Mots clés
DOMINIQUE MEDA est sociologue, chercheuse au Centre d’études de l’emploi ( CEE). Elle
est l’auteure de nombreux ouvrages dont « Le temps des femmes » (Flammarion, 2001) et
« Faut-il brûler le modèle social français ? » ( Seuil, 2006).
THÈSE DE L'OUVRAGE
Les Françaises conjuguent un haut niveau d’emploi et une fécondité enviée par
beaucoup. Mais les moyennes nationales cachent en réalité une situation dégradée. Leur
taux d’activité est toujours inférieur à celui des hommes, leurs emplois de moindre
qualité, leurs rémunérations plus faibles, leur temps de travail plus réduit, et elles
restent en charge de l’essentiel des tâches domestiques et familiales.
Il y a là non seulement une évidente injustice, mais aussi une lourde hypothèque sur
notre avenir collectif.
Davantage de femmes en emploi, ce serait moins de pauvreté, des comptes sociaux plus
équilibrés et des investissements d’éducation enfin valorisés.
La méthode
D. Méda et H. Périvier se proposent d’abord de documenter la « panne » de l’émancipation et
ses causes, ainsi que les coûts collectifs de la persistance d’inégalités entre hommes et
femmes. Elles privilégient une approche quantitative et idéelle des thématiques et se
refusent, par principe, à toute approche réflexive.
Elles examinent ensuite quelques expériences étrangères qui permettent de mieux poser les
termes du débat. Ainsi, si l’émancipation des Françaises est en difficulté, ce n’est ni le cas des
Nordiques, ni des Américaines. Les deux organisations sociétales nordiques et américaines
ont montré que l’émancipation des femmes pouvait emprunter un chemin socialisé et
égalitaire ou, à l’inverse, un chemin libéral.
Les auteures proposent enfin de s’interroger sur le chemin que cette émancipation pourrait
prendre en France.
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Le résultat
I ) LA PANNE DE L’EMANCIPATION
• Au début des années 1990, le temps partiel ne concernait que 12,5% des femmes.
Cette proportion a plus que doublé aujourd’hui (30,8%) alors que seuls 5,3% des
hommes en emploi sont touchés. Les femmes représentent 85% des emplois à temps
partiel. Or en 2005, presque un million de Françaises à temps partiel déclaraient
vouloir travailler davantage. Le développement du temps partiel présente 2 risques
majeurs :
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b) Segmentation et discrimination
Cette segmentation du marché du travail va de pair avec de faibles salaires et des conditions
de travail dégradées ( travail le dimanche, variabilité des horaires.)
2) une ségrégation verticale : les femmes ont moins accès aux postes à responsabilité que les
homme. En 2004 seuls 13% des emplois étaient occupés par des femmes ( phénomène du
« Plafond de verre »).
En outre , persiste un écart de salaires entre hommes et femmes. Les salaires annuels moyens
des femmes en France représentent environ 80% de ceux des hommes selon l’INSEE.
c) Une organisation sociale défaillante
La division sexuelle des rôles revient à laisser aux femmes la plus grande partie des
tâches domestiques et familiales. C’est la principale variable explicative des inégalités
entre les sexes.
Faute d’avoir remis en question ces représentations sexuées, la société française ne
s’est pas réorganisée en profondeur pour accompagner l’arrivée massive des femmes
sur le marché du travail dans les années 1970
Face à cette inertie, les femmes ont dû supporter le poids de la « double journée »
et ont dû développer des stratégies leur permettant d’articuler « travail » et
« prise en charge des dépendants de la famille. »
Pour permettre une implication égale des pères et des mères dans l’emploi et dans la
famille, il aurait fallu, au terme d’un grand débat social, redéfinir la norme du travail à
temps plein de manière à en réduire la durée pour les deux sexes.
d) Des politiques insuffisantes
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• Face à la montée de l’emploi féminin, on aurait pu penser que les tâches familiales
seraient plus souvent déléguées à l’extérieur pour permettre aux deux parents un
investissement professionnel identique et limiter la charge pesant sur les mères.
