Athénagore et Tertullien
sur la résurrection
I. — D ifférences
Les différences que présentent les deux ouvrages seront successivem ent
examinées sur le plan du vocabulaire, de la structure, de la problématique, de
l ’argumentation et du public.
a) Le vocabulaire
N otre étude com parative des v ocabulaires d ’A thénagore e t de T ertu llien su r la
résurrection, q u i ne p o rta it a p rio ri q ue s u r les d eu x traités sp é c ia lisé s (iïEpi'
6. Cf. Tertullien, De res. 2 s. Pour Athénagore, voir notre article : «Public et adversaires
du Traité sur la résurrection d ’Athénagore d ’Athènes», Vetera Christianorum, 24, 1987, p.
315-336.
7. Cf. Tertullien, De res. 55,1 («la chair ne ressuscite pas autre») ; A thénagore, D e res.
2, 3 («assembler de nouveau les parties nécrosées»).
8. Qu’il s’agisse des Gnostiques (cf. Lettre à Rhéginos sur la résurrection = N H I, 4, p. 46 :
«résurrection spirituelle») ou des hellénisants précurseurs d ’Qrigène (cf. Origène, C. Cels. V,
18 : «l’élite des penseurs»).
9. Sur la maîtrise qu’avait Tertullien de la langue grecque, cf. Tert., De bapt. 15, 2 («sed de
isto plenius iam nobis in graeco digestum est») ; Ad nat. I, 10, 38 («adhuc meminimus
Homeri»), Sur sa culture, voir A. d ’A lèS, «Tertullien helléniste», Revue des Études Grecques,
1937, p. 329-362 ; J.-C. F redouille, Tertullien et la conversion de la culture antique, Paris,
1972.
10. Sur la connaissance qu’avait Tertullien de la première littérature chrétienne, voir A. VON
H a rnack , «Tertullians Bibliothek christlicher Schriften», SAB, 1914, p. 303-330. Sur la
connaissance qu’il avait vraisemblablement de la Supplique d ’Athénagore, voir Harnack, Ibid.,
p, 320 (Leg. 33, 4 = De exhort. 9, sur le remariage) ; J. L ortz , Tertullian als Apologet, I,
1927, p. 208, n. 287 (Leg. 36, 2= Apol. 45, 7 ; la croyance en la résurrection fonde la morale
chrétienne) ; etc. VApologeticum (= A.) et la Legatio (= L.) ont évidemment beaucoup de
points communs ; outre ceux mentionnés ci-dessus, on citera : A. 14, 2-5 =L. 21, 2-5 et 29, 2
(passions humaines de quelques dieux) ; A. 21, 13 (Prax. 2) = L. 10, 5 (gradus = t<ü£iç ; cf.
Justin , 1 Apol. 13, 3) ; A. 31, 3 = L. 37, 3 (Paul, 1 Tim. 2 , 2 ; cf. T héophile , Aut. 3 ,1 4 ) ; A.
46, 9 = L. 6, 2 (Platon, Timée 28c ; cf. JUSTIN, 2 Apol. 10, 6).
ATHÉNAGORE E T TERTULLIEN 211
11. C’est-à-dire : Apol. 18, 3 ; 23, 12-13 ; 45, 7 ; 48 ; 49, 2 ; 50, 11; Leg. 12, 1-3 ; 31, 4 ;
36 ; 37, 1. Sur le vocabulaire de la résurrection chez Justin, Athénagore et Tertullien, voir
HALLSTROm, Op. cit., p. 81-90 ; P. P. S antedrian, La terminologie de la resurreccién en
Tertuliano, Burgos, 1978 (diss.) ; G. C laesson, Index Tertullianeus, Paris, 1974,
12. De res. 11,4 ; 13, 1 (cf. Index en fin d ’article).
13. Ath., De res. 18, 5 = Tert., De res. 36, 5 ; 56, 3 ; 57, 9 ; 60, 4.
212 BERNARD POUDERON
14. Ath., De res. 16, 4 ; 16, 6 ; 19, 4 ; 25, 2 = T ert., De res. 19, 2. Quant à la métaphore
de la chute, elle est peut-être empruntée à Justin, De res. 10 = PG 6 , 1589B.
ATHÊNAGORE ET TERTULLIEN 213
c) La problématique
La définition d’une problématique est intimement liée à la question de la
structure d’une œuvre. Athénagore pose à l ’origine de sa démarche le constat
d’une création24, qui amène au postulat d’un Dieu créateur25. C’est à partir de ce
postulat qu’il dispute de la réalité de la résurrection : le Créateur peut-il
ressusciter la chair ? Oui, puisqu’il l ’a créée ; le Créateur doit-il ressusciter la
chair ? Oui encore, puisqu’il l ’a créée26. Pourquoi le ferait-il ? Parce qu’il a créé
l ’homme en fonction d’un dessein particulier ; parce qu’il a doté l ’homme d’une
certaine nature ; parce qu’il doit nécessairement juger sa créature (par une
simple extension des fonctions providentielle et créatrice) ; parce qu’il a créé
l ’homme en vue d’une fin qui lui est propre27.
