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African Rights

Working for Justice

Témoin du Génocide
Numéro 14
Novembre 2001

L’abbé Hormisdas Nsengimana


Accusé de participation au génocide,
protégé par l’Eglise

INTRODUCTION
Parmi les nombreux suspects du génocide qui ont fui le Rwanda en juillet 1994 après le massacre
figuraient quelques membres du clergé. Pendant quelque temps, il sembla que la justice internationale
ne pouvait les atteindre, mais les accusations portées contre eux commencent maintenant à être
reconnues et à susciter une action.
Il est possible que l’engagement tardif de poursuites judiciaires contre ces suspects soit
attribuable à la réticence des sommités de l’Eglise à se confronter au problème. Des hommes et des
femmes soupçonnés d’avoir commis des crimes atroces ont été accueillis à bras ouverts à l’étranger et
se sont cachés sous le manteau moral de leur statut religieux. Les allégations concernant l’abbé
Hormisdas Nsengimana sont parmi les plus épouvantables faites à ce jour. Il est difficile de croire
qu’un être humain, et a fortiori un prêtre, ait pu faire preuve d’une telle cruauté. Mais les récits
détaillés et sincères de ses crimes figurant dans le présent rapport proviennent de diverses sources et
sont d’une remarquable cohérence.
Tragiquement, la souffrance et la mort infligées aux Tutsis de Nyanza en 1994 sont un fait
bien réel. L’abbé Hormisdas était présent durant les tueries, et les témoignages recueillis suggèrent
fortement qu’il a pris part aux atrocités commises.
L’abbé Hormisdas, comme la plupart des membres du clergé accusés d’actes de génocide, est
catholique ; c’est là la foi dominante au Rwanda. Or, l’Eglise catholique n’a pas réagi aux accusations
portées à son encontre et dans d’autres cas. Les accusations portées contre des prêtres, des religieuses
et des évêques ont été rejetées par certains comme tirées par les cheveux et par d’autres comme
s’inscrivant dans une “campagne contre l’Eglise” menée par le Front patriotique rwandais (FPR).
L’abbé Hormisdas a pu se dérober à la justice plus facilement grâce à l’Eglise, qui a transféré
un si grand nombre de prêtres et de religieuses rwandais vers d’autres pays après le génocide. Bien
que certains soient arrivés à leur destination dans d’autres parties de l’Afrique et en Europe
accompagnés d’horribles accusations, les dirigeants de l’Eglise catholique ont continué de les
protéger, voire de les défendre en public.
L’abbé Hormisdas s’exila en Italie en 1994, et il se trouve actuellement à Bertoua, Cameroun,
dans la paroisse de Diang. Au Rwanda, le fait que l’abbé Hormisdas est un suspect du génocide est
connu de tous. Certains membres du clergé à l’extérieur du Rwanda ont sérieusement entamé leur

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propre crédibilité en protégeant des suspects du génocide par le passé.1 Les personnes responsables de
l’affectation de l’abbé Nsengimana au Cameroun devraient prendre le temps de lire les témoignages
pleins de souffrance de Rwandais ordinaires et de réfléchir à leurs responsabilités. Nous espérons que
la hiérarchie de l’Eglise catholique verra la révélation des allégations à l’encontre de l’abbé
Hormisdas Nsengimana comme l’occasion pour elle d’adopter une nouvelle approche en ce qui
concerne la question de la justice au Rwanda. Elle doit s’efforcer de devenir un élément de la solution
en facilitant les procès liés au génocide, au lieu de permettre à ses membres d’y échapper ou de tenter
de les discréditer.
Des récits cohérents de la participation de l’abbé Hormisdas aux tueries commises dans la
paroisse de Nyanza, commune Nyabisindu, à Butare, ont été présentés par des survivants du génocide,
des témoins et d’anciens membres du personnel de l’abbé Hormisdas. Il y a également des
descriptions de la cruauté du prêtre qui donnent le frisson et qui émanent de presumés génocidaires
actuellement en prison et qui confirment qu’il était parmi les organisateurs du massacre. L’abbé
Hormisdas était le principal du Christ Roi, une école secondaire respectée, mais les membres de la
communauté locale se souviennent de lui comme un homme qui enseignait la haine. Même avant le
génocide, beaucoup pensaient que rien ne semblait le destiner aux fonctions de prêtre, du fait de ses
gardes du corps armés et de ses sermons visant à diviser les gens selon leur ethnie. Les Tutsis se
méfiaient tant de lui que, lorsque la violence éclata, ils ne cherchèrent même pas à se réfugier dans la
paroisse de Nyanza. C’était là une chose inouïe à une époque où les églises du reste du pays étaient
remplies de personnes déplacées. Selon un témoin : “Les chrétiens de Nyanza craignaient de se
réfugier dans la paroisse parce qu’ils savaient que Hormisdas les massacrerait aussitôt.”
L’abbé Hormisdas agissait en étroite collaboration avec des extrémistes importants, dont le
sous-préfet, Gaëtan Kayitana, et le commandant de la gendarmerie, le capitaine Birikunzira.2 Ces trois
hommes se réunissaient régulièrement après la mort du président Juvénal Habyarimana et leur objectif
ne tarda pas à devenir évident pour le personnel et les personnes qui habitaient à proximité du Christ
Roi. Ils exploitèrent de manière flagrante leurs positions respectives au sein de la communauté pour
organiser le génocide à Nyanza et convaincre la population d’y prendre part. Ils convoquèrent une
réunion le 21 avril pour dresser une liste des victimes tutsies. Le lendemain matin, les tueries
commencèrent.
L’abbé Hormisdas était un membre clé du groupe qui orchestra le génocide à Nyanza, mais il
travaillait aussi directement avec les hommes chargés d’exécuter les plans dudit groupe. Il assembla
une équipe de miliciens convaincus connus sous le nom collectif du “dragon” ; un membre du dragon
était assigné à chaque secteur de la commune et ce sont eux, selon un autre témoin, qui “ont exterminé
tous les Tutsis de Nyabisindu”. L’abbé Hormisdas est décrit comme leur “directeur” ; ils obéissaient à
ses ordres et il les laissait se servir du véhicule de l’école. On le voyait souvent conduire aux alentours
des barrages routiers ou suivre les miliciens dans le cadre de leurs missions en vue de dénicher et de
tuer des Tutsis. Une courageuse femme âgée a témoigné que son fils, Pascal Mutabazi, qui est en
prison, était parmi les tueurs. Elle a souligné que Pascal était le “bras droit” de Hormidas, et qu’il
recevait des armes ainsi que des ordres du prêtre, lequel lui disait de “n’avoir pitié d’aucun Tutsi”.
Sous l’égide de l’abbé Hormisdas, l’école du Christ Roi se transforma en lieu de réunion pour
les organisateurs du génocide et les miliciens, en entrepôt d’armes et en maison pour un groupe de
soldats qui prirent part aux tueries. Le prêtre lui-même a été aperçu muni d’armes, en général un fusil,
à plusieurs reprises. La plupart des quelques Tutsis qui avaient fui vers l’école dans l’espoir qu’il les
aiderait y furent tués ; d’autres périrent au barrage routier situé à l’extérieur. L’abbé Hormisdas
passait ses journées et ses nuits avec les hommes qui exécutèrent le génocide à Nyanza. Or, même
parmi eux, sa virulence était légendaire. Il n’épargna personne, s’en prenant même à d’autres
membres du clergé, prêtres et religieuses. Un employé de la paroisse raconte que l’abbé Hormisdas a
ordonné le meurtre d’un prêtre, l’abbé Mathieu Ngirumpatse, puis a interdit aux miliciens de
l’enterrer. Il se rappelle que l’abbé Hormisdas a ri en voyant le cadavre du prêtre se faire dévorer par

1
Cf. African Rights, Témoin du génocide, numéro 11 :Entrave à la Justice: Les religieuses de Sovu en
Belgique, février 2000.
2
Pour des renseignements supplémentaires sur les activités du capitaine Birikunzira durant le génocide, Cf.
African Rights, Lt. Col. Tharcisse Muvunyi: A Rwandese Genocide Commander Living in Britain, Témoin du
génocide nº12, avril 2000, pp.61-63.

2
des corbeaux. Certains miliciens en furent choqués, et ils ont fait remarquer que l’abbé Hormisdas a
ensuite officié durant le service de l’enterrement d’un tueur de premier plan.
Les allégations concernant l’abbé Hormisdas exigent une réponse rapide de la part des
autorités judiciaires, soit au Cameroun, soit au niveau du TPIR. Il doit avoir la possibilité de répondre
à ces graves accusations devant un tribunal. Entre-temps, il y a suffisamment de raisons pour que
l’Eglise le suspende immédiatement de son poste. La nature de ses devoirs exige une position morale
qu’il ne possède pas. Il est incroyable que l’abbé Hormisdas ait servi comme “père spirituel” pour les
habitants de Diang, au Cameroun, alors même qu’il est considéré comme un fugitif de la justice au
Rwanda.
De même, les révélations figurant dans ce rapport doivent être examinées par l’Eglise en tant
qu’institution, et il faut trouver des façons d’empêcher les individus comme l’abbé Hormisdas
d’exploiter l’autorité dont elle les investit. Même avant le génocide, l’abbé Hormisdas était connu
comme partisan du parti extrémiste, la Coalition pour la défense de la République (CDR), et comme
une force destructrice au sein de la paroisse de Nyanza. Il a publiquement condamné tous les Tutsis,
les décrivant comme des inyenzi [cafards], et sa haine à l’égard d’un prêtre tutsi, l’abbé Justin Furaha,
a forcé ce dernier à quitter la paroisse pour sa propre sécurité. D’autres membres de l’Eglise
catholique au Rwanda et au Vatican devaient savoir quelque chose sur la nature de son engagement
politique et la peur qu’il suscitait parmi les Tutsis de Nyanza dès le moment de son affectation dans
cette paroisse en 1989. La question de savoir comment et pourquoi le comportement de Hormisdas a
été toléré pendant si longtemps laisse deviner la triste vérité. L’Eglise catholique devra se résoudre à
examiner de près l’histoire de sa présence au Rwanda, en remontant à la période coloniale, si elle veut
éradiquer les préjugés qui ont si gravement compromis sa mission chrétienne dans ce pays.
Dans le cadre d’une affaire qui a marqué une victoire pour la justice internationale, deux
religieuses rwandaises, la sœur Gertrude Mukangango et la sœur Julienne Kizito, qui s’étaient enfuies
en Belgique, ont été reconnues coupables d’avoir participé au génocide par un tribunal belge le 8 juin
3
2001. Puis, à peine un mois plus tard, deux prêtres, l’abbé Emmanuel Rukundo et l’abbé Athanase
Seromba, ont été mis en accusation par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Ces
événements ont prouvé que les allégations de ce type ne peuvent pas être simplement rejetées comme
étant malveillantes. Ils ne peuvent que forcer l’Eglise à écoutertant les accusations portées à
l’encontre de certains membres du clergé que les critiques plus générales de sa conduite avant,
pendant et après le génocideet à réagir de façon appropriée.
African Rights soutient depuis longtemps les exigences émanant des survivants du Rwanda
pour que soient arrêtés et jugés les membres du clergé qu’ils considèrent responsables de la mort de
membres de leur famille et d’amis. Nous avons signalé à l’Eglise et aux autorités judiciaires
compétentes plusieurs des membres du clergé accusés et nous les avons informées des lieux où ils se
trouvent. Dans une lettre ouverte au pape Jean-Paul II, envoyée il y a plus de trois ans, nous
demandions à Sa Sainteté de lancer une enquête sur le rôle de l’Eglise catholique dans le génocide de
1994.4 Nous y énumérions certaines des allégations concernant l’abbé Hormisdas Nsengimana, entre
autres. Jusqu’ici, aucune mesure n’a été prise.
L’attitude de l’Eglise catholique concernant le mandat d’arrêt du TPIR relatif à l’abbé
Athanase Seromba, lui aussi accusé d’actes de génocide, montre à quel point il lui reste du chemin à
parcourir avant d’être en position d’affirmer qu’elle est du côté de la justice et de la paix au Rwanda.5
Il est bien évident qu’elle aurait pu en faire beaucoup plus pour faciliter les choses à la justice. Mais
au lieu de cela, des membres de l’Eglise ont fait disparaître ce prêtre dans un endroit isolé, alors même
que de nouveaux faits liés à son cas voyaient le jour. Ils l’ont maintenu caché, et bien que certains se
soient abstenus de prendre position concernant son cas, d’autres ont lancé des attaques diffamatoires
contre African Rights,6, laquelle a été la première entité à attirer l’attention de la communauté

3
L’abbé Emmanuel Rukundo a été arrêté en Suisse le 12 juillet 2001, à la demande du TPIR. Il travaillait alors
à Genève. La cour suprême suisse a rejeté son appel contre son extradition au début du mois de septembre, et il
a été extradé à Arusha le 21 septembre.
4
Cf. African Rights, Lettre ouverte à Sa Sainteté le pape Jean-Paul II, 13 mai 1998.
5
Cf. African Rights, Bulletin d’Accusation nº2, L’abbé Athanase Seromba: Prêtre de paroisse à Florence, en
Italie, novembre 1999.
6
Toscana Oggi, nº 28, 22 juillet 2001.

3
internationale sur ce cas. Ces attaques visent à détourner l’attention de la réalité, à savoir que le
mandat d’arrêt de Seromba a émané du TPIR, lequel a été établi par l’Organisation des Nations unies
(ONU).
Les autorités de l’Eglise catholique doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour
persuader l’abbé Seromba de se rendre au TPIR, où il fera l’objet d’un projet juste. Elles devraient
retirer immédiatement leur soutien aux abbés Seromba et Hormidas et soit les suspendre, en attendant
les résultats d’une enquête, soit les excommunier. Le fait que l’Eglise en tant qu’institution protège
des suspects du génocide constitue une trahison de l’immense courage et force morale dont firent
preuve de nombreux membres du clergé rwandais durant le génocide. Il menace également de miner
les réussites de plusiers membres du clergé dévoués qui continuent d’œuvrer pour le bien de leurs
communautés au Rwanda. C’est en leur nom et au nom des centaines de milliers de victimes
catholiques du génocide que l’Eglise catholique doit agir. Ce n’est qu’au travers d’un processus
d’enquête, d’aveux et d’excuses que cette institution pourra véritablement devenir une force pour la
paix et la réconciliation au Rwanda.

4
1

LE PARCOURS DU “PRÊTRE DU CDR”

L’abbé Hormisdas Nsengimana est né le 6 août 1954 à Kirambi, commune Kinyamakara, Gikongoro.
Son père est Daniel Bakundukize et sa mère Angeline Mukandutiye. De 1960 à 1967, il fréquente
l’école primaire de Kirambi. En 1967-68 il poursuit son éducation au petit séminaire de Cyahinda, en
1968-69 au petit séminaire de Save, et de 1971-74 au petit séminaire de Kansi. De 1974 à 1980, il se
prépare au sacerdoce au grand séminaire de Nyakibanda. C’est pendant qu’il se trouvait à Nyakibanda
que l’abbé Hormisdas s’est fait connaître pour ses sentiments non dissimulés anti-Tutsis. Il partageait
ces vues avec d’autres prêtres de Nyakibanda, et certains de ses proches associés du séminaire allaient
ultérieurement prendre part au génocide de 1994 ; c’est le cas, par exemple de l’abbé Athanase
Nyandwi, de la paroisse de Kaduha, à Gikongoro, et de l’abbé Joseph Sagahutu, de la paroisse de
Muganza, à Kivu, Gikongoro.7
En 1980, l’abbé Hormisdas est ordonné prêtre et assigné à la cathédrale de Butare. De 1983 à
1988, il étudie la théologie à l’Université pontificale urbanienne de Rome, où il obtient son
baccalauréat, suivi d’études supérieures à l’Université pontificale salésienne de Rome, où il obtient
son doctorat. Il retourne au Rwanda le 12 janvier 1989. C’est le 2 mars 1989 qu’il arrive au collège
Christ Roi de Nyanza, d’abord comme enseignant puis comme principal, lorsqu’il remplace l’abbé
Ladislas Habimana, muté à la Conférence épiscopale de Kigali. L’abbé Hormisdas est resté à Nyanza
durant le génocide, jusqu’à la fin du moi de mai 1994, moment où il a pris la fuite pour échapper aux
forces du FPR qui avançaient. Il s’est d’abord rendu dans la région voisine de Gikongoro, puis s’est
joint à l’exode vers le Zaïre.
Après le génocide, Déo Ntacyonzabaqui travaillait à la paroisse de Nyanza et connaissait
l’abbé Hormisdasrencontra le frère du prêtre au Christ Roi.

Nous étions en train de faire l’entretien du jardin quand un homme rwandais, accompagné de deux
jeunes hommes blancs, sont arrivés. Sebukayire [un jardinier] nous a dit que c’était le frère de
Hormisdas, qui avait épousé une femme européenne. Nous l’avons abordé et nous lui avons raconté
tout ce que son frère avait fait pendant le génocide à Nyanza. Il a été étonné et a dit : “Un prêtre qui a
osé tuer ? Où qu’il aille, il sera arrêté.” Puis il est parti.

Mais au contraire, cette visite a apparemment contribué à préparer le terrain pour que l’abbé
Hormisdas puisse échapper à la justice. Son frère, marié à une Italienne, a apparemment utilisé ses
contacts pour l’aider à quitter le Zaïre pour l’Italie. Des sources de l’Eglise suggèrent que l’abbé
Hormisdas a ensuite été transféré vers le Cameroun parce que la nouvelle des accusations portées
contre lui était arrivée en Italie.

7
L’abbé Athanase Nyandwi est accusé d’avoir pris part à la planification d’un massacre de grande envergure à
la paroisse de Kaduha, durant lequel des milliers de Tutsis périrent le 21 avril 1994. Pour de plus amples
informations, Cf. African Rights, Rwanda: Death, Despair and Defiance, août 1995, pp.315-328. L’abbé
Nyandwi, qui est burundais, s’enfuit ensuite vers le Zaïre et, en 1997-98, participa à l’insurrection survenue
dans le nord-ouest du Rwanda et organisée par les ex-FAR et les interahamwe opérant dans la région zaïroise
du Kivu. Cf. African Rights, Rwanda: The Insurgency in the Northwest, septembre 1998, pp.73. L’abbé Joseph
Sagahutu est impliqué dans les tueries commises à la paroisse de Muganza. Cf. African Rights, Damien Biniga:
Un Génocide sans Frontières, juin 1999, pp.33-35.

5
Connu pour ses préjugés

Les préjugés de Hormisdas devinrent évidents pour les résidents de Nyanza dès son arrivée et lui
valurent le surnom de “prêtre du CDR”, d’après la faction politique ultra-extrémiste du Comité pour la
défense de la République.8 Plusieurs personnes qui connaissaient le prêtre ont expliqué l’origine de
son surnom. Francine Nyirarwasa était enseignante à l’école primaire Rusatira et connaissait l’abbé
Hormisdas, qu’elle avait rencontré dans le cadre des réunions organisées pour les enseignants de la
zone.

On nommait Hormisdas “le prêtre CDR”. Beaucoup de gens le connaissaient parce qu’il était un prêtre
qui ne pouvait pas supporter de s’approcher d’un Tutsi.9

François Kayiranga était assistant de l’intendant du collège.

Avec l’élection de Melchior Ndadaye comme le premier président hutu du Burundi, Hormisdas et
Phéneas Munyarubuga10 sont partis pour le Burundi pour célébrer ce qu’ils ont décrit comme une
victoire hutue. Hormisdas était un politicien et adorait le journal extrémiste Kangura. En un mot, il
était pro-CDR. 11

Joseph Semuhunyege, gardien et jardinier au collège, se souvient de la question que


Hormisdas lui posait régulièrement.

Hormisdas aimait me demander : “Semuhungeye, tu n’es pas Tutsi ?” Je répondais : “Non.” Il ajoutait:
“Tu ressembles à quelqu’un qui a tété la mamelle d’une Tutsie.” Je répondais toujours : “Non, non.”
Les questions de Hormisdas me montraient ce qu’il était. 12

Comme tous les principaux antérieurs du Christ Roi avaient été des prêtres, les prêtres de la
paroisse de Nyanza et les principaux successifs du collège se rendaient fréquemment visite et
collaboraient souvent. Déo Ntacyonzaba, qui travaillait à la paroisse depuis 15 ans, dit qu’il se rendait
régulièrement au collège. Il a parlé des changements survenus dans les rapports entre les prêtres de la
paroisse et le collège une fois que Hormisdas devint principal du Christ Roi.

