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Charles Taylor : "La société moderne se

fonde de plus en plus sur la discipline"


Selon cette figure emblématique de l'éthique
communautariste, le libéralisme implique de laisser
l'individu organiser sa vie comme il le désire tant qu'il
n'entrave pas celle des autres. Quitte à choquer.
Propos recueillis par François Gauvin
Modifié le 27/03/2011 à 14:27 - Publié le 15/03/2011 à 17:04 | Le Point.fr

Charles Taylor, philosophe très influent sur la scène internationale. © Maxppp/ Landov
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Comment un individu se définit-il aujourd'hui ? Par sa langue, son pays, sa religion ?


Par son pays, son équipe de football, ou ses orientations sexuelles ? Ces questions sur
"l'identité moderne" sont au coeur des recherches que mène le Canadien Charles Taylor,
aujourd'hui professeur émérite de l'université McGill (Montréal). Le philosophe, peu
connu en France, et pourtant très influent sur la scène internationale, a un parcours
atypique : en 1961, sitôt son doctorat d'Oxford en poche, ce catholique pratiquant se
présente à quatre reprises aux élections nationales sous la bannière du Nouveau parti
démocratique, le plus à gauche de l'échiquier canadien. Éconduit par les électeurs, il
retourne à ses premières amours, et publie, en 1975, un volumineux Hegel, qui présente
sous un jour favorable les thèses éthiques et politiques de cet idéaliste maudit en terres
anglo-américaines. Ce sera l'un des rares best-sellers philosophiques du XXe siècle.

Il s'impose dès lors comme une figure emblématique de l'éthique communautariste


outre-Atlantique, qui allie les principes de la société libérale avec un sens aigu de
l'appartenance à la communauté. À la fois critique et interlocuteur privilégié du
philosophe libéral américain John Rawls et de l'Allemand Jürgen Habermas, il publie en
1989 The sources of self : the making of modern identity (Les sources du moi pour la
traduction française en 1999), qui retrace l'évolution de la notion de "soi" (self) depuis
l'Antiquité jusqu'à nos jours. Puis, dans A Secular Age (2007), il approfondit sa lecture
de l'évolution des fondements de la société depuis la Renaissance. Salué par la critique,
ce livre lui vaut en 2007 le prestigieux prix britannique Templeton. Spécialiste du
multiculturalisme, il accepte la même année de diriger, avec le sociologue Gérard
Bouchard, une commission commandée par le gouvernement québécois sur les
adaptations possibles aux différences culturelles (dite Commission Bouchard-Taylor).
Rencontre avec un philosophe de terrain.

Le Point.fr : Vous passez pour un apôtre du communautarisme. En France, autant


parler du diable... À quoi attribuez-vous cette allergie française ?

Charles Taylor : D'abord à un fâcheux contresens, qui vient du mot lui-même. En


anglais, il a en effet deux sens, qu'on ne retrouve pas en français. On peut être
communautarian, au sens où l'est par exemple le sociologue américain Amitai Etzioni,
et cela équivaut pratiquement au républicanisme français. C'est une philosophie de la
communauté nationale envers laquelle ses membres ont des responsabilités et des
devoirs. L'autre sens, le seul retenu en français, renvoie plutôt aux communautés qui
existent à l'intérieur d'un pays, les "communautés culturelles", comme on les appelle au
Québec. En français, l'idée d'une "philosophie communautariste" pourrait laisser
entendre que cette philosophie cherche à favoriser les replis communautaires. Mais que
les Français se rassurent : aucun philosophe, ni aucun pays, dans le monde occidental,
ne prône cette forme-là de communautarisme. C'est un mythe tenace, mais rien qu'un
mythe ! Je me considère plutôt communautariste au sens où l'entend Amitai Etzioni : je
crois que la société est davantage qu'un ensemble d'individus isolés, et qu'il existe dans
les sociétés libérales modernes des normes universelles, comme les droits de l'homme,
que tout le monde doit respecter.

Mais vous êtes plutôt conciliant envers la politique multiculturelle du Canada.


Dans le rapport de la commission que vous avez codirigée avec le sociologue
Gérard Bouchard, vous préconisez même un "interculturalisme"...

Ces termes n'ont rien à voir avec une politique favorable à la création des ghettos, et il
faut absolument les replacer dans leur contexte. Le Canada est depuis la fin du XIXe
siècle un pays d'immigration, et qui se définit en fonction de celle-ci. Ce n'est pas le cas
de pays européens comme la France qui, même si elle accueille des étrangers, ne se
définit pas en premier lieu à partir de l'immigration.

