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Aspects de la réception des "Illuminations" (1886-1936)

Author(s): André Guyaux


Source: Revue d'Histoire littéraire de la France, 87e Année, No. 2, Rimbaud: "Illuminations" (Mar.
- Apr., 1987), pp. 221-230
Published by: Presses Universitaires de France
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Accessed: 12-03-2016 14:03 UTC

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ASPECTS DE LA RÉCEPTION
DES « ILLUMINATIONS »
(1886-1936)

Du temps qui nous sépare de la publication des Illuminations, je


n'envisagerai ici que le premier demi-siècle, 1886-1936. Le
Rimbaud d'Étiemble et de Yassu Gauclère, publié chez Gallimard
en 1936 et dédié à Jacques Rivière, constitue un terme, un
commencement et un relais idéal, rassemblant déjà les éléments
principaux du « mythe » de Rimbaud et constituant le premier
essai de thématique objective et raisonnée.
C'est au début des années trente qu'apparaissent les premiers
travaux universitaires. Julius Rutsch publie, en 1931, dans Die
Neueren Sprachen, une étude d'une dizaine de pages sur le style des
poèmes en prose rimbaldiens, qu'Étiemble, dans sa thèse, en 1952,
citera encore comme l'une des rares études formelles de l'œuvre de
Rimbaud. Au même moment, Alan Rowland Chisholm publie
quatre articles dont un dans la Revue d'Histoire littéraire de la
France (avril-juin 1930) et trois dans The French Quarterly (mars
1929, mars 1930 et mars-juin 1931), repris en 1930 dans un essai
intitulé The Art of Rimbaud, publié à Melbourne, ouvrage
indispensable qui, à ma connaissance, ne figure au catalogue
d'aucune bibliothèque française. En 1935, deux « diplômes »
dactylographiés voient le jour mais resteront inédits : le Diplôme
d'Études Supérieures de Françoise Des Maisons, Le Vocabulaire,
la syntaxe et le style de Rimbaud, travail attentif et précurseur, dont
la Bibliothèque municipale de Charleville conserve un exemplaire,
et le mémoire de licence de Jacques Pohl, Essai sur l'imagination de
Rimbaud, présenté à l'Université de Bruxelles, précurseur lui
aussi, offrant notamment des vues originales sur « Marine ».

Dès leur publication en 1886, les Illuminations font, on le sait, un


violent effet sur quelques esprits en quête de mystère et de formes

R.H.L.F., 1987, n° 2, p. 221-230.

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inédites, sur Claudel en particulier. On n'a retrouvé, de l'année


1886, que deux comptes rendus, celui, dans Le Symboliste (7-
14 octobre), de Fénéon1, bien placé pour connaître ces textes
puisqu'il en a préparé les éditions pré-originale et originale ; et
quelques lignes de Teodor de Wyzewa dans La Revue indépendante,
en décembre 2. Il faut attendre la décennie suivante pour rencontrer
un nouvel écho aux Illuminations, et suivant une forme de critique
très particulière, celle des plagiats de Jean Lorrain, dans L'Écho de
Paris le 13 juillet 1891 et le 10 août 1895 3. Le Réveil avait publié,
en 1892, une étude du symboliste belge Hubert Krains, sur « Les
poèmes en prose d'Arthur Rimbaud », significative surtout quant à
l'intérêt pour le poème en prose, auquel s'exerce Emile Verhaeren
dans les mêmes années.
1895 est la date de la seconde préface de Verlaine : aux Poésies
complètes de Rimbaud, publiées chez Vanier. Il avait, en 1886,
préfacé l'édition originale des Illuminations. En 1895, Rimbaud est
mort. En 1886, il est ailleurs et Verlaine ne sait pas où. Comme la
monographie des Poètes maudits en 1883-1884 et celle des Hommes
d'aujourd'hui en 1888, la préface de 1886 est affectée d'une sorte de
réserve ou de crainte : et si Rimbaud lisait ces lignes ?
On Ta dit mort plusieurs fois. Nous ignorons ce détail, mais en serions bien triste.
Qu'il le sache, au cas où il n'en serait rien 4.