Quand l’abbé Hormisdas est venu prendre les rênes de l’école, il y a eu un grand changement parce
que c’était un extrémiste. A l’époque, les prêtres de la paroisse de Nyanza, dont l’abbé Furaha, étaient
des Tutsis. Furaha était un prêtre très accueillant. Il dirigeait des groupes de prières et il y avait
beaucoup de monde qui venait le voir. Hormisdas disait que l’abbé Furaha était un inkotanyi et que
tous les gens qui venaient le voir étaient aussi des inkotanyi. Même les enfants de Nyanza savaient que
Hormisdas n’aimait pas Furaha et les autres Tutsis.
Les amis de Hormisdas, comme Phéneas, un professeur au Christ Roi, aimaient venir boire de
la bière dans la boutique de JOC. 13 Quand ils étaient ivres il nous disaient : “Furaha va mourir en
même temps que ses grands amis.” On riait et on se demandait pourquoi ils disaient ces mots. On ne
pensait pas que ça pouvait être possible.
Hormisdas refusait de venir rendre visite aux prêtres de Nyanza alors qu’ils étaient tous des
prêtres travaillant pour la même église. Comme Furaha était très menacé, on l’a muté à Save.

8
Le CDR a été formé par des militants purs et durs qui considéraient que le président Juvénal Habyarimana était
vulnérable à la pression internationale qui pesait sur lui pour arriver à un compromis avec le FPR et les partis
politiques de l’opposition au Rwanda.
9
Témoignage recueilli à Ngoma, Butare, le 15 septembre 1997.
10
Enseignant du Christ Roi qui devint un milicien de premier plan en 1994 et un des hommes sur lesquels
Hormisdas comptait.
11
Témoignage recueilli le 26 juin 1997.
12
Témoignage recueilli le 25 juin 1997.
13
La Jeunesse Ouvrière Catholique.

6
Innocent Habyarimana, menuisier, vivait dans la cellule Mugonzi.

L’abbé Hormisdas ne collaborait pas avec d’autres prêtres de Nyanza. Il était seulement l’ami des
politiciens et des soldats. Il nous disait souvent qu’il ne faisait pas confiance aux gens de Nyanza.
C’est pourquoi il y avait chez lui un groupe de jeunes originaires de Gikongoro qui y vivaient.

Les rapports qu’il entretenait avec les associés proches qu’il s’était choisis apparurent
clairement durant le génocide.

Hormisdas était l’ami de Biguma, un gendarme qui a tué de nombreux Tutsis à Nyanza. En janvier
1994, Biguma est passé dans notre quartier dans sa voiture. C’était le soir et il conduisait alors qu’il
était ivre. Lorsqu’il est arrivé chez Célestin Munyakayanza, un Tutsi, la voiture s’est renversée. On a
appelé tous les gens qui habitaient le quartier pour le secourir. Biguma nous a regardés et a dit : “Tout
le monde à Nyanza est tutsi. Je veux appeler nos jeunes que nous sommes en train de former.” Il est
parti. Quelques minutes plus tard, il est revenu avec l’abbé Hormisdas et six jeunes très vigoureux. Je
ne connais pas ces jeunes mais ce sont eux qui ont tué beaucoup de Tutsis pendant le génocide. Je les
voyais avec d’autres miliciens au cours du génocide.14

Callixte Kalisa a travaillé au collège de 1976 à 1992 comme cuisinier, et il était également
chargé d’assurer l’approvisionnement en bois et en combustible. Il a décrit Hormisdas comme “raciste
et violent”.

Hormisdas haïssait les Tutsis et ne voulait pas entendre ce mot. Moi, j’avais des problèmes avec lui
parce qu’il me considérait comme un Tutsi alors que je ne l’étais pas. Il était vraiment insociable. 15

Alphonse Sibomana fréquentait l’église de Nyanza, d’où il est originaire, et il a pu observer


de ses propres yeux l’antipathie manifestée par Hormisdas aux autres prêtres.

J’entendais beaucoup de gens dire que l’abbé Hormisdas était un extrémiste. Moi aussi j’ai vu que
c’était le cas un jeudi de la fin du mois de mars 1994. Ce jour-là il y avait une grande messe pour
marquer le jour où Jésus-Christ a lavé les pieds de ses apôtres avant de mourir. On a organisé une
grande messe à la paroisse de Nyanza. Six prêtres étaient venus célébrer la messe—deux blancs, l’abbé
Innocent Nyangezi, l’abbé Jean-Bosco Yirirwahandi, l’abbé Hormisdas et un autre prêtre.
De nombreux Tutsis étaient venus assister à la messe. J’étais devant et je voyais l’abbé
Hormisdas grincer des dents. Au milieu de la messe, le prêtre a demandé aux chrétiens de s’embrasser
pour être unis dans la paix du Christ. Tous les gens se sont embrassés. L’abbé Yirirwahandi était à côté
de l’abbé Hormisdas. Quand il s’est approché de Hormisdas pour l’embrasser, Hormisdas a reculé et
lui a donné seulement le bout de ses doigts en regardant à côté. Il a fait cela parce que Yirirwahandandi
était un Tutsi ; c’est ce que j’ai pensé.

Paul Niyonzima, un soldat, a été muté à la gendarmerie de Nyanza en octobre 1991, juste
après la légalisation des partis politiques de l’opposition et la perte de son monopole par le parti de
Habyarimana, le Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement (MRND).
Les nouveaux partis comptaient en leur sein de nombreux adhérents à Nyanza, mais il a parlé d’un
“noyau dur d’extrémistes qui appartenaient au MRND et au CDR.”

Il y avait dans ce groupe Barahira, un officier en retraite ; Rubayiza, un juge de la cour d’appel ;
Dorothée, une enseignante de l’école primaire de Rwesero ; le directeur de la laiterie de Nyabisindu,
Mirasano ; Zacharie Ruduri, un homme d’affaires ; le docteur Higiro et son fils, et l’abbé Hormisdas.
Ils collaboraient avec des gendarmes qui étaient eux aussi extrémistes, par exemple le caporal Gahutu,
l’adjudant Mburano, le caporal César; un caporal surnommé “Kagayifu” et le caporal Musafiri. Ces
gens se réunissaient dans un bar de Nyanza dénommé “CDR Power”.16 Ils circulaient toujours

14
Témoignage recueilli le 24 juillet 1997.
15
Témoignage recueilli le 26 juin 1997.
16
MDR est l’acronyme du Mouvement démocratique républicain. Bien que ce parti englobât des modérés, une
faction extrémiste émergea dont les opinions étaient alignées sur l’idéologie divisive du “Hutu Power” propre
au MRND et au CDR, et qui étayait le génocide.

7
ensemble et menacaient les gens qui appartenaient aux partis politiques de l’opposition. On voyait
qu’ils préparaient en tout cas quelque chose.

Paul a dit que l’abbé Hormisdas se rendait fréquemment dans leur camp, le quartier général de
Birikunzira.

L’abbé Hormisdas venait dans notre camp visiter les gendarmes extrémistes que j’ai cités auparavant. 17

Des miliciens bien connus à Nyanza n’ont eu aucune difficulté à désigner l’abbé Hormisdas
comme un homme ayant de profonds préjugés politiques. “L’abbé Hormisdas était très bien connu
comme étant un extrémiste. Et il en était un”, selon Jean-Claude Higiro, qui travaillait à la laiterie de
Nyabisindu et est accusé d’avoir joué un rôle crucial dans les massacres commis à Nyanza. Il explique
comment Hormisdas s’est fait cette réputation.

J’ai souvent entendu Hormidas causer avec des membres du CDR et affirmer que les Tutsis étaient
méchants. Il devenait mécontent dès qu’il voyait un Tutsi. C’est pourquoi les chrétiens tutsis de
Nyanza ont eu peur d’aller se cacher à l’église auprès de l’abbé Hormisdas. Il était parmi les gens qui
préparaient des pièges pour les Tutsis. Il est clair que personne ne peut aller se cacher là où on lui a
tendu un piège.18

L’intérêt constant porté par Hormisdas à la politique et son soutien en faveur du MRND se
reflètent dans la volumineuse correspondance qu’il a entretenue au fil des ans, en particulier avec les
fondateurs belges du Christ Roi, à présent retraités et qui vivent à Liège, en Belgique, mais aussi avec
d’autres correspondants. En 1991, Hormisdas a écrit à Edouard Karemera, qui venait d’être nommé
secrétaire général du parti au pouvoir, le MRND.

C’est avec bonheur que nous avons appris votre nomination au poste de Secrétariat général de notre
mouvement rénové et je viens, au nom du personnel du collège Christ Roi de Nyanza, au nom de nos
élèves et en mon nom personnel, vous dire nos félicitations les plus émues.
Nous sommes heureux et fiers de la confiance que le chef de l’Etat et président fondateur du
MRND a placée en vous, sûrs que vous ne décevrez nullement ses attentes et celles de toute la nation
rwandaise.

Edouard Karemera fut nommé ministre de l’Intérieur au sein du gouvernement qui a perpétré
le génocide, et il joua un rôle important au moment d’inciter les massacres à Kibuye, d’où il était
originaire.
Dans une lettre datée de février 1992, écrite en anglais et adressée à un Canadien de Port
Colborne, Ontario, Hormisdas écrit :

Comme vous le savez, le Rwanda est attaqué par des rebelles depuis le 1er octobre 1990… Ces
rebelles, nos propres compatriotes, sont d’anciens dirigeants qui ont été évincés du pouvoir en 1959 et
se sont exilés dans des pays voisins ; ils veulent à présent revenir et subjuguer les Rwandais par la
force. Les rebelles ont attaqué depuis l’Ouganda, un pays voisin du nord, qui soutient nos assaillants
non seulement moralement, mais aussi financièrement et militairement.

Une stratégie visant à diviser : la politique dans l’éducation au Christ Roi

Christ Roi est l’une des écoles secondaires les plus anciennes et les plus prestigieuses du Rwanda, et
elle compte un effectif de quelque 450 élèves. Fondée en 1956 par des prêtres belges de Liège, elle a
été reprise par le diocèse de Butare en 1982 mais a continué de bénéficier du soutien de prêtres de
Liège qui avaient été associés au collège. L’abbé Hormisdas entreprit de laisser sa marque politique
sur le collège dès qu’il en prit les rênes. Les conversations concernant sa gestion du collège sont
dominées par les références à ses efforts en vue d’entretenir un climat de méfiance, et en particulier à

17
Témoignage recueilli le 16 juin 1999.
18
Témoignage recueilli le 16 octobre 1997.

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sa ferme détermination à diviser les élèves selon leur ethnie et à créer une hostilité mutuelle. Peu après
son arrivée au Christ Roi, le Front patriotique rwandais attaqua le Rwanda en octobre 1990, et la
guerre éclata, donnant à Hormisdas l’occasion de creuser encore les divisions au sein du corps
étudiant, et un alibi des plus pratiques pour ses préjugés ethniques et politiques.
Selon Joseph Semuhunyege, “tout changea après l’arrivée de Hormisdas au collège.” Joseph
travaille au Christ Roi depuis 1963.

Hormisdas a procédé au renvoi presque systématique des travailleurs du collège, les remplaçant par les
Hutus originaires de sa préfecture de Gikongoro, dont un nommé Nyambo et plusieurs autres. Nyambo
et un autre ressortissant de Gikongoro passaient la nuit dans la chambre à coucher de l’abbé
Hormisdas, armés de machettes. Cela se passait après le début de la guerre d’octobre 1990. Pour nous
autres c’était incroyable de voir Hormisdas, abbé et directeur de tout un collège d’élèves, accepter de
passer la nuit avec deux paysans armés de machettes dans une petite chambre. Cela me révélait tout
simplement que l’abbé Hormisdas préparait un plan diabolique avec les nouvelles recrues de
Gikongoro. Les deux hommes qui passaient la nuit chez Hormisdas ne travaillaient presque pas. On
voyait qu’ils faisaient partie d’une autre mission. Le comportement de Hormisdas était sauvage et cela
s’est manifesté durant les événements tragiques du génocide.

Lorsqu’ils arrivaient au collège, on demandait aux nouveaux élèves de vérifier par


recoupement leur nom sur une liste conservée dans le bureau du principal. Gérard19, un ancien élève,
se rendit dans le bureau de Hormisdas accompagné de sa mère.

Le directeur m’a demandé si j’étais tutsi ou hutu. Je lui ai répondu que j’étais tutsi. C’était en
septembre 1992. Il n’a rien dit et nous sommes sortis. On s’est demandé pourquoi il avait posé cette
question. 20

Gérard allait le découvrir en avril 1994, lorsque l’abbé Hormisdas refusa de lui accorder
l’autorisation de se cacher dans le collège (voir plus loin).
Les élèves se rendirent compte de la nature des changements qui se préparaient peu après que
Hormisdas devînt leur principal. Richard Gisagara a dit que : “L’abbé Hormisdas encourageait la
haine entre les Hutus et les Tutsis.” Richard s’était inscrit au Christ Roi en septembre 1988.

Notre école était calme et il n’y avait aucun problème entre les élèves avant l’arrivée de l’abbé
Hormisdas comme nouveau directeur pendant l’année scolaire 1989-1990. Il a immédiatement cherché
un groupe d’élèves de la cinquième et de la quatrième années, dont Thomas et Kabandana, pour
collaborer avec lui. Il cherchait uniquement des élèves hutus, surtout originaires de Ruhengeri et de
Gisenyi. Ces élèves allaient souvent chez l’abbé Hormisdas pendant la nuit. Ils venaient dormir vers 1
heure du matin, se lamentant de ce que les Hutus allaient être tués par les Tutsis. C’est ainsi qu’ils ont
semé la haine entre les élèves.

Le groupe qui collaborait avec Hormisdas chercha à polariser les élèves par des actes, pas
seulement par la rhétorique.

Il y avait un magasin à l’école et on y mettait des houes et des machettes qu’on utilisait dans le jardin
de l’école. Ces élèves extrémistes ont accusé les élèves tutsis d’avoir volé ces houes et machettes du
magasin pour les utiliser afin de tuer les Hutus.
Un soir, en 1990, nous sommes entrés dans la chapelle pour prier avant d’aller nous coucher.
L’abbé Hormisdas dirigeait la prière. Kabandana a demandé en criant comment on pouvait aller dormir
alors que les Tutsis avaient l’intention de tuer les Hutus cette nuit-là. Tout le monde était étonné. Mais
le directeur nous a obligés à partir.

Nombreux sont ceux qui considèrent que l’incident suivant a été orchestré afin de justifier ces
fausses allégations.

19
Gérard est un pseudonyme ; cet élève souhaitant garder l’anonymat.
20
Témoignage recueilli le 26 juin 1997.

9
Ce groupe d’élèves extrémistes sont sortis en courant. Quand ils sont arrivés dans le dortoir, ils ont
commencé à regarder sous les lits des élèves. Un élève a crié fort en montrant la machette qu’il avait
trouvée sous le lit de Pacifique Kalisa, un élèv qui était en sixième. Mais on voyait très bien que c’était
un coup monté par Hormisdas et que ce groupe d’élèves étaient ses serviteurs. Le directeur est arrivé
avec les professeurs.

Le lendemain, Pacifique fut renvoyée définitivement et d’autres temporairement.

Hormisdas a continué de menacer les Tutsis. Il disait qu’ils étaient des complices du FPR et qu’ils
organisaient des réunions d’inkotanyi avec les gens de Nyanza. Les Tutsis ne pouvaient pas parler à
Hormisdas, mais Kabandana et son groupe pouvaient entrer dans son bureau quand ils voulaient. 21

Comme membre du personnel, François Kayiranga était conscient de l’impact négatif des
actions de Hormisdas.

Après l’attaque du FPR, Hormisdas a commencé à semer une atmosphère d’insécurité au sein du
collège. Il fouillait les chambres des élèves tutsis, affirmant qu’ils avaient des machettes pour tuer les
élèves hutus. Hormisdas, avec l’aide d’élèves extrémistes, avait déposé des machettes sous les lits de
certains élèves tutsis. Il en a renvoyé quelques-uns, dont Félicien Bangangira. A partir de ce moment-
là, un climat de haine intense s’est répandu dans la communauté des élèves hutus et tutsis.

Byumba, qui se situe sur la frontière ougandaise, fut le principal théâtre de la guerre entre le
régime de Habyarimana et le FPR. Des milliers de personnes furent déplacées et de nombreux des
élèves furent placés dans des écoles situées dans d’autres régions du pays. En 1992, un groupe
important d’élèves vinrent suivre leurs études dans les écoles de Nyanza. Ils allaient s’avérer de
formidables alliés pour l’abbé Hormisdas, comme l’explique François :

Hormisdas a choisi parmi eux les six plus grands garçons et leur a donné des chambres chez lui. Ils se
sont joints au noyau dur présent au collège d’extrémistes tels que Simon Kalinda, menuisier, François
Sebukayire, jardinier, et Phéneas Munyarubuga, le préfet de discipline.

A Nyanza, comme ailleurs dans le pays, les élèves venus de Byumba jouèrent un rôle actif
dans le génocide de 1994.
Un autre élève, Emmanuel Mugiraneza, se souvient de la transformation de l’école à l’arrivée
de Hormisdas. Emmanuel était en deuxième année à l’époque.

L’école a complètement changé après la venue de Hormisdas. Dès le début, il a choisi un groupe
d’élèves de Ruhengeri et de Gisenyi qui collaboraient avec lui. Il y avait parmi ces élèves Anastase
Habineza, de Gisenyi ; David Ayisi ; Pierre-Célestin Rubanzabigwi, de Ruhengeri ; Anastase
Mporanimana et Jérôme Hakizimana.
Ils considéraient Hormisdas comme leur collègue. Ils causaient souvent avec lui. Leur mission
était de démoraliser les élèves tutsis en les accusant d’être complices du FPR. Ils intimidaient les Hutus
pour qu’ils haïssent les Tutsis. Dans la classe, les Tutsis n’avaient plus le courage d’étudier.
En 1993, ce groupe d’élèves ont commencé à faire des exercices militaires. Ils se levaient vers
4 heures pour aller faire ces exercices. Après, ils venaient nous terroriser, nous disant qu’ils nous
tueraient un jour.

La célébration de la messe de dimanche se transforma en exercice politique.

Le dimanche, Hormisdas célébrait la messe avec les élèves dans notre chapelle et aussi avant d’aller
dormir.

“Hormisdas menait la prière. Au lieu de nous enseigner la parole de Dieu, il nous


enseignait la politique.”

21
Témoignage recueilli le 25 septembre 1997.

10
In nous disait : “Il faut prier beaucoup. Vous savez que la minorité tutsie a lancé une guerre pour
massacrer les Hutus, qui sont majoritaires, pour prendre le pouvoir. Mais c’est impossible : la minorité
ne peut pas gouverner la majorité.” Après cette prière, les Hutus voulaient nous battre. Nous allions
dormir apeurés.
L’abbé Hormisdas était plus politicien que religieux. Je voyais souvent les autorités qui
venaient lui rendre visite à l’école—des gens comme Gaëtan, le sous-préfet de Nyabisindu, et
Mirasano, le directeur de la laiterie de Nyabisindu. Tous ces amis sont devenus des tueurs pendant le
génocide.22

Les voisins remarquèrent eux aussi les changements survenus au Christ Roi. Les membres du
personnel et les élèves ont parlé des préjugés ethniques et de la partialité politique de Hormisdas, mais
pour Pasteur Dusangeyezu, c’est son comportement peu chrétien qui était choquant.

Comme j’habite tout près du Christ Roi, je connais tous les principaux qui sont venus diriger l’école. Il
y a eu des Européens et des Rwandais, comme l’abbé Ladislas. Je connais aussi nombre d’élèves qui
ont étudié au collège.
Avant l’arrivée de l’abbé Hormisdas au collège, il y avait la paix en son sein. Même en 197323,
les élèves hutus ont voulu tuer les élèves tutsis, mais le directeur de l’époque a calmé la situation.
Quand l’abbé Ladislas était directeur, nos enfants y allaient librement. Aucun enfant voisin du collège
n’avait faim parce que les enfants allaient au collège pour manger les restes des élèves. Il n’y avait
aucun problème quand Ladislas les voyait manger. Mais quand l’abbé Hormisdas est venu, les enfants
ont eu peur d’y retourner. Si Hormisdas voyait un enfant au collège, il courait derrière lui en lui jetant
des pierres. Il était méchant. Je le voyais parce que j’étais son voisin.
Hormisdas était plus politicien que religieux. Je le voyais souvent avec des officiers militaires
comme le colonel Rwagafilita24, qui avait étudié au collège. Avant l’arrivée de Hormisdas il ne venait
jamais visiter son ancien collège. Je le voyais aussi avec d’autres autorités civiles.

