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Journal d’un prof à Clichy-Sous-Bois

Le Nouvel Observateur 30/06/2010

Parce qu’ils le valent bien


Trois classes de collège, dont une quatrième option théâtre, et une troisième Découverte
professionnelle 3 heures. Près de soixante dix élèves, et leur destin scolaire en marche, trop
souvent plombé par cette école de la République qui ne tient pas ses promesses. Sébastien
Marguet, 39 ans, est professeur de français depuis 16 ans. En 1999, après être passé par un
lycée de la banlieue lilloise (59), le collège de Dourges près de Lens (62) et le lycée français
de Tunis, il démissionne de l’Ecole des Nations Unies à New York, et débarque au collège
Louise Michel de Clichy-sous-Bois, ville de la relégation sociale, la première à s’embraser
lors des émeutes de l’automne 2005. Il enseigne toujours dans cet établissement difficile, où
les familles averties évitent d’envoyer leur enfant. À l’entrée en sixième, le taux d’évitement
est, depuis longtemps, particulièrement élevé. L’assouplissement de la carte scolaire n’a rien
arrangé.
Entre mars et juin, cet enseignant militant a tenu, avec nous, son journal de bord…

Lundi 15 mars

Au premier trimestre, la tuberculose s’est invitée au collège. Trois cas de maladie, une
trentaine de cas d’infection tuberculinique latente (ITL). Le collège est donc sous
surveillance. Aujourd’hui, nouvelle vague de dépistage. La presse est là. Le climat est tendu.
Ce matin, j’ai un coup de fil professionnel urgent à la fin de la récréation. Mes élèves
attendent cinq minutes. Certains en profitent pour détaler. Il en reste sept à l’entrée de ma
salle, les plus sérieux. Fenda, qui joue les meneuses, décampe dès qu’elle m’aperçoit en haut
de l’escalier. Un autre groupe de filles, les inséparables, traîne dans la cour. Je retrouve des
garçons dans un autre escalier, ils sont moins organisés mais profitent des brèches ouvertes
par les plus audacieuses. Je mets un bon quart d’heure à rassembler tout le monde…et c’est le
moment où il faut descendre pour les tests.

Expérience sidérante avec les troisièmes. Dans le cadre de l’argumentation et de l’approche


du style, on travaille un texte de l’écologiste Jean-Marie Pelt sur le Paris-Dakar déjà sorti au
Brevet, dans lequel il dénonce la course, avec un style lyrique et flamboyant. Il y a quelques
années, les élèves avaient su repérer le thème, la thèse. Là, ils passent complètement à côté.
Le tiers de la classe croit que le texte porte sur les arbres du désert. Encore un écrit qui rate
son jeune lectorat - de toute façon, ils lisent, qualitativement, moins qu’avant. Il faut que
j’explore cela avec eux : à leur niveau, trop de style tue le style. Je le remarque souvent :
quand je démarre une nouvelle séquence, les élèves n’ont pas les connaissances requises, ou
alors elles sont fragiles. Ils sont moins bons sur le plan académique. Mais heureusement, ils
savent convoquer bien d’autres connaissances. Le savoir n’a jamais été autant disponible et
facile à partager.
Le soir, conseil de classe des quatrièmes. 23 élèves. 2 félicitations, un refus de félicitations.
Le reste ? Une « hécatombe », avalanche d’avertissements (travail, comportement, vie
scolaire). 15 élèves en suspens pour le passage en troisième. Je n’ai jamais eu une moyenne
de classe aussi faible.

Mardi 16 mars

Les quatrièmes se sont tenus à carreau, comme on dit. Ils veulent signifier qu’ils ont entendu
ce qui s’était dit en conseil de classe.