La même pensée apparaissait dans Les Poètes maudits, en 1883-


1884:
[...] si ces lignes tombent d'aventure sous ses yeux, que M. Arthur Rimbaud sache
bien que nous ne jugeons pas les mobiles des hommes et soit assuré de notre
complète approbation (de notre tristesse noire, aussi) en face de son abandon de la
poésie, pourvu, comme nous n'en doutons pas, que cet abandon soit, pour lui,
logique, honnête et nécessaire 5.

Les circonlocutions familières du style de Verlaine cachent en


l'occurrence un malaise, l'effet d'une intimidation exercée par

1. Repris dans les Œuvres plus que complètes de Félix Fénéon, textes réunis et
présentés par Joan U. Halperin, Genève, Droz, tome II, 1970, p. 572-575.
2. Dans la rubrique « Les livres », p. 201-202.
3. M. Louis Forestier, qui a retrouvé le premier de ces plagiats, lui a consacré une
étude dans les Mélanges offerts à Pierre-Olivier Walzer (Neuchâtel, A la Baconnière,
1985). Le second avait été republié, sans indication particulière de « source », dans un
recueil posthume de Lorrain, Voyages, première édition rehaussée de trente-trois bois et
compositions par A. Deslignères, Paris, Edouard-Joseph, 1921, p. 19-22. Ce second
plagiat avait été signalé par Georges Maurevert dans son Livre des plagiats, Paris,
Fayard, [1922], au chap. « Jean Lorrain, d'après Arthur Rimbaud et Jules Laforgue »,
p. 265-271.
4. Œuvres en prose complètes, texte établi, présenté et annoté par Jacques Borei,
Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1972, p. 632.
5. Ibid., p. 644.

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ASPECTS DE LA RÉCEPTION DES « ILLUMINATIONS » 223

l'homme et dont l'œuvre, posthume ou quasi posthume, a pris le


relais. Les textes de Verlaine ne constituent pas à proprement
parler un commentaire. Son propos, en 1886 encore, est de révéler
un poète « maudit », c'est-à-dire inconnu ou méconnu, et qui est,
comme il l'écrit en 1883, « maudit par lui-même » 6, en laissant ses
œuvres inédites et en désertant la littérature.
Verlaine, d'une part, veut apprivoiser un improbable Rimbaud
dont les yeux tomberaient sur les lignes qu'il lui consacre et qui
peut-être désapprouverait l'entreprise editoriale, comme il eût,
dit-il, probablement « déconseillé d'entreprendre »7 la publication
des Poètes maudits. Il lui faut, d'autre part, apprivoiser le lecteur,
le rassurer, défendre l'œuvre de son étrangeté rédhibitoire : « M.
Arthur Rimbaud est né d'une famille de bonne bourgeoisie à
Charleville (Ardennes), où il fit d'excellentes études [...] 8 ». C'est
dans l'interstice de cette double précaution, mais aussi dans l'esprit
le plus verlainien, et dans une sympathie poétique d'une rare
qualité que se placent les quelques mots qui peuvent, à la rigueur,
passer pour un commentaire des Illuminations. On les trouve dans
le fascicule des Hommes d'aujourd'hui (1888), au moment où
Verlaine détache, et cite, « Aube » et « Veillées » (les plus verlai-
niens d'ailleurs des poèmes en prose de Rimbaud) de
ce pur chef-d'œuvre, flamme et cristal, fleuves et fleurs et grandes voix de bronze et
d'or : les Illuminations 9.

Rare, peut-être unique essai, unique dans sa brièveté suggestive,


dans sa fulgurance, de critique mimétique. Il s'agit pour Verlaine,
non pas d'expliquer mais d'évoquer, de figurer les Illuminations.
Trois syntagmes métaphoriques, où l'antithèse si usée pourtant du
premier : flamme et cristal, l'allitération intensive du second :
fleuves et fleurs, et la synesthésie désormais traditionnelle du
troisième : grandes voix de bronze et d'or, font merveille. On peut
invoquer des repiquages textuels, retrouver des « fleuves » dans
« Vies » ; des « fleurs » dans « Enfance », « Aube », « Après le
Déluge » et « Fleurs » ; des « voix » dans « Solde » et dans
« Jeunesse n » et « m » ; de 1'« or » dans « Promontoire » et
« Fleurs », - il n'y a de « bronze » nulle part ; on peut observer
qu'un texte comme « Barbare » file l'antithèse du rouge et du
blanc, telle qu'elle apparaît dans « flamme et cristal », avec une

