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UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES

Faculté de philosophie et lettres


Langues et littératures françaises et romanes

« LA METAPHORE DANS LA VIE QUOTIDIENNE »


Observation de quelques faiblesses relevées dans la théorie de
Johnson et Lakoff, et présentation d’une éventuelle réponse à
deux d’entre elles.

ROIG Audrey Travail réalisé dans le cadre du cours :


Séminaire de linguistique
(Roma-B-312)

ANNÉE ACADÉMIQUE 2006-2007


La théorie de la métaphore telle que l’envisagent Johnson et Lakoff, est inouïe à bien
des égards. Chercheurs et collectivistes, ils ont su réunir différentes conceptions de la
métaphore et les assembler, les ajuster, pour obtenir cet ouvrage : Les métaphores dans la vie
quotidienne (1985). Le concept imaginé demeure très bon, puisqu’aujourd’hui encore nous
continuons à parler d’eux lorsque la métaphore est évoquée. Mais comme toutes bonnes
théories, il y a toujours matière à discuter. Et discuter une théorie prouve qu’elle plaît, sans
quoi il n’y aurait assurément de réponses qui lui seraient apportées. C’est ainsi que nous
allons tenter, dans le présent travail, de relever quelques aspects que nous jugeons plus faibles
dans l’ouvrage de Johnson et Lakoff. Deux faiblesses plus conséquentes nous induiront
également à penser un modèle capable de passer outre ces problèmes, du moins à dégager
d’éventuelles nouvelles pistes de réflexion à ce sujet.

Un premier point sur lequel nous pourrions discuter, serait sans doute la trop grande
place laissée à la métaphore par Johnson et Lakoff dans le monde qui nous entoure. « La
métaphore est partout présente dans la vie de tous les jours, non seulement dans le langage,
mais dans la pensée et l’action. Notre système conceptuel ordinaire, qui nous sert à penser et à
agir, est de nature fondamentalement métaphorique » (p.13), écrivent-ils. Ils insistent sur sa
présence constante, et continuent un peu plus loin en ces mots : « Nous avons émis
l’hypothèse, en nous appuyant principalement sur des données linguistiques, que la plus
grande partie de notre système conceptuel ordinaire est de nature métaphorique » (p.14).
D’après leur conception, la métaphore a pour fonction essentielle de structurer notre réalité.
Elle nous permet de mieux saisir des concepts que l’on ne peut comprendre autrement. Car
« l’essence d’une métaphore est qu’elle permet de comprendre quelque chose (et d’en faire
l’expérience) en termes de quelque chose d’autre », expliquent-ils peu après (p.15). Il est vrai
que la métaphore nous permet de mieux saisir des concepts abstraits, en ce sens qu’elle les
rattache à des réalités matérielles plus facilement comprises par l’homme. Tel est le cas, par
exemple, dans l’énoncé suivant : l’amour est un voyage. En associant l’amour Ŕ abstrait Ŕ au
voyage Ŕ concret Ŕ, l’individu affirme une des façons dont il conçoit l’amour.

La métaphore s’avère donc être indispensable à l’homme ; elle lui offre une alternative
aux problèmes de compréhension que posent les concepts abstraits. Pourtant, nous ne pensons
pas que le monde soit totalement pensé métaphoriquement. Si la métaphore contribue
largement à la structuration de notre réalité, elle n’y apporte pas, selon nous, la part

