Introduction
Nés dans les années 1950, les jeux vidéo n’ont cessés de se développer, suivant en cela
complexité et de réalisme qui rendent parfois difficile la différence entre des images
provenant d’un jeu vidéo et des images provenant d’autres sources. Ils ont ouvert un large
espace dans lequel le cinéma et la littérature communiquent librement. Non seulement, les
mais on voit aujourd’hui des héros de jeux vidéos être transposés dans des films, des bandes
dessinées ou des romans. Plus troublant, des joueurs peuvent même voir le personnage qu’ils
incarnent dans un jeu vidéo être transposés dans un jeu de carte. 2. Ils ont quitté leur territoire
d’origine, la console de jeu, pour coloniser les ordinateurs personnels. Puis les dispositifs de
jeu ont intégré leur propre écran et se sont faits portables. Enfin, ils ont investit la téléphonie
mobile, ouvrant de nouveaux espaces de jeu en profitant des ponts que la téléphonie offre vers
l’Internet. Les jeux vidéos ne sont plus un espace de contre culture. Ils ont su rester fidèle à
leur public de départ – les adolescents – et conquérir d’autres publics : les filles, les parents, et
Les jeux vidéo restent cependant très prisés de leur public de départ. Les adolescents y
trouvent des espaces dans lesquels les enjeux de l’adolescence peuvent être joués et rejoués.
1 Aucun travail ne s’effectue dans la solitude. Celui-ci est redevable à Serge Tisseron,
René Kaës et Anne Brun qui, chacun à leur manière m’ont soutenu et aidé a penser les
médiations numériques.
2 C’est le cas de Ben Schultz qui a vu le paladin qu’il joue dans World of Warcraft, Leroy
Jenkins, apparaitre dans le jeu de carte éponyme.
La génitalité, la différence des sexes et des générations, les transformations concernant le
corps et l’identité, la relation avec soi et avec l’environnement, les angoisses œdipiennes et
archaïques s’y trouvent non seulement représentées mais offrent aussi des possibilités de
symbolisation3.
Le goût des enfants et des adolescents pour les jeux vidéo ont amenés quelques
Précurseurs
En France, François Lespinasse et José Perez ont sans doute été les premiers a proposer à des
enfants de jouer avec un jeu vidéo dans le cadre d’un atelier psychothérapeutique 4. Dans le
dispositif proposé, trois ou quatre enfants font face à un téléviseur sur lequel est branchée une
console de jeu. Chaque enfant joue seul, et le tour de jeu dure aussi longtemps que l'enfant a
de vies. Le jeu utilisé était Super Mario 2 puis Super Mario 3. Pour François Lespinasse, un
l’enfant passe du statut d’actant a celui de spectateur. En ce sens il est un bon soutien du
développement coginitif de l’enfant. Il permet également de travailler sur le récit proposé par
le jeu vidéo avec ce que cela signifie comme références culturelles, mythes ou valeurs. Il
serait intéressant de prolonger les intuitions premières de François Lespinasse et Jose Perez en
5
s’appuyant sur le travail de médiation réalisé par Serge Boimare auprès d’enfant en butte
avec les apprentissages. Serge Boimare a montré comment, pour certains enfants, la difficulté
a apprendre en est lien avec des angoisses profondes . Le mythe, justement parce qu’il
3 Bien évidement, ces figurations et ces symbolisations possibles ne concernent pas que
les adolescents.
