Pièce en un acte
et huit scènes
Personnages : Jacques (la cinquantaine), Antoine (trois ans
de moins) ami de longue date de Jacques, Agnès (la cinquantaine)
épouse de Jacques, Sylvie (trente ans au plus) nouvelle compagne
d’Antoine.
THEATRE DE LENCHE
MARSEILLE
Compagnie Zumaï (Marseille)
Texte
Ronald Bonan
Mise en scène
Jean-Michel Bayard
Lumière
Jean-Louis Floro
Décor, costumes
Anna Pauchet
Avec
Christine Gaya (Agnès), Gilles Guerin (Antoine), Albert Lerda
(Jacques), Atsama Lafosse (Sylvie)
2
Scène I
JACQUES, AGNES
AGNES
…oui, oui, mais je te l’ai déjà dit, je n’irai pas… pas sans
lui…je ne veux plus rien faire sans lui…mais vas-y, toi…je
te laisse ma place si tu veux, Antoine sera content, je le
connais…peut-être pas mieux que toi mais je le connais…
mais j’en suis sûre, tu peux me croire, depuis qu’il est avec
toi il a retrouvé la joie de vivre… …même Jacques le
trouve en pleine forme…plus jeune…comment te dire ?
Plus heureux ! Voilà il est plus heureux…et ça se voit. Bon
alors c’est d’accord ? Vous prendrez les billets tout à
l’heure…Je t’embrasse… (pose le téléphone)
C’était qui ?
AGNES
3
AGNES
JACQUES
AGNES
JACQUES
JACQUES
4
AGNES
JACQUES
Par exemple ?
AGNES
AGNES
JACQUES
AGNES
5
JACQUES
AGNES
JACQUES
Tu es folle.
AGNES
Ça t’arrange de le croire.
AGNES
JACQUES
Quoi ?
AGNES
6
Renverser les rôles…devenir la victime.
JACQUES
AGNES
JACQUES
Je te connais bien, va !
AGNES
JACQUES
7
AGNES
Tu détournes la conversation…
JACQUES
AGNES
JACQUES
AGNES
JACQUES
8
AGNES
AGNES, reculant.
9
… Sylvie va passer les prendre vers sept heures…
JACQUES
Mais où vas-tu ?
AGNES
Ça t’intéresse ?
AGNES
JACQUES
AGNES, sarcastique.
10
quelqu’un soit là pour que tu te deviennes le plus aimable
des hommes… « Jacques par ci, Jacques par là… », tout le
monde te trouve charmant, serviable…quel gentleman !
JACQUES
AGNES
Tu es ignoble !
JACQUES
JACQUES
AGNES, l’interrompant.
11
JACQUES
JACQUES, autoritaire.
AGNES, excédée.
12
AGNES
(Sort rapidement)
JACQUES, reprenant le journal, assis sur le canapé… songeur, se
donnant une contenance, se lève pour se servir un verre au bar, tremble
un peu visiblement.
Le téléphone sonne
JACQUES
13
Scène II
ANTOINE, JACQUES
JACQUES
ANTOINE
JACQUES
ANTOINE
JACQUES
14
ANTOINE, se tournant vers le canapé flambant neuf.
JACQUES
ANTOINE
15
JACQUES
Pas du tout !
JACQUES
ANTOINE
JACQUES
JACQUES
16
ANTOINE, changeant de ton.
JACQUES
ANTOINE
JACQUES
ANTOINE
JACQUES
17
ANTOINE
JACQUES
ANTOINE
JACQUES
ANTOINE
18
JACQUES
ANTOINE
…de quoi ?
JACQUES, l’apercevant.
Sers-toi…
ANTOINE
19
JACQUES
…d’ignoble…
ANTOINE
JACQUES
ANTOINE
Il y en a au moins un ! La concomitance !
JACQUES
JACQUES
Où tu es allé chercher ça ?
20
ANTOINE
JACQUES
ANTOINE
JACQUES
Quoi ?
ANTOINE
JACQUES
ANTOINE
21
JACQUES
JACQUES
Quoi alors ?
On sonne.
JACQUES, bondissant.
