l’archipel. A partir du mouillage des Dauphins, nous découvrons les îles l’une après l’autre et revenons sur Bubaque entre deux explorations pour faire le plein d’eau et de nourriture.
L’île la plus proche de Bubaque qui nous
intéresse est Angourouma. A peine 3h de route, en faisant un grand tour pour éviter les hauts fonds qui menacent même à marrée haute. Le parcours en ligne droite ferait à peine 5 milles, mais la route sinueuse obligatoire nous impose une quinzaine de milles. Arrivés à Angourouma, Armen est déjà là mais il occupe ce qui nous paraît être le seul mouillage possible. La marrée est déjà haute, l’endroit est agité, mal protégé et le temps semble se dégrader. Retour à Bubaque et nous reviendrons demain à marée basse pour mieux juger du profil des fonds. Le lendemain nous nous rendrons compte qu’il n’existe qu’une seule bande d’eau profonde autour de l’île, et nous mouillons à une centaine de mètres d’Armen qui nous accueille enthousiasmé par la beauté d’Angourouma. Décrire Angourouma est assez facile, il suffit d’imaginer un bouquet de forêt tropicale, aux arbres immenses, bordé de rochers sombres et de sable blanc. En saison des pluies, la luminosité et la visibilité sont telles que des îles éloignées de plus de 10 milles semblent être à portée de main. Les couleurs sont intenses et varient avec l’état du ciel où les cohortes de nuages gris laissent rapidement la place à un soleil éclatant. Avec les marées le paysage aussi change constamment. A marée basse, les hauts fonds et les bancs de sable se révèlent et notre îlot semble émerger d’un désert de sable blond. Nous nous retrouvons alors mouillés dans un étroit chenal d’1.50m d’eau, enfin l’ancre car Tchao est échoué sur un banc de sable. Nous craignons de voir le bateau se coucher et nous allons vite porter une ancre au milieu du chenal en eau profonde pour le retenir par le travers. Malheureusement nous perdrons cette CQR dans un fort clapot ( bout sectionné et pas d’orin ! ! !). Le capital mouillage de Tchao s’amenuise ! ! !
Balade à terre : à part les oiseaux, il semble
y avoir peu de vie, le coin est vraiment désert. Nous découvrons une mine d’huîtres sauvages implantées sur les roches. Elles sont délicieuses, elles ont le goût des Claires de Marennes. Nous en faisons une
ventrée. La plage regorge de coques, et les
limicoles ne sont pas les seuls à s’en régaler car nous en ferons de magnifiques spaghettis « con vongole ». Le soir, les grands baobabs verdoyants du bord de la plage sont le refuge de nuées de pélicans.
Un matin, un groupe d’homme sortis d’on
ne sait où, s’agitent sur la plage et nous appellent à grands cris. Jean-François va aux nouvelles, il s’agit de voyageurs qui moteur en panne, ont vu leur petite pirogue dérivée sur l’île. Jean-François croit comprendre qu’ils n’ont plus rien à boire et à manger et entreprend d’accueillir tout ce petit monde. Les voyageurs ramènent leur pirogue et leur moteur du côté de notre mouillage et se construisent une cabane sur la plage pour passer la nuit. Ils nous demandent de les remorquer. Sortis de l’âge de pierre et tombés dans la civilisation du Yamaha, ils ne savent bien entendu pas réparer leur moteur. Nous organisons donc un cours de mécanique sur la plage. Le moteur est réparé, mais la pirogue est surchargée : « Air Bissau » est une toute petite pirogue de transport inter îles, remplie à raz bord de matériels hétéroclites et de 5 personnes. Avec Armen, nous pensons qu’il n’est pas raisonnable de laisser partir cette petite pirogue, Jean- François prend 3 personnes à bord et remorque le reste de l’équipage. Et nous voilà partis avec eux en direction de Uno, au sud ouest d’Angourouma.
