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Septembre 2008

Remarque sur le culturel international festivalier


Michel Deguy

Pour être financée (ils disent « sponsorisée »), autrement dit « visible » par existence sociale, une
manifestation culturelle, ou, disons, le culturel en général, doit être international.

Dans le cas de la poésie, les conditions de sa mise en festival international, c’est-à-dire de sa survie
objective (pense-t-on), la rendent précisément insignifiante ; ce qui veut dire : et sans importance
réelle par rapport à tout autre événement culturel, et en mauvaise contradiction (disons « non-
dialectique », pour nous faire comprendre rapidement) avec son essence, ou ce qu’est encore la
poésie.

Je reviens d’Istanbul pour vous le raconter, et commencer de réfléchir à la possibilité de modifier


cet état de choses. Mais d’abord cette précaution – inutile, comme dit la Comédie, parce que
j’aurais beau la prendre, ce qu’elle vise à conjurer ne le sera pas : je ne veux évidemment rien dire
« contre Istanbul », formidable cité, dont l’hospitalité fut magnifique. La question n’est pas là. Pas
davantage ce que je rapporte avec telle ou telle anecdote n’est à imputer à « mon » humeur, de
vanité déçue par exemple (vates irritabile genus…). Il n’en est rien ; l’affaire est beaucoup plus
grave. Au reste je ne dirai aucun nom, car il ne s’agit pas de cela.

Le nous de ces lignes est celui des invités à « lire » deux ou trois de leurs poèmes dans leur langue,
qui viennent de vingt pays (avec « les mots de la tribu »), en des sites choisis, eux-mêmes
« culturellement » fameux, dans une convivialité festive touristique telle que l’ennui – celui qui
pourrait naître d’une longue audition attentive qui profiterait de présentations et de commentaires…
– y est précisément ce qu’on redoute et qu’il s’agit d’éviter en supprimant le nécessaire.

Tandis que la musique, elle, peut prendre tout son temps et tout le temps, puisqu’elle a la vertu
d’être entendue « immédiatement » de tous.

Si je prends prétexte de cette « rencontre poétique » 2008, c’est parce que les conditions en furent si
exactement culturelles qu’il fut patent (ou aurait dû l’être à beaucoup) qu’une limite de « contre-
finalité »[1] était atteinte – et dépassée.

C’est l’occasion de reposer la question de fond en priant les « collègues » d’y prêter attention, pour
objections et réponses.

Il arriva par exemple qu’en une séance dix lectures allophones furent exécutées en quarante
minutes… Il arriva qu’un poète, qui avait envoyé ses deux poèmes trois ou quatre semaines à
l’avance pour leur traduction (sans qu’on eût prévu le moindre échange intellectuel entre l’auteur et
son traducteur…), et comme les pages confiées par celui-là comportaient un verso, découvrit au
moment de la lecture que les pages en question n’avaient été examinées qu’au recto, faute d’avoir
été tournées ; et qu’en conséquence leur auteur ne devait lire que deux demi-poèmes… Bien
entendu cela n’avait aucune importance dans le fait puisque personne au monde ne s’en apercevait
(sauf l’écrivain) ; « ce qui démontre » précisément l’insignifiance complète pour la chose même
dont il devait être question. Y a-t-il encore une « chose même », cette chose de la poésie [2] dont
les supposés poètes sont anxieux.

Ainsi sommes-nous changés en… mais en quoi ? Opérateurs/opérés culturels ; agents et clients de
l’Agence, dans la culturalisation mondiale, ce petit secteur de la mondialisation (à moins que ce
n’en soit le « phénomène total », comme j’ai essayé maintes fois de le montrer. L’alibi tentateur du
voyage à Istanbul, une des dizaines de nos destinations mondiales en posture de « poètes », fait la
scène de cette métamorphose : la soirée-spectacle avec jazz, dans un décor de velours, celui de la
« citerne » byzantine (par exemple) travestie en hall de grand hôtel ou de bar, change
« magiquement » (ce n’est pas de la magie) ce que nous essayons de défendre-et-illustrer, en son
exténuation… la poésie. Nous sommes (est-ce définitivement ?) « alibifiés » dans le dispositif
culturel [3]. L’argument de Lorenzaccio – dont j’excipai jadis : assujettis au Prince, certes, qui de
nos jours est l’Etat, mais en « résistance » clandestine, agents doubles pour le meilleur – l’argument
ne joue plus. Il n’y a plus la moindre résistance. La déclaration en est tardive, trop sans doute, et
dans la résolution (elle est prise) de ne plus participer, quel que soit l’honneur de l’invitation (c’en
est un), à la formule récitalière vacancière devenue entièrement contre-finale, même si je maintiens
(dans un instant) une possibilité de repli sur une disposition antérieure.