Tertullien, de son côté, affirme fonder sa démarche sur un seul principe, celui
de l ’incarnation, qui seul (et à lui seul) justifie la résurrection de la chair, tandis
qu’à rebours c ’est pour nier l ’incarnation du Christ que les Gnostiques nient la
résurrection chamelle28. Par incarnation, il faut entendre d’abord la création de
l ’homme en tant que chair vivante, animée29 ; puis l ’incarnation du Christ,
preuve manifeste de la dignité de la chair30, et son corollaire obligé, sa
résurrection dans la chair, et non en pur esprit31 ; enfin la résurrection des morts
dans leur chair, dont celle du Christ est comme le prototype32. S ’il est vrai que les
parties II (exégèse des textes sacrés) et m (qualité de la chair ressuscitée) de son
Traité ne s ’appuient qu’indirectement sur ce principe, Tertullien prend grand
soin d’y renvoyer par intervalles33.
d) L’argumentation
L ’argumentation même des deux ouvrages diffère du tout au tout. Athénagore
dans son Traité part d’une seule objection initiale : celle de l ’impossibilité et de
l ’indignité de la résurrection ; et il la réfute, avant de démontrer dans une
quadmple argumentation son absolue nécessité. Mais une fois posée l ’objection
initiale, Athénagore fait taire ses adversaires, et n ’instaure avec eux aucune
24. De res, 2, 2.
25. Ibidem, où Athénagore identifie l ’existence d’une cause à l ’apparition de l’homme, à
l’existence d’un Dieu créateur.
26. De res. 2, 5 - 3, 3 (la possibilité de la création entraîne celle de la re-création) ; 10, 5-6
(la dignité de la création de la chair entraîne celle de sa re-création).
27. C’est le plan de la seconde partie du Traité.
28. Cf. De res. 2, 3-6 ; comparer avec IréNée, Adv. haer. V, 1,1.
29. De res. 5, 3-9 ; 6, 1-4, etc.
30. De res. 2, 3-6 ; 6, 5 ; mais aussi 49 ; 53,11-14.
31. De res. 48, 6-8 ; 53.
32. De res. 44, 8 ; 48, 6-8 ; 51.
33. Voir De res. 18, 1-3, qui relie l’exégèse des textes sacrés (partie II) aux principes
précédemment démontrés (partie I), et, par exemple, 20, 3, où T. réfute l ’interprétation
allégorique de la résurrection en se référant à la conception chamelle du Christ..
ATHÉNAGORE ET TERTULLIEN 215
34. Au point qu’on a pu croire (à tort) que le Traité était une œuvre proprement théorique,
qui ne visait aucun adversaire précis.
35. De res. 2, 3 ; 3, 3 ; 4, 1 ; 4, 2-3 ; 7, 2 (ordre croissant d’embarras, pour une seule et
même objection, celle de la dispersion de la chair).
36. De res. 8, 5 ; 9, 2 ; et surtout 23, 6.
37. De res. 9, 2.
38. Pour les Gnostiques, les «tuniques de peau» (Sepparutoi x'Tôvee, Genèse 3, 21 LXX)
que revêtent Adam et Ève après leur expulsion du Paradis, représentent l’habit de chair ;
l ’homme originel était ainsi une âme sans chair, sinon sans corps. Cf. P tolémée chez IRÉNÉE,
Adv. haer. I, 5, 5 ; les Valentiniens chez Clément, Exc. ex Theod. 55, 1 = Stâhlin p. 125, 8.
Voir encore Tert., Valent. 24, 1-3, et le commentaire de J.-C. F redouille, SC n° 281, Paris,
1981, p. 310-313.
216 BERNARD POUDERON
e) Le public
Cette différence essentielle s ’explique sans doute par la disparité des publics.
De toute évidence, le public de Tertullien n ’est pas aussi grossier qu’il veut bien
le dire (2,11 : rudes, dubii, simplices), mais parfaitement informé des problèmes
liés à la doctrine de la résurrection ; il connaît sans doute les opinions et les
arguments des hérétiques, et il peut suivre les différentes allusions, même les plus
délicates, comme celle des «tuniques de peau». En tout cas, il supporte la longue
argumentation exégétique de la deuxième partie de l ’ouvrage, qui suppose une
certaine connaissance des Écritures. À l ’inverse, le public du Traité sur la
résurrection d’Athénagore apparaît comme novice39 : son argumentation, qui se
borne au domaine de la logique, ne nécessite que de maigres connaissances
scripturales, et fait plus volontiers appel aux notions philosophiques (par
exemple, les théories stoïciennes de la connaissance et des passions40) qu’à la plus
humble formation catéchétique. De plus Athénagore s’adresse à l ’auditoire d’une
lecture publique41, sensible au développement d’une argumentation sans faille ;
en revanche, l ’œuvre de Tertullien, plus profonde et plus difficile, mérite la
réflexion et la méditation d’une lecture solitaire.
