Rimbaud
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AVANT-PROPOS
mars 2004. adpf ministère des A{aires étrangères •
adpf – association pour la di{usion de la pensée française •
6, rue Ferrus 75014. Paris
une autre…
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©
et un après Rimbaud.
culturels à l’étranger.
Yves Mabin
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7
« CE PASSANT CONSIDÉRABLE »
Pierre Brunel
texte liminaire de Stéphane Mallarmé
cahier iconographique
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37 « VIES »
Pierre Brunel
texte liminaire d’Alain Jouffroy
61 « L’ŒUVRE DÉVORANTE »
Matthieu Letourneux
texte liminaire de Salah Stétié
139
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Rimbaud toujours et partout
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Les références (*), notées en marge du texte,
renvoient aux pages des Œuvres complètes,
édition de Pierre Brunel, Lgf, Le Livre de poche,
coll. « La Pochothèque », 1999.
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Pierre Brunel
Né en 1939,
adpf association pour la diffusion de la pensée française •
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Matthieu Letourneux Paule-Élise Boudou
après avoir soutenu à Paris iv une thèse entre la photographie et le poème en prose
réunissant des romans respectivement et une étude sur « Sophie Calle ou le labyrinthe
de Gustave Aimard et d’Emilio Salgari ; des disparitions », dans Les Écrits de l’image,
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« Estimez son plus magique effet produit
*
Stéphane Mallarmé,
2 Paul Verlaine, cinquième poème de « Birds in the Night », dans Romances sans
paroles, recueil rassemblant des pièces écrites entre le début de 1872 et le
4 avril 1873 (« Beams »), publié en 1874, après l’emprisonnement de l’auteur,
par les soins de son ami Edmond Lepelletier, qui obtint de lui qu’il biffât
la dédicace à Rimbaud. Éd. cit. : Œuvres complètes de Verlaine, op. cit., t. i,
p. 270-271. Voir aussi Romances sans paroles, suivi de Cellulairement, éd.
critique d’Olivier Bivort, Lgf, Le Livre de poche, 2002, p. 113.
3 C’est sous ce nom ridicule que Mathilde a signé son livre Mémoires de ma vie,
Flammarion, 1935. On y lit ceci, p. 204, dans un passage où elle crache sa
haine pour Rimbaud et l’oppose à un autre compagnon de Verlaine, le dessi-
nateur Jean-Louis Forain, dit « Gavroche », qui partagera avec Arthur une
chambre rue Campagne-Première, dans le quartier de Montparnasse, au
début de 1872 :
« Un jour, Verlaine rentrant me tint ce singulier discours : – Quand je vais avec la petite chatte bru-
ne je suis bon, parce que la petite chatte brune est très douce ; quand je vais avec la petite chatte
blonde, je suis mauvais, parce que la petite chatte blonde est féroce. J’ai su que la petite chatte
brune, c’était Forain, et la petite chatte blonde, Rimbaud. »
465
le grenier * ou dans la chambrée (d’où son peu de sympathie pour le ser-
517
518 vice militaire *). Dans la chambre du « Jeune ménage » (poème daté du 27
juin 1872), il redoute « la fée africaine qui fournit […] les résilles dans les
354
coins »*. De la « salle » où logent les « Vagabonds », il cherche à s’évader en
476
477
« gagn[ant] la fenêtre » et en imaginant un tout autre décor *.
Il représentera dans « Génie », le poème qui est le plus souvent placé
par les éditeurs à la fin des Illuminations, un être essentiellement
505
506
mobile, insaisissable, la figure du « dégagement rêvé »*.Yves Bonnefoy, qui
le considère comme « un des plus beaux poèmes de notre langue », dans
son Rimbaud de 1961, y assiste avec nous, comme l’a voulu l’auteur, au
« passage rapide, au moment où il se laisse entrevoir, où il peut
s’effacer, où il existe vraiment, [d’]un être qui ne connaît plus de limites,
plus de lieu, plus d’infirmité temporelle » 4. Et Philippe Sollers, qui salue,
dans ses propres Illuminations de 2003, « le jour G », celui de « Génie », est
attentif à ce qui est désigné dans le texte comme « terrible célérité » : nous
sommes, commente-t-il, dans « un mouvement ultra-rapide, celui de la
perfection des formes » 5. On ne peut oublier non plus « Ô saisons, ô châ-
teaux », l’admirable poème qui a parfois été intitulé « Bonheur », mais ne
porte pas de titre, le dernier cité par Rimbaud lui-même à la fin d’« Alchi-
434
mie du verbe »*, ce bilan d’une aventure poétique qu’il a placé dans
Une saison en enfer, donc après la rupture avec Verlaine. Il y chante, sur
10 le mode d’un apparent lamento auquel on ne peut tout à fait croire,
« l’heure de [l]a fuite » – fuite du bonheur, fuite de la vie sans doute, mais
aussi fuite d’un être toujours mouvant comme lui. Et on comprend
qu’Alain Borer en ait fait en 1991 le sous-titre d’un de ses livres sur
Rimbaud 6.
1991 était l’année du centenaire de la mort du poète, de ce qui est
appelé dans cette manière de chanson néante « l’heure du trépas », asso-
ciée à « l’heure de [l]a fuite ». 2004 nous offre au contraire l’occasion, plus
35
Pierre Brunel
« VIES »
38
En passant par Alexandrie
42
L’enfant de Charleville
45
La vie de bohème
47
Vie et villes
49
La vie littéraire
51
Une existence de damné
52
« L’homme aux semelles de vent »
53
Rimbaud l’Africain
55
Vies réelles, vies imaginaires
*
Alain Jouffroy, Rimbaud nouveau, Éd. du Rocher, 2002.
En passant par Alexandrie
D’Alexandrie, en décembre 1878, un homme signant « A. Rimbaud » écrivait
aux siens pour les informer qu’il était arrivé en Égypte, après une traversée
d’une dizaine de jours. Il ne dit rien de ce qui avait frappé l’écrivain
américain Herman Melville, passant par là trente-deux ans plus tôt :
« La mer est la composante essentielle. Catacombes au bord de l’eau. […]
Soupirs des vagues. Cris des veilleurs la nuit. Lanternes. Assassins.
Insolations. » 1 Il ne s’intéresse plus à la littérature, ni celle des autres
ni la sienne. Il est un chômeur, un errant à la recherche d’un emploi.
Par chance, il a rencontré un ingénieur français qui lui a indiqué
quelques pistes. Ingénieur… Il rêvera plus tard de cette profession pour
ce fils qu’il n’aura jamais : puisse-t-il devenir « un ingénieur renommé,
603
un homme puissant et riche par la science »* (lettre du 6 mai 1883)
– ce que sera Besme, le personnage de Paul Claudel dans son deuxième
drame, La Ville, publié en 1893.
À cette date de 1893, Claudel, qui va rejoindre son premier poste
consulaire à New York, est un admirateur fervent de l’œuvre de Rimbaud,
sans que celui-ci l’ait su, sans qu’il ait même soupçonné que quelque
part il était lu, sinon par sa famille quand de temps en temps il envoyait
une lettre. En 1883, et même en 1878, il aurait été fort étonné d’entendre
dire qu’il était considéré comme un écrivain. Avait-il jamais envisagé
sérieusement une telle profession ?
Certes, au mois de mai 1873, revenu pour quelque temps dans
ses Ardennes natales, et isolé dans la ferme maternelle de Roche, il avait
révélé dans une lettre adressée à Ernest Delahaye, un ancien condisciple
du collège municipal de Charleville devenu son plus fidèle camarade,
qu’il écrivait « de petites histoires en prose » et qu’il voulait en faire
un ouvrage, intitulé « Livre païen, ou Livre nègre ». Il ajoutait même :
382
383
« Mon sort dépend de ce livre. »* Le livre avait paru à Bruxelles, au mois
d’octobre 1873, sous un autre titre, Une saison en enfer. C’était une simple
plaquette d’une soixantaine de pages, vendue 1 franc. On voyait bien
sur la couverture le nom d’Arthur Rimbaud. Il en était donc l’auteur.
38 Était-il un écrivain pour autant ? On y lisait :
Rien de plus clair, rien de plus radical que ce refus généralisé. Alors qu’il
entre dans sa vingtième année, il rejette toute condition, qu’elle soit
celle du patron ou celle de l’employé. Un terme méprisant englobe
tout cela : le mot « paysan », que, dans un moment de dépit, il retourne
441
contre lui-même à la fin du livre*. Au sens large, cela signifie : « tous
les métiers » ; au sens étroit : le travail de la glèbe, dont il ne veut pas,
ou dont il ne veut plus. L’une de ses jeunes sœurs,Vitalie, notait
dans son journal d’adolescente, en essayant de garder la trace du mois
de juillet 1873 passé en famille à Roche, ce « petit village situé dans un fond
entouré et ombragé par de grands et gros arbres » :
« Mon frère Arthur ne partageait point nos travaux agricoles ; la plume
trouvait auprès de lui une occupation assez sérieuse pour qu’elle ne lui
permît pas de se mêler de travaux manuels. »2
Mais la plume suppose aussi un travail manuel et, dans ce livre même
qu’il est en train d’écrire, en s’enfermant, volontairement cette fois,
dans la maison, pour échapper moins à la canicule des champs
qu’aux paysans. Il tient la plume pour affirmer qu’il ne veut pas plus
de cette main-là que de l’autre. Écrire, « je ne pense plus à ça », dira-t-il
à Delahaye lors d’un de ses retours, en 1879 ; et plus tard encore,
à quelqu’un qui l’interrogeait sur ce qu’il avait écrit, il lançait en ricanant :
« Ce n’était que des rinçures ! »
On ne saurait l’oublier quand on se trouve en Égypte, au pays
des scribes. La main à plume, c’est aussi celle des bureaucrates, de Bartleby,
secrétaire d’un avoué dans le récit de Herman Melville qui porte son nom.
Tant d’écrivains ont craint de lui ressembler ! Et de fait, en ce siècle
à mains, combien parmi eux ont rongé leur frein dans un ministère
(et c’était encore le meilleur des cas…) ! Maupassant attendant l’échappée
du dimanche au bord de la Seine, Huysmans couvrant de sa large
écriture le papier à en-tête devenu celui du manuscrit de ses romans…
Or curieusement, à Alexandrie, en ce mois de décembre 1878, ce qui est
proposé à ce Français de vingt-quatre ans, c’est la main à charrue
ou une main à plume :
« Je vais avoir un emploi prochainement ; et je travaille déjà assez 39
pour vivre, petitement il est vrai. Ou bien je serai occupé dans une
grande exploitation agricole à quelque dix lieues d’ici (j’y suis déjà allé,
mais il n’y aurait rien avant quelques semaines) ; – ou bien j’entrerai
prochainement dans les douanes anglo-égyptiennes, avec bon traitement. »
Or une troisième solution l’emporte : partir « pour Chypre, l’île
547
anglaise 3, comme interprète d’un corps de travailleurs »*. Les « travailleurs »,
alors, ce sont les autres. Lui, il ne devrait être ni maître ni esclave :
un interprète, un intermédiaire entre deux corps.