N’ayant pas de cartes détaillées, nous
comptons sur le capitaine de la pirogue pour nous guider. Erreur ! ! ! Car ces gens là naviguent à vue et sans tenir compte des hauts-fonds. Ainsi nous voyons Armen s’éloigner dans une direction où nous savons qu’il y a des bancs de sable partout. Ces marins, comme tous les bijagos, n’ont ni la notion de distance, ni celle du temps. Impossible de leur faire dire si l’arrivée est proche ou lointaine ou combien il faut de temps pour rejoindre leur campement. Ils ne savent pas lire sur une carte, et sont incapables de nous montrer notre destination. Nous pensions arriver vers midi au port de Uno par un chenal balisé, en fait nous atterrissons à la tombée de la nuit au sud- ouest de l’île dans un mouillage impossible, ouvert à tous les vents et à une forte houle avec juste assez d’eau (1.80m). A peine mouillés, le capitaine « D’Air Bissau » débarque le matériel, stocké sur Armen et s’en va laissant à Jean-François et Karin trois passagers qui seront contraints de passer la nuit à bord. Au cours d’une petite accalmie vers 2h du matin, je suggère à Armen de débarquer au plus tôt ses encombrants passagers et je prends l’annexe de Tchao pour faire le transfert. A 8h du matin le temps nous paraît assez calme pour visiter les lieux. Il s’agit d’un des innombrables camps de pêcheurs guinéens (de Conakry) ou sénégalais qui fleurissent dans les bijagos. « Nos » naufragés nous accueillent avec chaleur, nous font visiter le village, et nous offrent poulet, citron, tomate. Les pêcheurs sur la plage nous donnent un maquereau bonite . Nous regagnons nos bateaux et prenons le large vers Orango. Hors de question de passer une nuit de plus part ici ! ! !
Après une heure de navigation, nous
arrivons à l’approche du mouillage d’Orango. Pour être à l’abri, il nous faut pénétrer à l’intérieur d’un bolon dont l’entrée est défendue par un banc de sable où se brise la houle. Nous mouillons d’abord à l’extérieur et Armen explore la passe en annexe plomb de sonde à la main. Il pénètre dans le bolon avec seulement 20cm d’eau sous la quille. Nous patientons un peu mais pas assez. Nous avançons surtout trop doucement et un violent courant traversier nous déporte sournoisement. Quand nous nous en rendons compte c’est déjà trop tard, nous sommes sur le banc de sable où se brise une houle de plus de 1.50m. Chaque vague nous soulève les fesses. Moteur à fond, nous avançons certes à chaque vague mais très vite nous nous apercevons que nous nous déplaçons en crabe, toujours plus à l’intérieur du banc. Il faut trouver une autre solution. Tout va très vite. Anne est terrorisée par le bruit infernal que Tchao fait en tapant sur le sable. Je décide de porter une ancre au plus loin à l’avant et de me déhaler dessus au guindeau. Jean-françois vient avec son annexe. Heureusement que nous sommes trois à faire la manœuvre. Anne au guindeau, Jean-françois pilotant son annexe, je récupère le maximum de chaîne dans le dinghy et nous nous éloignons pour planter la CQR de 35kg. La marée est montante. Anne reprend la chaîne au guindeau. Comble de malheur, la chaîne glisse. Je remonte sur Tchao qui repart en crabe sur le banc. Je réussis à maintenir la chaîne dans le barbotin du guindeau. Anne reprend tout doucement le mouillage et petit à petit Tchao se décide enfin à partir dans le bon sens, moteur à fond, poussé par les vagues, tiré par le guindeau. Tchao se dégage, en une dizaine de mètres nous sommes hors de danger, en eaux calmes, ouf ! ! ! Nous avons passé le brisant. Remis de nos émotions, nous mouillons dans le bolon par 4m de fond en eau parfaitement calmes et protégées. Une rapide inspection des fonds nous rassure : pas de dégâts.