En résumé, les démarches des deux ouvrages sont manifestement si différentes
que les similitudes de détail n ’en paraîtront que plus extraordinaires. Il importe
maintenant d’en dresser la liste et d’en faire l ’examen critique, afin d’établir ou
au contraire d’exclure l ’hypothèse d’éventuels emprunts de Tertullien au Traité
d’Athénagore.
H. — S imilitudes
«An aliud prius vel magis audias ab haeretico quam ab ethnico et non protinus et non ubique
convicium carnis, in originem, in materiam, in casum, in omnem exitum eius, immundae a
primordio ex faecibus terrae ...» (De res. 4, 2)42.
— un argument auquel il consacre toute la première partie de son ouvrage, et
qui recouvre en fait une double objection, celle de l’indignité de la résurrection
(De res. 5-10) et celle de son impossibilité (11-13). Voici en quels termes
Tertullien rappelle le plan de la première partie de son ouvrage :
«Exorsi enim ab auctoritate carnis, an ea sit, cui dilapsae salus conpetat, dehinc prosecuti de
potentia dei, an tanta sit, quae salutem conferre dilapsae rei valeat. Nunc, si probavimus
utrumque, velim etiam de causa requiras, an sit aliqua tam digna...» (De res. 14, 2-3).
Or, il s’agit là, précisément, de la double objection que se propose de réfuter
Athénagore dans la première partie de son propre De resurrectione :
«(nos adversaires parviendront à montrer qu’en aucun cas la résurrection n ’a de
vraisemblance) s’ils peuvent démontrer qu’il est ou bien impossible à Dieu, ou bien contraire à
sa volonté (t\ àSévtrrov f| àpoifoqiov) de réunir les parties nécrosées ou même totalement
décomposées ...» (De res. 2, 3)43.
Cependant, un tel rapprochement n’est guère significatif. L ’argument
impossibilité - indignité est celui de tous les adversaires de la résurrection, à
quelque bord qu’ils appartiennent, Gnostiques et païens m êlés, ainsi que le
remarque fort justement Tertullien (De res. 4, 2) ; on le retrouve chez le pseudo-
Justin (De res. 5 = PG 6, 1577D-1580A), où il est attribué aux hérétiques, et chez
Origène (C. Cels. V, 14) où il est attribué à Celse. Il n ’y a donc pas de raison
objective de privilégier la thèse d’un emprunt à Athénagore : il suffisait que
Tertullien fût à l ’écoute des adversaires de la résurrection, pour qu’il connût
l ’argument, sous sa double formulation.
44. Ce type de vocabulaire n’est pas absent des autres ouvrages de Tertullien, tant s’en faut :
«publicus sensus», An. 2, 1 ; «communes sensus», Marc. I, 16, 2 ; «disceptatio», Pud. 21,
13 ; «principalia», Herm. 20, 3. Mais ce qu’il y a de remarquable dans le De res., c ’est
l’importance et la place de ces réflexions théoriques, en début de l’ouvrage, comme dans les
ouvrages de Justin et d’Athénagore correspondants. — Sur la question du témoignage de l’âme
chez Tertullien, voir J.-C. Fredouille, Op. cit., p. 344-347. Sur les «notions communes» du
stoïcisme chez les Pères, voir M. S panneut, Le stoïcisme des Pères de l'Église, Paris, 19692,
p. 204-230.
45. Même type de développement dans la Lettre à Rhéginos sur la résurrection (NH I, 4), p.
4 3 , 1. 32-35 (exorde) : «Mais je ne pense pas qu’ils se soient fermement établis à l’intérieur de
la Parole de Vérité, puisqu’ils recherchent plus encore leur détente» ; p. 46, 3-7 : «Mais, s’il y a
quelqu’un qui ne croit pas, il ne peut être persuadé, car c’est le domaine de la foi, mon fils, et
non celui de la persuasion» (trad. A. M énard, Québec, 1983, qui donne pour auteur à la Lettre
un disciple de Valentin).
