18/04/00
Le grand arrêt est en voie de disparition : les journaux en parle avant que les tribunaux
les rendent. La grandeur de l’arrêt en est atténuée.
Thème technique.
Grandeur : difficile à caractériser car repose sur de bonnes raisons ou de mauvaises raisons.
Bonnes raisons : justice de Salomon (jurisprudence perspicace). Un grand arrêt permet d
dévoiler, de découvrir la vérité.
Mais la grandeur d’un arrêt peut reposer sur de mauvaises raisons comme une erreur
judiciaire (condamnation de Dreyfus par exemple ou Callas). Il peut être un revirement
jurisprudentiel aberrant, dramatique.
Les raisons de la grandeur ont varié au fil du temps. Chaque période semble user d’un
argument original pour défendre un grand arrêt (politique, social, économique). Dans cette
évolution constante, il est difficile de trouver le critère historique et juridique capable de
déterminer deux parties distinctes dans l’histoire.
Ces trois indices n’ont pas tous, au regard de l’histoire, un même valeur : les recueils
d’arrêt sont bien antérieurs au 19ème. La suspension du référé législatif qui pose la question des
rapports entre le judiciaire et le législatif semble aussi un critère ancien ne serait-ce qu’à cause
de l’arrêt de règlement. La motivation qui est le dernier critère semble résistant, le meilleur
pour la démarcation dans l’évolution historique du grand arrêt.
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A. De l’arrêt notable à la cause célèbre
Les archives du Parlement restent pratiquement à l’usage exclusif du parlement
(avocats, parties et même les officiers du Roi n’y ont pas accès sans autorisation). Cette
connaissance limitée de l’usage des cours est justifiée par différents motifs :
1. il ne faut pas laisser au justiciable la possibilité de discuter les arrêts.
2. il ne faut pas révéler les secrets de la Cour et surtout, les juges n’étant pas contraints
de motiver leur décision, il n’est pas jugé utile de dévoiler ses archives.
Aux 14ème et 15ème siècle, certains praticiens rédigent des ouvrages pour connaître les réaction
de ceux qui jugent au nom du roi. Des coutumiers privés, des styles de Cour sont composés.
Ces styles de procédure tendent à regrouper des arrêts notables c’est-à-dire des arrêts
caractéristiques des différents genres de procès jugés en Parlement.
Guillaume Du Breuil, avocat au Parlement, reprend dans son style de procédure les arrêts
notables entre 1323 et 1329. Son ouvrage ne porte pas encore d’intérêt au précédent. Il ne
cherche même pas à dégager un précédent. Il présente plutôt la règle défendue de l’arrêt et la
rapporte de manière abstraite. Les références restent imprécises : il n’y a jamais mention des
noms et de la date.
La pratique aboutit pourtant au Recueil des Arrétistes. Un des premiers Arrétiste : le praticien
anonyme a, au 14ème, noté pour les arrêts qu’il reproduisaient les noms des parties, la date, les
arguments des avocats et enfin la décision (c’était la première fois)
Ce praticien anonyme (étudiant ?) ajoute souvent des remarques personnelles. Ce praticien
reste méconnu. Le plus connu s’appelle Jean Lecoq.
Jean Lecoq est avocat au Parlement. Il prend des notes sur les arrêts et les présente en
résumant le pour et le contre (méthode dialectique). Il donne la solution de l’arrêt avec pour
chacun une note où il essaie de rechercher les motifs qui ont pu fonder la décision.
Dans sa présentation, il sacrifie souvent l’accessoire et modifie aussi parfois la portée
de l’arrêt qu’il rapporte. Il va même jusqu’à modifier le problème de droit.
Son apport cependant : d’avoir dégagé le casus, le cas susceptible de faire date et
d’impressionner d’autres décisions (pas encore de définition de Jurisprudence). Cette
impression reste relative pour l’époque. Le Parlement est une cour souveraine et sa décision
ne saurait être influencée même par des moyens précédents.