Travail sur le style avec les troisièmes. Pour montrer qu’il est partout à l’œuvre, à la radio,
dans les magazines, sur les grands panneaux… les élèves travaillent en groupes sur un
florilège de slogans publicitaires, politiques... Celui-ci, du MLF, par exemple : « Une femme
sans homme, c’est comme un poisson sans bicyclette ». Il faut entendre ce que ça génère chez
eux comme discours ! « En fait, c’est pour dire que la femme sert à rien ! », « Faut pas
divorcer ! ». Phénoménal. Nous avons tout à travailler : la réflexion, la conscience, les codes,
les valeurs, les idées…

A 19h, réunion avec les parents dans une salle de la Mairie. Ordre du jour : faire le point sur
la mobilisation d’avant les vacances (une semaine de grève, d’occupation nocturne et d’école
déserte pour obtenir une classe supplémentaire en troisième et sauver quatre postes
d’enseignant) ; sur le non-remplacement des collègues absents ; sur le niveau de délabrement
du collège (bientôt 40 ans), en réfléchissant à une action possible pour obtenir sa
reconstruction rapide… On aura déjà attendu presque cinq ans pour la construction et la
réouverture (prévue en septembre prochain) du gymnase brûlé pendant les émeutes de 2005 !
Il faudrait que la prétendue République se bouge plus vite pour ses enfants. Il y a une poignée
de familles, nous sommes une quinzaine. La veille, devant le collège, on avait pourtant
distribué plus de 300 tracts d’appel.

Jeudi 18 mars

Déjeuner à la cantine, avec le groupe des quatorze troisièmes de l’option DP3 (Découverte
Professionnelle 3 heures). Il s’agit d’étudier une organisation professionnelle, à savoir un
service de restauration scolaire. Certains externes ne voulaient pas venir : « Ça va pas être
bon », « C’est pas comme à la maison »…. Mais tous sont là. La majorité est de religion
musulmane. Devant la viande, cinq d’entre eux demandent : « C’est hallal ou pas ? ». Ça ne
l’est pas. Du coup, plusieurs ne mangent que leur entrée et leur orange.

J’en discute avec eux juste, après. « Il n’y a qu’à donner le choix, comme dans de nombreuses
cantines : proposer de la viande et du poisson », arguent les premiers. D’autres récalcitrants
imaginent le « hallal pour tous, parce que ça ne dérange ni les chrétiens ni les athées ».
Après tout, ici, on ne sert déjà plus de viande de porc… Faut-il en passer par là, pour éviter de
telles crispations ? Ce ne serait pas si coûteux, sur le plan symbolique ! Acceptable, même.
Les luttes fondamentales sont ailleurs.

Lundi 22 mars

A 10h30, cours avec les quatrièmes. Séance houleuse, comme souvent le lundi matin. Retards.
Ca flotte, jusque dans les couloirs. Il manque du personnel à la vie scolaire.

Ils terminent la pièce de Marivaux, L’île des esclaves, par un résumé qu’on publiera sur
Wikipedia. D’un groupe de travail à l’autre, j’ai l’impression d’être un marsupilami. Il faut
relancer sans relâche les élèves, être très rapide, faire vite si on veut tenir dans la houle. Je
vois réapparaître Antonio, un élève absent depuis deux semaines. Un bel adolescent en pleine
croissance, à la dérive. D’habitude, il aime l’écriture, les films, il a fait un premier trimestre
encourageant, compte tenu de sa cinquième chaotique… mais depuis janvier, il se déscolarise
carrément, pour se consacrer à la fabrication de son image de « gangsta » sur son blog, dans
sa bande de Clichy. Une personnalité assez forte, qui se marginalise. S’il veut, il peut
facilement perturber la classe…Je ne prends pas le risque. Je l’emmène dans la salle d’un
collègue. Du coup, il travaille bien. Je vais me servir de son début de résumé de la pièce pour
démarrer le cours prochain.

Pendant que je range mon bureau, un petit groupe traîne dans la classe. Tensions entre des
bandes de Montfermeil, de Clichy-sous-Bois, de Pavillons-sous-Bois… il y a des règlements
de compte dans l’air…je n’ai pas le détail complet. Et pas le temps de discuter non plus : une
autre classe m’attend à la porte.

Mardi 23 mars

Depuis deux semaines, Benoît Théberge, comédien et metteur en scène, travaille avec les
quatrièmes « option théâtre », en vue d’une représentation à la fin de l’année. Il ne sait pas
encore s’il va être payé. Huit mois que ça dure, de renvoi de dossier en renvoi de dossier.
Ridicules atermoiements de l’institution, dont l’indécence atteint là des sommets. Ce matin,
les élèves lui présentent un extrait du Bourgeois Gentilhomme, des textes du répertoire, des
sketchs, des fragments d’œuvres qui présentent des situations de tension ou de discrimination,
tirés d’un ensemble que j’ai intitulé Petites élégances entre humains. Ils m’étonnent : leur
envie, leur manière de s’emparer de ces petits bouts de scènes. « Oh ! C’est bien, finalement,
le texte de Molière. Il est derka Monsieur Jourdain ! ». Derka, c’est le rire en arabe. Ayse et
Yusuf ont appris leur texte en un rien de temps.

