Définiti on :
Principe de l’égalité de droit : Selon l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen du 26 août 1789 : « les hommes naissent libres et égaux en droits . Les
distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune . » Les mêmes règles
s’appliquent à tous : c’est une égalité de droit . Cette conception est à la base de la démocratie
libérale .
Cette distinction porte sur le moment choisi pour mesurer l’égalité ou l’inégalité : au
départ ou à la fin .
• L’ égalit é de dépar t ou égalit é des chances consiste à traiter tous les
individus de la même manière au départ et à accepter les différence de situations
.Aussi cette forme d’égalité s’en prend elle d’abord aux diverses modalités de
l’héritage, non pas seulement au patrimoine, mais aux divers avantages que les
privilégiés souvent dans leur berceau.
• En revanche , l’ égalit é d’ ar ri vée ou égalit é des résulta ts consiste à traiter
les individus de la même manière à l’arrivée. R Boudon écrit ainsi : « aujourd’hui ,
ce n’est pas seulement l’égalité de départ qui est revendiquée , c‘est aussi l’égalité
des résultats. Ce n’est plus seulement le privilège de la naissance qui est
scandaleux, c’est l’existence même d’un écart entre les performances des divers
concurrents qui est tenue pour suspecte. ».
Cela a donné naissance à deux conceptions de l’égalité : l’égalitarisme et l’égalité libérale ou méritocratique. .
Toute la difficulté vient de ce que, comme Aristote l’avait noté, les deux formes sont
difficilement conciliables.
A- l’égalitarisme.
Risques engendrés par le principe : Celle ci selon Boudon présente des danger :
• « une stricte égalité des résultats, avant ou après redistribution, ne peut être obtenue que
moyennant une organisation sociale extrêmement contraignante, que les idéologies
solidaristes cherchent à légitimer par l’invocation de l’intérêt général.
• L’égalitarisme des résultats conduit à une réduction parfois dramatique des libertés
individuelles. Il ne limite pas seulement la liberté de ceux au détriment desquels le
transfert de ressources est opéré. Il institue aussi une sorte de tutelle sur ceux pour le
bénéfice desquels il a lieu »
B - L’égalité libérale
Définiti on : Cette conception , que R Boudon qualifie de mérit ocr ati que , prétend
établir une correspondance rigoureuse entre les contributions des individus et leurs
statuts :
• Elle compte sur une mobilité sociale accrue pour extirper les privilèges une fois
qu’auraient été instituées dans la concurrence entre les membres de la société
des conditions égales pour tous . Une fois tout le monde mis sur le même pied , on
fait l’hypothèse que les gagnants ne peuvent être que les meilleurs .
• La méritocratie accepte des disparités éventuellement très fortes dans la
hiérarchie statutaire .La question est de savoir dans quelle mesure les disparités
sont équitables et justes
E Maurin constate les limites de l’égalité des chances : « Par égalité des chances, on
entend généralement l'égalité de traitement des individus par les institutions
d'évaluation et de sélection sociale que sont l'école ou l'entreprise, par exemple. Dans
un objectif de justice sociale, cette notion est insuffisante dans la mesure où elle oublie
que les individus arrivent fondamentalement inégaux devant ces institutions. Chacun
d'entre nous est le produit d'une histoire personnelle plus ou moins heureuse, dont il
n'est pas responsable, et il est profondément injuste de le nier. Pour progresser vers
davantage de justice sociale, le plus difficile est de définir les causes des inégalités
dans la constitution même de chaque personne. C'est un processus de long terme qui
commence dans la petite enfance et se poursuit au long de l'histoire familiale
notamment. On ne réglera pas le problème de l'injustice sociale simplement en rendant
les mécanismes de sélection moins inégalitaires. Il faut avant tout donner les moyens
aux enfants et aux individus de se construire. D'où l'égalité des possibles. »
R Pfefferkorm poursuit : « L’égalité des chances est une notion typiquement libérale qui est
mise sur le devant de la scène pour justifier l’existence, voire l’accroissement, des
inégalités sociales et en aucun cas à réduire ces dernières. Or depuis 25 ans les
inégalités sociales se sont fortement accrues au détriment de la plupart des salariés, et
le mouvement régressif se poursuit.
Pendant la même période, l’expression égalité des chances s’est répandue dans le débat
public, dans les déclarations politiques et dans la presse, mais aussi dans les textes
juridiques. Des juristes ont souligné avec raison l’ambivalence et l’ambiguïté de cette
notion (voir Koubi et Guglielmi (dir.), L’égalité des chances. Analyses, évolutions,
perspectives, La Découverte, 2000). Ils expliquaient qu’il s’agit pour ceux qui se servent
de cette notion « de prévoir et d’énoncer des mesures d’adaptation, d’accommodement
pour masquer, déguiser les formes les plus apparentes de l’inégalité et prétendre
respecter et faire respecter le principe d’égalité ».
La notion floue d’égalité des chances remplit donc une fonction de masque en écartant
« toute interrogation sur la formation et le développement des inégalités économiques
et sociales, et parfois même sociales et culturelles ». Elle permet en même temps de
légitimer et de renforcer le principe de l’inégalité sociale. En effet, cette notion sous-
entend l’inégalité puisque « chance » suppose la possibilité de s’élever à un niveau
supérieur dans une société fortement stratifiée. Le jeu de l’égalité place illusoirement
les individus dans une situation théorique identique au départ, mais la chance sensée se
développer librement assure la reproduction et la consécrations des inégalités. En effet,
« si le jeu de l’égalité rend à chacun certaines chances et doit limiter normalement le
rôle de certains déterminismes, le jeu de la chance ainsi ouvert ne peut que réintroduire
des inégalités ».
Cette notion libérale permet enfin de déplacer la question de l’égalité du terrain de la
légitimité de l’existence de la hiérarchie sociale sur celui des chances individuelles d’y
occuper une place de choix. Le caractère social des inégalités est renvoyé au mérite
individuel, à l’aptitude, au talent, aux capacités, aux « dons », voire à la chance de
chaque individu pris isolément. La notion d’égalité des chances permet finalement de
diluer et de dénaturer la valeur d’égalité, l’égalité comme réalité et comme horizon. Car
là où il y a égalité, par définition il n’y a pas besoin de chance ; et là où il y a chance il n’y
a pas égalité, mais hasard, gros lot ou lot de consolation »
IV - EGALITE – EQUITE
L’équité est une notion ancienne : elle est, selon Aristote, le principe qui caractérise la
justice distributive , c’est-à-dire donner à chacun son dû selon sa situation particulière ,
sa valeur , son mérite .
Le principe d’égalité ou d’équivalence (selon Aristote ), en revanche , s’applique en
matière de justice commutative , c’est-à-dire dans les échanges privés fondés sur la
réciprocité , l’échange ne devant pas modifier la position relative des classes de
citoyens. En matière de justice sociale et de répartition , l’équité conduit donc à
proportionner des rétributions à la situation des individus en fonction des critères de
justice . Cela conduit nécessairement à considérer que des distributions inégales
peuvent être plus justes que des rétributions égales .
Cette notion est devenue ambigue , car elle est utilisée de manière contradictoire par :
• les auteurs libéraux qui préconisent au nom de la justice sociale et de l’efficacité une distribution inégale des
richesses proportionnée aux mérites des individus
• les auteurs défendant des politiques de discrimination positive , celle-ci consiste , au contraire , au nom de l’équité à
moduler les droits afin de donner plus à ceux qui ont moins ou souffrent de handicaps ( naturels et / ou socio-
culturels ) ou de discriminations . Il s’agit donc d’une inégalité juridique compensatrice ( exemple : la politique
d’affirmative action aux EU ou les ZEP , la parité en France )
A – LA DISPARITE
Définiti on : On parle de disparité lorsqu’on mesure l’écart qui existe entre les valeurs
moyennes de deux groupes différents .
Exemple de compréhension : Ainsi en 1994 en France le salaire net moyen des cadres sup est de 20720 celui des ouvriers
non qualifiés est de 6310 le coefficient multiplicateur indiquant la disparité est de 20720/ 6310.
B – LA DISPERSION
Définiti on : On parle de dispersion lorsqu’on mesure l’écart qui existe entre les valeurs
extrêmes prises par une série de grandeurs .
Cet intervalle est tel que 80 % de la population est comprise entre les deux caractères . Cela mesure l’écart absolu ;
on peut aussi mesurer :
C - LA CONCENTRATION
Constat : Une étude de longue période montre que la hiérarchie des salaires a été affectée par une succession de
mouvements contraires qui se sont compensées pour maintenir une disparité des salaires relativement importante en France :
T.Piketty constate que les inégalités face au travail n’ont pas réellement diminué sur longue période :
• ainsi , la part des 10 % des mieux rémunérés a oscillé aux alentours de 25 – 28 % de la masse salariale tout au long
du XX° siècle
• la part des 1 % les mieux payés ( le centile supérieur ) a été stable aux alentours de 6 – 7 %
• la part des 10 % les moins bien rémunérés ( décile inférieur) a quant à elle toujours gravité autour de 4 à 5 %
• « le pouvoir d’achat des salaires a été multiplié par 5 au cours du XX° siècle , mais la hiérarchie n’a pas changé :
les ouvriers agricoles et les domestiques , qui , il y a un siècle , constituaient la masse des salariés les moins bien
rémunérés ont quasiment disparu , mais la dispersion des salaires n’a pas diminué pour autant ( … ) Cette stabilité
montre que le salariat a toujours constitué un monde fortement stratifié , bien avant qu’on le caractérise comme tel »
.
