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Le Philosophe dans la Cité

Société pour l’innovation philosophique

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LA BIBLIOTHÈQUE DU PHILOSOPHE DANS LA CITÉ

Laura-Maï Gaveriaux

Le gouvernement du corps : construction d’une notion

mars 2010
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Pourquoi poser la question du gouvernement du corps comme problème philosophique ?


En 2004 paraissait aux éditions de l’EHESS l’ouvrage collectif dirigé par Didier Fassin et
Dominique Memmi, Le Gouvernement des corps1, posant la question de savoir en quoi l’intervention
étatique et la régulation sociale sur les corps produisent des formes nouvelles de biopolitiques. Ce
travail de sociologues reprend le concept de biopouvoir, développé par Foucault dans ses cours
de 1976-1977 et La Volonté de savoir (1976), en partant de la notion du corps de l’individu comme
construit social. Parce que nous interrogeons la pertinence de la question du gouvernement du
corps – non des corps – et que nous la posons en philosophes, il nous faut refaire le travail de
définition de la notion même de corps. Il nous faut procéder comme si nous ne savions pas que
cette définition est destinée à une réflexion sur le gouvernement du corps. Le sociologue parle du
gouvernement des corps, il interroge une relation de pouvoir particulière entre le corps de
l’individu et le milieu social ; tandis que le philosophe doit saisir l’eidos du corps. Il doit interroger
la notion de corps en elle-même et ne pas présupposer que le corps est le corps humain. Il est
donc nécessaire de reprendre à son principe le travail de distinctions conceptuelles.

1. Analytique

Si dans le langage courant contemporain, le terme de corps est le plus souvent entendu
comme le corps de l’individu (lui même compris à partir du paradigme de l’être humain2), le
concept de corps est d’une autre nature logique : le concept du corps humain est un concept
sortal (il exprime une quiddité), tandis que le concept de corps est un concept catégorial (un
concept ontologique, en tant qu’il représente un mode d’être). C’est du concept ontologique du
corps que nous devons partir pour découvrir si le gouvernement du corps a quelque légitimité à
être posé comme problème philosophique. Cela parce que c’est le concept le moins déterminé
empiriquement, celui qui doit nous permettre d’énoncer une définition du corps qui soit valable
pour tous les corps.

1
Didier Fassin et Dominique Memmi (dir.), Le Gouvernement des corps, Paris, Editions de l’EHESS, 2004.
2
Thomas Pradeu, « Qu’est ce qu’un individu biologique ? », in Pascal Ludwig et Thomas Pradeu (dir.)
L’Individu, Perspectives contemporaines, Paris, Vrin, 2008.
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Ce corps de la philosophie est, de façon immédiate, le corps de la physique : un fragment


d’espace ou de matière. Cette première définition s’inscrit dans la démarche cartésienne
géométrisante des Principes de la philosophie qui, en réduisant le corps à l’espace, tente d’objectiver
une réalité que nous ne pouvons jamais vivre comme objective (notre corps, expérience
immédiatement subjective, peut-il nous apprendre quoi que ce soit d’objectif sur un autre
corps ?). Définition qui se révèle vite insuffisante, puisqu’elle ne permet pas de rendre compte du
mouvement. Or tout corps est en mouvement, des corps organisés et animés aux atomes ; des
atomes en vibration de Lucrèce à ceux des physiciens. Le concept catégorial du corps représente
donc un une masse physique en mouvement. Partant du fait que les corps sont en contact, ils
agissent et sont agis, ce qui nous amène à compléter notre définition pour dire que le corps est un
centre d’action. Ce dépassement de la conception cartésienne, c’est le geste leibnizien du Discours
de métaphysique, qui ne peut occulter les avancées de la physique moderne dans le cours du travail
métaphysique (dans les articles XVI à XX). La loi générale de la conservation de la force (mv2)
nous fait voir que les corps sont aussi des forces et qu’ils sont liés entre eux par des mouvements
constants. Nous voyons à quel point le corps est une notion philosophique, ouvrant sur une
enquête métaphysique, qui nous amène à concevoir une réalité complexe (composée et
dynamique). L’intuition du Discours de Métaphysique est elle-même dépassée et concrétisée par
Leibniz, dans le geste métaphysique ultime de la Monadologie, où la monade est le constituant
dernier et organique de toute chose, sujet d’une activité originale. Penser la définition du corps le
plus indéterminé qui soit impose d’abandonner la conception atomiste du physicien pour la
conception complexe et dynamique de l’individu métaphysique.