Rimbaud a appris l’anglais à Londres, où il a résidé de septembre 1872
à juillet 1873 avec Verlaine et une partie de l’année 1874 en compagnie
de Germain Nouveau. Ses listes de mots témoignent de son effort.
L’allemand avait été sa langue vivante pendant ses études secondaires,
et il avait acquis une meilleure pratique en passant quelques mois
à Stuttgart, au début de 1875. De Brême, le 14 mai 1897, il n’avait pas
hésité à écrire, dans une lettre de candidature adressée au consul
des États-Unis, qu’il parlait et écrivait l’anglais, l’allemand, le français, l’italien
543
et l’espagnol*. C’était beaucoup dire, et pour les deux dernières,
il ne disposait que d’une pincée d’expressions toutes faites. Il n’était jamais
allé en Espagne, et il n’avait fait que passer, trois fois il est vrai, en Italie :
le 7 mai 1875, il était « à Milan, en attendant argent pour Espagne »,
comme l’écrivait Nouveau à Verlaine 4 ; en septembre 1877, venant de
Marseille, il avait été débarqué à Civitovecchia pour cause de fièvre
gastrique, alors qu’il cherchait déjà à se rendre à Alexandrie ;
en octobre 1878, il avait franchi le col du Saint-Gothard, gagné Milan par
la route, puis Gênes par le train avant de s’embarquer, le 19 novembre,
à destination d’Alexandrie. L’apprentissage des langues, de l’arabe
et même d’autres langues africaines, ne cessera d’ailleurs pas de l’occuper,
avec toujours le souci d’adaptation au lieu et au travail du moment.
À Chypre, il va être surveillant des travailleurs plus qu’interprète.
« Moi je suis surveillant d’une carrière au désert, au bord de la mer », écrit-il
dans une nouvelle lettre aux siens, le 15 janvier 1879, un peu plus de deux
mois après son départ d’Alexandrie et son arrivée à Larnaca. Là où il se
trouve, on emploie une soixantaine de manœuvres par jour. Les deux tiers
sont chypriotes et viennent des villages voisins. Le reste est constitué
d’Européens divers qui, comme lui, campent sur place. Il faut parler,
ou du moins baragouiner avec eux 5 : l’apprenti polyglotte fait des efforts
pour cela. Mais il faut aussi les encadrer, et c’est plus difficile pour lui,
qui n’a guère le sens de l’autorité, sauf quand il la subit. « Moi je les dirige »,
40 écrit-il ; « je pointe les journées, dispose du matériel, je fais les rapports
à la compagnie, tiens le compte de la nourriture et de tous les frais ;
549
et je fais la paie »*. Il est donc secrétaire, comptable. La main à plume,
décidément, est requise ; l’autre échappe à la charrue, et tout aussi bien
à la pioche. Mais elle doit manier le feu : « Je suis toujours chef de chantier
aux carrières de la compagnie et je charge et fais sauter et tailler
la pierre » (lettre du 24 avril). Il a même dû demander des armes à feu,
4 Arthur Rimbaud, Œuvres complètes, éd. d’Antoine Adam, Paris, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1972. Préface, p. xlix.
5 « Obligé de parler leurs baragouins », écrit-il au sujet des indigènes
d’Abyssinie dans sa lettre aux siens du 4 août 1888* (701).
6 C’est le point de départ et le fil conducteur du livre de Dominique de Villepin,
Éloge des voleurs de feu, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 2003.
7 Publiée par Jean Vœllmy aux éditions Gallimard en 1965,
rééditée en 1995 (collection « L’imaginaire »), elle n’a pu être reprise que
dans l’édition de la Pléiade des Œuvres complètes.
550
parce qu’il a eu des querelles avec les ouvriers*. N’avait-il pas affirmé,
naguère, que « le poète est vraiment voleur de feu » 6, comme Prométhée
246
(lettre du 15 mai 1871)* ?
La vie de celui que Verlaine, son ancien compagnon, a appelé « l’homme
aux semelles de vent » ne va pas sans recommencements, ni parfois même
sans stagnation. Il y aura par exemple, en 1885-1886, une longue attente
de dix mois à Tadjourah, sur la côte de la mer Rouge, avec des milliers de
vieux fusils et deux caravanes en quarantaine. À Chypre déjà, les semelles
de vent tendent à s’alourdir et à devenir semelles de plomb. Mal à l’aise
entre ces ouvriers agités et les dirigeants de l’entreprise française Ernest
Jean et Thial fils qui les emploie, malade de surcroît (la fièvre typhoïde,
sans doute), Rimbaud doit quitter l’île le 27 mai 1879. Il rentre en France
et passe l’été dans les Ardennes, collaborant cette fois aux travaux
de la ferme de Roche. Mal remis de sa maladie, il se trouve contraint
d’y demeurer pendant toute la durée de l’hiver. Mais au printemps de 1880,
il est de nouveau à Alexandrie.
L’Égypte, toujours l’Égypte, et il ne trouve rien à y faire. Donc il lui faut
repartir pour Chypre. Les anciens patrons sont en faillite. Pourtant
il va être de nouveau surveillant, cette fois « surveillant au palais que l’on
bâtit pour le gouverneur général, au sommet du Troodos, la plus haute
551
montagne de Chypre »* (lettre aux siens du 23 mai 1880).
Le voici donc « au service de l’administration anglaise », et la connaissance
de la langue lui sert. Il est, précise-t-il, « seul surveillant », mais proche de
l’ingénieur, avec qui il est logé « dans une des baraques en bois qui forment
le camp ». Pourquoi ne chercherait-il pas à s’élever jusqu’à une telle
fonction, bien qu’il n’ait jamais passé le baccalauréat ? Déjà il fait commander
par sa famille l’Album des sciences forestières et agricoles (en anglais)
à un certain M. Arbey, « constructeur-mécanicien », Le Livre de poche
du charpentier, dû à Merly, et bien d’autres ouvrages techniques par la suite,
560
dont le Catalogue complet de la Librairie de l’École centrale*, l’établissement
qui forme les ingénieurs. Le dernier ingénieur qu’il fréquentera sera,
entre 1888 et 1891, le Suisse Alfred Ilg, embauché comme le conseiller
de Ménélik ii, le roi du Choa devenu empereur d’Abyssinie, et il engagera 41
avec lui une correspondance nourrie7.
« Je suis un inventeur bien autrement méritant que tous ceux qui m’ont
précédé », avait-il écrit dans une de ses Illuminations qui était aussi
465
une de ses « Vies »*. C’était sans doute à l’invention poétique qu’il pensait
alors. Mais, plutôt que de rester surveillant, en 1880 il se verrait volontiers
inventeur au sens propre du mot ingénieur ; et il le sera encore d’une autre
manière quand il se fera explorateur en Afrique, à la recherche
de nouveaux espaces, de nouvelles richesses aussi, toujours prêt sinon
à travailler, du moins à « trafiquer dans l’inconnu »* (lettre aux siens
570
datée de Harar, 4 mai 1881).
L’enfant de Charleville
Un document retient encore l’attention, dans l’unique lettre d’Alexandrie.
Rimbaud y demande à sa mère, pour une fois appelée « maman », de
recopier et de signer l’attestation qu’il lui dicte et qui devra être légalisée
(il veut dire : authentifiée) par la mairie :
La vie de bohème
« Tenez : je suis un piéton, rien de plus », écrivait Rimbaud à Paul Demeny
le 28 août 1871, après la défaite de la Commune et alors qu’il espérait
reprendre la route de Paris. Henri Droguet a placé cette phrase
en épigraphe à son recueil La Main au feu (Gallimard, 2001). Et Michel
Butor, ouvrant sur une nouvelle série « Enfance » de son cru la série
des « Hallucinations simples » dans Avant-goût ii (Ubacs, 1987), écrivait :
« Le fantôme de l’enfant marcheur l’accompagne caché dans son ombre
en sifflant des airs de la Commune ou en lui rabâchant quelques-uns de
ses vers nouveaux et chansons qu’il n’arrive plus à retrouver exactement ;
il ne sait même plus si c’est cela ou non, essaie d’autres variantes, choisit,
puis se souvient que la veille il avait choisi autrement, et il s’efforce
encore une fois de tourner la page, de claquer le volet, faire le vide. »
Dans « Enfance » iv, Rimbaud a fait du piéton l’une de ses identités :
« Ah ! cette vie de mon enfance, la grande route par tous les temps,
46 sobre surnaturellement, plus désintéressé que le meilleur
des mendiants, fier de n’avoir ni pays, ni amis, quelle sottise c’était.
435
– Et je m’en aperçois seulement ! » (« L’Impossible. »*)
Vie et villes
Malgré son nom, Charleville n’est pas vraiment une ville, pour Rimbaud.
Il ne l’appréhende comme telle que lorsqu’il s’estime reclus à Roche,
réduit à « la contemplostate [la contemplation] de la Nature », comme ce
fut le cas en mai 1873 : alors il avoue « regrett[er] cet atroce Charlestown,
382
l’Univers [le café, place de la Gare], la Bibliothè. [bibliothèque] »*.
183
Après avoir espéré « des bohémienneries »*, comme il l’écrivait à Izambard
le 25 août 1870, il prend, quatre jours plus tard, le train pour Paris.
Un an après, le 28 août 1871, il se voit, dans la lettre qu’il adresse à Demeny,
« [arrivant] dans la ville immense sans aucune ressource matérielle ».
À défaut de voyance, il a cette vision de son avenir : « Je suis à Paris :
268
il me faut une économie positive ! »*
Sa prédilection en effet va aux grandes villes : après Paris où, grâce
à Verlaine, il a réussi tant bien que mal à vivre quelques mois (de septembre
1871 à juin 1872, avec un retour obligé à Charleville, entre le 2 mars 47
et le 4 mai), il découvre avec son compagnon Bruxelles (juillet-août 1872),
qui lui inspire deux poèmes urbains, puis Londres, où les deux vagabonds
arrivent le 8 septembre 1872 au soir et où ils vont vivre jusqu’au début
juillet 1873 (avec, pour Rimbaud, deux retours en France décembre 1872,
avril-mai 1873). Plus tard, il connaîtra Stuttgart, Milan, Le Caire…
Mais Londres est plus que tout la « cité énorme » évoquée dans « Adieu »
d’Une saison en enfer, la ville effrayante « au ciel taché de feu et de boue »
qui, dans l’imaginaire rimbaldien, va tendre à devenir une ville d’apocalypse
291
292
(cette « cité douloureuse » de « Paris se repeuple »*, poème de 1871)
plus encore que le Paris du temps du siège et de la Commune.