5 Boimare, Serge. 2004. L'enfant et la peur d'apprendre. 2 éd. Dunod, Mars 2004
ordonne des angoisses dans lesquelle tout être humain se reconnait, permet la mise en ordre
Michael Stora a construit un autre cadre autour du jeu vidéo : un groupe d’enfant joue avec un
jeu vidéo pendant une heure après une demi-heure de psychothérapie de groupe 6 Il a choisi de
proposer plusieurs types de jeu, partant d’Ico, qui est un jeu avec une trame narrative riche
aux Sims en passant par Halo. « Ico » prédispose des situations hautement symboligènes qui
appropriée sont les principales tâches du joueur. « Les Sim’s : Vivre sa vie » permet de jouer
différents membres d’une famille, en gérant aussi bien leurs besoins que leurs désirs. Le
10
Au Canada, le laboratoire de cyberpsychologie de l'université du Québec a utilisé des
environnements numériques pour traiter des troubles aussi divers que de la phobie des
transports, des petits animaux ou encore des troubles alimentaires. Les dispositifs utilisés vont
11
de la réalité virtuelle comme la voute immersive Psyché à l’utilisation de jeux vidéo. Citons
6 Stora M. de Dinechin B.. “Guérir par le virtuel : Une nouvelle approche thérapeutique.
Presses de la renaissance, 2005 p. 145
8 First Person Shooter : jeu de tir en première personne. La catégorisation des différents
types de jeu vidéos fait l’objet de débats parmi les joueurs. Un état de la taxinomie est
accessible sur Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Type_de_jeu_vid%C3%A9o
10 http://w3.uqo.ca/cyberpsy/fr/index_fr.htm.
11 http://w3.uqo.ca/cyberpsy/fr/psyche_fr.htm
encore les laboratoires de recherche Microsoft qui se sont associés a des psychologues pour
mettre au point KidTalk (2002), un bavardoir dont le design est pensé pour les enfants
autistes
quel point les jeux vidéo étaient un point d’entrée dans la vie inconsciente. Anne Brun a
12
remarquablement montré comment les enfants peuvent se servir d’images de jeux vidéo
pour colmater des vides représentatifs ou pour tenter d’élaborer des angoisses archaïques.
Pour les enfants dont la difficulté était précisément de pouvoir entrer en relation, l’évocation
des jeux vidéo était un moyen terme acceptable. Du coté du psychothérapeute, les jeux
préférés de l’enfant, les personnes qui l’ont initié, celles avec qui il joue, les conflits soulevés
par cette activité sont autant d’éléments d’appréciations précieux pour se faire une idée du
une invite à construire avec l’enfant un objet de relation c'est-à-dire un de ces objets qui
1988). Les échos que suscitent les jeux vidéo chez le psychothérapeute et le patient permettent
Cependant, pour quelques enfants, même cette séduction ne parvient pas à créer la distance
nécessaire avec laquelle il vont pouvoir investir la rencontre en toute sécurité. Il s’agit
d’enfants qui restent inhibés, et que rien ne semble pouvoir réchauffer suffisamment pour les
Avoir un objet aussi attracteur que le jeu vidéo ne suffit pas pour en faire quelque chose de
thérapeutique. Il faut que s’y adjoigne la parole adressé à un autre pour que des effets de
disposer d’un certain nombre d’éléments, et de les disposer dans un certain ordre. En un mot,
il est nécessaire de se doter d’un « appareil de travail » (Kaës, 2006) qui stimule et accueille le
travail de pensée. Cet appareil de travail sera non seulement un contenant pour les processus
Pour qu’un dispositif soit psychothérapeutique, il faut un objet qui puisse être « matière à
symbolisation », que cet objet puisse faire tenir ensemble les positions transféro-contre-
tranférentielles des uns et des autres et enfin que la place et la fonction des thérapeutes soient
Le dispositif que j’ai imaginé s’inspire de dispositifs existants : la technique des territoires, le
Dans le groupe des territoires (Privat et Quélin-Souligoux, 2000), chaque enfant a le même
matériel que tous les autres mais différencié par sa couleur. Chaque enfant a aussi en propre
son territoire matérialisé par une frontière. Il est indiqué à la fois pour des enfants inhibés et
pour des enfants dont la mise en groupe suscite une trop grande excitation. Dans le jeu vidéo,
les territoires sont manifestés par la possession par chaque enfant de sa « carte mémoire ».