Mais la question du gouvernement du corps métaphysique ne pose pas de problème


philosophique particulier. Soit elle renvoie à l’idée d’une causalité divine, soit elle renvoie à l’idée
d’une causalité naturelle ; dans les deux cas, la spécificité de la question du gouvernement est
diluée dans la question métaphysique plus générale de la nécessité. Or la nécessité et la
gouvernance sont deux types différents de causalité. Tandis que la nécessité est une causalité
linéaire (le modèle de causalité typiquement cartésien, ayant dominé les schèmes de rationalité de
la science moderne), la gouvernance implique une suite de causalités enchevêtrées ou complexes,
où les produits sont nécessaires à la causation du processus. Le terme de gouvernance vient du
grec kubernêtikê (celui qui manœuvre une embarcation au moyen d’un gouvernail). L’expression
est utilisée par Platon, pour faire une analogie avec l’art de la gouvernance comme instance
supérieure de justice, déterminée par une véritable connaissance du bien et de la façon de
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l’appliquer, (il discute de la place du philosophe dans la cité3). Une image analogue se trouve dans
le Phèdre, pour comparer l’âme dans le corps à un attelage ailé4. La gouvernance est une causalité
récursive (c’est une conception systémique, comme l’étaient la république et l’âme
platoniciennes). Qu’est-ce qui doit alors, dans la conception métaphysique du corps, nous amener
à poser le problème de la gouvernance ?

2. Dialectique

Si le concept catégorial de corps représente une réalité individuelle, singulière (principe des
indiscernables selon lequel il ne saurait exister deux choses exactement semblables5, comme
énoncé par Leibniz à l’article 9 de sa Monadologie), complexe et dynamique, en lien avec les autres
corps, il nous est maintenant possible de comprendre pourquoi le corps vivant est adopté dans le
langage courant comme paradigme du corps : il remplit tous ces critères. Notre identification
spontanée du corps à un corps vivant ne serait pas fondée sur autre chose que sur le fait qu’il
s’agisse de la sorte de corps la plus facile à identifier. Cette identification n’est pas pour autant
dénuée de fondements ontologiques. Il ne s’agit d’un pré-jugé ou d’une association lire d’idées.
Parce que la réalité corporelle est une réalité complexe et dynamique, les corps ayant le plus haut
degré d’individualité doivent aussi être les corps produisant la plus grande force (il faut donc
admettre des degrés d’individualité, un emboîtement des nivaux d’individualité en faisant notre la
lecture que Michel Fichant fait de Leibniz6). La plus grande force est, quant à elle, produite par
les corps ayant le plus haut d’organisation interne, puisque plus un corps est complexe, plus il
peut être organisé de différentes manières : plus un corps est agi, plus un corps agit sur les autres
corps lorsqu’il est en contact avec eux. C’est aussi partant de la définition la plus indéterminée du
corps que Spinoza, dans l’abrégé de physique De Mente de l’Ethique, en arrive à saisir le corps
humain comme le plus haut degrés d’individualité qui soit et comme le corps doté de la plus
grande force concevable (dans ce que Victor Delbos appelait le « parallélisme spinoziste », être,
c’est être conçu). Les postulats expriment cette puissance potentielle quasi infinie du corps
humain, qui peut « être affecté d’un très grand nombre de manières »7. Nous le savons, à ce
niveau de notre compréhension du réel, le gouvernement du corps est une diététique des

3
Platon, République VI (488a - 489b), trad. G. Leroux, Paris, Flammarion, GF, 2002, p. 321-323.
4
Platon, Phèdre (253c – 254d), trad. E. Chambry, Paris, Flammarion, GF, 1964, p. 151.
5
G. W. Leibniz, Monadologie, trad. M. Fichant, Paris, Folio, 2004, p. 221.
6
Michel Fichant, « Leibniz et les machines de la nature », in Studia leibnitiana, vol. 35, n°1, 2003, p. 1-28.
7
Spinoza, Ethique, trad. B. Pautrat, Paris, Points, 1998, p. 128.
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passions : il s’agit de réguler le flux passionnel pour conserver la force propre de l’individu qui ne
saurait être que l’union d’un esprit et d’un corps. Sa connaissance passe en premier lieu par la
connaissance du corps. Il n’y a pas de primauté du corps sur l’âme, mais priorité dans l’ordre des
connaissances du corps sur l’âme. C’est pour cette raison que chez Spinoza, les passions sont
conçues sur le modèle d’un champ de forces physiques, dont il s’agit de maîtriser les courants,
pour maintenir le conatus au pus haut degré possible. Il ne s’agit donc pas de réprimer ou
d’annihiler les forces passionnelles (comme c’est le cas, dans une certaine mesure, chez Pascal ou
Descartes – une lecture attentive des Passions de l’âme nous amènerait à nuancer fortement ce
point). Le corps humain est donc aussi une source de production, notamment dans la vie sociale
en vertu de ses déterminations propres, que nous venons de mettre en exergue, Spinoza signale
que « pour se conserver, il a besoin d’un très grand nombre d’autres corps, qui pour ainsi dire, le
régénèrent continuellement » (postulat IV)8. Nous voyons avec Spinoza, que le corps humain a
besoin du contact avec les autres corps pour être plus fort, ce qui peut laisser à penser que la
métaphore du corps politique, notamment telle qu’utilisée par Hobbes, a pour fondement plus
qu’un jeu de langage.