On peut chercher à suivre à la trace celui que Michel Butor a appelé
« l’enfant marcheur » 8, et il y aurait à écrire à son sujet ce que le même
auteur a appelé « le livre des rues ». Des textes, des images peuvent
y aider « le touriste naïf » dont se moque un peu l’une des Illuminations
500
(« Soir historique »*) : l’hôtel de Cluny, au coin de la rue Victor-Cousin
et de la place de la Sorbonne, où, au mois de juin 1872, il a logé dans une
356
toute petite chambre* – l’hôtel existe toujours et, en 2004, une plaque
commémorative y sera apposée ; la maison de Mrs. Smith, Camden Town,
à Londres, que Jean-Jacques Lefrère désigne comme le « garni de Great
College Street »9, le dernier logis que Verlaine et Rimbaud ont partagé
à Londres et devant lequel ils se sont disputés le jeudi 3 juillet 1873.
Mais la capitale britannique concentre ce que la grande ville présente
pour Rimbaud de plus inquiétant, de plus monstrueux, à commencer
par ses ponts, que Verlaine a décrits comme « véritablement babyloniens »
dans une lettre à Lepelletier écrite peu après leur arrivée et dont Rimbaud
a transposé le « bizarre dessin » dans une des Illuminations, intitulée
472
précisément « Les Ponts »*. « Ville », tout uniforme, « Villes », assemblage
de contraires ou d’architectures géantes, dans ce même ensemble
de poèmes en prose, gardent quelque chose de la ville de Londres
sans se confondre avec elle. Et avant de la connaître, Rimbaud était hanté
301
par la « ville sans fin » des Déserts de l’amour *.
Est-ce encore une ville qu’Aden, où il arrive en août 1880, après avoir
cherché du travail dans tous les ports de la mer Rouge et où il va être
554
employé chez un marchand de café* ? Ou est-ce encore, comme Roche,
« un triste trou » ? Rimbaud, dans les lettres qu’il adresse à sa famille,
en parle bien comme d’une ville, mais il la réduit, dans la description
qu’il en fait, à « un roc affreux, sans un seul brin d’herbe ni une goutte
555
d’eau bonne »*. Il s’y sent immédiatement « prisonnier » et aspire à aller
48 au Harar, sur le plateau d’Abyssinie, à vingt jours de caravane à travers
le désert après avoir traversé la mer Rouge. Le Harar est un pays,
mais Harar est aussi une ville, et Rimbaud la présente comme étant
« colonisée par les Égyptiens et dépendant de leur gouvernement »
quand il y arrive, en décembre 1880, pour travailler dans la succursale
de la maison mère d’Aden – et avant tout, de Lyon. Alain Borer,
dans son Rimbaud en Abyssinie, a montré combien Harar était une ville
8 Michel Butor, « Enfance », la première des « Halllucinations simples »
dans Avant-goût ii, Rennes, Ubacs, 1987, p. 9.
9 Dans sa biographie de Rimbaud, p. 586.
La vie littéraire
Zanzibar n’est même plus, pour Rimbaud, un rêve poétique, comme
il le sera pour Apollinaire. Ce nom est pour lui, en 1887, celui d’un lieu
« où il y a des emplois » et où, comme à Madagascar, « l’on peut épargner
671
de l’argent »*. Pourtant pendant les années de ce qu’il est convenu
d’appeler sa « vie littéraire », la grande ville était considérée par lui comme
un lieu d’épanouissement pour la poésie. Les « sentiers » ne suffisaient plus,
il lui fallait la « rue », où Baudelaire voyait passer une inconnue et
où « le grand soleil met un rubis » dans les mains de Jeanne-Marie
277
la communarde*. Dès le 24 mai 1870, quand il aspire à rejoindre
les Parnassiens, Rimbaud fait part à Banville de son espérance :
133
« Dans deux ans, dans un an peut-être, je serai à Paris. »* En août 1871,
il s’y imagine chargé d’ « occupations peu absorbantes » qui ne seront que
des « balançoires matérielles ». Il doit se réserver pour écrire, « parce que
268
la pensée réclame de larges tranches de temps »*.
Si la vie semi-campagnarde avait été propice à des « Promenades »
poétiques d’un nouveau genre, la capitale doit offrir un environnement,
une stimulation, des moyens, un public indispensables, Rimbaud le sait,
à la création littéraire.Verlaine lui ouvre tout cela, et pas seulement
la maison de ses beaux-parents à Montmartre, quand il accueille l’arrivant
de Charleville en septembre 1871. Il lui fait rencontrer des hommes
de lettres, dont Banville, qui, dans sa bonté, le logera même quelque temps 49
dans l’immeuble où il vit, rue de Buci. Il l’introduit dans des groupes
artistiques et littéraires proches du Parnasse, comme celui des «Vilains
Bonshommes » où Mallarmé le voit le 2 décembre 1871 et d’où il est exclu
à la suite d’un éclat le 2 mars 1872. Grâce à Verlaine encore, Rimbaud
a connu Charles Cros, qui, lui aussi, n’a pu supporter son attitude
provocatrice quand il l’a logé chez lui, rue Séguier, mais qui accepte
qu’il soit accueilli dans ce « Club zutique » qu’il a fondé avec ses deux frères
et avec des amis. Il faudrait y ajouter des artistes, tels le photographe
Carjat (celui qu’il agressa lors d’un dîner des Vilains Bonshommes,
mais qui a laissé deux très belles photographies de lui), le musicien Cabaner,
mêlé à l’invention des « Voyelles » coloriées, ou encore le dessinateur
Jean-Louis Forain, qui fut même quelque temps son colocataire
avec la complicité de Verlaine.
À Londres, il a fréquenté la bibliothèque du British Museum,
et il a fait, grâce à son compagnon, la connaissance d’un autre dessinateur,
Félix Régamey ; il y a aussi côtoyé des journalistes, des intellectuels,
qui étaient souvent d’anciens communards. En revanche la rencontre
avec Hugo n’est qu’une invention depuis longtemps dénoncée.
Rimbaud n’avait pas besoin d’être perçu par le Mage comme « Shakespeare
enfant » pour devenir le poète génial qu’il savait être et en qui un jour
il a cessé de croire. Il est même remarquable que, malgré ces rencontres
occasionnelles, et même dans le voisinage de Verlaine, il ait écrit de
manière indépendante, tantôt sur le mode impertinent (dans « Ce qu’on
dit au poète à propos de fleurs », il nargue Banville), tantôt sur le mode
506
de ce qu’il appelle lui-même « le dégagement rêvé »*. « Fondre où fond
ce nuage sans guide » : ce vœu, exprimé dans la conclusion de « Comédie
335
de la Soif »* en mai 1872, est une variante du départ du « bateau ivre »
libéré de ses haleurs. Il est significatif aussi de la volonté d’un don de soi
qui offrirait la chance de devenir ou de redevenir « étincelle d’or
432
de la lumière nature »*.
Un tel retour à la nature ne se confond pas avec la piteuse
« contemplostate » dénoncée dans la lettre à Delahaye de mai 1873,
et pas davantage avec Les Contemplations, de Victor Hugo. C’est un retour
à l’élémentaire, à l’or premier, à la lumière de celui qui, à certains
moments, s’est cru « fils du Soleil » et a voulu « écrire sur des feuilles d’or ».
La traversée des déserts africains peut apparaître comme en totale
rupture avec la vie littéraire à Paris, à Londres et même, déjà, à Charleville.
Et pourtant, d’une certaine manière, elle est dans la logique de la quête
50 de ce qu’on peut appeler, au sens le plus général du terme, « illumination ».
Et d’ailleurs, après avoir renoncé à la vie littéraire, ce que Rimbaud
dira encore le mieux dans ses lettres d’Afrique, c’est l’aridité du désert
et l’élémentaire pur.
Une existence de damné
Cela ne l’empêche pas de parler du Harar comme d’un « satané pays »
708
dans sa lettre aux siens du 18 mai 1889*. L’ancienne « saison en enfer »
a son prolongement ou son correspondant dans cette vie qu’il est venu
chercher au cœur, ou au creux, de ces régions voisines de la mer Rouge.
Dans un cas comme dans l’autre, le feu s’acharne sur sa proie.
En 1873, c’était la chaleur de l’été, la souffrance après les coups de feu
du 10 juillet à Bruxelles ; et la venue attendue de l’automne, dans « Adieu »,
correspondait avec la fin de la saison en enfer. En 1891, Rimbaud considérera
le climat du Harar comme le premier responsable de ses maux physiques,
qui dès lors ne vont cesser de s’aggraver en le torturant de plus en plus.
Mais cette chaleur, dont il se plaint à Aden et encore sur le plateau abyssin,
ne l’a-t-il pas passionnément recherchée, en estimant qu’il ne pouvait
vivre dans les Ardennes ? Bien plus, n’a-t-il pas voulu naguère « [s’offrir]
430
au soleil, dieu de feu »* ? « Alchimie du verbe », au cœur d’Une saison
en enfer, et « L’Éternité » (sans son titre il est vrai), au cœur même
de cette « Alchimie du verbe », rayonnent de l’éclat de « la mer mêlée
432
433
/ Au soleil »*. Mais le poète déjà a le sentiment de s’être brûlé à ce feu-là.
La vie de damné, en 1873, elle est tout cela : l’existence décevante
433
avec Verlaine, maintenant rejetée en même temps que le « porc »*,
476
ou le « pitoyable frère » de « Vagabonds »* dans les Illuminations ; mais aussi
l’ambition de devenir un poète solaire, qui s’est brûlé les ailes, comme Icare.
Il se représente, de manière dérisoire, comme « le moucheron enivré
à la pissotière de l’auberge, amoureux de la bourrache [une plante
431
sudorifique], et que dissout un rayon ! »*. La même image apparaissait
344
dans « Bannières de mai »*, en mai 1872. Et il faut bien comprendre que
si certains des poèmes du printemps et de l’été 1872 sont repris
dans ce récit d’une aventure poétique qu’est « Alchimie du verbe »,
ce n’est pas dans une intention d’apologie, mais pour dénoncer en eux
les signes d’une erreur. Ils devraient donc être dévalués, « L’Éternité »
n’étant plus alors qu’« une expression bouffonne et égarée au possible ».
Or l’inverse se produit : le lecteur et ces lecteurs supérieurs que sont
les poètes d’aujourd’hui placent ces poèmes du damné au sommet 51
de son œuvre, et considèrent même parfois que les versions insérées
dans « Alchimie du verbe » en sont les plus abouties. Il est légitime
de se demander si celui qui écrit le récit démythificateur ne reste pas
lui-même fasciné par leur éclat.