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essentielle. Pourtant, Lakoff et Johnson semblent fréquemment l’oublier dans leur ouvrage.
Henri est dans la cuisine, par exemple, n’est mentionné que dans le dessein de les comparer
aux énoncés qui suivent, à savoir Henri est dans les parachutistes et Henri est dans
l’embarras, deux métaphores Ŕ bien que l’exemple Henri est dans les parachutistes reste
discutable. D’après l’article de Jackendoff et d’Aaron (1991), le problème semblerait venir de
l’utilisation trop large du terme de « métaphore ». En accordant une place si importante à la
métaphore, Lakoff et Johnson semblent oublier qu’il existe énormément d’énoncés non
métaphoriques. L’impact de ceci est conséquent : en maximisant l’emploi de la métaphore, ils
finissent par considérer des énoncés en principe basiques comme étant eux-mêmes
métaphoriques. Ils en arrivent aussi à ne plus différencier que difficilement une métaphore du
sens littéral d’un énoncé. Ils se retrouvent ainsi dépourvus face à cette question : qu’est-ce qui
distingue l’affirmation Pierre est un médecin, de Pierre est un perroquet ?

La pensée livrée dans cet ouvrage est également endommagée par le but constamment
recherché par Lakoff et Johnson. Ces derniers orientent leur travail de façon à vouloir
démontrer la vérité détenue par les métaphores. Dans Les métaphores dans la vie quotidienne,
ils écrivent :

« [Les métaphores] constituent un des principaux moyens de compréhension. Elles


jouent un rôle central dans la construction de la réalité politique et sociale. Pourtant, elles sont
normalement analysées par les philosophes comme des phénomènes de « pur langage ». Les
discussions philosophiques ne traitent pas de leur nature conceptuelle, de leur contribution à la
compréhension ou de leur fonction dans la réalité culturelle » (p.169).

Ils continuent :

« Les philosophes considèrent habituellement les métaphores comme des expressions imagées
ou poétiques sortant de l’ordinaire ; leurs discussions se concentrent sur le problème suivant :
ces expressions linguistiques peuvent-elles être vraies ? » (p.169).

Johnson et Lakoff semblent donc s’en prendre aux philosophes sur ce point.
Revendiquant leur position, ils tentent de tout mettre en œuvre pour montrer et démontrer leur
point de vue. Car la métaphore se doit d’être vraie ! Dans le cas contraire, l’ensemble de leur
pensée s’écroulerait, en ce sens que la métaphore ne saurait plus jouer son rôle dans la

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structuration du monde. Pour parvenir à leurs fins, Johnson et Lakoff se détachent des
méthodes d’analyse classiques que sont l’objectivisme et le subjectivisme. Ils privilégient à
celles-ci une approche de type expérientialiste. La raison nous en est donnée :

« Une approche expérientialiste nous permet d’établir un lien entre les mythes
objectivistes et subjectivistes en ce qui concerne l’impartialité et la possibilité d’être juste et
objectif » (p.204).

Malheureusement, ce souci de démontrer que la métaphore n’est pas seulement une


représentation imagée et poétique comme l’affirment les philosophes, détournent quelque peu
les deux chercheurs de leur objet d’étude ; leur souci de clarté les pousse à considérer le sujet
de nombreuses pages durant, détaillant par ailleurs précisément les raisons pour lesquelles ils
réfutent l’objectivisme et le subjectivisme. Cet écart est d’autant plus dommage que le lecteur
s’y perd aisément, lui qui ne s’attend pas à retrouver ce genre de débat dans cet ouvrage,
encore moins dans de telles proportions. Ces longs chapitres sont néanmoins bénéfiques à un
égard : l’ingéniosité du système qu’ils mettent en place pour expliquer la façon dont se
construit une métaphore. Mais cette fois encore, leur premier objectif étant de démontrer
comment les notions classiques d'objectivité et de vérité se voient bouleversées, Johnson et
Lakoff passent à côté d’éléments essentiels. Ils oublient par exemple d’établir l’énorme
différence qui oppose les métaphores usées dans la vie quotidienne, de celles rencontrées en
littérature ou poésie. Cette faiblesse, en revanche, n’échappe nullement à Jackendoff et Aaron
qui la mettent en lumière dans leur article de 1991. Nouvelle conséquence de leur entêtement,
Johnson et Lakoff omettent de creuser la dimension d’inférences entre les domaines source et
cible, véritable ingéniosité de leur conception. Intéressante à plusieurs égards, il nous semble
judicieux de nous attarder quelques instants sur la manière dont ces deux chercheurs
expliquent la façon dont est conçue une métaphore chez un individu.