• « on constate certes , en France , comme dans tous les pays une réduction substantielle du rapport entre le salaire
moyen des cadres et celui des ouvriers sur longue période ( de 4 en 65 , on tombe à 2,5 en 98 ) en dépit du fait que
l’écart entre les 10 % des salariés les mieux payés et les 10 % les moins bien payés est globalement stable . Ce
paradoxe s’explique simplement par le fait que les effectifs de la CSP des cadres augmentent régulièrement au cours
du temps ( alors que le nombre d’ouvriers diminue depuis les années 70 ) si bien que l’évolution du rapport entre le
salaire moyen de ces deux groupes est artificiellement tiré vers le bas ( cadre moyen devenant de moins en moins
supérieur) . » Ainsi , apparaît une hyper classe de cadres ( un cadre sur 1000 environ) dont la rémunération peut-
être 5 , parfois dix fois plus forte que ses pairs .
Remarque : Il faut noter de plus que les inégalités de salaire entre les hommes et les femmes sont restées à peu près stable
sur la période, les hommes gagnent en moyenne 28 % de plus que les femmes.( doc 2 et 3 p 186-187)
Remarque : On introduit maintenant les professions indépendantes qui bien évidemment n’avaient pas été retenues dans
l’étude des inégalités de salaires .
Constat : le rapport entre le revenu d’activité moyen des indépendants non agricoles et celui des ouvrier s’établit à 2,47.
Ces inégalités pourtant non négligeables ne sont rien par rapport aux inégalités de revenu de la propriété.
Remarque : L’activité professionnelle n’est pas la seule source de revenus pour un ménage, certains éléments du patrimoine
dont le ménage dispose produisent des revenus, qui viendront s’ajouter à ceux engendrés par les activités professionnelles de
ses membres, pour constituer la totalité de son revenu primaire.
Constat : Les inégalités de revenus de la propriété sont très importantes. Elles le sont d’autant plus que si sur la période
1990-1996 les revenus fiscaux ont en moyenne augmenté de 0,5 % ( 1 % pour le décile le plus riche , mais ont baisse de 2,5
% pour le décile le plus pauvre) , la performance réelle des placements a été de 10 % , les actions françaises ayant même
gagné sur la période 25 % . La très forte valorisation du patrimoine financier résultant de la dérégulation des marchés
financiers a ainsi contribué à creuser les inégalités de revenus durant les années 90
T.Piketty écrit : « L’inégalité séparant les détenteurs de patrimoine de ceux qui n’ont hérité que de leur force de travail est la
plus criante et la plus difficile à accepter des inégalités sociales . Il n’est donc pas étonnant que les critiques les plus
virulentes du capitalisme se soient concentrées pendant longtemps sur cette opposition capital-travail , notamment depuis les
travaux de K.Marx .( …)L’inégalité est ainsi décrite comme une opposition entre ceux qui possèdent le capital et ceux qui
n’en possèdent pas et qui doivent donc se contenter des revenus de leur travail . La source fondamentale e l’inégalité serait
donc l’inégale répartition de la propriété du capital , les deux termes de cette inégalité fondamentale , capitalistes et
travailleurs , sont d’abord conçus comme des groupes homogènes comparés à tous ceux qui les opposent : l’inégalité des
revenus du travail ( pourtant très importante ) est considéré comme secondaire .
Constat :
• au niveau macro-économique , les revenus du capital représentent la même part du revenu national qu’il y a un
siècle . Cette stabilité macro-économique de la part du capital s’observe dans tous les pays sur longue période . Elle
était d’ailleurs considérée par Keynes comme la régularité la mieux établie de toute la science économique
• par contre , la concentration des patrimoines a fortement évolué : ainsi , si l’on prend la part des 1 % des décès les
plus fortunés dans le total des successions , ils représentaient :
- 55 % du total entre 1900 et 1914
- ont baissé de 55 à 42 % entre 1914 et 1920
- se sont stabilisés aux alentours de 42 % durant l’entre-deux guerres
- ont chuté durant la guerre pour atteindre 35 %
- se sont stabilisés entre 45 et 65 aux alentours de 35 %
- pour chuter continuement jusqu’à 18 % aujourd’hui
- donc entre 1914 et 2000 , la part du 1 % des décès les plus fortunés a été divisé par 3,5 .
• cela a conduit , selon Piketty , au passage : « d’une société de rentiers à une société de cadres au cours du XX°
siècle qui représente un bouleversement d’une importance comparable au passage de la société aristocratique à la
société bourgeoise qui avait totalement restructuré le corps social et les perceptions des inégalités »
• Piketty peut alors en conclure : « le fait que les personnes vivant de revenus de patrimoines accumulés dans le
passé n’aient plus aujourd’hui qu’une importance symbolique et ne constituent plus un groupe social en tant que tel
explique dans une large mesure pourquoi le capitalisme ne connaît plus les contestations radicales exprimées il y a
un siècle . La fin des rentiers a fortement contribué à légitimer les inégalités et à les rendre moins inacceptables : les
inégalités passent aujourd’hui principalement à l’intérieur du travail et peuvent être plus aisément justifiées par des
considérations méritocratiques que par le passé » .
Il n’en reste pas moins que les inégalités de patrimoine demeurent très fortes , beaucoup plus importantes que les inégalités
de revenu :12 p 185
• Ainsi quand on établit le rapport entre le patrimoine moyen d’un indépendant non agricole et celui d’un ouvrier , on
obtient 6, 14.
• Si l’on fait une étude en terme de concentration :
- on constate que les 10% les plus riches transmettent 51,2% du patrimoine total ( les 1% 20%),.
- Par contre les 10 % les plus pauvres transmettent seulement 0,7% du total (les 50% les plus pauvres
transmettant 12,6% du total , c’est à dire presque deux fois moins que le 1 % le plus riche).
• La part des revenus tirés du patrimoine dans le revenu des ménages après être resté stable aux alentours de 4 %
entre 70 et 98 , a fortement augmenté durant les années 90 pour atteindre 10 % en 82 , ce qui traduit la très forte
augmentation de la rémunération du capital , en particulier sous forme d’actions , alors que les salaires qui avaient
fortement augmenté pendant les 30 Glorieuses ( multipliés par plus de 6 en francs constants ) progressent
maintenant très lentement .
La politique de redistribution des revenus opérée par l’Etat a donc pour objectif de réduire ces inégalités.
Constat : Le système de protection sociale français relève principalement d’une logique d’assurance, pour percevoir des
prestations sociales , il faut au préalable avoir acquitté des cotisations. Le montant de la prestation (retraite, chômage) sera
fonction de la contribution de l’individu. Cela va avoir deux effets :
• Tous ceux qui n’ont pu acquitter des cotisations se trouvent dépourvus de toute protection sociale . A Bihr et R
Pfefferkorn écrivent « la protection sociale risque de manquer à ses plus élémentaires devoirs et de ne plus même
mériter son nom ».
• le montant , et la durée de prestations telles que les allocations chômage peuvent varier dans des proportions
importantes , ce qui risque d’accroître les inégalités . En effet ceux qui sont les moins bien insérés ont cotisé moins
longtemps bénéficient donc de droits réduits dans le temps, ce qui risque de les faire tomber dans l’exclusion.
Conséquences : Pour pallier ces insuffisances, l’assurance maladie a été généralisée et de prestations de solidarité ont été
instituées (minimum vieillesse, RMI, etc.). Relevant explicitement d’une logique de solidarité , répondant au principe : « à
chacun selon ses besoins » A Bihr et R Pfefferkorn se posent deux questions :
• ces prestations couvrent-elles les besoins des populations concernées ?
• leur montant est-il suffisant ?
Constat : Si l’on prend en compte les prestations familiales , logement, RMI, et minimum vieillesse la redistribution n’est
pas négligeable :
• En effet les 10% des ménages déclarant les revenus fiscaux les plus faibles voient grâce aux prestations citées , leur
revenu s’améliorer de 83,6 %, le chiffre n’est que de 1,1% pour les 10% les plus riches .
• Si l’on prend en compte tous les revenus de transferts opérés par l’Etat , on constate que l’écart interdécile en 1970
après redistribution était de 4,8 ( il était de 10 si l’on mesure les inégalités de revenus fiscaux ) , en 97 il n’est plus
que de 3,4 ( 6,5 si l’on mesure les revenus fiscaux ).
Relativisation : A Bihr et R Pfefferkorn considèrent que le montant des prestations sociales relevant de la solidarité (tel le
RMI) est nettement insuffisant pour assurer une couverture convenable des besoins des populations concernés. La logique
de l’assurance semble donc l’emporter sur celle de la solidarité.
La fin des rentiers que nous avons expliquée plus haut et la forte chute de la concentration des patrimoines constatée depuis
le début du XX° siècle s’explique essentiellement par l’introduction d’une fiscalité progressive : en 1914 , l’impôt sur le
revenu n’existe pas , le taux d’imposition sur les successions est extrèmement faible : 1 % tout au Long du XIX° siècle ..