Il est d’autres damnés, ceux que le Martiniquais Frantz Fanon (1925-1961)
présentera dans son livre publié l’année de sa mort comme « les damnés
de la terre » : Les « nègres » de « Mauvais sang », les vrais, ceux du côté
417
418
desquels le Rimbaud d’Une saison en enfer se plaçait contre les Blancs* ;
les indigènes du Harar qui, écrit Rimbaud le 25 février 1890, « ne sont
ni plus bêtes, ni plus canailles que les nègres blancs des pays dits civilisés »,
qui « sont même moins méchants, et peuvent, dans certains cas,
manifester de la reconnaissance et de la fidélité » (il pense à Djami Wadaï,
son serviteur durant les sept dernières années de sa vie). Ils sont,
comme lui, des victimes de l’enfer sur terre, et plus particulièrement
dans ces pays-là qui, depuis longtemps, n’ont plus rien pour lui d’un Éden.
53
Rimbaud l’Africain
« Nothing de Rimbe », constate Delahaye le 26 juin 1881, pressé
par le Loyola. La dernière fois qu’il l’a vu, c’était en 1879, entre les deux
séjours à Chypre. En 1886, alors que la revue La Vogue entreprend de
publier certaines de ses œuvres, la série des Illuminations est interrompue,
au début de juillet : on annonce que le poète est mort, et Verlaine
lui-même n’est pas loin de le croire. il est mort au monde, en effet,
du moins à un certain monde, ce monde des gens de lettres où il a un peu
pénétré et pour lequel il n’a que mépris.
Au même moment pourtant, il piétine à Tadjourah, faisant preuve
646
d’une « patience surhumaine »* dont il ne se serait pas cru capable.
Tout est retardé, sa caravane et les vieux fusils qu’il veut revendre à Ménélik,
son départ pour le Choa, les livres qu’il attend, en particulier un dictionnaire
de langue amharique dont il a besoin. Il imagine comme un petit paradis
le pays où l’on entre une fois passée la rivière Hawache, mais il faudrait
pouvoir s’envoler jusqu’à ces trois mille mètres au-dessus de la mer, où
« le climat est excellent, la vie est absolument pour rien, tous les produits
de l’Europe poussent [l’expression est pour le moins curieuse !], [et où]
644
on est bien vu de la population »*. Mais il faudra attendre près d’un an,
et une fois parvenu au Choa, ce sera le temps de la désillusion.Tandis qu’il
fait cinquante-cinq degrés centigrades à l’ombre, le fils du Soleil n’est plus
que l’exécuteur même pas testamentaire des hommes d’affaires défunts
Soleillet et Labatut, l’accompagnateur de deux caravanes vite bradées.
Le 30 juillet 1887, il explique dans une longue lettre au consul de France
à Aden comment il a été amené à quitter cet Éden qui s’est révélé un Enfer.
Les démons étaient « la bande des prétendus créanciers de Labatut,
auxquels le roi donnait toujours raison ». Les Furies étaient représentées
par « la famille abyssine » de son associé disparu, « réclam[ant] avec
acharnement sa succession et refus[ant] de reconnaître sa procuration ».
À Harar, où était différé auprès du gouverneur Makonnen, un parent
de Ménélik, le paiement de l’argent qui lui était dû, Rimbaud a dû faire
face à des « frais et difficultés considérables », et toujours aux poursuites
de créanciers venus jusque-là. « Je voudrais bien en finir avec tous
ces satanés pays », écrit-il d’Aden à sa famille, le 8 octobre 1887.
Mais il est bien obligé de se l’avouer et de l’ajouter dans sa lettre :
676
« Ce serait m’enterrer que de revenir. »*
L’ambiguïté de la situation de Rimbaud l’Africain est là. Il a cru trouver
un continent à la mesure de son grand appétit d’espace. Or, où qu’il aille,
54 il se sent pris. Arrivé au Caire, après l’échec de ses caravanes, il écrit
à son employeur, Alfred Bardey, qu’il n’y restera pas : « Je ne puis plus rester
675
ici parce que je suis habitué à la vie libre.»* On retrouve ainsi,
sous sa plume désormais simplement informative (ce que Mallarmé
appellera plaisamment « le plumage instrumental » dans un de ses poèmes),
une expression qui consonne étrangement à ce qu’il écrivait, adolescent,
à Georges Izambard, au retour de Douai, le 2 novembre 1870 :
« Je meurs, je me décompose dans la platitude, dans la mauvaiseté,
dans la grisaille. Que voulez-vous, je m’entête affreusement à adorer
223
la liberté libre, et… un tas de choses que “ça fait pitié ”, n’est-ce pas ?»*
La vie de saint, ou plutôt sa vie en saint est toujours pour lui créatrice
d’espace (« Enfance » iv : « Je suis le saint, en prière sur la terrasse,
– comme les bêtes pacifiques paissent jusqu’à la mer de Palestine »).
Mais cet espace est caractérisé comme étant celui où les brahmanes
expliquaient et expliquent toujours les Proverbes, non pas le Livre
des Proverbes dans la Bible, mais les sutras védiques. Le passé se prolonge
dans un présent qui en conserve la trace vivace. Le déplacement se fait
de là-bas vers ici, comme celui de la Migration (« Die Wanderung »)
dans la poésie de Friedrich Hölderlin. La mémoire va chercher dans
l’immémorial et en ramène des moments lumineux (« les heures
d’argent et de soleil »), des figures (« les vieilles »), une présence aimée
où, comme dans ce poème de 1870, « Sensation », toute féminité se fond
dans la nature, la « compagne » dans la « campagne ».
« Vies » ii fait maintenant le portrait du poète en « gentilhomme
d’une campagne aigre au ciel sobre », celle de Roche cette fois, et
de la ferme maternelle grandie en un manoir. Le souvenir rapporte
des moments de la vie d’un fils du Nord, correspondant à des épisodes
réels, ou transformés, ou imaginaires, de son enfance et de son adolescence :
« l’enfance mendiante », « l’apprentissage » ou « l’arrivée en sabots »,
« des polémiques », « cinq ou six veuvages » (entendons sans doute :
ruptures avec celles qui sont appelées ailleurs « Mes Petites amoureuses »,
Nina et les autres), « quelques noces » (des fêtes fortement arrosées).
Humain, trop humain, tout cela ? Non, car Rimbaud veut qu’en lui
le rire soit un héritage du fameux rire des dieux, donc une part de
ce qu’il peut y avoir de divin en lui. « Je ne regrette pas, écrit-il, ma vieille
part de gaîté divine. » Elle trouve à s’exprimer dans le scepticisme
56 (qui n’est pas nécessairement gai), dans la « parade » (c’est le titre
d’une autre des Illuminations), dont il prétend avoir seul la clef, comme
il prétend dans « Vies » ii avoir trouvé la clef de l’amour, ou quelque chose
qui en tienne lieu.
« Vies » iii évoque plus systématiquement l’apport des livres.
Tel Don Quichotte qui a vécu toutes les aventures de chevaliers errants
en lisant les Amadis de Gaule, il a connu le monde et déjà la comédie
humaine en s’enfermant dans le grenier de la maison. Il a appris l’histoire
336
dans un cellier (celui des grands-parents dans « Comédie de la soif »*).
Les publications d’Alphonse Lemerre, dans le passage Choiseul à Paris,
lui ont apporté les textes anciens chers aux Parnassiens que cet éditeur
publiait et qui parfois, comme Leconte de Lisle, les traduisait.
Ses propres livres, passés et à venir, ont pour atelier une demeure qui
est essentiellement lui-même, sa maison intérieure, son corps et son sang.
Il ne se soucie pas d’écrire des Mémoires d’outre-tombe, et ne se veut pas
porteur d’un message, de « commissions ». C’est que son œuvre
ne se confond pas avec sa vie – à l’inverse de ce que tendent à montrer
les tout derniers chapitres des Mémoires d’outre-tombe s’agissant de
Chateaubriand. Elle est le lieu de brassage de ses vies : celles qu’il multiplie
et sème comme le Petit Poucet rêveur au long de ses textes, et celle,
multiple et à beaucoup d’égards insaisissable, qu’il a vécue.
Le 9 novembre 1891, il tentait de dicter à sa sœur Isabelle, sa garde-
malade à l’hôpital de Marseille, une lettre sans doute adressée au directeur
des Messageries maritimes pour obtenir le passage sur l’un des navires
de la compagnie et aller de nouveau vers Suez. « Je suis complètement
paralysé, […] donc je désire me trouver de bonne heure à bord. »
Il était cette fois en avance d’une mort. Elle survint le lendemain,
le jour même où, à Paris, la plupart de ses poésies en vers paraissaient
sous le titre Reliquaire.
« Jeunesse » i, ii, iii, Illuminations. Manuscrit de A. R.
59
60
Matthieu Letourneux
« L’ŒUVRE DÉVORANTE »
62
La fascination par la poésie
68
Être un Parnassien
72
Devenir voyant
80
« Études néantes »
87
Le seul livre : Une saison en enfer
92
Les Illuminations comme « work in progress »
100
L’entrée dans le silence
ou le temps des « horribles travailleurs »
*
Salah Stétié, Rimbaud, le huitième dormant, Fata Morgana,
1993, p. 70-71.
Ce que Rimbaud appelle, dans les Illuminations, « la tentation d’Antoine »,
c’est-à-dire celle de saint Antoine telle que l’a recréée Flaubert, c’est
la tentation de la passivité et donc de la paresse. Or, alors qu’enfant
il rêvait de devenir rentier, qu’il lui est arrivé de savourer délicieusement
la paresse, le mot « travail » s’impose avec une ardeur et une gravité
qu’on n’attendait plus. « Allons ! feignons, fainéantons, ô pitié ! », déclare
encore le damné d’Une saison en enfer dans un moment qui devrait
438
être celui de « L’Éclair »*. Est-ce une invitation, est-ce au contraire
l’expression d’un regret ? « Je serai un travailleur », affirmait-il dans sa lettre
à Izambard du 13 mai 1871, tout en prétendant que les menaces pesant
sur l’insurrection de la Commune l’empêchaient de travailler.
« Tu te mettras à ce travail », reprend-il dans le passage des Illuminations
où il se déclare prêt à rejeter la tentation d’Antoine. Ce texte fait partie
493-
496
de la série « Jeunesse »*, un mot-titre qui pourrait couvrir toute
la production poétique de l’adolescent génial. Et c’est dans le premier
texte de cette série, après le récit d’un « Dimanche », que le devoir
de la semaine est affirmé :
Ce devoir, c’est celui du poète qui rejette derrière lui non seulement
le repos dominical, mais la piété maternelle. Sa « dévotion » est différente
(ce sera le titre d’un autre poème en prose des Illuminations).
Il entend se consacrer entièrement à son travail poétique, à son œuvre
qui le requiert depuis les années de collège, et qui le dévore au point
qu’il décidera un jour d’y renoncer.
