Les gardiens sont étrangers à tout intérêt personnel, n’ayant pas de possessions
puisqu'ils reçoivent de ceux qui travaillent et qu’ils défendent une subsistance
limitée au strict minimum, ni de famille (ils ne connaissent pas leurs enfants); ils
ont été formés à l’amour de ce qui est noble et à une noble compétition par le
sport, la musique, par l’étude des mathématiques. Cette division des classes
opérée par Platon trouve son fondement dans le fait qu'il y a en l'âme trois
facultés principales : la raison (logos), le courage (thumos) et l'appétit sensuel
(lequel permet de satisfaire les besoins élémentaires: nutrition, conservation,
reproduction). D'où la tripartition de la cité entre gardiens (philosophes),
guerriers et artisans ou négociants. Nous avons vu que la vertu des gardiens-
philosophes était la sagesse, la vertu des guerriers est le courage. Platon donne
deux autres vertus cardinales : la tempérance, qui est une vertu commune à
tous, les membres de la cité acceptant volontairement leur soumission aux
meilleurs; et la justice, qui consiste pour chaque classe à remplir sa tâche. La
justice règne lorsque les trois ordres remplissent leur fonction sans empiéter sur
celle des autres, le but visé étant "que la cité entière soit heureuse" (Rép. 420b).
Platon lui-même n’a pas cru qu’un tel État soit réalisable; il était même convaincu
que, si par miracle il devait naître quelque part, il dégénérerait nécessairement
comme tout ce qui est du monde d’ici-bas et qu’il le ferait par l’introduction de la
famille, de la propriété, des éléments qu’on appelle socio-économiques. Il était
en effet peu probable, aux yeux de Platon, que le peuple fasse jamais appel au
philosophe pour le gouverner. Avec les affirmation de Platon selon lesquelles "nul
n'est méchant volontairement" et que "Dieu n'est pas la cause du mal" se posent
la question de la possibilité du mal (c'est en particulier dans les livres IV et V de
La République que la question du mal est abordée). Platon établit un parallèle
entre l'âme et la cité, pour éradiquer le mal il faut connaître et respecter la
justice qui n'est autre que l'équilibre et le respect de la hiérarchie entre les
diverses fonctions de l'âme : l'intelligence, le cœur et les instincts (nous
retrouvons notre tripartition des classes). Le mythe de l'attelage ailé est
représentatif: l'âme est un char guidé par un aurige commandant à deux
chevaux, l'un docile et obéissant, l'autre rétif mais plein de fougue. Cette énergie
passionnelle n'est pas la cause du mal, elle ne l'est que si elle s'affranchit du
contrôle de l'aurige rationnel. Le procès inique de Socrate et l'expérience
décevante de Platon auprès du tyran de Syracuse confirme notre philosophe
dans l'idée que les hommes, enchaînés par les passions et l'ignorance,
n'organiseront certainement jamais le monde selon les principes lumineux de la
vérité et du bien. La servitude des hommes est ainsi leur propre fait, elle est
l'expression de leur désolante soumission au corps. Telle est la raison de tous les
maux, de toutes les injustices, et la source du malheur de chacun.
Conclusion Le plus grand reproche adressé par la postérité à Platon n'est pas
d'avoir inventé une utopie, c'est d'avoir conçu un régime qui, pour se réaliser,
devait faire violence aux hommes et aux sociétés existantes conduisant ainsi à la
tyrannie. On sait bien que la mise en commun des biens mais aussi des femmes
et des enfants, nul enfant ne connaissant son véritable père, proposée par Platon
fut vivement critiquée. Les mille détails de réglementations et de codifications
proposés dans La République ou dans Les Lois on fait voir la cité platonicienne
comme le modèle d'un embrigadement totalitaire. Il faut rendre justice à Platon
en soulignant que c'est l'idéal d'une Cité parfaite, fondée sur la vertu, la sagesse
et le bonheur, qu'il pense, et non une idéologie politique qu'il s'agirait de réaliser
au prix du sang.