22
Scène III
JACQUES
ANTOINE
JACQUES
ANTOINE
23
JACQUES
Tu es bête…
ANTOINE
JACQUES
JACQUES, agacé.
SYLVIE
24
parle souvent de vous deux… du temps où vous étiez
étudiants…
ANTOINE
SYLVIE
SYLVIE
Antoine !
Jacques fait un geste apaisant en direction de Sylvie… il garde un
silence éloquent.
ANTOINE
25
SYLVIE, se levant à moitié pour se rendre compte sur quoi elle est
assise.
ANTOINE
SYLVIE
26
SYLVIE, regardant Antoine mais s’adressant à Jacques.
ANTOINE
ANTOINE
27
JACQUES
28
SYLVIE
ANTOINE
JACQUES
ANTOINE
JACQUES
29
ANTOINE
JACQUES
ANTOINE
JACQUES
ANTOINE
30
faire… alors voilà, je te parle franchement et voilà que tu te
fâches… or il n’y a que la vérité qui fâche !
SYLVIE
JACQUES
ANTOINE
JACQUES
Le téléphone sonne
31
ANTOINE
SYLVIE
ANTOINE
32
Scène IV
ANTOINE, JACQUES
ANTOINE
ANTOINE
33
JACQUES
ANTOINE
Avant quoi ?
JACQUES
ANTOINE
JACQUES
Aussi, oui.
ANTOINE
JACQUES
34
ANTOINE
Tu devrais pourtant.
JACQUES
ANTOINE
ANTOINE
35
ANTOINE
JACQUES
Quoi ?
ANTOINE
JACQUES
Oui et bien…
ANTOINE
36
Jacques, ton comportement à l’égard d’Agnès est celui d’un
étranger.
JACQUES
ANTOINE
JACQUES
Comment « pire » ?
ANTOINE
JACQUES
Je ne comprends pas.
37
ANTOINE
JACQUES
ANTOINE
JACQUES
A quoi ?
38
ANTOINE
JACQUES
Agnès
ANTOINE
JACQUES
Quel effet ?
ANTOINE
JACQUES
39
ANTOINE
ANTOINE
T’aider ?
JACQUES
JACQUES, ironiquement.
40
ANTOINE
JACQUES
ANTOINE
JACQUES
ANTOINE
JACQUES
41
ANTOINE
Mais ce n’est pas parce qu’elle a tout pour elle, qu’elle a tout
pour moi. Tu me comprends Jacques ? (Les deux amis se
regardent un peu interloqués) Je crois que je ne l’aime pas…
JACQUES
Oui, parfaitement.
ANTOINE
JACQUES
42
ANTOINE
JACQUES
ANTOINE
JACQUES
ANTOINE
JACQUES
43
ANTOINE, l’air un peu rêveur.
JACQUES
Oui
ANTOINE
JACQUES
JACQUES
ANTOINE
44
JACQUES, se levant du canapé
ANTOINE
JACQUES
ANTOINE
JACQUES
45
ANTOINE, se lève pour rejoindre Jacques au bar où un autre verre
l’attend.
JACQUES
ANTOINE
JACQUES
JACQUES
46
elle a exprimé un doute sur le fait qu’Agnès et moi on
pouvait s’être mis d’accord après tout pour l’acheter ce
canapé, et l’anniversaire en était la première occasion…
mais cela n’effleure pas ton esprit borné.
ANTOINE
ANTOINE
Et toi à Sylvie !
JACQUES
Et si on échangeait ?
47
ANTOINE, levant son verre aussi.
On sonne. C’est Antoine qui va ouvrir, plus près de la porte qui mène
à l’entrée.
48
Scène V
SYLVIE, JACQUES
SYLVIE
JACQUES
SYLVIE
JACQUES
SYLVIE
49
JACQUES
SYLVIE
SYLVIE
50
JACQUES
Vous croyez ?
JACQUES
SYLVIE
JACQUES
C’est drôle
JACQUES
SYLVIE
51
JACQUES
Quoi donc ?
SYLVIE
Qu’il m’aimait, et vous…
JACQUES
…toi…
SYLVIE
52
même cette forme nouvelle de pudeur masculine ! Et puis
je suis sûr que faute de le dire clairement il te le fait
comprendre…
SYLVIE
JACQUES
JACQUES
SYLVIE
Quoi ?
