartes, Tel Gallimard, 1960
Couturat, Louis
La logique de Leibniz, Éditions Félix Alcan, 1901
Frémont, Christiane
L’être et la relation. Lettres de Leibniz à Des Bosses, vrin, 1999.
Fichant, Michel
Science et métaphysique dans Descartes et Leibniz, Presses universitaires
de France, 1998
Martin, Gottfried
Logique et Métaphysique
Beauchesne et ses fils, 1966.
Robinet, André
Architectonique disjonctive, automates systémiques et idéalités
transcendantales dans l’œuvre de G. W. Leibniz, Vrin, 1986.
Serres, Michel
Le système de Leibniz et ses modèles mathématiques, Presses
Universitaires de France, 1999.
B – Ouvrages généraux
Anscombe, G. E. M.
L’intention, Gallimard, NRF, 2002
Intention, Harvard University Press, 1963
Aristote
Poétique, Gallimard, tel, 1990
Éthique à Nicomaque, GF-Flammarion, 1992
Guénancia, Pierre
L’Identité, dans Notions de philosophie sous la direction de Denis
Kambouchne, Gallimard, Folio Essais, 1995
Heidegger, martin
Le principe de raison, paris, Gallimard, 1962.
Husserl, Edmund
Logique formelle et logique transcendantale, paris, PUF, 1957.
Locke, John
An essay concerning Human Understanding, II, xxvii, Of Identity and
Diversity dans Identité et différence, l’invention de la conscience,
Présenté, traduit et commenté par Étienne Balibar, Éditions du Seuil,
1998
Philonenko, Alexis
L’œuvre de Fichte, paris, Vrin, 1984.
Ricœur, Paul
Soi-même comme un autre, Éditions du Seuil, 1990
Tarde, Gabriel
Monadologie et Sociologie, Université du Québec, 1893
C – Œuvres de Leibniz G. W.
Essais de théodicée
Paris, GF-Flammarion, 1969.
Nouveaux essais sur l’entendement humain
Paris, GF-Flammarion, 1990.
Abréviations utilisées :
A L
Anscombe .......................... 12, 41, 70, 80, 81, 82, 91, 100 Lalande .................................................................... 21, 97
Aristote ............................................................ 40, 79, 100 Locke ............................. 4, 43, 48, 53, 56, 60, 61, 72, 100
Arnauld ........................ 18, 24, 34, 37, 73, 74, 77, 78, 101
P
B
Philonenko ............................................................... 9, 101
Baudelaire ...................................................................... 90
Q
D
Quillet ............................................................................ 17
Derrida ........................................................................... 94
Descombes..................................................................... 79
R
Fichant ................................................. 1, 2, 14, 64, 65, 99 Ricúur ........................................ 7, 10, 27, 41, 69, 71, 101
Foucault ........................................................................... 2 Robinet ............................................................. 21, 34, 100
Russel ............................................................................... 8
G
S
Guénancia .......................................................... 9, 71, 100
H
W
Husserl ......................................................................... 100
Wittgenstein ................................................................... 84