Les hasards de la valise font que j’emportai dans ce voyage le beau discours préparé par Fondane
pour le Congrès de « défense de la culture » de 1935 – et qui ne fut pas prononcé.

La culture, on ne parlait que de ça, mais c’était avant le culturel. La pensée de Fondane – qu’il
semble que personne n’eût pu recevoir chez les écrivains – fondée sur sa lecture de la Grèce tenait
que le spirituel était le technique (Technê) au sens de Platon et d’Aristote : l’esprit transformant les
choses, il est l’alchimiste de la phusis.

A partir des années 1980, tout préparé qu’il a pu l’être par Malraux et son époque, le glissement au
culturel, la gigantesque mutation toujours en cours, s’accomplit (Lang), et le culturel, « âge
capitaliste » de la Technique, hégémonise son irréversibilité. La niaiserie – ou l’erreur, si vous
préférez – déjà concentrée dans les propos de Guéhenno en 1935, que Fondane rapporte, souligne et
dénonce, erreur contre les formations de l’esprit et la liberté de l’artiste, trempée dans la vulgate
marxiste de ce temps, prend les proportions de la « vision du monde » [4]. Si peu stalinien qu’il
s’établisse, le culturel d’Etat – dont il y a Ministère depuis Malraux, et imprégnation hégémonique,
certes idéologisée mais non philosophiquement problématisée (émancipation du peuple identifié
aux « classes populaires ») – achève de tout emporter dans de méchantes contradictions, déjà
inaperçues, presque incompréhensibles à l’auditoire de 35 – que je n’ai pas ici le loisir de réexposer.
Le comble de l’embrouillamini (que j’ai appelé tout à l’heure « contre-finalité ») s’étale maintenant,
dont l’analyse entraîne une radicalité de prévision et de pessimisme, que Fondane même, s’il
l’entendait, n’aimerait pas.

Mais qui, pas plus que la pensée écologiste fondamentale ne préviendra la « catastrophe géo-
cidaire » annoncée, ne préviendra non plus l’âge culturel imminent aussi étranger à la culture, son
homonyme, qu’il est imaginable de le décrire. Un congrès pour la mondialisation culturelle serait
encore plus confus, envahi de malentendus, et impotent, voire suicidaire, qu’en 1935.

*
Cependant… cependant il s’agit de chercher à transformer les conditions de nos rencontres de telle
manière que celles-ci ne s’enfoncent pas davantage dans le non-sens – car si le culturel a de la
signification, c’est le sens (ou « la tête ») qu’il a perdu.

Cherchons, en pensant peut-être à ce que rend possible la musique (même si ici aussi une redoutable
homonymie recouvre de son voile d’ignorance, comme l’expression de Worldmusic, l’hétérogénéité
des sphères de la musique aujourd’hui ; la musique que tout le monde écoute sagement,
longuement, non savamment mais passionnément, comme si on attendait tout de ce côté-là, telle
une promesse. Quelque chose de même, ou « même », à savoir le son et l’interprétation actuelle de
ce pianiste, ou de ce trio, en train de jouer, est perçu par tous en même temps, parce que le caractère
non linguistique de la musique empêche que sa réception soit immédiatement partagée, diffractée,
émiettée, en compréhension, incompréhension et faible ou mauvaise compréhension. La difficulté à
user convenablement du modèle de « la musique », du « comme la musique », est aggravée, portée
au comble, par le cliché brumeux de la « musicalité » du poème. L’auditoire de la « lecture »
cherche en vain à jouir à l’audition d’un texte (la « petite page ») dans une langue qu’il ne connaît
pas (parce que « étrangère ») et un langage qu’il méconnaît (la poétique). Il croit entendre une
langue, la « musicalité » hors signification d’une langue, comme si un texte était une « partition » et
que l’intelligibilité du « sens » pouvait être séparée, mise hors jeu, et qu’il restât la « musique de la
langue ». Il n’en est rien (ou : toutes les langues sont « chantantes », comparables, dans la doxa
populaire, aux « oiseaux »…).