Le chapitre 24 du Léviathan, qui traite de « l’alimentation et de la procréation de la


République », file la métaphore organique jusqu’à un degrés de précision qui exclue de voir là une
simple reprise de la métaphore platonicienne (la société comme corps). La monnaie est le sang de
ce corps et certains ministres en sont les tendons. Plus qu’une métaphore, le corps politique est
chez Hobbes une analogie et par delà, une relation d’identité réelle. Le corps politique, dont les
hommes sont à la fois la matière et les artisans, est une réalité, un corps réel construit par l’artifice
du contrat et institué par le souverain. Il faut donc voir dans corps politique comme le résultat
d’une métamorphose du corps naturel, nécessaire à la conservation de tous les corps naturels
(c’est de la survie de chacun dont il est le garant). Quelles vertus du corps nous autorisent à
valider la conception lockéenne radicale de la métamorphose, par delà la métaphorisation
habituelle ? Dans la philosophie platonicienne, comme dans la pensée spinoziste, c’est par le
corps comme source d’intelligibilité que nous trouvons un fondement à cette métamorphose.
Chez Spinoza, nous l’avons vu, il y a priorité dans l’ordre des connaissances du corps sur l’âme.
Quant aux livres III, VIII et IX de la République, la théorie platonicienne de la politique y est
présentée comme l’ordre dans les deux tripartitions (celle du corps et celle de l’âme), qui seul
réalise la justice. La cité juste, comme l’illustre le microcosme du Timée, est une harmonie entre les

8
Ibid., p. 131.
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parties et le tout. Dès lors, puisque c’est la survie du corps politique qui est en jeu, gouverner la
cité, ce n’est pas seulement l’administrer : c’est aussi gouverner les corps.

3. Ethique

Il faut reconnaître à Rousseau de nous avoir permis de comprendre à quel point le fait de
vouloir maintenir le corps politique peut être une mystification. Comme tout corps, le corps
politique est irrémédiablement voué à l’affaiblissement, au vieillissement, à la maladie et les seuls
moment où il existe véritablement sont ceux où les citoyens se réunissent pour exprimer leur
volonté politique : le vote. Il n’est pas besoin d’insister sur l’actualité de ce propos rousseauiste,
au vu de la désaffection des peuples pour la politique entre deux élections nationales. Parce que la
volonté de gouverner les corps du corps politique ne tient pas compte de cette mystification, elle
pose un problème éthique. A notre sens, c’est pour cette raison que nous devons revenir au
travail de Foucault sur les biopouvoirs. Le travail notionnel et dialectique effectué précédemment,
assoit maintenant le caractère problématique et philosophique de la question du gouvernement
du corps entendu comme biopouvoirs. Par sa réflexion sur le Grand Renferment (Histoire de la
folie, 1961) et celle sur la prison (Surveiller et punir, 1975), Foucault nous fait comprendre, au delà
d’un simple relevé de sociologue sur les formes de biopouvoirs, que l’enjeu fondamental du
pouvoir c’est le corps (c’est là proprement le travail du philosophe). Le gouvernement du corps
n’engage pas seulement la question de la maîtrise par un individu de son propre corps, mais de
façon primordiale et même, uniquement, la question de l’emprise du corps politique sur les corps.
Le rapport de l’individu à son propre corps est le produit des déterminations sociales comme
micro-pouvoirs : le pouvoir, en fait n’existe pas, il n’existe que des micro-pouvoirs (nous
retrouvons ici notre causalité récursive). Dans La Colonie pénitentiaire de Kafka, l’écriture
romanesque permet de mettre en exergue ce corps au centre des dispositifs de souveraineté.
Dans la société bourgeoise, ils réapparaissent sous la forme des dispositifs de sexualité ou plus
récemment encore, sous la forme des dispositifs hygiénistes, (l’alimentation bio, les régimes
alimentaires).
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Conclusion

La question du gouvernement du corps, si elle nous apparaît comme peu problématique sur le
plan philosophique, nous permet néanmoins de formuler le véritable problème philosophique du
corps. Alors que la conception la plus immédiate du corps désigne un objet matériel, isolable,
doté de frontières, simple (au moins par la façon que nous avons de l’individuer), il se révèle
complexe, dynamique, en rapport constant avec les autres corps et par cette problématique des
pouvoirs, sa matérialité se dérobe : il est presque une frontière. Ce qui doit être la marque de
l’intimité de chaque individu, la modalité ultime de la présence à soi-même, se révèle le lieu d’une
interaction essentielle de l’individu et de son milieu, de l’autre et du même. Signalons que c’est la
phénoménologie qui pourra seule prendre en charge cette contradiction inscrite au cœur même
de la notion du corps, avec le travail de Merleau-Ponty sur le chiasme, celui de Sartre sur le
pratico-inerte et celui de Lévinas sur le visage. Observons enfin que si la métaphysique est
souvent au principe des plus grandes recherches éthiques, notre réflexion sur le gouvernement du
corps nous amène à constater que l’éthique du corps exige le retour à une métaphysique
substantielle et que c’est là un mérite de la phénoménologie que d’avoir osé l’opérer après le
tournant nietzschéen.

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