Ils aiment beaucoup cet atelier théâtre. « C’est bien ici, ça change de tous les jours ». Au
début de l’année, ils étaient 7. Maintenant, on est 18. Dès que ça dépasse le cadre
institutionnel, contraignant, insurmontable, ça leur ouvre des perspectives^, même si la
rigueur et l’investissement ne suivent pas.
Au quotidien, trop d’élèves sont perdus, dépassés par le découpage artificiel de la journée par
matières. Ils doivent suivre plein de fils, avec autant de profs. A la fin de la semaine, ça fait
souvent des sacs de nœuds. Si on y ajoute l’absentéisme, les difficultés sociales et la précarité
du cadre familial, c’est trop. Ils implosent. Ils décrochent. Alors tout projet, tout dispositif
décalé qui donne la part belle au corps et à l’expression, est pour eux une bouffée d’oxygène.
Ils respirent. Ils entendent « cinéma », « théâtre », et les mots s’allument dans leur tête.

L’après-midi, je suis en grève. On va à Paris, défiler à la manif, avec les établissements de


Seine-Saint-Denis en colère. Notre banderole : « Collège Louise Misère… Toujours la
galère ! Vive le tri social ! ».

Jeudi 25 mars

L’après-midi, quatre classes du collège vont au chapiteau de la Fontaine aux images, voir une
représentation de L’île des esclaves de Marivaux. La compagnie est installée à Clichy-sous-
Bois. Cette confrontation au jeu et à la mise en scène est l’aboutissement de nos séances de
travail. Le début les capte complètement, « on était à fond dedans ! ». Mais il suffit qu’une
comédienne plus jeune porte moins son texte que les autres, pour qu’un élève la reprenne à
voix haute. Ca commence à flotter. Puis ça déborde. Nous ne sommes que cinq enseignants
pour gérer plus de 80 élèves. On aurait dû être huit. Ça se tasse un peu sur la fin…mais on
sort tous de là sous tension. Je vais appeler six familles.

Mardi 30 mars

Préparation du voyage en Bretagne avec les cinquièmes. Au cours d’avant, on a détaillé ce


qu’il faut emporter. « Et là, monsieur, dans la liste, c’est quoi un duvet ? ». Cet après-midi, je
débarque donc avec le duvet d’une collègue. Pas sûr qu’ils en aient déjà tous utilisé. On
convient de parler de « sac de couchage ». C’est plus juste, après tout. J’aurais dû faire gaffe,
avec ma méthonimie de bourgeois.

Ils sont contents de partir. Ca les sort de l’enclave, du ghetto. Certaines années, quelques-uns
voient l’océan pour la première fois. Mais rien n’est encore bouclé. Le voyage revient à 180
euros par élève, pour cinq jours. Avec l’aide substantielle de la mairie, les familles ne
déboursent que 89 euros. Trop cher encore pour certaines. Il faudrait que je trouve des
partenaires financiers. Sûrement pas dans le privé, qui nous fait souvent du pied. Je compte
surtout sur le Fonds social du collégien, même si c’est une peau de chagrin. Chaque année, on
se bat pour que toute la classe parte. Je dois convaincre des parents qui hésitent. Il faut les
appeler le soir au téléphone. Je rencontre les deux familles les plus réticentes. Leurs filles
n’ont jamais quitté la maison plus de deux jours. Je finis par les convaincre. Ça fait grandir
tout le monde, même les parents.
Mardi 6 avril

Rendu aux quatrièmes leurs travaux sur Marivaux. Je les félicite, je retiens les points positifs.
Mais ça dérape, les préoccupations extérieures prennent le dessus. Plusieurs filles lancent
leurs papotages ados classiques, des garçons en profitent. Interruptions. Bavardages pesants.
J’exclus une élève parce qu’elle dépasse les bornes. « De toute façon, j’ai la rage », lâche-t-
elle. Ca me met en colère de voir dans quel état nos élèves arrivent en classe. Ils vivent des
trucs trop lourds.