L’avis général selon lequel l’abbé Hormisdas faisait passer ses ambitions politiques bien
avant son engagement chrétien s’est avéré fondé en avril 1994. C’est en effet à ce moment-là qu’il a
abandonné tout semblant de conduite religieuse et s’est rapproché encore plus des dirigeants civils
influents et des officiers militaires puissants qui avaient souvent été ses compagnons par le passé. Sa
connexion à ce réseau d’extrémistes fut désastreuse pour les Tutsis de Nyanza.

22
Témoignage recueilli le 25 septembre 1997.
23
Les Tutsis faisant partie des établissements d’enseignement et des professions libérales furent soumis à une
campagne de harcèlement en 1973, et nombre d’entre eux se virent obligés de quitter leurs écoles et leurs
postes.
24
Bien qu’il fût retraité en 1994, le colonel Rwagafilita a joué un rôle actif dans le génocide dans sa préfecture
natale de Kibungo.

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2

PRÊCHER LE GÉNOCIDE
Dans la plupart des régions du pays, les Tutsis ont été ciblés presque immédiatement après la mort du
président Habyarimana, mais à Butare la population était, en général, moins ouverte au message du
génocide. Nyanza, comme les autres parties de la préfecture, parut relativement paisible pendant
environ deux semaines, en partie grâce aux efforts du préfet de Butare et du bourgmestre de
Nyabisindu, qui dénonçaient tous deux les tueries commises ailleurs et encourageaient l’unité.
Cependant, les préparatifs en vue du génocide avaient déjà commencé, à l’initiative de trois des
hommes les plus influents de la communauté : l’abbé Hormisdas, le sous-préfet, Gaëtan Kayitana, et
le commandant de la gendarmerie, le capitaine Birikunzira. Ils avaient commencé à se réunir avec des
miliciens importants dès le 6 avril, souvent au Christ Roi, afin de planifier le massacre des Tutsis. Le
message de haine diffusé par ces hommes entre le 7 et le 22 avril persuada bien des habitants de la
zone. L’abbé Hormisdas et ses collaborateurs clés utilisèrent leurs positions d’autorité pour mener une
guerre intense de propagande, qui leur permit de recruter de nombreux participants. Ils assemblèrent
une impressionnante armée de soldats, d’interahamwe, de fonctionnaires locaux, de professionnels,
d’élèves et de réfugiés burundais qui étaient disposés et prêts à se mettre au “travail” lorsque le
génocide fut lancé à Nyanza, le vendredi 22 avril.
Zephrin Nshimiyimana, 30 ans, vivait à Nyanza, avant et après le génocide, dans la cellule
Gakenyeri. Electricien de son métier, il fut arrêté le 29 septembre 1994, accusé d’avoir participé au
génocide. Son témoignage met en relief les raisons pour lesquelles tant de personnes ordinaires ne
mirent pas en question l’ordre de tuer leurs voisins.

J’accuse trois personnes du génocide des Tutsis à Nyanza.

• Birikunzira, le commandant de la gendarmerie à Nyabisindu ;


• Gaëtan Kayitana, le sous-préfet de Nyabisindu ;
• L’abbé Hormisdas, le directeur du collège Christ Roi.

Ces trois personnes sont les promoteurs du génocide à Nyanza. Après la mort de Habyarimana, la
population de Nyanza était unie. Mais ces trois personnes ont circulé partout en voiture en demandant
aux Hutus d’ériger des barrièrs pour pouvoir tuer les inkotanyi et leur complices. On a immédiatement
brûlé la maison de Janvier Rutagambwa à Mugonzi. Rutagambwa était agronome. De nombreux Tutsis
ont été tués, accusés d’être complices du FPR.
Ces autorités ont sensibilisé les Hutus et les ont convaincus qu’ils devaient tuer tous les
Tutsis, même les petits enfants. Ils répétaient ce message partout où ils voyaient des gens.
Birikunzira, Kayitana et l’abbé Hormisdas étaient ensemble presque tous les jours. Ils
circulaient toujours ensemble dans la même voiture et se rendaient aux barrières de Nyanza. Je les
voyais dans la camionnette bleue du Christ Roi ou dans la camionnette blanche du Birikunzira. Le
sous-préfet avait aussi une voiture. Ils marchaient également avec les soldats. Ils aimaient tenir la
réunion dans un endroit dénommé “cité nouvelle” où il y avait beaucoup de maisons et où les gens
aimaient se rassembler.
Deux autres hommes ont activement participé au génocide—Jacques, un inspecteur des
écoles, et Simon, qui travaillait au Christ Roi. Ils se promenaient partout avec des grenades et des
fusils, et ont aidé les autorités à organiser des attaques durant lesquelles les Tutsis ont péri.

“L’abbé Hormisdas enseignait toujours l’amour de Dieu. Il disait que tuer était
un péché. Le commandant Birikunzira était chargé d’assurer la sécurité de toute
la population de Nyanza. Le sous-préfet Kayitana était un agent de l’Etat. Il
enseignait l’unité des Rwandais. La population de Nyanza avait confiance en eux.
Elle les considérait comme ses guides, ses conseillers. Après la mort du président,
ces soi-disant guides se sont regroupés et ont commencé à enseigner la haine.

12
Alors, comment un simple paysan pouvait-il ne pas se mettre à tuer en voyant
l’exemple de ses guides et conseillers ?”25

Le préfet de Butare, Jean-Baptiste Habyarimana, avait fait des efforts acharnés pour empêcher
que la frénésie génocidaire ne se répandit dans sa préfecture. Habyarimana, le seul préfet tutsi du
pays, rendit visite à toutes les communes de Butare pour atténuer la tension, rassurer les personnes
effrayées et rappeler aux fonctionnaires locaux et aux forces de sécurité qu’il leur incombait de
protéger la vie des personnes et les biens. Innocent Habyarimana, le menuisier cité ci-dessus, se
souvient à quel point les Hutus comme les Tutsis avaient peur au début, car ils ne savaient pas
comment ils allaient être affectés. Il a décrit la réaction de Hormisdas lorsque le préfet vint à Nyanza
pour y diffuser un message de paix. La réunion eut lieu dans la cour d’ESPANYA, une école
secondaire. La plupart des résidents de Nyanza y assistèrent.

Le préfet a demandé à tout le monde de rester calme et de ne jamais tuer personne. Il a aussi demandé
aux gendarmes d’essayer d’assurer la sécurité partout. L’abbé Hormisdas, qui était juste à côté de moi,
riait beaucoup pendant que le préfet parlait et ne lui prêtait aucune attention. Le préfet est retourné à
Butare. Quelques jours après, le génocide a commencé à Nyanza.

Peu après, le 19 avril, Habyarimana fut congédié de son poste de préfet, décision qui marqua
le commencement officiel du génocide à Butare.26 Mais il y avait un autre obstacle au génocide à
Nyabisindu, en la personne de Jean Marie-Vianney Gisagara, le bourgmestre de la commune.
Gisagara est l’un des rares bourgmestres qui se soit opposé, sur la base de principes, au génocide. Il
demanda à ceux qui étaient hutus comme lui de rester calmes et de résister à l’appel au massacre de
leurs voisins tutsis. Il utilisa sa force de police communale pour contenir les fauteurs de troubles et les
mit en prison. Les interahamwe, désireux de rattraper le reste du pays, l’attachèrent à une
camionnette, le traînèrent dans les rues de Nyanza, puis le tuèrent. Cette décision eut l’effet désiré ; de
nombreux Hutus chassèrent les Tutsis qu’ils avaient cachés. Tout le monde comprit que la chasse aux
Tutsis était désormais ouverte. Aucun bourgmestre ne fut nommé pour la durée du génocide, ce qui
donna libre cours aux hommes chargés des tueries.
Le 21 avril, veille du lancement du génocide à Nyanza, Pasteur Dusangeyezu prit part à une
importante réunion. Pasteur, menuisier de 55 ans, est fonctionnaire. Sa famille est originaire de
Nyamabuye, à Gitarama, mais Pasteur a grandi à Nyanza. Leur maison est séparée du Christ Roi par
quelques mètres à peine. Ils étaient amis avec la famille de François Gashirabake, qui devint un
génocidaire redoutable en 1994. Pendant que Gashirabake était bourgmestre de Nyabisindu, il aida
Pasteur à obtenir un poste de menuisier au sein du ministère des Transports. Il fournit également à la
famille des cartes d’identité hutues pour les protéger. Durant le génocide, Gashirabake était
enseignant à l’Ecole technique féminine de Nyanza et secrétaire du parti du président Habyarimana, le
MRND, à Nyabisindu. Cette amitié a protégé Pasteur durant le génocide.
Pasteur dit qu’après la mort de Habyarimana, il vit “de nombreuses voitures appartenant à des
figures d’autorité se rendant au Christ Roi”.

Le 21 avril, vers 20 heures, Gashirabake est venu chez moi. Il a dit : “Hormisdas vient de convoquer
une réunion très urgente pour dresser la liste des Tutsis à tuer. Viens avec moi pour éviter de figurer
sur cette liste. Si on te voit à la réunion, on pensera que toi aussi tu es hutu.”

Les deux hommes partirent ensemble. La réunion avait lieu dans le stade de football situé à
côté d’une école de formation pour enseignants d’école primaire, l’Ecole normale primaire.

Nous étions une trentaine. J’ai vu l’abbé Hormisdas ; Simon Kalinda et Phéneas du Christ Roi ;
Nangamadeni, un commerçant ; Rwagasore, le directeur de l’école des sciences de Nyanza ; Bosco, le
fils du directeur Nyamulinda et les élèves déplacés.

25
Témoignage recueilli à Nyanza le 26 juin 1997.
26
Habyarimana et sa famille furent tués par la suite.

13
Hormisdas prit la parole.

Il nous a dit : “Ce soir nous allons préparer très vite la liste des Tutsis à tuer. Les chefs du pays sont
très fâchés contre nous parce que nous n’avons pas encore commencé le génocide, alors qu’à Nyanza
on trouve de nombreux Tutsis, surtout des intellectuels. Je dois donner la liste que nous allons dresser
aux soldats pour qu’ils puissent commencer à tuer très tôt le matin.” Hormisdas était très fâché et a dit :
“Je sais que vous, les Hutus de Nyanza, vous n’avez pas l’habitude de tuer les Tutsis. Maintenant vous
devez tuer. Ce n’est plus comme avant.”
Karege, un employé de la laiterie de Nyabisindu qui habitait à Karama, a donné des feuilles à
Hormisdas pour préparer la liste. Puis Jacques, l’inspecteur des écoles et le président des interahamwe
au niveau communal, a serré la main à tout le monde.

La présence de Jacques faillit révéler la véritable identité de Pasteur.

Quand Jacques est venu me serrer la main, il s’est mis à crier et a demandé : “Comment est-il possible
que toi, un Tutsi, tu aies pu venir à notre réunion ?” J’ai expliqué que moi aussi j’étais Hutu. J’ai voulu
lui montrer ma carte d’identité mais il a refusé, disant que j’étais complice du FPR et qu’il ne voulait
pas me voir dans leur réunion. On m’a chassé. Je suis retourné à la maison. Je tremblais beaucoup.

Il vit d’autres choses qui lui semblèrent de mauvais augure.

J’ai vu des enfants, des femmes et des vieillards hutus qui allaient passer la nuit au Christ Roi. Je me
suis dit qu’on voulait rassembler tous ces gens pour les préparer à rester calmes lorsque les Tutsis
seraient massacrés.27

Comme ancien siège de la monarchie, Nyanza était connue pour l’importante concentration
de Tutsis en son sein. Le plan consistant à les tuer en masse exigeait un groupe considérable de
miliciens qui fussent non seulement motivés, mais aussi bien équipés et organisés. C’est un défi que
l’abbé Hormisdas entreprit de relever personnellement.

27
Témoignage recueilli le 22 août 1997.

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3

UN PÈRE POUR LES GÉNOCIDAIRES


Un guide pour les tueurs de Nyanza

En avril et mai 1994, l’abbé Hormisdas Nsengimana passa pratiquement tout son temps en la
compagnie des hommes qui planifièrent le génocide à Nyanza, et avec les soldats et les miliciens
endurcis qui exécutèrent les massacres. Il leur distribua des armes, mit le véhicule du Christ Roi à leur
disposition et leur permit d’utiliser Christ Roi comme lieu de rencontre avant d’entreprendre leurs
massacres effrénés. Il guida et supervisa les tueries, avec l’aide de ses deux alliés les plus proches.

Un triumvirat mortel

L’abbé Hormisdas, Gaëtan Kayitana et le capitaine Birikunzira conjuguèrent leur autorité—comme


chef spirituel, représentant du gouvernement central et arbitre des questions relatives à l’ordre
public—pour garantir le succès du génocide à Nyanza. Ils incitèrent, coordonnèrent et dirigèrent les
massacres à Nyanza et ailleurs dans la commune de Nyabisindu. D’autres hommes œuvraient en
étroite collaboration avec eux, en particulier Callixte Mirasano, le directeur de la laiterie de
Nyabisindu, mais c’est ce triumvirat qui dicta la direction et le rythme du génocide à Nyanza.
Jean-Claude Higiro, 30 ans, travaillait dans le bureau de Mirasano, à la laiterie. Callixte
Mirasano, selon lui, “était membre du parti CDR, comme mon père” ; il ajoute que l’abbé Hormisdas,
Kayitana et Birikunzira étaient “de bons amis de mon patron” et qu’ils se réunissaient souvent avec
lui dans son bureau.

Ils aimaient aussi se réunir sur le terrain de basket-ball situé derrière la laiterie pour discuter des
affaires du parti CDR. La population de Nyanza n’aimait pas ce parti parce que ses membres étaient
des extrémistes.
Birikunzira, Kayitana et l’abbé Hormisdas ont organisé et supervisé le génocide à Nyanza. Ils
circulaient toujours dans la même voiture pour contrôler les barrières. J’ai vu Kayitana et Birikunzira
dans la voiture de l’abbé Hormisdas. J’étais hutu, alors personne ne pouvait m’empêcher de circuler
pendant le génocide. J’ai tout vu.
Pendant que Birikunzira distribuait des armes et de l’essence, le sous-préfet sensibilisait la
population au danger de cacher les Tutsis. Il demandait à tous les hommes hutus mariés à des femmes
tutsies de les dénoncer ; celui qui refusait devait être tué immédiatement. Le sous-préfet a livré ce
message dans une de ses réunions au bureau communal en mai. J’ai participé à cette réunion. Et l’abbé
Hormisdas était parmi les gens qui préparaient des pièges pour les Tutsis.

Le père de Jean-Claude, le Dr Célestin Higiro, 62 ans, était le médecin en chef de l’hôpital de


Nyanza. Il fut arrêté le 20 septembre 1994 pour avoir pris part au génocide. Il nie les accusations
portées contre lui, mais a parlé des hommes sur lesquels il rejette la responsabilité des horreurs
commises à Nyanza.

Comme Nyabisindu n’avait pas de bourgmestre, les réunions étaient organisées par le sous-préfet,
Gaëtan Kayitana, et le commandant de la gendarmerie de Nyabisindu, Birikunzira, avec leurs amis. Le
directeur du Christ Roi, l’abbé Hormisdas, était parmi les amis du sous-préfet. Même avant la mort du
président, le sous-préfet et l’abbé Hormisdas se promenaient ensemble. Durant ces réunions qui avaient
lieu dans le bureau de la sous-préfecture, on avait dressé le plan d’exterminer les Tutsis de Nyanza.
Environ une semaine après la mort du président, j’ai croisé Hormisdas devant l’hôpital. Il était dans sa
voiture. Il s’est arrêté pour me saluer. C’était vers midi. Je lui ai demandé où il allait. Il m’a dit qu’il
allait voir le sous-préfet. Il a ajouté qu’il avait beaucoup de choses à discuter avec lui.
Durant les réunions, on a désigné les membres d’un comité chargé de distribuer des armes aux
miliciens et de sensibiliser les Hutus pour les convaincre que le moment était venu de tuer les Tutsis.

15
Les chefs du comité étaient Jacques Mudacumura et Jean-Marie Vianney Segema, qui travaillait à la
laiterie de Nyabisindu.28

Le gendarme cité ci-dessus, Paul Niyonzima, a énuméré les services fournis par Birikunzira
aux miliciens et a parlé des liens qui existaient entre le commandant et Hormisdas.

Les interahamwe avaient le droit de venir dans notre camp prendre des grenades, des fusils, ainsi que
l’essence. Je voyais souvent notre commandant, Birikunzira, avec Hormisdas, Barahira et le directeur
de la laiterie, se rendre ensemble aux barrières. L’abbé Hormisdas avait disponibilisé la camionnette du
collège pour transporter les interahamwe et les soldats qui traquaient les Tutsis. Birikunzira donnait
l’essence pour la voiture. Un jour où c’était mon tour de distribuer l’essence, j’ai vu des grenades dans
la voiture de Hormisdas.

Christ Roi : un lieu de rencontre pour les miliciens

Au lieu de se transformer en refuge pour les personnes ciblées par le génocide, Christ Roi devint une
base pour les planificateurs et les miliciens. Le rôle central joué par l’abbé Hormisdas dans le
génocide est évident d’après la nature et la fréquence des réunions qui eurent lieu au Christ Roi.
Joseph Semuhunyege, qui était gardien au collège, put observer les allées et venues nocturnes.

Je passais la nuit au collège où j’assurais la sécurité. J’y arrivais à 17 heures et je terminais mon
service le matin vers 8 heures. Après la mort de Habyarimana, des réunions clandestines se tenaient au
Christ Roi. Hormisdas recevait chez lui beaucoup de visiteurs. Il y avait aussi des militaires originaires
de Gikongoro qui venaient assister à ces réunions. Elles commençaient à 20 heures et les participants
rentraient à 3 heures. Elles se tenaient souvent dans la salle à manger de Hormisdas.
Il aimait toujours circuler avec Simon, le maçon du collège, et Benoît Nkeramihigo,
professeur au collège. Les deux étaient, comme Hormisdas, membres du parti des génocidaires.

Marie-Thérèse Mukankusi vivait juste à côté du Christ Roi. Cette agricultrice de 43 ans dit
qu’elle ne s’est pas cachée et qu’elle pouvait se déplacer librement parce qu’elle était munie d’une
carte d’identité hutue et qu’elle n’avait pas “des traits tutsis”.

Comme j’habite tout près du Christ Roi, je voyais beaucoup de voitures y aller pendant le génocide. Je
voyais souvent la voiture du commandant de la gendarmerie, du sous-préfet et des commerçants. Les
voitures arrivaient à l’école toutes en même temps, ce qui me montrait qu’ils venaient pour une réunion
et que ce n’était pas une simple visite. Le commandant de la gendarmerie aimait circuler dans sa
voiture avec l’abbé Hormisdas. Je les voyais se rendre aux barrières. Hormisdas se promenait aussi
souvent avec le sous-préfet. C’étaient de grandes autorités. Ce sont eux qui donnaient les ordres
concernant la manière dont on devait tuer les Tutsis. 29

Donatilla Mukamunana, à présent couturière à Kigali, était arrivée à une conclusion similaire.
Ancienne enseignante à l’école primaire de Nyanza, elle louait une chambre dans un foyer de la
paroisse situé à côté du Christ Roi.

Juste après la mort du président, je voyais de nombreuses voitures aller au Christ Roi. Je voyais
souvent la voiture du commandant de la gendarmerie de Nyabisindu, les voitures du sous-préfet et du
directeur de la laiterie, Mirasano. Même avant la mort du président, Hormisdas était l’ami de ces gens.
Ce n’était pas une simple visite puisque toutes les voitures de ces chefs arrivaient en même temps. Ils
allaient tenir des réunions avec Hormisdas.

Donatilla rencontra les hommes qui fréquentaient Hormisdas après avoir emménagé au Christ
Roi.

28
Témoignage recueilli le 26 juin 1997.
29
Témoignage recueilli le 22 août 1997.

16
Christ Roi était un lieu de rencontre pour les grands génocidaires. Quand j’étais là, je les voyais venir
rendre visite à Hormisdas. Il y avait parmi eux Gaëtan, Mirasano et Jacques Mudacumura. Ils allaient
chez Hormisdas. Hormisdas aimait causer avec ces génocidaires ; ils avaient le droit d’entrer librement
au Christ Roi.

Organisation, direction et récompense des miliciens

Les témoignages les plus détaillés concernant les activités de l’abbé Hormisdas liées à l’organisation
et à l’encouragement des milices émanent de la population hutue de Nyanza. Leur sécurité et liberté
relatives leur donnèrent bien des occasions de suivre ses allées et venues et d’observer les personnes
qu’il fréquentait. Déo Ntacyonzaba, l’employé de la paroisse cité ci-dessus, a profité de sa liberté.