Mais dès 1924 , le taux marginal supérieur de l’impôt sur le revenu atteint 90 % et se maintient tout au long des 30
Glorieuses aux alentours de 70 % . L’imposition sur les successions progresse elle aussi fortement . Piketty peut alors en
conclure : « après la première guerre mondiale , les taux d’imposition sur le revenu et sur l’impôt des successions atteint des
niveaux extrèmement élevés pour les contribuables les plus fortunés et il devient donc très difficile de reconstituer et de
transmettre des patrimoines aussi importants que par le passé , si bien que la concentration des fortunes ne peut retrouver
son niveau d’avant 14 . »
Mais Piketty poursuit : « La fin des rentiers est due à des circonstances historiques particulières et à des institutions
spécifiques . Si ces circonstances changent et si on revient à fiscalité du XIX°siècle , alors il est fort probable que l’on
revienne à des inégalités du XIX° siècle .De fait , à l’aube du XXI° siècle , plusieurs facteurs contribuent à remettre en
cause le compromis fiscal du siècle précédent .La faillite du communisme a jeté le discrédit sur l’intervention de l’Etat dans
l’économie en général , y compris sur les formes d’intervention publique qui ont relativement bien fonctionné . Ce
retournement idéologique est particulièrement marqué aux EU . Après avoir fortement abaissé l’impôt sur le revenu pour les
contribuables aisés , le président Bush a décidé en 2002 de supprimer purement et simplement l’impôt sur les successions ,
impôt qui avait vu le jour en 1916 outre-Atlantique et qui avait été longtemps plus progressif que son équivalent français .
La mondialisation et la concurrence fiscale croissante que se livrent les Etats pour attirer les investissements accentuent
cette évolution et contribuent à la propager en Europe , dès lors que la politique fiscale continue d’être déterminée à
l’échelon national . Si un tel mouvement devait se confirmer , il serait fort étonnant que l’on ne voit pas réapparaître terme
une classe de rentiers » .
A Bihr et R Pfefferkorn constatent quand ils dressent le bilan que « dans leur ensemble les prélèvements obligatoires
sont bel et bien dégressifs en France. Autrement dit moins on gagne, plus on paie , proportionnellement parlant .
L’arbre de l’IRPP (impôt sur le revenu) masque ici la forêt des impositions directes et surtout des cotisations
sociales. »
Explications : On peut ainsi constater que le taux de prélèvement obligatoire sur le revenu primaire des ménages est de
22,8% pour les agriculteurs, 26,6 % pour les professions indépendantes (et encore ne prend on pas en compte la fraude
fiscale qui est d’après toutes les études plus importantes car plus aisée chez les professions indépendantes que chez les
salariés), de 49,2% pour les ouvriers. Ainsi le revenu primaire d’un profession indépendante non agricole est en moyenne 3
fois plus élevé que celui d’un ouvrier, , le taux de prélèvement qu’il a à subir est 2,2 fois plus faible .
Constat : Le droit au logement a mis du temps à être reconnu en France , il a fallu attendre 1990 et la loi Besson pour que
« le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation . ».Mais A Bihr ET R Pfefferkorn
constatent que « sur ce point comme sur bien d’autres la solidarité nationale est bien défectueuse » :
• On comptabilise ainsi en France en 2000 850 000 personnes qui vivent dans des habitations sans confort et
insalubres .Plus de la moitié des ménages à faible revenu ne dispose pas d’un logement pourvu des commodités
indispensables ( toilettes et salle de bains )
• Dans le même temps il existe en France 2 OOO OOO de logements vacants : « autrement dit de quoi loger ou
reloger la totalité des sans-abri et des mal-logés.
• Les pouvoirs publics possèdent bien un droit de réquisition des logements vacants pour y loger des familles sans
toit, droit que la loi Besson a réaffirmé, mais dont il est manifestement peu fait usage. Il est vrai qu’il faudrait alors
violer le sacro-saint droit de propriété, l’un des piliers de notre organisation sociale et de notre constitution
politique, face auquel le droit au logement ne pèse pas lourd » (A Bihr et R pfefferkorn).
• Le risque de se retrouver mal logé ou sans logement est d’autant plus fort que l’on est locataire, la propriété protège
. Or le taux de possession d’une résidence principale varie énormément en fonction de la CSP : 77 % des
agriculteurs , 66 % des professions indépendantes mais seulement 45 % des ouvriers 35 % des employés possèdent
une résidence principale.
• Les années 90 marquent d’ailleurs une rupture dans l’évolution des loyers dont la libération a entraîné une forte
hausse : entre 1990 et 99 , la valeur locative des logements a augmenté de 70 % alors que l’indice des prix ne
progressait que de 44 % , ce qui au moment où le chômage augmentait a aggravé les difficultés de logements pour
les ménages les plus pauvres .
Constat : On verra dans le cours sur la mobilité sociale qu’elles restent importantes en France malgré la démocratisation
qui s’est développée depuis 40 ans , mais en plus on constate que ces dernières années les disparités semblent à nouveau
augmenter . Citant A henriot van zanten , A Bihr et R Pfefferkorn soulignent : « le risque d’une dualisation du système
éducatif, :
• où « l’un des secteurs verrait ses conditions matérielles, les attentes des élèves et des parents et la motivation des
enseignants se dégrader ».
• L’efficacité de l’ autre secteur s’améliorerait, mais « au prix d’un renoncement à l’idéal de l’école démocratique et
intégratrice » .
Conclusion : En somme ,la déréglementation accentue les inégalités en augmentant la distance sociale entre les écoles
ghettos et les pôles d’excellence ».
Constat : Les familles populaires ont un usage du temps libre qui est plus centré sur le foyer et la famille que les cadres qui
ont plus d’activités en couples , solitaires et culturelles :
• La télévision est omniprésente, mais sil les ouvriers passent en moyenne 22 heures par semaine devant la télé, les
cadres y passent seulement 14 heures. De plus les émissions regardées sont très différentes :
- les agriculteurs et les ouvriers plébiscitent les émissions de divertissement et les feuilletons populaires.
- Les cadres supérieurs regardent eux les émissions estampillées culturelles : apostrophes (puis bouillon de
culture), le cercle de minuit, ou le ciné club, Arte.
• cela se retrouve dans la lecture : en France:
- 83 % des agriculteurs ont lu moins de 10 livres dans l’année ( 1% plus de 50),
- le chiffre est de 28 % pour les cadres (17% plus de 50).
- Plus inquiétant encore la pratique de lecture a mieux0 résisté dans les milieux diplômés que dans les classes
moyennes et populaires pour les quelles le recul est important.
• les activités d’auto production (bricolage , couture, jardinage) sont avant tout des activités populaires. Mais si
les classes populaires bricolent ce n’est pas d’abord pour le plaisir . On bricole toujours et d’abord par nécessité
économique.
Remarque : Le passage aux 35 heures ne paraît pas avoir permis de réduire les inégalités, il peut même les avoir accrues
car :
• avec le développement de l’annualisation du temps de travail , la réduction du temps de travail s’opère souvent en
fonction des impératifs des entreprises pour les ouvriers et employés. Ainsi les ouvriers auront du temps libre durant
les temps morts des entreprises qui ne correspondent pas forcément aux périodes qu’ils souhaiteraient (vacances des
enfants). Inversement pendant les périodes de forte production les horraires peuvent aller jusqu’à 45 heures par
semaine, des week-ends sont alors consacrés au travail.
• Pour les cadres la réduction du temps de travail se traduit par une multiplication des week-end à la montagne, en
Europe, artistiques ou gastronomiques.
• Pour les sorties et spectacles les inégalités sont aussi importante sinon plus . Elles se sont même accrues. Ainsi sur
100 individus fréquentant le théâtre :
- en 81 20 étaient des ouvriers, 20 des cadres sup,
- en 1988 sur 100 27 sont des cadres sup , seulement 16 des ouvriers.
- Sur 100 individus allant à un concert de musique classique en 73 19 sont des cadres , 21 des ouvriers ,
- en 88, 31 sont des cadres , 13 des ouvriers.
- La fréquentation par les ouvriers des lieux traditionnels de la culture légitime 6 à 8 fois plus faible que
celle des cadres.
• le taux de départ en vacances reste très inégalitaire et semblent même dans certains cas s’accroître . Ainsi , si 33%
des agriculteurs partent en vacances en 99 contre seulement 25 % en 94 , la proportion d’ouvriers partant en
vacances a chuté passant de 48 à 45 % , alors que celle des cadres a faiblement augmenté passant de 86 à 87 % .
Taux de départ en vacances selon la catégorie sociale Conséquences : Comme l’indique A Bihr
Unité : % et R Pfefferkorn cela est à l’origine d’un
effet non recherché :
1994 2004
• « le financement partiel par des
Agriculteurs 24 38 subventions publiques de ce type
Artisans, commerçants, chefs d’entreprise 57 67 d’activité équivaut finalement à un
transfert indirect de fonds public
Cadres, professions intellectuelles supérieures 86 90 vers des catégories sociales qui ne
Professions intermédiaires 80 78 connaissent pas précisément le
Employés 65 63 plus de difficultés économiques .
(...).
Ouvriers 48 48 • La politique de démocratisation
Retraités 48 53 culturelle, revendiquée haut et fort
Autres inactifs 60 66 par Malraux et, plus tard, dans un
style plus clinquant par Lang a
Total 62 65 donc été un échec flagrant : les
pratiques culturelles savantes ne
se sont pas davantage diffusées, le
Source données : Insee - Enquête Permanente sur les conditions de vie (EPCV)
noyau dur des pratiquants
réguliers ne s’est pas renforcé, et l’élargissement vers un public plus populaire n’a pas eu lieu ».