• Or, malgré la promesse faite en 1981 par François Mitterrand de 300 000 places
supplémentaires dans les crèches, il y a toujours pénurie. Le coût de ces modes de
garde collectifs est en outre un obstacle à leur développement massif.
• Ainsi, 2/3 des enfants de moins de 3 ans sont encore gardés de manière principale
par leurs parents, c’est-à-dire essentiellement par leurs mères, et plus de la moitié
des mères de jeunes enfants ne travaillent pas du tout.
• La France a décidé d’inciter les femmes les moins diplômées à s’occuper elles-mêmes
de leurs enfants. Par exemple, en 1994, l’ouverture au second enfant de l’Allocation
Parentale d’Education (APE), qui consiste à verser aux mères d’enfants de moins
de 3 ans un demi-SMIC si elles cessent de travailler, a fait chuter le taux d’activité
de ces femmes de 18 points en 4 ans. Le caractère sexué du congé ( 98 % des
allocataires sont des femmes ) fait de toute femme en âge d’avoir des enfants une mère
potentielle qui peut s’arrêter de travailler ou ralentir son activité dans un avenir
proche.
Les politiques publiques développées depuis 20 ans n’ont pas permis de favoriser
l’émergence d’un vrai « libre choix » entre l’interruption d’activité et le maintien en
emploi des femmes.
II ) LES ENJEUX DE L’EMPLOI DES FEMMES
Les inégalités entre les sexes font partie intégrante de la question sociale. Elles
soulèvent des enjeux de justice individuelle comme collective.
- Les deux sexes n’ont pas la même liberté réelle de transformer les moyens dont ils
disposent en résultats conformes à leurs attentes ( c’est ce que Amartya Sen appelle
« capabilities » dans « Quelle égalité ? » in Ethique et économie, PUF, 2002 .)
- Cela signifie que la liberté réelle qu’ont les femmes de transformer en projets de vie les
ressources dont elles disposent n’est pas la même que celle des hommes. Cette différence
doit être corrigée.
L’enjeu actuel est de compenser l’augmentation des inactifs par celle des actifs.
L’activité des femmes offre dans cette optique une marge de manœuvre non
négligeable.
C’est pour cela que l’Union européenne a affiché, dans sa « Stratégie de Lisbonne »,
un objectif de taux d’emploi des femmes en âge de travailler de 60% d’ici 2010 pour
tous ses Etats membres.
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En France, il est actuellement de 57,4%. Or il reste une marge de manœuvre de force
de travail en France, puisqu’il reste 2,5 millions de femmes au foyer âgées de 25 à 55
ans, selon l’INSEE.
Ces données peuvent avoir un impact fort sur notre croissance économique. En effet,
si le taux d’activité des Françaises rejoignait celui des Suédoises, le PIB pourrait être
supérieur de 1,6 point à ce qu’il est actuellement.
L’emploi des femmes en couple ne peut plus être considéré comme un emploi
d’appoint : il s’agit bel et bien d’un rempart contre la pauvreté. Si la présence
d’enfants, notamment non scolarisés, augmente le risque de pauvreté, l’emploi de
la mère réduit ce risque.
Les pouvoirs publics devraient prévenir les risques de pauvreté en facilitant
l’accès des mères à l’emploi ( par exemple en innovant sur les modes de garde ou
en réformant le congé parental.)
f) Le déclassement des filles
- Les filles, en moyenne plus diplômées que les garçons, ne mènent pas les carrières
auxquelles elles pourraient prétendre. Il existe toujours une disproportion entre les années de
formation suivies par les femmes et les postes qu’elles occupent
- Ainsi, l’insertion dans l’emploi leur est plus difficile : si 69% des garçons ont une
trajectoire d’accès à l’emploi rapide et durable, la proportion n’est « que » de 57% chez
les filles.
