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Mouloud MAMMERI à travers

une interview filmée


Aomar Ait Aider
Université Mouloud MAMMERI de Tizi-Ouzou
aitaideraomar@mail.ummto.dz
Ait Aider

Le personnage

crivain reconnu ou décrié dès son premier roman, la colline oubliée, publié en 1952 à Paris,
directeur du centre de recherches anthropologiques, préhistoriques et ethnographiques d’Alger puis du
centre d’études et de recherches amazigh à Paris, fondateur de la revue Awal, dramaturge, nouvelliste…
Mouloud Mammeri peut se présenter sous d’autres facettes encore mais toujours dérangeantes car se
rapportant inévitablement à la promotion de la berbérité.

Outre les nombreux ouvrages qu’il publia, Mouloud Mammeri aura beaucoup communiqué
(conférences, interviews, contact direct…) : il avait un héritage à transmettre aux générations montantes
sous forme de vers recueillis patiemment et minutieusement chez imusnawen, les sages, un esprit de
résistance-construction à la « Jugurtha-Massinissa » à insuffler aux siens, et d’autres trésors que lui
révélèrent ses recherches historiques et ethnologiques comme l’Ahellil du Gourara qu’il voulait partager
avec l’humanité entière.

Exposer partout et à tout le monde, inlassablement, cette grande découverte qu’il fit très jeune -
l’Algérie et même toute l’Afrique du nord a des origines berbères mais qui sont menacées- telle était la
mission dont il s’était senti très tôt investi. Elle consistait à faire prendre conscience à son peuple de son
appartenance à une culture différente de celle qu’on lui attribuait officiellement et organiser une
résistance face aux visées nihilistes des nouveaux Etats de l’Afrique du nord où l’idéologie islamo-
baathiste fut portée au pouvoir au lendemain de la décolonisation.

Face à l’hégémonie de la culture arabo-musulmane il cultivera sa différence et celle de son peuple.


Il affirmera avec force conviction : « Je crois en la préservation de la culture berbère, mais aussi à son
développement. » Autonome, ivre de liberté, il ira partout, répétant : « Nekwni d Imazighen. Nous
sommes des Berbères.»

Le pouvoir feint d’ignorer Mammeri qui, tout au long de sa vie, n’aura eu droit qu’à un passage à
la télévision et qui se résuma en quelques insultes proférées à son endroit au printemps 1980. Mais,
ignorer le porteur d’une idée n’empêche pas celle-ci de se propager. Et Mammeri ne tarda pas à avoir
beaucoup de disciples. Peu à peu, c’est tout son peuple qui se reconnut en lui et le reconnut comme le
dépositaire de sa sagesse, l’éclairé qui guide, l’institution que l’Etat central a toujours refusé de
reconnaître. Il accepta la charge, trouva l’énergie pour défricher et le temps pour écouter et orienter.

L’objet de la communication

Cette contribution se propose de révéler, sur la base de l’analyse d’une interview filmée, certains traits
de caractère et une forme d’engagement intellectuel de Mammeri peu ou pas connus. L’interview fut
réalisée en août 1984, chez lui, sur les hauteurs d’Alger. D’une manière quasi clandestine. La vidéo en
était à ses débuts, et posséder une caméra attirait des soupçons. De retour de formation, la police des
frontières ne me posa aucune question sur l’usage que j’allais faire du fusil de chasse que je ramenai avec
moi, mais je fus soumis à un interrogatoire poussé sur l’exploitation de ce matériel vidéo peu courant.
Bien évidemment, M. Mammeri fut ravi des possibilités qu’offrait cette nouvelle technologie, notamment

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en matière de liberté et d’autonomie de « filmer ». Il gardait encore un peu d’amertume de l’adaptation
qui fut faite à l’écran de son roman « L’opium et le bâton».