Vendredi 9 avril

Moments magiques avec les quatrièmes. La qualité, le ressenti du texte, la compréhension,


tout est mieux que l’autre jour. Je pense leur mettre un bonus. Et hop, on repart dans les
montagnes russes : ils sont odieux, au cours suivant. La collègue cède aux larmes, à la récré.
C’est sa première année, ici. Elle se démène, elle s’implique, et ça s’est bien passé avec la
classe jusque-là. On est quelques uns à discuter avec elle, pour l’aider à relativiser. Je compte
bien en parler avec la classe.

Vendredi 16 avril

Retour de Bretagne (forêt de Brocéliande, Saint-Malo), avec les cinquièmes. On est parti avec
une classe de Paris, collège Valmy, dans le 10ème. Semaine éreintante mais passionnante,
comme chaque fois. Nous avons débuté lundi aux aurores. Kenza, la fille d’une des familles
réticentes, n’était finalement pas au départ. Elle avait de la fièvre. Je pense surtout qu’elle
aura somatisé. A Guer, on logeait dans l’internat d’un lycée. Un endroit très vert, très calme,
avec beaucoup d’espaces pour des activités sportives… Dès l’arrivée, on a cadré le
fonctionnement collectif. Le plus souvent, on a gardé les portables, les MP3 et les écrans, sauf
à certains moments très précis. Ils ont râlé d’abord, puis joué le jeu. Ils apprécient qu’on les
sorte de leur quotidien, de leurs habitudes.

La ruralité les a beaucoup étonnés : les odeurs, peu de maisons, de magasins…Mais ils se sont
vite fondus dans le pays. Journée VTT (30 kms) avec course d’orientation, balades dans les
hauts-lieux de la légende arthurienne. La visite du lac de Viviane et du château de Comper,
l’expo sur Merlin du Centre de l’imaginaire arthurien, ont bien marché. Une conteuse nous a
emmenés dans la forêt de Brocéliande, au Val sans retour et à la fontaine de Barenton.
Certains élèves faisaient bien la part de la réalité et de la légende. Quelques autres ont
vraiment eu peur de croiser un korrigan, un lutin. Belle ambiance, en tout cas, mêlant le
sérieux et la détente. Intenses moments de socialisation. Très fort sur le plan pédagogique -
excusez du peu.

On a donc fait le pari de mélanger une classe de Paris et une classe de banlieue. Ca a été un
peu West Side Story, avec des provocations et des rapprochements. Les tensions se
cristallisent, d’abord, sur les apparences. Une de nos élèves portait un tee-shirt avec une
silhouette de Mickey. Le premier soir, en allant au restaurant, des parisiens chantaient « I love
Mickey », pour se moquer d’elle. De retour à l’internat, la tension est montée d’un cran, il a
fallu expliquer à tout le monde que le voyage est fait pour se connaître, se respecter. Le
lendemain, ça allait mieux. Plusieurs élèves des deux classes ont fait un habile travail de
rencontre et de diplomatie. Des filles issues de familles très modestes, en particulier. Il y a eu
des moments de partage très sympas, sur la plage à Saint-Malo, par exemple. Et quelques
autres beaucoup moins. Un de mes élèves s’est fait traité de « Pamela Anderson » par un
parisien. Ca s’est immédiatement soldé par un début de bagarre entre deux groupes de
garçons, vendredi, pendant le dernier pique-nique.

Nos élèves ne sont pas dupes. Ils font bien la différence entre Paris et la banlieue. Ils
revendiquent leur identité, ils en sont fiers, mais ils veulent exister dans le regard de l’autre.
Pas question qu’on les méprise.

Au-delà de tout cela, il y a des consciences sociales qui affleurent, une violence latente,
parfois décourageante. Déjà avant le voyage, il y avait eu des échanges de mails, pour
amorcer du lien. La classe de Paris, en réponse à une provocation gentillette, employait
l’expression « bande de Ksos » (« cas sociaux »), pour s’adresser aux Clichois. Par mail,
j’avais réussi à les en dissuader, en tentant une explication sur la différence entre la
provocation et l’insulte.