6. Ibid., p. 655.
7. Ibid., loe. cit.
8. Préface de 1886, ibid.. o. 631-632.
9. Ibid., p. 801.

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virtuosité poétique qui fait de ce poème une prouesse du discontinu


dans le continu. La réussite de Verlaine reste largement
mystérieuse, intuitive, sinon instinctive.
Que penser en revanche du troisième paragraphe de la préface
de 1886 où, avec application, Verlaine s'évertuait à donner le
contenu, la teneur des Illuminations, et nous infligeait :
De la joie évidente d'être un grand poète, tels paysages féeriques, d'adorables
amours esquissées et la plus haute ambition (arrivée) de style 10 ?

se dérobant aussitôt : « Au lecteur d'admirer en détail », non sans


avoir fait pourtant, dans cet ordre descriptif, une observation juste,
mais qui s'impose (sans s'être toujours effectivement imposée, dans
la critique) : « D'idée principale, il n'y en a ou du moins nous n'y
en trouvons pas. »
La préface, plus longue, des Poésies complètes, en 1895,
n'abordera plus guère les poèmes en prose, sauf pour prononcer ce
jugement qui rejoint notre sensibilité d'aujourd'hui : « le Rimbaud
en prose est peut-être supérieur à celui en vers... » n.

Tributaires, sans bien le mesurer, du décalage entre la


composition et la publication des Illuminations, les auteurs du
début du siècle ne savent pas bien comment situer Rimbaud dans
l'histoire littéraire, et en particulier comment le définir par rapport
au symbolisme, auquel on l'annexe ou duquel on le détache sans
raison véritable. Il serait intéressant d'étudier l'évolution des
Illuminations dans les premiers travaux sur le symbolisme. Je me
contenterai de rappeler ici que l'étude que Gustave Kahn consacre
à Rimbaud dans Symbolistes et décadents en janvier 1902 et qu'il
avait publiée le 15 août 1898 dans La Revue blanche, est particuliè-
rement consistante. La question chronologique est déjà posée -
déjà mal posée, mais avec une étonnante clarté : « Les
Illuminations sont-elles postérieures ou antérieures à Une saison en
enfer ? Paul Verlaine n'était pas très fixé sur ce point » (p. 253). La
dernière observation n'est d'ailleurs pas nécessairement déduite de
ce que Verlaine a écrit et que nous connaissons. Elle peut aussi
bien être un témoignage, une parole recueillie, et serait à ce titre
précieuse pour nous. La prudence avec laquelle Kahn résout la
question préfigure, d'ailleurs, notre réponse actuelle : « [...] si Une
saison en enfer, qui forme à sa manière un tout, est postérieure à

10. Ibid. , p. 631 (ainsi que les deux citations qui suivent).
11. Ibid., p. 968.

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ASPECTS DE LA RECEPTION DES « ILLUMINATIONS » 225

certaines des Illuminations, elle fut terminée avant que toutes les
Illuminations fussent écrites, et ces Illuminations (ce que nous en
possédons) ne formaient pas un livre [...] mais un recueil de
poèmes en prose, qui pouvait se grossir à l'infini » (p. 254-255) 12.
La volumineuse thèse d'André Barre, en 1911, Le Symbolisme,
Essai historique sur le mouvement poétique en France de 1865 à
1900, fait peu de place à Rimbaud, classé dans le groupe des
« verlainiens » et le sous-groupe des « excentriques », avec Cros,
Corbière et Jammes. L'auteur parle d'« hystérie de l'originalité »
et ne consacre qu'une page sur huit aux poèmes en prose. Dans les
années d'avant-guerre, décisives pour la gloire du poète, qui est en
train de prendre corps, l'opinion n'est pas faite et le contraste est
possible encore, en Italie par exemple, entre le brillant Arthur
Rimbaud de Ardengo Soffici, publié à Florence en 1911, et cette
parole, rapportée par Petralia, d'un journaliste, Giovanni
Rabizzani, déclarant que les Illuminations sont aux Poésies de
Rimbaud ce que la « putrefazione » est à la « salute » 13.
Il faut attendre les années vingt pour que la situation exacte (sur
le plan de l'histoire littéraire) de Rimbaud apparaisse : entre
Parnasse et symbolisme, précurseur du symbolisme, ce qui d'un
point de vue chronologique paraît évident. En 1928, le livre de
Pierre Martino, Parnasse et symbolisme (1850-1900), situe Rimbaud
dans le chapitre de transition : « Du Parnasse au symbolisme ». Le
commentaire sur les Illuminations est par ailleurs très décevant :
livre « obscur, troublant » ; « anarchisme exaspéré » ; « tumulte »
et « singularité », qui « entraînent de grandes obscurités » (p. 132).
De nombreux livres paraissent dans les années vingt, où se
dessine le culte surréaliste. On reconnaît Rimbaud dans le roman
d'Aragon, Anicet, dès 1921. Une première biographie, par Jean-
Marie Carré, est publiée en 1926. Les trois ouvrages de psychiatrie
appliquée à Rimbaud (J.-H. Lacambre, L'Instabilité mentale à
travers la vie et les œuvres de Rimbaud, Essai de psychologie
pathologique, 1923, J.-L. Delattre, Le Déséquilibre mental d'Arthur
Rimbaud, 1928 et E. Jacquemin-Parlier, Un diagnostic médico-
littéraire : le poète ardennais Jean-Nicolas-Arthur Rimbaud, 1929),