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Les pays nordiques et les Etats-Unis constituent en revanche deux système qui
affichent une certaine réussite en matière d’égalité entre les sexes. Cependant ces pays
se fondent sur une organisation et des choix de société opposés à ceux de la France (III)
Depuis les années 1970 les pays nordiques constituent une référence en matière d’égalité
de genre. Cependant les Etats-Unis constituent un autre modèle auquel il faut prêter
attention.
1) La voie nordique
L’Etat providence social-démocrate suédois octroie des subsides directement aux enfants
et prend la responsabilité directe des soins que ces enfants requièrent. Il en résulte deux
points essentiels :
Les femmes peuvent choisir le travail plutôt que les tâches domestiques et
familiales ;
Un soin particulier est apporté à l’organisation de ces services pris en charge par
l’Etat providence, car ils contribuent à remplir la fonction de promotion du bien-
être qui lui incombe.
Dans les années 50, va se développer l’idée en Suède que la nation a besoin des
femmes non seulement pour s’occuper des enfants, mais aussi pour travailler.
Il revient donc à la société de permettre aux femmes d’exercer un emploi et aux
hommes de s’investir concrètement dans la parentalité.
C’est théoriquement la fin du male breadwinner et de la spécialisation des rôles.
Les taux d’activité des femmes vont dès lors considérablement progresser : de 60% à
75 % entre 1970 et 1980, contre une augmentation de 49% à 55% en France pour la
même période.
Malgré quelques variantes, ce modèle suédois sera adopté par les autres pays
nordiques : les femmes y présentent depuis les années 1970 des taux d’emploi très
élevés ( toujours d’une dizaine de points de plus qu’en France.)
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personnes dépendantes ) et dans l’organisation d’un parcours de prise en charge pour
les premières années de l’enfant, qui a été déterminante.
• Les deux mesures principales consistent à financer des services d’accueil accessibles à
tous et à offrir un congé parental bien rémunéré, associé à une garantie de retour à
l’emploi.
En outre, les hauts taux d’emploi féminins sont permis non seulement par la double
possibilité de la délégation du care et de son exercice par les parents, mais aussi par la
qualité de l’emploi des mères, majoritairement dans le secteur public.
Ainsi donc, le modèle nordique semble avoir réussi à combiner emploi des femmes,
qualité de vie des parents et bien-être des enfants.
Dans les faits, en réalité, même dans ces pays où les incitations envers les pères ont été le plus
développées, les mères continuent à prendre en charge l’essentiel du « care » ( tâches
domestiques notamment .) Ainsi la plupart du temps, ce sont toujours les mères qui vont
chercher le soir les enfants à la crèche ou à la sortie de l’école. Et la part du congé parental
effectivement prise par les pères n’est que de 17% en Suède.
2) Le choix américain
A l’inverse du modèle nordique, la réussite américaine repose sur des inégalités sociales
exacerbées. Cependant les performances américaines en matière d’insertion des femmes
dans l’emploi se sont nettement améliorées durant les années 1990.
Depuis les années 1960, les Américaines sont entrées massivement sur le marché du
travail, à l’instar des françaises avec un léger retard sur les pays nordiques, mais en
avance par rapport à beaucoup de pays européens.
Selon les données de l’OCDE, le taux d’activité des Américaines s’est accru de
presque 30 points en trente ans : depuis le milieu des années 1990, plus de 7 femmes
sur 10 âgées de 15 à 64 ans sont actives aux EtatsUnis. De ce point de vue, les
EtatsUnis ont une performance inférieure à celle de la Suède ( 77%), mais ont
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dépassé la France depuis le début des années 1970 (64%).
b) Des Américaines qui font carrière
Les Américaines sont désormais plus diplômées que les hommes. Depuis le début des
années 1970, les filles ont cessé d’investir massivement les filières conduisant à des
postes typiquement féminins pour aller vers celles qui offraient un déroulement de
carrière, obtenant de plus en plus fréquemment des postes à responsabilité
traditionnellement réservés aux hommes.