Au 14èm siècle, et pour cette raison, l’invocation devant la cour d’un arrêt notable est
toujours aléatoire. Il arrive cependant qu’un tel arrêt soit invoqué devant la chambre
criminelle par le procureur de roi ou par l’avocat du prévenu. Généralement, le plaideur qui
ose évoquer un grand arrêt ne s’appuie que sur un seul arrêt et le plaideur précise la matière
de l’arrêt pour bien montrer son adéquation avec le cas d’espèce.
Pour être reconnu avec succès, le précédent invoqué doit présenter une identité de
droit. (pas d’identité des faits). A des conditions strictes, le précédent invoqué alors peut
devenir une cause célèbre.
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Le soin apporté à la transcription de certains arrêts prouve que l’intérêt de ces arrêts dépasse
la simple satisfaction culturelle. Sur ce modèle et animé du même intérêt, des particuliers vont
compiler également les arrêts. Ces œuvres sont importantes pour les praticiens, la coutume et
la jurisprudence.
La coutume qui fonde le droit est toujours délicate à prouver devant les tribunaux d’où
l’intérêt de se pencher sur les précédents de jurisprudence qui tendent eux même à se
constituer en coutume judiciaire. Ce rapport entre la coutume et la Jurisprudence apparaît de
plus en plus nettement au 15ème.
Il revêt un caractère spectaculaire qui n’est pas réservé aux spécialistes du Roi. Aux 17
et 18ème, des recueils de cause célèbre sont composés, non par des praticiens mais par le grand
public. Les jugements retenus sont ceux de célèbres controverses du barreau. Ainsi, Gayot De
Pitaval va publier en 1738 une importante collection de causes célèbres. Il veut faire « goûter
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le vrai et le merveilleux ». Aussi, l’affaire de Martin Guer : curiosité qui est racontée et attire
les foules.
Pour les professionnels du droit, les recueils commencent à réunir et diffuser des arrêts
de principe.
Aux 17 et 18ème, les juristes tendent, en dépit des secrets des cours, de diffuser par
tradition orale les arrêts.
Les arrêts de principe qui commencent à être expliqués influencent l’idée de
Jurisprudence. Le dictionnaire de droit que l’on doit à Ferrière donne enfin trois sens au terme
Jurisprudence :
- le sens romain : la science des prudents, la science du droit.
- L’usage d’une juridiction notamment en matière procédurale
- « la Jurisprudence des arrêts est l’induction que l’on tire de plusieurs arrêts qui ont
jugé une question de la même manière dans la même espèce » : c’est la première
définition au sens moderne.
Cette conception s’impose par la continuité, la répétition. En 1764, Dénisart va, dans sa
collection de décisions nouvelles, préciser encore cette notion de Jurisprudence : un arrêt
solitaire ne forme qu’un préjugé. Mais, même si plusieurs arrêts ont jugé la même question de
la même manière, cela forme un usage et une Jurisprudence dont les juges ne doivent pas
s’écarter sans de grandes raisons surtout quand il y a une suite d’arrêts uniformes sans
contraire.
Les lois du 16 et 24 août 1790 (titre V article 15) pose les règles de rédaction des jugements.
A peine de nullité, elle prévoit tant en première instance qu’en appel : quatre parties distinctes
dans la décision :
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1. énoncé des qualités et des noms des parties
2. les questions de fait et de droit posées avec précision
3. la présentation du résultat des faits reconnus ou constatés par l’instruction et les motifs
qui déterminent la décision.
4. le dispositif
Pour la loi, la Jurisprudence n’est investie d’aucune compétente, aucune fonction légale pour
créer une nouvelle norme.
C’est sans doute là que réside le grand arrêt : c’est celui capable d’opérer la
conjonction du pouvoir nominatif du juge et celui de l’assentiment social d’un lieu et d’un
temps donné.