53
SYLVIE
Non, non.
JACQUES
SYLVIE
JACQUES
SYLVIE
JACQUES
SYLVIE
54
JACQUES
SYLVIE
Quelle question ?
JACQUES
SYLVIE
SYLVIE
JACQUES
55
SYLVIE, indifférente à cette remarque mais pressée d’avoir la
réponse à sa question
Pourquoi tu dis ça ?
JACQUES
SYLVIE
Je ne crois pas…
JACQUES
SYLVIE
56
JACQUES
JACQUES
Ça te déçoit ?
JACQUES
SYLVIE
JACQUES
57
SYLVIE
JACQUES
Un peu.
SYLVIE
Quoi ?
JACQUES, parlant désormais sans voir Sylvie
Mais…
58
JACQUES
SYLVIE
JACQUES
SYLVIE
JACQUES
SYLVIE
Mais Jacques…
On sonne.
59
Scène VI
Jacques se lève, Sylvie est un peu pétrifiée : elle regarde Jacques d’un
regard interrogateur.
J’espère que vous avez été sages tous les deux ! (S’adressant à
Jacques, tout en déboutonnant son imperméable) De quoi avez-
vous causé ?
JACQUES, médusé
Quoi ? Tu me parles ?
60
ANTOINE
Bon, vous m’avez l’air bien sonné tous les deux… je vous
réveille peut-être !
ANTOINE
JACQUES
61
ANTOINE
Oui, elle s’est tue, c’est vrai. Ce n’est pas un crime après
tout.
JACQUES
ANTOINE
SYLVIE
Tu as du gin ?
ANTOINE
62
SYLVIE
Qui en veut ?
ANTOINE
JACQUES, timidement
63
SYLVIE, voulant détendre l’atmosphère et retrouver un thème de
conversation commune.
C’est moi qui ai payé ces billets, c’est à moi que tu les
rembourserais si j’acceptais que tu le fasses !
AGNES
JACQUES
64
AGNES
AGNES
JACQUES
AGNES
JACQUES
65
AGNES
Si tu le désires vraiment…
AGNES
JACQUES
AGNES, l’interrompant
JACQUES
66
AGNES
JACQUES
AGNES
AGNES
JACQUES
67
JACQUES
JACQUES, énervé
AGNES
JACQUES
68
AGNES, Saisissant au contraire la perche.
Si justement !
JACQUES
AGNES, l’interrompant
…laisse Antoine…
JACQUES
AGNES
JACQUES
69
AGNES
AGNES, virulente
JACQUES
70
pas les emporter dans ta chute ! Pas eux… (se levant pour aller
caresser les cheveux de Sylvie comme en prise à un instinct de
protection)… pas elle surtout !
JACQUES
C’est toi qui les prends en otage, c’est toi qui leur offre ce
spectacle incroyable… ce caprice incompréhensible…
…un caprice ?!
JACQUES
Salaud !
JACQUES
71
AGNES, enchaînant les mots
Ah !!!!!
JACQUES
72
AGNES, fixant Jacques comme un insecte se débattant
JACQUES
…quoi…
AGNES
AGNES
JACQUES
…j’écoute !
73
en guise de cadeau d’anniversaire t’avait réellement tenté et
que, te rendant compte de ce que tu faisais, tu t’étais ravisé,
tu avais acheté autre chose, un vrai cadeau… un qui
convienne à l’occasion, mais que tu aies voulu quand même
acheter ce canapé parce qu’il te plaisait… et tu t’es dit « on
va voir la tête qu’elle fait si je lui dis que c’est son
cadeau…. »… parce que tu as toujours été ainsi, tu as
toujours voulu provoquer mes réactions, celles qui te
déplaisent le plus…
JACQUES
JACQUES
74
SYLVIE, sortant soudain du silence comme pour aider un
accouchement difficile
75
SYLVIE, sidérée, l’air interrogatif et presque incrédule
… ce corps ?
