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L'Homme

La Grande Vie et le Vieux Sac


Anne-Christine Taylor

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Taylor Anne-Christine. La Grande Vie et le Vieux Sac. In: L'Homme, 1999, tome 39 n°149. Anthropologie psychanalytique. pp.
177-182;

doi : 10.3406/hom.1999.453512

http://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1999_num_39_149_453512

Document généré le 29/03/2016


La Grande Vie et le Vieux Sac

Anne Christine Taylor

I exploration subtile offerte ici du paysage mental parcouru par les Indiens
L_
otomi du plateau central mexicain, le pays <XAu-dessous du volcan, confirme ce
que sait déjà tout lecteur du grand roman de Malcolm Lowry : la cantina et ses
abords sont, au Mexique, un haut lieu de la métaphysique. C'est bien là, nous
confie l'auteur dans un poignant avant-propos, que lui ont été dévoilées, dans les
vagissements pathétiques de ses informateurs ivres morts, « les plus éblouissantes
pages de la vision du monde otomi ». De l'analyse patiente et passionnée de cette
vision, Jacques Galinier a tiré un ouvrage important par les problèmes qu'il
aborde — celui des rapports entre anthropologie et psychanalyse, entre ethnologie
et histoire ; celui de la nature du rituel et du statut des représentations qui lui
sont associées - en même temps qu'un livre très attachant par l'élégance de son
écriture, par l'intimité pudique et délicate qu'il installe entre le lecteur et l'auteur,
par sa présentation de ces grands mystiques érotomanes, et surtout thanato-
manes, que sont les Otomi, par sa révélation d'un somptueux univers de pensée
encore habité par l'écho assourdi des splendeurs macabres du Mexique
précolombien.
À cette question épineuse du passé dans le présent, justement, le livre apporte
une réponse à la fois fine et sensée. On sait que ce thème est l'objet, ici comme
dans les Andes, d'un débat stérile autant qu'intense opposant, d'un côté, les
fervents de la survivance d'un univers culturel autochtone, certes érodé par la
colonisation mais toujours vivace et, de l'autre, les champions du bricolage
postcolonial, persuadés que la culture indigène moderne (parfois autant réifiée, soit

A propos de Jacques Galinier, La moitié du monde. Le corps et le cosmos dans le rituel des
Indiens otomi, Paris PUF, 1997, 296 p. (« Ethnologies »). L'édition originale de cet ouvrage est parue en
espagnol sous le titre : La mitad del mundo. Cuerpo y cosmos en los rituales otomies. Traduction de Angela
Ochoa y Haydée Silva. Mexico, Universidad Nacional Autónoma de México, Centro de estudios mexi-
canos y centroamericanos, Intsituto Nacional Indigenista (UNAM-CEMCA-INRI), 1990, 746 pages.
[Cf. compte rendu par Jean-Pierre Chaumeil dans L'Homme, 1993, 126-128 : 548-550, Ndlr.]