46. Comparer avec NH I, 4, p. 44, 6-10 : «Je t’écris qu’elle (= la Vérité) est de l’ordre de la
nécessité et que plusieurs, d’une part, sont incrédules à son sujet et que, d’autre part, il y en a
peu qui la trouvent». — Sur le thème des simplices, voir J. H. W aszink et J. C. M. V an
WiNDEN, Tertulliani De idolatria, Leiden, 1987, p. 99 (Idol. 2, 2), qui notent que T. qualifie
volontiers de rudes ou simplices ses adversaires : Prax. 3 ,1 ; Bapt. 1 ,1 ; Scorp. 1, 5 ; Marc. I,
9 , 1 ; An. 3 5 ,2 ; Orat. 4, 2. Comparer avec Origène chez Méthode, De res., I, 2 0 ,1 («les plus
simples des croyants»).
ATHÉNAGORE E T TERTULLIEN 219
A thénagore T ertullien
1 , 5 : «nous constatons que sur ce sujet 2, 10 : «Sic multos inreticos videmus,
les uns manifestent une totale incrédulité dum ante de resurrectione camis eliduntur
(toùç (jiv àmoToüvTaç ndvri)), que d ’autres quam de unione divinitatis instigantur» ;
restent sceptiques (xivàç Si àp.tjn^âXXovraç), 2, 11 : «Uti nunc de sola carnis
et que d’autres encore parmi ceux-là qui ont resurrectione ita et digerendum sit, tamquam
acceptés nos principes fondamentaux, con penes nos quoque incerta, id est penes
naissent sur ce point les mêmes hésitations creatorem, — nam et multi rudes et plerique
que les sceptiques (rivàç ènTarie roü; àfx<t>i- sua fide dubii et simplices plures, quos
(SéXXouatv ànopoCvraç). Il serait alors instrui dirigi muniri oportebit» ;
complètement absurde de les abandonner
dans ces sentiments ...» ;
2, 2 : «il faut que sur ce problème de la 5, 1 : «Igitur quoniam et rudes quique de
résurrection aussi, les incrédules ou les communibus adhuc sensibus sapiunt et dubii
indécis (àmorouvraç C| Stanopoüvraç) ne et simplices per eosdem sensus denuo
portent pas un avis sur de simples opinions inquietantur...»
q u ’ils se seraient faites arbitrairement, ni
pour complaire aux licencieux (= les
Gnostiques) ...»
Toutefois, comme on trouve une démarche identique chez Justin, qui s’adresse
aux «faibles» (àaOeveîç) et aux «incrédules» (âmerrot), et chez Irénée, qui
distingue pareillement les «égarés» (errantes = oi rtenXavripivoi) et les
«néophytes» (neophyti = of veo^ utoi)47, on peut en conclure qu’il s ’agit d ’un
thème obligé de la littérature polémique anti-gnostique, peut-être issu d’un seul
et même prototype48.
d) L’argumentation
La quatrième série d’analogies concerne l ’argumentation. On retrouve en
effet dans les deux ouvrages un certain nombre de thèmes et d’arguments
communs, certains extrêmement banals, d’autres d’un emploi plus rare, et qui
peuvent être les indices d’un éventuel emprunt. En voici la liste :
T ertullien A thénagore
3, 1 : opposition de la vérité et du 1, 1 : idem (àXnBeia, i|œü8oç) ; repris en
mensonge (verum, falsum) 11, 5
[Le thème est banal dans la polémique anti-gnostique ; cf. Justin , De res. 1 = PG 6 ,1573B ;
Irénée , Haer. V, préf. = SC p. 13 ; chez les Gnostiques, NH I, 4, p. 43,1. 32-35] ;
4, 3 : réfutation de l ’argument de la 3, 3 : «il appartient au même être, à la
dispersion de la chair («quod se receptura même puissance, à la même sagesse, quand
quandoque sit in integrum de corrupto, in bien même ces corps auraient été mis en
solidum de casso, in plenum de inanito, in pièces par les milliers d’animaux de toutes
aliquid omnino de nihilo, et utique espèces qui s’attaquent à ce genre de proie
redhibentibus eam ignibus et undis et aluis ...»
ferarura et rumis alitum et lactibus piscium et 4, 1 : «ils ajoutent que les corps,
ipsorum temporum propria gula) ; nombreux, de ceux qui ont péri de mort
accidentelle dans des naufrages ou noyés
dans des rivières, ont servi de nourriture aux
poissons ...»
47. Cf. Justin, De res. 1 = PG 6 , 1573C ; Irénée, Haer. V, préfacé. Comparer avec Rhég.
cité en note 46.
48. Rhég. développe aussi dans son exorde le thème de la Parole de Vérité, sans toutefois
l’opposer au mensonge ; cf. note 45.