La compréhension de « ma » langue (je l’entends en effet, dans le double sens de ce mot français
qui favorise la confusion et la crédulité en le « chant » de la poésie flottant au-dessus de toutes les
langues comme… leur esprit !) est cependant constitutive de sens, de quoi la poésie n’est pas du
tout exempte. Ça serait le comble ! Or ce malentendu de plus en plus ruineux à mesure qu’il devient
doxa mondiale, s’étend en justifiant le « récital de poèmes » !

Que pourrait-on modifier pour favoriser une internationalité plus intelligente, c’est-à-dire plus
efficiente (non comme un simulacre) ; assez rigoureuse et vigoureuse pour servir en effet ce que
chacun d’entre nous, quelle que soit la diversité, quasi « chimique » de nos Arts poétiques, continue
de viser et d’appeler « poésie », sur le fond d’une très longue histoire, nationale, occidentale,
universelle (et tel qu’en effet il n’y a peut-être plus de prédicat commun à la « compréhension » de
son concept).

Les deux erreurs qui s’entretiennent, et se renforcent l’une l’autre, consistent en ceci : d’une part, au
nom même de l’internationalité, c’est-à-dire de l’économie, du marché, de la concurrence, voici que
l’idiomatique national (est-ce sur le modèle du sport ?) vient trop en avant parce que l’écrivain est
le représentant de sa « Nation » ; et d’autre part la crédulité, la superstition, en la « magie du
verbe » place sa croyance et son espérance, sympathiques et enfantines, en des Pentecôtes poétiques
(et seulement en poésie) en l’esprit de poésie et la vertu « musicale » de telle ou telle « parole »
seront tels que chaque locuteur parlant sa langue serait « entendu », de tous : langage de paix et de
concorde, de fraternité et d’amour, « immédiatement » universel ; et c’est en effet sur ce modèle
que l’Union Soviétique organisait les fêtes culturelles poétiques de « rassemblement » de ses
« peuples ». Idéologie et propagande…

Bien sûr un poème fait entendre sa langue, ou s’y efforce, et parfois en prouesse y parvient. Mais la
juxtaposition des paquets cadeaux de langue comme si les coffrets (les plaquettes) en renfermaient
le parfum dans ces petites boîtes d’idiomes aux vitrines festivalières et pour la gustation-test du
public, telle une « reproduction » archéologique [5] ou un produit du terroir, les referme sur elles-
mêmes, et la « rencontre » internationale ne se laisse tra-verser par aucune trans-versalité trans-
scendante [6]. Il n’y a finalement que l’anglais (dés)esperanto universel qui en profite.

La juxtaposition incompréhensible (donc hors intelligibilité) des microdictions hétérogènes


(« readings ») en échantillons des voci-férations idiomatiques n’a que très peu d’intérêt ; et travaille
en définitive contre l’idée de poésie qu’elle croit cependant faire entrevoir (entr’entendre). Pour que
quelque chose se passe « au-dessus », reliant et faisant événement en effet trans(cendant), et que la
poésie en poèmes serve effectivement à de l’entente humaine, il faut des médiations qui ouvrent un
accès à de la généralité et à de l’universalité (en effet « difficile », comme disait Jean-Claude
Milner). C’est le sens de la tra-duction : la poésie est traduction.

