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Les C.E.R. (Centre Educatifs Renforcés) sont des dispositifs particuliers, dans
l’éventail du travail social. De création récente, ils posent de multiples interrogations.
L’article ci-dessous élabore certains de ces questionnements et, comme publication
de Pratiques Sociales, est soumis au débat des lecteurs.
[Cet article est la réécriture de l’intervention de l’auteur,lors du Colloques de Cahors,
en septembre 2001]

Saül Karsz
Les Centres Educatifs Renforcés,
ou le travail social à l’état (presque) pur.

De création récente, les centres éducatifs renforcés (C.E.R.) s’inscrivent de fait


dans une tradition forte, à la fois persistante et récurrente, de l’intervention so-
ciale : depuis les maisons de redressement, les colonies d’enfants, en passant par
les unités d’éducation renforcée etc. Des initiatives comparables prennent au-
jourd’hui forme, tels les centres de placement immédiat ; d’autres devraient voir
le jour... Cependant, on ne prétendra pas que c’est là l’avenir prévisible, ou même
souhaitable, de l’ensemble des interventions sociales. L’hypothèse proposée ici
est autre. Si les C.E.R. constituent une des très nombreuses modalités
d’intervention sociale, en même temps ils mettent en scène des pans essentiels de
l’intervention sociale, toutes branches confondues. Mise en scène qu’on peut
qualifier de «dépouillée», sinon «exacerbée», en ce sens que les C.E.R. donnent à
voir de façon relativement manifeste des dimensions, des registres, des interroga-
tions qui dans d’autres configurations du travail social paraissent moins évidents,
davantage édulcorés. De par leur genèse récente, leur diffusion encore limitée, et,
surtout, de leur proximité manifeste d’avec les appareillages judiciaires et les
instances de pouvoir politique, les C.E.R. rendent malaisés des jeux d’esquive et
des sublimations usuels dans d’autres champs. C.E.R. ont tendance à grossir ce

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que d’autres dispositifs sociaux ont tendance à minorer. Comprendre les C.E.R.
revient alors à identifier des structures constitutives de toute intervention sociale.
Réciproquement, identifier les logiques et les enjeux de l’ensemble du travail
social permet de mieux repérer ce qu’il en est des C.E.R. : les difficultés, tâton-
nements, ratages que ces derniers peuvent connaître constituent des versions en
quelque sorte «aiguës» de problématiques que l’on retrouve ailleurs.

On qualifiera les C.E.R. d’expérience fascinante : leur création récente permet


de saisir in vivo un processus de gestation et de recherche rythmé par des avan-
cées, des impasses et des contradictions saillantes.
Dans ce processus, deux paramètres méritent une attention particulière.
Le premier revêt un caractère explicitement institutionnel et politique.
Comme l’ensemble des pratiques sociales, celles des C.E.R. ont une visée
d’insertion scolaire ou professionnelle de leurs publics, elles interviennent sur
le rapport de ces derniers à la loi et aux institutions, sur l’éventuel rétablisse-
ment des liens familiaux, dans l’orientation vers des traitements psychologiques
et psychiatriques... Or, ce faisant les C.E.R. ne peuvent guère faire l’économie
du fait que ces visées ne concernent pas seulement les jeunes, ni uniquement
leurs familles. Le but recherché n’a pas une portée exclusivement individuelle.
Sont également, voire sont surtout en cause les liens tissés ou susceptibles
d’être tissés dans les lieux de résidence (quartiers) et de formation (écoles,
centres d’apprentissage), le développement de relations (amicales, amoureuses)
non fondées sur la délinquance ou la violence, l'accentuation du travail légal
comme source souhaitable de revenus : l’inscription des publics accueillis à
des places sociales considérées comme «normales» définit une préoccupation
stratégique des C.E.R.
Les jeunes y importent en tant que représentants d’univers sociaux donnés, en
tant que facteurs de stabilisation ou de déstabilisation de l’ensemble des rap-
ports sociaux. Eu égard aux caractéristiques objectives et subjectives des popu-
lations qui leur sont confiés, les C.E.R. jouent une mission explicite de contri-
bution au maintien de l’ordre publique. En prise directe et manifeste avec
l’appareil judiciaire, ils ne sauraient laisser trop dans l’ombre les paramètres
administratifs, institutionnels, politiques de leurs pratiques.
Le deuxième paramètre, étroitement lié au précédent, concerne l’identité pro-
fessionnelle. Serpent de mer de l’ensemble des professions sociales, l’identité
professionnelle y est généralement taxée d’improbable, d’instable : on dit sou-
vent qu’elle reste à construire. C’est également le cas pour les personnels inter-
venant dans les C.E.R., mais de manière encore plus accusée. A ce jour, les
formations de départ de ces personnels - éducateurs de la Protection Judiciaire
de la Jeunesse, éducateurs spécialisés et assistants de service social, mais aussi
des instituteurs, des personnels sans formation particulière - ne les prépare pas
spécialement à intervenir dans des C.E.R. A ma connaissance, il n’existe pas de
formation centrée sur les spécificités de ces établissements. Même l’internat ou

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le foyer, milieux dits fermés en opposition aux pratiques d’AEMO, ne peuvent


finalement être comparés au placement dans des C.E.R., ne serait-ce que par la
prise en charge ininterrompue et fort personnalisée, généralement désignée par
«globale», qui caractérise ces derniers. S’y ajoutent, comme évoqué ci-dessus,
l'articulation explicite à l’appareil judiciaire, le recours qui peut être fait aux
forces de police, le rappel - plus ou moins insistant selon les établissements - à
la loi et aux normes. Cependant, les C.E.R. ne sont nullement des dispositifs de
contention. Ce qualificatif n’en dit pas assez, ou en dit trop. En effet, s’il ne
s’agit pas de garderies, ce ne sont pas non plus des formes soft de renferme-
ment : d’une part, parce que, presque par définition, les C.E.R. n’ont rien de
soft, d’autre part parce que si renfermement il y a, il ne prend pas la forme de la
détention, des barreaux, etc. Dans leur structure et dans leur fonctionnement, les
C.E.R. ne sont pas assimilables à des établissements pénitentiaires, leurs per-
sonnels étant dépourvus d’un rôle de surveillants. Mais, par là même, cela pose
avec une extrême acuité la question de l'identité professionnelle des personnels
: ni forces de l’ordre ni travailleurs sociaux «ordinaires». En fait, caractériser ce
que cette identité n’est pas semble plus aisé qu’identifier ses déterminations
positives. Situation fort gênante, on s’en doute. Notamment pour les personnels
: sont en jeu les motivations de ces derniers, composante majeure du succès ou
de l’échec des C.E.R.
En fait, il semble exclu que la question de l’identité puisse s’élaborer sans une
mise à jour rigoureuse, pour ne pas dire sans une définition suffisamment ar-
gumentée, de ce qu’est l'intervention sociale en général, dans les C.E.R. en par-
ticulier.
Or, que cette élaboration soit rendue nécessaire par les caractéristiques particu-
lières des pratiques en C.E.R., n’implique nullement que chez les travailleurs
sociaux exerçant dans d’autres établissements, l’identité professionnelle consti-
tue une éclatante évidence. Loin s’en faut, en réalité ! Dans ce sens aussi, les
C.E.R. mènent au paroxysme des questionnements qui se retrouvent dans l'en-
semble du travail social.
Plus loin, j’aurai l’occasion de revenir sur ces deux paramètres, à mes yeux
stratégiques, clés de voûte de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas en C.E.R.
Pour le moment, je voudrais souligner pourquoi les pratiques des C.E.R. ne sont
pas, ne peuvent pas être ni simples ni évidentes.