Constat :
• L’état moyen de santé de la population française s’est considérablement amélioré.
• Mais les inégalités sociales devant la mort n’ont pas pour autant disparu, elles semblent même s’accroître. Ainsi en
1960-69 l’espérance de vie à 35 ans d’un manœuvre est de 34,2 ans, celle d’un cadre supérieur de 41, 7 . Entre
1969 et 1989-89 l’espérance de vie des manœuvres s’est accrue de 1,5 ans, celle d’un cadre sup de 2,3. En 80 ,
l’écart d’espérance de vie à la naissance entre un ouvrier et un cadre était de 4,8 ans , il a augmenté pour atteindre
6,5 ans en 1996 et 7 ans en 1999. Les inégalités entre les sexes ont elles aussi augmenté ( 5.8 ans en 1950
d’espérance de vie en plu pour les femmes en 1950 , 7 ans en 2004)
• Ceci peut paraître surprenant alors que la sécurité sociale a justement eu pour but de mettre toute la population à
l’abri de la maladie, donc de réduire les inégalités face à la mort.
Constat : Comme l’indique D Gaxie dans son livre le « cens caché » (référence au système censitaire en place en France
durant la monarchie de juillet) la participation à la vie politique est très inégalement répartie :
• Ainsi sur 100 électeurs potentiels, les professionnels qui vivent de et pour la politique représentent un nombre très
faible, négligeable,
• 2 % vivent pour la politique sans en faire leur métier ( ex : militants de partis), 10 % participent de temps en temps
à des activités politiques (réunions , manifestations);
• 15 % sont des spectateurs réguliers qui s’intéressent à la politique à travers les médias,
• entre 20 et 40 % sont des spectateurs occasionnels dont l’intérêt pour la politique est intermittent,
• 50 % sont indifférents à la politique.
Explications : Cette inégale participation à la vie politique n’est pas répartie de façon équitable dans les différentes
catégories de la population : ainsi la participation à la vie politique augmente si l’on passe
• des femmes aux hommes,
• des jeunes aux personnes âgées,
• des sans diplômes aux diplômés de l’enseignement supérieur,
• des ouvriers agricoles , des classes populaires aux cadres supérieurs,
• des célibataires aux mariés,
• des individus qui ne participent pas à la vie associative ou syndicale à ceux qui y participent.
Conclusion : On peut donc en conclure avec A Lancelot que la participation électorale dépend :
• de l’intégration à la société globale : les catégories sociales dont le destin dépend des choix effectués par d’autres
catégories, et qui sont ainsi placées dans une situation de subordination (jeunes, les pauvres, les moins éduqués),
s’abstiennent davantage que ceux qui contrôlent collectivement leur destinée (adultes, patrons, etc.;).
• De l’intégration à un groupe intermédiaire: les électeurs s’abstiennent d’autant plus qu’ils sont moins intégrés à
leur cadre de vie ( ex : les migrants, les isolés), au contraire l’abstentionnisme recule quand s’affirme la
participation sociale ( appartenance à une église, un syndicat, une association, etc.).
• D Gaxie quant à lui pense que : « l’abstentionnisme électoral est le signe d’un rapport d’exclusion généralisé
que certains agents entretiennent avec la politique (...) . L’abstentionnisme électoral résulte d’une incapacité à
déchiffrer les significations des élections et à se prononcer sur ses enjeux. (...). L’abstentionnisme électoral traduit
ainsi une réaction de désarroi dont on ne sera pas surpris de constater qu ’elle concerne principalement les agents les
plus culturellement défavorisées. (...) En provoquant l’exclusion électorale des agents culturellement et/ou
socialement dominés, les inégalités de politisation fonctionnent comme un cens caché et aboutissent aux même
résultats, de façon certes plus atténué, que les restrictions du droit de vote et les conditions d’éligibilité posées aux
18ème et 19 ème siècle pour écarter les femmes et les classes dangereuses. Elles apparaissent dés lors comme le
principal facteur tendant présentement à perpétuer le monopole politique des catégories dominantes. ». Ce passage
écrit en 1978 prend tout son sens quand on pense à la faible participation des chômeurs et des exclus qui ne peuvent
ainsi faire entendre leur voie.
La construction d’indicateurs de synthèse paraît nécessaire afin de mesurer la réalité des inégalités et de la pauvreté .Ainsi a
été établi le BIP 40 qui est une référence ironique au PIB et au CAC 40 . Il vise à quantifier les différentes dimensions de
l’inégalité et de la pauvreté . 6 principales dimensions ont été retenues :
• emploi et travail qui retient 4 rubriques : chômage , précarité , conditions de travail , relations professionnelles
• revenu qui retient 4 rubriques : salaire , pauvreté , consommation , inégalités et fiscalité
• santé : 5 indicateurs retenus
• éducation : 5 indicateurs
• logement : 5 indicateurs
• justice : 4 indicateurs
Pour établir le BIP , on attribue à chaque indicateur partiel une note comprise entre 0 et 10 ( 0 pour les meilleurs résultats ,
10 pour les pires ) .L’indice progresse donc quand les inégalités et la pauvreté s’accroissent . Dans un second temps , on
agrège les notes obtenues en tenant compte du fait que certains indicateurs sont plus importants que d’autres . On va donc
calculer une moyenne pondérée ( par exemple , les coefficients de pondération de l’emploi et du revenu sont les plus élevés )
.
Les résultats obtenus sont qu’entre 82 et 2000 le PIB / habitant a augmenté de 38 % , mais que cet enrichissement moyen de
la population n’a pas permis de réduire les inégalités qui ont , au contraire , fortement augmenté , puisque le BIP se situait à
3,5 sur 10 en 82 et qu’il atteint en 2000 une note de 6 . Les inégalités de travail , d’emploi de logement et de justice sont
celles qui ont le plus fortement augmenté .
• La pauvreté, a priori, peut se définir en termes exclusivement économiques. On retiendra , alors comme critère
l’insuffisance globale de revenu (en particulier à partir de la définition d’un seuil de pauvreté.
• Mais rapidement cette définition semble insuffisante: la pauvreté est une réalité multidimensionnelle, qui ne se
réduit pas à la seule insuffisance de ressources. La pauvreté concerne l’ensemble des aspects de l’existence
individuelle : forte instabilité professionnelle, faiblesse des revenus primaires, dépendance importante à l’égard des
revenus de transfert, insuffisance des revenus disponibles par unité de consommation, faiblesse du patrimoine,
difficulté de logement, morbidité et mortalité élevées, faible niveau de formation générale et professionnelle, peu de
loisirs et de détente , manque d’ouverture à la culture savante, faible capital de relations sociales. La pauvreté peut
alors se définir par le défaut :
- d’avoir : expropriation à l’égard des moyens de production et de consommation, revenus insuffisants et /ou
irréguliers, absence de réserve et de fortune (patrimoine).
- de pouvoir : c’est à dire l’absence de maîtrise sur les conditions matérielles et institutionnelles de sa
situation, la précarité, et la dépendance institutionnelle (à l’égard des organismes de protection sociale ) qui
en résultent, la fragilité des réseaux de socialisation ( milieu professionnel , voisinage, association) souvent
limités à la famille, l’absence surtout de capacité politique ( de capacité conflictuelle, de capacité à
transformer sa propre situation par la lutte collective et/ou les médiations organisationnelles ou
institutionnelles: cf l’exemple des chômeurs)
- de savoir, c’est à dire non seulement la disqualification scolaire, le défaut de capital scolaire (absence de
diplômes) et culturel (l’extranéité à la culture savante) , mais plus fondamentalement encore la faible
capacité à symboliser, à se construire une représentation cohérente du monde, à s’y repérer et à s’y orienter
de manière à pouvoir le transformer à son avantage.
Conclusion : Si la pauvreté est multidimensionnelle, c’est qu’elle relève d’un processus cumulatif :
• Nous la définirons par l’accumulation de handicaps résultant d’inégalités tendant à se renforcer réciproquement.
• Au bout de cette accumulation se profile l’exclusion des modes de vie plus ou moins considérés comme normaux
par notre société, qui marque le degré extrême de la pauvreté. Le CERC a distingué 3 types de population:
- une population intégré économiquement grâce à un emploi stable, mais aussi socialement, grâce à un
revenu régulier, ainsi qu’à un capital social et culturel bien constitué. Cette population représente 80,3 %
des actifs.
- une population fragile formée d’individus marqués par une forte instabilité professionnelle et par des liens
sociaux qui restent faibles, il s’agit pour l’essentiel de jeunes en attente d’une meilleure insertion. Cette
population représente 14,5 % des actifs, dont la fragilité s’accroît au fur et à mesure que perdure leur
situation d’instabilité professionnelle.
- Une population en situation de retrait du marché de l’emploi qui est composée principalement de
travailleurs âgés qui connaissent simultanément une forte pauvreté matérielle mais aussi relationnelle.
Cette population défavorisée représente 5,2 % des actifs.
Remarque : Selon le CERC ces 3 populations ne présentent pas la même probabilité d’être frappée par l’exclusion :
• si l’on approche l’exclusion en présupposant que le risque est d’autant plus fort que l’individu accumule plus de
handicaps (on retient seulement deux critères : la pauvreté économique et la vulnérabilité sociale. On peut alors
constater que le risque d’exclusion , et donc de plongée dans la misère et la pauvreté , s’accroît
quantitativement au fur et à mesure qu’il s’aggrave qualitativement : plus ce risque est lourd de conséquences,
plus sa fréquence est grande , dit autrement : on risque d’autant plus de s’appauvrir (de cumuler des handicaps et
des handicaps de plus en plus lourds) que l’on est déja pauvre (c’est à dire frappé par des handicaps) .