Chaque enfant est donc libre de continuer le jeu du groupe, ou de jouer le sien. Il a un espace
en propre dont il peut gérer le contenu (les sauvegardes) en fonction de la dynamique
jeu et de temps de parole : au temps de jeu vidéo succède un temps de parole. Par ailleurs,
pendant le jeu de l’enfant, ce qui se passe à l’écran est verbalisé, un peu comme lorsque
psychodramatiste « double » un protagoniste. Enfin, le jeu peut être mis en pause pour
comprendre avec un enfant et le groupe ce qui se passe dans le jeu ou souligner un moment
En psychanalyse, le travail de médiation avec objets commence lorsque Melanie Klein met à
la disposition des enfants qu’elle reçoit des jouets pour les aider a exprimer leurs fantasmes
inconscients. Cependant, la capacité que nous avons à dialoguer avec l’environnement non-
humain (Searles, 1986) est bien plus ancienne. Comme l’a montré Serge Tisseron (1999), cet
environnement non-humain est profondément intégré à notre travail psychique. Qu’ils soient
transmis, donnés, détruits, manipulés ou évités, les objets nous donnent à penser ; ils sont une
exigence de symbolisation. Objets métis, les jeux vidéos mêlent des objets concrets (les
manettes, l’écran, la souris, le claviers) et des objets subtils (les images, l’interface, le son), le
Le jeu vidéo proposé, Ico, prédispose des éléments intéressants à travailler. Ico est un jeune
garçon abandonné par les siens dans le sarcophage d’une forteresse. Il en réchappe et
rencontre Yorda, une jeune fille dans une robe diaphane. Yorda et Ico ne parlent pas le même
langage, mais se complètent. Ico peut prendre la jeune fille par la main, ou l’appeler. Il la
défend des monstres qui l’attaquent et la jeune fille lui ouvre des portes. Les deux enfants
explorent château à la recherche de la sortie. Ils doivent combattre des monstres, mais aussi
résoudre des énigmes, comprendre l’organisation des lieux, et déterminer les chemins à
emprunter.
Le groupe se réunit une fois par semaine. Il est observé par Sandra Solinhac, stagiaire
psychologue 13. Dans la conduite du groupe, je me suis attaché à suivre à la fois les processus
groupaux et la façon dont chaque enfant s’interface avec le jeu vidéo : quels sont les
processus qui empêchent que le jeu se poursuive ? Qu’est ce qui est mis en mémoire ?
Effacé ? Quels sont les points d’identification ? L’enfant construit il une narration ? Joue-t-il ?
Est-il en compétition avec d’autres ? Ou s’enivre-t-il dans des répétitions ? Que fait-il de ses
Ludopaysage
de la culture et l’espace interne de chacun 15. Le jeu vidéo mêle en effet trois espaces : celui de
l’ici et maintenant du jeu proprement dit, l’espace psychique du joueur, et l’espace de jeu qui
comprend à la fois les périphériques de jeu (manettes, joystick, clavier) et l’interface de jeu.
L'expérience vidéo-ludique articule ces trois espaces en les nouant à un quatrième, la culture,
qui sert de méta-cadre. Jouer a un jeu vidéo, c’est aussi jouer avec des valeurs, des idéaux, des
13 Ce travail n’aurait pas cette forme sans ses prises de note. Je tiens à l’en remercier
15 Leroux Y., Le jeu vidéo, un ludopaysage, Enfances & PSY 2008/1, N° 38, p. 129- 136.
16 Au-delà du jeu vidéo, une métapsychologie numérique reste à construire. Elle pourrait
s’appuyer sur ce que nous connaissons du travail du dessin et du travail du rêve pour
dégager ce qui est commun : les processus métaphorico-métonymiques ; et ce qui est
spécifique au travail du jeu vidéo : créer/détruire, faire/défaire ; envoyer/recevoir ;
sauvegarder/charger.