Dans un premier temps, Johnson et Lakoff énoncent que chaque individu dispose en
lui d’un bagage expérientiel, acquis au travers de valeurs Ŕ expérience culturelle Ŕ, de son
corps Ŕ expérience physique Ŕ, mais aussi d’interactions avec d’autres hommes de même
culture. Peu leur importe de savoir s’il s’agit de cultures dominantes ou marginales,
l’important reste l’expérience que retire l’homme de son environnement. Son bagage
constitué, l’individu se doit alors d’« identifier [se]s expériences comme des entités ou des
substances » (p. 35). Mais il faut bien veiller à distinguer l’expérience elle-même des gestalts

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multidimensionnelles, qui ne sont autres que les moyens d’organiser l’expérience en
ensembles structurés, comme l’expliquent Johnson et Lakoff. En effet,

« Chacun de ces domaines est un ensemble structuré à l'intérieur de notre expérience,


conceptualisé par ce que nous avons appelé une gestalt expérientielle. Ces gestalts sont
expérientiellement fondamentales, car elles caractérisent des touts structurés dans les
expériences humaines fréquentes. Elles représentent des organisations cohérentes de nos
expériences en termes de dimensions naturelles ». (p.127)

Ces gestalts sont définies selon des concepts directement émergeants, tels que les
parties, les étapes, les causes, l’objet, la substance, etc. Johnson et Lakoff n’excluent
cependant pas l’éventuelle existence de gestalts complexes, que l’individu rattache alors
naturellement à d’autres gestalts simples. Une telle conceptualisation permet à l’individu de
catégoriser ses expériences, de les quantifier et, enfin, d’y faire référence, de s’en remémorer.
Comprendre ces gestalts et le rapport qu’elles entretiennent entre elles, c’est « comprendre en
quoi notre expérience est cohérente » (p.91).

Une fois formées, ces catégories ne demeurent pas figées : « leur portée peut être
diminuée, étendue ou modifiée en fonction de nos besoins et d'autres facteurs contextuels »
(p.174). Johnson et Lakoff précisent donc qu’elles sont muables d’après le contexte. Car, si
chacune de ces catégories est définie selon un prototype ou une relation de ressemblance,
l’individu choisit de mettre en avant l’une ou l’autre partie de l’expérience, d’après les
objectifs d’une situation déterminée. L’exemple qu’ils citent est clair, il mérite qu’on s’y
attarde un instant. En affirmant : La France est hexagonale, un homme peut dire vrai et faux.
S’il s’adresse à un cartographe professionnel, il va de soi que ce dernier lui répondra que tel
n’est pas le cas. En revanche, l’assertion deviendra vraie s’il la narre à une personne chargée
de dessiner des cartes de façon approximative. La création de métaphores implique donc des
choix de la part de celui qui les formule, comme le rapportent les auteurs de l’ouvrage :

« (…) nous choisissons nos catégories, car nous avons des raisons de nous concentrer sur
certaines propriétés et d'en minimiser d'autres. » (p.173).

Et peu après, ils ajoutent :

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« (…) nous devons choisir nos catégories de description, ce qui met en jeu nos perceptions et
nos intentions dans une situation donnée. » (p.174).

La mise en évidence de certaines catégories au détriment d’autres lors de la conception


d’une métaphore est un phénomène assez bien illustré par l’exemple qui suit. Au travers de
l’énoncé L’AMOUR EST UNE ŒUVRE D'ART REALISEE EN COMMUN, Johnson et Lakoff
expliquent que « Par ce moyen, la métaphore (…) met entre parenthèses certaines de nos
expériences amoureuses et en désigne d'autres à l'attention comme si elles étaient seules
pertinentes » (p.159). Selon eux, il faut donc procéder à un choix, inéluctable à partir du
moment où l’on veut concevoir une métaphore ; ce choix vise à mettre en avant l’une ou
l’autre facette de l’expérience que l’individu a de l’amour.