1. Quels publics sont (ac)cueillis dans les C.E.R. ?


La définition des publics (ac)cueillis conditionne le genre de pratiques suscep-
tibles d’être mises en œuvre à leur intention. Or, ce ne sont pas leurs éventuels
«profils-type», psychologiques et-ou sociologiques, qui nous intéressent ici,
mais les catégories avec lesquelles et sous lesquelles ces publics sont reçus,
admis, traités. Il s’agit de vocables ou de formules («prédélinquants» «lourds
problèmes psychiatriques», etc.) qui, jamais anodins, constituent la tête de pont
de problématiques précises, caractérisées par des présupposées et par des visées

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chaque fois spécifiques. Autant dire que changer de catégorie ne consiste pas à
changer d’étiquette, mais de manière de penser et de manière de faire. C’est
pourquoi les différentes catégories ne constituent pas des synonymes interchan-
geables. Bref, il s’agit de véritables constructions théoriques et idéologiques.
Elles jouent un rôle généralement sous-estimé mais particulièrement détermi-
nant dans les difficultés et dans les avancées des C.E.R.

Les mots, entre force et équivoque.


Les mots sont à la fois en prise avec le réel (ou plutôt avec un certain réel) dont,
en même temps, ils constituent un prisme, voire un écran. Ils désignent autant
qu’ils filtrent.
Ils sont indispensables pour nommer, désigner, faire état, donner du sens. A
défaut, il n’y a pas de «jeunes en difficulté», ni «d’équipes démotivées», mais
des comportements et des affects qui recevant d’autres appellations, seront trai-
tés selon d’autres modalités pratiques. Selon que le sujet dit toxicomane est ca-
tégorisé comme «malade» ou comme «délinquant», ce ne sont pas les mêmes
experts qui sont convoqués, ni les mêmes méthodologies d’intervention, ni bien
entendu les mêmes institutions. Dans ce sens, si le réel - qui existe sans les
mots, indépendamment des mots - reste innommable, il s’avère hors sens, il met
à l’épreuve toutes les désignations, dont il souligne l’infranchissable limite,
telle la mort. C’est pourquoi les éducateurs devraient éviter d’imaginer qu’ils
«comprennent» les jeunes au point de «pouvoir se mettre à leur place».
Et, en même temps, les mots n’ont rien d’anodin ; jamais ils ne sont ni inno-
cents, ni aléatoires. Ce que chacun entend est fonction des catégories dont il
dispose, définies ici comme des tables d’écoute. Les mots nomment autant
qu’ils cachent, ils désignent autant qu’ils occultent. Ainsi, si le sujet toxico-
mane est catégorisé comme malade, il s’ensuit que sa situation judiciaire repré-
sente une variable secondaire, en termes de contexte de la dite maladie ; en
revanche, catégorisé comme «délinquant», sa structure psychique vient complé-
ter son portrait judiciaire, pour minorer ou pour majorer la peine, pour mieux
comprendre l’acte pour lequel il est jugé : le délinquant n’est pas défini par ses
états de manque, mais par un délit.
Et, pourtant, délinquant et/ou malade, ou autre chose, c’est bien de la même
personne dont il s’agit, - du même réel existant en dehors de toute appella-
tion, mais qui ne peut être saisi que si des appellations et des étiquetages sont
à l'œuvre.
Il y a là une tension constitutive, une contradiction finalement insoluble. Car les
mots sont chargés, au point qu'ils peuvent coincer les praticiens, en les faisant
poursuivre des chimères, ou en les forçant à laisser filer des réalités tout à fait
consistantes. C’est pourquoi on a toujours un intérêt pratique à travailler théori-
quement sur les mots : fort utile pour se faire moins travailler par eux, pour ne
pas trop se tromper de cible.

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Les exemples font légion. Soit le couple «jeunes/adultes» : il désigne des diffé-
rences réelles entre les générations, des structures subjectives et des positions
objectives différenciées, mais peut faire oublier que nombre des jeunes ont des
expériences et des histoires de vie que plus d’un adulte ne connaîtra jamais.
Source, parfois, d’un sentiment d'étrangeté des éducateurs vis-à-vis des jeunes
qu’ils accueillent. En fait, ceux désignés comme «adultes» peuvent l’être d’un
point de vue physique, mais pas forcément de par leurs structures psychiques ;
«adultes» car chargés de famille, mais jeunes, très jeunes de par leur fonction-
nement personnel. Ou tout le contraire... Dans tous les cas, des modèles impli-
cites et explicites sont à l'œuvre, à la lumière desquels des désignations comme
«jeune/adulte» ont certes un sens mais colportent également de sérieux malen-
tendus. On n’est pas jeune de la même manière dans toutes les sociétés, ni non
plus dans toutes les couches et les classes sociales [cf. l’article de Pierre Bour-
dieu, «La jeunesse n'est qu'un mot»]...
Cela dit, je ne défends nullement l’idée que tout revient au même, ou que tout
se vaut. Les remarques ci-dessus indiquent qu’il y a danger à prendre à la lettre
les catégories les plus usuelles, y compris celles fournies avec les placements.
Fournies avec les placements, en effet, dans la mesure où ceux-ci sont accom-
pagnés de discours plus ou moins articulés, de justifications plus ou moins ar-
gumentées, de décisions relativement motivées, bref de mots, de vastes mon-
tages langagiers. Prendre les catégories et les catégorisations à la lettre accroît
les risques de projection incontrôlée et d’identification imaginaire. Le profes-
sionnel peut développer une vision par trop infantile des jeunes, d’où certaines
attitudes infantilisantes à leur égard ; ou, au contraire, des comportements qui
font appel à une maturité que les jeunes n’ont pas toujours, mais dont, bizarre-
ment, l’éducateur est convaincu d’être, lui, l’exemple par excellence.
Prenons d’autres exemples. On constate souvent que «les jeunes ne sont pas
dans la parole», «qu’ils nous arrivent sans grand chose», «ont de graves pro-
blèmes psychiatriques». C’est pourquoi il s’agit de les «remotiver», de les «so-
cialiser» ou de les «resocialiser», de «faire émerger le désir», notamment grâce
à une «rupture d’avec le milieu naturel»...
Faute de pouvoir examiner de près chacune de ces catégories, je me limite à
quelques expressions typiques. Soit les jeunes qui ne seraient pas dans la parole
; remarque de départ : il ne s’agit pas de la parole, de la parole en général,
comme s’il n’en existait qu’une seule, formatée selon un moule unique. En fait,
des jeunes ne sont pas dans la parole que nous pouvons entendre, celle - relati-
vement typée et typique - que nous sommes armés et-ou habilités à entendre,
celle dont nous avons, nous, besoin, pour qu’une démarche éducative se mette
en place. Là prennent racine des difficultés - réciproques - pour travailler en-
semble...
Certes, la parole est de loin préférable au passage à l’acte, notamment aux vio-
lences. Hélas, cela suppose d’accréditer la parole, ou les paroles, de vertus que
sans aucune doute elles possèdent bel et bien, mais qui hélas sont loin d’être
des évidences ! En effet, des expériences peuvent rendre cette accréditation ma-