220 BERNARD POUDERON
[L’argument est souvent évoqué par les défenseurs de l’orthodoxie : Justin , Qwest. Graec.
ad Christ. 15 = PG 6, 1465 ; T atien, Ad Graec. 6 ; voir encore E usèbe , H. E. V, 62-63 (les
cendres des martyrs) ; P orphyre, frag. 94 Harnack] ;
4,5 : allusion au problème du devenir des 7, 1 : «... parce qu’alors plus rien ne sera
fonctions vitales («quid turn de nécessaire à la vie, ni le sang, ni le phlegme,
consequentiis camis ? Rursusne omnia ni la bile, ni le souffle» ;
necessaria illi et inprimis pabula atque
potacula ? Et pulmonibus natandum (?) et
intestinis aestuandum et pudendis non
pudendum et omnibus membris laborandum
?») ; idem en 60 et 61,4 ;
[La réponse apportée par Tertullien est un peu différente de celle d’Athénagore : les organes,
et sans doute aussi les humeurs demeureront, mais ne serviront plus ; cf. De res. 61, 5-7 ;
comparer avec Justin, De res. 3 = PG 6 ,1576B] ;
8, 3 : argument de la juste rétribution de Thème commun dans le Traité ; voir
chacun des constituants de l’homme, le particulièrement 18, 5 («il ne faut pas que
corps et l’âme («non possum ergo separari l’âme paye seule le prix des actes entrepris avec
in mercede quas opera coniungit») ; la participation du corps») ;
8, 4 : la chair a droit à une récompense 21, 1 : «(s’il n ’y a pas résurrection), le
(«nam et sacrificia deo grata, conflictationes corps, lui, ne bénéficiera pas du partage des
dico [camis] animae, ieiunia et seras et récompenses pour les bonnes actions
aridas escas .... caro de proprio incommodo auxquelles il aura pourtant contribué de ses
instaurai») efforts pendant la vie»
[Cf. Justin, De res. 8 = PG 6 , 1585C] ;
8,5 : allusions aux persécutions ; 18, 5 : allusion possible aux persécu
tions;
9,1-2 : thème de l’image de Dieu 12, 6 : idem
[Cf. Justin, De res. 7 =>PG 6 ,1583B-C ; Irénée, Haer. V, 2 s. (etc.)] ;
9, 3 : thème de la bonté de Dieu (Dieu 12, 5 : Dieu a créé l’homme par bonté ;
«aime la chair» elle aussi) ;
11, 1 : attaque contre, les Qnostiques, 2, 2 : les licencieux, c’est-à-dire les
amis de cette chair qu’ils dénigrent Gnostiques
[Thème banal anti-hérétique ; cf. Justin , Apol. 26, 7 ; Dial. 35, 5 ; De res. 7 = PG 6,
1584B];
11,10 ; argument de la première création 3, 1 : «car si Dieu, dans un premier
(«et utique idoneus est reficere qui fecit, arrangement, a tiré du néant les corps des
quanto plus est fecisse quam refecisse») hommes .... après leur dispersion même, de
quelque manière qu’elle intervienne, il les
ressuscitera avec la même facilité» (cf. aussi
2, 6)
[Argument banal : Justin , 1 Apol. 19,1-4 ; e res. 5 =PG 6 ,1583A ; Qwest. Graec. 15 =
PG 6,1477 ; Tatien, Ad Graec. 6 ; Irénée, H r. V, 3,2] ;
14, 11 : argument du jugement de Athénagore fait suivre son développe
l’homme dans sa totalité («totum porro ment sur la nature double de l’homme (15-
hominem ex utriusque substantiae congrega- 17) du développement sur le jugement de
tione parère, idcircoque in utraque exhi- l’homme (17-18) ; voir particulièrement 20,
bendum quem totum oporteat iudîcari, qui 3 («le responsable de chacun des actes
nisi totus utique non vixerit») ; accomplis durant la vie sur lesquels porte le
jugement, c’est l’homme, et non l’âme par
elle-même...»);
40,3 ; «Porro nec anima per semetipsam 15, 6 : «Ce qui a reçu l ’intelligence et la
homo (...) nec caro sine anima homo» raison, c’est l’homme, et non l’âme par elle-
même»
[Argument banal : Justin , De res. 8 =P G6 , 1584C-1585B ; Irénée, Haer. V, 6,1] ;
ATHÉNAGORE ET TERTULLIEN 221
43,6 : citation de Paul, 2 Cor. 5,10 18,5 : allusion à Paul, 2 Cor. 5,10
[Peu probant ; la doctrine de la résurrection s’étant élaborée à partir des écrits de Paul, la
référence à l’Apôtre est de rigueur ; comparer C lément, Strom. m , 62,1 ; T ertullien, Marc.