Dans le bus du retour, le portable d’une parisienne a été volé. On a fait quelques fouilles de
vêtements et de sacs, en vain. Alors on a proposé aux élèves de procéder solidairement,
puisqu’on avait tous participé au voyage et, donc, de rembourser chacun une part du
téléphone. On était 53, on divisait le prix par 53. Soit 1,60 euro par personne. Banco ! A part
ça, très chouette retour, ambiance détendue et très chaleureuse. Les deux classes veulent se
revoir. Dans le bus, nous avons décerné des prix, en s’arrangeant pour que tout le monde soit
nommé : prix de la flemme, prix de la bonne humeur, des légendes arthuriennes, du plus beau
but, du bazar (dans la chambre), de la sérénité, de la boulette, pour celui qui disait toujours ce
qu’il ne fallait pas dire…Nous avons rendu hommage à leur participation individuelle et
collective, ils en ont souvent été touchés.

Lundi 3 mai

Avec les quatrièmes, reprise du travail d’écriture longue, commencé avant les vacances. A la
manière des Lettres Persanes de Montesquieu : un extra-terrestre, porteur des idées d’égalité
et de fraternité, débarque sur Terre au XXIème siècle et observe comment vivent les Hommes
d’aujourd’hui. Je suis en co-intervention avec une assistante pédagogique. Il faut batailler dix
minutes pour que la classe se mette au travail. Ensuite, victoire, ils sont tous plongés dans
l’écriture. Il règne un silence de cathédrale. Ils sollicitent de l’aide, de façon calme, en levant
la main.

Mardi 4 mai
Ils étudient tellement de textes qui renvoient à un monde qui n’est pas le leur, celui des
« bolos », des « boros », des « bourgeois ». La République leur fait miroiter l’ascenseur social
mais ils ne sont pas dupes. Ils voient bien que ça ne concerne pas la majorité d’entre eux. Les
grands sont partis en lycée pro, ou ils arrêtent l’école. « T’as vu Sofiane, ce qu’il est devenu !?
Et Karine ! Ouah, la came... » Combien de nos anciens passent en maison d’arrêt ? Trop de
nos élèves ont la rage parce qu’ils se sentent floués. L’école est en crise(s). Elle creuse et
légitime les inégalités avant tout sociales.

Vendredi 8 mai

C’est le printemps. Il y a une poussée, les corps s’affichent : décolletés, shorts…Ils débordent
d’énergie, ils ont besoin de se frôler, de se toucher, de se pousser, de se courser…

Jeudi 7 mai

Correction de devoirs de quatrièmes. Ils écrivent « juska » et « com », façon SMS. Un niveau
de primaire. Que faire ? Simplifier l’orthographe française ? Ou mettre le temps nécessaire
pour que tout le monde maîtrise ce code de lettrés ? En attendant, il faut parer au plus urgent :
les aider à découper le texte en phrases, à faire les accords de base, à s’y reconnaître dans la
forêt des homophones…

Mardi 12 mai

« Le sonnet, évolution d’une forme poétique. De la Pléïade à l’Oulipo. » Les troisièmes


doivent donner leurs impressions et paraphraser un sonnet de Ronsard. Ils s’embrouillent…
« Est-ce que Ronsard compare les larmes à une fleur ? ». « La fleur à une femme ? ». « Mais
non, la femme à une fleur ! »… pour ceux qui travaillent. Un quart de la classe ne bronche
pas, est ailleurs, ne tentera pas l’aventure du texte. J’accompagne les autres dans leur
exploration. Ils font des remarques pertinentes, des repérages intéressants.

Vendredi 15 mai

Huit élèves de quatrièmes me rendent leur devoir maison. Les autres s’affichent, avec une
espèce d’orgueil. Ils savent qu’ils n’ont pas fait leur travail, ils me regardent avec dédain, une
façon de se protéger…c’est un peu l’escalade. Séance qui commence sur le fil mais on aborde
l’image, le dessin de presse… des sujets qui les captivent. Finalement, ils participent bien.

Lundi 24 mai
Voyage en Bretagne, suite. Des élèves ont parlé, par bribes : en fait, le portable disparu a été
volé par un élève parisien. De toute façon, les grands-parents de la jeune fille lui en ont
racheté un.