Le multiculturalisme canadien est tout simplement une politique d'intégration, qui vise
justement à décloisonner les communautés d'immigrants. Cette politique se soucie
d'enseigner à tous les immigrants les deux langues nationales (anglais et français) ; elle
veut favoriser une politique de contact, d'ouverture et de dialogue culturel, pour éviter
les replis communautaires. Quant à l'interculturalisme, ce n'est pas bien différent. À
cette différence près qu'au Québec, il fallait que la politique d'intégration puisse tenir
compte d'un élément fondamental aux yeux de la population : la survie de la langue
française. L'interculturalisme souligne cette spécificité. Mais le multiculturalisme et
l'interculturalisme ne diffèrent pas fondamentalement - ce n'est certainement pas la
différence entre une politique qui favoriserait l'immigration et une autre qui ne le ferait
pas.

La laïcité n'est-elle pas une façon plus simple de gérer les différences ?

L'histoire de la laïcité est très riche et complexe, y compris en France. Il y a plusieurs


traditions, certaines tendances sont plus ouvertes, d'autres plus fermées. On ne peut pas
ramener toutes ces tendances à la laïcité, comme on le fait aujourd'hui en France.

Que pensez-vous du débat sur l'identité nationale tel qu'il s'est posé en France au
cours des derniers mois ?

C'est un débat empoisonné, dont les motivations politiques sont extrêmement suspectes.
Il porte surtout sur l'Autre, et non pas d'abord sur les Français. Car il ne faut pas se
voiler la face: au fond, la question soulevée est de savoir si les étrangers sont
compatibles ou non avec "l'identité française". Ce n'est pas vraiment une réflexion sur
les normes auxquelles tiennent les Français, mais une tentative de tirer une ligne de
démarcation. Le problème, c'est que des immigrants se trouvent ainsi soupçonnés de
communautarisme (ici, au mauvais sens du terme), même s'ils ne recherchent pas
nécessairement ce but-là. On cherche à les mettre dans une position de minorisation
pour pouvoir ensuite justifier des mesures à leur encontre. C'est donc un débat qui
divise, qui crée des tensions énormes dans la société, et une société libérale doit éviter
ce genre de dérapage.

Vous êtes contre l'interdiction totale de la burqa telle que l'envisage le


gouvernement français. Mais son principe est pourtant de préserver la liberté de la
femme.

Le projet de loi français est à mon avis très problématique dans la perspective d'une
société moderne libérale, et même d'une société de droit. On ne peut évidemment pas
porter la burqa dans certaines situations, à l'école, et pour des raisons de sécurité ou
d'identification de la personne, par exemple. Mais de là à interdire de pouvoir sortir de
sa maison avec une burqa ! C'est une mesure farouchement antilibérale. Invoquer l'idée
qu'il s'agit de protéger la liberté individuelle des femmes ne suffit pas : on ne connaît
pas leurs motivations. Les recherches sociologiques montrent d'ailleurs que celles-ci
sont variées. De jeunes femmes vont, par exemple, porter le voile ou la burqa pour se
révolter contre leurs parents, une motivation bien occidentale ! Au fond, la vraie
question est de savoir qui doit décider de la signification du port de ce type de vêtement.
Le gouvernement ? Ou l'individu lui-même ? Il me semble qu'en l'absence de preuve
probante, le principe de liberté, au fondement de notre société, exige qu'on opte pour la
dernière réponse. Il faut accepter que les autres décident librement de leur vie tant qu'ils
n'entravent pas la nôtre, et même quand cela nous choque. Sinon, on revient au bon
vieux paternalisme d'autrefois, à la Genève de Calvin, ou à l'Iran de Mahmoud
Ahmadinejad.

C'est ainsi que vous définissez l'identité moderne dans votre livre Les sources du
moi ?

En effet, un individu peut se définir lui-même. C'était différent à d'autres époques, au


Moyen Âge par exemple. Le fait d'accorder autant d'importance à l'identité individuelle
est quelque chose de récent. Aujourd'hui, on reconnaît que les individus ont un rôle à
jouer dans la définition de leur propre identité. Évidemment, personne ne peut se définir
totalement, et chacun s'inscrit dans un contexte et des traditions spécifiques. Mais il est
admis que les individus peuvent, dans une certaine mesure, choisir parmi ces traditions
celles qui leur conviennent, ou tenter de les redéfinir, comme l'ont fait les mouvements
féministes ou gays ces dernières années. Ce phénomène s'est d'ailleurs accentué dans la
deuxième moitié du XXe siècle, avec ce que j'appelle "l'ère de l'authenticité". C'est
l'époque où fleurissent, par exemple, les théories et les pratiques du "développement
personnel". Il faut prendre la mesure de ce fait : la quête de soi est un aspect
fondamental de l'identité moderne.