Le lieu semble désert. Sur la carte satellite
figure cependant trois villages : Etiopa, Eticoga et Anor. Au petit matin, un homme est sur la plage, nous allons à sa rencontre, c’est Eduardo qui pêche à l’épervier. Il nous propose de nous guider jusqu’à Etiopa et nous voilà partis machette en main prêt à combattre serpents et monstres locaux, à travers savanes, marais et forêt tropicale. A la saison des pluies, le sol est inondé et nous avançons avec de l’eau jusqu’aux genoux. Nous sommes en chaussures de marche mais Eduardo va devant pieds nus ce qui nous rassure sur les risques de morsures ou de piqûres d’animaux inconnus. Etiopa est un tout petit village qui n’est occupé que lors du travail de l’arachide et du riz. Là se trouvent quelques cases rudimentaires inhabitées. Parmi elles une case un peu spéciale, envahie de vieux bidons d’essence recyclée, dégage une odeur forte. C’est une distillerie sauvage de pommes cajous. Ces fruits donnent un alcool appelé localement sum-sum qui titre facilement 60-70° et dont s’abreuvent sans compter les bijagos lors de leurs libations. Eduardo nous en offrira une bouteille affreusement imbuvable. Dans un champ d’arachides un paysan est au travail. Muni d’une pelle rudimentaire, il creuse des sillons parfaits. Nous ne pouvons résister à prendre en photo son corps musclé luisant de sueur. Les champs sont couverts d’un duvet vers tendre. Le riz a déjà deux mois et sera récolté en décembre. Il est cultivé sur brûlis, c’est une espèce locale bien adapté au milieu. Les Américains ne sont pas encore arrivés ici avec leur semence transgénique ! Les champs sont de gestion collective et mobilisent tout le village. Les labours sont faits par les hommes, les plantations par les femmes, lorsque les premiers grains de riz apparaissent les enfants montent la garde avec leur fronde, chassant à coups de pierre les nuées de tisserands qui viennent grappiller. La récolte est le fait de tous. Tous les trois ou cinq ans, les bijagos abandonnent leurs champs et défrichent à la machette une autre partie de forêt vierge, parfois même
sur une autre île. Tout le village se déplace
alors pendant la saison de culture, sur cet autre lieu pour revenir au village source, une fois le riz récolté.
Eduardo va donc endosser le statut de
guide officiel de Tchao et d’Armen. Il sait où vivent les hippopotames. Nous organisons donc une expédition. Il nous faut auparavant aller à Eticoga, la capitale de l’île où se trouve Honorio, responsable de la gestion du parc naturel. Eticoga est le village principal. Honorio, rare bijagos parlant français, nous reçoit dans la case des palabres. Pour éviter tout bakchich, nous insistons sur le fait que nous ne sommes pas des touristes, mais des voyageurs. De plus nous détenons la carte de résident en Guinée-Bissau. Jean-François a la bonne idée de lui signaler sa nationalité suisse, et c’est la Suisse qui finance la réserve naturelle. Ainsi ces arguments nous permettent de nous en sortir sans rien payer des 100.000CFA réclamés au départ par notre guide. Il faut dire que 100.000cfa représentent trois mois de salaire local et que n’importe quel habitant d’Eticoga mettrait plusieurs années pour faire un tel pécule. Eduardo nous a demandé cette somme sans savoir ce qu’elle représente. Car comme tout bijagos il n’a aucune notion de chiffre, de distance ou de temps. L’économie des îles reculées est basée sur le troc et l’argent ne représente ici pas grand chose de concret. Honorio nous demandera seulement d’apporter au chef du village d’Anor où se trouve l’habitat des hippos, du tabac et de la cana, alcool de canne à sucre. Il faut préciser que dans les villages bijagos, toute action, un tant soit peu inhabituelle, doit être précédée d’une cérémonie. La cérémonie honore l’Iran, esprit et dieu des Bijagos. L’Iran est responsable de tout, que se soit en bien ou en mal c’est toujours l’Iran le responsable. L’Iran est adoré et craint. C’est aussi une excuse facile pour les bijagos, quand quelque chose ne va pas bien, c’est l’Iran, quand quelque chose va bien, c’est l’Iran. Pour s’attirer la bienveillance de l’Iran, la cérémonie consiste à s’asseoir en rond, autour d’une figurine en bois représentant l’esprit. Le chef du village, après avoir versé un peu de cana sur la figurine, applique une petite tape amicale sur la tête de l’Iran, et fait passer le cana à tous les participants qui s’abreuvent copieusement. Plus il y a de cana, plus l’Iran est content.