Le voyage a fixé et ouvert les connaissances sur le Moyen-Age. Le devoir maison des
vacances abordait la mort du roi Arthur, parlait d’Excalibur, de Merlin…: presque tous les
élèves ont fait leur travail. Mais ils sont durs. Plus d’un mois après, ils voudraient encore être
dans l’ambiance du voyage, l’imposer dans leur quotidien. Ils supportent moins les
contraintes horaires. Ils font payer cher à ceux des collègues qui n’ont pas partagé le voyage.
La semaine dernière, la trousse d’un professeur a été volée, en classe. Du coup, le jeu de rôle
prévu avec les Parisiens, la soirée de restitution aux parents, avec les photos prises par les
élèves…tout est suspendu, jusqu’à nouvel ordre. Consigne leur est passée de se recentrer sur
les cours, sur le travail au quotidien. Il reste quatre semaines de travail avant le conseil, il est
encore temps de s’y remettre.

Mardi 25 mai

Seconde séance sur la science-fiction, avec les quatrièmes. La dernière fois, on a commencé à
lire une nouvelle de Gudule, un écrivain pour la jeunesse, sur le clonage. Ils étaient tous
dedans, ils avaient plein de choses à dire. Le thème du vivant, de la reproduction, les
passionne. Même si, au début, personne n’est capable de dire ce qu’est un clone. « Ben ouais,
les clones c’est des robots. » Je leur ai donné une demi-heure de travail sur le texte, à la
maison…et aujourd’hui, 7 élèves seulement, sur 20, l’ont fait. Ils ne travaillent pas assez. Le
soir, quand ils rentrent chez eux, beaucoup ne trouvent pas le cadre familial qui permette de
les accompagner, de les soutenir face aux exigences et à la cohérence du cadre scolaire. A la
place, il y a, pour eux, un effet de vide, d’absurdité, tout perd son sens. Super Mario reste
bloqué au premier niveau. Ils abdiquent. Ils décrochent. Le soir ? Ceux-là se sentent bien
mieux dehors.

Vendredi 28 mai

Poursuite de la séquence sur l’image, avec les quatrièmes : on étudie l’affiche de Saez
interdite dans le métro. Beaucoup de références leur échappent : « Le féminisme, c’est quand
on est une femme ». Pas un ne dément… mais ils connaissent le « Girls Power », la version
américaine et contemporaine de féminisme. Ils ont leur culture. Mais ils sont très peu en prise
sur l’actualité dominante. Ni journaux, ni radios généralistes. Ils sont sur Facebook, MSN, les
blogs…connectés à « leur » actualité, à chaud, à vif.

Mardi 1er juin

Atelier théâtre avec les quatrièmes. Il y a deux semaines, sur le plan dramaturgique, Benoît a
eu la belle idée de mêler le travail sur les textes de répertoire avec un travail d’improvisation
et d’invention sur le thème, choisi par eux, de la cité. La semaine dernière, séance riche et
inventive : répliques, enchaînements… les idées et les propositions ont fusé. En deux séances,
ils ont construit un bel objet à représenter. Aujourd’hui, l’élan est retombé. Plusieurs n’ont pas
travaillé l’expression, d’autres n’ont pas appris leur texte. Ça rechigne, ça traîne. En plus, la
représentation a été avancée d’une semaine par rapport à nos plans, elle aura finalement lieu
le mercredi 16 juin. Ce sera très « work in progress », en matière d’interprétation.

Jeudi 10 juin

Fenda est passée en conseil de discipline. Elle ne s’est pas présentée, seul son père est venu.
Elle ne faisait plus rien, accumulait les incidents et les rapports. On avait épuisé tous les
recours. Elle est exclue définitivement. Il serait préférable qu’elle soit réaffectée dans un
établissement d’une autre commune. Pour les équipes éducatives et pédagogiques, c’est un
échec.

Mardi 15 juin

Après une répétition chaotique de la représentation de demain, conseil de classe des


quatrièmes…et palier d’orientation crucial. En 1h20, c’est bouclé. Ca va trop vite. Ils vont
soit en 3ème générale, qui mène partout, soit en 3ème générale « découverte professionnelle 6
heures », qui débouche surtout sur le lycée professionnel, soit, pour les plus en difficulté, en
3ème d’alternance, qui mène souvent au CAP, la voie professionnelle courte. Le cinquième des
élèves de la classe part en alternance. Ils ne mesurent pas très bien qu’ils s’engagent sur des
voies de non-retour. C’est tôt, dans une existence. « Mais nous, on sait pas encore c’qu’on
veut faire ! », commentent-ils souvent. Et c’est tant mieux, ai-je envie de leur répondre. Ceux
qui ont un an de retard -on n’a pas d’autre formule pour eux, passent en troisième, sans
discussion du conseil. Quels que soient leurs résultats. Enfin, deux élèves redoublent. Voilà
une classe que nous n’avons pas pu assez accompagner. Pour la plupart d’entre eux, l’année
prochaine s’annonce difficile. Je retrouverai probablement en tant que prof principal, ceux qui
poursuivent l’option théâtre.