• S Paugam, l’auteur de l’étude conclut ainsi : « le cumul de handicaps est donc aussi cumul de risques de
disqualifications sociale ».
Conclusion : On peut donc en conclure que comme dans le cas de la pauvreté, ces multiples dimensions de la richesse
font système, en se renforçant réciproquement en un processus cumulatives m^mes enchaînements et rétroactions entre les
inégalités, qui conduisent à l’accumulation de handicaps à l’un des pôles de la hiérarchie sociale, produisent en effet une
accumulation d’avantages et de privilèges à l’autre pôle.
• L'Europe des Six s'était constituée autour des pays les plus développés du Vieux Continent. Quand l'Espagne, le
Portugal et la Grèce sont entrés à leur tour dans l'Europe, ces pays étaient beaucoup moins riches que les autres
partenaires, mais ils ne différaient pas très nettement de l'Italie d'un point de vue économique et social. Le plus gros
pays, l'Espagne, avait un revenu moyen inférieur de 33 % à celui de la France au taux de change+ courant, et de
20 % en termes de parité de pouvoir d'achat. L'entrée de ces pays dans l'Union n'a pas profondément perturbé la
configuration européenne. Le rapport interdécile de l'Europe des Six était de 3,7. Avec douze ou quinze membres, ce
même rapport avait un peu augmenté : il était de l'ordre de 4, soit autant qu'au Canada. En outre, les mesures de ce
rapport au taux de change courant et selon les parités de pouvoir d'achat donnaient des résultats proches. L'Europe
de l'époque, sans être le royaume de l'égalité, affichait des rapports interdéciles très inférieurs à ceux des Etats-Unis,
par exemple.
• Les nouveaux membres modifient cette image, non pas parce qu'ils sont plus inégalitaires (les rapports interdéciles
internes à chacun de ces pays sont souvent inférieurs à ceux des pays de l'Europe à quinze), mais en raison de la
faiblesse de leur niveau de revenu moyen.Le nombre d'Européens à très faibles revenus se trouve ainsi mutiplié. Au
taux de change courant, le revenu moyen des Hongrois était 3,7 fois inférieur à celui des Français en 2002, celui des
Polonais 5 fois, et 6 fois pour les Lituaniens. A comparer avec celui des Espagnols qui, rappelons-le, était un tiers
inférieur à celui constaté en France au moment de leur entrée dans l'Union. Pour les candidats suivants, ce rapport
est de 1 à 9 avec la Turquie, 1 à 12 avec la Roumanie et la Bulgarie.
• Evidemment, ces inégalités sont plus limitées quand on les mesure en parité de pouvoir d'achat, c'est-à-dire quand
on compare les biens et les services que peuvent acquérir les habitants des différents pays, dans la mesure où les
niveaux de prix sont aussi significativement plus bas dans les pays les plus pauvres. Il n'empêche : dans de
nombreux cas de figure, comme par exemple pour la question des délocalisations d'entreprises, ce sont bien les
écarts de revenus aux taux de change+ courants qui sont les plus significatifs. Les taux de change+ courants
reflètent également en partie des politiques dont le rapport aux " fondamentaux "(c) économiques n'est pas toujours
direct, mais le précédent de l'Europe du Sud indique que ce rapport monétaire tend à se cristalliser assez vite.
• Au taux de change courant, le rapport interdécile a bondi de 4,2 à 7,4 quand l'Union est passée de quinze à vingt-
cinq. A comparer aux 5,5 des Etats-Unis, aux 10 de la Russie, aux 12 du Mexique et aux 25 du Brésil. L'Europe à
vingt-cinq est donc clairement devenue plus inégalitaire que les Etats-Unis, même si ce constat peut être nuancé. En
effet, cette croissance des inégalités intra-européennes est moins nette si on mesure les inégalités en parité de
pouvoir d'achat+ - l'indicateur passant alors de 3,9 à 4,7 -, car les niveaux de prix sont nettement plus homogènes à
l'intérieur des Etats-Unis. Si on va plus loin pour évaluer le niveau d'inégalités d'une Europe à vingt-huit, intégrant
les trois candidats suivants que sont la Roumanie, la Bulgarie et la Turquie, - ce dernier pays ayant évidemment
l'impact le plus lourd sur les évolutions du fait de sa taille démographique -, le rapport interdéciles au taux de
change courant passerait de 7,4 à 16,9. L'Europe à vingt-huit serait alors bien différente du groupe de départ et
commencerait à ressembler furieusement aux pays les plus inégalitaires de la planète : Brésil, Mexique et Russie.
SECTION IV– EXPLICATIONS DE L’EVOLUTION DES INEGALITES
DANS LES ANNEES 1980-2000
I – LA THEORIE DE KUZNETS
Dans les années 50 , S.Kuznets a établi une loi selon laquelle l’évolution des inégalités aurait la
forme d’une courbe en cloche .Suivant le stade de croissance et de développement , les
inégalités passeraient par 3 phases :
• dans les sociétés sous-développées et traditionnelles , le niveau des inégalités est
relativement réduit : excepté une minorité peu représentative , la majorité de la
population travaillant dans l’agriculture est pauvre
• lors de la phase d’industrialisation , les écarts s’accroissent entre les régions et les
catégories qui restent dans le modèle traditionnel et ne bénéficient pas des retombées de
la croissance et celles qui , suite à un exode rural , migrent vers les secteurs les plus
dynamiques de l’économie . Cette augmentation des inégalités ne signifient pas une
augmentation de la pauvreté , mais un enrichissement de certains et une stagnation des
autres
• les bénéfices de la croissance et le développement se généralisent à l’ensemble de
l’économie : les secteurs en retard disparaissent ( destruction créatrice ) ou se
modernisent et toutes les catégories voient leur niveau de vie s’accroître . Un rattrapage
des catégories les plus favorisées s’opère aussi .
Conclusion :La thèse de Kuznets a été particulièrement bien étudiée et vérifiée dans les cas
anglais et américain . Ainsi , aux EU , « la part du patrimoine total possédé par les 10 % les plus
riches est passée d’environ 50 % vers 1770 à un maximum d’environ 70-80 % vers 1870 , avant
de retrouver en 1970 un niveau de l’ordre de 50 % , typique de l’inégalité contemporaine des
patrimoines » ( T.Piketty )
Ce resserrement de la hiérarchie des revenus est une tendance de long terme qui contredit la
thèse marxiste de la paupérisation de la classe ouvrière .
Constat : La conception traditionnellement dominante de la démocratie considère que la démocratie désigne en premier lieu
un état politique : l’on opposera alors :
• les sociétés démocratiques
• aux sociétés monarchiques (gouvernement d’un seul : roi)
• aux oligarchiques(gouvernement de quelques-uns uns : noblesse)
• aux sociétés totalitaires.
Critiques : Mais cette conception semble trop restrictive à Tocqueville qui va introduire deux nouvelles dimensions :
• la démocratie est aussi un état social c’est à dire que les différences entre les ordres, classes sociales s’atténuent
avec la démocratisation des sociétés
• cela d’autant plus que nos sociétés démocratiques développent, selon Tocqueville, un état d’esprit démocratique qui
rend les sociétés de plus en plus sensibles aux inégalités aussi bien objectives que subjectives.
Constat : La démocratie est née dans les cités grecques, Athènes en particulier, aux VI° et
V°avant J.C.
Caractéristiques : La démocratie antique est : une démocr ati e limit ée et di r ect e. Elle
oppose au pouvoir d’un seul le pouvoir des citoyens libres et égaux. C’est l’assemblée du
peuple qui décide après que chacun a pu s’exprimer et la décision est prise à la majorité
des voix.
• C’est une démocr ati e di r ecte car c’est l’Assemblée du peuple qui décide
directement et non des intermédiaires représentant les citoyens.
• Mais c’ est une démocr ati e limit ée : en sont exclus les femmes, même
grecques et libres, les esclaves et les étrangers (métèques).
Exemple : C’est sur ce modèle que fonctionne aujourd’hui encore certains cantons suisses.
II - LE FONCTIONNEMENT DEMOCRATIQUE :
Des conceptions antinomiques : On peut alors opposer les conceptions de Rousseau et de
Benjamin Constant :
• Rousseau est favorable à une démocratie directe dans laquelle le peuple est
souverain (cf. le contrat social) ce qui permettrait de faire apparaître une volonté
générale.
• B Constant considère la conception rousseauiste comme trop absolutiste :
- Il est donc favorable à une démocratie représentative et pluraliste dans
laquelle est opérée une division du travail très poussée entre la sphère civile
(dominée par la bourgeoisie) et la sphère politique.
- Il appelle donc de ses vœux une démocratie à l’Anglaise dans laquelle existent des
mécanismes de contrôle par lesquels les gouvernants sont tenus en bride plus ou
moins étroites par les gouvernés.
Conséquences : Ainsi pour éviter les déviations d’un système où le peuple ne peut pas lui-
même « gouverner » au sens précis du terme, certaines mesures sont mises en place :
• certaines formes de démocratie directe peuvent s’instaurer. C’est le cas du
référendum qui est la consultation des électeurs sur une question ; un vote majoritaire
entraîne une adoption définitive.