Donc le jour choisi, nous voilà parti avec
Eduardo, en direction d’Anor, une dizaine de kilomètres à pied dans les marécages, de l’eau jusqu’aux genoux. La forêt tropicale, à la saison des pluie, grouille de vie :oiseaux, tortues terrestres. Des milliers d’alevins frétillent dans les moindres flaques qui jalonnent la route . Contrairement à Eticoga qui est une capitale tristounette, le petit village d’Anor est très vivant. L’activité est intense. Les femmes sont au travail, certaines font l’huile de palme, d’autres trient le riz, une autre la vannerie enfin une dernière anime un atelier de pagne.
Pour notre expédition le chef du village
n’est pas satisfait , nous n’avons amené qu’une seule bouteille de cana et un seul rouleau de tabac. Néanmoins, après palabres habituelles sous le manguier sacré, tout rentre dans l’ordre. Le chef du village nous désigne un accompagnateur pour aller voir les hippos qui se trouvent dans un magnifique étang couvert de fleurs, et habité d’innombrables
colonies d’oiseaux. Mais pas un seul hippo
en vue. Notre guide se met soudain à frapper sur sa lance avec sa machette. Le bruit métallique résonne sur la surface de l’étang. Très vite nous entendons des souffles et des grognements dans les fourrés. Le guide ne cesse de sonner. Petit à petit les fourrés s’agitent et les hippos apparaissent. Douze hippopotames énormes forment ce troupeau à l’apparence placide. Le spectacle est époustouflant, l’émotion intense. Nous sommes récompensés de nos efforts. Nous restons un long moment à contempler les animaux évoluer, puis sans vouloir déranger plus longtemps cette nature, nous reprenons le chemin vers nos bateaux.
Au mouillage, le matin les singes sur la
plage nous observent et semblent nous souhaiter le bonjour. Nous passons de nombreuses journées à explorer les alentours, à pied et en annexe, à pêcher le requin sur la plage au surf casting, et à glaner des souvenirs dans le sable. Ainsi nous trouvons des ossements d’une baleine. Nous emportons deux énormes vertèbres. Malheureusement ces pièces sont trop grosses pour être conservées sur Tchao, elles feront d’excellents présents pour l’équipe des Dauphin et pour le grand Gilles.
Orango est un condensé des attraits des
Bijagos. Seul l’épuisement en fruits et en légumes nous oblige à prendre la route vers Bubaque, et nous souhaitons au passage le bonjour aux brisants où nous nous sommes échoués. Après avitaillement nous quittons Bubaque pour Joao Vieira à l’extrême sud de l’archipel.
6h de navigation sépare Bubaque de Joao
Viera à condition de bien utiliser les courants de marées qui sont complexes. Vers 5h de l’après-midi, nous arrivons, au campement de Claude Bossard marin breton marié à Marie, une plantureuse sénégalaise. Au départ spécialisée dans la pêche aux requins pour le commerce des ailerons, l’activité de Claude s’oriente maintenant vers le tourisme écologique depuis l’interdiction de la pêche industrielle dans la réserve naturelle de Guinée-Bissau, au cœur de laquelle se trouve l’île de Joao Viera. L’endroit est très isolé et les moyens de communications et de transports sont inexistants. Il faut 4h de pirogue pour aller de Bissau à Bubaque et encore 2h de pirogue pour aller de Bubaque à Joao Viera. Au tant dire que les clients sont rares et que les quatre cases du campement de pêche « Tiline » restent le plus souvent inoccupées. Claude et sa petite famille végètent et il est souvent difficile de joindre les deux bouts. Aussi Claude est ravi de nous voir arrivés, même si nous ne sommes pas de véritables clients. Il nous accueille chaleureusement et a prévu de sacrifier un petit cochon pour
notre repas qui correspond à l’anniversaire
de ses deux enfants, Marine 2ans et Teddy 6ans.