Nouvelle répétition, l’après-midi. Une comédienne, Ayse, est absente. Je l’appelle en vain, sur
son portable. Elisa apprend, en arrivant, qu’elle double. Elle n’a tenu compte d’aucune
remarque, d’aucun conseil. Elle s’effondre en pleurs. Ses copines proches s’émeuvent, il faut
envoyer Grâce à l’infirmerie. Ils ne tiennent pas plus d’une heure, débordent le cadre de
travail. Benoît et moi les emmenons se poser dans l’herbe, pour faire le point. Ils se calment,
assurent qu’ils veulent faire le spectacle, promettent qu’ils seront prêts pour la représentation
et à l’heure pour la répétition de demain à 16 heures ,et même 14 heures, pour ceux qui sont le
plus en retard dans l’apprentissage de leur rôle.
Mercredi 16 juin

17 heures 30 : c’est donc la fête du collège, pour valoriser les projets menés dans
l’établissement, en cours ou en option : danse, musique, chant, cirque, step, théâtre, expos…
La direction a prévu de dresser dans la cour une scène sonorisée et des panneaux. La
représentation théâtrale est prévue vers 19 heures 45, sous le préau, en clôture.

Flash back : 14 heures. Seuls Emilie et Hocine sont déjà là quand j’arrive, les deux qui
connaissent le mieux leur texte. Texto de Foulemata : « Bonjour monsieur ? Comment allons-
nous faire Grâce ne pourras pas venir empechement. C’EST FOULEMATA. ». J’appelle
immédiatement. Ce n’est « pas sûr, peut-être, mais… finalement… » et ça coupe. Je sens
qu’ils ne vont pas être faciles à rassembler. Des bruits courent. Je n’ai aucune nouvelle
d’Ayse qui n’est pas venue la veille…Je passe une série de coups de fil : courses urgentes à
faire, mal de dents, mal de crâne, rendez-vous en entreprise…Je tente de secouer et de
convaincre tout ce petit monde pendant que les autres arrivent au compte-goutte. Benoît est là,
un peu après trois heures. Je suis aux 400 coups. Impossible de répéter avant 16 heures 30. Et
il manque encore Kamel et Ayse. Kamel ne viendra pas, son rendez-vous en entreprise est
impératif, me confirme sa mère. Elle fera son possible pour essayer de le ramener à temps. Au
cas où, Yusuf a prévu de le remplacer. Ayse est chez le dentiste mais a promis d’essayer de
venir. Répétition à l’arrache. Ils sont électriques.

La fête commence devant 200 personnes, des élèves participants en majorité, quelques
parents… Le personnel éducatif, enseignant et administratif est assez bien représenté. Les
tours sur scène s’enchaînent allègrement. L’ambiance est agréable, les artistes s’appliquent.
Pas facile de se produire en plein air. Ayse apparaît à l’autre bout de la cour et je souris. Je
suis soulagé : mon plus gros travail est achevé, ils sont tous là, ils vont oser jouer, c’est le plus
grand objectif que je m’étais fixé. Le reste suivra. Il manque du travail de répétition, mais je
leur fais confiance et Benoît a su les emmener vers une exigence de troupe. Certains risquent
de manquer de volume mais ils seront tous là, dans l’espace de la représentation et c’est la
réussite essentielle. Yusuf avec qui Ayse joue un passage du Bourgeois gentilhomme, est parti
se restaurer. Elle est un peu impressionnée par le monde. Benoît l’emmène répéter sous le
préau. Habibe et Kenza, révélations de l’année avec Haroon, répètent aussi, un peu plus loin.