12. Moins convaincants sont les commentaires que propose Kahn des Illuminations
(« impressions », « intuitions aiguës », « analogies curieuses », « improvisations »,
p. 255), qui tournent parfois à la traduction réaliste comme quand il paraphrase « Du
détroit d'indigo aux mers d'Ossian » (« Métropolitain ») en « du Pas-de-Calais aux
Orcades » (p. 263).
13. Franco Petralia, Bibliographie de Rimbaud en Italie , Sansoni Antiquariato,
Publications de l'Institut français de Florence, 4e série, Essais bibliographiques, n° 4,
1960, p. 125.

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226 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

les deux ouvrages de Marcel Coulon, Le Problème de Rimbaud


poète maudit en 1923 et La Vie de Rimbaud et de son œuvre en 1929,
celui de Rolland de Renéville en 1927 et celui de Ruchon en 1929
consacrent l'importance de Rimbaud. On notera aussi l'article de
Thibaudet sur « Mallarmé et Rimbaud » dans la N.R.F. en 1922
(n° 101, p. 199-206, au tome XVIII) préfigurant la thèse de Jacques
Plessen et expliquant les Illuminations par le mouvement, la
marche 14, et le livre d'Henri Strenz, Arthur Rimbaud, son œuvre,
publié en 1927, et qui mérite mieux que l'oubli où il semble tombé.
Enfin, Ernest Delahaye, poursuivant son témoignage, publie un
Rimbaud, l'artiste et Vêtre moral en 1923, des Souvenirs familiers à
propos de Rimbaud, Verlaine et Germain Nouveau en 1925, et en
1927 un livre apparemment plus centré sur l'œuvre : Les Illumina-
tions et Une saison en enfer d'Arthur Rimbaud, qui, en fait, prend
l'œuvre comme prétexte au rappel de souvenirs partagés et lui
impose une interprétation réaliste et anecdotique 15.

L'exégèse véritable se déroule ailleurs. Elle est l'œuvre de


Jacques Rivière. On peut faire remonter le Rimbaud de Rivière à la
lecture que fit Claudel, en 1886, des Illuminations. Après un silence
d'un quart de siècle, paraît en 1912 un texte de Claudel, dans la
N.R.F. Il sera repris comme préface aux Œuvres de Rimbaud du
Mercure de France à partir de 1916. Auparavant, deux articles de
Berrichon, en mars et en juillet 1911, avaient paru dans le Mercure
de France, repris en 1912 dans son livre Jean-Arthur Rimbaud, le
poète. L'année 1914 illustre bien la division en deux branches de la
lignée claudélienne : Isabelle publie son « Rimbaud mystique, les
Illuminations et La Chasse spirituelle » dans le Mercure de France,
le 16 juin ; Rivière fait paraître le 1er juillet et le 1er août dans les nos
67 et 68 de la Nouvelle Revue française, deux articles, ou un seul
article en deux livraisons, qui deviendront, après sa mort, un livre,
publié en 1930 chez Kra, republié en 1938 chez Émile-Paul, et en
1977 chez Gallimard, avec un dossier présenté, établi et annoté par
Roger Lefèvre, publication dont on n'a pas assez souligné
l'importance dans la critique rimbaldienne.