AGNES
AGNES
76
toujours voulu en avoir ! Et tu t’es moqué de cet
enfantillage qui n’en est pas un… tu m’as obligée à
réclamer ce qui devait être le résultat d’un élan spontané…
tu as fait de moi une femme capricieuse…. Et de notre
amour quelque chose qui ne survit que sous mon assistance
respiratoire… et maintenant par acharnement
thérapeutique ! Tu ne comprends pas que je m’accrochais à
ces anniversaires comme une religion s’accroche à ses rites
pour résister à sa disparition programmée ? Mais tu as
profané ce dernier symbole, tu as rendu à l’anonymat la
dernière forme de parole intime, le dernier geste privé qui
maintenait en vie ce petit accord secret qui fait que deux
personnes se chérissent au-delà de ce que tout le monde
peut voir ou savoir d’elles…. par ce cadeau absurde, tu as
rendu publique notre relation privée… notre absence de
relation privée, et c’est pour cela qu’il est déplacé, indécent,
impudique, obscène… pornographique ! Tu nous à mis à
poil devant tout le monde… voilà ce que tu as fait…
JACQUES
… c’est donc ça !
AGNES
77
construire cette chose fragile que le temps a toujours beau
jeu de défaire… mais qui puisse lui résister un peu, le temps
d’une vie partagée… et toi tu as lentement défait ce rêve…
comme on dépose une mosaïque, pièce par pièce,
méthodiquement…
JACQUES
AGNES
AGNES
78
AGNES, trouvant l’adjectif idoine
JACQUES
AGNES
79
AGNES, saisissant l’occasion pour l’asséner
JACQUES
JACQUES
AGNES
80
totale… alors qu’il n’a été qu’une preuve de faiblesse, qu’un
signe de renoncement, une folie ! Tu l’as bien compris de
ton côté, tu as compris que rien ne pouvait me coûter plus
cher et que tu pourrais me faire accepter n’importe quoi !
JACQUES
AGNES
SYLVIE, inquiète
…presque ?
AGNES
81
oubliée… tu répondais de moins en moins à mes questions,
ou bien par des sons inarticulés… toi qui sais si bien manier
les mots… c’est en parlant que tu m’as séduite d’ailleurs te
souviens-tu ?
JACQUES, impatient
AGNES
JACQUES
AGNES
82
remplacé depuis une semaine par ce canapé… par mon
cadeau d’anniversaire… où tu es assis, où tu liras encore
plus longtemps et encore plus silencieusement ton
journal…
JACQUES, sardonique
AGNES
Je t’ai choisi pour progresser avec toi dans la vie, pas pour
faire une course contre la montre ! Tu n’as que ce mot à la
bouche… jeune… jeune… la jeunesse… mais qu’est-ce
que ça veut dire ? Jeunes, nous l’avons été… comme tout le
monde, et nous le serions encore si tu ne posais pas sur
moi ce regard éteint… sans désir, si tu n’avais pris le
moindre soin de ce qui rend un couple imperméable au
83
temps… à ce qui le met à l’abri de l’usure… (découragée)…
mais le pire dans toute cette histoire est l’absence
d’explication… j’accepterais tout, j’assumerais cette
dégringolade, la destruction de mes rêves, la banalité du
quotidien, l’usure et la routine, si je pouvais comprendre
pourquoi… pourquoi tu fais ça ? … Qu’est-ce qui a pu te
retenir ? (Ne sachant plus comment poser la question, donc élevant
la voix en direction de Jacques)… Pourquoi ? (Se tournant
successivement vers Antoine et Sylvie) Qu’est-ce que j’ai pu faire
pour mériter ça ? Est-ce que j’en demande trop ? Est-ce
c’est moi qui deviens folle ?
Agnès fait mine de vouloir répliquer mais Antoine lui fait signe de
laisser parler Jacques comme s’il avait peur que la moindre
interruption tarisse son discours
84
par un geste d’impuissance)… des mots que tu prononces sans
cesse, que tu martèles, obstinément, avec constance…
AGNES
… quels mots ?
