Juste avant Noël, alors que les cas d’agressions et d’inconduites sexuelles défrayaient la
manchette quotidiennement, vous avez répondu à cette urgence politique en donnant le
mot d’ordre au ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport de rendre obligatoire
l’éducation à la sexualité dans toutes les écoles du Québec, dès septembre 2018.
Comme nous militons activement depuis plus de huit ans pour le retour à l’école de ces
connaissances incontournables pour le développement de nos jeunes, nous aurions
souhaité pouvoir nous réjouir de cette annonce, même si l’actualité pèse plus fort dans la
balance que la nécessaire préparation à ce changement majeur. L’alternative de la
pornographie, omniprésente sur Internet, ne correspond en rien au modèle que nous
voulons comme éducatrices et éducateurs. Il est crucial pour nous que les Québécoises
et Québécois s’éduquent aux comportements sociaux-sexuels respectueux, égalitaires,
tolérants et sécuritaires. Il y a un fort consensus social pour aller en ce sens et éduquer
adéquatement nos jeunes à la sexualité, et nous en faisons partie.
Mais voilà, force est de constater que la façon de faire pour atteindre cet objectif,
précipitée et sans consultation du milieu, risque plutôt de le vouer à l’échec. Cela trahit
malheureusement une profonde méconnaissance de la réalité et du fonctionnement des
écoles et le manque de respect pour le personnel qui y travaille. Vous avez notamment
procédé sans l’aval du Comité consultatif sur l’éducation à la sexualité, qui avait pourtant
avisé le ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport dans son rapport sur les projets
pilotes existants, qu’on ne pouvait avancer sans d’importants ajustements et sans l’ajout
de ressources spécialisées dans les milieux.
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Comme l’éducation à la sexualité ne sera pas un cours prévu dans la grille-matières, les
intervenantes et intervenants chargés d’en transmettre le contenu n’ont pas été
identifiés, pas plus d’ailleurs que l’endroit dans l’horaire où celui-ci serait transmis. Les
activités et les contenus d’apprentissage devront être ajoutés à tout le reste, dans les
cours ou par des projets d’équipe-école. Or, si c’est transmis dans les cours, nous
n’avons toujours reçu aucune consigne nous indiquant où retrancher les heures
requises. On coupe où pour ajouter l’éducation à la sexualité, Monsieur le Premier
Ministre? Dans les cours de français, encore? La littératie n’était pas une autre de vos
priorités? En mathématiques? En histoire? Pourquoi pas en éducation financière? Ce
sont juste cinq à quinze heures par année, vous nous direz, mais qui se rajoutent aux
autres mesures à la pièce, en marge du temps d’enseignement non protégé des autres
matières obligatoires.
Nous sommes en mars et l’organisation scolaire bat son plein pour l’an prochain.
Pourtant, les canevas et le matériel pédagogiques ne sont pas complétés pour les futurs
intervenants et intervenantes en éducation à la sexualité. Pire, on nous informe qu’ils
seraient retournés sur la table à dessin parce qu’incomplets. Les activités et les
contenus d’apprentissage pédagogiques qui y sont liés sont carrément absents, et les
formations ne sont pas encore prêtes. Comme il y a pénurie de suppléantes et de
suppléants et que les formations sont actuellement refusées pour cette raison au
personnel enseignant dans les milieux, nous n’avons aucune indication du moment
prévu pour qu’elles soient données. J’espère que vous ne pensez pas que cette
responsabilité doive être pelletée dans la cour des enseignantes et enseignants, car
vous savez pertinemment qu’elle est déjà trop pleine.
Quelles seront les conséquences dans les milieux qui ne seront pas capables d’y arriver
malgré votre mot d’ordre? Et si les volontaires manquent à l’appel, qui sera responsable
des activités et de la transmission de ces contenus? Et que va-t-il se passer le matin où
un enseignant épuisé et surchargé aura donné une information controversée en classe
et fera la manchette dans les journaux? Vous brandirez alors le spectre de l’ordre
professionnel et de l’évaluation obligatoire du personnel enseignant. On connaît trop
bien ce scénario. Non, nous n’acceptons pas d’exposer de la sorte les enseignantes et
enseignants à votre manque de planification et à votre agenda politique.
Nous sommes souvent accusés par nos détracteurs d’être réfractaires au changement et
de protéger le statu quo. Rien n’est plus faux. La vérité, c’est que les décisions en
éducation sont trop souvent prises sans consulter celles et ceux qui sont en première
ligne et sans que les conditions propices à leur implantation soient au rendez-vous. C’est
odieux et méprisant. Les changements, ça se planifie, et des activités et des contenus
en éducation à la sexualité méritent une mise en œuvre soignée, une appropriation du
contenu et les services nécessaires pour ce sujet au si grand potentiel de charge
émotionnelle chez les élèves. Voilà pourquoi nous invitons les enseignantes et
enseignants qui ne se sentent pas prêts à ne pas se porter volontaires pour cette
entreprise improvisée.
-3-
Que répondriez-vous à l’élève qui se confie à vous pour avoir la pilule du lendemain
après un viol collectif? Au jeune homme homosexuel qui craint d’avoir contracté le sida
lors de relations non protégées? À l’enfant bouleversé d’avoir été touché là contre son
gré? À celle qui craint de se faire battre si elle se refuse à son amoureux? Ces questions
seraient en partie le lot des enseignantes et enseignants, et ils devront y répondre avec
professionnalisme et compassion. Mais vous conviendrez que cela nécessite de la
préparation et des ressources à portée de main pour des gens formés à enseigner des
disciplines autres.
Nous vous signifions sur toutes les tribunes l’intolérable manque de considération pour
notre profession, mais vous semblez n’avoir d’oreilles que pour les hauts dirigeants et
les spécialistes de la santé. L’éducation, c’est bien une de vos priorités, non?
N’entendez-vous vraiment pas la détresse des enseignantes et enseignants et leur refus
de pallier les manquements du système? Il est plus que temps pour vous d’intervenir afin
de faire cesser ce qui ressemble de plus en plus à une mascarade dans les milieux. Il
faut s’asseoir pour mettre fin à l’école fourre-tout et regarder le portrait d’ensemble de ce
réseau endommagé par les compressions et les mesures électoralistes à la pièce.