L'HOMME 149 / 1999, pp. 177 à 182


dit en passant, que celle défendue par les zélotes du prehispanico) est de part en
part européanisée. Les Otomi eux-mêmes ont installé une variante de cette
1 78 dichotomie au cœur du dispositif dualiste qui gouverne leurs représentations,
non seulement en distinguant le monde du « dedans » et des « costumbres » du
monde du « dehors » et des fêtes chrétiennes, mais en nichant leurs pratiques
« traditionnelles » dans des pratiques chrétiennes - entreprise de camouflage qui
leur a permis de maintenir une tradition à la fois comme contenu et comme
valeur. Du coup, les rituels « coutumiers » et les pratiques hispano-chrétiennes ne
prennent sens que par la relation d'implication mutuelle qu'elles entretiennent.
Impossible, dès lors, de séparer, dans l'univers culturel indigène, les traits
autochtones des traits occidentaux, mais impossible, aussi, de qualifier ce processus de
syncrétique ; le monde non traditionnel, tel qu'il est vécu et conçu par les Otomi,
est pétri d'éléments purement indiens en continuité évidente avec la culture
précolombienne, de même que le « traditionnel », tel qu'il est pratiqué et conçu par
les Otomi, est saturé d'apports hispaniques. Parmi ces éléments-là, il en est un
qui tient une place prééminente : la figure du Diable, contribution majeure de
l'évangélisation. Quant à Dieu (et à son Fils), on serait tenté de dire que, comme
les Canaques de Leenhardt, les Otomi les avaient déjà ; le Malin, en revanche,
semble bien constituer à leurs yeux l'outil de pensée le plus saillant que leur aient
offert les Espagnols.
Cela dit, le corps de l'ouvrage est consacré au traitement des rites considérés
par les Otomi eux-mêmes comme traditionnels. Pour Jacques Galinier, en effet,
la vision du monde otomi ne se laisse appréhender ni dans un discours
cosmologique explicite - au demeurant inexistant — ni même dans les mythes, trop
érodés pour permettre la restitution d'une cosmologie cohérente. Elle est à
reconstruire, en tant qu'horizon d'intelligibilité, à partir de l'agencement des
rituels — de leur mythologie implicite — et plus encore à partir des spéculations
fragmentaires, des associations, des jeux de mots, des rêves et des hallucinations
dont ils sont les embrayeurs, ce que Jacques Galinier appelle 1'« exégèse interne »,
celle qui fleurit notamment aux abords des cantinas, dans cet ersatz du climat
rituel qu'est l'ivresse.
Il faut souligner l'extraordinaire qualité descriptive des pages consacrées à la
présentation de ces rituels, à la fois concises, très précises et remarquablement
évocatrices. Il est vrai que les matériaux s'y prêtent, car certaines de ces
célébrations otomi atteignent des sommets dans l'imagination de l'acte rituel, à
commencer par celui que Jacques Galinier baptise le « clinamen des pères pourris »,
gongorisme très mexicain pour désigner ce stupéfiant rite du volador qui
condense le décalottement et le coït d'un phallus cosmique, l'envol de l'âme
libérée de ses péchés, l'éjaculation sanguine du sacrifié aztèque, et bien d'autres
choses encore. Fascinant aussi ce déploiement obsessif de figurines en papier
découpé auquel se livrent les Otomi en préambule à tout rite coutumier.
Associés pour nous au souvenir de lointains anniversaires et d'innocentes fêtes
villageoises, ces découpages, exécutés avec une spectaculaire virtuosité, revêtent
pour les Otomi un sens lourd d'enjeux existentiels et de macabres connotations.

Anne Christine Taylor


Il en va de même pour les clowneries menaçantes du carnaval ; derrière ces
costumes troubles, derrière ces jeux grinçants et crus se profile l'ombre du Diable
en majesté, maître de la moitié d'en bas, celle du sexe et de la mort, donc de la 1 79
vie. La description de ce festival d'ambiguïtés, où se décline sous toutes les
formes possibles le mariage du dérisoire et du terrifiant, est le sommet du livre,
car elle débouche sur une analyse remarquable qui reprend et noue tous ces fils
tendus par les Otomi entre la Grande Vie — la mort, encore — et une existence
broyée par la misère.
Ces représentations, nous montre Jacques Galinier, sont gouvernées par un
scheme dualiste associant des moitiés asymétriques mises en miroir, structure
dans laquelle les termes d'une opposition binaire hiérarchisée s'englobent l'un
l'autre, en fonction du niveau où elle opère, et selon la logique mise au jour par
Louis Dumont. Parmi ces relations entre moitiés non équivalentes, c'est le couple
haut-bas qui, à l'évidence, joue le rôle le plus important. Il en est une autre,
cependant, dont Jacques Galinier me semble sous-estimer la portée : celle entre
dedans et dehors. Certes, c'est bien dans ces termes que l'auteur rend compte de
l'articulation entre costumbres et fêtes chrétiennes, entre tradition locale et culture
nationale ; mais il s'agit là d'un outil d'analyse, d'une étiquette empirique, pas
véritablement d'un axe cosmologique. On sent pourtant la prégnance de cette
opposition dans les données fournies ; autant que celle entre haut et bas, elle
gouverne, me semble-t-il, toute cette dialectique indienne entre peau et squelette,
c'est-à-dire entre morts et vivants. Elle justifie, d'ailleurs, l'importance de la peau
aux yeux des Otomi : les vivants sont des peaux qui s'emboîtent sur un
empilement de morts, de la même façon que les figurines en peau - aujourd'hui en
papier plié et découpé - recouvrent les vivants du monde des morts... C'est elle
aussi qu'on devine derrière cette obsession mexicaine de l'écorchement, et qu'on
voit à l'œuvre même dans les sacrifices sanglants des Aztèques, qui condensaient
en une ejaculation de sang le basculement du dedans vers le dehors (par
ouverture du thorax et extraction du cœur), et l'englobement de la vie par la mort,
moment où se joue la fertilisation du monde et la reproduction des humains. La
relation dedans/dehors est-elle simplement un aspect ou une implication de la
relation haut/bas, ou bien définit-elle un axe entièrement autonome ? Question
difficile qui renvoie au problème souvent négligé et pourtant crucial de la «
traduction » ou de l'expression verbale des oppositions structurales. Reste que la
prise en compte de cette dimension aurait peut-être conduit Jacques Galinier à
infléchir son interprétation de l'opposition entre haut et bas, et à nuancer
l'importance qu'il lui assigne.
Par ailleurs, le statut de cette « vision du monde » otomi dégagée par l'auteur est
difficile à cerner. S'agit-il d'une cosmologie tacite, d'une philosophie implicite axée
sur la « connaissance des formes obscures du désir et de la mort » dont le rite ne
serait qu'une des voies d'approche, privilégiée pour de simples raisons de méthode, to
ou bien s'agit-il de représentations particulières, spécifiques au contexte rituel, traité a.
dès lors comme un « dispositif mnémotechnique fixant à échéances variables [...] oc
certaines modalités de la perception du monde » ? Si oui, de quelle manière ces ^