... des mots dont je sais le sens mais dont je n’éprouve pas
la réalité… enfin pas celle que tout le monde semble leur
associer… et il me fallait du temps…il me fallait du temps
pour les apprendre, pour apprendre à les utiliser, pour les
faire miens… et tu ne m’as pas laissé ce temps… je n’ai pas
pu… su… et je me suis perdu, oui en effet…
AGNES, ironique
85
justement… ce n’est pas de l’ordre du négociable, du
discutable…. Cela devait être comme tu te le représentais…
pas autrement ! Incontestable ! Alors il ne restait plus qu’à
tenter de résister… pour tenter de dire que l’on pouvait
vivre autrement, aimer autrement… mais tu restais sourde à
cette réclamation, aveugle à toute autre manière d’être,
persuadée obstinément d’avoir la raison pour toi, justifiée
par l’amour lui-même… et de ce fait te résister n’était pas
résister à une personne, non ! Te résister c’était résister à
l’amour lui-même, celui que tu offrais sans compter, qu’il
fallait prendre ou laisser ! Alors j’ai protesté, souviens-toi ?
J’ai protesté, résisté, dénoncé… oui j’ai dénoncé cette vie à
deux mais à sens unique, à prendre ou à laisser, j’ai essayé
de dire que je ne la supporterai pas, que ses conventions
m’étoufferaient, qu’elle m’effrayait aussi… et tu as toujours
eu la même réaction, la même réponse, la même réplique,
tu n’a pas avancé d’un pouce en ma direction, persuadée
que tu avais déjà fait d’un coup, d’un seul, tout le chemin
en me déclarant ton amour, qu’il n’y avait plus rien à dire
donc, que tout était entendu, joué, dévoilé. Mais là où tu
avais la certitude d’être en face de l’homme de ta vie, moi
j’avais encore besoin de comprendre ce qu’aimer voulait
dire… (prévenant toute objection) oui ! à mon âge, oui… il n’y a
pas de limite d’âge pour cela que je sache ! Mais toi tu
savais ! Mais comment peut-on être aussi sûr ?
SYLVIE
86
JACQUES, comme ignorant d’où lui vient la suggestion
AGNES, péremptoire
JACQUES, poursuivant
ANTOINE
87
JACQUES, toujours indifférent à l’origine des répliques
AGNES, interrogative
88
avait comme une infirmité dans mon âme, une fêlure, une
blessure si ancienne qu’elle m’empêcherait d’être tout à toi,
de ne faire qu’un avec toi, qui me retiendrait dans mon
passé et rendrait toujours incomplète la fusion de nos deux
êtres… Alors j’ai fait confiance à tes certitudes et j’ai essayé
encore de marcher à ton rythme, d’être dans le coup, de
sourire quand il le fallait, de faire ce que l’on attendait de
moi quand il fallait, et je te voyais t’épanouir dans ce demi
mensonge sans oser briser cet élan qui était le tien… que je
ne me sentais pas le droit de décourager…
ANTOINE
JACQUES
ANTOINE
JACQUES
89
Agnès) j’ai essayé de te pousser dans les bras d’un autre, de
nous libérer l’un et l’autre de cette illusion qui te faisait voir
en moi celui que je n’étais pas, j’ai brisé le pacte, transgressé
les règles, profané l’alcôve. Mais ce que tu as mis sur le
compte d’une vulgaire escapade, était en vérité ma façon de
te dire : « pars, pars alors qu’il est encore temps, ne te
contente pas d’aimer une image, cherche un être de chair
qui te corresponde, qui soit un peu ce que tu vois en
lui… ne prenons pas ce risque mortel de nous réveiller un
jour en nous apercevant que chacun à vécu toute une vie à
côté d’un étranger… ouvre les yeux ! »… et qu’as-tu fait ?