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laisée, sinon invraisemblable. Expériences des jeunes confrontés à des maîtres


d’école qui font un usage aussi éthérée que boulimique de la parole, sans prise
sur le réel du quartier, sur la vie des gens, ou qui passent leur temps à rappeler
que la vraie vie se passe ailleurs, sous d’autres cieux, avec des personnages ra-
dicalement étrangers à la vie quotidienne des élèves ; bref, des maîtres qui
s’entêtent à transmettre une culture chloroformée, formolisée. Expériences de
paroles qui se retournent en leur contraire, avec des promesses réitérées mais
jamais tenues. Expériences de paroles qui agressent, qui violentent, qui embo-
binent. Etre dans la parole ne va jamais de soi, et peut aboutir à une injonction
paradoxale infligée au jeune : «l’obligation de parler» (d’avouer ?), - sorte de
passage à l’acte psychologique et culturel de la part de l’éducateur.
A propos des «problèmes psychiatriques», je voudrais signaler que seuls les
psychiatres en ont, tandis que les jeunes ont des problèmes psychiques, trai-
tables d'une certaine manière par la psychiatrie, d'une autre manière par la psy-
chologie, d’une toute autre manière par la psychanalyse... Poser d’emblée que
des jeunes ont des «problèmes psychiatriques» risque de faire fonctionner
comme un diagnostic ce qui en réalité est juste une métaphore, une façon de
parler.
Ces jeunes sont-ils définis par leur caractère de «prédélinquants», voire de «dé-
linquants», par leurs «graves difficultés psychiques et-ou sociales», par leur
condition de «sujets désocialisés» ? Des équivoques tenaces y sont constam-
ment à l'œuvre, notamment autour du judiciaire et de la lecture sociale du judi-
ciaire. Certes, des jeunes peuvent être placés en C.E.R. à cause de leur délin-
quance virtuelle ou de leur délinquance avérée : la délinquance relève d’un sta-
tut policier, judiciaire et juridique, qu’il convient bien sûr d’identifier. Mais,
une fois entrés au C.E.R., c’est-à-dire dans un centre éducatif renforcé qui est
une des déclinaisons du travail social, les jeunes ne sont plus caractérisés par
leur statut judiciaire. Ce n’est plus là leur définition, mais un trait, une caracté-
ristique importante, quoique pas définitive : le travail social est possible juste-
ment parce que les désignations institutionnelles, réglementaires, juridiques,
etc. sont des données incontournables, mais surtout pas des stigmates ontolo-
giques. Personne n’est, en travail social, définie, moins encore épuisé par son
statut (prédélinquant, handicapé, etc.). Le travail (social) des éducateurs s’avère
d’autant plus difficile qu’ils s'imaginent dans le prolongement pure et simple
des appareillages de contrôle et de répression. Plus les personnels des C.E.R.
pensent avoir à faire à des délinquants, plus leur tâche est impossible, semée
d’embûches (en termes de compétences, habilitations, moyens de travail, objec-
tifs, etc.).
L’éducateur devrait-il «remotiver» les enfants, «faire naître leur désir», les «ai-
der à se forger des projets» ? Certainement ! Pourquoi, cependant, ces opéra-
tions n’ont rien de simples ? Difficultés des jeunes, déstructurations psychiques,
ruptures sociales ? Ces éléments jouent, certainement. Pas, cependant, jusqu'à
faire imaginer que les jeunes placés en C.E.R. arriveraient «sans rien» :
avouons plutôt que leur bagage correspond très peu à ce qui serait «normal», au

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point qu’on peut le croire inexistant ! C’est pourquoi il ne s’agit nullement de


faire naître le désir : ce n’est pas de cette naissance - quelque peu toute-
puissante, au demeurant - dont il est question dans les pratiques quotidiennes
des éducateurs. A cause d’une raison fort simple : tant que l’enfant est vivant,
il a du désir, de l’envie, des envies, des projets, y compris de se détruire et de
détruire autrui. Jamais il n’est vide, mais plutôt trop plein. Loin d’arriver «sans
rien» (!), il parvient au C.E.R. excessivement chargé. Et c’est bien aux désirs
qui existent déjà, aux projets déjà agissants que les éducateurs se coltinent con-
crètement. Si les jeunes arrivaient vraiment sans rien, s’ils manquaient de tout
repère, s’ils étaient tout à fait déstructurés, etc., etc., la pratique des éducateurs
en serait finalement allégée : il suffirait de remplir des êtres vides, de déverser
des repères chez des sujets sans consistance, de dire à chacun ce qu’il doit pen-
ser, comment il doit ressentir, et ainsi de suite. Or, si les choses ne se passent
pas, ne peuvent pas se passer de la sorte, si les pratiques éducatives en C.E.R.
ne sont pas simples, une des raisons en est que les jeunes sont dotés de bagages
plutôt lourds et de projets plutôt robustes.
En réalité, des termes comme «remotiver», «faire naître le désir», etc. sont fina-
lement des mots de passe. Pour les comprendre, il faut les décoder. Ainsi, «re-
motiver» ne consiste pas à... «remotiver» mais à tâcher d’infléchir les motiva-
tions dont le jeune est déjà doté afin de les orienter selon certains modèles, en
fonction de certains idéaux, en tenant compte de certaines conceptions de la
société où nous vivons, ou sommes censés vivre. Personne ne demande aux
C.E.R. de faire naître le désir (!), mais de tâcher d’endiguer-sublimer-réprimer
certains désirs et favoriser l’éclosion d’autres désirs, c’est donc de formatage
dont il est question. Ce n’est pas le rapport à la loi qu’il faudrait inculquer aux
jeunes (en la matière, les éducateurs ne sauraient rivaliser avec les séries TV et
«les affaires» qui éclatent presque chaque jour) : il s’agit d’un certain rapport à
la loi, pour ne pas dire à certaines lois... Ce qui, on le sait, ne se passe jamais
sans quelques erreurs, gaffes et ratés, sans malentendus plus ou moins co-
riaces...
Un exemple : des jeunes placés en C.E.R. ont du mal à se lever le matin, dit-on
souvent, mais on oublie d’ajouter que dans des familles aisées, des jeunes ne se
lèvent pas non plus. Mais ce ne sont pas les mêmes jeunes, origines et destinées
sociales ne sont pas identiques : la dimension idéologique et politique s’y avère
particulièrement présente.
Cette dimension définit la condition de possibilité, la raison d’être et le but de
l’action dite éducative. C’est là un vecteur indépassable autant que visible, ma-
nifeste, explicite des pratiques en C.E.R.
Ceci n’interdit nullement l’écoute personnalisée des projets et des désirs subjec-
tifs, l’attention sinon le dévouement que la plupart des éducateurs-pionniers qui
interviennent aujourd'hui en C.E.R. consacrent aux jeunes, à chaque jeune,
l’intérêt réel que très souvent ils leur portent.