La Grande Vie et le Vieux Sac


représentations rituelles se différencient-elles d'autres ensembles notionnels ? Bref,
les caractères particuliers de la pensée otomi mis en avant par l'auteur, en particu-
1 80 lier sa focalisation sur la métamorphose et l'ambiguïté, sur le basculement entre des
états différents, ne sont-ils pas la marque de l'expérience rituelle plutôt que des
traits propres à une « vision du monde » généralisée ?
Quelle que soit la manière dont on les envisage, ces représentations ont, à la
fois par leur réfèrent et par la manière dont elles s'expriment, partie liée avec ce
continent intérieur mis au jour par Freud, l'inconscient. Dès lors, elle appellent
impérativement, nous dit Jacques Galinier, à une relance de ce dialogue si
difficile et si souvent décevant entre anthropologie et psychanalyse. Il est important
de préciser soigneusement les termes dans lesquels cette discussion peut être
menée. À aucun moment l'auteur ne fait appel au corpus scientifique freudien
pour interpréter ses données, et il reste toujours totalement et exclusivement
ethnologue. Autrement dit, il n'est pas question pour lui d'utiliser la psychanalyse
comme grille de lecture des représentations otomi, sans doute pour des raisons
qui sont éthiques autant que théoriques. Si la psychanalyse est convoquée, pour
ainsi dire in absentia, c'est parce qu'elle parlerait, à sa manière, de la même chose
que l'exégèse interne otomi. Celle-ci renverrait à une théorie implicite de
l'inconscient, et c'est au titre d'une confrontation entre elaborations parallèles d'un
même objet que la psychanalyse serait invitée à dialoguer avec l'anthropologie,
simple porte-parole, en l'occurrence, ou maïeute d'une conception indigène
concurrente.
Reste que l'inconscient vu par les Otomi est très éloigné de celui postulé par
Freud, comme ne manque pas de le souligner l'auteur. Tout d'abord, il ne s'agit
pas de l'inconscient individuel, encore moins de l'inconscient collectif, à
supposer qu'une telle chose existe. L'idée otomi du Vieux Sac, qui synthétise d'après
Jacques Galinier leur conception de l'inconscient, pose que, dans le monde, il y
a une machine sexuelle universelle produisant un discours ; et que cette machine
investit progressivement les individus, à la manière d'une idéologie. Dans cette
perspective, les enfants, créatures de la moitié du haut - angelitos, justement,
puisqu'ils sont encore hors sexualité — sont en toute logique privés d'«
inconscient » ; l'emprise du Vieux Sac commence à la puberté et croît avec l'âge, de
sorte que la mort peut s'envisager comme le moment où la marée montante de
l'inconscient se referme définitivement sur l'individu. En ce sens, la machine
otomi fonctionne à rebours de l'hydraulique freudienne, où, grâce au
refoulement, la part de l'ombre se transmue progressivement en moitié du haut, au fur
et à mesure que le moi s'organise.
Entre cette problématique et tacite métapsychologie indigène et la métapsy-
chologie de Freud, qu'y a-t-il en définitive de commun ? Sans doute l'idée,
fondamentale, de pulsion ; et c'est de l'existence d'un terme indigène — nzaki— qui colle
de très près à la notion d'énergie libidinale, comme du modus operandi de la
machine virtuelle à l'œuvre dans le Vieux Sac, que Jacques Galinier tire argument
pour soutenir que, loin de refléter une métaphysique pansexualiste ou une
cosmologie vitaliste bâtie sur la conjonction nécessaire, sur le mode de la copulation,