Nous nous sentons vite ici comme chez
nous. Claude ne veut plus nous lâcher, il nous amène tous les jours à la pêche et nous apprenons enfin correctement à pêcher aux Bijagos. Les horaires de pêche, les lieux, les conditions de mer et de vent, les marées, tout est important pour assurer le succès de l’entreprise. Nous faisons des pêches miraculeuses. En moins d’une heure, la pirogue est remplie de poissons énormes et délicieux. Mais là où le bas blesse c’est que Claude ne dispose d’aucun moyen pour écouler sa pêche. Le prix du poisson est ici inférieur au coût du transport. Une seule espèce l’intéresse : l’otolithe ou fausse morue. Il fait sécher la chair et la revend à Bubaque. Il fait sécher aussi les estomacs, vendus aux japonais qui fabriquent avec des leurres très prisés pour la pêche à la traîne. Les autres espèces de poissons (carangue, maquereau-bonite, dorade, carpe rouge, mussolini, baracouda…), pourtant succulentes, sont gaspillées et rejetées à la mer. Nous nous régalerons quand même de tous ces poissons. Cependant ces parties de pêche nous laisseront une arrière goût amer de gaspillage… Claude lui-même est désolé mais il a absolument besoin de ces otolithes qui sont sa seule et maigre source de revenus. Toutefois il pêche dans des zones très peu exploitées, de manière très artisanale et la faune a largement le temps de se renouveler. La petite plage devant le campement est très abritée, protégée par des barres de rochers. Claude a balisé un chenal qui nous permet de mouiller tout près de la plage où les bateaux sont à sec à marée basse. Tchao et Armen ont droit à un bon nettoyage de coque et se trouvent allégés de quelques bonnes dizaines de kilos de barbe verte et de coquillages.
Claude, avec sa pirogue rapide nous
propose de nous amener visiter l’île de Canhabaque. L’île abrite les populations les plus rustiques des Bijagos. La faune y est très riche. Beaucoup de singes, d’oiseaux, de reptiles et surtout deux espèces d’antilopes : céphalope bleu et Guib harnaché. Le Breton aussi chasseur que pêcheur compte bien mettre une antilope sur notre table à l’honneur de notre menu du soir. Ménèque, que nous visitons est vraiment un village bijagos typique. Les murs des cases sont peintes de très belles peintures rustiques. Malheureusement le village est sale, l’hygiène est déplorable. Les enfants grouillent. L’état de santé de la population est mauvais. De nombreuses personnes sont atteintes d’Eléphantiasis. Jocelyn a la surprise de retrouver un petit bébé qu’il a soigné à l’hôpital de Bubaque qui avait le crâne enfoncé par une manœuvre malheureuse de la matrone. Il le croyait perdu et le retrouve en pleine santé. Les parents sont ravis, ainsi que le capitaine. Il reprend du service mais nous sommes très vite submergés par les demandes de la population. Nous avons un sentiment de claustrophobie. Nous ressentons un besoin impérieux de vite prendre une bonne douche et de prendre l’air du large. Claude a confié deux cartouches a un bijagos qui ramène un singe et un céphalope bleu. Nous n’emporterons que l’antilope. L’idée de manger du singe nous répugne. L’antilope servie le soir même, en civet, sera délicieuse.