Toutefois, la catégorisation expérientielle n’explique pas comment l’on en arrive à


formuler une métaphore. Si nous disposons à cet instant-ci de leur théorie, de deux domaines
d’expérience distincts, Johnson et Lakoff n’ont pas encore défini la manière dont ils sont
reliés entre eux. À ceci, ils apportent une dernière réponse :

« Nous utilisons une gestalt appartenant à un autre domaine d'expérience pour structurer notre
expérience dans un autre domaine. » (p.242).

L’affaire devient limpide : à partir des gestalts dégagées dans chacun des deux
domaines d’expérience Ŕ respectivement nommés domaine source et domaine cible Ŕ, un
individu en arrive à devoir déceler la, voire les, similitudes qui existent entre les deux
domaines. Car « chaque expérience correspond au moins à l'une des similitudes données dans
la liste des implications » (p.159-160), écrivent les deux auteurs. Ainsi, il faut comprendre
pour l’exemple donné précédemment, que l’homme établit une analogie entre certains types
d'expérience amoureuse (domaine source) et certaines expériences de collaboration artistique
(domaine cible). Johnson et Lakoff terminent alors en expliquant que « cette similitude
additionnelle est structurale (…) [et] forme un tout cohérent. » (p.160). La métaphore est ainsi
formée.

Nous remarquons que l’approche cognitiviste de Johnson et Lakoff rejoint certaines


idées formulées par le second Wittgenstein. Ces dernières sont principalement au nombre de
deux : nous trouvons d’une part la « catégorisation par les ressemblances de famille » et,

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d’autre part, la « conception du sens comme lié au contexte et au système conceptuel du
locuteur » (p.193).

À notre plus grand regret, cependant, comme annoncé précédemment, Johnson et


Lakoff omettent dans leur élan de préciser réellement la manière dont se produit la métaphore.
Ils semblent ne pas aller au bout de leur explication, laissant en suspens la façon dont se
réalisent les inférences entre les domaines d’expérience source et cible chez un locuteur. Ils
semblent oublier encore de détailler la façon dont un destinataire reçoit la métaphore et la
déchiffre. Car s’ils expliquent comment une métaphore peut être créée, jamais ils n’abordent
clairement la démarche inverse, celle de décrypter une métaphore déjà constituée. Les deux
problématiques sont donc les suivantes : préciser les inférences qui se réalisent, et observer ce
qu’il en est de la métaphore chez un récepteur. C’est à celles-ci que nous allons nous essayer
de répondre. Ainsi, tentons dans un premier temps de détailler les similitudes que produit un
locuteur pour faire exister une métaphore.

Notre considération reste parallèle à celle de Johnson et Lakoff, puisque nous gardons
l’idée qu’il existe deux domaines, le premier étant la source, le second la cible. De même,
nous croyons comme eux qu’il se produise une ou plusieurs inférence(s) entre un domaine
source et cible. En revanche, nous ne sommes pas entièrement d’accord avec la nature de ces
similitudes.

L’idée de Johnson et Lakoff que nous avons expliquée jusqu’à présent, est qu’il existe
au moins une similitude entre deux domaines expérientiel ; ils envisagent un schéma du type :

Un type d’expérience = Un type d’expérience


Le domaine source Le domaine cible

Si les auteurs de l’ouvrage dégagent des analogies d’après des types d’expérience,
nous pensons que les similitudes sont plus précises, plus pointées encore. Expliquons-nous au
travers d’un exemple, qui facilitera la compréhension. Pierre est un perroquet est un énoncé
métaphorique, où Pierre n’a pas l’apparence d’un perroquet, mais où nous considérons qu’il
répète sans cesse des phrases entendues ci-et là. À noter toutefois, à ce stade-ci de notre
explication, la différence de contenu que renferment les appellations domaines source et cible.
Si, chez Johnson et Lakoff, ces domaines ne sont autres que deux domaines expérientiels, ils

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désignent à présent l’ensemble des différentes propriétés ou caractéristiques que l’on peut
attribuer au « comparé » (domaine source) et au « comparant » (domaine cible). Dans la
présente, nous considérerons que le perroquet représente le domaine source (S), tandis que
Pierre symbolise le domaine cible (C).