Si l’écart de salaire entre les sexes s’est atténué dans les années 80 et 90, il reste
cependant important.
Ces résultats remarquables sont notamment l’œuvre du mouvement féministe.
c) Le résultat du militantisme féministe des années 60 et 70 aux EtatsUnis
Les féministes se sont appuyées sur deux leviers pour faire avancer leur cause :
d’une part, l’obtention d’un arsenal législatif efficace de lutte contre les
discriminations sexistes matérialisée par l’article VII des Droits civils de 1964 qui
interdit la discrimination à l’embauche et à la promotion ainsi que l’article IX des
amendements de l’éducation de 1972 qui exige un égal traitement des sexes dans les
programmes éducatifs et universitaires ;
d’autre part, la pratique de l’action positive ( affirmative action ) qui a permis
d’instaurer des quotas de postes réservés aux femmes tant dans les filières de
formation que dans l’emploi (public essentiellement.) En 1965, l’« Executive Order
11246 » du Président Johnson a été la première forme de régulation gouvernementale
par l’action positive. Il s’agissait de s’assurer que les candidats à un poste, et que les
employés soient traités sans distinction de race, de couleur, de religion ou de sexe.
En définitive, si les mouvements féministes ont eu un impact positif sur la position des
femmes sur le marché du travail, ce sont les réformes sociales votées sous la présidence
Clinton dans les années 1990 qui ont permis d’accroître fortement leur accès à l’emploi.
d) Les effets du Workfare prôné par l’Administration Clinton(19922000)
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insurmontable à travailler, de vivre des aides publiques. A partir des années 1990, s’est
fait jour dans l’opinion publique américaine l’idée qu’il était impératif d’exiger des
bénéficiaires du Welfare State qu’ils fassent preuve de leur bonne volonté de réintégrer
l’emploi, pour que la collectivité accepte de les aider. Du Welfare, on est passé au
Workfare. Cette vision individualiste de la société vaut tant pour les hommes que pour
les femmes, ce qui a poussé ces dernières vers l’emploi ( en particulier les mères
isolées .)
La réforme de l’aide sociale, en 1996, a rendu le travail plus attractif que
l’inactivité. Désormais, les mères isolées sont traitées comme des citoyennes actives.
L’aide publique à laquelle elles avaient droit est désormais limitée dans le temps, et un
minimum d’activité est requis pour y être éligible, quitte à appliquer des sanctions. Par
exemple, le programme « Aid to Family with Dependent Children” est devenu le
« Temporary Assistance to Needy Family », une aide limitée à 60 mois au total dans la
vie d’une personne, et à laquelle seules les personnes actives ont droit.
Les progrès réalisés aux Etats-Unis du point de vue de l’égalité entre les sexes sont
indéniables : les taux d’emplois des femmes y sont désormais comparables à ceux des
bons élèves européens, le plafond de verre y est plus faible, les écarts de salaire entre les
sexes ont été considérablement réduits. Mais ceci masque des résultats différents selon
les groupes sociaux, car les avancées en terme d’égalité des genres aux Etats-Unis
reposent largement sur un accroissement corrélatif des inégalités sociales.
L’emploi des femmes s’est considérablement développé en France, au prix de lourds
sacrifices consentis par les femmes qui continuent d’assumer l’essentiel des tâches
domestiques et familiales.
Il est dès lors urgent d’établir les conditions d’une véritable égalité entre les sexes en
procédant à une réorganisation de la société.
1) Quelle société pour demain ?
Il faut placer l’enfant et son bienêtre au centre de la nouvelle organisation sociale. La prise en
compte de ce bienêtre conduit à conditionner le développement de l’emploi des parents à
celui des modes de garde de qualité dans lesquels ils sont susceptibles d’avoir toute confiance.
Le développement de l’emploi féminin exige le développement de ces modes de garde de
qualité.
Dans un tel système, femmes et hommes participent également à l’emploi et en tirent des
revenus identiques, cependant que les tâches domestiques sont pour partie déléguées à
l’extérieur ( marché ou institutions publiques) et pour partie réparties de manière paritaire
entre les deux parents. Quelles mesures concrètes mettre en œuvre en ce sens ?