Tu m’as traité de lâche et de menteur, tu n’as pas cru un
instant que je pouvais penser à toi, que je pouvais être dans
le vrai pour une fois contre ton idéal mais pour qu’un avenir
plus vrai soit possible, pour nous donner à tous deux la
possibilité d’être ce que nous étions réellement… non, tu as
tout balayé d’un revers de la main, de ta colère noire, puis
de ton amour sans l’ombre d’un doute… tu m’as rappelé à
l’ordre de ton exigence, persuadé que je me mentais, que je
nous mentais, que je m’égarais dans des tentations, que je
n’avais pas le courage de mes engagements… que je
conspirais contre ce que tu avais construit avec sincérité et
dévouement…
JACQUES
90
d’affronter la blessure de ma défaillance… sauf que de
devoir admettre que tu avais forcé les choses à être
conformes à tes désirs
AGNES
Mais qui…
91
m’enfonçais jour après jour dans une sorte de nuit des
sentiments, incapable de discerner le vrai du faux, vaincu et
docile… et alors j’ai fini par m’asseoir ici, à me perdre dans
la lecture du journal… à chercher mes jouissances dans
l’absence de sentiment… à faire des affaires, bref à avoir
pour chercher à n’être personne… faute d’être celui que tu
croyais aimer, et pour oublier… oui, m’oublier…
AGNES
(Agnès sort la tête dans les mains voulant cacher un accès de pleurs)
Agnès !
92
Scène VII
ANTOINE, SYLVIE
SYLVIE, comme après avoir été témoin d’un terrible accident, sous le
choc
SYLVIE
ANTOINE
SYLVIE
…presque ?
93
SYLVIE, s’en rendant compte et voulant éviter tout rapprochement
ANTOINE
SYLVIE
ANTOINE
SYLVIE
ANTOINE
Quelqu’un d’autre
Qui ? Qui sait des choses sur moi que j’ignorerais moi-
même ?
94
ANTOINE, rassurant, un peu paternaliste
Si tu veux
SYLVIE
SYLVIE
95
ANTOINE
SYLVIE
ANTOINE, insistant
Réalisé quoi ?
SYLVIE
SYLVIE
96
ANTOINE, l’accueillant dans ses bras mais avec une certaine
distance
SYLVIE
ANTOINE
ANTOINE
SYLVIE
Oui comme Agnès… et alors toutes les choses que l’on fait
parce qu’on n’avait pas compris comment il faut faire
deviennent inutiles… et…
97
ANTOINE
SYLVIE
SYLVIE
98
ANTOINE, poursuivant comme si Sylvie n’avait pas parlé
ANTOINE
SYLVIE
99
SYLVIE, spontanée
ANTOINE
ANTOINE
SYLVIE
ANTOINE
100
ANTOINE, excédé
Alors comme ça Jacques t’a fait des avances ?... Quel salaud
(sur un ton plaisant comme si cela était habituel)… on ne peut pas
le laisser cinq minutes….
SYLVIE
Petit jaloux va !
ANTOINE
SYLVIE, flattée
ANTOINE
101
SYLVIE
ANTOINE
Je te remercie !
SYLVIE
ANTOINE, banalement
SYLVIE
102
SYLVIE
ANTOINE
SYLVIE
103
ANTOINE
Ah bon !?
SYLVIE
ANTOINE, agacé
104
SYLVIE, fière de sa démonstration
SYLVIE, interloquée
Mais…
SYLVIE, sidérée
105
SYLVIE
ANTOINE
SYLVIE
ANTOINE
SYLVIE
ANTOINE
106
SYLVIE
ANTOINE
C’est absurde
SYLVIE
Tu es terrible !
SYLVIE
Terriblement amoureuse…
Tu m’épates parfois…
SYLVIE
ANTOINE
107
aventure à corps perdu et en réalité tu as déjà toute une
philosophie de l’amour, des rapports des hommes et des
femmes, des rôles de chacun…
Non.
SYLVIE
ANTOINE
SYLVIE
ANTOINE
SYLVIE
Je ne comprend pas !
108
ANTOINE
SYLVIE
SYLVIE
109
de l’autre… et si l’autre nous correspond… on ne sait
jamais si un autre peut nous rendre heureux et si on peut le
rendre heureux…
ANTOINE, rêveur
SYLVIE
Mais….
110
Scène VIII
JACQUES
ANTOINE
Comme tu vois !
SYLVIE
Fidèles au poste !
JACQUES
111
ANTOINE
SYLVIE
Antoine !
Il n’y aura pas d’autre fois ! Les places sont rares et chères !
Et c’est la dernière…
112
SYLVIE
JACQUES
ANTOINE, cassant
SYLVIE
Mais Antoine…
ANTOINE
(Regardant le cadran qui indique 19h)
AGNES
(Se levant brusquement)
Allons-y.
Rideau.
113