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Cynisme ? Manipulation ? Pas forcément, d’ailleurs pas plus que dans d’autres
domaines. Autre chose y est en jeu : mise en cause de la bonne conscience
gnangnan, soit l’angélisme de certains éducateurs prétendant que leur action
viserait au premier chef «le bien» du jeune, celui-ci se trouvant alors «au
centre» de leurs agissements éducatifs. Pour des raisons à peu près identiques,
des psychologues, des psychiatres, des psychanalystes ont souvent du mal à
articuler la condition de «sujet de l’inconscient» des jeunes avec leur condition
de sujets socio-historiques, pris dans des rapports sociaux, porteurs d'idéologies
sociales. Et qu’en effet la cause première, la cause absolue des comportements
des jeunes ne soit pas sociale, ne prouve nullement qu’elle serait intra-
psychique.
Les C.E.R. se caractérisent par des moyens renforcés et par un ciblage particu-
lièrement fin des jeunes, précisément parce que ces derniers sont très consis-
tants, parfois trop consistants, excessivement renfermés vis-à-vis de toute ingé-
rence étrangère (éducative, psychologique, etc.). Consistance qui explique
pourquoi une certaine insistance éducative à vouloir faire «le bien» du jeune, à
vouloir «le prendre en charge» bute sur des résistances pratiquement insurmon-
tables. Certes, ces résistances peuvent être cassés d'autorité, elles peuvent être
concassés de par les rapports de force se jouant entre l’institution, les éduca-
teurs et les jeunes, on peut les faire piler ou même plier, mais ce n’est pas pour
autant que ces résistances seront dépassées, surmontées, travaillées...
Cela dit, cette consistance des jeunes n’implique nullement que ces derniers
nageraient dans un bonheur sans failles, ce qui disqualifierait d’avance toute
intervention. Cette consistance confirme, s’il le fallait encore, que les pratiques
en C.E.R. ne peuvent pas être simples. Si les jeunes pouvaient y arriver avec de
la parole, sans «problèmes psychiatriques», avec «la bonne motivation» et «le
désir correct», etc., eh bien ils n’arriveraient pas au CER ! On peut même se
demander si, dans ces conditions, il y aurait encore des C.E.R.

2. A propos des peurs.


La question de la peur revient souvent dans les propos des éducateurs et des
équipes, confrontés à des situations souvent difficiles et inquiétantes. C’est là
une expérience constante par laquelle, très probablement, passent la plupart des
personnels. Quelles remarques plus ou moins ponctuelles et incomplètes peut-
on en faire ?
Tout d’abord, une transition linguistique : passons de la peur au singulier aux
peurs au pluriel pour indiquer, d’emblée, que ce qui fait peur aux uns ne fait
pas nécessairement peur aux autres. Selon quelles variables ?
a) Dans quelle mesure les peurs seraient-elles en rapport avec la toute-
puissance et l'idéal de maîtrise ? Dans ce sens, la peur témoignerait d’une
toute-puissance qui vacille («je crains de pas être à la hauteur») : on a d'autant
plus peur qu'on imagine devoir tout savoir, tout comprendre, tout gérer. La peur
s’articulerait au démenti que le réel, inlassable, inflige à un tel programme...

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b) Les peurs dépassent-elles les situations réelles ? C’est obligé ! Ce n’est pas
du jeune réel et concret qu’on a peur, pas seulement de lui, pas uniquement de
lui, parfois même pas de lui. On a peur de ce qu'il pourrait éventuellement faire,
de ce qu’on le soupçonne d’être capable de faire, mais qu’il ne fera pas forcé-
ment... Et on a également peur des réactions que le jeune déclenche chez nous,
réactions imprévisibles, ou tout au moins imprévues, que nous méconnaissions
ou que nous croyions définitivement réglées. En ce sens, les peurs concernent
ce qui nous travaille, personnellement, à notre insu.
c) Les peurs comme bouclier anti-écoute chez le professionnel ? A l'instar
d’autres réactions également sentimentales, la peur peut fonctionner comme
une défense développée par l’éducateur afin d’éviter le contact avec le jeune,
pour esquiver la relation avec lui : au nom de sa peur, l’intervenant justifierait
sa méconnaissance de la problématique du jeune, sa fermeture, son indifférence
soupçonneuse à son égard.
d) En fait, pourquoi ne pas avoir - un peu, au moins - peur ? Ne pas être tou-
jours sûr des actes que l’on pose en tant qu’éducateur, avoir des doutes, rectifier
ses points de vue, accepter de soumettre ses pratiques à l’analyse et à
l’évaluation représentent des signes encourageants d’ouverture à l’autre, de dis-
ponibilité.
En se mettant un peu au courant de ses craintes, de ce dont il a peur, de ce qui le
hante, de ses incertitudes, de son caractère non compact, l’intervenant est à
même d’entendre quelque chose des peurs des jeunes, de leur vulnérabilité, de
leurs difficultés. A défaut, il nage dans la toute-puissance, équation personnelle
généralement contre-productive en travail social, et ailleurs. Imaginez un jeune
confronté à des difficultés de toutes sortes, qui a devant lui un éducateur tou-
jours bien dans sa peau, toujours souriant, bien inséré, qui paye ses impôts, qui
a réponse à tout, et qui en plus n'a peur de rien, c’est-à-dire qui n'est pas au cou-
rant de quoi et de qui il a peur, - tout cela ne finit-il pas par consolider la pro-
blématique du jeune (pathologie institutionnelle) ?

3. A propos du temps.
Comme la peur, la question du temps revient sans cesse dans les propos des
intervenants en C.E.R., notamment pour souligner la disproportion entre la
lourdeur des situations des jeunes accueillis et les quelques mois dont ils dispo-
sent pour tenter un travail auprès de ces jeunes. Déployions les différents volets
de cette question.

a) Temps = donnée contrainte, imposée.


Le temps nous est toujours compté, tant d’un point de vue réglementaire que
personnel, y compris quand nous ignorons sa durée. Fini, limité, par définition
le temps est ce qui fait défaut, c’est une denrée dont personne ne dispose ni en