Joao Vieira est un bon tremplin pour se
rendre à Poilao à quelques milles au sud- ouest. Poilao est une île sacrée inhabitée. En cette saison, les tortues viennent y pondre en masse. Nous sommes impatients d’assister à ce spectacle que nous avons maintes fois vu dans des reportages. Le dinghy est à l’eau dès notre arrivée, la plage semble avoir été labourée par une horde de chars d’assaut. Un énorme varan surpris par notre intrusion s’enfonce rapidement dans les feuillages. En plein jour, pas de tortues sur la plage. Par contre, dans la mer aux alentours, nous voyons quelques têtes sortir de l’eau. Pas de doute, ces dames patientent pour venir pondre à la nuit. Parfois une gerbe d’écume anime les flots, c’est un accouplement. Sur la plage de nombreux oiseaux piétinent et dans les arbres les vautours palmistes sont à l’affût d’une éclosion pour se remplir l’estomac. Soudain, les vautours palmistes s’animent, plongent vers le sable quelques centaines de mètres plus loin alors que nous sommes en train de barboter. Nous nous précipitons machettes en main (on ne sait jamais), mais nous arrivons trop tard, nous ne sauvons que cinq petites tortues minuscules, les vautours nous regardent d’un seul œil ! ! ! A la tombée de la nuit, nous sommes sur la plage pour observer notre première ponte. Une énorme tortue émerge et se dirige péniblement vers le fond de la plage, à la limite de la forêt. Par je ne sais quel mystère, elle choisit un emplacement. Elle creuse patiemment et méthodiquement un trou à sa taille avec ses pattes avant. Au fond de ce grand trou elle creuse avec ses pattes arrières un petit trou très profond parfaitement excentré dans lequel elle dépose ses œufs dans un effort émouvant. La ponte finie, elle rebouche soigneusement les trous et camoufle astucieusement l’entrée du nid. A note grande surprise, au lieu de repartir vers la mer, elle s’en va quelques dizaines de mètres plus loin pour creuser un autre trou : les tortues ont donc bien compris qu’il ne faut jamais mettre tous ses œufs dans le même panier ! Nous ne la dérangerons plus et nous allons faire un petit feu sur la plage et boire un bière bien fraîche pour fêter cet événement tant attendu.
Le lendemain nous assistons au spectacle
surprenant de l’éclosion d’un nid. Au
départ, on repère une petite tête de tortue
qui sort du sable. Puis quelques tortues apparaissent mais semblent inanimées. Nous les poussons du doigt, elles restent sans réaction. Nous sommes un peu inquiets sur leur santé, (surtout le toubib! ), puis soudain ça bouge vraiment et un véritable geyser de petites tortues minuscules s’échappent du sable et se dirigent instinctivement vers la grève. La première vague les repousse, entêtées, elles replongent et s’éloignent vers leur prochaines épreuves. Cette couvée a eu de la chance. Les vautours sont restés sur leur faim ainsi que les autres oiseaux et hordes de milliers de crabes, tenus à distance par notre présence. Mais nous savons que dans les flots, l’armée des carangues est à l’affût.
Nous restons quelques jours dans ce
mouillage de Poilao. L’eau est très poissonneuse. Nous mettons en service le petit bout de filet trouvé dans le Saloum. En à peine deux heures le filet est plein de poissons. Il faut le retirer promptement. L’eau est si chaude (30/31°), que le poisson, une fois mort, se gâte instantanément et devient immangeable. Le mouillage est très rouleur, à marée haute. Le temps tourne, nous retournons à Bubaque faire les courses avant d’aller nous mettre au vert dans les bolons d’Orangozinho.
Orangozinho fait partie d’un groupe de trois
grandes îles principales. Nous connaissons déjà Orango et nous nous faisons le plaisir d’aller explorer sa petite sœur. Pas facile le chemin d’Orangozinho, toujours les mêmes problèmes de courant, de banc de sable, et une passe en double S difficile à négocier avec notre char d’assaut en quille longue. Il nous faudrait de la vitesse pour ne pas se faire prendre par les courants, en même temps il nous faudrait avancer tout doucement pour ne pas se planter dans un banc de sable. Sans ses dérives le bateau vire mal. La solution c’est de rentrer dans les passes contre le courant de marée de manière à avoir une vitesse relative sur l’eau élevée et une vitesse basse sur le fond. De plus cela permet d’être rapidement dégager en cas d’échouage. Malheureusement nous arrivons avec le courant de marée et bien entendu nous nous offrons non pas un banc de sable mais de boue très meuble où Tchao s’enfonce comme un coin et prend ses aises. Impossible de se tirer de là, l’eau descend rapidement. Nous nous trouvons presque à sec alors qu’à moins de un mètre du bateau, il y a quatre mètres d’eau. Armen est arrivé la veille, il a bien passé le chenal et se trouve mouillé à deux milles à l’intérieur de l’île. Nous voyons le bout de son mât émergé des bancs de sable. Un petit coucou à la VHF : nous le tenons au courant de notre infortune et nous décidons d’attendre la marée haute. Profitant de sa trace gps, il viendra nous chercher à la nuit tombée et nous guide jusqu’au mouillage.