Être un Parnassien
Le 24 mai 1870, Rimbaud envoie à Théodore de Banville une lettre
accompagnée de trois poèmes : celui qui sera par la suite appelé
« Sensation », le poème « Ophélie » et la longue pièce « Credo in unam ».
Dans cette lettre, il précise quelle est son ambition poétique : « Je serai
Parnassien. » Ce terme, il l’associe à la poésie même – et sans doute
entre-t-il de la flatterie dans cette association : « J’aime tous les poètes,
tous les bons Parnassiens, – puisque le poète est un Parnassien,
133
– épris de la beauté idéale. »* Cette « beauté idéale », c’est peut-être
celle que Rimbaud dira plus tard avoir injuriée dans le prologue
d’Une saison en enfer. C’est celle du Parnasse, et Rimbaud va s’y plonger
avant de la renier brutalement, un an plus tard, par une seconde lettre
à Théodore de Banville en forme de défi.
La première lettre à Banville est en réalité une tentative du poète pour
se faire publier sur un support plus prestigieux que La Revue pour tous.
Rimbaud avait lu les livraisons du premier Parnasse contemporain, celui de
1866, et il voulait s’agréger au groupe par cet envoi. L’appel à Paris qu’il fait
133
dans la lettre (« dans deux ans, dans un an peut-être, je serai à Paris »*)
figure le véritable départ du poète, avant les fugues et le « dérèglement
de tous les sens », même si l’absence de réponse positive de la part
de Banville ne lui permettra pas de recevoir la consécration attendue.
Il est en ce sens significatif que Rimbaud ait envoyé la lettre sans en avertir
Izambard, comme pour s’émanciper de cette première tutelle. Le départ
du professeur pour Douai le 24 juillet 1870 achèvera d’ailleurs de préparer
cette naissance du poète.
Les poèmes choisis pour figurer dans la lettre à Banville participent
68 encore de la première manière de Rimbaud : l’alexandrin reste
le vers privilégié, et le mètre est généralement régulier. Mais sa lettre
et les poèmes qu’il écrit dans les mois qui suivent témoignent d’une vraie
cohérence. Qu’annonce en effet Rimbaud dans cette lettre ? « Et voici
que je me suis mis, enfant touché par le doigt de la Muse, – pardon si c’est
banal, – à dire mes bonnes croyances, mes espérances, mes sensations,
133
toutes ces choses des poètes, – moi j’appelle cela du printemps. »*
Ce « printemps », c’est celui qui va s’exprimer dans ses poèmes de l’errance
et de la bohème, en particulier dans ceux qu’il va regrouper dans le second
cahier de ce qu’on appelle aujourd’hui le « recueil Demeny ».
Sans doute parce que Rimbaud l’avait composé dans l’espoir d’être
publié avec la médiation du poète parnassien Paul Demeny, le second
cahier possède une forte cohérence thématique. Le poème « Sensation »,
qui est également présent, sans titre, dans la lettre à Banville, est déjà
une illustration de cette poésie du printemps et figure en ce sens une sorte
de point de départ poétique. Avec ses derniers vers (« Et j’irai loin,
bien loin, comme un bohémien, / Par la Nature, – heureux comme
194
avec une femme ! »*), il annonce « Ma Bohême ». Cet autre poème associe
en effet explicitement l’imaginaire de l’errance et la geste poétique –
le geste aussi.
243
les poisons, pour n’en garder que les quintessences. »* Pour l’instant,
Rimbaud n’est qu’au début de ce dérèglement qui doit affecter toute sa vie,
mais la description qu’il en fait a valeur programmatique pour qui connaît
sa biographie. Surtout, il permet d’ores et déjà de saisir le déplacement
qui se produit dans son œuvre, vers une pratique chargée de mettre à mal
la stabilité du monde que suppose encore, dans la poésie traditionnelle,
l’usage des tropes (métaphores, métonymies et comparaisons) : si les sens
sont déréglés, le monde auquel ils permettent désormais d’accéder apparaît
d’une façon radicalement modifiée. Dès lors, l’image ne se présente plus
comme un écart par rapport à un monde qui resterait stable, elle témoigne
d’un trouble dans la représentation même du monde. Certes, pour l’instant,
le dérèglement passe encore avant tout par une esthétique du laid et
du grotesque, mais l’on voit déjà comment le glissement pourra s’opérer
vers les visions des Illuminations.
« Mes Petites amoureuses » donne immédiatement un exemple
de ce dérèglement des sens et de la vision elle-même. Le poème s’ouvre
244
sur ces deux vers : « Un hydrolat lacrymal lave / Les cieux vert-chou »*,
comme pour souligner que le dérèglement se traduit par une vision elle-
même émancipée de toute contrainte. Il ne s’agit pas seulement d’évoquer
des amours déréglées (« Je voudrais vous casser les hanches / D’avoir
245
aimé ! »*), mais de montrer que cet écart est à l’origine d’une vision
originale, celle entre autres de « cieux vert-chou », dont le poème est
le témoignage. En se faisant « l’âme monstrueuse », le poète « arrive
à l’inconnu ! Puisqu’il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu’aucun ! Il arrive
à l’inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions,
243
il les a vues ! »*. L’effacement de la subjectivité se traduit par une perte
consentie de la maîtrise. L’affolement poétique fait écho à la souffrance
évoquée dans le dérèglement.
Cette conception du poète comme voyant ouvert, au bord du gouffre,
à l’inconnu, n’est pas sans rappeler le poète-mage de Victor Hugo. Elle fait
également penser à la définition kantienne du sublime, comme « sentiment
de peine, suscité par l’insuffisance de l’imagination dans l’évaluation
esthétique de la grandeur pour l’évaluation de la raison », laquelle entraîne 75
aussi « une joie, éveillée justement par l’accord entre les Idées rationnelles
et ce jugement sur l’insuffisance de la plus puissante faculté sensible »5.
La référence, dans la lettre à Demeny, aux premiers romantiques,
247
« voyants sans trop bien s’en rendre compte »*, trace nettement la filiation.
Et si Rimbaud déplace dans l’intimité la démesure sublime de la nature,
il évoque encore cette dissipation de la raison, de l’intelligence, devant
son objet. Le dérèglement des sens est en effet un refus de la mesure,
et la terreur qu’il inspire à la subjectivité dépassée par sa propre vision est
une expérience du sublime. Les images qu’emploie Rimbaud pour décrire
cette attitude du poète renvoient d’ailleurs à une telle démesure.
Ainsi, lorsqu’il évoque le rôle joué par la femme dans cette nouvelle poésie,
il affirme qu’« elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes,
247
délicieuses ; nous les prendrons, nous les comprendrons »* ; l’association
qu’il propose entre les extrêmes (« repoussantes, délicieuses »), le lien
qu’il établit entre l’insondable et sa compréhension doivent se lire comme
une expérience d’une nouvelle forme de sublime.
Car le déplacement qu’opère Rimbaud du monde au moi est en réalité
un bouleversement radical : ce qui disparaît, c’est précisément l’univers
référentiel, le sujet. Il est remarquable que sa démonstration, en insistant
sur le voyant, tende en permanence à esquiver la description précise
de son objet. Il évoque « l’inconnu », les « visions », les « choses inouïes
et innombrables », comme si ce qui importait était de mettre en valeur
avant tout l’écart avec l’expérience quotidienne, le point à partir duquel
on quitte la représentation. Centré sur une expérience intime de l’inconnu,
le poète peut désormais se concentrer sur l’œuvre comme source seule
de la vision. Logiquement, le poète recouvre tout, jusqu’au cosmos
lui-même : « Donc le poète est vraiment voleur de feu. Il est chargé
de l’humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter
246
ses inventions. »* L’évocation de Prométhée montre bien qu’il y a œuvre
de pure création, mais il s’agit d’une création qui définit ses propres règles :
« Si ce qu’il rapporte de là-bas a forme, il donne forme : si c’est informe,
246
il donne de l’informe. »*
Dès lors, le dérèglement des sens devient dérèglement de la langue :
« Cette langue sera de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons,
couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant. Le poète définirait
la quantité d’inconnu s’éveillant en son temps dans l’âme universelle : […] !
Énormité devenant norme, absorbée par tous, il serait vraiment
246
un multiplicateur de progrès ! »* Cette langue que doit inventer le poète
76 se situe en dehors du modèle rationnel de la langue du dictionnaire
(« Il faut être académicien, – plus mort que fossile, – pour parfaire
246
un dictionnaire, de quelque langue que ce soit »*). Rimbaud substitue
à la langue réglée une langue dont le modèle est musical. L’acte poétique
devient « la pensée chantée et comprise du chanteur », celle du « coup
242
d’archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs »*.
Ainsi lance-t-il, dans la lettre à Demeny, le départ de son deuxième poème
243
par cette affirmation : « J’ai l’archet en main, je commence : »* Il s’agit bien
d’inventer un nouveau langage poétique qui permette d’« entendre l’inouï » :
ce projet annonce par avance « la musique, virement des gouffres et choc
490
des glaçons aux astres »* de « Barbare » dans les Illuminations, poésie
tellurique qui met en jeu un processus de création démesurée.
On voit combien, à travers l’invention de la langue (« trouver la langue »),
c’est une redéfinition de la poésie que propose Rimbaud : le reste du texte
le confirme en présentant une sorte de panorama de la poésie depuis
les origines redessiné à partir de la poétique du voyant, et plaçant
naturellement cette poétique au sommet de l’édifice. Ainsi sauve-t-il
les Grecs et les premiers romantiques, ainsi fait-il, non sans quelque
réticence, de Hugo, de Baudelaire et de Banville, des voyants, mais aucun
d’entre eux n’achève tout à fait le projet dans lequel Rimbaud se lance.
Ce projet, Rimbaud ne fait encore que l’entrevoir. Entre la lettre
à Izambard et celle à Demeny, la réflexion s’enrichit et se précise ;
les tâtonnements que décrit Rimbaud (« j’assiste à l’éclosion de ma pensée :
je la regarde, je l’écoute » ; « la première étude de l’homme qui veut être
242
poète est sa propre connaissance, entière »*) évoquent non seulement
une hypothétique genèse de l’œuvre, mais aussi la genèse de sa propre
conception de la poésie. Rimbaud écrit d’ailleurs significativement
à la même époque un autre texte qui tend à renforcer d’une naissance
mythique cette poésie qu’il sent poindre, « Les Poètes de sept ans »,
où sont évoquées des rêveries aventureuses et sensuelles qui sont
autant de moments de création fort éloignés des modèles académiques.