Ce ludopaysage offre une profondeur de champ plus ou moins grande en fonction des
interactions entre ce que le jeu vidéo propose et le travail psychique suscité chez le joueur en
réponse aux angoisses suscités dans le jeu vidéo et aux nécessaires symbolisations pour que
les images prennent forme et sens. Par exemple, une trop grande angoisse fera sortir du jeu
tandis qu’une familiarité trop faible avec l’interface ou les périphériques (manettes, clavier)
Jouer avec un jeu vidéo nécessite d’articuler et d’accorder ces différents cadres, de les habiter
sans se laisser habiter par eux, de créer et de maintenir les conditions pour s’y laisser prendre,
mais aussi à veiller que le dessaisissement soit possible. Ce travail est différent de celui que
l’on trouve dans le rêve ou dans le dessin, deux productions qui sont internes à l’individu. Le
jeu vidéo est un objet externe qui doit être psychisé dans une mise en tension entre perception
Julien consulte au CMPP du fait de ses difficultés scolaires. Celles-ci sont anciennes : il est de
ces enfants dont la fréquentation avec l’école n’est faite que de conflits et de déplaisir depuis
conduit au CMPP, ne s’explique pas ses difficultés scolaires, ne sait pas ce qu’il souhaite
faire. Lentement mais surement, les questions amènent des « je ne sais pas » de plus en plus
nombreux et les espaces qui pourraient servir de base à un échange se réduisent comme une
peau de chagrin. Les silences se font de plus en plus long. Ils n’ont pas une tonalité agressive
et témoignent plutôt des difficultés à associer de l’enfant. Julien est en panne : panne d’idées,
panne d’affects. Le groupe jeu vidéo lui est proposé et il en accepte le principe. J’en donne ici
faire que de tourner en rond dans la grande salle de départ. Après un coup d’œil à
l’observatrice, il dit que sa petite sœur a cassé sa Playstation. Il est très inhibé. Le jeu qu’il
donne à voir à une coloration scolaire. Visiblement, il tente de faire bonne impression et
s’applique. Mais, dans le jeu, il n’arrive pas à se donner de but « je ne sais pas ou aller »
dira-t-il
A la seconde séance, il se précipite vers un levier, l’actionne, et sort par la porte qui vient de
s’ouvrir en contrebas. La rapidité et la sureté avec laquelle il exécute la série des mouvements
contraste avec le désœuvrement avec lequel il tournait en rond une semaine plus tôt. Il a cœur
de mettre en jeu un peu d’agressivité : « je devine des monstres » dit-il. Mais, faute d’aller
A la huitième séance, Julien a découvert Yorda et comment la libérer. Il a aussi découvert les
monstres qu’il attendait et comment les combattre. Vis-à-vis de Yorda, il a deux attitudes
contrastées. D’un coté, il ne la lâche pas et lui tient constamment la main . Il fait remarquer
qu’il ne veut pas s’éloigner d’elle parce que « ça peut être dangereux » De l’autre, c’est
précisément au moment ou le danger est le plus grand qu’il la lâche et se précipite a l’autre
A la neuvième séance, Julien est maintenant totalement à l’aise avec l’interface de jeu. Il a
appris à diriger son regard où il le souhaite, sait déplacer des objets ou les lancer loin devant
lui. Il se pose des questions sur les pouvoirs de Yorda : peut être a-t-elle du fer pour pouvoir
ouvrir les portes en fer ? Mais pourquoi est-elle blanche ? Il commence à imaginer qu’avant
d’avoir cette apparence, elle était noire comme les monstres qui les assaillent sans relâche.
A la onzieme séance, il entre dans la cage où était enfermée Yorda et la laisse aux prises avec
les monstres. Dans les deux cas, il s’agit d’actes manqués : devant l’urgence de la situation –
il faut sauver Yorda ! – il s’affole prend la seule décision sensée : il s’éloigne du danger… en
Le fait de ne savoir comment sauvegarder la partie lui pèse de plus en plus car il est obligé de
recommencer semaine après semaine la même partie. Du fait de ses difficultés en lecture, il ne
s’est pas intéressé au manuel de jeu dans lequel la manipulation est décrite. Il fait remarquer
que d’une façon générale, il n’arrive pas a sauvegarder les jeux auxquels il joue et qu’il
n’arrive donc pas à les finir et associe avec le fait qu’en classe il ne retient jamais rien non
plus.
