LA « NASSE », OU
L’IMPORTATION DU
« KETTLING »
"Ce dispositif de maintien de l’ordre est surtout connu sous le
terme anglais de kettle (« bouilloire ») ou kettling, la technique
étant particulièrement prisée par la police de Sa Majesté."
Libération, 3 mai 2016
paru dans lundimatin#60 (lundimatin-60), le 9 mai 2016
Malgré les discours plaintifs des syndicats policiers concernant les ordres
peu clairs, voire contradictoires, qu’ils recevraient, on peut noter depuis le
début du mouvement contre la loi travail, en tout cas à Paris, une volonté de
roder un dispositif de maintien de l’ordre relativement nouveau à cette
échelle en France : le kettling (ou la « nasse »). A plusieurs reprises, lors des
manifestations, les unités de maintien de l’ordre (CRS ou Gendarmes
mobiles) ont essayé d’encercler les manifestants. L’idée est ici d’isoler tout
ou partie du cortège, ahn éventuellement de l’immobiliser, d’arrêter certains
de ses membres ou de provoquer sa dispersion au compte-goutte. Cette
technique n’est pas née soudainement dans l’esprit retors de quelque
stratège policier. Elle avait été expérimentée préalablement en France, dans
des contextes différents (des rassemblements non-déclarés sur des places),
comme lors du mouvement contre la réforme des retraites en 2010 à Lyon,
ou lors de la mobilisation contre la COP21 (sous état d’urgence) en
novembre dernier. Surtout, il s’agit d’une technique déjà utilisée par la
police à l’étranger, notamment en Angleterre (où l’on a déjà vu des "nasses"
durer près de 9h) ou au Canada (où l’on a déjà vu la police interpeller plus de
500 manifestants d’un coup).
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Mais c’est certainement le 28 avril et surtout le 1er mai que la police a le plus
nettement cherché à tronçonner la manifestation en « petits » groupes (de
quelques centaines de personnes), plus facilement maîtrisables.
COMMENT ?
Il faut distinguer deux situations.
L’encerclement de l’intégralité des manifestants, qui a généralement lieu
au point de départ (COP21) ou au point d’arrivée de la manifestation
(commissariat du 2e ; Nation). La chose est relativement simple à mettre en
oeuvre pour la police : le dispositif est déjà là, à tous les points de sortie de
la place, et il sufht à un moment donné de resserrer les rangs policiers, et
ainsi interdire l’accès et la sortie du rassemblement.
Isoler et immobiliser tout ou partie de la manifestation alors qu’elle est
déjà en mouvement. La police se met en situation de décider non seulement
du parcours (on commençait à avoir l’habitude) mais aussi du rythme, de la
tenue, et de la dispersion de la manifestation. Quand ça sufht, ça sufht : soit
le cortège était déjà complètement encadré et il est tout simplement arrêté
(avec le fantasme que, comme en Allemagne, la police puisse venir
« prélever » des individus trop agités directement dans le cortège encerclé
) ; soit il était trop gros pour être complètement encadré et la police tente
donc de le tronçonner (des morceaux plus petits étant plus facilement
contrôlables).
POURQUOI ?
Nous sommes face à un mouvement dans lequel, très rapidement, dans les
manifestations, les cortèges syndicaux ont été systématiquement dépassés.
D’abord, par les cortèges « jeunes », qu’ils n’ont pas su encadrer et dans
lesquels œuvraient des groupes de lycéens organisés. Ces groupes,
déterminés à ne pas se laisser récupérer, conservent certains modes
d’action normalement peu utilisés dans les manifestations ballon-saucisse
(s’en prendre aux banques, faire des manifs sauvages, peinturlurer la
police). A Paris, de manif en manif, ces cortèges « jeunes » sont devenus de
plus en plus gros et hétérogènes (et les manoeuvres des SO ont été "contre-
productive" : lorsqu’ils ont tapé des manifestants le 24 mars ; lorsqu’ils ont
imprimé des rythmes de tortue, comme le 31 mars). Loin du fantasme d’un
« cortège autonome, grimé en noir pour représenter le drapeau pirate »
comme le récitait récemment un « expert », on a plutôt vu se former une tête
de manif composée de… toutes les composantes du mouvement. Des
cheveux blancs au milieu des lycéens, des jeunes qui hallucinent, des moi-
à-mon-époque, des porteurs de drapeaux égarés, des anarchistes, des
intermittents et des nuitsdeboutistes, beaucoup de chômeurs (puisqu’il y a
beaucoup de chômage), des sudistes avec des cgtistes, des gens qui hlment
la police, d’autres qui la caillassent, des casseurs de pubs, des petits diables
qui s’agitent dans leur coin, des harangueurs de foule, des foules qui
n’aiment pas suivre les harangueurs de foule, des banderoles renforcées,
des banderoles pas renforcées, des visages masqués (à gaz), d’autres
découverts, des holes de sérum phy par centaines, des gens obnubilés par la
bac, des gens obnubilés par les trains, pas de clowns, des joueuses de
tambour, des gens qui ne supportent plus - c’est viscéral - les uniformes, des
fais-pas-ci-fais-pas-ca, des je-fais-ce-que-je-veux-(avec-mes-cheveux), des
si-on-fait-rien-ils-feront-rien et tous les autres qui se marrent autour, mais
des pacihstes et des casseurs, ça, non.
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