14. Les Illuminations, c'est « le livre de la route : c'est de la littérature décentrée,


exaspérée par l'optique de la marche et par une tête surchauffée de chemineau. Presque
tous les morceaux des Illuminations semblent rédigés sur un talus, dans un champ, au
bord de la route, par un homme en qui la marche, le grand air, ont développé
principalement les puissances du rêve » (art. cit., p. 205). Thibaudet explique alors, à
titre d'exemples, « Mystique », « Aube » et « Fleurs ».
15. Delahaye croyait pouvoir établir le bien-fondé de son interprétation en alléguant
la « visite des souvenirs » dans « Jeunesse i » et « la mémoire » envisagée comme
« nourriture » de 1'« impulsion créatrice » dans « Jeunesse iv ».

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ASPECTS DE LA RÉCEPTION DES « ILLUMINATIONS » 227

Le Rimbaud de Rivière ne remonte pas seulement à Claudel,


dont il se démarque d'ailleurs, mais à des émois littéraires partagés
avec Alain-Fournier, en 1905-1906. Roger Lefèvre publie des
extraits de leurs lettres, dont la première édition est de 1926-1928.
Ce sont surtout les lettres d' Alain-Fournier qui portent les traces de
cette sympathie, qui rapproche les deux jeunes gens, pour l'auteur
des Illuminations et d'Une saison en enfer. Rimbaud, écrit le futur
auteur du Grand Meaulnes en une admirable formule, est
« l'homme qui, le premier, a senti qu'il y avait un autre paysage »
(lettre du 15 décembre 1906). Mais le mécanisme visionnaire qu'il
tente ensuite d'élucider le place un peu en retrait : « certainement
ce sont des hallucinations qu'il décrit [...] », reprenant le mot
« hallucinations » à Rivière, qui l'avait employé dans sa lettre du
13 avril 1906.

On voit bien, en remontant d'une lettre à l'autre, que derrière


l'émotion, une question se pose, chaque correspondant sollicitant
la réponse de lui-même et de l'autre : de quoi s'agit-il ? que sont les
Illuminations ? La lettre d'Alain-Fournier du 23 septembre 1905
parlait d'un « recueil de réflexions, de visions surtout [...], de
sensations énormément ». C'est à ces trois mots que Rivière, huit
mois plus tard, joint « hallucinations ». La première lettre où il
était question des Illuminations, le 13 septembre 1905, disait déjà,
sous la plume d'Alain-Fournier : « ça n'est peut-être qu'une
collection d'épigraphes », ce qui ne signifie pas seulement que le
recueil est plein de phrases dignes d'être citées et mises en
épigraphes, mais que les Illuminations forment une collection de
morceaux détachés d'avance, de fragments.
Un des intérêts majeurs de l'édition de Roger Lefèvre est de
publier le texte inédit d'une conférence de Rivière, sur Rimbaud et
Laforgue, faite au Vieux Colombier le 6 décembre 1913, et où l'on
peut voir l'ébauche des articles de 1914. Poursuivi toujours par
l'idée de définir les Illuminations et la Saison, il a d'autres réponses
à donner et parle d'« un carnet qu'un savant aurait laissé tomber de
sa poche et dans lequel il aurait noté ses observations sur un ordre
de phénomènes jusqu'ici inconnus... » (p. 64 de l'éd. Lefèvre).
« Je voudrais », dit-il encore à ses auditeurs, « essayer de définir
avec vous ce que c'est qu'il peint dans les Illuminations. [...] Pour
nous mettre sur la voie, je crois que le meilleur moyen c'est de
penser d'abord à nos rêves », ces rêves qui, reprend-il un peu plus
loin, « nous font toucher un autre monde », mais au réveil
« s'échappent » et « fuient comme l'eau qu'on tient dans le creux
de la main » (p. 65). Passant alors de la simple analogie à la

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définition pure et simple, il semble se résoudre à dire : « Cet objet


mystérieux qu'il nous montre [...], ce sont nos rêves», pour
corriger aussitôt : ce sont « plus que des rêves ».
On admirera l'approche épistémologique, cette parade critique
en déploiement d'hésitations, qui conduit le conférencier vers une
idée plus forte et que Rivière va désormais adopter : les
Illuminations reflètent notre monde non pas tel qu'il est, mais
touché, contaminé par l'autre monde :
Certains esprits [...] peuvent apercevoir [...] le désordre que le voisinage du
monde surnaturel introduit dans le monde naturel, analogue à la dissolution et à la
dispersion d'une comète par un corps céleste plus puissant [...]. Il me semble que
c'est cette désagrégation de notre monde par l'autre que Rimbaud a représentée
dans les Illuminations (p. 67).