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2) Adapter notre système social et fiscal
•On pourrait tout d’abord envisager de prélever une cotisation supplémentaire sur les
couples mono-actifs pour garantir le financement d’une partie des droits dérivés
•En ce qui concerne les avantages familiaux associés à la retraite ( en particulier les pensions
de réversion ), il faudrait envisager un régime transitoire pour les femmes qui n’ont pas
ou peu travaillé. Les nouvelles dispositions pourraient entrer en vigueur à une date annoncée
à l’avance, avec des mesures différenciées par générations, comme cela a par exemple été fait
en Suède à l’occasion de la suppression de la pension de veuvage ou de la réforme des
pensions de retraite.
•Une autre réforme viserait à éviter la surimposition du salaire de la femme mariée. En effet,
quand le salaire auquel elle peut prétendre est inférieur à celui de son conjoint, le quotient
conjugal engendre une imposition de son salaire supérieure à ce qu’elle serait si elle vivait
seule. Individualiser l’impôt sur le revenu de la femme mariée supprimerait ce type d’effet
pervers, chaque individu étant dès lors imposé sur son propre salaire.
•Les congés parentaux longs sont défavorables à l’activité des femmes. Un congé d’une
durée raisonnable ( environ un an ) et bien rémunéré y est en revanche propice. Il faut
une individualisation totale du droit au congé parental, et un partage entre le père et la mère
de manière à ce que le congé soit non transférable de l’un à l’autre.
•Il conviendra de conserver un congé indemnisé à l’attention des parents qui souhaitent
conserver un certain temps à l’enfant juste après sa naissance, mais il devra être court,
bien indemnisé et partager entre les deux parents ( pour obliger les hommes à prendre
leur part.)
•Pris à la suite des 10 semaines de congé maternité postnatal, ce congé « petite enfance »
pourrait donc durer 42 semaines ( 21 semaines pour la mère, 21 semaines pour le père,
perdues en cas de non recours de sa part.)
•Les conditions d’accès à ce congé « petite enfance » seraient identiques à celles du congé
maternité et paternité, mais il serait rémunéré à hauteur de 80% du salaire sous plafond.
•Le coût du congé « petite enfance » pour la collectivité serait très raisonnable. En effet, si
les parents recouraient à ce congé dans les mêmes proportions qu’aux congés maternité et
paternité, le coût en serait d’un peu moins de 5 milliards d’euros par an. Si l’on déduit les 2,8
milliards que coûte l’actuel congé parental, il resterait à financer 2,2 milliards d’euros.
L’équivalent de 450 000 enfants serait couvert pendant un an par ce congé. Ils seraient pris en
charge par leurs pères et mères de manière paritaire.
-Une telle réforme ne doit pas faire obstacle à ce que les parents qui le souhaitent puissent
retravailler rapidement. Il convient donc que l’enfant puisse être accueilli dès la fin du congé
maternité.
-En outre, le congé « petite enfance » ne couvrirait que la première année de l’enfant. Les
parents devraient donc avoir accès à un mode de garde jusqu’à la scolarisation.
-Le développement de modes de garde de qualité constitue un élément central d’une
nouvelle politique d’émancipation : non seulement c’est le facteur clé qui permet l’activité
féminine, mais c’est également un facteur essentiel de réduction des inégalités.
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-Dès lors il est urgent d’en finir avec la pénurie des structures d’accueil. Plusieurs solutions
sont envisageables, mais toutes exigent un investissement important de la part de la
collectivité.
Si pour les enfants de 2 à 3 ans, l’école maternelle semble une solution appréciable, la
crèche semble en revanche une solution adaptée à la prise en charge des enfants de 1 à 2 ans
et demi. Il faut dès lors ouvrir davantage de places en crèches. En outre, le réseau actuel des
assistantes maternelles peut également être mobilisé pour augmenter rapidement la capacité
d’accueil du dispositif de prise en charge de la petite enfance.