• la séparation des pouvoirs : énoncée par Montesquieu, la séparation des pouvoirs
exécutif, législatif et judiciaire signifie que chaque pouvoir doit être confié à des organes
distincts. Selon lui, « seul le pouvoir arrête le pouvoir ».
2 - le régime parlementaire
Mais Tocqueville considère que l’on ne peut appréhender une société démocratique par la seule étude du domaine politique,
la démocratie c’est aussi un état social .
A - Définition
Tocqueville donne au terme démocratie un sens plus large que celui qui lui est généralement
donné par les politistes :
Il désigne par ce terme un état de la société et non une forme de gouvernement.
Selon lui, la démocratie se caractérise par une égalisation des conditions .
Mais qu’entend-il par-là ?
• Cela signifie t’il que dans les sociétés démocratiques tous les individus sont
intellectuellement égaux ? Non cela serait absurde.
• Alors peut on considérer qu’il existe une égalité économique ? Cela parait impossible à
Tocqueville pour qui « il se rencontre toujours des citoyens très pauvres et des citoyens
très riches » (3 p525).
- Par démocratie il entend donc la disparition des ordres ou des classes
héréditaires qui caractérisaient les sociétés d’ancien régime .Dés lors qu’il
n’y a plus de différences héréditaires de conditions toutes les occupations, toutes
les professions, toutes les dignités, tous les honneurs sont accessibles à tous les
individus et non plus à une élite se les transmettant de père en fils. Cela va avoir
deux conséquences essentielles :
- Contrairement aux sociétés d’ancien régime on peut certes observer des
pauvres mais ceux ci ne représentent plus la majorité de la population :
avant 1789 la noblesse qui était la classe dominante pesait moins de 5 % de la
population.
- Au contraire dans la société démocratique « de même qu’il n’y a plus de
race de pauvres , il n’y a plus de races de riches » , les riches et les pauvres
qui n’ont pas disparus sont devenus minoritaires et « entre ces deux extrémités de
sociétés démocratiques se trouve une multitude d’hommes presque pareils, qui,
sans être précisément ni riches, ni pauvres, possèdent assez de biens pour désirer
l’ordre, et n’en n’ont pas assez pour exciter l’envie.
Conclusion : Tocqueville considère donc que la classe qui est dominante du point de
vue du nombre et qui est représentative des sociétés démocratiques est la classe
moyenne, qui n’est pas une classe au sens marxiste du terme (il vaudrait mieux
parler de strate) , mais le groupe central par rapport auquel va se définir la société.
Avec la démocratie on peut donc parler d’une moyennisation de la société.
Remarque : On trouve ici une première ébauche de la célèbre théorie développée par
l’économiste et sociologue italien Vilfredo Pareto de la circulation des élites :
• Dans les sociétés industrielles les élites ne sont pas aristocratiques parce qu’elles sont en
perpétuel renouvellement .
• Dés lors « la classe riche n’existe point, car les riches n’ont pas d’esprit ni d’objets
communs (Tocqueville fait ici référence au mode de vie noble), de traditions ni
d’espérances communes, il y a donc des membres mais point de corps ».
Comme J.L. Fabiani l’écrit « la multiplicité des critères et des échelles de stratification sociale
est pour Tocqueville une caractéristique distinctive de la société démocratique :
• Dans les sociétés d’ordres ou de castes, la position de l’individu est toujours clairement
définie et aisément reconnaissable à un certains nombres d’indices matériels et
symboliques.
• Il n’en est pas de Même dans la société démocratique . »
CONCLUSION :
Tocqueville considère donc que dans les sociétés démocratiques sont impliquées à la fois :
• l’égalité sociale
• et la tendance à l’uniformité des modes de vie et des niveaux de vie, tous les individus y
étant à peu près égaux en lumière et en biens .
Conclusion : Bénéton peut-en conclure que cette tendance à l’homogénéité se manifeste dans
de multiples aspects de la vie quotidienne. On peut donc considérer que les idées avancées au
milieu du 19ème siècle par Tocqueville se sont réalisées .
Il reste néanmoins une question essentielle : comment expliquer cette égalisation des modes de
vie ? Tocqueville considère qu’elle résulte d’un état d’esprit qui est spécifique aux sociétés
démocratiques .
Conclusion : R Boudon en conclut : « l’égalitarisme est une idéologie qui , parmi les valeurs
entrant dans la formule de légitimité en vigueur dans les sociétés industrielles occidentales,
accorde à l’égalité prise dans l’un ou l’autre de ses sens la place prépondérante. Tocqueville voit
dans la marche vers l’égalité des conditions une tendance de longue durée » .
Tocqueville distingue les 4 formes que prend cette tendance qui sont selon R Boudon :
• « Les statuts juridiques des personnes sont rendus égaux avec la liquidation de la
féodalité. Ainsi les individus sont reconnus également aptes à contracter, à acheter et à
vendre (ce qui est à la base d’une économie de marché), à se marier
• Vient ensuite, ou concurremment, un processus d’égalisation des droits politiques.
A tous les hommes puis à tous les adultes de l’un et l’autre sexe, se trouvent ouvert
l’accès au suffrage.
• En troisième lieu , nos sociétés devenant plus productives et plus riches, les disparités
extrêmes entre l’abondance et la pénurie se trouvent graduellement comblées,
ou plutôt perçues comme devant être comblées .
• A ce tableau très optimiste, on peut ajouter un dernier trait. Les inégalités de
participation aux biens publics comme l’éducation, la santé et aux diverses
aménités de la vie en société, seraient , elles aussi, progressivement réduites ,
au point qu’à la limite tous les membres de la société moderne pourraient prétendre à la
jouissance d’un même trésor culturel ».
Présentation de la démarche :
• L’hypothèse du voile d’ignorance : Rawls part d’une position imaginaire dans laquelle
les individus prêts à discuter des principes de justice, appliqués dans la société où ils
seront amenés à vivre ensemble, ignoreraient tout ce qui les différenciera concrètement.
Ainsi ils ne connaissent pas ce que seront leurs familles, leurs classes sociales, leurs
fortunes, leurs aptitudes, etc.. .
• Les répercussions du voile d’ignorance : Situés de la sorte en position de négociation
collective, équitable et égale, les individus s’accorderont d’après Rawls, sur deux principes
fondamentaux :
- le principe de liberté : qui permet à chacun d’entreprendre ce que bon lui semble
pour obtenir la réalisation des fins qu’il se propose : « chaque personne doit avoir
le droit à la plus grande liberté fondamentale compatible avec une liberté semblable
pour tous ». Ainsi les droits de vote, de propriété privée, les libertés d’expression,
d’opinion et de réunion seraient assurés en application du premier principe.
- Mais ces avantages étant reconnus, il se trouve que des inégalités vont se
manifester : les plus forts , les plus doués… vont s’imposer progressivement, de
sorte que les inégalités vont se renforcer mutuellement, puis se perpétuer.
- D’où l’affirmation d’un second principe : le principe de différence : « les
inégalités économiques et sociales doivent être aménagées de telle sorte qu’elles
soient :
a - assurer en dernière analyse pour le plus grand profit des plus
défavorisés
b - attachées à des emplois et à des postes accessibles à tous dans les
conditions d’égalité équitable des chances «
- Mais selon Rawls le premier principe (le principe de liberté) prime sur le
second (le principe de différence) : dés lors, on ne doit pas, pour combattre les
inégalités , aller à l’encontre des libertés fondamentales.
Conclusion : Rawls considère donc que :
• du point de vue économique et social l’état le plus juste d’une société est celui qui, parmi
tous les états possibles, assure au membre le plus défavorisé une position maximale
• Mais il peut arriver que s’améliore la situation des plus défavorisés sans que se réduise
l’écart les séparant des plus favorisés.
Rawls dans une optique différente de celle de tocqueville, plus moderne, est alors amené à distinguer deux formes de
démocratie :
1 ) La démocratie de propriétaires ;
Dans l’Etat - Providence , le but est d’empêcher que quiconque tombe au-dessous d’un niveau de
vie décent et de fournir à tous certaines protections contre les accidents et la malchance comme
, par exemple , les allocations du chômage et les soins médicaux . C’est à cela que sert la
distribution du revenu , quant à la fin de chaque période ceux qui ont besoin d’assistance ont pu
être identifiés .
Dés lors il semble intéressant de savoir si les différentes formes d’égalitarisme anticipées par
Tocqueville, et analysées par Rawls se sont réalisées :
• Dans un premier nous essaierons de définir avec la plus grande précision possible un
vocabulaire passablement confus.
• Dans un deuxième temps nous essaierons de mesure les inégalités. Enfin dans un
troisième temps nous caractériserons les inégalités.
Selon Sen : « la démocratie ne se résume pas au respect de la règle de la majorité, elle exige
aussi la protection des droits et libertés des personnes, l'accès universel aux prestations et droits
sociaux (entitlements), le droit de prendre part activement aux délibérations publiques, ainsi que
celui d'accéder à l'information. Dans le langage de Sen, il ne s'agit donc pas simplement de
distribuer des ressources ou droits formels (tels que le droit de vote ou d'éligibilité), mais de
garantir les conditions nécessaires à leur exercice effectif. On peut parler ici de démocratie en
action, par contraste avec la démocratie formelle, qui se satisfait de l'apparence démocratique
des systèmes fondés sur le recours ponctuel à des scrutins majoritaires ». écrit JM Bonvin
Conséquences : La démocratie telle que la conçoit Sen est appelée à remplir trois fonctions
essentielles.