« Je m'excuse de me montrer si mystique », ajoute-t-il avant


d'étudier le thème reflétant le mieux sa théorie : « le motif de la
brèche, de l'ouverture, de la lézarde », en l'accompagnant de
citations nombreuses, qui devaient être relayées par des lectures de
poèmes par Copeau.
Rivière tient désormais son argument, qu'il va développer dans
le second des articles de 1914. Il tente dans le premier, comme pour
préparer le terrain, d'établir ce qu'il appelle 1'« innocence » de
Rimbaud, concept qui nous paraît un peu faible aujourd'hui, parce
que le sens du mot s'est adouci. Les premiers poèmes « forment
comme un tableau négatif » (p. 101) de cette innocence, qui se
manifeste « en personne » dans les Illuminations (p. 101), sous
différents motifs tels que les « images métalliques et immaculées »
(p. 102), le « motif de la science [...] divinité artificielle » (p. 103),
autant d'images de 1'« intégrité originelle » (p. 104), tels aussi que
« le motif de l'excès, de l'énormité, de la monstruosité » (p. 106),
ou le motif de « l'être solitaire, d'une autre race, sans parenté »
(p. 109), présent principalement dans Une saison en enfer. Mais
c'est dans les Illuminations aussi bien que dans Une saison en enfer
qu'on rencontre le motif pur de l'innocence. Rivière cite Royauté,
la fin de Vagabonds et des extraits de la Saison tels que : « II me
sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps ». Il n'a
aucun mal alors à franchir un pas de plus, pour mettre à l'abri de
cette « innocence » abondamment illustrée dans l'œuvre, « le
renoncement de Rimbaud à poursuivre [cette] œuvre, son étrange
et soudaine mort poétique » (p. 130), qui implique « la certitude de
sa délivrance future ».
Rivière n'a guère utilisé et n'utilisera guère les vers de Rimbaud.
Il s'en tient aux deux œuvres dont il a bien senti qu'elles
manifestaient la même maturité poétique, et si l'on se souvient que

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ASPECTS DE LA RÉCEPTION DES « ILLUMINATIONS » 229

le corpus des Illuminations comprenait alors, d'après les éditions et


depuis 1886, les poèmes en prose que nous plaçons aujourd'hui
sous ce titre, et les « derniers vers », on peut voir, dans la manière
qu'a Rivière de ne citer pratiquement que des poèmes en prose
quand il parle des Illuminations, une intuition, manifeste d'ailleurs
chez d'autres que lui, de la révision du corpus à laquelle procédera
Bouillane de Lacoste en 1939.

Le second article corrige l'effet monolithique du premier et pose


des questions qui nous sont aujourd'hui plus présentes, s'attachant
à l'hermétisme rimbaldien. Les poèmes des Illuminations, écrit
Rivière, « ne se dérangent pas vers nous » ; « ils sont écrits au
mépris de toute sociabilité ; ils sont le contraire même de la
conversation » (p. 132). Les réflexions qui lui viennent alors sur le
caractère latéral et abrupt de la poésie de Rimbaud sont
probablement inspirées par Saint-John Perse, avec lequel Rivière
avait eu, en 1913, un échange sur l'auteur des Illuminations,
« poète de l'ellipse et du bond » dit Perse 16, auquel Rivière fait ici
écho en parlant de « sursauts imprévisibles » et en écrivant : « II
est au bord de ce qu'il faut exprimer, non pas au centre : il le
touche, il le tente [...] » (p. 133).
Rivière s'en tient, pour décrire l'hermétisme rimbaldien, à
quelques métaphores concrètes bien loin des ambitieuses théories
que ce même hermétisme a, depuis lors, suscitées. Les objets
présentés, explique- t-il, sont comme « changés d'étagère ». Il peut
alors réintroduire là « dislocation » ou 1'« incohérence », attribuée
au « voisinage formidable de l'au-delà ». L'œuvre de Rimbaud
devient ainsi « un instant de la dialectique du surnaturel » (p. 181)
et Rivière cite enfin le « mystique à l'état sauvage » de Claudel.