L’interview fut conçue de façon à « démultiplier » Mammeri le conférencier car, même s’il est vrai
qu’il avait une endurance physique remarquable, il ne pouvait répondre à toutes les sollicitations. Ses
réponses aux questions posées furent de véritables cours magistraux d’histoire et de géopolitique. Pour
prouver clairement qu’on peut enseigner Tamazight ou d’autres disciplines en Tamazight l’entretien fut
mené complètement en kabyle.

Trois thèmes furent abordés :


1. L’enseignement du berbère
2. La répartition géographique des Berbères (évolution au cours du temps)
3. L’histoire des Berbères

De cette interview, nous avons extrait des passages montrant l’intelligence, la subtilité et le sérieux de
Mammeri dans sa démarche à faire reconnaître la berbérité de son peuple mais aussi sa malice et le ton
ironique qu’il adopte face à certaines situations ridicules que crée le pouvoir. Ces extraits mettent surtout
en évidence sa lucidité : « Il ne peut y avoir d’Etat berbère et même pas d’épanouissement culturel sans
pouvoir politique. » Son engagement dans un combat culturel rejoint celui des leaders des mouvements de
libération africains pour qui : « Tout combat de libération est avant tout un combat culturel, et c’est
l’avancée culturelle qui conditionnera celle politique. »

Enseignement de Tamaziγt
Sur son introduction à l’université, M. Mammeri dit :

« A l’indépendance, en 1962, j’avais acquis tous les diplômes


qui se délivraient sur Tamazight, que ce soit à Paris, Rabat ou ici
même à Alger. J’avais donc décidé de l’enseigner à mon tour. Je
me suis naturellement rapproché de ceux qui avaient en charge
l’éducation et l’enseignement à l’époque. Ma proposition ne les
emballa point. ‘Le pays a d’autres priorités’, m’expliqua-t-on. Il
m’a fallu donc chercher d’autres voies et moyens. A l’époque,
j’enseignais à l’université un module d’ethnologie. Ce fut par le
biais de ce module que j’introduisis Tamazight à l’université.
Son enseignement fut toléré jusqu’en 1973, même si la
discipline que j’enseignais officiellement, l’ethnologie,
fut supprimée entre-temps. »

Sur son exclusion, Mammeri rajoute :

« A partir de 1969, il fallait que, chaque année, je trouve un


subterfuge pour son enseignement. Lorsque vint la réforme
universitaire, on m’exigea une autorisation spéciale pour
l’enseigner. J’ai donc rédigé une lettre, une longue lettre que
j’ai envoyée au ministre…A ce jour, onze ans après, aucune
réponse ne m’est parvenue.

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Tamazight, l’affaire de tous.

Mais, M. Mammeri ne renonce jamais. Chassée de l’université, Tamazight se retrouve dans la rue,
dans les librairies, dans les foyers, à portée de tous, sous forme d’un livre de grammaire « Tajerrumt n
Tmaziγt », publié en 1974. M.Mammeri prévient : « Win itruzzun asalu ixeddem aken yufa maci aken
yebγa. » Ceux qui veulent prendre part au vaste chantier de sauvetage et de promotion de la langue et de
la culture berbères doivent trouver eux même les outils nécessaires à la réalisation de leur tache, chacun
dans son domaine : émissions radiophoniques, chanson, littérature, histoire, théâtre, les sciences, la
publication de revues…Tout ce qui pouvait contribuer à l’éveil des consciences. M.Mammeri se trouva
ainsi en amont d’un vaste mouvement qui déclencha au printemps 1980 une révolte populaire considérée
depuis comme l’acte fondateur de l’Algérie démocratique.
Dès lors, Tamaziγt avait cessé d’être une affaire d’initiés. Toutes les couches de la société s’emparèrent
de la question.

Tamazγa : de l’oasis de Siwa jusqu’aux Iles Canaries

Sur la présentation du point concernant la répartition géographique nous avons choisi de retenir le
passage relatif aux îles Canaries qu’il montre du doigt sur la photo.