Orangozinho est un havre de paix. Pas le
moindre clapot, mouillage facile partout. Cela ressemble un peu aux bolons de
Casamance avec en plus par place des
palmeraies qui marquent souvent les villages.
Nous nous enfonçons dans la mangrove
vers le village de Uassa. Pour y accéder, il faut prendre l’annexe et s’infiltrer au feeling entre les palétuviers jusqu’à trouver un emplacement qui semble être un débarcadère. Un petit chemin serpente dans les broussailles. Nous sommes sur nos gardes car de nombreuses traces fraîches d’hippopotames défoncent le terrain. Le sentier s’élargit franchement, et nous voilà dans un champs d’anacardiers, qui s’étend jusqu’aux premières cases. Le village est presque désert. Les quelques vieillards qui somnolent sont tout étonnés de notre apparition. Nous sommes pratiquement les seuls blancs à avoir mis les pieds ici. Le village est très propre, impeccablement rangé. Très vite un homme jeune vient à notre rencontre souriant et détendu. C’est le fils du chef du village. Il nous explique que tous les habitants sont au champ, seuls restent les vieillards et Rébecca une magnifique petite fille malade. Elle présente tous les symptômes du palu et en plus certainement d’une amibiase. D’ailleurs d’autres personnes viendront plus tard atteintes d’amibiase. Malheureusement je n’ai pas les médicaments adaptés. Je ne peux que prescrire une ordonnance que les villageois iront chercher à l’hôpital de Bubaque. Avec Armen nous allons examiner le puits, celui-ci est particulièrement bien fait et entretenu. Je conseille au chef d’interdire aux villageois de boire l’eau des ruisseaux. Celle-ci doit être certainement la cause de cette parasitose générale, d’autant plus que de nombreux animaux : cochons, bovins, volailles, caprins, vaguent en liberté. Nous avons droit à une visite guidée des champs de haricots parfaitement cultivés. L’organisation et la propreté de ce village sont tout à fait exceptionnelles. Il y a même des plantations de toutes sortes d’arbres fruitiers : manguiers, papayers, bananiers, corossol… Nous achetons des œufs, et on nous offre un poulet. Chose remarquable, c’est bien le premier village Bijagos où on nous offre quelque chose et où on ne nous demande rien. Ravis de notre visite nous prenons le chemin du retour en promettant de revenir le lendemain amener des médicaments et des vêtements.
Dans la mangrove d’Orangozinho, la pêche
est prolifique. Il suffit de prendre l’annexe et de traîner quelques minutes au raz des palétuviers pour capturer d’énormes barracudas pouvant atteindre 14kg. Pas de
problème pour notre stock de protéines et
le choix des menus : barracudas en sushi, barra en barbecue, barra en papillote, barra à la sauce beurre citron, barra à…
La faune est très riche : martins pêcheur, de
martins chasseur, oie d’Egypte, aigrettes, courlis, héron Goliath, hérons pourprés… Le soir, une mangouste des marais pris l’habitude de venir à marée basse, se remplir le ventre de coques, les décortiquant de ses petites « mains » avec des gestes presque humains. La faune peu sauvage, se laisse facilement approcher. Orangozinho nous laissera un souvenir ému de nature vierge, et le sentiment d’une profonde sérénité. Seule l’imminence de la grande traversée vers le brésil nous arrachera à ce lieu envoûtant. Il nous faut regagner Bubaque pour un carénage approfondi, prendre la pirogue pour Bissau, remplir la cambuse, consulter notre courrier électronique abandonné depuis quelques mois.