A la seizieme séance, il tente de se passer de Yorda en tentant d’ouvrir les portes lui-même :
« Moi, dit-il, je ne voudrais pas la fille, ça irait plus vite ». Il associe sur son petit frère et sa
petite sœur dont il doit parfois s’occuper lorsque les parents ne sont pas là et sur la difficulté
ouvertures : peut-être y a-t-il là un passage secret ?. A partir de là, l’agressivité envers Yorda
sera de plus en plus franche. Il tente de s’en débarrasser en la poussant du haut d’un pont, ou
A la dix neuvieme séance, il cherche dans le jeu des points hauts pour sauter et tuer Ico.
Lorsque la hauteur n’est pas suffisante, il est désolé, mais est réjouit des cris des douleur que
aurait laissé la fille, elle aurait attendu, puis elle serait arrivée juste pour le voir sauter » Après
une pause, il livre une variante : le pont s’écroulerait sous les pas de Yorda, il s’agripperait à
A la vingtième séance, il découvre que l’on peut non seulement déplacer des jarres mais aussi
les casser. Il y passe beaucoup de temps. Le commentaire qu’il fait après le jeu montre le lien
inconscient qu’il fait entre Yorda et les jarres : « je n’ai pas réussi à me débarrasser de la
fille… je vais essayer la prochaine fois de la prendre dans les bras et de la jeter ». « Faire sans
la fille » est devenu leitmotiv : il faudrait qu’il la laisse dans la cage où il la trouve et qu’il se
cherche la même épée avec laquelle l’homme ouvre la porte du château dans la scène
d’introduction.
tourbillon, Julien trouve un accrochage possible au levier. Celui-ci avait été repéré
précédemment, mais ce n’est qu’après coup que Julien semble en comprendre la signification
et peut l’utiliser. On retrouve ici le travail décrit par Guy Lavalée à propos de ce qu’il a appelé
« la boucle contenante et subjectivante de la vision »17. Le stimulus ne fait pas signe, ou plus
exactement, il ne fait pas signe suffisamment : à plusieurs reprises, Julien se campe devant le
levier, puis reprend ses courses en cercle. Cela donne une mesure du travail d’inhibition qui
empêche la mise en sens du stimulus à la suite de son impact sur les représentations
inconscientes
Ce moment ne durera pas plus d’une séance. A la reprise, le tourbillon a pris une autre forme.
Les cercles se sont élargis à la dimension des salles : Julien court en suivant les murs. J’y ai
vu sur le moment une nécessité de soutien, un équivalent en jeu de l’appuis-dos relevé par
Geneviève Haag et ce d’autant plus que Ico est riche en précipices et vides de toutes sortes.
J’y vois maintenant aussi une façon de construire un espace contenant en en soulignant les
Yorda passe par plusieurs étapes. Elle qui est si diaphane dans le jeu prend peu à peu de
l’épaisseur pour Julien. Il commence à lui prêter des propriétés – elle doit être de fer pour
ouvrir des portes de fer. Il est d’abord focalisé sur le danger que la distance peut signifier pour
elle et pour lui : si Yorda disparait dans les puits d’un noir d’encre que les ombres ouvrent, la
partie est terminée. Vis-à-vis d’elle, il a des attitudes contrastées, mais pas encore
ambivalentes. Tantôt il l’abandonne au cœur du danger – et il associe alors sur le fait que par
le passé sa mère lui avait parlé de voleurs d’enfants. Il se souvient alors de l’anxiété avec
laquelle il allait seul acheter du pain. Tantôt il ne peut la quitter – il l’associe alors a ses
puinés qu’il doit garder lorsque ses parents sortent et sur la difficulté qu’il a à les contenir.
