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Dossier

RUPTURE ET CONTINUITÉ
DANS L’ÉCRITURE POÉTIQUE
par Pierre LARTIGUE

Fin de siècle. Paul Verlaine descend de la montagne Sainte


Geneviève pour aller boire son absinthe au quartier latin. Rue
Gay-Lussac, deux jeunes poètes qui portent le même prénom
que lui – Valéry et Claudel – le regardent passer et là où le
premier n’entend qu’un « frappement pénible de galoches et de
gourdin » le second perçoit la répétition de ce secret conseil :

Préfère, poète, préfère, préfère, préfère l’impair !

Verlaine, c’est ce vers de dix-sept syllabes qui va au Luxem-


bourg. Mais pourquoi ce goût pour un mètre réputé boiteux ?

À l’origine, oc et oïl, la poésie française est liée à l’écriture


musicale qui suscite une grande variété de mètres et de strophes.
Il n’est pas de richesse formelle comparable à celle qu’offrent les
troubadours. Cette pratique se perpétue et se métamorphose
avec les Grands Rhétoriqueurs pour s’éteindre aux environs de
1550. Ronsard sera l’un des rares poètes de la Pléiade à voir ses
vers mis en musique et cela explique en partie sa renommée. Le
duc de Guise chantonnait un sonnet de Ronsard dans la cour du
château de Blois quelques instants avant qu’on l’assassine.
Dans la Défense et illustration de la langue française Du Bellay
procède à un inventaire. Il retient les noms de Guillaume de
Lorris, Jean de Meung, Jean Lemaire de Belges, mais ceux de
Scève et d’Héroët restent dans l’encrier. Ils n’étaient pas du bon
temps et il les élimine. Cette pratique deviendra une tradition
dans notre histoire littéraire. Malherbe est radical. Il condamne
La Pléiade. La poésie française a bien rompu dès lors avec la
musique.
Elle aspire au discours. Elle vise à la clarté de l’énoncé. Elle
suit l’enchaînement logique et aspire à une pureté harmonique
atteinte en architecture par la symétrie. Ses vers favoris sont celui
de huit syllabes et celui de douze. L’impair n’apparaîtra sous la
plume de Racine qu’à l’occasion d’opéra, dans L’idylle sur la paix
par exemple :

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Ces fleurs odorantes
Ces eaux bondissantes
Ces ombrages frais.

Ou encore dans des cantiques. Tout au long du XVIIe siècle, le


vers impair ne ramifie et ne bourgeonne que dans le livret
musical ou l’argument de ballet. Chez Quinault par exemple.
Mettons bien sûr à part la merveilleuse exception de La
Fontaine.

Tout cela conduit à la platitude lyrique du XVIIIe, jusqu’à ce


que le romantisme défende une esthétique nouvelle. En 1830
Gérard de Nerval est sans doute, avec Hugo, celui qui a le plus
clairement conscience de la nécessité d’une révolution poétique.
Je pense à ce texte en introduction à un choix de poèmes de
Ronsard (Œuvres Complètes, Pléiade, Tome I, p. 281…) Nerval
le reprendra en le modifiant dans La Bohême Galante, en 1852
(Œuvres Complètes, Pléiade, Tome III, p. 244…). Revenant sur
la Défense et illustration… il écrit : « … ce livre… porte l’empreinte
de la plus complète ignorance de l’ancienne littérature française
ou de la plus criante injustice. Tout le mépris que Du Bellay
professe, à juste titre, envers les poètes de son temps imitateurs
des vieux poètes, y est à grand tort reporté aussi sur ceux-là qui
n’en pouvaient mais. C’est comme si, aujourd’hui, on en voulait
aux auteurs du Grand Siècle de la platitude des rimeurs
modernes qui marchent sous leur invocation. »
L’enjeu est de retrouver alors ce qu’il faut bien appeler le
chant. Marceline Desbordes-Valmore était comédienne. « À vingt
ans, explique-t-elle, des peines profondes m’obligèrent à
renoncer au chant parce que ma voix me faisait pleurer ; mais la
musique roulait dans ma tête malade, et une mesure toujours
égale arrangeait mes idées à l’insu de ma réflexion. » Son
médecin lui conseille d’écrire. « J’ai essayé sans avoir rien lu, ni
rien appris, ce qui me causait une fatigue pénible pour trouver
des mots à mes pensées. Voilà sans doute la cause de l’embarras
et de l’obscurité qu’on me reproche… » Cette musique à en
pleurer est une mesure qui organise l’insu, et le poème, ce chant
qui monte du plus profond de l’écriture comme en ces vers de 7
syllabes dont Apollinaire a dû se souvenir :

Sur la terre où sonne l’heure.