19 heures 20. Largement plus de cent personnes sont encore là et se pressent pour assister à la
pièce de théâtre. Les plus jeunes sont impatients de voir jouer les « grands »de quatrième. On
est un peu en avance. Dans les coulisses, ils trépignent, surpris par une telle assemblée. Allez,
tous en scène. Une grande première, pour la plupart. Belle entrée. Ils y sont. Foulemata nous
gratifie d’une magnifique arrivée sur le premier sketch et fait éclater de rire le public. Grâce
ne dépare pas. Elles assurent jusqu’à la chute, déclamée par Grâce à un mètre du premier
rang. Belle audace. La suite est en dents de scie mais tient le rythme attendu et la mise en
scène prévue. Quelques-uns ne parviennent pas toujours à faire face au public et à porter leur
voix. Yusuf qui a été brillant et moteur, toute l’année, a un étonnant coup de mou. Ayse s’en
tire bien. Emilie et Hocine sont admirables dans le Médecin malgré lui. On enchaîne.
Quelques répliques sont précipitées mais ils arrivent jusqu’à la pointe finale, et la chute
prévue fonctionne. Applaudissements nourris, rappel. Tous se congratulent et sautent de joie :
ils ont réussi à aller au bout des exigences de ce travail.

Jeudi 17 juin

Les troisièmes ont du mal à venir en cours. Ils n’ont pas d’emploi du temps spécifique pour
réviser les trois matières des épreuves écrites du Brevet. Leurs journées ressemblent à du
gruyère. La plupart renonce à venir en classe.

Aujourd’hui, je fais un cours à la carte à partir de leurs seules questions : techniques de


discours rapportés, changement de point de vue… joli petit tour d’horizon. Avec Linda, on
reprend le fonctionnement du texte argumentatif quand, tout à coup, Alexandre parle du texte
de Jean-Marie Pelt étudié en mars : il a récemment compris que le thème d’un texte n’est pas
forcément la première chose abordée, qu’il peut apparaître plus tard. « C’était pas les arbres
de la première ligne, là. C’est la course, plus loin. » Je salue sa réflexion et le progrès
accompli. Certes, ce progrès aurait pu intervenir plus tôt. En d’autres lieux, les élèves auraient
mis moins d’une semaine pour avancer ainsi…J’en profite pour souligner la qualité de sa
posture - cette manière de réévaluer un savoir -, le signe d’un esprit au travail. C’est ainsi
qu’il faudra procéder au lycée. Alexandre est, à ce jour, sans affectation pour l’année
prochaine. Il ne sait pas ce qu’il veut faire. Avec sa professeur principale et la conseillère
d’orientation psychologue, nous hésitons, depuis des semaines, sur son orientation. Il a cette
fatidique année de retard. Du coup, en présence de sa mère, l’institution lui a fait choisir un
bac pro vente, sans qu’il l’ait souhaité. Alors que nous, nous le verrions bien doubler en
troisième générale option découverte professionnelle 6 heures, pour se donner le temps
d’explorer plusieurs champs professionnels. Y a quèque chose qui cloche là-d’dans.

Vendredi 18juin

Un collège de rêve ?

J’avais posé la question à des sixièmes, il y a sept ans, pour un journal de classe.

Plus en prise sur la vie, où les élèves prendraient davantage en charge leurs études, leur travail
et la vie matérielle de l’établissement. Il y aurait des ateliers, on mènerait à bien des projets,
sans pour autant bannir le cours dialogué ou magistral. Je ne propose pas qu’on évacue les
équations et la grammaire, mais que les études soient plus enracinées dans l’expérience, dans
l’expérimentation. J’imagine une pédagogie active, dans un collège polytechnique, mutuel,
coopératif. Bref, émancipateur.

Je dirais aussi qu’on reprenne tout depuis le début. A l’école maternelle, il faut les choyer, les
éveiller, les encadrer, leur donner beaucoup plus, contenter leur curiosité. Et même avant, dès
la crèche ! D’une ville aisée à une banlieue déshéritée, les petits sont déjà à des années-
lumière du point du vue du langage, des acquis logiques, du rapport au savoir.
Je milite pour une autre école. Mais elle ne se fera pas sans une transformation sociale,
politique, économique de la société, qui offrira une véritable place pour chacun. En
attendant… on lit « Liberté, égalité, fraternité » aux frontons de la République ? La fraternité
est bien absente, et l’égalité reste à conquérir.

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