En réalité, Rimbaud n’est pas encore le voyant qu’il décrit. Les poèmes
qu’il a insérés dans ses lettres représentent certes des avancées
considérables par rapport aux œuvres précédentes ; la parodie
(dans ce qu’elle a de plus grinçant) s’est désormais tout à fait substituée
au pastiche, et contribue à cette impression de table rase d’une certaine
poésie. Formellement, Rimbaud respecte la métrique traditionnelle,
même si son travail sur la rime témoigne d’une plus grande virtuosité
qu’auparavant ; en revanche, il mélange plus franchement les lexiques et
les registres – même s’il n’est pas le premier à pratiquer ce genre 77
de perturbation.Thématiquement, il met en cause à la fois la poésie
du printemps et, bien que de façon timide encore, la dimension mimétique
du texte. Dans sa lettre du 10 juin 1871, Rimbaud demande de façon
éloquante à Paul Demeny de brûler ses anciens poèmes, c’est-à-dire
ceux qui composent les deux cahiers de 1870 déjà évoqués. Les poèmes
qui accompagnent les lettres du Voyant (auxquels il faut ajouter le poème
compris dans la lettre à Banville, et ceux qui composent la lettre
à Demeny du 10 juin) représentent moins un modèle poétique achevé
qu’ils ne dessinent des orientations, des virtualités que viendront confirmer
les poèmes postérieurs. Même si elle est fortement perturbée par l’écart
de la langue et de l’image, la mimesis est largement préservée par le poète :
les anathèmes jetés aux petites amoureuses, les persiflages du « Chant de
guerre Parisien » ou les « Accroupissements » du frère Milotus renvoient
tous à une réalité extérieure (celle du cœur ou des réalités visées
par la caricature antimilitariste ou anticléricale) ; quant au « Cœur supplicié »,
malgré la relative obscurité qu’entraîne l’amoncellement d’images
volontairement dissonantes, il se rattache encore à la poésie du cœur,
quand bien même il s’agirait d’une sorte d’élégie du dégoût. Ainsi, même
lorsqu’il les parodie, Rimbaud se situe dans des modèles de poésie
antérieurs. Le travail de destruction est encore primordial ; la genèse
de l’œuvre nouvelle reste à faire.
293
« Le Bateau ivre »* représente un premier pas dans la création
de ces « inventions d’inconnu ». Si l’on en croit Delahaye, Rimbaud l’aurait
écrit avant son départ pour Paris, afin d’apporter au sérail des grands
poètes une œuvre à leur mesure. Dans cette longue pièce, la mimesis
et les formes antérieures ne sont pourtant pas abandonnées : au contraire,
Rimbaud privilégie l’alexandrin, avec césure à l’hémistiche, et l’argument
du poème peut aisément se résumer en une folle errance d’un navire
sans équipage, comme cet autre poème qui lui aurait servi de modèle,
mais qui est si différent, « Le vieux solitaire », de Léon Dierx. L’idée même
d’une métaphore de l’acte poétique n’est pas nouvelle. Rarement
cependant l’interrogation de la poésie sur elle-même avait atteint de telles
proportions. Surtout, le voyage du navire vers des eaux inconnues est
l’occasion de visions nouvelles (qu’exprime l’anaphore des « J’ai vu »
en début de strophe) qui en font un récit de voyance, peignant
295
ce mouvement vertigineux du poète vers « les cieux crevant en éclairs »*,
297
« le soleil bas, taché d’horreurs mystiques » et « des archipels sidéraux »*,
au point de se perdre lui-même dans ses visions, de se démembrer,
78 comme happé par les gouffres qu’il a suscités : « Ô que ma quille éclate !
297
Ô que j’aille à la mer ! »* C’est retrouver là le mouvement du voyant
(« quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a
243
vues »*). C’est annoncer également le mouvement des Illuminations futures :
de la vision à son éclatement sous la pression des images.
Ainsi, loin de l’évocation de Léon Dierx, Rimbaud ne se concentre guère
sur l’état du navire perdu sur les flots ; il en fait au sens propre
un véhicule permettant aux visions d’advenir. Le « bateau ivre » apparaît
comme le vecteur de ces visions toujours plus démesurées qu’il suscite.
« Études néantes »
La rencontre de Rimbaud avec Verlaine en septembre 1871 a été décisive
pour le jeune poète, comme elle a été essentielle pour son aîné,
déjà consacré. Verlaine est sans doute le premier à avoir saisi l’importance
de Rimbaud. Izambard, à peine poète lui-même, n’avait vu dans l’adolescent
de Charleville qu’un écolier trop doué, Banville n’avait pas su deviner
la valeur de celui qui lui avait tressé des guirlandes avant de les piétiner,
et Demeny, que Rimbaud n’estimait guère comme poète, était toujours
resté en deçà de ses attentes. Verlaine au contraire a accueilli Rimbaud,
lui a ouvert les portes de la bohème artistique et littéraire, et a accepté,
jusqu’à une certaine limite, de le suivre sur le chemin du dérèglement
des sens. Son influence se ressent dès les premiers poèmes parisiens,
80 en particulier dans «Tête de faune », qui mêle à l’esthétique parnassienne
d’auparavant une sorte d’impressionnisme à la manière de Verlaine
(« Dans la feuillée écrin vert taché d’or / Dans la feuillée incertaine
273
et fleurie »*).
Mais surtout, Verlaine introduit Rimbaud auprès des Vilains Bonshommes
et du Cercle zutique, groupes parmi lesquels le jeune poète fit grande
impression et avec lesquels il collabora. Si le premier cercle, qui comprenait
notamment Mérat, Léon Valade ou Banville, accueillit Rimbaud dès
son arrivée à Paris, et fut vivement touché par sa lecture du « Bateau ivre »,
c’est surtout au second groupe que le jeune poète fut associé.
Il avait été créé en octobre 1871 par Charles Cros et son frère Antoine,
et réunissait différents artistes proches des idées de la Commune.
Rimbaud l’a rejoint et a participé activement à la rédaction des parodies,
chansons et caricatures qui composent l’Album zutique, et auxquelles
contribuèrent également Valade,Verlaine, Cabaner ou Richepin.
Parce qu’elles participent de l’esthétique farcesque, ces pièces ont
longtemps été négligées par la critique. Pourtant, elles s’inscrivent dans
une certaine continuité avec les œuvres antérieures, dont elles ne font
qu’accentuer à outrance les traits. « Ce qu’on dit au poète à propos
des fleurs » ou le « Chant de guerre Parisien », parmi d’autres, empruntaient
en effet déjà au registre de la parodie ; et « Vénus anadyomène »
ou « Accroupissements » jouaient avec les registres de l’obscénité et
du grotesque. Et même des œuvres fondamentales comme « Le Cœur
supplicié » ou « Mes Petites amoureuses » se nourrissent d’une esthétique
de la caricature. L’Album zutique va pousser à l’extrême cette pratique :
« L’Idole, sonnet du Trou du Cul », écrit avec Verlaine, est une parodie
d’Albert Mérat et n’hésite pas à faire appel aux images les plus obscènes ;
quant à « Lys », qui parodie Armand Silvestre, il peut apparaître comme
une version condensée de « Ce qu’on dit au poète à propos des fleurs »,
développant une comparaison scatologique (« Ô balançoirs [sic] ! ô lys !
304
260
clysopompes d’argent ! »*) qui rappelle « Les Lys, ces clystères d’extases ! »*.
Cette veine parodique paraît tenir un rôle considérable dans la pratique
du poète à l’époque, comme s’il s’agissait pour lui d’assimiler et de
régurgiter tout ce qu’il découvre. Au-delà de la farce et de la provocation,
les poèmes de l’Album zutique s’intègrent certainement dans ce processus
de création et de destruction au cœur de l’œuvre rimbaldienne.
En dégradant les objets conventionnels de la poésie (« Lys ») ou les visions
édifiantes (« L’Angelot maudit », parodie de Louis Ratisbonne), ou en élevant
307
309
au contraire « Le Balais » ou « Conneries »* au rang de sujets poétiques,
Rimbaud ne fait rien d’autre qu’insister sur cet arbitraire de la poésie 81
qu’il cherche à la même époque à faire éclater : les « Conneries » sont
des sonnets entièrement vidés de toute substance poétique, puisqu’ils se
contentent d’associer noms communs ou noms propres sans lien apparent.
Reste que ces œuvres sont avant tout des pochades. Elles obéissent
aux règles d’un jeu auquel jouaient tous ensemble les zutistes, et
les créations de Rimbaud, quand elles ne sont pas collectives, retrouvent
formellement celles d’autres pièces de Charles Cros ou de Valade.
Autrement dit, l’inspiration de Rimbaud est à plus d’un titre cadrée
par le jeu et l’écriture collective. Aussi ne doit-on pas lui donner plus
d’importance qu’elle n’en a. Tout au moins faut-il constater qu’elles
permirent à Rimbaud et à Verlaine de composer ensemble la parodie
de « L’Idole », et que cette collaboration est le signe d’un rapprochement
des poètes qui se traduira, dans les mois suivants, par une grande proximité
des esthétiques dans des pièces plus sérieuses. Mais, si l’on excepte
les œuvres de l’Album zutique, on possède peu de textes dont on sache
avec certitude qu’ils ont été écrits par Rimbaud dans cette période
qui court de septembre 1871 au départ forcé de Paris en mars 1872.
Outre les poèmes « Voyelles » et « Tête de faune » déjà évoqués, on peut
citer « Les Mains de Jeanne-Marie » et l’hypothétique « Chasse spirituelle ».
Soit que la production de Rimbaud à l’époque ait été appauvrie par
sa vie parisienne, soit que les œuvres aient été détruites ou égarées, cette
période de création reste peu connue. En revanche, les poèmes postérieurs
le sont mieux, et ils traduisent un changement esthétique assez fort. C’est
en particulier le cas des œuvres créées au printemps 1872 et aux alentours
du voyage avec Verlaine en Belgique, de juillet à septembre 1872. Durant
cette période, Rimbaud et Verlaine voyageront ensemble, en Belgique
puis en Angleterre, et ces déambulations s’accompagneront d’une période
de créativité sous le signe de l’échange entre les deux poètes.
Ces œuvres produisent une surprise d’un tout autre ordre, si on les
compare à celles qui les précèdent, l’Album zutique, les poèmes
provocateurs des lettres du Voyant ou l’œuvre monument du « Bateau
ivre ». Les leçons ont en tout cas été tirées du nettoyage salutaire
de la langue poétique opéré par les parodies antérieures : le mètre privilégié
n’est plus désormais l’alexandrin cher aux Parnassiens, mais des vers plus
rares, volontiers mineurs, en particulier les vers impairs, chers à Verlaine6.