Comme je suis Hutu, je n’avais aucun problème. Je me promenais autour de l’église et j’ai vu ce que
les miliciens faisaient. L’église se trouve tout près du collège Christ Roi. Il y avait une barrière devant
le collège et un autre près de l’habitation de Simon Kalinda, qui travaillait au collège. Je voyais
Hormisdas avec un groupe de miliciens, dont Jean de Dieu, alias “Jean Muitzig” ; Bosco et Louis, les
fils du directeur Nyamulinda ; Simon Kalinda ; Phéneas ; les fils de Tubirimo ; les employés de la
laiterie de Nyabisindu et les élèves de Byumba qui étaient chez le directeur Nyamulinda. Ce groupe de
miliciens avaient des fusils, des grenades, des massues et des machettes. Ils étaient très connus à
Nyanza. Hormisdas avait mis à leur disposition la voiture du Christ Roi, une Toyota bleue, pour les
transporter quand ils allaient tuer. Ils se rassemblaient le matin au Christ Roi pour pouvoir partir tous
ensemble.
Un matin, quand ils ont quitté le collège avec la voiture, certains miliciens avaient sur la tête
des feuilles de bananier. Ils sont partis en chantant des chansons qu’ils avaient composées spécialement
pour le génocide, des chansons pour les encourager à massacrer. Ils disaient aux autres miliciens dans
la rue qu’ils allaient effectuer ce qu’ils appelaient une “opération”, c’est-à-dire aller fouiller dans un
endroit pour pouvoir tuer les Tutsis qui s’y cachaient.
La voiture est arrivée là où j’étais devant l’église. Segema, un employé de la laiterie,
conduisait. Il a arrêté la voiture et a commencé à me battre, en me demandant de lui dire les secrets des
prêtres. Les autres miliciens l’ont retenu. Ils lui ont dit que j’étais un imbécile, que je ne savais ni lire
ni écrire et que mon travail était de moudre les grains de céréales. Segema voyait que les autres
miliciens voulaient partir et il m’a laissé tranquille. Ils sont partis. Ils sont rentrés le soir avec de la
viande de vache dans leur voiture. Ils sont allés directement au Christ Roi pour boire de la bière et
préparer leur viande dans la cuisine des élèves.

Le frère aîné de Simon Kalinda, François Sebukayire, a confirmé que Kalinda et Hormisdas
se rencontraient fréquemment au collège. Sebukayire travaillait au Christ Roi comme jardinier et
agent de service, et il est lui-même nommé à plusieurs reprises dans ce rapport comme un milicien.

Phéneas Munyarubuga, le préfet de discipline du collège, et Simon Kalinda, mon petit frère, un maçon
au collège, venaient souvent au Christ Roi pour voir Hormisdas. 30

Innocent Habyarimana a parlé des groupes établis et entretenus par Hormisdas.

Je ne me suis pas caché pendant le génocide. Je voyais tout. Hormisdas a formé un groupe de miliciens
composé de Simon Kalinda ; Egide et Phéneas, enseignants au Christ Roi ; Gasatsi, un veilleur au
Christ Roi ; Jacques, un inspecteur d’école ; et les fils de Nyamulinda. On appelait ce groupe “le
dragon”. Dans chaque secteur on cherchait un grand milicien pour représenter son secteur dans le
dragon.
C’est le dragon qui a exterminé tous les Tutsis de la commune Nyabisindu. Les membres du
dragon avaient toutes sortes d’armes. Ils utilisaient la voiture du Christ Roi, la voiture de la laiterie de
Nyabisindu et la voiture d’Electrogaz. Après avoir tué, ces miliciens se rassemblaient chez Hormisdas
ou chez Simon Kalinda pour manger et boire.

Donatilla a donné des détails supplémentaires sur “le dragon”.

30
Témoignage recueilli le 26 juin 1997.

17
Des miliciens instruits, dont Jacques, Phéneas et les élèves de Byumba, formaient une équipe terrible
nommé “le dragon” qui allait tuer dans la campagne. Avant de partir, ils se réunissaient devant le
collège, près de la barrière. Ils aimaient souvent partir avec la voiture Toyota rouge de la forge
gouvernementale. C’est Segema, un technicien de la laiterie, qui conduisait normalement ces voitures
quand ils allaient tuer. Ils rentraient le soir avec des vaches qu’ils pillaient chez les Tutsis qui étaient
morts. Ils se partageaient la viande devant Christ Roi.
Phéneas et Simon étaient toujours avec Hormisdas. Phéneas avait la responsabilité de
présenter chaque jour un rapport à Hormisdas sur ce que le groupe du dragon avait fait pendant la
journée. Quand il n’était pas avec eux, Hormisdas visitait Nyamulinda ou circulait autour de l’église et
du terrain de football. Il circulait aussi avec des autorités locales, dont le sous-préfet.

Janvier Habimana a décrit les rapports entre l’abbé Hormisdas et les miliciens, et la manière
dont il les encourageait pour soutenir leur enthousiasme. Habimana, 28 ans, a été arrêté le 20 août
1994, accusé d’avoir pris part au génocide à Nyabisindu. Il est originaire du secteur Kivumu.

Les Tutsis de Nyanza ont été tués par des soldats et un groupe de génocidaires que Mirasano, l’abbé
Hormisdas et le sous-préfet Gaëtan avaient formé. Ce groupe était composé de gens originaires de
Ruhengeri et Gikongoro qui travaillaient à la laiterie de Nyabisindu et au Christ Roi. Le chef d’équipe
était Segema, un employé de la laiterie. C’était une équipe de génocidaires très connue qui circulait
presque tous les jours dans une camionnette rouge. Ils étaient bien armés. Il y avait trois soldats qui
aidaient cette équipe : le frère de Katumba, membre du CDR qui est mort à Kigali juste avant la mort
du président ; Karasira, un sergent, et Cuyurwara, un caporal. Ils donnaient aussi de l’argent aux
Batwas 31 qui acceptaient de torturer les Tutsis.
Je voyais souvent l’abbé Hormisdas, le sous-préfet Gaëtan, le commandant Birikunzira et
Mirasano se rendre ensemble aux barrièrs dans la même voiture. Cette équipe de génocidaires les
accompagnaient. On voyait que ces génocidaires étaient devenus comme leurs camarades. C’est ce qui
m’a montré que c’étaient eux qui avaient formé cette équipe. Ils étaient aussi leur employeur. L’abbé
Hormisdas était quelqu’un qui collaborait beaucoup avec les génocidaires.
J’avais un ami qui s’appelait Jean de Dieu, alias “Jean Muitzig”. Nous avions étudié ensemble
à l’école primaire. Il était devenu un grand génocidaire, qui allait tuer avec cette équipe. Quelquefois je
causais avec lui. Un jour, cette équipe est venue distribuer des bières (Primus) aux gens qui étaient aux
barrières pour les encourager à y rester. Jean de Dieu est venu avec l’équipe. On nous a donné de la
bière. Jean de Dieu a refusé de boire, alors que normalement c’était quelqu’un qui buvait énormément
(c’est pourquoi son surnom était “Jean Muitzig”, Muitzig étant une marque de bière). Je lui ai demandé
pourquoi il refusait de boire. Il m’a répondu: “Nous n’avons plus besoin de boire cette sorte de bière ;
ça c’est pour vous. Nous, nous avons été invités à boire du vin chez l’abbé Hormisdas.” Après, ils sont
montés dans leur camionnette rouge pour aller au collège Christ Roi.

Pour déguiser ses origines tutsies et convaincre les tueurs de l’authenticité de sa carte
d’identité, Pasteur Dusangeyezu se mit à fréquenter les miliciens du Christ Roi.

On avait dit à tous les miliciens que j’étais hutu. Alors j’ai commencé à aller à la barrière de Simon
Kalinda, qui était juste à côté de ma maison. On allait souvent à cette barrière pendant la nuit. Phéneas,
Simon, Sebukayire, Cyprien, le frère de Hormisdas et John, le frère de Simon passaient tous la nuit
entière à la barrière. Phéneas et Simon étaient les chefs. Ils avaient des fusils, des grenades et des
massues.

Un véhicule qui appartenait au Christ Roi était utilisé par les miliciens pour faire la tournée
des barrages routiers, afin de surveiller les tueurs moins convaincus.

Pendant la nuit, ils circulaient dans la camionnette bleue du Christ Roi pour se rendre aux barrières
dans d’autres quartiers. C’est Phéneas qui conduisait. Ils vérifiaient que les gens n’avaient pas quitté
les barrières pour aller dormir. Ces miliciens n’avaient pas le temps de se reposer ; pendant la journée,
ils allaient tuer.

31
Certains membres de la communauté des Batwas furent tout particulièrement actifs dans le génocide à
Nyanza.

18
Selon Pasteur, deux autres voitures étaient utilisées.

• Une voiture rouge de la forge gouvernementale, que Segema, de la laiterie, conduisait.


• Une voiture de Rusanganwa, un Tutsi qu’on a tué pendant le génocide. Elle était utilisée par
Corneille, le conseiller du secteur Nyanza, pour transporter les cadavres jusqu’à la fosse
commune, au stade.

Le groupe était donc mobile. Quand ils allaient tuer, ils rentraient avec des vaches. Simon et Phéneas
les distribuaient aux barrières. Notre barrière recevait une vache très grosse parce que c’était la barrière
des chefs.

Les meilleurs morceaux, précise-t-il, étaient mis de côté pour l’abbé Hormisdas.

Simon aimait dire à Phéneas ou à Sebukayire : “Prenez d’abord la viande de l’abbé Hormisdas.” On
mettait immédiatement les bonnes pièces de viande dans un seau, puis Phéneas ou le veilleur les
amenait à Hormisdas.

A l’âge de 80 ans, Marthe Nyirahabiyambere32 a eu le courage de parler du rôle joué par son
fils dans le génocideson témoignage a contribué à le mettre derrière les barreaux. Marthe, veuve
depuis 1982, est originaire de la commune de Kinyamakara, à Gikongoro, et elle vivait dans la même
zone que la famille de l’abbé Hormisdas. Ses parents, dit-elle, étaient “bien connus de moi”. Marthe
s’installa à Gakenyeri, Nyanza, après son mariage et elle eut sept filles et trois garçons. Elle dit
qu’elle s’était réjouie lorsque Hormisdas devint le principal du Christ Roi, “parce qu’il était l’enfant
des voisins de mes parents”. Comme de nombreuses femmes tutsies qui avaient des enfants hutus,
Marthe s’est trouvée confrontée à des situations impossibles durant le génocide. Bien que ses sept
filles—mariées à des Tutsis—aient été tuées, ainsi que leurs époux respectifs, l’un de ses fils, Pascal
Mutabazi, devint un génocidaire, allant jusqu’à battre sa mère âgée “pour avoir caché des inkotanyi.”
Pascal était, comme le dit Marthe, “le bras droit de l’abbé Hormisdas” en avril et en mai 1994.

Après la mort du président, je voyais des interahamwe qui se réunissaient à Gatsitsino pour préparer
leur plan d’extermination des Tutsis. Mon fils Pascal Mutabazi était parmi eux. Quand il venait me
voir, il me disait : “Nous allons tuer Runga et d’autres Tutsis.” Runga était mon voisin et un ami de ma
famille.
J’ai toujours interdit à mon fils de participer aux massacres. Mais il ne m’écoutait pas. Un
vendredi matin, j’ai entendu des sifflets. Cela indiquait que le génocide avait débuté à Nyanza. Les
miliciens avaient commencé à massacrer les Tutsis. Les Tutsis couraient partout en cherchant un abri,
mais en vain. Le 22 avril, les quatre enfants de ma fille Marie Mukankwiro sont venus me voir en
pleurant parce qu’on venait de tuer leur mère et leur père. Je les ai mis dans ma maison, puis je les ai
conduits dans mes champs, parce que mon fils Pascal pouvait les tuer.
J’étais mariée à un Hutu ; c’est pour cela que je pouvais me déplacer sans problème pendant
le génocide. Je causais avec mes voisins hutus. La seule personne qui me menaçait était mon fils
Pascal. Il me considérait comme une traîtresse et une complice des inkotanyi.
Mon fils faisait ce que l’abbé Hormisdas lui dictait ; il était son bras droit. Je les voyais
toujours ensemble chez Thérèse, une milicienne qui travaillait à l’hôpital de Nyanza. Elle avait aussi
un bar où les miliciens se retrouvaient après avoir tué.

“Pendant le génocide Hormisdas n’était plus un prêtre. Il était devenu un


génocidaire.”

J’ai vu Hormisdas à Gakenyeri avec un grand nombre de miliciens, comme Murindangabo, un ex-
FAR, originaire de la commune de Bwakira, à Kibuye, le frère de Thérèse ; Augustin Munyarugamba,
responsable de cellule ; Alphonse Nyiriminega, mon voisin ; et mon fils, Pascal. Ils avaient des
machettes et des massues. Comme il était le plus instruit, Hormisdas était leur conseiller.

32
Malheureusement, Marthe Nyirahabiyambere est décédée depuis notre entretien.

19
C’est parce que son fils ne cachait pas sa contribution au génocide que Marthe découvrit
l’implication de Hormisdas dans la distribution d’armes aux miliciens de Nyanza.

C’est Hormisdas qui distribuait les machettes aux grands miliciens. Le stock de machettes se trouvait
au Christ Roi. Mon fils allait souvent y chercher des machettes pour les distribuer aux miliciens de
notre quartier. Il les mettait dans un grand sac blanc pour pouvoir en transporter beaucoup. Mon fils
disait souvent : “Au collège il y a des tas de machettes. S’il y a un Hutu qui n’a pas encore trouvé sa
machette, il faut me le signaler pour que je lui en donne une.”

Hormisdas donnait également des conseils au fils de Marthe.

Mon fils venait toujours fouiller ma maison. Un jour il m’a dit : “Si je trouve un Tutsi ici je vais te tuer
sur-le-champ. Hormisdas nous a dit de n’avoir pitié d’aucun Tutsi.” Et un jour, il m’a montré qu’il
n’avait pas pitié de moi. Deux femmes tutsies—Gahongayire et Mukarusine—et leurs quatre enfants
sont venus se cacher chez moi vers 4 heures. Ils tremblaient à cause de la pluie. Je leur ai donné des
habits et la nourriture. Quand mon fils les a vus, il s’est mis à hurler en m’accusant de “cacher des
inkotanyi”. Il avait une massue et une machette. Je l’ai supplié de ne pas les tuer. Il m’a rouée de coups
avant de se jeter sur eux. Il a tué les femmes et deux des enfants. Il a continué d’entretenir des rapports
avec Hormisdas, ce qui m’a montré que le prêtre était l’ami des génocidaires.33

Costasie Mukagasana rejette sur Hormisdas la responsabilité de la vie malheureuse et solitaire


qu’elle est réduite à mener alors qu’elle a presque quatre-vingts ans. Originaire de Gikongoro, comme
Hormisdas, la famille de Costasie avait entretenu des rapports d’amitié avec celle de Hormisdas. Cette
amitié, selon Costasie, remontait à loin. Les parents de Hormisdas, et son grand-père, Gashegu,
rendaient régulièrement visite aux parents de Costasie. Comme preuve d’amitié, son père, raconte-t-
elle, avait donné plusieurs vaches au père de Hormisdas, Daniel Bakundukize.
Costasie et ses enfants arrivèrent à Nyanza en 1959, avec d’autres membres de leur famille,
pour échapper à la violence à Gikongoro. Certains de ses enfants retournèrent à Gikongoro par la
suite, mais Costasie resta à Nyanza, où elle vivait avec son fils, Cyprien Gezamaguru, chauffeur. Elle
vivait avec la famille de Cyprien lorsque le génocide commença. Cyprien fut emmené par des
miliciens jusqu’à un barrage routier, où il fut tué ; sa femme fut tuée, elle aussi. Costasie apprit que
ceux de ses enfants qui se trouvaient à Gikongoro avaient eux aussi péri.

Après la mort de mes enfants, j’étais perturbée. J’était seule dans une maison vide. J’étais malade et je
souffrais énormément. Les miliciens m’avaient dit qu’ils allaient me laisser mourir de chagrin. Alors
j’ai pris mon bâton pour aller au Christ Roi. Il m’a fallu longtemps pour y arriver parce que je boitais.
J’ai pensé à y aller parce que j’avais l’espoir que Hormisdas m’accueillerait chaleureusement, puisqu’il
était prêtre.

Costasie ne s’attendait pas à ce qu’elle vit en arrivant à l’école.

J’ai été très étonnée de voir l’abbé Hormisdas avec un fusil et accompagné par des soldats. Ils étaient
devant le portail du collège. Je me suis approchée d’eux, mais l’abbé Hormisdas n’a pas fait attention à
moi. Il ne me regardait pas du tout. J’ai entendu Hormisdas dire aux soldats d’aller exterminer toute la
famille de Jean Muberuka, qui était professeur. Il a cité de nombreux autres Tutsis qu’on devrait aussi
tuer.
Une fois que Hormisdas a donné les ordres, les soldats sont partis. Après leur départ, l’abbé
est entré au collège. Moi, je tremblais. Je me demandais comment des prêtres osaient tuer les Tutsis
eux aussi. J’ai vu qu’il n’y avait aucun refuge. Comme j’avais peur de Hormisdas, je me suis dit que
c’était inutile de le suivre. Il se méfiait de moi alors qu’il me connaissait avant le génocide. Il savait
que notre famille était l’amie de sa famille, il savait que j’étais originaire de Gikongoro comme lui.

Un homme que Costasie connaissait et qui vivait près de la paroisse accepta d’héberger
Costasie. Mais la présence constante dans la zone de miliciens armés de machettes et de massues était

33
Témoignage recueilli le 21 octobre 1997.

20
inquiétante et, comme elle n’avait “rien à perdre”, elle décida de rentrer chez elle et “d’attendre la
mort”.
Costasie vivait à côté de Jacques Mudacumura, un milicien acharné dont la maison était
utilisée par des miliciens lorsqu’ils planifiaient leurs attaques ou fêtaient leurs victoires. Ils fouillaient
souvent sa maison, à la recherche d’“inkotanyi”. Ils ignoraient ses supplications constantes pour qu’ils
la tuent, lui disant qu’ils s’occuperaient d’elle “à la fin”.

Je voyais souvent chez Jacques l’abbé Hormisdas et ses miliciens, y compris son frère, Cyprien ;
Simon Kalinda ; Phéneas ; Hodari et bien d’autres. Quand j’ai compris qu’ils se moquaient de moi en
refusant de me tuer, je suis retournée à la maison. J’ai même essayé de consommer du DDT pour
mourir très vite. Mais ce poison ne m’a pas tuée.

Costasie resta chez elle, se nourrissant de miel. Malgré son grand âge, elle lutte à présent pour
élever les quatre enfants de son fils, Cyprien.34
Les jeunes, tout comme les vieillards, furent déconcertés par la collaboration évidente entre
un prêtre et les miliciens. Augustin Muhoza, qui avait alors 11 ans, vivait à proximité du Christ Roi,
avec sa mère et sa grand-mère. Il était en quatrième année à l’école primaire de Nyanza.

Hormisdas était un ami des génocidaires. Je le voyais toujours avec les grands génocidaires comme
Simon Kalinda, les fils de Nyamulinda et François Gashirabake. Ces gens contrôlaient les barrières et
ils se mettaient des herbes sur la tête quand ils allaient tuer ailleurs. Après la mort du président, Nyanza
a connu un grand malheur. Les miliciens passaient toute la journée à tuer les Tutsis.

Augustin dit que ses camarades de classe et lui ne pouvaient pas aller à l’école durant le
génocide parce qu’il y avait de nombreux enseignants qui étaient “devenus des génocidaires et
n’avaient plus le temps de nous donner des leçons”. Nombre d’entre eux se retrouvèrent ainsi à errer
dans les rues, “comme des délinquants”, ce qui leur donna tout le loisir d’observer les activités des
miliciens. Parfois, ils entraient furtivement dans la cour du Christ Roi pour cueillir des fraises. Ils
attendaient de voir Hormisdas partir avec les miliciens.

Le directeur, Hormisdas, était très méchant. Les enfants qui allaient marauder des fraises avaient peur
d’être attrapés par lui. Alors on profitait d’aller voler des fraises quand nous voyions que le directeur
partait dans sa voiture bleue avec des miliciens qui s’étaient mis des herbes sur la tête. Quand il ne
partait pas avec ces miliciens, il passait toute la journée à contrôler les barrières du quartier. Il aimait
mettre un pistolet à la ceinture de son pantalon.35

Parmi les autres témoins qui virent l’abbé Hormisdas en compagnie de génocidaires figure
Francine Nyirarwasa. Elle se souvient d’avoir amené de la nourriture à un patient de l’hôpital de
Nyanza en mai.