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quantité ni en qualité suffisantes. Voilà une donnée dont il faut tenir compte :
pas du tout pour s’y résigner, ou comme excuse pour justifier n’importe quel
acte, mais pour moduler les actes qu’on considère indispensable de poser, les
propos qu’on considère impératif de déployer. Afin de parvenir à un usage
«économique», «mesuré», «réaliste», du temps ? Sûrement pas, si ces adjectifs
entendent esquiver le risque sans lequel il n’y a pas d’intervention sociale, - le
risque pour le jeune autant que pour l’éducateur, et sans doute aussi pour les
services. Justement parce qu’il est compté, le temps oblige à le penser, à ne pas
le prendre comme une donnée naturelle : mesuré par le calendrier et la montre,
le temps est scandé par ce que chacun en fait, soit par ce que les éducateurs et
les jeunes peuvent esquisser, construire, mettre en œuvre.
Le temps imparti peut donc s'avérer excessivement court, ou au contraire exa-
gérément long. Premier écueil à lever : la ritualisation du temps, celui-ci étant
utilisé comme contenant de l'intervention, comme le cadre au sein duquel il doit
se passer des choses, à la limite peu importe lesquelles (séjour de rupture, ini-
tiation professionnelle, apprentissage divers, voire garderie), pourvu que ce soit
pendant la période allouée. La ritualisation correspond à la croyance d’après
laquelle le temps du placement suffirait, seul, de par ses vertus (magiques ?), à
améliorer la situation du jeune, à l’aider à prendre conscience de sa situation.
Rien n’est moins faux. Le temps en tant que tel peut servir à des fins les plus
hétérogènes, y compris à river le jeune à ses malheurs, à l’enfoncer dans sa mé-
lancolie. C’est pourquoi, dans certains cas, ce serait utile que l'intervention dé-
passe les quelques semaines qui lui sont réglementairement imparties, - dans
quelques cas, qui sont chaque fois à négocier. Négociation qui peut échouer,
bien entendu : une expérience prometteuse peut se terminer à mi-course, sans
atteindre ses objectifs. Avec une certaine fréquence, des considérations bureau-
cratiques, des limitations budgétaires, des décisions plus ou moins motivées
font que la ritualisation du temps l’emporte.
Cet arrêt brutal, l’éducateur le vit d’autant plus difficilement que certains de ses
idéaux sont battus en brèche. Il lui faudrait, pense-t-il, du temps pour «bien
faire», pour «aller jusqu'au bout», pour que «les jeunes s'en sortent», etc. Or, ce
temps n’est nullement mesurable, ni même prévisible : un mois, un trimestre,
un semestre, une année, des années... ? En fait, il s’agit d’un temps d’autant
plus imaginaire, pour ne pas dire infini, que les tâches à accomplir sont déme-
surées. En effet, quel que soit le temps dont on dispose, ce n’est pas
l’éducateur qui peut «aller jusqu'au bout», ni même le jeune placé dans le
C.E.R., - mais ce jeune en dehors, en assumant comme il peut sa vie, en tirant
parti de son expérience positive et-ou négative au C.E.R.... «Bien faire» ne dé-
pend nullement, ne dépend pas fondamentalement du temps imparti.
C’est là le deuxième écueil, aussi important que le premier mais peu souvent
évoqué. A savoir, un temps long ne garantit nullement le «bien faire», la perti-
nence de l’action éducative. C’est, parfois, le moins qu’on puisse dire. Eu égard
à la formation et aux pratiques de certains éducateurs, à leur fragilité, aux con-
ditions de fonctionnement institutionnel de tel ou tel C.E.R., il est probable que

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des enfants placés bénéficient - plus qu’ils n’en pâtissent - d’un temps prescrit,
restreint, qui limite les inconvénients et les avanies dont ils seraient l’objet, qui
minorent les mésaventures qu’ils peuvent encourir.
A cet égard, il est toujours utile de rappeler l’aphorisme de Sigmund Freud à
propos de ce qu’il tient pour «trois tâches impossibles» : éduquer, gouverner,
psychanalyser. Trois tâches nullement irréalisables ou même vaines, mais chi-
mériques dans la mesure où on imagine qu’elles pourraient être complètes, être
accomplies sans failles ni erreurs, être menées à leur but à la grande satisfaction
de tout le monde.
Dans tous les cas, il reste ceci : le temps nécessaire à l'éducateur est loin de
coïncider avec le temps nécessaire au jeune, ou encore au service et aux autori-
tés de tutelle. C’est de la dialectique des temps dont il faut tenir compte, bien
plus que de la durée en semaines.

b) Avoir du temps ou être disponible, donc être armé ?


Du constat d’après lequel on n’a jamais le temps qu’il faudrait, une conclusion
peut être tirée. La question stratégique est moins comment avoir du temps (un
peu plus, ou un peu moins), que, surtout, comment être davantage disponible,
comment écouter davantage, comment accompagner au mieux les jeunes pla-
cés. Très précisément, avec quels concepts chacun écoute, avec quel armement
théorique, en investissant quelles problématiques... Ce n’est pas une question de
dons, de vocation, même pas - ou pas seulement - d'intérêt personnel, de bonne
volonté.
L’enjeu y est la disponibilité, et non pas le temps : «que puis-je en 3 ans, en 3
jours, voire en 3 minutes ?».
Or si pour le temps, il faut un planning et un timing en rapport, la disponibilité
mobilise d’autres dispositifs, notamment un armement théorique aussi élaboré
que possible, et une formation plus que permanente, ininterrompue. Il s’agit de
faire de la réflexion sur le fond - sur les fins de l’action éducative en C.E.R., sur
ses pratiques et sur l’éthique de celles-ci, sur les logiques politiques de ces éta-
blissements -, une réflexion quotidienne, une composante incontournable des
réunions d’équipe, au même titre que l’indispensable discussion sur les moyens,
les ressources, les anecdotes, les «petits rien» qui font la vie d’un service.
c) «Quand on est dans l'action, c’est difficile d’avoir le temps de réfléchir !».
Idée curieuse. Tout d’abord, parce qu’il est impossible de ne pas réfléchir, les
humains étant biologiquement programmées à cet effet. Il suffit d’ouvrir la
bouche, ou même de la garder soigneusement fermée, pour que des conceptions
théoriques - vraies et-ou fausses, pertinentes et-ou mystificatrices - déferlent :
chacun les mobilise à son insu, les porte tels un boulet ou, au contraire, un sou-
tien, une aide. C’est une de mes formulations préférées : chacun a la tête pleine,
y compris des bouquins qu’il n’a pas lu, surtout de ceux qu’il n’a pas lu, - mais
qu’il aurait dû lire... En outre, il y a quelque naïveté à imaginer que, pour les
intellectuels de métier, la réflexion - notamment créatrice, novatrice, ouvrant à

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des possibles, susceptible d'éclairer la pratique - serait une sorte de don naturel,
qu’ils mettraient constamment à l'œuvre. Aucune institution, de quelque niveau
que ce soit, ne délivre de diplôme de «penseur» En fait, penser - qui est autre
chose que commenter ou radoter, autre chose encore que réciter des citations
plus ou moins astucieuses, penser n’est évident pour personne, - penser, c’est-à-
dire déployer la question du pourquoi et s’y entêter. En résumé, pour chaque
intervenant pris individuellement et pour un service considéré comme un «tra-
vailleur collectif» (une équipe), la seule question, la vraie question est de savoir
si on se donne les moyens de réfléchir autrement et à autre chose qu’à celles
pour lesquelles on a été programmé, ou pour lesquelles chacun imagine avoir
été programmé. Parmi ces moyens, le temps, c’est-à-dire l’emploi du temps, ce
qu’on en fait...
A défaut, la séparation est de plus en plus instable entre l’action et par ailleurs
l’activisme, l’agitation, la trépidation, et autres formes de passage à l’acte pro-
fessionnel (n’est-ce pas cela que recouvre fréquemment l'appellation «urgence
du service» ?).