Rimbaud emploie ainsi le vers de onze syllabes dans « Larme » et
« La Rivière de Cassis » (où il alterne avec le pentasyllabe) : ce vers, parce
qu’il possède une syllabe de moins que l’alexandrin, gêne l’œil ou l’oreille
82 et donne l’impression d’un manque ; de même en est-il, dans une moindre
mesure, de tous les vers impairs : les heptasyllabes dans « Les Parents »
(« Comédie de la Soif »), les pentasyllabes (« Chanson de la plus haute
Tour », « L’Éternité », « Âge d’or »). Enfin, jouant avec art sur le déséquilibre,
Rimbaud alterne parfois vers pairs et vers impairs au décompte des syllabes
proches (de façon régulière dans « De l’esprit », et irrégulière dans
« Bonne pensée du matin »), déconcertant encore davantage le lecteur
6 Rappelons les vers fameux de son « Art poétique » de 1874,
prévu pour « Cellulairement », publié dans Jadis et Naguère (1884) :
d’être grêle et fluet […] mais le poète disparaît. » 9 On sent que Verlaine
est partagé face à ces poèmes, dont il reconnaît l’excellence, mais
qui ne lui sont plus proches. C’est que Rimbaud s’éloigne progressivement
du modèle de Verlaine. Il est déjà en train de se tourner vers d’autres
formes, plus hardies encore, mais qui représentent par bien des aspects
le prolongement de ces « Études néantes », celles d’Une saison en enfer
et des Illuminations.
424
dans « Délires » ii*. Le silence serait l’aboutissement d’une parole poétique
qui, à force d’entretenir « l’œuvre dévorante », aurait fini par être
elle-même dévorée.
Que le renoncement à la littérature ait été l’aboutissement logique
d’un processus de création, ou qu’il ait été commandé par des raisons
plus prosaïques (la nécessité de fuir la conscription, l’échec de la vie
parisienne et de la publication d’Une saison en enfer…), ce silence est resté
fructueux. Rimbaud l’avait annoncé dans sa lettre à Demeny du 15 mai 1871
lorsqu’il évoquait le sort du voyant : « Qu’il crève dans son bondissement
par les choses inouïes et innommables : viendront d’autres horribles
243
travailleurs. »* Ces horribles travailleurs, ce sont les autres poètes, les futurs
voyants à qui Rimbaud a ouvert la voie.
L’œuvre de Rimbaud représente en effet une rupture radicale
dans l’histoire de la poésie. Elle défait les règles arbitraires de la versification,
pour imposer, selon les exigences de chaque poème, ses propres règles
et contraintes : désormais, la frontière est plus ténue encore entre
vers et prose, grâce au vers libre et à ce poème en prose que l’auteur
réinvente ; elle libère le trope du couple implicite du comparant et
du comparé, pour en faire un objet à la signification propre ; elle émancipe
la poésie du référent mimétique, ouvrant à ce que Hugo Friedrich
a appelé la « poésie abstraite »17. En agissant de la sorte, Rimbaud inaugure
la modernité poétique. Pour Hugo Friedrich en effet, Rimbaud a déterminé
l’une des directions prises par la poésie après lui, l’autre direction
étant représentée par Mallarmé et sa « poésie de l’intellect, de forme
très rigoureuse ». Rimbaud incarne au contraire la « poésie a-logique
et de forme libre ». On peut discuter l’idée d’une poésie a-logique chez
Rimbaud 18 : au contraire on peut mettre en évidence une grande logique
de construction, même si celle-ci échappe aux réflexes de l’analyse
traditionnelle. En revanche, on ne peut que souscrire à l’idée que les deux
orientations modernes de la poésie ont été inaugurées par Rimbaud
et Mallarmé, l’une dionysiaque, l’autre apollinienne. Ces deux poètes
ont inversé la relation de la langue aux choses. La langue n’a plus
nécessairement à coller à la chose, mais peut au contraire susciter
son objet. Autrement dit, elle s’émancipe des choses. Pour cela, la parole
doit convoquer toute l’étendue de la langue et l’adapter, à chaque
fois, à son objet. Chaque œuvre doit créer son propre langage.
Cela suppose un bouleversement radical : désormais, l’art n’est plus
comme autrefois lié à une poétique – qu’il se soit agi pour lui d’y obéir
ou de la transgresser –, mais chaque œuvre invente sa propre poétique.
« Après le Déluge », Illuminations. Manuscrit de A. R.
103
104
Paule-Élise Boudou
106
Les images qui donnent à rêver
115
Les caricatures
117
Dessiner entre amis
122
Qu’est-ce qu’une « illumination » ?
129
Rimbaud et la photographie
Pour lui la terre n’était pas un désert réservé aux âmes repentantes
*
Henry Miller, The Time of the Assassins : A Study of Rimbaud,
Denoël, 2000.
Aux nombreux rapprochements qui ont été faits entre Baudelaire
et Rimbaud, il faudrait ajouter celui-ci, entre deux poèmes
en prose. « L’étranger », dans Le Spleen de Paris, à qui l’on demande qui
et ce qu’il aime le mieux, répond seulement :
Dans « Après le Déluge », le texte qui ouvre les Illuminations, « les enfants
456
en deuil regard[ent] les merveilleuses images »*. Ce sont celles, réelles,
imaginaires ou conservées comme de précieuses reliques, qui seront
présentées ici.
Bien souvent quand il parle de religion, le thème de l’image n’est pas loin.
284
Ainsi « Les Premières Communions »*, où deux fois le poète mentionne
l’enluminure : comme souvenir du jour de la communion (« Quelque
enluminure où les Josephs et les Marthes / Tirent la langue avec un excessif
285
amour »*) ; puis, épousant le mouvement de déception du poème :
Le sort des images pieuses suit logiquement celui que connaît la foi
du personnage. Les exemples les plus forts se trouvent dans Une saison
en enfer, dont le sens même est cette dialectique chrétienne entre
damnation et rédemption – non pas comme les issues post mortem qu’elles
incarnent habituellement, mais comme les deux composantes inséparables
de la vie du poète. Plusieurs fois l’image est prise comme symbole
entier de l’autorité divine. Le Christ marchant sur les eaux se retrouve
421
dans « Nuit de l’enfer »* éclairé par on ne sait quelle lanterne, image
à la fois populaire et merveilleuse ; dans « Mauvais sang » le poète 113
415
s’interroge : « Quelle sainte image attaque-t-on ? »* ; avant de répondre
plus loin : « Ah ! je suis tellement délaissé que j’offre à n’importe quelle
416
divine image des élans vers la perfection. »* Il y a donc adéquation
entre la représentation et le sujet quand il s’agit de religion. Pour Rimbaud,
Dieu est sa propre image et son image est Dieu.
Proche de l’image et annonciatrice de l’illumination, la vision hante
également les poèmes à thématique religieuse. Pour la jeune enfant des
287
« Premières Communions », c’est la vision des « candeurs du dimanche »*
qui l’empêche de dormir. Dans Une saison en enfer, le mot revient
fréquemment, vision des nombres, de l’enfer, de la pureté, de la justice…
De telles visions rappellent les prophètes, les grands mystiques, les voyants
précisément. La vision serait une sorte d’image sans lumière nécessaire,
une projection intérieure infiniment solitaire. Par son caractère surnaturel,
elle est exactement une image merveilleuse, élément de construction
du fameux merveilleux chrétien.
Et pourtant cet ensemble d’images est tout sauf merveilleux ;
il représente pour Rimbaud un poids culturel – et dans culturel il y a culte –,
tout ce à quoi il veut réchapper, une entrave à l’imagination.Toujours
dans Une saison en enfer, Rimbaud parle de sa « sale éducation d’enfance »
438
(« L’Éclair »*), il se déclare « esclave de [s]on baptême » et revendique
419
« l’exécution du catéchisme » (« Nuit de l’enfer »*). C’est dire la violence
de son ressentiment envers un élément fondateur de son éducation
qui fait à présent tellement partie de son identité qu’il ne parvient pas
à s’en débarrasser. Du début à la fin, son œuvre est truffée d’allusions
439
bibliques et évangéliques : Noël et l’Épiphanie (« Matin »*), la parabole des
423
vierges sages et des vierges folles ainsi que l’Assomption (« Délires » i *),
la descente aux enfers, les fléaux et les péchés capitaux au début
d’Une saison en enfer, le déluge enfin dans le titre de la première
455
des Illuminations (« Après le Déluge »*). Allusions aux textes, mais aussi
aux rites : la prière avec les « Pater et Ave Maria » de « Matin »,
la confession du « compagnon d’enfer » de « Délires » i. C’est cet ancrage
profond qui justifiera le blasphème comme tentative de s’affranchir
de la servitude intellectuelle et poétique de la religion. Mais le balancement
constant entre élans de foi et reniements catégoriques montre l’hésitation
perpétuelle de Rimbaud – le repos, semble-t-il, ne sera jamais atteint.
Les caricatures
Rimbaud se nourrit donc de nombre d’images, mais il ne se cantonne
jamais dans ce seul rôle de récepteur. Il en produit lui-même, et en produira
tout au long de sa vie. Et au départ ces images sont tout sauf sérieuses :
le jeune impertinent possède ce que Louis Forestier caractérise comme
le « sens du trait forcé jusqu’à l’excès et la dérision ». Cela commence
dès Charleville par un dessin supposé de lui d’après Humbert, Dimanche 115
au village. Bâtiments et habitants sont éminemment disproportionnés.
Une rangée de canards sur le modèle des autochtones suggère
une analogie peu flatteuse.
Rimbaud croque à cette époque beaucoup de visages. Ses caricatures
sont souvent assorties de notes. On imagine sans difficulté derrière
ces croquis les sentiments de l’adolescent pour ses compatriotes
et à travers eux pour l’intégralité d’une classe sociale, la bourgeoisie
industrielle. La campagne du nord de la France reste l’une de ses cibles
favorites ; quand il rentre d’Angleterre au printemps de 1873, il écrit
à Delahaye et joint un dessin dans lequel un ennui dû autant à la campagne
qu’à sa famille transparaît en un lyrisme qui a tout du sarcasme :
381
« Ô nature ! ô ma mère ! ô nature ! ô ma sœur ! ô nature ! ô ma tante ! »*
La correspondance avec Delahaye est d’ailleurs souvent agrémentée
de petits croquis de ce genre. Dans une autre lettre datée de février 1875
et envoyée de Stuttgart, il gribouille un immeuble et quelques mots
allemands. Une carte postale envoyée d’Aden montre quelques lignes
et un dessin en dessous : Types d’Adéniens, Jean-Arthur et son patron.
Rimbaud, maître du cliché, reprend ceux du mode de vie local : lesdits
Adéniens trônent assis en tailleur sur un tapis, déchaussés, un plateau de thé
à côté d’eux ; ils portent bien entendu moustaches et petits chapeaux.
À Londres il choisit pour cible un cocher qu’il transforme en masse énorme
et informe au visage presque monstrueux. On comprend vite qu’il vaut
mieux ne pas se trouver sur le chemin du Rimbaud caricaturiste…
Mais surtout cette pratique bien particulière du dessin croise des aspects
développés dans une part de sa poésie. Qu’est-ce qui définit exactement
la caricature ? L’exagération bien sûr, mais aussi la disproportion. Ces traits
se retrouvent dans certains poèmes.