J’ai vu l’abbé Hormisdas tout près de l’hôpital dans une camionnette rouge. Il était avec un grand
nombre de soldats et de miliciens, assis à côté du chauffeur. J’ai eu peur parce que j’ai vu un prêtre au
milieu des génocidaires armés de massues, de machettes et de fusils.

Francine dit que son voisin, Mariro, devint un interahamwe, mais qu’il la protégea des
attaques. Hormidas se rendait souvent chez Mariro. L’épouse de ce dernier, Laurence, parla toutefois
à Francine de ses intentions.

Mariro circulait avec des grenades et une liste des Tutsis à tuer dans la main. C’est lui qui donnait
l’autorisation aux miliciens avant de tuer quelqu’un. Pendant le génocide, l’abbé Hormisdas aimait
venir chez Mariro avec un groupe de miliciens armés. Ils causaient puis ils repartaient. Laurence était
la secrétaire de ces miliciens. Souvent elle apportait du riz, du sucre et des haricots ; elle me disait que
c’était l’abbé Hormisdas qui donnait toute cette nourriture pour les encourager à tuer. La nuit,

34
Témoignage recueilli le 22 août 1997.
35
Témoignage recueilli à Nyanza le 14 août 1997.

21
Laurence et ses enfants allaient passer la nuit chez l’abbé Hormisdas au collège, comme beaucoup
d’autres Hutus.

Agathe Uwamurera vivait près du Christ Roi. Elle a confirmé le nom des miliciens cités par
d’autres témoins, et a également mentionné des employés de la société parastatale Electrogaz dont elle
affirme qu’ils ont pris part aux massacres. Elle a posé une question qui a laissé bien des résidents de
Nyanza perplexes.

J’ai vu un groupe de miliciens qui ont tué de nombreuses personnes. Ils marchaient avec des soldats et
se rendaient aux barrières. Une fois qu’ils avaient terminé de tuer, les chefs des miliciens—Simon,
Phéneas et Jacques—allaient chez Hormisdas pour boire et manger. Les simples miliciens—les
paysans—allaient chez Simon pour boire. Simon avait construit de belles maisons près du collège. J’ai
vu Hormisdas se promener avec Phéneas et Simon tout près du collège pendant le génocide. Comment
un prêtre pouvait-il se promener avec des génocidaires ?

L’époux d’Emma-Marie Nyirazaninka et six de ses neuf enfants ont été tués. Elle a survécu
parce qu’elle savait faire la bière de sorgho appelée ikigage. Cette aptitude la fit aimer du principal de
l’école primaire de Nyanza, Nyamulinda, et des élèves déplacés de Byumba qui vivaient à l’école.
Nyamulinda et son épouse invitèrent Emma-Marie à loger chez eux pour la protéger. Son témoignage
met en relief l’influence exercée par Hormisdas sur les élèves de Byumba qui devinrent des tueurs
redoutables durant le génocide.

Les élèves ont placé une barrière devant Christ Roi. Ils y restaient même pendant la nuit. Je dormais
dans la cuisine. Les élèves rentraient à minuit. Ils tremblaient à cause du froid et de la pluie. Ils
s’installaient auprès du feu pour s’échauffer. Quand je les entendais, je me réveillais sans délai. Ils me
disaient : “Toi, la vieille, nous savons que tu es une Tutsie. Mais reste calme. Personne ne va te tuer.
Notre directeur Nyamulinda nous l’a interdit parce que tu sais nous préparer de la bière de sorgho.
Nous ne pourrions trouver personne pour te remplacer.” Je causais avec eux. Nous avons même
partagé de la nourriture.
Trois de ces élèves étaient terribles—Cyprien, Mudenge et Beyaka. Ils ont tué beaucoup de
gens. Ils étaient comme des animaux féroces. Chaque élève avait une massue, mais ces trois avaient
aussi des grenades et des fusils. Ces trois élèves rentraient très fatigués. Ils venaient me chercher pour
que je leur donne de la bière de sorgho. Quand ils commençaient à boire, ils riaient et ils me disaient :
“Malgré tout ce que Hormisdas nous a dit, de n’avoir pitié d’aucun Tutsi, nous allons t’épargner.” Un
jour, ces élèves sont rentrés avec de la viande dans un seau. Ils m’ont dit : “Nous venons d’accomplir
la mission que Hormisdas et les employés de la laiterie nous ont donnée hier durant notre réunion au
Christ Roi. Il ne reste vraiment plus aucun Tutsi à Remera et Nyakabuye [à Nyanza]. Nous avons
ratissé ces endroits.”36

Marie-Thérèse Mukankusi a décrit l’abbé Hormisdas comme “l’un des miliciens qui ont
organisé les massacres des Tutsis à Nyanza”. La maison de Marie-Thérèse se situait à côté du barrage
routier maintenu par les élèves de Byumba. Elle a nommé les mêmes hommes que les autres voisins,
et a ajouté :

Je connais très bien tous ces miliciens parce qu’ils étaient mes voisins. Cette équipe était très forte. Ils
avaient toute sorte d’armes pendant le génocide, dont des massues, des machettes, des fusils et des
grenades. Les génocidaires étaient très unis et ils marchaient toujours ensemble. Quand ils allaient tuer
loin de Nyanza, ils partaient avec la Toyota bleue et la Toyota rouge. La Toyota bleue appartenait au
Christ Roi. Je voyais souvent les génocidaires quand ils circulaient avec l’abbé Hormisdas sur le
terrain de football qui se trouve entre le collège et la paroisse.
Un jour, j’étais tout près de la barrière des élèves quand l’abbé Hormisdas est arrivé en
chantant, les mains dans les poches de son pantalon. Quand il est arrivé à la barrière, il s’est arrêté et il
a dit aux jeunes qui s’y trouvaient : “Vous, vous savez que j’ai dit qu’il ne faut avoir pitié d’aucun
serpent ?” Par “serpent”, il voulait dire un Tutsi. Les élèves ont répondu : “Oui, nous le savons.”

36
Témoignage recueilli le 14 juillet 1997.

22
Je suis partie dès que j’ai entendu ses mots pour qu’on ne découvre pas que j’étais tutsie. Le
soir, les miliciens rentraient à bord de leurs camionnettes en chantant. Ils entraient au Christ Roi pour
boire de la bière. Ils se mettaient des herbes sur la tête ; ils ne ressemblaient plus à des êtres humains.

Justin Mabano fut protégé par son voisin, un gendarme du nom de Paul Niyonzima dont le
témoignage figure dans ce rapport. Le vendredi 22 avril, les miliciens qui contrôlaient sa zone
ordonnèrent à Justin de se présenter à un barrage routier. Paul avertit Justin, lui disant qu’il s’agissait
d’une ruse pour le tuer en même temps que d’autres Tutsis. Il cacha Justin, sa femme et ses enfants
chez lui. Un groupe important de miliciens se présentèrent chez Paul à la recherche de Justin. Il les
menaça de tuer leurs familles pour se venger, forçant ainsi les miliciens, qui savaient qu’il était
militaire, à rebrousser chemin. Malgré les avertissements de tueurs bien connus, y compris le chef de
la police, Birikunzira, Paul refusa de livrer Justin à la mort. Cette protection à toute épreuve conféra à
Justin un certain degré de liberté chez Paul et, comme la maison de ce dernier était proche de la route,
il eut de nombreuses occasions de suivre les progrès des génocidaires à Nyanza. Justin, 50 ans,
travaillait pour le ministère des Travaux publics, où il était le chef de la division responsable des ponts
et chaussées. Il est originaire de Nyanza.

Je restais dans la cour de Paul, d’où je voyais des miliciens passer. En plus, Paul vendait de la bière et
je voyais les miliciens qui venaient chez lui en acheter. Tout le monde savait que j’étais là. Certains
miliciens, qui étaient mes amis avant le génocide, m’achetaient de la bière quand il me voyaient chez
Paul.

Il se trouvait dans la cour lorsqu’il vit passer l’abbé Hormisdas près de là.

J’étais dans la cour quand j’ai entendu quelqu’un qui disait: “Bonjour, monsieur l’abbé.” J’ai
immédiatement regardé vers la route et j’ai vu l’abbé Hormisdas muni d’une grande massue. Il était
avec Jean Mukurarinda, qui travaillait pour le ministère de la Justice. Il a continué à causer avec
d’autres miliciens, puis ils sont partis.37

La solidarité de Hormisdas avec la communauté des tueurs de Nyanza est illustrée par le rôle
qu’il a joué durant l’enterrement, en mai, d’un génocidaire bien connu, Barahira, commandant des ex-
FAR à la retraite. Tous les dirigeants importants du génocide de Nyanza et les principaux
interahamwe assistèrent à ses funérailles ; c’est l’abbé Hormisdas qui officia durant la cérémonie.
Jean-Claude Higiro faisait partie du cortège funèbre.

Hormisdas n’a pas prêché pour les gens qui mouraient pendant le génocide. Mais il était à
l’enterrement de Barahira, membre du MRND et ancien soldat des FAR. Pendant le génocide, il tenait
une barrière à Rwesero. Il était aussi le chef de miliciens qui tuaient les Tutsis. Donc, il était lui aussi
un génocidaire. Je suis allé à son enterrement. Birikunzira et Mirasano et tous les interahamwe de
Nyanza étaient là aussi. Hormisdas dirigeait les prières et le reste de la cérémonie des funérailles. Cela
montre qu’il soutenait fermement les génocidaires.

Janvier Habimana était lui aussi présent.

Barahira, originaire de Nyanza, était un grand génocidaire, au même degré que les autorités. Tout le
monde, surtout les autorités et les miliciens, sont allés l’enterrer chez lui à Rwesero. C’est Hormisdas
qui dirigeait la cérémonie des funérailles. Moi et mes amis avons beaucoup rigolé.

“On s’est demandé comment il osait enterrer un génocidaire alors que ses
confrères avaient été dévorés par les chiens et les corbeaux.”

Il passait aussi sur des cadavres de Tutsis mais il ne les a pas enterrés alors qu’il était prêtre, mais il
était aux funérailles de Barahira.

37
Témoignage recueilli le 14 août 1997.

23
Durant l’enterrement, les participants apprirent que le FPR avançait vers Nyanza, et la plupart
des génocidaires, y compris l’abbé Hormisdas, partirent pour Gikongoro.

La transformation du Christ Roi en caserne

L’abbé Hormisdas transforma le collège en caserne pour les troupes du génocide actives à Nyanza. Le
12 avril, des membres du gouvernement provisoire abandonnèrent Kigali à cause de la guerre entre les
FAR et le FPR, et ils s’installèrent à Gitarama. Des soldats de l’Ecole Supérieure Militaire (ESM) les
accompagnèrent et utilisèrent Christ Roi et l’Ecole normale primaire comme leur base. Comme les
élèves étaient en vacances de Pâques, les soldats s’installèrent dans leurs dortoirs. Les employés hutus
du collège qui étaient encore dans les locaux et pouvaient se déplacer remarquèrent les liens qu’ils
nouèrent avec Hormisdas.
Joseph Semuhunyege, le gardien du collège, a parlé des activités des soldats et des rapports
qu’ils entretenaient avec Hormisdas.

Hormisdas a logé de nombreux soldats au collège. Ces militaires étaient bien armés. Ils passaient la
journée à tuer les Tutsis de Nyanza et rentraient le soir au collège. Ils logeaient et se nourrissaient là-
bas ; ils avaient leurs propres cuisiniers. Hormisdas se deplaçait toujours avec ces soldats.

Callixte Kalisa, cuisinier au Christ Roi, vit les soldats au collège et à l’extérieur.

Hormisdas a hébergé au sein du Christ Roi les militaires qui ont ravagé Nyanza en tuant les Tutsis. Ils
ont ravagé Nyanza en tuant les Tutsis. C’étaient des officiers. Ils ont barré tous les chemins et sentiers
qui donnaient accès au collège, de sorte qu’il était difficile de s’y rendre. Ces militaires sont restés au
collège pendant toute la période du génocide, logés et nourris par Hormisdas. Parfois, je les entendais
discuter au collège le soir ou pendant les heures des repas. Ils étaient coureurs de jupons. Quelquefois,
ils passaient dans nos quartiers en nous demandant où ils pouvaient trouver des femmes et des filles
tutsies.

Védaste Ntibategejo, 61 ans, originaire de Busoryo, secteur Cyaratsi, était cuisinier au collège
et entretenait le jardin durant les vacances.

Je voyais toujours l’abbé Hormisdas circuler avec des soldats qui vivaient au Christ Roi.38

François Sebukayire était certain que les rapports entre Hormisdas et les soldats étaient bien
plus étroits que ce que l’on aurait pu attendre d’hommes cantonnés au Christ Roi.

Il y avait beaucoup de soldats. Ils avaient leurs armes et des munitions. Hormisdas leur avait donné
l’hospitalité. On voyait qu’ils étaient des amis de Hormisdas. A l’entrée du collège se trouvait une
barrière contrôlée par ces militaires.

A un moment, Donatilla se cachait dans le collège avec ses enfants.

Le collège était rempli de soldats et de miliciens qui venaient voir Phéneas et Hormisdas. C’était
terrible. Mais Hormisdas était content d’être entouré de tous ces soldats et miliciens.

38
Témoignage recueilli le 25 juin 1997 à Nyanza.

24
4

ACCUSÉ DE COMPLICITÉ DANS LE MEURTRE DE PRÊTRES


ET DE RELIGIEUSES

Bien avant 1994, la plupart des habitants de Nyanza savaient que l’abbé Hormisdas critiquait les
prêtres tutsis de la paroisse. Il avait accusé l’un deux, l’abbé Justin Furaha, ce à plusieurs reprises, de
soutenir le FPR, le décrivant comme un ennemi et le chassant de Nyanza. En 1994, tout le monde put
se rendre compte de la mesure de la haine éprouvée par l’abbé Hormisdas à l’encontre de ses
confrères, qu’il trahit sans hésiter. Les récits des événements précédant le meurtre de l’abbé Mathieu
Ngirumpatse révèlent que l’abbé Hormisdas refusa d’aider ce prêtre, choisissant plutôt de le livrer aux
miliciens.
Du fait de l’estime que lui portaient les miliciens, l’abbé Hormisdas était en mesure de
protéger l’abbé Mathieu et trois autres prêtres de la paroisse de Nyanza, les abbés Innocent Nyangezi,
Jean-Bosco Yirirwahandi et Callixte Uwitonze. Mais ils furent tous tués. Les témoignages, cohérents,
selon lesquels Hormisdas fut complice du meurtre de ces quatre prêtres et qu’il refusa ensuite de les
enterrer sont assez sérieux pour mériter l’ouverture d’une enquête par l’Eglise catholique. Mais les
accusations selon lesquelles il contribua directement à orchestrer leur mort ne peuvent être ignorées ni
par l’Eglise ni par les organes judiciaires, et elles doivent faire l’objet d’une enquête plus poussée.
L’abbé Hormisdas a également été impliqué dans la mort de deux religieuses Benenikira, sœur
Augustine et sœur Françoise. Il refusa par la suite de fournir des cercueils pour leur enterrement ou de
dire une messe en leur honneur. Enfin, le meurtre de l’abbé Justin a été exécuté à distance. Il y a des
données solides qui indiquent que la persécution, l’emprisonnement et la mort de ce prêtre furent le
résultat d’un complot tramé par l’abbé Hormisdas.

L’abbé Mathieu Ngirumpatse : abandonné aux corbeaux

Lorsqu’ils sentirent que leur vie était en danger, les abbés Nyangezi, Yirirwahandi et Callixte
Uwitonze quittèrent la paroisse et allèrent se réfugier dans un orphelinat de la commune voisine de
Ntyazo. L’abbé Uwitonze était en visite chez son oncle, l’abbé Mathieu Ngirumpatse, à ce moment-là.
Mais l’abbé Mathieu, qui était âgé et malade, ne les accompagna pas, espérant pouvoir se réfugier au
Christ Roi. Joseph Semuhunyege était de service comme veilleur de nuit au Christ Roi lorsque l’abbé
Mathieu arriva au collège.

Lorsque l’abbé Mathieu a compris qu’il était menacé, il s’est réfugié au Christ Roi, croyant bénéficier
de la protection de son confrère Hormisdas. Il est arrivé le soir. J’étais au collège et je suis allé en
informer Hormisdas. Il est venu et il a dit à Mathieu qu’il n’avait qu’à retourner dans sa paroisse, car le
collège ne disposait pas de plus de maisons que la paroisse. Il l’a carrément rejeté et le vieux prêtre
Mathieu est retourné à la paroisse, où il a été tué le soir même.

Le témoignage de Joseph ne laisse guère de doute concernant la complicité directe de


Hormisdas dans le meurtre de l’abbé Mathieu.

Le groupe qui l’a tué est parti du collège vers 21 heures. Hormisdas était avec eux. C’était un groupe
de miliciens parmi lesquels il y avait les travailleurs de Gikongoro recrutés par Hormisdas et dont deux
ont passé la nuit dans sa propre chambre. Ils avaient des machettes et des massues. Hormisdas est parti
avec le groupe, mais il n’avait pas de machette.

L’abbé Mathieu fut tué et son cadavre laissé par terre. Joseph se souvient de la réponse de
Hormisdas lorsque Joseph et d’autres employés du collège lui demandèrent la permission d’enterrer
l’abbé Mathieu.

25
Le lendemain, la nouvelle s’est répandue que son corps jonchait la cour. Au collège, là où nous étions,
nous nous sommes demandé s’il était possible de l’enterrer. Hormisdas nous a dit qu’il n’en était pas
question et qu’il ne voulait pas apprendre que quelqu’un du collège avait enterré le corps.

Déo Ntacyonzaba, qui était employé par les prêtres depuis 15 ans, se trouvait avec eux
lorsqu’ils commencèrent à craindre pour leur vie. Sa principale tâche consistait à tourner le moulin qui
appartenait à la paroisse, mais il aidait parfois à préparer les repas des prêtres. Il se décrit comme “un
enfant des prêtres”. Comme il était, au début, difficile de comprendre qui allait être la cible de la
violence, Déo et ses deux collègues, Gaspard et Pascal, décidèrent de quitter la paroisse par mesure de
précaution.

L’abbé Mathieu Ngirumpatse nous a suppliés de rester avec lui pour ne pas abandonner les maisons.
Mathieu n’a pas apprécié la gravité de la situation. Il avait peur que des voleurs ne viennent s’emparer
de leurs biens. Comme les autres prêtres étaient déjà partis, nous aussi nous avons cherché une manière
de nous sauver. Nous avons laissé l’abbé Mathieu seul à la maison. Je suis allé chez moi ; en tant que
Hutu, je me sentais en sécurité chez moi. Gaspard est allé chez lui, à Rusatira, mais Pascal, parce qu’il
était tutsi, est parti se cacher. Il a été tué.

Au bout d’une semaine passée chez lui, Déo reçut la visite d’un autre employé de la paroisse,
John, qui était chargé d’effectuer les réparations.

Il m’a dit que l’abbé Hormisdas me cherchait d’urgence. J’ai demandé à John de me donner des
nouvelles des prêtres puisqu’il était resté à Nyanza, qu’il était milicien et qu’il était au courant de tout.
Il était parmi les miliciens de son frère Simon Kalinda. (John est décédé par la suite). Quand j’ai parlé
des prêtres, John a été triste malgré le fait qu’il était un génocidaire.

C’est de la bouche de John que Déo apprit le sort qu’avaient connu les prêtres.

John a dit : “Tu sais que l’abbé Mathieu était resté à la maison. Hormisdas est allé lui demander où se
trouvaient les autres prêtres sous prétexte qu’il voulait les protéger. L’abbé Mathieu lui a
immédiatement répondu qu’ils étaient partis se cacher à l’orphelinat. Après, Hormisdas est revenu nous
dire ce que le père Mathieu lui avait dit et il a envoyé des gens qui vivaient chez lui à l’orphelinat pour
tuer les prêtres. L’abbé Mathieu a lui aussi été fusillé par quelqu’un que Hormisdas avait envoyé. Ce
qui est dommage, c’est que Hormisdas nous a empêchés d’enterrer l’abbé Mathieu, nous disant de
laisser les chiens dévorer son corps.”
Quand j’ai entendu cela, j’ai été triste. Je ne savais pas quoi dire. Comme Hormisdas me
cherchait d’urgence, je suis allé le voir immédiatement avec John. Hormisdas cherchait aussi Gaspard,
et nous sommes allés à Nyanza ensemble.
Quand nous sommes arrivés à la paroisse, Gaspard et moi sommes restés devant l’église. John
est allé appeler Hormisdas, qui est venu avec John, Phéneas et Simon Kalinda. Le prêtre avait une
grande épée. Il nous a salués, puis il nous a dit que les prêtres—Innocent, Bosco et Mathieu—étaient
morts et que Monseigneur Gahamanyi [l’évêque de Butare] lui avait demandé d’aller chercher les
personnes qui travaillaient chez les prêtres pour garder et surveiller les biens de l’église.