V, 12,4 ; et même Epist. Apost. 26 (37)] ;
49, 13 : citation de Paul, 1 Cor. 15, 32 (= 19, 3 : même citation (comportement
Isaïe 22, 13 : «Mangeons et buvons ...» ; attribué à celui qui n ’a pas foi en la
comportement attribué au «vieil homme») résurrection)
[Citation banale ; cf. A thénagore, Leg. 12, 3 ; C lément, Paed. m, 11, 81 ; Tertullien,
Monog. 16, 5 ; leiun. 17, 5] ;
55, 7-12 : transformation et identité 16-17 : continuité de la vie humaine («Si
substantielle du ressuscité («atque adeo donc la vie humaine marquée par une pareille
potest et demutari quid et ipsum esse discontinuité depuis la naissance jusqu’à la
nihilominus, ut et totus homo in hoc aevo corruption, et morcelée par toutes les
substantia quidem ipse sit, multifariam interruptions dont nous venons de parler,
tarnen demutetur, et habitu et ipsa nous n’en nions pas l’unicité, nous ne
corpulentia et valetudine et condicione et devons pas non plus la refuser à la vie par
dignitate et aetate» ; «ita et in resurrectionis delà la dissolution, parce qu’elle porte en elle
eventu mutari converti reformari licebit cum la résurrection» ; 17, 2 : «Qui pourrait croire
salute substantiae» sans en avoir été instruit par l’expérience,
que dans une semence homogène et informe
se trouvent en puissance des facultés si
nombreuses et si importantes ? Ce n ’est pas
dans les semences encore humides qu’on
peut rien en voir, pas plus que n’apparaît
chez les tout jeunes enfants aucun des
caractères de l’adulte, ni dans l’âge adulte,
aucun de ceux de l ’homme mûr, ni chez
l’homme mûr, aucun de ceux du vieillard»)
[Comparer avec Justin , I Apol. 19 ; De n 5= PG 6, 1580B ; T héophile, Ad Aut. 1, 8,
plus proches d’Athénagore que de Tertullien] ;
63 : notion de dépôt ; § 1 : «in deposito 2, 5 : notion analogue de milieu originel :
est (caro) ubicumque apud deum» ; § 2 : tô ouYYEvéc («Dieu ne peut ignorer la
«huius interitum, quem putas, secessum destination de chacun des constituants
scias esse : non sola anima seponitur ; habet dispersés, c ’est-à-dire quelle partie de
et caro secessus suos intérim, in aquis, in l’élément les a reçus après leur dispersion et
ignibus, in alitibus, in bestiis» leur retour dans le milieu originel» ; cf. 8,4)
[Comparer avec T atien, Ad Graec. 6 : «(mon corps) est m is en dépôt dans le magasin d ’un
maître opulent, rapEiôiç évanéxEipai nXouofou SeanoTou»].
Ainsi énumérées, les similitudes entre les ouvrages d’Athénagore et de
Tertullien paraissent multiples ; mais beaucoup des arguments avancés par l ’un et
l ’autre appartenant à un fonds commun, on ne peut interpréter à coup sûr leur
usage comme l ’indice d’une quelconque forme d’empmnt. Remarquons toutefois
que les analogies les plus frappantes sont d’ordre méthodologique : d’une part, le
souci de suivre une démarche rigoureuse, inattaquable sur le plan dialectique ;
d ’autre part, la définition d ’un public, celui des hésitants et des sceptiques, qu’il
faut fortifier dans la foi. Or, la conjonction de ces deux exigences n’apparaît ni
dans ce qu’il nous reste du De resurrectione de Justin, ni dans le livre V de
VAdversus haereses d’Irénée. Et il se peut en effet que la démarche rigoureuse
adoptée par Athénagore dans son Traité ait servi d’exemple à Tertullien ... et à
d ’autres. Si l ’on admet cette hypothèse, qui appartient au domaine du possible, il
n ’y a pas lieu de nier a priori que l ’apologète carthaginois ait aussi emprunté au
Traité d’Athénagore quelques-uns des arguments que nous venons de citer, soit
222 BERNARD POUDERON
49. Sur la doctrine de l ’âme chez T., voir J. H. W aszink, Tertullianl De anima, Amsterdam,
1947. Sur la corporéité de l ’âme et sa capacité de souffrir, voir An. 7 (corporalitas animae) et le
commentaire de W aszink, p. 146-149.
50. Cf. De anima, 5 8 ,4 : l ’âme a des passions propres ; 58, 8 : l ’âme reçoit une rétribution
dès avant la résurrection ; cf. d ’A lès, Op. cit., p. 133 ; W aszink, Op. cit., p. 586-587.