• Elle a tout d'abord une importance intrinsèque en ce sens que la liberté politique ainsi
envisagée est une condition de la liberté humaine. La participation sociale et politique, qui
n'est pas réservée aux professionnels de la politique mais ouverte à tous les citoyens,
apporte une contribution essentielle au bien-être+ des personnes.
• La démocratie a également une fonction instrumentale, dans le sens où elle donne plus
d'écho aux revendications des personnes et incite donc les gouvernements à mieux les
prendre en compte.
• Enfin, la démocratie a une dimension constructive, dans la mesure où elle donne aux
citoyens la possibilité d'apprendre les uns des autres. Ce point est essentiel dans la
perspective de Sen: les préférences, désirs, besoins, etc., des individus, au même titre que
les valeurs et normes sociales, ne sont pas donnés indépendamment de la discussion
publique démocratique, mais construits au cours de cette interaction dialectique. De
même, la compréhension des besoins économiques et sociaux passe par l'exercice effectif
de la démocratie, qui garantit la discussion ouverte et le débat, avec la possibilité réelle
de la critique et du désaccord. La formation des valeurs et des croyances n'est donc pas
une affaire de décision individuelle, mais de délibération collective. Dans l'esprit de Sen,
un tel processus de démocratie délibérative réelle (par opposition à la démocratie formelle
enracinée dans le droit de vote) apparaît comme la condition même de décisions aussi
informées et raisonnables que possible.
Sen s’oppose donc à la conception de la démocratie développée par les économistes néo-
classiques :
• L'apport principal de l'approche par les capacités réside dans l'accent mis sur la liberté
réelle, et cette insistance la démarque clairement de l'approche néoclassique+ pure, dans
laquelle des individus censés disposer du même degré de rationalité optimisatrice
cherchent à maximiser leur intérêt en écrivant un accord complet prenant en compte tous
les événements possibles.
• Chez Sen, ce n'est pas l'intérêt égoïste, mais la liberté réelle de chacun qui doit être
maximisée. De plus, il ne cherche pas à éradiquer l'incertitude inhérente à l'action
collective, mais s'efforce de la respecter et de toujours composer avec elle. L'objectif est
donc fondamentalement différent:
- de la maximisation de l'intérêt égoïste par la volonté de maîtrise totale des
processus,
- on passe à la promotion de la liberté réelle de tous par la reconnaissance de la
pluralité des points de vue légitimes.
Ce n'est pas le contenu ou la substance de l'idée de marché, que Sen rejette, mais la volonté de
l'imposer toujours et partout, envers et contre toutes les circonstances et tous les acteurs
locaux.
PARTIE III : DEVELOPPEMENT ET CHANGEMENT SOCIAL
La question que l’on va tenter de résoudre dans cette partie est la relation qui existe entre développement et démocratie : le
développement est-il un préalable à la démocratie ou est-ce le contraire ?
Postulat de base : Cette conception insiste sur la liberté permanente dont disposent les
participants à l’économie :
• Si une personne choisit de travailler et d’échanger, alors qu’elle vit dans une société
basée sur la liberté et l’égalité de droits ,c’est forcément qu’elle y trouve son avantage.
• On ne peut donc intervenir dans le jeu des échanges et de la production que si l’on ne lèse
personne et que si certains s’en trouvent mieux: c’est l’idée de l’unanimité comme point
de repère fondamental .
Conséquences : Dans cette perspective , la vision des inégalités est beaucoup plus tolérante :
• si une personne travaille beaucoup et accumule des capitaux pour finalement retirer
beaucoup de profit de ses affaires , c’est parfaitement juste pour peu qu’elle ait conclu
des accords de plein gré avec ses partenaires.
• Si quelqu’un travaille peu ou ne travaille pas et n’obtient donc que peu ou pas d’argent, la
chose n’est pas scandaleuse. Sa situation résulte de ses choix.
Conclusion : Ainsi seule la liberté des échanges concurrentiels mène à un résultat souhaitable :
l’équilibre général des marchés est en même temps un optimum au sens de Pareto, c’est à
dire une situation dans laquelle il n’est pas possible d’accroître l’utilité d’un agent sans diminuer
celle d’un autre. Le principe sur lequel repose cette théorie est le suivant :
• compte tenu de ce qu’ils avaient à leur disposition avant que les échanges commencent
(leurs dotations initiales) les agents ont procédé à des échanges libres et ont fait du mieux
qu’ils ont pu, c’est à dire que les deux coéchangistes y ont trouvé leur intérêt.
• En quelque sorte la traduction concrète de l’unanimité est le marché concurrentiel, et
toute tentative pour en modifier les résultats ( produire autrement , modifier certains prix ,
redistribuer), se ferait au détriment de certains agents, ce que l’on ne veut pas envisager
car cela conduirait à une situation sous optimale et serait à l’origine de conflit : comment
justifier une redistribution des plus riches vers les plus pauvres , alors que la pauvreté
relève de la responsabilité individuelle. Cela générerait des conflits entre les divers
groupes sociaux pour accroître leur part du gâteau, et serait désincitatif au travail.
• Comme l’indique Smith , l’aiguillon de l’intérêt suffit à rendre une société performante et
juste par la main invisible , le marché attribuant à chacun ce qui lui est dû : la justice est
donc incluse dans l’échange .
• F .Von Hayek ira encore plus loin en démontrant que l’existence de gagnants et de
perdants dans l’échange , pour injustes qu’elle puisse paraître , est nécessaire au bon
fonctionnement du marché , puisqu’elle indique les impasses qu’ils doivent éviter et les
avenues qu’ils ont à emprunter .
Postulat de base :
* Pour assurer un décollage économique, il est faut accroître très fortement le taux
d’investissement (cf la thèse de Rostow) , ce qui nécessite « au départ pour que cette
accumulation fut possible, une extrême inégalité des richesses, seule à même de dégager
l’épargne nécessaire ».
Conséquences :
• Ainsi il semblerait que plus d’inégalités aujourd’hui assure plus de croissance économique
demain, « l’inégalité sert au mieux les intérêts, sinon des plus pauvres d’aujourd’hui, du
moins des plus pauvres de demain ».C’est en tout cas la thèse développée par Kuznets
qui avait établi une courbe en cloche reliant croissance et inégalités
• Dés lors une réduction des inégalités, en particulier dans les PVD, entraverait le décollage
économique. Une redistribution des revenus n’handicaperai pas seulement les plus riches ,
elle détériorerait la situation des plus pauvres : la taille du gâteau n’est pas indépendante
de la manière de la partager (cf. la théorie de Laffer )
• Si l’on s’intéresse maintenant non plus seulement à la dimension économique et sociale , mais l’on intègre la
démocratisation des sociétés , on peut constater que les libéraux considèrent généralement avec B Russet qu’il existe
une corrélation entre un grand nombre d’indices d’ordre économique et un nombre plus réduit d’indice politique.
Ceci permettrait de corroborer une relation entre le développement économique et une démocratisation des sociétés.
Rappel : J Rawls a déplacé le débat en proposant une définition originale de la justice sociale.
Sur quoi doit porter l’unanimité? Non sur les résultats des interactions économiques, mais sur les
règles de fonctionnement de la société (cf son analyse plus haut de la démocratie de
propriétaires).
Son analyse peut se décomposer en trois temps :
• Rawls commence par définir une situation ayant des propriétés telles que tout individu
acceptant de raisonner dans son cadre serait contraint de faire un choix identique en ce
qui concerne les institutions souhaitables de la société idéale . Cette situation imaginaire ,
éminemment adaptée à la double condition d’unanimité et de justice est celle de la
position originelle. La caractéristique principale de cette position est l’ignorance : aucun
individu n’est censé avoir la moindre information sur sa situation future , sa richesse. Tout
ce qu’il a droit c’est d’être rationnel et égoïste.
• L’individu étant, dans ces conditions , parfaitement conscient du fait qu’il pourra occuper ,
dans la société réelle, n’importe quelle position parmi toutes celles qui correspondent à la
répartition des revenus sera naturellement incité à adopter une attitude d’impartialité . En
effet , un comportement de prudence élémentaire fait que comme personne ne sait qui
sera le plus défavorisé (voile d’ignorance) , tous recherchent une société qui soit juste.
• Situés de la sorte en position de négociation collective, équitable et égale, les individus
s’accorderont selon Rawls sur 2 principes fondamentaux :
- d’abord le principe de liberté qui ouvre à tous dans des conditions
d’équité suffisante les fonctions et conditions sociales . Chacun peut ainsi
entreprendre ce que bon lui semble pour obtenir la réalisation des fins qu’il se
propose. Rawls écrit ainsi : « chaque personne doit avoir le droit à la plus grande
liberté fondamentale, compatible avec une liberté semblable pour tous »
- Mais ces avantages étant reconnus, il se trouve que des inégalités vont se
manifester: les plus forts, les plus doués, les plus favorisés par le sort vont
s’imposer progressivement, de sorte que les inégalités vont se renforcer
mutuellement, puis se perpétuer. D’où l’affirmation d’un principe de différence:
« les inégalités sociales et économiques doivent être aménagées de telle sorte
qu’elles soient :
a - assurées, en dernière analyse, pour le plus grand profit
des plus défavorisés,
b - attachées à des emplois et à des postes accessibles à
tous dans des conditions d’égalité équitable des chances » .