Rimbaud a droit, dans l'univers contemporain, à deux sortes de


critiques. L'une affronte le texte et considère a priori que l'œuvre
de Rimbaud est une œuvre comme les autres ; elle peut choisir ou
non un parti pris méthodologique ; elle a eu quelques mauvaises
fortunes et n'a pas bonne presse puisqu'elle ne déborde guère de
l'université. L'autre ne se reconnaît pas en tant que critique et ne
considère pas l'œuvre de Rimbaud comme une œuvre comme les

16. Lettre à Jacques Rivière du 13 juillet 1913, citée par Roger Little dans son article
sur « Saint-John Perse lecteur de Rimbaud » (Circeto i, octobre 1983, p. 34). Michel
Autrand (« Jacques Rivière et Saint-John Perse », Bulletin des amis de Jacques Rivière et
Alain-Fournier, n° 11, 2e trim. 1978, p. 51) et, à sa suite, Roger Little (art. cit., p. 34 et
39) ont relevé que Roger Lefèvre ne mentionnait pas cette lettre de Saint-John Perse,
importante dans la genèse du Rimbaud de Rivière et publiée dans les Œuvres complètes
de Saint-John Perse de la « Bibliothèque de la Pléiade » (1972).

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230 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

autres ; elle se fonde sur des impressions comme celle


qu'exprimait Fénéon devant les Illuminations, parlant d'une
œuvre « hors de toute littérature », qui transcende les genres,
comme son auteur est au-dessus du genre humain. Ces deux
chemins ne se rencontrent guère et s'opposent volontiers. Le
Rimbaud de Rivière est un des rares essais croisés, mixtes. C'est un
commentaire de l'œuvre qui ne la quitte pas et garde en vue le
destin de la vie, l'épreuve du renoncement, le trouble insituable des
années d'adolescence. Des lettres de 1905-1906 à la conférence de
1913 et aux deux articles de l'été 1914, puis à leur fusion en un essai
posthume mais préparé par l'auteur avec, entre temps, une
précieuse expression critique s'il en est, l'expression du doute, et
même du regret, du remords, dans une lettre à Curtius de décembre
1923 (le « caractère mystique » des Illuminations « a cessé de me
frapper »), le « dossier Rimbaud » de Rivière, comme l'a appelé
Roger Lefèvre, donne l'impression rare d'un but atteint et d'une
plénitude intellectuelle. La lecture de Rivière ne s'infiltre pas dans
l'œuvre pour en rompre les liens, en dissoudre les contextes. Elle
propose une tonalité, qui n'est certes pas sans effets sémantiques,
mais assez subtils pour que soit évitée la pratique du sens forcé, de
la citation tronquée, de l'omission, et pour qu'il puisse la conduire
en servant le texte, en le citant abondamment, sans craindre d'en
recevoir un démenti.
Quand Rivière écrit à Curtius, en parlant des Illuminations :
« leur caractère mystique a cessé de me frapper », on aurait envie
de lui répondre que son essai révèle cette dimension d'une œuvre
qui, au-delà des exigences sémantiques particulières à chaque
poème, reste très mobile. Les Illuminations, recueil en voie
d'éternel inachèvement, avec tous ses contrastes, son goût de
l'incommunicable traversant l'épreuve des formes anciennes et
nouvelles, tout cet édifice larvé, gardé en réserve de 1'« Adieu » de
la Saison, se laisse savamment teinter de mysticisme. En doutant de
sa lecture, Rivière doutait de la nécessité de celle-ci, formulant la
seule vraie critique qu'on puisse lui faire. Le concept reste vague :
mystique, ce n'est même pas chrétien. Sur ce point divergent la
lecture de Claudel et celle de Rivière, qui pourtant reprend
fidèlement la belle formule de « mystique à l'état sauvage ».
La lecture de Jacques Rivière restera exemplaire. Elle ne
succombe pas à ce qu'un psychanalyste appellera « le besoin
d'interpréter ». Mobilisée par le souci du sens, elle désigne
l'alternative et se tient aux antipodes de ceux qui croiront pouvoir
dire des Illuminations : « II n'y a peut-être rien à lire là-dedans ».
André Guyaux.

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