Accompagnés de Hormisdas et des deux miliciens, Déo et Gaspard pénétrèrent dans les
quartiers des prêtres.

Arrivés tout près des étables des prêtres, j’ai vu des corbeaux dévorer un cadavre. J’ai bien regardé et
j’ai vu que c’était le cadavre de l’abbé Mathieu.

“Hormisdas riait en regardant les corbeaux manger le cadavre de l’abbé


Mathieu.”

Nous avons continué de marcher, puis nous sommes entrés dans l’église.

26
Déo et Gaspard virent la réaction de Hormisdas lorsqu’il tomba sur trois jeunes garçons tutsis
qui se cachaient à l’intérieur de l’église.

Hormisdas a été le premier à entrer. Il les a vus avant nous. Il a crié qu’il venait de découvrir des
inyenzi. Immédiatement, le prêtre leur a demandé leur origine. Ils ont répondu qu’ils étaient de
Gikongoro. Hormisdas a dit : “Bien sûr, vous êtes des inyenzi et nous allons vous tuer.” Les garçons
l’ont supplié d’avoir pitié d’eux. Hormisdas a répondu : “Vous devez savoir que je ne peux jamais
avoir de pitié pour un Tutsi.” Puis il nous a demandé de rester là et de surveiller les maisons des
prêtres. Hormisdas, Phéneas et Simon ont conduit les garçons je ne sais où. Je suis resté là avec
Gaspard.

Espérant organiser un enterrement, Déo et Gaspard s’approchèrent du cadavre de l’abbé


Mathieu.

Nous avons beaucoup pleuré. Il n’y avait que les os. Les yeux et la chair avaient été dévorés par les
chiens et les corbeaux. Nous nous sommes demandé pourquoi l’abbé Hormisdas n’avait pas enterré
son confrère. Comme l’abbé Mathieu avait été notre ami et nous avait aidés dans beaucoup de choses,
nous sommes allés chercher des houes chez le directeur Nyamulinda. Nous avons creusé sa tombe tout
près des étables et nous l’avons enterré.

La décision d’enterrer l’abbé Mathieu coûta cher à Déo.

Vianney, un parent de Simon Kalinda, est venu me dire d’essayer de m’échapper parce que Hormisdas
et Simon avaient dressé le plan de me tuer, m’accusant d’avoir enterré l’abbé Mathieu. Vianney m’a dit
que Hormisdas n’avait plus confiance en moi, qu’il disait que j’étais comme d’autres Hutus de Nyanza
qui avaient des mères tutsies.

Déo et Gaspard quittèrent tous deux la paroisse et se cachèrent jusqu’à ce que le


gouvernement provisoire fût chassé de Nyanza.
Donatilla dit que des chiens vinrent remuer la tombe de Mathieu, creusée hâtivement.

Hormisdas n’a rien fait pour protéger l’abbé Mathieu. Il n’a même pas enterré son corps, alors qu’il
était prêtre comme lui. Le bras de l’abbé était à l’extérieur et les chiens le mangeaient quand ils
voulaient. Hormisdas était fier de voir le cadavre d’un Tutsi exposé par terre. Nyamulinda avait honte
et il a enterré le bras. Il nous a demandé de planter des fleurs sur sa tombe. Nous avons planté des
fleurs sur sa tombe, qui était derrière les étables des prêtres.

Le jeune écolier Augustin Muhoza se rendait parfois à la paroisse

J’allais quelquefois avec d’autres enfants dans les habitations des prêtres pour cueillir des fruits ou
trouver des images de la Vierge Marie et de Jésus. Nous voyions là le cadavre de l’abbé Mathieu que
les chiens dévoraient.

Les abbés Nyangezi, Yirirwahandi et Uwitonze : enlevés dans un orphelinat

Lorsque les abbés Innocent Nyangezi, Callixte Uwitonze et Jean-Bosco Yirirwahandi quittèrent
Nyanza pour l’orphelinat de la commune voisine de Ntyazo, située à environ 15 kilomètres du Christ
Roi, ils durent penser qu’ils seraient hors d’atteinte pour Hormisdas. Bien que la nature précise de son
implication mérite une enquête plus poussée, les témoignages des résidents locaux, y compris des
membres du personnel du Christ Roi et des miliciens, suggèrent qu’il a joué un rôle dans leur meurtre.
Déo se souvient du moment où les prêtres ont décidé de partir pour l’orphelinat.

Nous avons eu peur lorsque les génocidaires ont commencé à brûler les maisons des Tutsis. Les prêtres
sont sortis de leur chambres en tremblant de peur. L’abbé Callixte, l’abbé Innocent et l’abbé Bosco
sont montés dans la voiture de ce dernier et ont dit qu’ils allaient se cacher à l’orphelinat.

27
Déo crut ce que lui affirma un milicien, à savoir que l’abbé Hormisdas avait découvert leur
destination et envoyé les tueurs à l’orphelinat, comme il le dit dans son témoignage ci-dessus.
Joseph Semuhunyege ne doute pas non plus que Hormidas était derrière le meurtre des trois
prêtres.

Hormisdas avait des miliciens qu’il envoyait partout où des Tutsis s‘étaient cachés afin qu’ils les
ramènent à Nyanza pour y être tués. C’est dans ce cadre qu’il a envoyé le groupe de Simon et Phéneas
chercher les gens qui s’étaient réfugiés dans l’orphelinat d’un Belge appelé Simons. Ils sont partis dans
le véhicule que Hormisdas leur a prêté jusqu’à l’orphelinat situé à Ntyazo. Ils ont enlevé des résidents
de Nyanza, dont les cinq enfants d’un commerçant nommé Sebahungu. Hormisdas était méchant.

Bien qu’il nie l’accusation selon laquelle il était lui-même milicien, Jean-Claude Higiro a dit
qu’il y avait “deux groupes terribles de miliciens qui ont assassiné beaucoup de Tutsis à Nyanza”.
L’un de ces groupes obéissait aux ordres de Hormisdas, selon lui, et ce sont ses membres qui ont
assassinés les religieux à Nyanza.

L’un des groupes était composé de Phéneas et Simon, employés du Christ Roi ; Cyprien, un enseignant
et le frère de Hormisdas et Jacques, inspecteur du secteur scolaire à Nyabisindu. L’abbé Hormisdas
était leur chef ; il leur avait donné la camionnette du collège, pour qu’ils l’utilisent comme moyen de
transport. C’est ce groupe qui a tué les religieux de Nyanza. Quand j’ai parlé avec Phéneas ou d’autres
miliciens, ils ont confirmé que ce sont eux qui avaient tué ces religieux.

Marie-Thérèse Mukankusi se tenait près de sa maison, située à proximité du collège, lorsque


les miliciens désignés par Joseph et Higiro comme étant les assassins des trois prêtres partirent pour
l’orphelinat.

J’ai vu une voiture devant la porte d’entrée. Des soldats, Phéneas, Simon et Cyprien, le frère de
Hormisdas, sont montés dans la voiture. L’abbé Hormisdas était à côté d’eux. Il leur disait d’une voix
forte : “Je suis sûr que ces prêtres sont à l’orphelinat. Il faut les chercher sérieusement.” La voiture est
partie. Le soir, j’ai entendu Phéneas dire aux miliciens qui étaient sur le terrain de football qu’on venait
de tuer les prêtres qui se trouvaient à l’orphelinat. Ce jour-là, ils criaient partout que les prêtres étaient
morts. C’était comme une fête pour les génocidaires.

Francine Nyirarwasa apprit elle aussi que la mort des prêtres était attribuée à Hormisdas et
qu’elle constituait une importante victoire pour les tueurs. Laurence, secrétaire au Christ Roi, et
épouse d’un interahamwe bien connu, Mariro, ne parvint pas à cacher sa joie.

Un jour, Laurence m’a dit en riant que Hormisdas avait découvert que les prêtres de Nyanza se
cachaient à l’orphelinat. Après, elle m’a dit avec joie : “Tu sais, Francine, on vient de tuer l’abbé
Yirirwahandi et l’abbé Nyangenzi.” Je n’ai rien dit mais je voyais qu’ils étaient tous contents.

Le Dr Célestin Higiro raconte que la mort des prêtres fut mentionnée alors qu’il bavardait
avec ses voisins.

Des gens m’ont dit que l’abbé Hormisdas avait joué un grand rôle dans la mort de ces prêtres. Ils m’ont
dit que l’abbé Hormisdas n’était plus un prêtre parce qu’il avait même accompagné les miliciens quand
ils partaient tuer. Certains disaient : “Nous partons toujours attaquer avec l’abbé Hormisdas.”

Le Dr Higiro a expliqué pourquoi les allégations ne lui semblèrent pas tirées par les cheveux.

J’ai accepté ces accusations contre l’abbé Hormisdas parce que, même avant le génocide, Hormisdas
considérait les prêtres tutsis de la paroisse de Nyanza—l’abbé Justin Furaha, l’abbé Mathieu
Ngirumpatse, etc.—comme des ennemis. Les anciens directeurs du collège venaient souvent célébrer la
messe à la paroisse. Mais Hormisdas disait qu’il ne pouvait pas venir célébrer la messe à la paroisse
parce qu’il y avait trop de Tutsis.

28
Le comportement de Hormidas à l’égard des autres prêtres stupéfia même certains autres
miliciens. Jean-Claude Higiro a demandé : “Comment Hormisdas aurait-il pu avoir pitié des autres
chrétiens alors qu’il ne fit rien pour protéger ses collègues ?”

Pourquoi est-ce-que Hormisdas n’a même pas respecté les cadavres de ses confrères ? Le corps de
l’abbé Mathieu a été dévoré par les chiens mais Hormisdas n’a fait aucun effort. Il n’y a pas d’excuse
pour sa conduite.

Janvier Habimana a fait remarquer que rien n’empêchait Hormisdas de cacher les prêtres
menacés de mort.

L’abbé Hormisdas est la première personne qui doit expliquer, devant les tribunaux, comment les
prêtres de la paroisse Nyanza sont morts. Qu’est-ce-qui l’a empêché de les cacher ? Les gens qui
tuaient les Tutsis étaient ses collaborateurs, ils ne pouvaient donc pas toucher quelqu’un qui était
protégé par Hormisdas.

Une quête tenace : la chasse à l’abbé Justin Furaha

L’intense hostilité de l’abbé Hormisdas à l’égard de l’abbé Justin Furaha est un élément commun des
témoignages portant sur les antécédents et les activités de Hormisdas. En décembre 1989, Innocent
Habyarimana se joignit à un groupe de prière fondé par Furaha et l’accompagna pour mettre en place
des groupes similaires dans d’autres endroits.

Quand l’abbé Hormisdas est venu diriger le collège Christ Roi, il a commencé à nous critiquer et à dire
que nous étions des inkotanyi. Nous avons fait l’objet de nombreuses menaces jusqu’au moment où
l’abbé Furaha est allé à Save.

Callixte Kalisa ramassait du bois derrière les résidences des enseignants lorsqu’il aperçut
Hormisdas et Furaha ensemble, tandis que Furaha rentrait chez lui. Il surprit leur conversation
lorsqu’ils s’arrêtèrent à proximité.

Hormisdas a dit à Furaha qu’il devait faire attention avec lui. Il a dit : “Je ne veux pas que tu me fasses
rendre visite à vos voisins tutsis. Je ne suis pas tutsi et vous devez le savoir.” Puis il a injurié sa mère
en lui disant que s’il le refaisait, il l’obligerait à avoir des relations sexuelles avec sa mère. L’abbé
Furaha s’est étonné et a soutenu son regard. Il est parti sans dire un mot. J’ai personnellement entendu
ces phrases sortir de la bouche de Hormisdas.

Christine Umunezero, négociante de Nyanza, chantait dans la chorale de la paroisse et,


comme membre de l’association des Jeunes travailleurs catholiques, administrait la cantine de la
paroisse et travaillait en étroite collaboration avec les prêtres.

L’abbé Justin Furaha était notre coordinateur. Il aimait beaucoup les jeunes et organisait des groupes
de prière. Hormisdas accusait toujours Furaha d’être un inkotanyi qui passait son temps à faire des
réunions d’inkotanyi. Il y avait de nombreux tracts qui décrivaient l’abbé Furaha comme un inkotanyi.
Simon Kalinda et Hormisdas me critiquaient souvent eux aussi, disant que j’étais inkotanyi comme
Furaha. Comme Furaha avait tellement de problèmes, il a quitté Nyanza et il est allé à Save. Tous ses
problèmes étaient dûs à Hormisdas. La haine de Hormisdas envers les Tutsis faisait partie de sa nature.
On n’aurait pas cru qu’il était prêtre.

Comme on craignait pour sa sécurité, l’abbé Furaha fut transféré à la paroisse de Save,
commune Shyanda, et fut remplacé par l’abbé Bosco Yirirwahandi. Mais ce transfert ne le sauva pas
du génocide.
Emma-Marie Nyirazaninka écouta Hormisdas exprimer sa frustration du fait que Furaha était
encore en vie.

Un jour, en mai, Hormisdas est venu à notre école, à la recherche du directeur, Nyamulinda. Ce dernier
était à côté de moi. Hormisdas l’a salué. Puis il l’a grondé. Il lui a demandé : “Est-ce-qu’il y des Tutsis

29
ici que tu caches ?” Nyamulinda a répondu : “Non.” Ils ont continué de bavarder. Puis Hormisdas a dit
: “Tu sais, je serai content une fois que l’on aura trouvé l’abbé Furaha. A ce moment-là on pourra
même arrêter de tuer des Tutsis.”

Il y avait plusieurs prêtres tutsis à la paroisse de Save durant le génocide ; ils survécurent
tous, sauf l’abbé Furaha. Ils sont convaincus que Furaha a été tué parce que l’abbé Hormisdas a
insisté, par des miliciens qu’il avait envoyés de Nyanza. L’un des prêtres qui se trouvaient avec
Furaha à Save a présenté le récit suivant de sa mort.

Les miliciens de Save venaient seulement nous voler des vivres et nous demander de l’argent. Pendant
le génocide, l’abbé Furaha allait célébrer la messe chez les sœurs Benebikira à Save ou chez les frères.
Souvent, il passait par les barrières avec sa voiture en allant au bureau communal de Shyanda pour
expliquer nos problèmes aux autorités. Personne ne l’avait arrêté aux barrières.
Mais des gens sont venus nous dire que les miliciens de Nyanza avaient dressé le plan de
venir tuer l’abbé Furaha. Il m’avait dit que son ennemi à Nyanza était l’abbé Hormisdas, qui l’accusait
toujours d’être complice du FPR. Tous les prêtres à Butare et les chrétiens de Nyanza savaient que
Hormisdas était l’ennemi de l’abbé Furaha.
Le 7 mai, un samedi, nous étions à table quand trois hommes en civil sont arrivées, vers 13
heures. Ils m’ont demandé d’appeler l’abbé Furaha. Je suis allé l’appeler. Il est venu les saluer, puis ils
sont entrés dans son bureau. J’ai demandé à Furaha l’identité de ces gens. Il m’a dit que c’étaient des
gendarmes de Nyanza qui étaient venus l’emmener. Ils l’ont mis dans leur voiture et ils sont tous
partis. Alors j’ai contacté le beau-frère de Furaha, Félix Semwaga, qui était quelqu’un d’important
parmi les génocidaires, pour voir s’il pouvait sauver Furaha. Il m’a dit que c’était impossible parce que
son dossier était venu de Nyanza. Furaha a été conduit à la brigade de Butare, puis à la prison centrale
de Karubanda.
Sœur Félicien, qui est décédée après le génocide, est allée à Butare ville chercher l’abbé
Martin Kabalira, l’aumônier militaire de Butare. Elle était une religieuse Benebikira. Elle voulait lui
demander de chercher le moyen de sauver l’abbé Furaha. Kabalira a expliqué à la sœur qu’il lui était
impossible de le sauver parce que Hormisdas lui-même avait préparé son dossier pour qu’il soit arrêté.
C’est ce qu’elle nous a dit.
Quelques jours après l’arrestation de Furaha, j’ai reçu une lettre de sa part. Il avait écrit que la
personne qui l’accusait était son ennemi, que je connaissais, de Nyanza. Il était accusé d’avoir tenu des
réunions avec des inkotanyi, d’avoir acheté une grande parcelle à Nyanza pour construire des maisons
pour les inkotanyi et d’avoir donné beaucoup d’argent au FPR. Il avait donné la lettre à un prisonnier
qui était avec lui à Karubanda ; ce prisonnier avait le droit de quitter la prison et d’y retourner après.
Nous avons donné à ce prisonnier de l’argent, de la nourriture et des habits pour l’abbé Furaha. Par la
suite, un autre prisonnier est venu nous dire que Furaha était mort, avec d’autres prêtres qui étaient
avec lui dans la prison.
Furaha est le seul religieux qui est mort à Save. Il a été tué par Hormisdas parce qu’il était son
ennemi depuis longtemps.

Etant donné que “les miliciens de Save ne l’avaient pas tué”, un autre prêtre qui se trouvait à
Save à l’époque est aussi convaincu que “Hormisdas était impliqué dans le meurtre de l’abbé Furaha”.

Jetées dans un fossé : la mort des sœurs Françoise et Augustine

La mort de deux religieuses Benebikira de Nyanza, sœur Françoise et sœur Augustine, fut lente et
angoissante. Sœur Françoise était la mère supérieure du couvent Benebikira et était chargée de l’école
scientifique de Nyanza. Sœur Augustine était chargée d’un projet de construction de logements pour
la communauté des Batwas et d’autres personnes pauvres de Nyanza. Comme la plupart des
religieuses étaient en retraite à la paroisse de Save, il n’y en avait que quelques-unes qui résidaient à
Nyanza lorsque le génocide débuta.
De nombreux parents des religieuses étaient venus se cacher dans le couvent avec elles. Le 22
avril, jour où le génocide commença à Nyanza, au petit matin, des miliciens encerclèrent le couvent et
emmenèrent les personnes qui s’y étaient réfugiées, y compris les enfants, qui furent ensuite tuées. Le
23 avril, un soldat et quelques miliciens emmenèrent sœur Françoise et sœur Augustine. Les deux
religieuses étaient sur le point de mourir lorsqu’elles furent jetées dans un fossé avec d’autres

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victimes. Une jeune fille réussit à s’en sortir en rampant et avertit les autres religieuses le même jour.
Sœur Françoise était encore vivante, mais sœur Augustine était déjà morte. Les religieuses firent des
efforts effrénés pour sauver sœur Françoise, mais en vain. Le soir du 26, elles découvrirent que
certaines personnes qui étaient soi-disant venues apporter leur aide avaient en fait jeté de la terre dans
la fosse commune. L’une des religieuses Benebikira qui avaient tenté d’organiser leur enterrement se
tourna vers l’abbé Hormisdas pour lui demander de l’aide.

Nous avons téléphoné à l’abbé Hormisdas pour nous procurer des cercueils. Nous l’avons aussi invité
à venir célébrer la messe au moment de l’enterrement. Nous lui avons dit qu’il devait représenter
l’Eglise catholique à l’enterrement, puisque c’était un enterrement de religieuses. Il a refusé de nous
donner des cercueils. Il nous a dit que c’était à Nyamulinda, le directeur de l’école primaire, de les
trouver.
Comme l’abbé n’était pas venu aux cérémonies pour nous aider à prier, je lui ai demandé de
venir célébrer la messe de ces deux sœurs mortes. Hormisdas a refusé catégoriquement. Il a dit : “Si
vous voulez cette messe, venez au Christ Roi.” Nous lui avons dit que nous avions une consœur qui
était gravement malade avec un problème cardiaque et qui ne pouvait pas aller jusqu’au collège, mais
voulait participer à la messe de ses consœurs. Hormisdas nous a ignorées et il est parti chez lui.
Hormisdas savait très bien que nos consœurs étaient mortes, mais il n’est jamais venu nous
rendre visite. Il savait aussi que les miliciens avaient pillé notre nourriture mais il ne nous a rien
apporté à manger. Au contraire, il circulait avec les miliciens qui nous avaient attaqués, surtout les
soldats. Hormisdas était un ami proche du commandant de la gendarmerie et d’autres grands
génocidaires, comme le sous-préfet de Nyabisindu.
Le 12 mai, c’était la fête de l’assomption. L’abbé Hormisdas avait célébré la messe au collège.
Comme on nous avait dit qu’on avait arrêté de massacrer les Tutsis, je suis allée à cette messe. J’ai vu
Hormisdas avec des miliciens. Il y avait une barrière devant le collège, ce qui montrait bien que l’abbé
Hormisdas collaborait avec les génocidaires. Nous voulions enterrer nos consœurs, mais l’abbé
Hormisdas n’a jamais pensé à enterrer son confrère Mathieu même quand les chiens avaient commencé
à manger son corps. Nous étions menacées mais nous avons sauvé 17 Tutsis qui se sont réfugiés dans
notre couvent, pour la plupart des enfants. Mais Hormisdas n’a sauvé aucun Tutsi alors qu’il en avait
les moyens.39

Selon le gendarme, Paul Niyonzima, c’est Hormisdas qui fit appel aux miliciens qui
assassinèrent les deux religieuses.