4. Quelques repères, en manière de non-conclusion...


Non-conclusion, parce que bien évidemment il ne s’agit pas de clore un débat
indispensable à cette expérience délicate que sont les C.E.R., mais de planter
quelques balises que j’espère utiles. Ces dernières sont construites à partir des
débats en ateliers qui ont réuni des intervenants en C.E.R. et des comptes ren-
dus présentés en séance plénière.
Premier repère : sous l’appellation commune «C.E.R.», des orientations, des
pratiques, des objectifs fort différents se font jour. Des décalages plus ou moins
accentués, parfois des contradictions significatives se font jour entre, d’une
part, les idéaux et les objectifs énoncés, d’autre part les pratiques effectives
(idéaux de réinsertion sociale, de reprise du lien des jeunes avec eux-mêmes,
leur famille, l’école, etc., et par ailleurs des pratiques de contention où une
place essentielle est accordée à la vigilance et au contrôle).
Cette diversité indique la richesse des C.E.R., les tâtonnements qui scandent
leur mise en œuvre, bref leur définition non plus administrative et réglemen-
taire, mais organisationnelle, pratique, éducative. Situation normale, somme
toute. Elle devrait cependant faire l’objet d’évaluation : pas du tout pour impo-
ser un modèle unique, mais pour prendre en compte et éventuellement pour cor-
riger ce que j’appellerai l’effet de CER (serre).
Si les C.E.R. ne se veulent pas des maisons de correction relativement soft, sans
pour autant pratiquer une sorte de charité plus ou moins musclée, la définition
aussi précise que possible de leurs objectifs et la mise en avant du travail éduca-
tif qui est censé s’y accomplir doivent faire l’objet d’un rappel constant, très
précisément d’une actualisation indéfinie. Il y aurait effet de CER quand le ren-
fermement prime sur l’éducatif, par exemple quand la rupture avec un milieu
naturel supposé «pathogène» pour le jeune est imaginée comme condition né-

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cessaire et suffisante, quand les séjours de rupture sont vécus comme une mise
entre parenthèse de la quotidienneté, voire même comme un prolongement pur
et simple de la décision judiciaire de placement, et non pas comme l’occasion
d’une certaine élaboration de celle-ci. Il y aurait effet de CER quand l’acte
prime sur l’explication de l’acte, quand l’imposition l’emporte sur le débat et
l’échange, quand la loi est appliquée sans discussion (même après coup) quant
à sa pertinence. En procédant de la sorte, un étonnant paradoxe risque de se
faire jour : les pratiques menées en C.E.R. peuvent être perçues par les jeunes
comme parfaitement arbitraires, fondées sur le seul rapport de force des éduca-
teurs à leur égard. In fine, ces passages à l’acte professionnels redoublent ce
que les C.E.R. sont censés combattre.
Deuxième repère. Dans les pratiques sociales, dont celles des C.E.R., il est im-
possible d’abolir complément ce qui relève de l’aléatoire, de l’incertitude, de
l'ambiguïté. Ce rappel devrait freiner les dérives sécuritaires au sein de ces ser-
vices. En effet, au nom du projet de «prise en charge globale» (notion qu’il
convient d’analyser de très près), des éducateurs peuvent imaginer un suivi
pointilleux des jeunes qui leur sont confiés afin d’aboutir au plus vite à des ré-
sultats supposés «concrets». Or, que les jeunes se lèvent le matin à l’heure
prescrite n’implique nullement qu’ils sont réveillés ; il ne s’agit pas de leur in-
culquer des «actes conditionnés» mais de leur proposer - fermement, mais avec
le moins possible de compulsion - des comportements relativement réfléchis. Il
est probable que les jeunes accueillis en C.E.R. aient besoin, moins d’actes (ils
en posent déjà pas mal, tout seuls !) que des mots, des significations, du sens.
Après tout, l’insertion professionnelle, l’appartenance à une famille, etc. ne ga-
rantissent pas de manière automatique que le jeune concerné «va bien». Des
réconciliations familiales peuvent présager des nouveaux malheurs ; des liens
sociaux solides et stables peuvent être parfaitement contre-indiqués (association
de malfaiteurs, réseau de prostitution). Vice-versa, qu’il vole n'implique pas -
automatiquement, par définition - qu'il va mal. Il faudrait d’ailleurs éviter de
fonder des pseudo-diagnostics cliniques sur des comportements : chacun coha-
bite comme il peut avec ses symptômes ! Bien entendu, ce n’est pas une raison
pour encourager le jeune dans ses conduites délicteuses, ce n’est nullement de
cela dont il s’agit. En revanche, c’est une raison pour ne pas considérer trop vite
que le travail avec le jeune a réussi parce que celui-ci a renoué avec sa famille
ou s’est fait embaucher, ou à contrario pour considérer que ce travail a échoué
quand le jeune répète certains comportements. Les jeunes nous mentent-ils,
nous cachent-ils des choses, se demandent des éducateurs. C’est, bien sûr, sou-
vent le cas, puisqu’ils sont vivants, qu’à tort et à raison ils ne font pas entière-
ment confiance aux éducateurs, et qu’à leur manière ils développent des straté-
gies de survie, de contournement, d’esquive, de défense, etc. Bref, il a du
C.E.R. quand l’équipe qui y intervient est au courant qu’elle n’est pas, qu’elle
ne peut pas être au courant de tout.
Troisième repère : «Les gosses nous construisent», disent à juste titre des édu-
cateurs. Ces derniers en ont besoin, non seulement pour leur emploi, mais éga-
lement pour des raisons qui tiennent à leur histoire personnelle et familiale, à