Anne Christine Taylor


de catégories sexuées, les représentations otomi dont il traite s'enracinent bel et
bien dans un corps de spéculations sur l'inconscient. Encore faudrait-il, pour en
être pleinement convaincus, parvenir à mieux cerner la place que le refoulement 181
occupe dans cette affaire, et la manière dont les Otomi la réfléchissent; on
conviendra en effet qu'il est difficile de ne retenir de l'édifice freudien que la
pulsion sans mettre à mal la notion même d'inconscient. L'auteur s'en doute bien,
puisqu'il précise à la fin de son livre qu'une grande question reste dans l'ombre,
celle qui « laisserait la place à une vérité du sujet, qui s'ouvrirait sur le mode de
fonctionnement de l'inconscient des Otomi en tant qu'individus » (p. 277).
Supposons que la difficulté soit résolue, qu'un autre travail ait mis au jour les
principes otomi d'individuation et de constitution du moi. Sans doute
s'apercevrait-on alors que la différence essentielle entre les freudiens et les Otomi ne tient
pas à la forme ou au contenu qu'ils assignent respectivement à l'inconscient, mais
plutôt à la question de sa localisation ontologique. Pour nous, l'inconscient est
fermement ancré dans l'homme (et la femme) et quoi qu'il soit d'essence
naturelle par son universalité, il ne déborde pas de l'individu sur le monde. Pour les
Otomi, au contraire, la machine infernale est d'abord dans le monde, et dans les
relations qui unissent les individus, avant d'être en eux ; c'est bien pourquoi
l'orgasme est pour eux le lieu de révélation de la Vérité. Or, c'est cette projection sur
le monde — hors corps - d'une instance qui est pour nous l'essence de
l'intériorité qui rend si déroutante cette vision exotique de l'inconscient. Si donc ces
Indiens ont une théorie de l'inconscient, il faut admettre que celle-ci s'est
élaborée dans le cadre d'une pensée non naturaliste ; voila qui rend d'autant plus
difficile — mais d'autant plus féconde — la comparaison entre les deux corps d'idées,
dont l'un, bien évidemment, s'inscrit de multiples façons dans l'héritage du
dualisme cartésien.
Il n'est pas certain, toutefois, que Jacques Galinier soit prêt à accepter toutes
les implications d'une « symétrisation » aussi rigoureuse. Car, de même qu'il
oscille entre des points de vue incompatibles s'agissant du statut rituel — donc
« context-dependant » — ou du statut général des représentations de la moitié
inférieure du monde, de même ne se résout-il pas entièrement à ne voir dans
l'exégèse interne otomi que des représentations plutôt que des manifestations de
l'inconscient, dès lors que ces représentations sont dites affleurer comme affleure
l'inconscient freudien dans les rêves, les états de conscience dissociés, les jeux de
mots, etc. N'est-on pas là de plain-pied dans V inneres Ausland proprement dit,
plutôt que dans un corps de spéculations, seraient-elles « implicites » ? Toutefois,
ce glissement est peut-être le prix à payer pour une ethnographie aussi habitée
que celle de Jacques Galinier. Il ressort clairement de son livre, en effet, que son
expérience otomi a joué un rôle central dans le rapport qu'il entretient avec sa
propre part du Vieux Sac ; réciproquement, ses analyses peuvent être lues comme
une ré-élaboration anthropologique des formes narratives développées pour t/j
rendre compte du trajet qu'entreprend un « analysant » - que l'auteur l'ait été for- a.
mellement importe peu - pour explorer son continent intérieur. En ce sens, cette ce
voix otomi qui se fraie un chemin dans les propos de ses informateurs désempa- <

La Grande Vie et le Vieux Sac


rés, comme à leur corps défendant, apparaît comme le prolongement de 1'«
étranger intérieur» de l'ethnographe, en tout cas comme une terre commune, ce
1 82 qu'est précisément l'espace psychique mis en place dans la relation entre
lyste et son patient. De ce point de vue, il y a bien un rapport profond entre
anthropologie et psychanalyse, et l'un des grands mérites du livre de Jacques
Galinier est d'obliger à penser enfin sérieusement aux différences et à la
similitude de la configuration relationnelle qui se noue autour du lien psychanalytique,
d'un côté, du lien ethnologique, de l'autre.
Bref, si les données otomi appellent à reprendre la discussion entre
psychanalyse et anthropologie, on voit qu'elles le font en des termes infiniment plus riches
et complexes que ceux qui délimitaient jusqu'ici le terrain de confrontation entre
les deux disciplines. C'est l'une des raisons, parmi bien d'autres, pour lire sans
tarder ce livre magnifique.

MOTS CLÉS/ KEYWORDS : Mexique/ Mexico - Otomi/ Otomi - anthropologie/ anthropology -


psychanalyse/ 'psychoanalysis — rituel/ ritual- inconscient/ 'unconscious.

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