Ainsi, chacune de ces deux parties est constituée de différentes propriétés, elles-
mêmes formées d’un ou plusieurs éléments puisés dans la culture et l’expérience du monde de
tout un chacun. Puisque nos perceptions des diverses choses du monde sont conditionnées par
nos expériences phénoménologiques, les propriétés ne se construisent en nous que
progressivement. Ceci explique par ailleurs un autre aspect important de notre théorie : les
expériences acquises n’étant pas identiques pour tous, il est normal que l’ordre-même de
l’apparition des propriétés ne soit pas agencé partout pareillement. Car les propriétés
évoquées sont ordonnées : nous partons toujours des plus évidentes à nos yeux, pour aboutir
aux propriétés les plus cachées, celles auxquelles l’on pense le moins en évoquant le domaine
source (le perroquet). Pour nous, le terme de perroquet évoque (dans l’ordre) :

1. ses propriétés ou caractéristiques physiques. Le perroquet est un animal (c) aux


plumes de couleurs vives et (d) au bec crochu ;
2. puis nous vient à l’esprit l’idée d’un animal (g) qui vole et (f) qui rapporte des phrases
entendues.
3. Ceci dit, nous pensons ensuite que le perroquet est (j) un animal tropical, (k) vivant en
principe dans l’hémisphère sud, etc.

Le même modèle se voit appliqué au domaine cible, à savoir Pierre ; pour ce dernier,
nous obtenons :

1. Pierre est (a) un garçon, (b) de tel âge,… Tout ceci évoque donc la représentation
physique de l’individu qu’est Pierre dans ses grandes lignes
2. Pierre est une personne qui fume beaucoup et qui répète fréquemment des paroles
entendues ci-et-là.
3. Pierre est un homme (h) qui réside sous le soleil des tropiques ; là-bas, il loge (i) dans
une hutte fabriquée de ses mains.

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Par souci de clarté, représentons schématiquement ce que nous venons d’exposer :

DOMAINE SOURCE DOMAINE CIBLE

(perroquet) (Pierre)
c a
1. NON .b
d Propriétés physiques Propriétés physiques

g 2. OUI e
f Propriétés comportementales Propriétés comportementales .f

j h
3.
k Propriétés géographiques Propriétés géographiques .i

4.
Autres (…) Autres (…)

Progressivement, le locuteur parcoure chacune des propriétés cernées. Celui-ci sachant


vers où il doit se diriger Ŕ car le locuteur sait quelle intention il souhaite faire passer Ŕ, il
trouve aisément la propriété recherchée, et quel élément il doit y sélectionner pour mettre sur
pied sa métaphore. Une fois que le locuteur a repéré la propriété qui unit, selon lui, Pierre au
perroquet, il est en mesure d’énoncer la métaphore qu’il vient d’établir dans son esprit.
L’élément (f) étant commun aux deux parties, c’est à ce niveau-là que s’établit la métaphore.
Si le locuteur considère que Pierre répète toujours tout, il est inutile pour lui d’aller au-delà
de la seconde propriété. Si, au contraire, il décide d’associer Pierre et le perroquet parce
qu’ils vivent tout deux en région tropicale, la même métaphore lui demandera d’aller un peu
plus dans l’ordre des propriétés. Il faut toutefois noter la rapidité du procédé ! Par ailleurs,
cette troisième propriété étant assez loin déjà, il est peu sûr que le locuteur choisisse le
perroquet comme référent. Il sera plus simple, pour lui comme pour son interlocuteur, de
choisir un domaine source dont la similitude se produit dans l’une des premières propriétés
rencontrées. Ceci explique pourquoi certaines métaphores ne peuvent être créées ; car dans les
cas où l’inférence entre les domaines source et cible se situerait trop loin, aucune métaphore
n’est possible. Néanmoins, le contexte peut inverser l’ordre d’apparition des propriétés. Ainsi,
Pierre est un perroquet pris dans le sens de Pierre habite une région tropicale, reste possible
dans une situation déterminée. Il nous semble inutile de préciser que, s’il n’y a pas de
similitude entre les deux domaines, il ne peut y avoir de métaphore.