ATHÉNAGORE E T TERTULLIEN 223
17, 8 : l ’âme doit payer comme 21, 4 : l ’âme ne fait que suivre les
instigatrice («idcirco pro quo modo egit, pro instincts du corps («comment serait-il juste
eo et patitur apud inferos, prior degustans que l’âme seule soit jugée pour des passions
iudicium, sicut prior induxit admissum») que le corps ‘subit en premier’ (npüToncrfteï)
et auxquelles il entraîne l ’âme ? ») ;
[Il existe ainsi pour Tertullien une rétribution de l’âme seule, dès avant la résurrection — une
thèse incompatible avec la doctrine d’Athénagore] ;
40, 3 : postériorité de l’âme («porro nec 15, 2 : antériorité de l ’âme, ou, pour le
anima per semetipsam homo, quae figmento moins, simultanéité de la genèse du corps et
iam homini appellato postea inserta est»)51 de l ’âme («l’homme est un ensemble formé
d’une âme immortelle et d ’un corps qui lui a
été joint à la naissance»)
[La formule : «ni l ’âme n'est à elle seule l ’homme ...» a son équivalent ch ez JUSTIN, De res,
8 ; A thénagore, De res. 1 5,6 ; Irénée, Haer. V, 6 ,1 , etc.] ;
46, 13 : l ’âme a des pensées chamelles 23, 2 : l’âme ne connaît pas les penchants
(«cui ergo, dices, reputabitur sensus camis, charnels («ce n’est pas aux âmes que Dieu a
si non substantiae ipsi ? Plane, si probaveris prescrit de s ’abstenir des fautes qui ne les
aliquid camem de suo sapere. Si vero sine concernent en rien, comme l’adultère, le
anima nullius est sensus, intelleges sensum meurtre, le vol, le pillage, le manque de
carnis ad animam esse referendum, cami respect envers ses parents, et plus
interdum deputatum, quia propter camem et généralement toute forme de convoitise qui
per camem administratur»). puisse faire du tort et nuire à son prochain»).
U n constat s ’impose : la doctrine de l ’âme développée par Tertullien est
incompatible avec celle d ’Athénagore ; l ’apologiste athénien, encore imbu de
philosophie, croit l’âme à la foi immortelle, impassible et incorruptible, comme
le sont les espèces intelligibles ; il étend même son impassibilité à sa vie propre
par delà la mort, dans le sommeil où elle est plongée jusqu’à la résurrection (De
res. 16, 5 : assimilation de la mort au sommeil) — même si l ’affirmation n ’en est
pas clairement soutenue. De plus, il lui accorde la priorité sur le corps, ce corps
qui lui est pour ainsi dire annexé au moment de la naissance ou de la conception
(yéveaiç : D e res. 15, 2) ; il la fait échapper au châtiment post mortem, puisque
rien ne peut l ’altérer durant la vie, et a fortiori après la mort — une doctrine qui,
aux yeux d ’un Tertullien, le rangerait parmi les sim plices (De res. 17, 1).
T ertullien, tout au contraire, soutient que l ’âme vient en second, non
téléologiquem ent, mais chronologiquement, et surtout, il lui attribue une
«matérialité» qui lui permet de souffrir et d ’éprouver des passions par elle-
m êm e. À quoi donc se réduirait une éventuelle influence d’Athénagore sur
Tertullien ? À rien qui n’appartienne pas au fonds commun de la doctrine.
51. Si, dans le De resurrectione, T. affirme l'antériorité du corps (40, 3), il n’en va pas de
même dans le De anima où il soutient que l’âme est conçue en même temps que le corps :
«immo simul ambas (= substantias corporis animaeque) et concipi et confici» (27,1). W aszink,
Op. cit., p. 346 s., commente ainsi : «Tert. wishes to demonstrate in the first place that body
and soul come into existence simultaneously (...) The reason why he wishes to do so, is
evident : if the soul is prior to the body, this may come an argument in favour of the doctrine of
the metempsychosis (...) ; if, on the other hand, the body is prior to the soul (...) the embryo is
not an animate being». Il rapproche ce passage du De anima de De res. 45, où, après avoir
envisagé l’hypothèse de l’antériorité de la chair (45, 3 : «etiamsi multo prior anima caro», codd.
MPX), Tertullien la récuse au profit de la contemporanéité (45,5 : «contemporant fétu, coaetant
natu»), acordant même à l’âme la priorité téléologique.
224 BERNARD POUDERON
C onclusion
pas impossible que Tertullien fasse allusion aux thèses d’Athénagore quand, à
propos de la passibilité de l ’âme, il ,oppose à la sienne l ’opinion des «plus
simples» — une expression qui sent la polémique et qui constituerait un véritable
désaveu. Il apparaîtrait donc que Tertullien, s ’il a pu connaître l ’ouvrage
d ’Athénagore sur la résurrection et lui emprunter quelques thèmes, a pris soin de
distinguer sa propre doctrine de celle de l ’apologiste, qu’il devait sans doute
juger dépassée.