Tout pleure, ah ! Mon Dieu ! Tout pleure.

La cloche pleure le jour


Qui va mourir sur l’église,
Et cette pleureuse assise,

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Qu’a-t-elle à pleurer ?... L’amour.
Sur la terre où sonne l’heure…

Lorsque Paul Verlaine écrit :

De la musique avant toute chose


Et pour cela préfère l’impair…

il faut l’entendre au pied de la lettre. L’impair est un support


qui permet d’échapper à la mécanique du discours. Et placer la
musique avant toute chose, et donc à l’origine du poème, c’est
contredire expressément Boileau (« Ce que l’on conçoit bien
s’énonce clairement… »). Et c’est redonner l’initiative au mot.

Dire que le poète du Grand Siècle ne pouvait lire que ses


propres vers ! Et comme nous savons gré à Nerval, à Verlaine, de
leurs poèmes, et de leur point de vue.

Mais aujourd’hui, comment regarder par-dessus notre épaule ?

« Les chansonnettes vont mourir de leur belle mort… » écrit


André Breton, en 1944. Ou ceci encore : « Je ne suis pas comme
tant de vivants qui prennent les devants pour revenir… » La
phrase vise Aragon et elle atteint aussi Desnos. La cible d’ailleurs
est le chant. Il dit « la chansonnette ». Pour Breton, il y a d’un
côté une volonté d’être absolument moderne qui affranchit la
poésie de toute tradition, de toute règle, et de l’autre une esthé-
tique conservatrice qui s’oppose à la révolution surréaliste. Il n’y
voit qu’illusion moderniste. Paul Valéry formule une critique de
même type, quoique émanant de présupposés inverses. En 1935,
à l’occasion d’une exposition d’art italien, il qualifie d’absurde
« la superstition du nouveau qui a franchement remplacé l’an-
tique et excellente croyance au jugement de la postérité et qui
assigne aux efforts le but le plus illusoire et les applique à créer
ce qu’il y a de plus périssable, ce qui est périssable par essence : la
sensation du neuf ».
Or ce n’est pas de cette manière que Desnos et Aragon, par
exemple, posent le rapport de l’invention et de la tradition.
Lorsque Desnos retient l’exemple de Gongora, il choisit un
poète du siècle d’or espagnol qui fut tenu à l’écart de la tradi-
tion française. Seul Verlaine lit Gongora, en France, avant 1900.
Disons que la postérité prend son temps. Et lorsque Desnos met
Nerval plus haut que tout, il rend hommage à un poète qui a
écrit, entre 1845 et 1854, les grands sonnets baroques dont
Malherbe a empêché l’éclosion, à l’aube du XVIIe siècle.

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L’idée d’une tranquille décantation opérée par le temps est
illusoire. Tout est objet d’une perpétuelle métamorphose. Et qui
prétend trouver du nouveau doit revisiter sans cesse l’héritage
poétique en sa langue et dans les autres langues. Il faut réévaluer
toujours les œuvres du passé. Ainsi autour des années quatre-
vingt sommes-nous plusieurs à avoir lu et reconsidéré tout ce qui
était à portée de notre main, dans les bibliothèques. À la même
date, la même curiosité se porta vers les partitions oubliées de la
musique ancienne. Mais comprenons que la relecture du passé
doit s’accompagner d’une conscience critique de ce qui souvent
plombe la tradition et conduit à l’académisme. Il est vain de se
loger comme un bernard-l’hermite dans la coquille d’une forme
abandonnée en croyant réinventer la mer. Il faut savoir la raison
profonde d’un choix formel. Il faut faire neuf mais il ne suffit pas
non plus de tendre son nez à la dernière pluie. Il faut imiter, lire
et relire, inventer. La poésie existe par ceux qui la lisent. Et c’est
ainsi qu’elle se transforme et qu’elle se perpétue.

Pierre LARTIGUE

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