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leurs parcours. On ne peut ni parler des enfants, ni parler aux enfants sans, peu
ou prou, parler en creux de soi, de l’enfant que l’éducateur a été, ou failli être,
ou désiré être, de l’enfant que l’éducateur a rêvé d’avoir, ou craint d’avoir. In-
tervenir auprès de tel ou tel enfant réel implique aussi - pas seulement, mais
aussi - intervenir auprès des idéaux des intervenants.
Les C.E.R. sont des espaces de dégagement : pour les jeunes, vis-à-vis de leurs
conditions de vie à l’extérieur ; pour les éducateurs, qui y tentent des expé-
riences, des manières de dire et de faire difficiles ou impossibles d’envisager
dans d’autres lieux ; pour les services sociaux en général, afin d’y transférer ce
qu’ils ne peuvent ou ne souhaitent pas affronter (les «cas lourds»). On conclura
qu’il n’y a pas que les enfants à être placés dans les C.E.R. ; c’est pourquoi
notre dernière remarque, plus loin, portera sur la nécessité d’une clinique de
l’intervention.
Quatrième repère : à propos du recrutement et de la formation. En Italie, lors
des expériences de l'antipsychiatrie, les infirmiers psychiatriques étaient, avant
tout, des habitants des villages environnants, intéressés par ce genre de dé-
marche, et non des infirmiers dûment diplômés. Le recrutement des personnels
des C.E.R. présente quelque analogie avec celui des infirmiers : une partie de
ces personnels n’a pas de diplôme d’éducateur, ce qui n’implique pas qu’ils
manquent de toute qualification (auquel cas ils ne seraient pas embauchés). Que
peut-on dire à cet égard ?
Tout d’abord, il est sans doute nécessaire que ces personnels suivent une forma-
tion d’éducateurs. Tous ceux qui à un titre ou à un autre interviennent dans les
C.E.R., dans les pratiques sociales en général, n’ont pas le droit de ne pas sa-
voir, de ne pas interroger leurs pratiques, leurs misions et leurs idéaux. Interve-
nir de façon surtout intuitive et sentimentale frôle constamment la bonne cons-
cience, matérialisée dans des pratiques finalement dogmatiques car non argu-
mentées et partant non discutables. On apprend tout de la pratique y compris
des imbécillités, des rituels, des répétitions dont il coûte des années à se défaire.
Dans tous les cas, les jeunes confiés aux C.E.R. ont le droit moral d’interroger
le droit social des intervenants à s'occuper d’eux.
Cependant, la formation n’étant pas une assurance anti-gaffe, ou anti-
incompétences, elle ne saurait garantir ni la pertinence ni le bien fondé des pra-
tiques. D’une part, il ne suffit pas d'avoir des connaissances, encore faut-il être
à même de les mobiliser lors de chaque conjoncture concrète, de les investir de
manière opportune et créative. D’autre part, quelque que soit la qualité des for-
mations et des qualifications, la pratique est bien ce lieu où chacun se confronte
- avec ses connaissances autant qu’avec ses paniques et ses hardiesses - à des
questions qu’il a à élaborer à ses risques et périls, à des problématiques qu’il a à
interpréter comme il le peut. Donc, qu'une partie des personnels des C.E.R.
manque de diplôme d’éducateur n’est pas un inconvénient rédhibitoire. Le fait
que ces personnels soient quelque peu étrangers au milieu des éducateurs, au
langage et aux références de ces derniers, peut constituer un puissant levier, en
termes d'interrogation des pratiques et de questionnement des praticiens. Réci-

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proquement, une formation d’éducateurs devrait les aider à dépasser certains


poncifs. Les démarches de «validation des acquis» peuvent jouer ici un rôle
intéressant.
Cinquième repère : «les jeunes vont mal». Formule souvent utilisée pour ca-
ractériser les publics reçus dans les C.E.R. Si elle désigne certainement la situa-
tion de ces jeunes, ou plutôt d’une partie d’entre eux, il convient néanmoins de
la nuancer. Nous en avons, ci-dessus, déployé certains des sous-entendus. Par
exemple, poser que les jeunes vont mal présuppose une certaine appréciation de
la part de l'intervenant et du service qui l’emploie à propos de ce qui est normal
et ce qui ne l’est pas. Cela devrait permettre de moduler les jugements et donc
le genre d'intervention à entreprendre.
D’autant plus que le mal-être des jeunes n’est pas sans rapport avec le fonction-
nement d’une société comme la nôtre. Ce que des jeunes font n'est pas sans
rapport avec ce qui se passe dans la société, avec ce que la société leur fait ou
ne leur fait surtout pas. Selon les conjonctures, les familles, les conditions de
vie, se comporter comme un «chien fou» peut constituer un bouclier, une stra-
tégie de survie, sinon une forme d’adaptation sociale.
Les jeunes disent «non», pas toujours à la société, à toute société, mais à cette
société-ci, aux places qu’on leur réserve, au destin qu’on leur prépare. A leur
manière, ils évoquent des questions idéologiques («pourquoi je dois me lever
pour aller travailler», pourquoi ceci, pourquoi cela...). Y compris dans leurs
passages à l’acte qui, tout en s‘inscrivant dans leur économie subjective, en
même temps ponctuent ce qui, pour de larges couches sociales, constituent des
impasses des sociétés contemporaines. Quand on est situé à une certaine hau-
teur des rapports sociaux, «aller mal» s’avère - hélas ! - on ne peut plus nor-
mal...
Bien sûr, il ne s’agit pas de justifier quoi que ce soit, mais de rappeler que le
travail en C.E.R. n’est pas simple, notamment parce que ce ne sont pas seule-
ment certains jeunes qui vont mal.
Par ricochet, le travail du C.E.R., s’il est ciblé sur tel ou tel jeune, s’adresse
également aux familles, aux quartiers, à la société tout entière. Travail d’autant
plus malaisé que les éducateurs ne prennent pas la mesure des publics pluriels
auxquels, de fait, ils s’adressent.

Sixième repère : rôles et fonctions des C.E.R. S’agirait-il du «dernier recours»


? Rien n’est moins sûr. On remarquera que ce leitmotiv du «dernier recours» est
largement répandu dans l’ensemble des pratiques sociales, toutes sortes de ser-
vices s’imaginant comme celui de la dernière chance. Cependant, ce dont cette
dernière chance est censée protéger dépasse rarement le stade du sous-entendu ;
difficile de savoir dans quelle déchéance le jeune risque de tomber, et même
pourquoi le placement en C.E.R. serait une chance...
En fait, différents cas de figure se présentent. Comme le placement d’enfants en
foyer de l’enfance, le séjour en C.E.R. n’implique pas, par définition,

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l’intrusion dans une économie familiale. Ce séjour peut représenter, par


exemple, un allégement vis-à-vis des lourdeurs familiales, pour le jeune autant
que pour sa famille. Il peut aussi marquer une rupture dans un itinéraire de vie,
notamment vis-à-vis d’une tradition de quartier pour laquelle passer par la pri-
son n’est pas une déchéance, ni même une punition, mais un jalon nécessaire
pour devenir un «vrai mec».
Dans tous les cas, les C.E.R. sont une des inventions (il y a en aura certaine-
ment d’autres), chargées de faire la gestion d’une certaine misère matérielle et-
ou psychique portée par des jeunes, dont la plupart appartiennent très proba-
blement aux classes populaires. Pour ce faire, les C.E.R. substituent le couple
éducatif «réinsertion-renfermement» au couple pénitentiaire «renfermement-
réinser- tion».
Cette substitution n’est en rien une opération nulle. Non seulement parce que le
renfermement en C.E.R. est de courte durée mais, surtout, parce qu’il est au
service d’une intention de réinsertion qui le commande (sauf effet de Cer, jus-
tement). Comme dans l’ensemble du travail social, les tâches matérielles propo-
sées ou imposées aux jeunes, les rythmes de vie et de travail, la discipline des
corps, voire même la «prise en charge globale», constituent des supports, des
étais de l’action éducative, en aucun cas ses finalités ou ses objectifs. A défaut,
insistons-y, c’est l’effet de CER qui l’emporte. Ainsi, la pratique du parachu-
tisme est parfaitement comparable à l’atelier de poterie organisé par un anima-
teur socioculturel dans une maison de la culture : ces deux genres d’activité
sont censées développer le sens de l’effort chez le jeune, encourager le dépas-
sement de soi, poursuivre un objectif sans renoncer dès les premiers obstacles,
etc. Ce sont là ce qu’on appelle des «outils pédagogiques». Dans aucun cas il ne
s’agit de former des professionnels du parachutisme ou de la poterie, de même
que les séjours de rupture ne visent nullement à développer une attirance pour
les voyages plus ou moins exotiques. Si très éventuellement l’un ou l’autre de
ces effets avait lieu, ce serait de surcroît, indépendamment des projets institu-
tionnels des C.E.R.
Le principal est ailleurs : dans le travail sur les modèles, sur les représentations,
sur les idéaux, sur les valeurs et les normes, bref sur les logiques que les jeunes
mettent en œuvre dans leurs comportements, dans les actes qu’ils posent, dans
les actes qui d’après les normes de notre société ils devraient poser. De ce tra-
vail, on dit généralement qu’il vise «la réinsertion», «la socialisation», «la reso-
cialisation» des jeunes. Notions courantes, intéressantes parce qu’elles accen-
tuent le sens des actes plus que les actes où ce sens se réalise, il convient ce-
pendant de ne pas les prendre trop à la lettre. En effet, elles sous-entendent,
comme si cela allait de soi, le fait que l'insertion ou la réinsertion visent - non
pas des jeunes qui seraient dans la nature, hors normes, hors sens - mais des
jeunes qui se trouvent dans le seul endroit possible, la société existante. Vivant
dans cette société, ils sont naturellement pourvus de valeurs, de normes,
d’idéaux, - mais guère de ceux qu’on tient pour convenables, supportables, né-
cessaires à la vie dans la société existante. D’ailleurs, certains de ces jeunes