Bernard P ouderon
Index de resurrectione
(Regroupement thématique et analogique)
I. Résurrection, transformation
Supplique
àviicrtacnç : 36, 1 ; 36, 2 ; 37, 1 ànofiifiâvai : 36, 1
àvurrdvai ; 36, 1 ; 36, 3 ouvurràvai nàXiv (aiVrà ànè tüv critüv) :
36,3
Apologeticum
resurgere (resurrectio) reducerc
exhiberi reformare
idem repraesentare
induere (ipsum corpus) restaurare
ipse restimere (restitutio)
iterum revocare
reddere rursus
redire suscitare
226 BERNARD POUDERON
De resurrectione
resuirectio r. solida
r. animae r. specialis
r. camalis r. spiritualis
r. camis r. universalis
r. corporalis resurgere
r. corporum resurgere a mortuis
r. dominica resuscitare (conresuscitare)
r. generalis resuscitatio
r. mortuorum resuscitator (camis)
r. prima
n . Immortalité, salut
Supplique
ptbç : 12, 3 (6 évSexô|iEvoç p.) ; 31, 4 p^vew : 31, 4 (àç oûpdviov nveupa)
(énoupàvtoç p.) ; 3 1 , 4 (KtEpoç p.)
ATHÉNAGORE ET TERTULLIEN 227
Apologeticum
aetema (vita) superindums substantia propria aetemitatis
aetemum (vivere in) incorruptibilitas
aetermitas (infinita a;) manere
immensa aetemitatis perpetuitas
De resurrectione
aetemitas inmortalitas (ab im. devorari ; im. induere,
aetemus superinduere, indumentum)
incorruptibilitas (ab inc. devorari) salus (s. conferee ; in s. redigere)
incorruptela (induere, indumentum inc.) salutare
incorruptus salvus
inmortalis (anima)
ampliatio iugis
angelicus manere (permanere)
conservare perseverantia
consistere plenus
futurus securitas
gloria (congloriflcari) solidus
immunitas spiritalis
impassibilis vita (vitalis)
incolomitas vivere (convivere)
integer (integritas) vivus
Supplique
SidXuatç ; 36, 3 (tSv (Tupdxwv) oanèv xai 8iaXo8èv xai â^aviafl^v : 36, 3
évartoöftéwuoflai : 36, 2 (hypothèse) auvanóMnxjeai (riji a<à|iari xi|V ipuyi)v) : 36,
vexpôç : 36, 1 2
228 BERNARD POUDERON
4>6apTÔç : 12, 6 (4>. xai yriivot;) ; 18, 5 ; 19, <j>8opà : 12, 1 ; 16, 3 ; 2 1 ,7
7 auvfiia<t>8e(peiv : 20, 1
ij)8eiJpEiv : 20, 1 ; 20,3
Apologeticum
absorbare morire
defunctus périra
destruhere prodigere (in nihilum)
dissolvere resolvere
haurire
De resurrectione
abolira infïrmitas
cadere (cadaver, casus, caducus) intercidere
corrumpere (corruptio, corruptela) intercipere
cassus interibilis
dedecoratio interitus (corporum)
defectio (caniis) iacere
dehaurire languescere
devorare mortalitas (camis)
discidium (camis et animae) mortalis (mortuus)
dilabi occasus (occisio)
diruere occidere (o. in gehennatn)
dissolvere (dissolutio) percutera
dormitio perditio
elidere prodigere (in nihilum)
eripere putescere (computrescere)
exsilium (animae) ruere (mina membrorum)
exuere (came) submere (morte)
inanitus succidere
ATHÊNAGORE ET TERTULLIEN 229
Supplique
àvEtdxaoroç : 36, 2 xopitciv : 12, 1
SixaoTtfc (piyac) : 12, 1 ; 31, 4 xpfvEiv : 12, 3
énoupdvioc : 31, 4 xpibc : 12, 2
éifuordvai : 12, 1 ; 31, 4 Xdyov (ûn^xElv) : 12, 1 ; 36, 2
xoXdtEiv (cnjyxoXdCEiv) : 31, 4 ; 36, 2 nüp : 31, 4
Apologeticum
cæ li pendere
cruciatus poena
dispungere (dispunctio) recensera
expungere refrigerium
ignis retributio
inferi speculator
iudicare (iudicium) supplicium
meruere
De resurrectione
adsistere (ad dextram) merces
censura pensare
compensate (compensatio) periculum
coronare poena
cruciare praemium
damn are refrigerium
diiudicare regia
dispungere regnum
domicilium (in caelis) remunerado
edere (de ligno vitae) repraesentatio
emolumentum sedere (in thronis)
exhibitio sententia
exigere (quadrantem) status (iudicii)
fovere superinduere (domicilium de caelo, immorta-
fructus litatem)
gehenna supplicium
ignis tenebrae exteriores
inferi tormentum
iudicare (iudicium) torqueri
iustitia tribunal
230 BERNARD POUDERON