Dans le premier mouvement, il est comme une mère abandonnante et maltraitante à tandis que
Petit à petit, une autre position, plus en rapport avec la castration qu’avec l’abandon et la
séparation, émerge. Elle est portée par un mouvement de déni de sa propre impuissance à
ouvrir les portes : il voudrait avancer dans le jeu et se passer d’elle. Elle devient de plus en
plus un support pour exprimer son agressivité. Il commence à imaginer des moyens de se
défaire d’elle, voire même de la tuer en la précipitant dans le vide. Un scénario fantasmatique
commence à s’élaborer avec une bonne dramatisation : elle arriverait juste pour le voir sauter
dans le vide ou bien ils tomberaient tous les deux dans le vide. Puis, l’agressivité se trouve un
autre objet dans l’espace thérapeutique : Ico, c’est le psychothérapeute, et jouer a le faire
Il y a toujours quelque chose de décevant à évoquer une psychothérapie. Ce que l’on a perçu
comme moment important, saillant, comme ce qui témoigne d’un changement apparaît trop
souvent comme plat lorsque l’on en rend compte. Je ne doute pas que ces quelques moments
extraits d’un groupe thérapeutique utilisant la médiation d’un jeu vidéo n’échappe pas à cette
difficulté. J’espère qu’ils permettent cependant d’approcher le fait que le jeu vidéo peut être
Pour les enfants ou les adolescents dont l’entrée dans le processus thérapeutique semble
hypothéquée du fait d’une trop grande inhibition – jouer, avec des mots ou avec des objets,
avec le psychothérapeute est évité parce que trop excitant ou trop régressif –le jeu vidéo ouvre
un autre espace ou ces mouvements peuvent être travaillés. Ce n’est pas d’emblée un espace
transitionnel : certains enfants doivent apprendre à jouer, même avec un jeu vidéo. Julien en
donne un bref exemple puisque pendant une séance il en revient à un mode de sensorialité très
son art pour réduire des clivages, relancer la circulation fantasmatique, atténuer des
angoisses…
Le jeu vidéo est un objet de culture qui se prête particulièrement bien à la médiation auprès
d’adolescents car les thèmes qu’il véhicule sont proches de ceux auxquels l’adolescent est
confronté. Les jeux vidéo sont organisés autour d’un imaginaire fait de fantasmes
angoisses de chute de sans fin qui sont bien loin des gratifications œdipiennes après lesquelles
il semble courir. Le fait même de devoir contrôler un personnage à l’écran met le joueur au
contact des mécanismes d’identification projective.
En somme, le jeu vidéo peut être pris comme un prétexte : prétexte à la rencontre, il est alors
objet de relation avec ses aspects paradoxaux. Il préexiste à une rencontre, « déjà-là »,
« trouvé-créé » dont il est également un effet. Il est aussi pré-texte à la narration et au travail
Yann Leroux
06 68 26 74 79
yann.leroux@laposte.net
2 Avenue de la Libération
Résumé :
Depuis maintenant une vingtaine d’années, les jeux vidéo se sont profondément installés dans
notre culture. Les adolescents y trouvent des espaces dans lesquels les enjeux de
l’adolescence peuvent être joués et rejoués. Des psychothérapeutes ont commencé à les
d'un dispositif de soin : le groupe thérapeutique jeu vidéo. Celui-ci est pensé comme un
appareil de travail permettant de stimuler et d'accueillir les affects et les pensées. Ce type de
de ludopaysage rend compte d'une partie du travail psychique qu'appelle le jeu vidéo. Le cas
Mots-clé :
Leroux Y., Le jeu vidéo, un ludopaysage, in Enfances & PSY 2008/1, N° 38, p.
129- 136, 2007
Stora M., de Dinechin B., Guérir par le virtuel : Une nouvelle approche
thérapeutique, Paris, Presses de la renaissance, 2005
Tisseron S., Comment l'esprit vient aux objets, Paris, Editions Aubier Montaigne,
1999