Pour que la garde des jeunes enfants ne soit ni un casse-tête, ni un brise-carrière pour
les mères, il convient de mettre davantage de moyens en œuvre.
• Actuellement, les dépenses de fonctionnement annuelles pour la prise en charge des enfants
de moins de 6 ans sont d’environ 22,6 milliards par an, soit 1,32% du PIB. Les réformes
proposées ici supposent un montant supplémentaire de 5,45 milliards d’euros par an, en
rythme de fonctionnement maximal, donc à long terme. Et quand la pénurie de mode de garde
sera réglée, la dépense annuelle pour la garde et la scolarisation des enfants de moins de 6 ans
sera d’environ 28 milliards d’euros ( hors investissement pour la création des places en
question.)
•Sur le long terme, on verra que la création de ces nouvelles places en crèche aura permis
l’entrée sur le marché du travail de mères actuellement inactives.
•Enfin, indépendamment de la question de la rentabilité financière de telles mesures, il
faut rappeler que l’accroissement de l’emploi féminin constitue avant tout un enjeu de
justice sociale.
•La société française devrait s’interroger sur la compatibilité des horaires de travail avec la
vie familiale en se donnant pour objectif de limiter non seulement les réunions tardives, mais
aussi les horaires atypiques auxquels sont soumises beaucoup de femmes, notamment dans les
services.
•L’aménagement des temps sociaux, sans lequel nous ne parviendrons pas à enclencher un
second mouvement d’émancipation des femmes ne peut se faire sans la participation active
des entreprises.
CONCLUSION
La poursuite du travail d’émancipation des femmes est urgente est nécessaire, parce qu’elle
répond à la satisfaction de 3 intérêts convergents dans la société française contemporaine :
•Les intérêts des femmes : l’exigence de justice devrait inciter la société française à leur
accorder comme aux hommes des conditions de construction de soi propres à assurer leur
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autonomie. Cela devra passer par un travail collectif positif.
•Les intérêts des enfants : ils ont besoin de leurs parents pour s’épanouir, ainsi que de
structures d’accueil adaptées permettant aux parents de travailler. Les parents doivent être en
mesure de se rendre disponibles à la vie familiale.
•Les intérêts de la société toute entière : l’emploi des femmes est une variable décisive pour
une nouvelle stratégie de l’Etat Providence. Il représente une ressource majeure de production
et un moyen de financer la protection sociale ( et donc de faire face au défi du vieillissement.)
Dans un objectif d’organisation sociétale plus juste, il faut permettre aux individus de
mener leurs projets de vie librement, indépendamment de leur sexe, au moyen de politiques
publiques audacieuses et volontaristes, qui encourageraient l’emploi des femmes, mais
également développeraient des modes de garde d’enfants de qualité et accessibles à tous.
Femmes et hommes doivent pouvoir engendrer autant d’enfants qu’ils le désirent, sans que
cette fécondité débridée n’entrave le moins du monde le déroulement de leur carrière, grâce
aux pouvoirs publics, qui seraient conçus pour repenser l’ensemble de la vie professionnelle
et intervenir sur les entreprises afin de permettre cet équilibre idéal…
Mener à son terme l’émancipation des femmes, c’est contribuer à rendre la société plus
neutre du point de vue des genres, par le biais d’un changement radical des normes de
références et mettre ainsi fin aux conceptions réactionnaires des rôles impartis à chacun en
fonction du sexe, qui verraient d’une part l’homme « naturellement » breadwinner, le seul à
pouvoir travailler et d’autre part la femme, appelée par nature à élever les enfants et
s’occuper des tâches domestiques.
Finir d’émanciper la femme, c’est affirmer que cet ordre des choses n’est pas établi depuis la
nuit des temps et qu’il n’a rien de naturel, et que demander aux hommes de participer
davantage à l’éducation des enfants ou aux tâches ménagères ne les « dévirilisera » en rien.
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