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Passons du côté du destinataire à présent. Lors de la formulation de la métaphore par
un locuteur, nous supposons qu’un système de « décryptage » se met en place dans l’esprit de
son récepteur. Ce système est identique à celui expliqué précédemment pour le locuteur, mais
vise cette fois à découvrir ce que la personne a voulu sous-entendre en employant cette
métaphore. Le récepteur, pour y parvenir, procède à son tour étapes par étapes (propriétés par
propriétés) et cherche à déceler « l’endroit » où s’établit le lien entre l’élément S et l’élément
C. Ainsi, lorsque le récepteur atteindra la propriété du « comportement du volatile » (2.f.), il
sera en mesure de comprendre le sens de la métaphore : Pierre est un homme qui répète tout.
En revanche, l’affaire se corse pour le récepteur si nous énonçons Pierre est un perroquet
dans le second sens que nous avons attribué à cette métaphore. Même si le récepteur connaît
fort bien Pierre et qu’il sait qu’il vit en région tropicale, il n’est pas certain que cette seconde
personne décode aisément la métaphore. Il lui faudra peut-être du temps, car il n’est pas
certain qu’il place la « propriété géographique » en troisième lieu, mais il finira quand même
par découvrir le lien qui unit les deux parties. À l’inverse, il est pour ainsi dire certain que, si
le locuteur s’adresse à quelqu’un qui ignore qui est Pierre et qu’il vit en région tropicale,
cette seconde personne ne puisse comprendre le sens donné à cet énoncé. Dans l’éventualité
où le récepteur n’aurait donc acquis la « clef de déchiffrage », la communication implicitée
par le procédé de la métaphore n’a pas lieu.

Il est néanmoins possible que le récepteur saisisse un sens erroné et attribue à la


métaphore le sens de Pierre répète tout, puisque cette métaphore est ancrée dans notre
culture. Mais ceci exige encore que le récepteur concerné partage la même culture que son
interlocuteur, à défaut de quoi il ne retiendra pas même cette signification-là. Nous soulevons
ici un point qui ressemble à ce que nous pouvons lire dans l’ouvrage de Johnson et Lakoff, à
une différence près cependant. En effet, notre conception de la métaphore nous informe de la
raison pour laquelle il existe des métaphores qui ne sont pas comprises ou qui ne peuvent pas
être interprétées, ce que n’admettent pas les deux chercheurs.

En réalité, le fait que toutes les métaphores ne soient pas comprises par des récepteurs,
n’intéressent pas tellement Johnson et Lakoff. Ils ne s’intéressent pour ainsi dire jamais à cette
personne, pourtant capitale. Car une métaphore n’a d’intérêt que s’il existe quelqu’un pour la
recevoir et la comprendre… Or, dans leur théorie, tout est toujours perçu et façonné à partir
du locuteur. Á la fin de leur ouvrage néanmoins, ils en parlent un court instant. Ils affirment

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qu’il est possible qu’un récepteur ne comprenne pas « pleinement » une métaphore, mettant
cela sur le compte de l’expérience non partagée. En effet :

« Nous ne nions pas la possibilité que la signification que quelque chose a pour moi
soit fondée sur des types d'expériences que j'ai eus et qu'un autre n'a pas eus - et que par
conséquent je ne sois pas capable de lui communiquer pleinement et adéquatement cette
signification. Mais la métaphore fournit un moyen de communiquer partiellement des
expériences non partagées, et c'est la structure naturelle de notre expérience qui rend la chose
possible. » (p.237).