« Voici les îles Canaries. Depuis que les Espagnols les


ont envahies, l’usage de Tamaziγt a pratiquement
disparu. Toutefois, il existe un mouvement de
libération de ces îles. Son leader est ici à Alger. Le
mouvement se bat pour que les îles Canaries
redeviennent berbères. »

Ce ne sera que des années plus tard, lorsque Antonio Cubillo, le leader du mouvement pour
l’autodétermination et l’indépendance de l’archipel canarien, le MPAIAC, rendra public l’apport de M.
Mammeri à son mouvement que l’on se rendra compte de l’influence considérable qu’il exerça sans qu’il
eut à le chanter sur les toits. Voici entre autre ce que conseillait M. Mammeri à Antonio Cubillo : « Il faut
faire découvrir à ton peuple le sens de la continuité historique parce que les Espagnols ont essayé
d’effacer sa mémoire historique. Les colonisateurs ont toujours essayé d’effacer la mémoire historique
des peuples pour les abrutir et mieux les dominer. Un peuple sans conscience historique n’est pas un
peuple ou si tu veux c’est un peuple analphabète. Le devoir des intellectuels et des hommes politiques
engagés dans la lutte de libération est de leur enseigner leur histoire et réveiller leur conscience historique
pour qu’un jour ils se lèvent et luttent pour leur patrie soumise. » D’une certaine manière, M. Mammeri
reprenait à son compte la devise chère à Massinissa : l’Afrique aux Africains. C’est pourquoi, il
s’intéressa beaucoup aux mouvements de décolonisation de Tamazγa mais aussi de l’Afrique, de toute
l’Afrique.

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Relation culture-politique
On a beaucoup dit de Mammeri que c’est un culturaliste qui ne s’occupe pas de politique.
Pourtant, M. Mammeri, en toute lucidité, nous explique dans l’extrait qui suit que c’est la politique qui
détermine la force d’une langue et d’une culture :

« …En débarquant chez nous, les Romains eurent d’abord à


affronter les Phéniciens. Après leur victoire, ils substituèrent
le latin au phénicien…Pour que les Berbères puissent ériger
leur langue, il faudrait qu’il disposent d’un Etat. Culture et
politique sont intimement liées. Si tu détiens le pouvoir
politique, tu peux instituer ta langue et ta culture, mais si le
pouvoir est entre les mains d’autres, tu peux, à la limite,
continuer à t’exprimer dans ta langue, mais tu ne pourras
jamais en faire une langue d’Etat, une langue officielle qui
serait utilisée par les tenants du pouvoir et les
administrations. C’est pourquoi, on peut avoir quelque regret
car cela aurait pu se réaliser sous les Almohades ou les
Almoravides qui sont des Etats berbères…Mais en fait des
Etats dirigés par des Berbères pour le compte de l’Islam. Tant qu’un peuple n’a pas le pouvoir politique,
au sens où il décide de façon tranchée de ce qui lui convient, j’ai l’impression, j’en suis même sûr, que la
culture, tout comme le pays, sera sous domination. C’est ce qui nous est arrivé jusqu’à aujourd’hui. »

Conclusion

Moins de trois années avant sa mort, M. Mammeri confia à Tahar Djaout : « Le nombre de jours qui me
restent à vivre, Dieu seul le sait. Mais quel que soit le point de la course où le terme m’atteindra, je
partirai avec la certitude chevillée que quels que soient les obstacles que l’histoire lui apportera, c’est
dans le sens de sa libération que mon peuple ira. » Ce ne fut pas sa dernière réplique, il eut, par exemple,
le temps d’aller au Maroc pour réaffirmer son attachement à la construction de Tamazγa, mais même si
nous devons désormais nous passer de son intelligence et de sa lucidité rassurantes, il nous restera cette
recommandation : tout combat de libération est avant tout un combat culturel.

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