Remarque : Toutefois, le premier principe primant le second, on ne doit pas, pour combattre les
inégalités, aller à l’encontre de libertés fondamentales.
J Rawls considère que :
• du point de vue économique et social, l’état le plus juste d’une société est celui qui, parmi
tous les états possibles, assure au membre le plus défavorisé une position maximale. Au
demeurant , il peut arriver que s’améliore la situation des plus défavorisés sans que se
réduise l’écart les séparant des plus favorisés.
• Dés lors il peut être utile d’appliquer une politique de discrimination positive qui
favorise les individus les plus défavorisés . Cette politique inégalitaire semble plus
équitable que la politique de l’égalité des chances .
Constat : Mais la plupart des études semblent montrer qu’ une répartition inégalitaire des revenus ne favorise pas la
croissance économique :
• JP Fitoussi écrit : « parmi les NPI, ceux dont la croissance fut la plus élevée sont aussi ceux dont le degré
d’inégalité dans la répartition des revenus a décru le plus vite. (...) Il semble ainsi exister une corrélation inverse
dans les PVD entre inégalités de revenu et croissance , c’est à dire une corrélation directe entre cohésion sociale et
performance économique »
• Si l’on construit un graphique mettant en relation la croissance de la productivité du travail entre 1979 et 1990 et le
degré d’inégalité des revenus : on constate pour les pays développés qu’il existe une relation de corrélation entre une
forte croissance de la productivité et une répartition plus égalitaire des revenus. Ainsi les pays connaissant les taux
de croissance de la productivité les plus forts sont le Japon , la Finlande , la Belgique et la France qui se
caractérisent par une répartition plus égalitaire des revenus, à l’autre extrémité on trouve les pays anglo-saxons.
Constat : Si l’on s’intéresse maintenant à la démocratisation politique et le décollage économique , on constate que :
• l’absence de démocratie entrave le développement économique (cf. le cas de l’URSS, ou celui du Chili de Pinochet
pour une expérience libérale),
• et qu’au contraire la démocratie favorise le décollage (USA, GB).
• Ainsi contrairement à ce qu’affirme B Russet il n’existe pas de corrélation montrant que la démocratisation
nécessite au préalable un développement économique . On constate ainsi :
- qu’avec un PNB faible les Etats-Unis sont devenus une démocratie des la fin du 18 ème ,
- alors qu’avec un PNB plus élevé le Guatemala des années 60 était une dictature.
Constat : Dans les sociétés démocratiques , selon Tocqueville , la recherche d’une plus grande
égalité est l’objectif principal des individus ( section I , III ). Cette recherche aura deux
conséquences :
1 - l’individualisme
selon Tocqueville :
• l e système d’Ancien Régime avec l’aristocratie permettait la constitution d’un lien social
puissant (cf chapitre lien social) :
- il y avait des individus puissants , unis par des liens de famille et de vassalité et par
une tradition .
- Les individus se sentaient dépendants de leurs concitoyens : « comme dans les
sociétés aristocratiques , tous les citoyens sont placés à poste fixe , les uns au-
dessus des autres , il en résulte que chacun aperçoit toujours plus haut que lui un
homme dont la protection lui est nécessaire , et plus bas il en découvre un autre
dont il peut réclamer le concours . »
- Ils se sentent aussi responsables des générations futures puisque les familles
restent plusieurs générations dans le même lieu : leurs actions vont avoir une
influence pour leurs descendants
• Or , en démocratie cette dépendance entre individus et générations n’existe plus :
- Une des caractéristiques de la démocratie est, selon Tocqueville, qu’il n’existe plus
de classe de riches et de pauvres , c’est-à-dire de classes stables , constituées sur
le long terme : les individus ne sentent donc pas responsables de leurs des
descendants .
- A mesure que l’égalité progresse , il y a un nombre de plus en plus grand
d’individus , qui ont assez de revenus et de connaissances pour se suffire à eux-
mêmes .Ils considèrent alors qu’ils ne doivent rien à personne et n’attendent rien
de personne .
les individus n’ont plus qu’un objectif , la satisfaction due à la possession de biens matériels .
Explications : Car les peuples démocratiques ont un goût naturel pour l’égalité , et pour éviter
une inégalité des conditions , ils préféreront sacrifier la liberté :
• pour obtenir l’égalité des conditions , vont se mettre en place des réglementations
• qui freinent la marge de manoeuvre des individus et donc les empêchent de s’élever au-
dessus des autres .
Remarque : Cette tentation est d’autant plus forte en démocratie, selon Nisbet et le risque du
despotisme est d’autant plus marqué que :
• La démocratie est apparue à la suite d’une révolution ( on peut ici opposer le cas
de la France à celui des USA où la démocratie est apparue progressivement ) , car alors les
classes dirigeantes locales ayant disparu dans la tempête qui en a résulté, les masses
n’étant pas habituées à se prendre en charge, les individus vont alors penser que seul
l’Etat peut se charger de tous les détails du gouvernement.
• Une partie importante de la population est analphabète . En effet « en raison de la
disparition des pouvoirs intermédiaires : l’ignorance dans laquelle est plongé le peuple le
place plus directement sous la coupe du pouvoir central »
• selon Tocqueville la personnalité du dirigeant qui détient le pouvoir est
essentielle : en effet « les hommes ne sont jamais si heureux de transférer le pouvoir à
leur chef que lorsqu’ils ont le sentiment que celui ci est en tout point semblable à eux » .
On peut ainsi selon certains auteurs expliquer les tendances démagogiques qui
caractérisent les dirigeants des démocraties , qui cherchent absolument à se rapprocher
du peuple , à faire peuple.
• La disparition des corps intermédiaires est très dangereuse. « l’égalité a
entraîné la disparition des corporations, des classes des rangs et de toutes les
associations qui, en vertu de l’inégalité des conditions qu’elles instauraient, constituaient
une limite au pouvoir royal. (...) A la force quelque fois oppressive, mais souvent
conservatrice d’un petit nombre de citoyens, a donc succédé la faiblesse de tous ».
Les solutions préconisées : Nisbet écrit : » il ne faut pas réduire la pensée de Tocqueville à
des considérations pessimistes sur l’évolution inéluctable de la démocratie vers un régime
tyrannique et plébiscitaire » Tocqueville essaye alors de mettre en évidence les moyens qui ont
permis aux Etats- Unis de mettre un frein à la tyrannie (8 p 527); il en distingue au moins 6 :
• l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir politique,
• la séparation de l’Eglise et de l’Etat,
• l’autonomie et le statut élevé des professions libérales,
• l’autorité de la communauté locale,
• l’existence d’une frontière qui à l’époque de Tocqueville était toujours ouverte. la
liberté de la presse.
Explications : Selon Tocqueville la raison essentielle permettant d’expliquer pourquoi les USA
ne sont pas tombés dans le despotisme est à mettre à l’actif de la liberté d’associations ( 9 p
528 ) :
• les associations , les groupes d’intérêts , les groupes de pression jouent un rôle important
dans l’élaboration d’une décision véritablement démocratique.
• On peut penser que le développement depuis quelques années en France de ce que l’on
nomme la société civile (association, ONG, etc.) va dans le bon sens , les corps
intermédiaires permettent au citoyen de ne pas se retrouver seul face à un Etat
omnipotent
• Tocqueville est donc opposé à une intervention trop importante de l’Etat. Lors
d’un discours à l’Assemblée sur le problème du chômage et de sa prise en charge par
l’Etat , Tocqueville indique :
- « le droit au travail implique que l’Etat fasse en sorte qu’il n’y ait pas de chômage.
Cela le mène forcément à distribuer les travailleurs de manière à ce qu’ils ne se
fassent pas concurrence, à régler les salaires ,tantôt à modérer la production, tantôt
à l’améliorer, en un mot, il devient le grand et unique organisateur du travail.
- Et au bout qu’aperçoit-on ? le socialisme, c’est à dire l’idée que l’Etat ne doit pas
être seulement le directeur de la société, mais le maître, le percepteur, le
pédagogue de chaque homme. Qu’est ce que le socialisme ? C’est la nouvelle
formule de la servitude. (...) Est ce que la démocratie consisterait à créer un
gouvernement plus tracassier, plus détaillé , plus restrictif que tous les autres, avec
cette seule différence qu’on le ferait élire par le peuple ? Mais alors, qu’aurez vous
fait que donner à la tyrannie un air légitime qu’elle n’avait pas?
- La démocratie libérale étend la sphère de l’indépendance individuelle, le socialisme
la resserre. Il n’y a rien dans le message de 1789 qui force l’Etat à se mettre à la
place de la prévoyance individuelle. Il n’y a rien qui autorise l’Etat à s’entremettre
au milieu des industries, à leur imposer des règlements ».
• On se rend bien compte à la lecture de ce passage que Tocqueville est favorable à la
conception libérale de la démocratie qui met en avant la liberté par rapport à
l’égalité. Il souhaite donc une limitation des pouvoirs de l’Etat, il appelle de ses vœux un
Etat gendarme.
Conclusion : Sur ce point Tocqueville entre dans la logique des économistes libéraux qui
considèrent qu’ un certain niveau d’inégalité est nécessaire pour assurer un développement
économique ,mais que cette inégalité est juste et équitable si elle améliore le sort des plus
pauvres.