Johnson et Lakoff n’avouent néanmoins jamais qu’il existe des métaphores qui ne
peuvent être comprises du tout par un individu. Ils ne parlent que de métaphores qui ne sont
« pleinement et adéquatement » comprises. Nous sommes plutôt sceptiques sur cet
entendement : comme vu plus haut, il est possible que des métaphores n’aient pas de sens
pour un récepteur parce que celui-ci n’a pas l’expérience ou la culture nécessaires. Comme
coincés, Johnson et Lakoff ne poussent pas plus loin leur réflexion à ce sujet, à notre
contraire. Aurions-nous raison de notre théorie ?

Quoiqu’il en soit, une critique pourrait nous être adressée, concernant cette fois les
métaphores in absentia Ŕ catégorie que négligent Johnson et Lakoff. Si notre théorie vient de
présenter le cas des métaphores in praesentia, c’est-à-dire celles où figurent explicitement le
comparant et le comparé, elle n’a pas encore pris en compte les métaphores qui n’ont pas de
comparé explicitement exprimé (in absentia). Ce ne sont pas des impasses, mais elles
demandent d’aller plus loin dans notre raisonnement. La solution nous est donnée grâce à la
Grammaire critique de Marc Wilmet (3ème édition, 2003), et plus précisément au passage
intitulé extension et intension (p.55). Dans cet ouvrage, Marc Wilmet écrit :

« L’extension désigne l’ensemble des objets du monde auxquels un mot est applicable et
l’intention la somme des sèmes constituant le signifié de ce mot » (p.55).

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Il opère ensuite une distinction entre « l’extension immédiate » et « l’extension
médiate »1. Cette dernière est intéressante dans le cadre de notre étude. Pour bien saisir le
concept, observons le phénomène qui se produit au travers d’un exemple simple, repris à
l’une des chansons de Jacques Dutronc : « Il est cinq heures, Paris s’éveille ». Dans la
présente, le comparant n’est autre que Paris, qui détermine le domaine cible, tandis qu’il n’y
a pas de comparé. En revanche, l’énoncé insiste sur le verbe « s’éveille », sans quoi il n’y
aurait de métaphore. Ce verbe, comme tous les verbes, est « un mot d’extension médiate »
(id., p.300). Il ne se comprend, par conséquent, qu’au travers d’intermédiaires. Nous insistons
sur le fait que ces intermédiaires peuvent être différents selon chacun : un individu peut
comprendre le verbe « s’éveille » en s’imaginant lui-même ouvrir les yeux après un somme,
tandis qu’une autre personne peut concevoir l’action en songeant à quelqu’un d’indéfini, voire
un animal.

Revenons-en à présent à l’élaboration et à la réception d’une métaphore in absentia et


voyons comment le concept d’extension médiate peut avoir du sens pour nous. L’absence de
« comparé » dans le domaine source n’empêche nullement l’intelligibilité de la métaphore
« Paris s’éveille ». En réalité, un ensemble se substitue au comparé ; puisque nous
sélectionnons un intermédiaire pour interpréter une action, c’est l’ensemble [verbe + son
extension médiate] qui constitue le domaine source. Ainsi, pour la métaphore « Paris
s’éveille », nous obtenons une représentation du type :

DOMAINE SOURCE DOMAINE CIBLE

[S’éveille + extension médiate] (Paris)

Quant au récepteur, il suit à peu près le même chemin que nous avons détaillé
préalablement pour la métaphore in praesentia, mais simplifié. Il entend dans un premier
temps la métaphore, et se doit dans un second de la déchiffrer. Il place alors le comparant en
position du domaine cible, et l’ensemble [verbe + extension médiate] du côté du domaine
source. À ce stade-ci, le récepteur n’a pas encore défini d’extension médiate pour le verbe.