Ne vient-elle pas naturellement du déclin de la religion ?

C'est une vision trop simpliste. Nos sociétés modernes occidentales n'ont certes plus de
fondation unique philosophico-religieuse. Mais on a longtemps associé ce processus de
sécularisation à une marginalisation de la religion qui conduirait finalement à sa
disparition. J'ai montré dans A Secular Age que la sécularisation est un phénomène
beaucoup plus complexe, qui d'ailleurs résiste à toute généralisation. Prenez, dans
l'ancien bloc de l'Est, le cas de l'ancienne RDA. L'athéisme y est majoritaire. Mais dans
la Pologne voisine, anciennement communiste elle aussi, c'est tout le contraire. Et aux
États-Unis, pays capitaliste et libéral, des sondages ont révélé que 90% de la population
croit en Dieu ou en une force spirituelle supérieure. Alors, certes, on ne légifère plus
dans les pays occidentaux en fonction des autorités religieuses, mais l'évolution vers la
sécularisation va de pair avec des niveaux de participation religieuse très différents.
Quand Nietzsche annonce, au chapitre 125 de son livre Le gai savoir, avec une image
poétique très forte, que "Dieu est mort", certains s'y retrouveront, d'autres pas. Il y a
certainement une part de vrai dans ce qu'il déclare, mais on se trompe si on y voit une
vérité valable pour tous.

C'est donc une autre approche de l'histoire que je propose. Je pense, en effet, que nous
allons vers davantage de diversification dans le rapport à la religion et, plus
généralement, dans la façon de penser les critères d'une vie bonne. J'ai employé le
concept d'hyper-nova pour illustrer ce phénomène de diversification toujours plus
complexe. C'est là un autre trait de notre monde sécularisé, à savoir qu'il faut
fonctionner avec une pluralité de fondements. Les assises de notre société sont
plurielles, ou pluralistes, ce qui n'était pas le cas dans le passé. Si vous reculez de deux
siècles, vous aurez des sociétés qui étaient entièrement fondées sur le christianisme.
Nous n'en sommes plus là : nous cherchons à nous sentir en accord avec des principes
qui reflètent nos convictions intimes.

La sécularisation marque-t-elle pour vous un progrès? Un brin de nostalgie semble


percer dans vos propos...
C'est une tendance générale vers le mieux. Les droits de l'homme, la possibilité laissée à
chacun de se définir, etc., marquent des progrès, et il n'est pas question de revenir à
l'Ancien Régime ! Mais il y a aussi des éléments négatifs dans cette évolution, entre
autres le fait que la société moderne se fonde de plus en plus sur la discipline, comme l'a
très bien montré Foucault. Ce qui entraîne aussi le refoulement de pans entiers de la vie
humaine.

Nous sommes refoulés ?

À certains égards, oui. Prenez le carnaval qui, au Moyen Âge, permettait d'inverser en
public les rôles sociaux, de marquer une pause l'espace d'un jour, de rappeler le sens de
la communauté humaine par-delà les divisions de la vie courante. Ce genre de festivités
publiques ̶- on pourrait citer aussi les bals ̶-, a pratiquement disparu. Dans le privé, on se
permet tout, mais dans le public, nous restons très disciplinés. Nous avons du mal à
prendre contact avec certains de nos désirs profonds.

Repères

1931 Naissance à Montréal

1961 Doctorat de l'université d'Oxford. Professeur à l'université McGill (Canada)


jusqu'en 1997

1962 Candidat au Canada pour le parti NPD.Se représente en 1963, 1965 et 1968

1975 Hegel (Cambridge University Press).

1989 Source of the Self (Les sources du moi, Boréal, 1999)

1992 Multiculturalisme, différence et démocratie (Aubier)

2002 Le Malaise de la modernité (Le Cerf)

2007 Coprésident de la Commission Bouchard-Taylor. Prix Templeton pour A Secular


Age (Belknat Havard)

Charles Taylor, L'âge séculier, traduit de l'anglais par Patrick Savidan, Seuil, collection
"Les livres du nouveau monde, 35 euros, 1 344 pages, paru le 17 mars 2011

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