Hormisdas était devenu un grand génocidaire. Durant les premiers jours du génocide à Nyanza,
Hormisdas est venu dans notre camp de gendarmes, conduisant la voiture du collège. J’étais là. C’était
entre 8 heures et 9 heures du matin. Il a dit aux gendarmes qui étaient là qu’ils avaient oublié
d’attaquer le couvent et il est entré dans le bureau du commandant. Le commandant a appelé quelques
gendarmes, dont ses gardes du corps, le caporal Gahutu, un caporal qui était magasinier et d’autres. Il
leur a donné l’ordre de partir avec Hormisdas pour aller attaquer le couvent. Les uns sont partis en
moto, les autres dans la voiture de Hormisdas. Ils étaient bien armés.

“C’est Hormisdas qui a fait tuer ces sœurs. Personne d’autre n’avait jamais osé
attaquer le couvent.”

Le soir, je suis allé dans la cantine de la gendarmerie. Il y avait aussi des gendarmes qui étaient partis
avec Hormisdas. Il se réjouissaient du fait qu’ils avaient tué des “inyenzi” dont la sœur Augustine.
Quand j’ai entendu le nom de la sœur Augustine, j’ai été choqué. Elle était connue à Nyanza. Elle était
gentille avec tout le monde et s’occupait des Batwas.

Le fait que l’abbé Hormisdas ne tenta pas de protéger une communauté menacée de génocide
constitue un manquement moral tout particulièrement grave de la part d’une personne en sa position et
avec les contacts et les ressources dont il disposait. D’un point de vue juridique, les allégations selon
lesquelles Hormisdas s’est activement associé dans le meurtre de membres du clergé et, comme on

39
Témoignage recueilli le 2 octobre 1997.

31
l’explique dans la suite, de membres de la population laïque, méritent qu’on les examine de près et
que l’on prenne des mesures en conséquence.

32
5

UN ENGAGEMENT SANS PITIÉ

Selon le Dr Célestin Higiro, une fois que les massacres commencèrent à Nyanza, “les Tutsis n’eurent
nulle part où aller”. Dans d’autres parties du pays, ils se groupèrent en grand nombre dans leur
paroisse locale, convaincus qu’ils seraient en sécurité dans une église. Mais, comme ils craignaient
que s’ils se rassemblaient ainsi il serait plus facile à l’abbé Hormisdas de les tuer, les Tutsis de
Nyanza n’envisagèrent pas la paroisse de Nyanza comme un refuge potentiel. A notre connaissance, il
s’agit de la seule paroisse du Rwanda dans laquelle aucun Tutsi ne tenta de se réfugier, ce qui en dit
très long sur la réputation de l’abbé Hormisdas. C’est la même peur qui empêcha la plupart des Tutsis
d’envisager Christ Roi comme un abri possible. Mais quelques connaissances de Hormisdas—de
vieux amis de sa famille, des voisins et quelques élèves du Christ Roi—crurent que leurs liens avec lui
compteraient peut-être encore et ils lui demandèrent de les cacher au Christ Roi. Certains de ceux
qu’il refusa d’accueillir, pensant qu’ils seraient tués, ont survécu pour décrire la façon dont il livra
leurs parents, leurs voisins et d’autres réfugiés à la mort.

Refuge refusé

Les membres de la famille d’Amurani Mbabariye s’enfuirent instinctivement vers Christ Roi
lorsqu’ils eurent trop peur de rester chez eux.

Vers le 25 avril, les génocidaires avaient commencé à massacrer tous les Tutsis, sans distinction. J’ai
eu peur. J’ai dit à ma famille d’aller se réfugier au collège Christ Roi chez l’abbé Hormisdas. Nous
habitions derrière le collège. Nous avons sauté par-dessus la clôture du collège et nous sommes tombés
à l’intérieur. Nous sommes immédiatement allés vers l’habitation de Hormisdas. J’étais avec mes
frères, Selemani Umazekabili, Hussein Nyandwi et Nyabyenda, mes sœurs, Josephine Mukabatete et
Fatu Nyirabititaweho, mon neveu, Kayiranga, et ma nièce, Chantal Mutegarugori.

Ils furent stupéfaits par la scène qu’ils virent à leur arrivée au collège.

J’ai vu Hormisdas avec des miliciens, dont Simon Kalinda, munis de massues et de machettes.
Umazekabili a dit au prêtre que nous étions menacés et que nous étions venus pour lui demander
refuge. L’abbé a répondu : “Vous êtes tous des Tutsis, je ne peux pas vous cacher.” La peur m’a saisi.
J’ai dit aux membres de ma famille de partir puisque je voyais qu’on pouvait nous tuer. Je me suis mis
à courir immédiatement. Après avoir sauté par-dessus la clôture, j’ai entendu des coups de fusil. Ma
mère était restée à la maison puisqu’elle était hutue. Elle est allée voir si c’étaient ses enfants qui
étaient morts. Elle est revenue en sanglotant car elle avait vu leurs cadavres. Mes frères, mes sœurs,
mon neveu et ma nièce ont été tués au collège.

Amurani se cacha ensuite dans une forêt proche du Christ Roi. Il n’avait rien à manger et ne
pouvait pas dire à son épouse et à sa mère où il se trouvait. Seule une femme qui habitait à proximité,
Rosalie Nyirabukanuye, savait qu’il était là. En mai, cependant, il faillit être découvert par un groupe
dont Hormisdas faisait partie.

Un groupe de miliciens de Mugonzi est venu débroussailler tout autour du collège. On ne me voyait
pas dans les buissons où je m’étais caché, mais moi je voyais tout le monde. Quand les miliciens sont
arrivés là où j’étais, j’ai pu voir l’abbé Hormisdas, François Gashirabake, Simon Kalinda et les élèves
originaires de Byumba qui étaient restés à l’école. Hormisdas et François n’avaient rien dans la main et
ne coupaient pas les broussailles. Je voyais qu’ils surveillaient les autres. En attendant d’être tué, j’ai
vu ces miliciens courir en criant parce qu’ils avaient découvert un jeune garçon tutsi qui s’était caché
dans les buissons à côté de moi. Je ne savais pas qu’il était là. Le garçon a été tué. Je les voyais

33
regarder son cadavre. Par chance, ils sont partis avant d’arriver là où je me cachais. Je suis resté dans
ces buissons jusqu’à la fin du génocide à Nyanza.40

A l’instar des membres de la famille d’Amurani, nombre des personnes renvoyées par
Hormisdas furent assassinées par la suite. Quelques-unes survécurent toutefois, dont Gérard, élève du
Christ Roi. Il se souvient très clairement de l’abbé Hormisdas, qui l’accueillit muni d’un pistolet en
mai 1994. Comme c’étaient les vacances scolaires, il se trouvait chez lui avec sa famille lorsqu’il
apprit la mort du président Habyarimana. Les tueries commencèrent immédiatement dans sa commune
natale ; sa mère et ses frères et sœurs moururent. Comme il avait perdu son père avant le génocide,
Gérard, qui n’avait alors que 16 ans, se retrouva seul.

Tous les Tutsis de ma colline ont été tués et leurs maisons détruites. Je suis resté seul dans la brousse,
dans un état de panique et sans rien à manger. Quand les miliciens ont commencé à fouiller dans la
brousse, j’ai eu peur.

Comme il était élève du Christ Roi, Gérard décida de se rendre au collège.

Il y avait beaucoup de dortoirs et de classes où je pouvais me cacher. J’ai pensé que le directeur ne
pouvait pas me chasser puisque j’étais son élève. En plus de cela, notre directeur Hormisdas était un
prêtre, qui devait normalement accueillir tous les gens qui venaient à lui. Alors, je me suis mis en route
pendant la nuit. Je suis passé par des brousses. Deux gendarmes m’ont arrêté. Un a voulu me tuer
immédiatement mais l’autre l’en a empêché. J’ai continué mon chemin et je suis arrivé à l’école.
C’était très tôt le matin. J’ai vu une barrière tout près de la porte d’entrée de l’école. J’ai eu peur de
passer par là. J’ai sauté par-dessus la clôture de l’école et je suis tombé dans la cour. C’était en mai.

Gérard avait pour but de parler à l’abbé Hormisdas. Il fut mal accueilli par un autre élève dans
le bureau du principal. Il n’avait pas d’autre option, mais il refusa de se laisser décourager.

Au bout de 30 minutes Hormisdas est sorti avec deux officiers militaires. Je l’ai salué et je lui ai dit que
j’avais un message pour lui. Nous sommes allés à côté mais j’ai commencé à trembler parce que j’ai vu
qu’il avait un pistolet à la hanche. Je me suis demandé comment un prêtre pouvait porter un fusil. Il
portait une longue veste rouge. Je lui ai raconté que les miliciens avaient tué ma mère et d’autres
membres de ma famille et que j’étais resté dans la brousse. Je lui ai demandé de me cacher à l’école. Je
pensais qu’il allait avoir pitié de moi puisque que j’étais son élève. Au contraire, le prêtre m’a répondu
: “Il n’y a pas d’abri ici pour toi. Pars vite. Je ne peux pas te garder.” Je l’ai supplié de me laisser entrer
dans les dortoirs ou dans les classes mais il a refusé. Il était pressé d’aller rejoindre les deux soldats.
Après son départ, je me suis caché derrière une maison de l’école.

Par hasard, Gérard rencontra un maçon au collège qui lui dit qu’il était un vieil ami de son
père.

Le vieux m’a dit que j’avais eu de la chance parce que l’abbé Hormisdas ne m’avait pas tué. Il m’a
conseillé de quitter l’école pour aller me cacher à l’orphelinat des Italiens. Il m’a accompagné.
L’orphelinat m’a accueilli.

La fille de Bresile Mukandera est parmi les nombreux jeunes que Hormisdas refusa de sauver.
Bresile était la directrice de l’école primaire de Nyanza au moment de l’entretien. Elle dit qu’elle
connaissait Hormisdas depuis longtemps et qu’elle le considérait comme un bon ami. Ils se
rencontraient fréquemment lors des réunions de professeurs. Du fait de leur amitié, Bresile dit que les
parents des élèves qui quittaient l’école primaire lui demandaient parfois d’intercéder auprès de lui en
leur faveur pour que leurs enfants obtiennent une place au Christ Roi. S’il ne pouvait pas accéder à
leur requête, il donnait à Bresile une lettre de recommandation destinée aux directeurs d’autres écoles
secondaires avec lesquels il entretenait de bons rapports.
Perturbée en apprenant que les Tutsis étaient massacrés à Kigali, elle demanda à l’abbé
Hormisdas de l’aider en cachant sa fille aînée, Marie-Claire, âgée alors de 14 ans. Lorsqu’elle parvint

40
Témoignage recueilli à Nyanza le 21 octobre 1997.

34
au bureau de Hormisdas, elle vit de nombreuses voitures ; elle regarda par la fenêtre de son bureau et
vit qu’une réunion était en cours. Parmi les participants se trouvaient plusieurs génocidaires
importants, comme Mariro.

J’ai eu peur d’entrer, et j’ai donc envoyé un jardinier aller dire à Hormisdas que j’avais un message
pour lui. Hormisdas est sorti me voir. Je lui ai dit que je voulais lui envoyer ma fille pour qu’il la cache
dans son école ; je lui ai expliqué qu’il était un prêtre et que personne ne pouvait venir fouiller là. Il a
crié et a dit : “Tu penses que moi, Hormisdas, je peux cacher l’enfant d’un inkotanyi comme
Munyawera ? Les Tutsis ont tué notre président. Pour cette raison, je ne peux cacher aucun Tutsi.
J’espère que tu as compris. Je veux retourner à la réunion.” J’ai continué à le supplier, lui disant que
j’étais même prête à payer tout ce que l’enfant consommerait chez lui. Hormisdas m’a dit d’aller
chercher ailleurs. Qu’est-ce-qui l’empêchait de cacher les Tutsis ? 41

Les parents d’Agathe Uwamurera s’installèrent à Nyanza en 1963 alors qu’elle était enfant,
ayant quitté leur commune natale de Mabanza, à Kibuye, pour échapper à une nouvelle vague de
tueries anti-Tutsis. Agathe, 37 ans, et son mari, Charles Gakwaya, maçon, vivaient à côté du Christ
Roi. Son époux a péri durant le génocide. Elle travaille à présent comme négociante à Nyanza. Elle
échappa à l’attention des miliciens parce qu’elle n’est pas originaire de Nyanza et qu’ils ne savaient
pas à quelle ethnie elle appartenait. Mais son mari n’eut pas la même chance. Il savait que des
barrages routiers avaient été mis en place devant Christ Roi et derrière le collège, mais Charles décida
de tenter sa chance parce que leur fille cadette était très malade. Agathe et Charles connaissaient
également la réputation de Hormisdas, mais ils décidèrent de prendre le risque. Il partit de la maison
pour demander de l’aide à un médecin qui vivait dans les environs. Il était à peine sorti de la maison
qu’il fut tué.

Je connais tous les principaux qui ont dirigé Christ Roi, surtout l’abbé Hormisdas puisqu’il était un
extrémiste. C’étaient seulement des gens comme Simon Kalinda, qui a exterminé de nombreux Tutsis
de Nyanza pendant le génocide, qui allaient chez lui.
Quand le génocide a commencé, un vendredi de la fin du mois d’avril, j’étais avec mon mari.
Simon Kalinda, Phéneas et d’autres personnes qui vivaient au Christ Roi, ont immédiatement
commencé à circuler dans notre région en demandant aux Hutus d’ériger des barrières pour tuer les
Tutsis.
Je mets sur la tête de Hormisdas la mort des Tutsis qui habitaient près de son école, par
exemple :

• Kayitankore, enseignant ;
• Kayombya, cultivateur, et sa famille ;
• Jean Muforomo, médecin ;
• Mukama et sa femme qui était enceinte ;
• Célestin et sa femme ;
• Gakwaya, mon mari.

Hormisdas était un prêtre ; il disposait de nombreux endroits où il aurait pu cacher des Tutsis. Mais il
n’en a caché aucun. Il accueillait seulement les génocidaires.42

Bien qu’il ait fermé sa porte aux Tutsis qui craignaient pour leur vie, Hormisdas permit à
certains femmes et enfants hutus de loger au collège. Mais il refusa de laisser entrer Francine
Nyirarwasa, bien qu’elle soit hutue, sous prétexte qu’elle a épousé un Tutsi. Son mari, Sosthène
Buhigiro, chauffeur, avait été tué à Kigali au début du génocide, ce qui lui fit craindre encore plus
pour ses trois enfants. Comme on le mentionne plus haut, Francine était la voisine d’un enseignant de
l’école primaire, Mariro, et son épouse, Laurence Mukakimonyo, secrétaire au Christ Roi. Laurence et
ses enfants passaient leurs nuits au Christ Roi ; Francine demanda si elle pouvait les accompagner au
collège.

41
Témoignage recueilli le 9 juillet 1997.
42
Témoignage recueilli le 9 juillet 1997.

35
La première nuit, je n’ai pas eu de problème parce que Hormisdas n’a pas visité les dortoirs. La
deuxième nuit Hormisdas est venu et a dit à Laurence : “Qui est cette femme?” Laurence a répondu
que j’étais la femme de Sosthène mais que j’étais hutue. L’abbé s’est écrié : “Sosthène! Un Tutsi que je
connais bien. Toi, tu as épousé un serpent et tu as ses enfants. Maintenant pars vite. Tu n’as pas de
place ici avec tes enfants.” Le prêtre et Laurence m’ont chassée. Je suis partie.

Le meurtre de Jean Twagirayezu : l’abbé Hormisdas au banc des accusés

Un certain nombre de témoins ont accusé l’abbé Hormisdas d’avoir livré à la mort Jean Twagirayezu,
le président du tribunal de première instance de Nyanza, au début du mois de mai. De nombreux
résidents de Nyanza croyaient, à tort, que Jean était hutu, et il avait survécu dans diverses cachettes
durant les premières semaines des massacres à Nyanza. En quête d’un refuge plus sûr, il décida de
demander de l’aide à Hormisdas. Les résidents qui attribuent sa mort à Hormisdas affirment qu’ils ont
vu Jean entrer au Christ Roi, qu’ils l’ont aperçu en compagnie de Hormisdas, et qu’ils ont ensuite vu
les deux hommes se diriger ensemble vers la paroisse de Nyanza, plus tard le même jour. Hormisdas
laissa Jean à la paroisse et retourna au collège. Immédiatement après, Jean fut tué par balle.
Marie-Thérèse Mukankusi est l’une des dernières personnes à avoir vu Jean Twagirayezu en
vie.

Au début de mai, j’ai vu Jean entrer au Christ Roi. Ce jour-là, j’étais tout près du collège et Jean est
passé à côté de moi. Il m’a demandé si l’abbé Hormisdas était là. J’ai répondu : “Oui.” Il m’a dit qu’il
était menacé et qu’il voulait aller chez Hormisdas pour lui demander refuge. Il a dit : “Je suis confiant
qu’il va bien m’accueillir parce qu’il est prêtre.” Je lui ai dit d’aller essayer.
Jean est entré dans le collège. C’était vers midi. Le soir, j’ai vu Hormisdas et Jean sortir du
collège. Mais un peu avant, j’avais vu Cyprien, Phéneas et Simon sortir du collège en courant. Ils
allaient vers l’église.
Jean et Hormisdas sont passés juste à côté de moi. J’ai entendu l’abbé Hormisdas dire à Jean :
“Retourne chez toi. Quiconque échappe aujourd’hui vivra.” Lorsqu’ils sont arrivés à l’église,
Hormisdas est retourné chez lui. Immédiatement, j’ai entendu des coups de fusil. On m’a dit que Jean
avait été tué. J’ai compris que Hormisdas l’avait directement envoyé à la mort.

A l’instar de nombreux résidents locaux, Pasteur Dusangeyezu supposait que Jean était hutu.

En mai j’ai vu Jean Twagirayezu, président du tribunal de première instance. Il habitait à Rwesero. Il
est entré au Christ Roi. En le voyant, j’ai pensé qu’il était hutu parce qu’il avait passé les barrières les
plus terribles, comme celui des réfugiés burundais, qui se trouvait à Rwesero, celui établi par les
Batwas au stade, la barrière de l’hôpital, mis sur pied par Bonaventure Hakizimana, un employé de la
laiterie, la barrière terrible d’un certain “Kinshasa” et celui qui était patrouillé par les élèves. Jean avait
passé tous ces barrières sans être tué. Mais, ce soir-là, j’ai été étonné d’apprendre que Jean était mort.

Même les miliciens furent surpris de ce que Hormisdas eût réussi à découvrir les origines de
Jean, selon Pasteur qui avait réussi à masquer ses origines en fréquentant les principaux miliciens.

Phéneas nous a dit : “Il faut faire attention à l’abbé Hormisdas. Il a découvert que Jean était tutsi. Il va
finir par nous tuer nous aussi. Il sait aller au fond des choses.” Simon a dit : “Vous avez vu comment
les autres miliciens avaient peur de le tuer ? Hormisdas les a aidés en appelant un soldat pour qu’il le
fusille.”

Donatilla, qui savait que Jean était en fait tutsi, vit elle aussi Hormisdas et Jean quitter le
collège ensemble.