1
« - Extension immédiate. L’extension de p. ex. homme = "l’ensemble des objets du monde auxquels homme est
applicable" désigne sans intermédiaire la totalité des hommes. - Extension médiate. L’extension de p. ex. rapide,
aîné ou courir = "l’ensemble des objets du monde auxquels rapide, aîné ou courir sont applicables" désigne, non
la rapidité, l’aînesse ou la course, mais la totalité des intermédiaires rapides, aînés ou qui courent. » (p.55)

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Cette dernière n’est recherchée que par la suite, lorsque les domaines source et cible sont
identifiés. Le même procédé se met en place pour toutes les métaphores in absentia, qu’il
s’agisse d’un adjectif, ou autre mot qui nécessite une extension médiate, c’est-à-dire tout sauf
les noms.

Ainsi, nous venons de voir ô combien la théorie proposée par Johnson et Lakoff était
intéressante à bien des égards, surtout au niveau du système de domaines source et cible mis
en place. Mais leur conception renferme également quelques éléments qui nuisent à
l’ingéniosité du modèle proposé. Ces insuffisances sont, pour nous, au nombre de cinq. Si
Johnson et Lakoff exaltent un tantinet l’usage de la métaphore dans la vie quotidienne, ceci ne
demeure pas la critique essentielle retenue dans ce travail. Il ne s’agit pas non plus de
l’absence d’explication envers ce qui distingue la métaphore d’un énoncé simple, dépourvu de
« figure de rhétorique ». Le sens toutefois que Johnson et Lakoff ont tenté de donner à leur
travail, pose problème. En voulant à tout prix axer leur explication sur la véracité des
métaphores, les deux chercheurs oublient d’aller au plus profond des choses. Ils se limitent à
expliquer la métaphore comme étant le résultat d’une similitude entre deux domaines
expérientiels. Dans la lignée de ceci, Johnson et Lakoff omettent encore de s’intéresser au
récepteur, l’interlocuteur représentant à leurs yeux l’unique centre d’intérêt. Ils s’intéressent
bien plus à la façon dont se crée une métaphore plutôt qu’à celle dont elle est reçue, ce avec
quoi nous ne sommes pas entièrement d’accord. Nous ne nous accordons pas non plus sur la
nature des similitudes engendrées : les domaines expérientiels de Johnson et Lakoff, laissent
place, dans notre conception, à des propriétés plus cernées, plus spécifiques. Dans la lignée de
ceci, nous avons également cherché à détailler davantage le processus mis en place chez le
récepteur, en considérant tant les métaphores in praesentia que celles in absentia. Mais que
les deux chercheurs ne nous en veulent pas, car, comme l’a écrit Nietzsche, « Ce n'est pas le
moindre charme d'une théorie que d'être réfutable »...

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Bibliographie

Ouvrages et articles

JACKENDOFF, R., AARON, D., « Review of Lakoff and Turner, More than cool reason : a field
guide to poetic metaphor », dans : Language, vol.67, t.2, Washington, Linguistic
Society of America, 1991, pp.320-338.

KISSINE, M., « Les emplois figurés des verbes illocutoires : exprimer la causalité et la
nécessité » dans : Revue Romane, vol.39, t.2, Copenhague, Institut d'études romanes de
l'Université de Copenhague, 2004, pp.214-238.

LAKOFF, G., JOHNSON, M., Les métaphores dans la vie quotidienne, trad. de l’américain par
M. de Fornel, Paris, Minuit, 1985, 254 p.

WILMET, M., Grammaire critique du français, 3ème édition, Bruxelles, Duculot, 2003, pp.55-
56, 300.

Sites internet

Fabula, DETIENNE C., La métaphore : produit, processus et producteur,


(http://www.fabula.org), 08.05.2007.

La métaphore en question, DETIENNE C., (http://www.info-metaphore.com/index.html),


08.05.2007.

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