303
L’Album zutique* n’est rien d’autre qu’un vaste éventail des talents
parodiques de ses auteurs. Poèmes et dessins s’y côtoient. On se moque
du populisme bon marché du dizain de François Coppée, des blasons
du corps féminin chers à Albert Mérat ou des tropes de Belmontet.
Et être un bon parodiste requiert un réel talent !
Mais Rimbaud n’a pas attendu de collaborer à l’Album pour mêler
caricature et poésie. Dès ses débuts, il prend un malin plaisir à ridiculiser
qui s’y prête dans ses poèmes. Ainsi dans « À la Musique » :
Rimbaud utilise tous les procédés de la caricature pour dire son mépris :
défauts répétés et amplifiés, lexique familier, analogies péjoratives…
Il renchérit dans « Les Assis », savoureux portrait des occupants
de la bibliothèque de Charleville :
« Et, de l’aurore au soir, des grappes d’amygdales
270
Sous leurs mentons chétifs s’agitent à crever »*
Surtout, les dessins qui nous restent ayant Rimbaud pour sujet témoignent
de ses amitiés. Forain le prendra souvent pour cible. Après l’incident
des Vilains Bonshommes, il fait un dessin de lui très poupin, comme
un angelot aux traits encore ronds, mais démenti par une sentence
en sous-titre : « Qui s’y frotte s’y pique. » L’ambivalence du personnage,
palpable même pour ses proches, y est tout entière résumée. Sur un autre
dessin le poète ressemble un peu à un animal debout, un genre de chat
avec un chapeau ; un tableau lors de son retour de Londres en 1874
le montre sans pitié en habit, avachi sur une banquette.
Mais le témoin le plus proche, le plus fidèle, reste Ernest Delahaye,
le plus ancien ami de Rimbaud, rencontré au collège de Charleville.
Il a effectué un des premiers croquis connus du poète peu après
la Commune, en 1871, intitulé « Rimbaud aux longs cheveux ». Après cela,
comme un reporter consciencieux, il croque chaque événement marquant
de la vie de son camarade : sur un dessin à l’intention de Verlaine,
« La tronche à Machin », Rimbaud apparaît cheveux rasés, le crâne oblong,
après la mort de Vitalie ; après son retour de Vienne, il transforme
le poète en « nouveau Juif errant ». Puis quand il apprend que Rimbaud 119
est à Java, Delahaye continue, encore, à le dessiner. On suit à présent
ses pérégrinations et aventures comme ceux d’un héros de feuilleton
ou d’une série de récits pour enfants en fonction des péripéties imaginées
par un iconoclaste impertinent en proie à diverses substances… Les titres
des croquis suffisent à suggérer la teneur du propos : « À bord du Prins van
Oranje », « Rimbaud cafre », « Rimbaud roi des sauvages », « Un missionnaire
qui vient de Charleville », « Rimbaud traversant la jungle de Java »,
« Rimbaud & Delahaye après le grand voyage » (buvant un verre ensemble
autour d’une table) ou encore « Rimbaud dans la profondeur des flots » –
ce dessin-ci demeure assez onirique, presque surréaliste : le visage de
Verlaine apparaît au cœur d’un nuage de fumée né d’une pipe dans la tête
de Rimbaud, elle-même perdue dans les flots ; une légende sous-titre :
« La lune qui rigole et qui sert de chapeau à R. » La série se poursuit
après Java : « Rimbaud au pôle Nord » le montre lorsqu’il accompagne
un cirque en Scandinavie. Enfin, en 1879-1880, alors que Rimbaud est
en France et Verlaine près de Roche, Delahaye leur imagine une rencontre
fictive dans un champ, sous un soleil d’été.
Ainsi, où qu’il soit, qu’il donne ou non de ses nouvelles, Rimbaud hante
ses amis au point que sa présence semble nécessaire et son souvenir
indispensable. C’est le sens de ces dessins : en plus de manifester le fort
attachement amical de leurs auteurs, ils annoncent la fascination croissante
qu’exercera le personnage de Rimbaud sur les générations futures.
Ses amis ne seront pas les seuls à être inspirés par son visage. Née en 1860,
sa jeune sœur Isabelle a elle aussi participé à la constitution de ce que
l’on pourrait nommer la galerie Rimbaud. Elle le portraiture en 1877,
déjà assez mûr, un sourire un peu mystérieux et ironique aux lèvres,
l’allure confiante. Un autre portrait dans un cahier de comptes le montre
aux moissons, probablement après son retour temporaire à Roche en 1879.
Quand l’amputation a eu lieu, on le voit en train de jouer de la harpe
abyssine, mais son apparence n’a plus rien à voir avec l’angélique
adolescent : c’est à présent un homme émacié, déjà ailleurs. Plusieurs
autres dessins datent de la même période, témoignant des derniers temps
de la vie de l’ancien poète. Souvent le contour des yeux est sombre,
les paupières presque closes et les cheveux plaqués en arrière, comme
sur un cadavre embaumé. Le portrait « Rimbaud dans les derniers jours
de sa vie » dégage une tristesse infinie ; sous la peau du visage on devine
déjà le crâne, les orbites, les pommettes. Enfin, « Rimbaud sur son lit de
120 mort » esquisse en quelques traits seulement un homme méconnaissable,
échappant à toutes les autres images connues de lui : chauve, alité,
une main pansée. Il garde les yeux ouverts.
Attachement amical et familial, mais aussi attachement amoureux :
dessins et caricatures ont largement fait partie de l’échange entre Rimbaud
et Verlaine. Ce dernier possède lui aussi un coup de crayon efficace
(il a été professeur de français et de dessin dans une école privée anglaise
vers 1875), qui tend parfois à la caricature.
La plupart des croquis n’ont rien d’extraordinaire ; ils nous montrent
Rimbaud debout, à une table, souvent une pipe à la bouche, les cheveux
de longueurs différentes, les mains dans les poches, etc. On l’identifie
grâce à la rondeur du bas du visage. L’un de ces dessins, « La petite
fleuriste », semble toutefois un peu plus singulier. On y voit Rimbaud
en ange ; au-dessus,Verlaine discute avec Carjat sous le regard de Leconte
de Lisle et de Catulle Mendès.Tout à droite, surélevé, deux ailes au dos,
Rimbaud tend une couronne de laurier au-dessus de la tête de Verlaine.
Une figure féminine (Mathilde ?) à l’allure peu sympathique occupe
la partie opposée, en haut à gauche, du côté des désapprobateurs,
les cheveux en colère. Le visage de Rimbaud est impassible et sa silhouette
légère. Son « angélisation » ne fait aucun doute.
Comme Delahaye,Verlaine continue à dessiner son ancien compagnon
même quand ils sont séparés : Rimbaud est vu en Italie lisant
une tradduzione, ou encore à Marseille, toujours sa pipe à la bouche,
songeant à s’engager dans les troupes carlistes, plusieurs verres devant lui.
Dans « Les siennes » le poète se trouve en position de chute entre deux
adresses, sous le regard de l’œil unique de la conscience. Ce dessin
est divisé en deux parties. Rimbaud appartient à celle intitulée « Le rêve »,
tandis que Verlaine et l’œil sont du côté de « la vie » – preuve s’il en faut
que déjà Rimbaud a quitté cette vie, un certain type de vie du moins,
pour basculer dans une existence irréelle aux yeux des autres.
Tout simplement, il s’est mué en absent. Plus tard, quand Verlaine apprend
par Delahaye que l’aventurier s’est mis en tête d’apprendre le piano,
il se fend d’une caricature de Rimbaud en transe, démoniaque, passant
ses nerfs sur un pauvre piano au point de provoquer le désespoir
de ses voisins. L’artiste tel qu’il le dessine ici colle parfaitement au cliché
du démiurge musicien : totalement habité, fiévreux, des gouttes de sueur
perlant sur son front. Le titre ne manque pas d’une certaine ironie :
« La musique adoucit les mœurs ». Verlaine ne laisse passer aucun fait
de la vie de Rimbaud dont il a connaissance. Le voyage à Vienne laisse 121
deux autres caricatures : « Les voyages forment la jeunesse » et « Darenières
nouvelles ». Sur la seconde, le voyageur vient de se faire voler ses affaires
par le cocher fuyant au loin.Torse nu, son éternelle pipe à la bouche,
il récite un dizain parodique signé François Coppée.
En plus de la composition d’une sorte de biographie subjective illustrée,
on assiste à la construction d’une série de portraits en l’absence,
du prolongement artistique d’une relation qui n’est plus.
Le dessin qui clôt l’ensemble de cette production graphique, l’ultime
croquis, nous vient de Rimbaud lui-même. En 1891, au moment d’être
rapatrié, il dessine lui-même la civière sur laquelle seize hommes
devront le porter. Ce schéma rapide, d’une utilité plutôt technique
en apparence, est empreint d’une certaine morbidité ; c’est l’expression
la plus nue du handicap de celui qui ne tardera pas à être amputé,
comme un tombeau précoce.
136
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Rimbaud toujours et partout
Œuvres complètes
Éditions incluant la correspondance
Éditions critiques
Éditions de poche
Éditions en fac-similés
Œuvres complètes
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Arthur Rimbaud, Œuvres poétiques, Paris, Imprimerie nationale,
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Éditions de poche
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Forestier, Louis (dir.)
Arthur Rimbaud, Poésies, Préface de René Char, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique »,
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Sigaud, Dominique (postface)
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144
ÉTUDES CRITIQUES
Biographies
Ouvrages iconographiques
Essais
Études approfondies
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Italien
Anglais
Espagnol
Japonais
Allemand
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Italien
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Espagnol
Il faudrait suivre les travaux de traduction vers l’espagnol, de A. Tarzaga (1951) à Javier
del Prado, l’un des derniers en date. 149
Japonais
Depuis la toute première traduction (celle de « Sensation » par le poète-romancier Nagai Kafû,
en avril 1909) et les véritables pionniers que furent Kobayashi Hideo (pour Une saison
en enfer ; Jigoku no kisetsu, Hakusui-sha, 1930) et le poète Nakahara Chûya (pour un recueil
de poèmes de Rimbaud ; Ranbô shishû, Noda-shobô, 1937), le Japon est un cas
particulièrement remarquable. Après 1945, il n’y a pas eu moins de trois tentatives de
traduction des œuvres complètes – avec parfois l’ensemble de la correspondance – tour à tour
sous la direction de Suzuki Shintarô (trois tomes, 1952-1956), de Kaneko Mitsuharu,
Naka Mura Tokuyasu et Saitö Shôji (1970), de Susuki Shintarô et Satö Saku (trois tomes,
1976-1978) et enfin, pour les poésies complètes, une édition de Hirai Hiroyuki, Yuasa Hiroo
et Nakaji Yoshikazu (Ranbô zenshishû, Seidoscha, 1994) et une seconde de Usami Hitoshi
1
au format de poche (Chikuma, 1996).