Un soir, j’ai vu l’abbé Hormisdas sortir du collège avec Jean, président du tribunal de première
instance. Quand j’ai vu Jean, j’ai tremblé. Je me suis demandé pourquoi l’abbé Hormisdas l’avait fait
sortir du collège alors qu’il savait très bien que Jean était recherché par les miliciens pour être tué. Il y
avait là d’autres personnes. Nous avions peur. On se demandait pourquoi le prêtre n’avait pas mis Jean
dans sa voiture pour éviter de l’exposer aux génocidaires qui circulaient dans la rue. Je voyais que le

36
prêtre voulait se débarrasser de lui, tout simplement, alors que Jean était lui aussi originaire de
Gikongoro, comme lui.
Jean et Hormisdas ont continué le chemin ensemble jusqu’à l’église de Nyanza. Puis le prêtre
est retourné chez lui. Quelques minutes après, j’ai entendu un coup de fusil. C’est Jean qui avait été
tué.

Emma-Marie Nyirazaninka a appris la mort de Jean par l’intermédiaire de l’épouse de


Nyamulinda.

En mai, j’ai entendu un coup de fusil. Quelques minutes après, Schola est venu me voir en pleurant.
Elle m’a dit que Hormisdas venait de livrer Jean à un soldat qui l’avait fusillé près de la boutique de
l’église. Schola a ajouté : “Dieu va punir Hormisdas. Il n’a même pas eu pitié de quelqu’un qui était
originaire de Gikongoro comme lui.”

Un commerçant du nom d’Ephron Nshimyumuremyi accepta d’évacuer l’épouse et les


enfants de Jean vers sa commune d’origine, Murama, à Gitarama, en même temps que Bresile
Mukandera et sa famille. Nshimyumuremyi fournit une carte d’identité hutue à l’épouse de Jean et
elle fut reconduite à Nyanza avec ses cinq enfants. Ils furent tués à Nyanza.

Participation soupçonnée à d’autres morts

Il sera peut-être impossible de dresser une liste complète des personnes qui ont été tuées en la
présence de l’abbé Hormisdas, où sur son ordre. Ce qui est clair, c’est que ses victimes furent
nombreuses. Un exemple en est le cas où Hormisdas refusa d’héberger un jeune élève nommé
Lambert au Christ Roi. Il le suivit ensuite jusque chez Nyamulinda, la personne suivante vers laquelle
Lambert se tourna.
Le matin du samedi 23 avril, le lendemain du début du génocide à Nyanza, Marie-Rose
Nyinawabagunga alla prendre des nouvelles des membres de sa belle-famille, dans la cellule
Mugonzi. Elle rencontra un soldat qu’elle connaissait, il menaça de la tuer avec une machette, mais
changea ensuite d’avis. Elle découvrit que tous les membres de sa belle-famille avaient déjà été tués et
décida de rentrer chez elle, dans la cellule Kigarama. Pour éviter le soldat, elle prit un chemin
différent, qui la fit passer devant Christ Roi.

Quand je suis arrivée tout près de la paroisse de Nyanza, je suis tombée sur la barrière des élèves
originaires de Byumba. Ils étaient avec l’abbé Hormisdas, que je connaissais. Une fois à la barrière,
j’ai entendu l’abbé Hormisdas demander aux élèves s’il y avait des inyenzi chez Nyamulinda. Les
élèves ont répondu qu’ils ne savaient pas. Hormisdas est parti. Quelques minutes après, il est revenu
avec quatre soldats. Il les avait rencontrés en chemin. Ils sont allés directement chez le directeur,
Nyamulinda. Je suis restée où j’étais, près de l’église, à observer. Je ne voulais pas partir sans savoir la
suite.
J’étais toujours à côté de l’église quand j’ai vu Hormisdas et les quatre soldats sortir de chez
Nyamulinda. Ils avaient arrêté Lambert, le fils de Gakuba et de Perpétuée, et élève de l’école
secondaire à Nyanza. Il était aussi un grand footballeur. Un soldat avait pris la ceinture de ses
pantalons et le tirait. D’autres étaient derrière lui. Quand ils sont arrivés au milieu du terrain de
football, Hormisdas a dit : “Pouah ! Eloigne-toi de nous !” Le soldat a arrêté de tirer Lambert. Lambert
s’est immédiatement mis à courir et un soldat a tiré sur lui avec un fusil. Lambert est mort sur-le-
champ. Cela a eu lieu vers 10 heures. Son cadavre était juste à côté de moi. Je tremblais beaucoup. Je
suis rentrée à la maison. J’ai dit à tous les Tutsis de s’attendre à mourir.

Le gardien du Christ Roi, Joseph Semuhunyege, se souvient de la vitesse à laquelle


Hormisdas mena un jeune élève à la mort.

Hormisdas a aussi fait tuer un élève tutsi qui étudiait au collège. Je ne me rappelle pas son nom mais je
le connaissais. Le garçon est venu le soir. Il est allé tout droit au bureau d’Homisdas, et ce dernier, au
lieu de le cacher, l’a abandonné aux mains des miliciens, dont Phéneas et Simon. Ils l’ont emmené
jusqu’en bas du collège, sur la barrière, où il a été vite tué.

37
Hormisdas a fait tuer beaucoup de gens, dont quelques professeurs, tels que Kayitankore et
Hatangintwali.

Alphonse Sibomana, étudiant à l’université de Butare au moment de l’entretien, se rendit à


l’orphelinat de Ntyazo en mai. Il vit un camarade de sixième année au Christ Roi qui se cachait là :
Kayitsinga, originaire de Gikongoro. Les deux garçons faisaient partie du même mouvement de
jeunes, “Amis de la Nature”, et étaient devenus de bons amis.

Les miliciens sont venus attaquer l’orphelinat. Kayitsinga avait peur parce qu’il était tutsi. Comme il
n’était pas en sécurité à l’orphelinat, il nous a dit qu’il allait tenter d’aller jusqu’au Christ Roi pour se
cacher chez Hormisdas. En entendant cela, j’ai essayé de l’en empêcher parce qu’on avait entendu dire
que Hormisdas était devenu un grand génocidaire.
Kayitsinga a refusé de nous écouter. Il nous a dit que l’abbé Hormisdas ne pouvait pas le tuer
parce qu’il était son ami avant le génocide. Kayitsinga était le premier de sa classe. Il était très
intelligent ; il aimait aussi la nature et il nettoyait souvent le jardin de l’école. Pendant la messe, il
chantait de bon cœur. Il était un élève que les professeurs et le directeur admiraient.
Durant la nuit, Kayitsinga est allé chez Hormisdas. Celui-ci n’a pas eu pitié de lui ; il l’a
immédiatement livré. Durant le génocide, on ne cachait rien. Les miliciens qui passaient nous ont dit
que Hormisdas l’avait conduit à la mort ; les veilleurs nous l’ont dit aussi. Nous avons beaucoup pleuré
après sa mort.

Marie-Thérèse fait porter la responsabilité d’une série d’autres meurtres à Hormisdas.

Hormisdas avait aussi refusé de cacher d’autres Tutsis qui habitaient près de chez lui, par exemple
Célestin Kayombya et sa femme, Esther Mukama ; Xavérine, la femme de Zacharie Kambanda. Ces
gens ont été tué à la barrière située près du Christ Roi.

Certaines de ces victimes ont également été mentionnées par Pasteur.

D’autres Tutsis ont été tués à côté du collège, dont Célestin Kayombya, sa femme Esther, et leurs
enfants, Kagirimpundu et Antoine ; la fille et la femme d’un homme qui s’appelle Lindiro et la femme
d’un certain Semwaga.

La tâche consistant à établir l’identité des victimes, les circonstances de leur mort et le rôle
exact joué par l’abbé Hormisdas vient de commencer. Furieux de constater que les planificateurs du
génocide mènent une existence confortable à l’étranger, les prisonniers du Rwanda sont de plus en
plus disposés à parler franchement de la manière dont le génocide a été orchestré et de son
déroulement. D’autres preuves relatives à la conduite de Hormisdas durant le génocide finiront par
voir le jour, que l’Eglise catholique décide ou non d’apporter son assistance dans le processus visant à
les révéler. Mais, entre-temps, les survivants du génocide de Nyanza supportent avec peine de savoir
que leur bourreau n’a pas été puni.

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6

L’ABBÉ HORMISDAS NSENGIMANA ET L’EGLISE CATHOLIQUE


Des comptes à rendre à Nyanza

Plus de sept ans ont passé depuis le génocide, mais durant cette période les preuves relatives aux
crimes de l’abbé Hormisdas ont été en général ignorées. Il est compréhensible que les survivants de
Nyanza se sentent amers et déprimés du fait que l’Eglise catholique n’ait pas réagi aux preuves de sa
complicité. Il leur semble incompréhensible qu’un prêtre accusé de génocide puisse encore travailler
pour l’Eglise. Leurs expériences durant le génocide et depuis ont eu un impact néfaste sur leur attitude
à l’égard de l’Eglise et, dans certains cas, sur leur foi chrétienne.
Pour certains résidents de Nyanza, l’exemple donné par l’abbé Hormisdas durant le génocide
les a dissuadés d’entrer dans une église depuis le milieu de 1994. Pasteur Dusangeyezu est de ceux-là.

Avant le génocide, chaque jour j’allais à la messe à 6h15 jusqu’à 7 heures. Les dimanches étaient
consacrés à Dieu. Mais après avoir vu ce que Hormisdas a fait pendant le génocide, je ne suis plus
retourné à l’église.

“Lorsque je m’approche d’une église, je vois immédiatement dans ma tête


l’image de Hormisdas avec un fusil et une massue.”

J’espère que Hormisdas n’est plus prêtre.

Francine Nyirarwasa en est elle aussi venue à associer l’église aux activités des prêtres qui ont
pris part au génocide.

Suite à la participation des religieux au génocide, je n’ai plus envie de retourner à l’église. Je ne peux
pas abandonner mon Dieu. Je reconnais que Dieu m’a sauvée. Donc je veux prier, mais chez moi.
Cependant j’ai conclu que le fait d’aller à l’église ou d’être prêtre n’est pas nécessairement ce qui
montre que quelqu’un est un saint.

Hormisdas était non seulement prêtre, mais aussi enseignant, et il a trahi la confiance que les
personnes font à ces deux professions. Francine, elle-même enseignante, dit qu’il a trompé les parents
qui lui avaient confié leurs enfants.

Je considérais l’abbé Hormisdas, en tant que prêtre, utile à la société. Des parents lui faisaient
confiance pour l’éducation de leur enfants. Au lieu de bien les éduquer, il en a entraîné certains à tuer
des Tutsis.

Alphonse Sibomana accuse Hormisdas d’avoir fait tuer son ami et camarade de classe,
Kayitsinga, à la mort.

Maintenant je ne peux plus retourner à la messe, parce que certains prêtres sont devenus des
génocidaires, surtout l’abbé Hormisdas. Je ne peux pas le pardonner d’avoir tué mon ami Kayitsinga
alors qu’il était innocent. Je condamne beaucoup l’Eglise catholique parce qu’elle n’a rien fait pour
faciliter l’arrestation de l’abbé Hormisdas. Il doit être puni ; il ne mérite pas d’être prêtre.

Mais même pour ceux qui ont trouvé la force de retourner à leur église locale, le fait de savoir
que Hormisdas continue de travailler comme prêtre est intolérable. Costasie Mukagasana, à présent
octogénaire, espère vivre assez longtemps pour apprendre qu’il a été obligé à rendre des comptes.

Je voudrais savoir si on appelle toujours Hormisdas prêtre. J’espère qu’il n’osera jamais retourner dans
une église pour célébrer la messe. Il n’est plus un prêtre mais un génocidaire. Je prie toujours le bon

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Dieu de me laisser mourir après que j’aie entendu que Hormisdas a été puni. Alors je pourrai me
reposer plus ou moins en paix. Je souffre à cause de lui. Ses miliciens ont tué mon fils, Cyprien, et les
Tutsis qui étaient mes amis.

Marie-Thérèse Mukankusi trouve du réconfort dans sa conviction de ce que l’abbé Hormisdas


sera jugé après sa mort.

Hormisdas n’est pas digne d’être appelé un prêtre. Je le considère comme Satan. Malgré le fait qu’il a
tué, je retourne toujours à l’église. Je sais que Dieu va le punir.
Sa conviction de ce que “Dieu punira tous les génocidaires, y compris Hormisdas” aide aussi
Donatilla Mukamunana. Selon Joseph Semuhunyege, “Hormisdas n’est pas un prêtre, pas quelqu’un
qui est au service de Dieu”. Il éprouve des difficultés à imaginer une punition juste.

J’ignore la sanction qu’il mérite. Dieu Lui-même l’accusera.

Justin Mabano dit que Hormisdas n’est pas digne de dire la messe et il prie pour qu’il ne
puisse plus jamais “entrer dans une église”. Il se demande pourquoi le prêtre n’a pas été arrêté, étant
donné que sa participation au génocide était si flagrante.

“Pendant le génocide, au lieu de prendre la bible pour enseigner la parole de


Dieu, il a pris la massue pour tuer les Tutsis.”

Marthe Nyirahabiyambere a eu le courage de témoigner sur la contribution de son fils au


génocide. Elle est décédée depuis son entretien avec African Rights, mais ses actions devraient,
comme elle le disait elle-même, servir de leçon à l’Eglise catholique.

Que fait l’Eglise catholique pour punir les prêtres qui ont tué? Pourquoi ces prêtres génocidaires
célèbrent-ils toujours la messe ? Moi, j’ai accusé mon enfant et il est en prison. J’ai honte d’être la
mère d’un génocidaire. Je ne le considère plus comme mon enfant. Je demande à l’Eglise catholique de
faire la même chose que moi. L’Eglise doit chasser de son sein les prêtres qui sont devenus des
génocidaires. L’abbé Hormisdas a encouragé mon fils à tuer. L’Eglise devrait faire ce qu’elle peut pour
qu’il soit arrêté. Qu’attend-elle ?

Amurani Mbabariye est le seul survivant de sexe masculin de sa famille. Ses frères ont été
tués par balle en la présence de Hormisdas lorsqu’ils tentèrent de se réfugier au Christ Roi.

Hormisdas a livré les membres de ma famille qui sont allés à son collège. Il y avait là de nombreux
abris. Il aurait pu les cacher ou bien demander aux miliciens de ne pas les tuer. Cet abbé est un
génocidaire et je ne peux pas lui pardonner. Il doit me dire où lui et ses miliciens ont enterré les
membres de ma famille pour que je puisse les enterrer avec dignité. Il doit revenir dans son pays pour
expliquer ce qu’il a fait pendant le génocide et même avant.

Comme tous les survivants des autres parties du Rwanda, Amurani dit que le fait que tant de
tueurs renommés doivent encore être traduits en justice fait de la réconciliation une perspective
lointaine. L’Eglise catholique a commencé à demander la réconciliation peu après le génocide, appel
qui parut insensible à bien des survivants, étant donné qu’il ne s’accompagnait pas d’une
compréhension de la nécessité que justice soit faite ni d’un appel quelconque aux auteurs du génocide
pour qu’ils manifestent des remords. Il est convaincu qu’elle doit entamer le processus en abordant la
question des suspects d’actes de génocide qui font partie de l’Eglise elle-même.

Il ne faut pas parler de réconciliation alors que les rescapés ont encore des blessures au fond de leur
cœur. Il faut d’abord nous aider et surtout punir les génocidaires. Après on pourra parler de
réconciliation.

40
Thérèse Ingamike se fait l’écho de cette opinion.

Le gouvernement demande que les gens se réconcilient, alors qu’il n’a pas encore puni les
génocidaires. Ils sont à l’aise et tranquilles comme l’abbé Hormisdas. Qu’est-ce qu’il fait encore au
sein de l’Eglise ? Qu’est-ce-qu’il peut prêcher?

Parmi ceux qui ont été blessés et remplis d’amertume par l’impunité dont jouit l’abbé
Hormisdas figurent les membres du clergé. Aussi longtemps que lui et les autres membres du clergé
soupçonnés de participation au génocide continueront de faire partie de l’Eglise, ils resteront dans une
situation difficile. Une religieuse de Nyanza dont l’abbé Hormisdas refusa d’enterrer les consœurs
assassinées a parlé de son espoir de ce que des poursuites auraient bientôt lieu.

L’Etat doit punir d’abord les religieux qui ont participé au génocide parce que ce sont eux qui auraient
dû donner un bon exemple.

Pour les miliciens qui se morfondent en prison, le fait que les organisateurs du génocide,
comme l’abbé Hormisdas, n’aient pas encore été arrêtés, et dans certains cas pas identifiés, semble
constituer une injustice. Janvier Habimana est en prison depuis le 28 août 1994.

On est venu lire dans la prison la liste des génocidaires qui se trouvent dans la première catégorie qui
doivent recevoir la peine capitale. J’ai été très étonné parce que je n’ai pas entendu le nom de l’abbé
Hormisdas ; Segema ; Tubirimo, un enseignant ; le commandant de la gendarmerie, Birikunzira ;
Mirasano et beaucoup d’autres génocidaires de Nyanza. Ils sont chez eux avec leur famille. Les prêtres
qui ont tué, comme l’abbé Hormisdas, continuent de célébrer la messe.
Les planificateurs doivent expliquer comment ils ont organisé le génocide et demander pardon
aux Rwandais. On doit punir plus que les autres les prêtres qui ont participé au génocide. Ils avaient la
mission d’enseigner l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Mais ils ont donné l’exemple pour que
les Tutsis soient tués pendant le génocide. On doit punir Hormisdas très sévèrement. Il ne faut plus
l’appeler prêtre ; c’est un génocidaire comme les autres.

Selon Jacques Ntiberinda, détenu depuis juin 1997, “le plan de tuer les habitants de Nyanza a
été dressé chez Hormisdas, au Christ Roi.”

Je condamne Hormisdas bien plus que les autres génocidaires parce qu’il était prêtre. Il a collaboré
beaucoup avec les soldats. Il n’a sauvé personne alors qu’il en avait les moyens. Il avait de nombreuses
maisons dans l’école et personne n’est venu fouiller chez lui. Il n’a même pas caché ses confrères, ni
enterré le corps de l’abbé Mathieu alors que les chiens avaient commencé à le dévorer. Comment peut-
on pardonner un prêtre qui a fait cela ? Moi, je suis catholique mais j’ai honte de m’approcher de là où
on prie à cause de ce que j’ai fait. J’espère que Hormisdas n’a pas osé retourner à l’église pour célébrer
la messe. Est-ce-qu’il a au moins témoigné sur ce qui s’est passé à Nyanza pendant le génocide ? Il
faut vraiment l’arrêter. Pourquoi souffrons-nous dans des prisons alors que les planificateurs du
génocide sont en liberté ? 43

Innocent Habyarimana attend des réponses de la part de l’abbé Hormisdas, du nonce du pape
de Kigali et plus généralement de l’Eglise catholique.

Hormisdas n’est plus un prêtre ; il a tué. Où qu’il soit maintenant, j’espère qu’il n’enseigne plus
l’Evangile. Qu’est-ce-qu’il attend pour venir demander pardon aux Rwandais ? Qu’est-ce-qu’il fait à
l’étranger ? Pourquoi a-t-il peur de revenir au pays s’il est innocent ?
Le pape a un représentant au Rwanda. Qu’est-ce qu’il fait toujours à Kigali ? Pourquoi ne
vient-il pas à Nyanza pour mener des investigations sur ce qu’a fait Hormisdas avant d’accepter qu’on
lui accorde l’asile ?

43
Témoignage recueilli le 29 août 2000.

41
L’Eglise a refusé de nommer l’abbé Muvara44 comme evêque sous prétexte qu’il avait un
enfant. Mais Hormisdas a tué. Pourquoi ne l’a-t-on pas encore arrêté ?

“Hormisdas doit purifier sa propre âme avant d’aller purifier les âmes des
autres.”

Il ne doit avoir rien à faire avec l’Eglise avant d’avoir demandé pardon aux Rwandais.

African Rights espère que ce rapport encouragera les survivants et les témoins du génocide de
Nyanza à se sentir moins isolés. Nous refusons catégoriquement toute suggestion selon laquelle les
récits des victimes de Hormisdas, et ceux relatés par African Rights à l’encontre d’autres membres du
clergé catholique, puissent faire partie d’un complot contre l’Eglise. Il s’agit de témoignages directs,
dont certains viennent de personnes qui ont enduré une immense douleur. Mettre ce fait en question
ne ferait qu’accentuer à leur souffrance. Le moins que nous puissions tous faire, c’est d’écouter et de
reconnaître leur colère et leur désespoir.

44
Il existe une controverse considérable concernant la décision de l’Eglise de ne pas nommer l’abbé Muvara
évêque, la raison officielle étant qu’il aurait un enfant. Les critiques maintiennent que cette allégation n’est pas
fondée et que la réticence de l’Eglise était due au fait que l’abbé Muvara était tutsi.

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