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sont trop normaux, ayant trop bien assimilé l'individualisme, le chacun pour
soi, l’absence de solidarités et autres valeurs fortes des sociétés contempo-
raines. Dans tous les cas, il ne s’agit donc pas d’insérer dans la société des
jeunes qui le sont déjà, mais de contribuer à ce que, par leurs actes et leurs
comportements, ils concrétisent leur adhésion à des idéaux collectifs et déve-
loppent des projets personnels plus ou moins conformes aux idéaux et aux pro-
jets aujourd'hui hégémoniques.
Cette remarque, qui ne disqualifie évidement pas l’action des C.E.R., rappelle
l’impossible neutralité idéologique et politique à la fois chez les travailleurs
sociaux et chez les publics, les interventions concrètes et quotidiennes en sont
largement pétries.
Dernier repère : il s’agit de la nécessité impérieuse et incontournable d’une
clinique - non unilatéralement psychologique - de l'intervention sociale en
C.E.R. Ceci est rendu nécessaire par la nature même du travail qui s’y fait. En
effet, au fil des analyses proposées dans ces pages, il apparaît que la dimension
idéologique et politique constitue une donnée incontournable du projet des
C.E.R. et de leurs pratiques, à la fois de l’intérêt de celles-ci et de leurs difficul-
tés et ambiguïtés. Mais il n’en reste pas moins que cette dimension est com-
mune à l'ensemble des pratiques sociales, services publiques et privés confon-
dus. Ce n’est donc pas la présence de cette dimension qui caractérise les C.E.R.,
mais son caractère plus manifeste, davantage visible que dans d’autres déclinai-
sons du travail social (éducation spécialisée, assistance sociale, etc.). C’est la
reconnaissance de cette dimension et de ses effets qui s’y trouve au premier
plan, c’est son rôle agissant qui peut difficilement être escamoté. Ce, autant
dans les actes posés par les jeunes, dans leurs conflits, dans leurs probléma-
tiques, que dans le travail mené à leur égard. Plus on s'entête à imaginer la di-
mension idéologique et politique comme un pur contexte extérieur à la relation
duelle, et plus la pratique semble étriquée : à tel point le travail dit éducatif en
C.E.R. a - de façon ouverte - partie liée avec les appareillages de pouvoir et les
mécanismes de reproduction sociale.
Y prend racine une situation aussi paradoxale qu’éclairante : plus les éducateurs
intervenant en C.E.R. imaginent pouvoir faire l'économie des dimensions idéo-
logiques et politiques au cœur de leur travail, plus donc ils voudraient être des
éducateurs comme ils imaginent que sont les autres (hors C.E.R.), et plus ils
peinent à trouver une place en tant qu’éducateurs en C.E.R. Situation d’autant
plus inconfortable que ces éducateurs idéaux, dont les pratiques manqueraient
de tout rattachement idéologique et politique, ne correspondent en rien aux
éducateurs et éducatrices en chair et en os.
Au vu des remarques présentées ci-dessus, deux indications peuvent être dé-
duites, différentes quoique complémentaires. Comme l’ensemble des pratiques
sociales, une formation théorique aussi rigoureuse que possible s’avère indis-
pensable en C.E.R., - condition sine qua non pour que les pratiques fassent
l’objet de connaissance et de rectification argumentées. Cependant, la nature du
travail fait en C.E.R., les dimensions mises en branle et les publics accueillis,

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transforment la formation théorique en nécessité vitale, sinon en condition de


survie des expériences en cours. A défaut, l’effet de CER l’emporterait sur le
travail dit éducatif, le C.E.R. reproduisant ce que furent jadis les maisons de
redressement. Mais cela suppose que la formation théorique, si elle implique la
participation des personnels à des cycles organisés en dehors de leurs services,
fasse également partie, à part entière, du fonctionnement ordinaire des C.E.R. :
il faudrait que les questions dites théoriques figurent dans les échanges habi-
tuels entre éducateurs, responsables, direction. Condition indispensable, me
semble-t-il, pour des pratiques innovantes.
Complémentaire à cette idée de formation ininterrompue, l’analyse des pra-
tiques semble également indispensable au repérage raisonné des multiples di-
mensions à l'œuvre dans les pratiques sociales en C.E.R. On n'oubliera d'ail-
leurs pas que ces pratiques sont surdéterminées par le nombre important
d’heures et de jours de cohabitation forcée : une clinique de l'intervention so-
ciale devrait aider les éducateurs à se dégager quelque peu d’une expérience
sans doute riche, mais assez pesante à courte échéance. Les risques de turn-over
et de démotivation des personnels s’accroissant, c’est la poursuite de
l’expérience des C.E.R. qui serait en cause.
Cependant, eu égard aux dimensions idéologiques et politiques constitutives
des C.E.R. et de leurs pratiques, cette clinique ne saurait se limiter au seul re-
gistre psychologique. Ce dernier est essentiel, qu’il s’agisse des publics accueil-
lis (pris en tant qu’individus et en tant que groupe), ou de tous et chacun des
intervenants. Il n’en reste pas moins que l’expérience des C.E.R. serait grave-
ment méconnue si les dimensions idéologiques et politiques n’étaient repérées
en tant que telles, si on les rabaissait au rang d’un simple contexte extérieur de
l'intervention, si on n’y voyait que les retombées sociales d’un conflit à l'origine
intra-psychique.
De façon plus explicite, plus véhémente que l’ensemble des pratiques sociales,
le travail en C.E.R. exige l'articulation constante des dimensions, registres,
points de vue qu’on a pris la très mauvaise habitude d’isoler. A y voir des pra-
tiques exclusivement psychologiques, ou uniquement politiques, ou seulement
économiques, l’énigme des C.E.R. resterait entière. Et leurs pratiques, diffici-
lement soutenables.

Saul.Karsz@wanadoo.fr
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