Elle est intraduisible et traductible : le moment de cette double injonction doit percer dans
l’occasion, qui est aussi le moment d’un poème à ce monde dans ce monde auquel « l’universalité »
doit répondre. L’équivalence multiculturelle dans la juxtaposition indifférente, et par des temps de
lecture égaux et autres signes formels de l’égalité dissout la valeur et la valence et la vaillance de
« la poésie » en général qu’il s’agit cependant de rendre sensible ; et, au contraire du « hasard
objectif », banalise la contingence qui d’exception de l’événement où il s’agit d’en appeler à « la
poésie », qui ménage une actualité à ce que nous continuons de prétendre favoriser, citant Mallarmé
ou Artaud, Pessoa ou Celan… Imaginez Antonin Artaud participant à un échantillonnage dans une
manifestation culturelle… !?

Si l’hétérogénéité indifférenciante est devenue trop dévastatrice, comme je le crois, il faut réinjecter
conjointement d’une part un peu de cette mêmeté que j’évoquai quand je disais à propos de la
musique qu’alors au moins un public pouvait croire entendre une même performance ; et d’autre
part de la différence intelligente et intelligible à même l’événement. Par quels moyens ?

Peut-être d’abord en imposant un leitmotiv grâce à une thématique de présentation, ou à telle


constante significative comme condition de participation commune (comme-une).

Ensuite en donnant un même morceau à traduire par tous les invités, dans chaque langue
« représentée », assorti de commentaire explicitant.

Et de toute façon en invitant un nombre réduit de participants et en attribuant à chacune de nos


sessions beaucoup de temps, c’est-à-dire assez de temps pour que chaque singularité puisse être
perçue, et intéresser.

P.S.

Mais qu’entend-on aujourd’hui par « lecture » ? Il ne s’agit plus du tout de LIRE au sens
traditionnel d’une attention de l’intelligence appliquée à un livre, un écrit, et s’appliquant à intégrer
mot après mot, phrase après phrase, page après page (soit avec une rapidité parfois « instantanée »,
soit avec une lenteur qui peut s’attarder extrêmement dans « la traduction »), les dignification, puis
le sens, jusqu’à être capable, à toute interruption, de résumer, d’exposer, de discuter, le lu, l’« en-
train-d’être-lu »… Non ! Il s’agit d’une prestation publique spécifique de sons, où se produit un
auteur (on dit volontiers un(e) écrivain(e), ou un « poète »), comme au défilé de mode se montre le
mannequin et son habit ; un écrivain, donc, isolé sur une scène, en son « image » flashable, et qui
par bouche, mines, et parfois gestualité, voci-fère dans une des milliers de langues de la terre. Seule
l’homonymie apparente ce geste à la lecture ancienne d’un texte dont la preuve était fournie par la
paraphrasabilité, avec possible dialogue et disputatio. Comprenons bien qu’en une génération,
disons de Tel Quel au festival culturel, en passant par l’ordinateur (hypertexte, etc.), on est passé de
la textualité grammatologique (avec hypo-ana-etc.-grammatique déchiffrement et analyses) au
reading(s), ou à la soirée-poétique, etc., dans lesquels il ne s’agit plus du tout du rapport d’une
pensée à du pensable dans l’originalité d’une « langue » d’auteur, à comprendre et à goûter, ni de la
comparer à d’autres pages de littérature.

[1] Quand une amélioration technique, un « progrès », se révèle dévastateur en se renversant contre
la finalité initialement conçue et prometteuse.

[2] Michel Deguy, Choses de la poésie et affaire culturelle, Hachette, 1986

[3] Lui-même modalité de ce que Heidegger a appelé (et pensé) Gestell : le Dispositif.

[4] Quand une doxa, si élaborée qu’elle soit par « les intellectuels », prend et s’installe, donnant son
ton, son air à l’époque, l’inéluctable des « conséquences » assied son règne – qu’on ne
« comprendra » plus 20 ans après, dans les ruines de sa catastrophe. Le « nazisme » n’a-t-il pas
imprégné et dominé les intelligences allemandes d’une génération ?

[5] Les musées sont transformés en réserve-dépôt pour leurs « produits dérivés ».

[6] Je parle ici d’une « transcendance » qui n’a précisément rien à voir avec celle d’un
« transcendant » religieux.

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