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Mais pour Washington comme pour Paris, qui ont


fait de l’usage des armes chimiques par Bachar al-
Syrie: la frappe de tous les dangers
PAR RENÉ BACKMANN
Assad une « ligne rouge » dont le franchissement doit
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 12 AVRIL 2018 donner lieu à une « réponse forte », il ne saurait être
question de laisser cette attaque syrienne sans réplique
spectaculaire. L’objectif affiché étant, au nom de la
lutte contre la prolifération chimique, de dissuader le
régime syrien de recourir de nouveau à ce qu’il lui reste
de son arsenal illégal de gaz de combat, pour obtenir,
sur le terrain, des avancées tactiques plus rapides que
celles permises par les armes conventionnelles.
Bachar al-Assad s’affiche sur un mur de Damas, le 8 avril 2018. © Reuters Pour Donald Trump, qui reste guidé par l’obsession
Pour punir Bachar al-Assad d’avoir une fois encore de dénoncer le désastre que furent à ses yeux les
utilisé des gaz de combat, Washington et Paris deux mandats de Barack Obama, il s’agit aussi de
s’apprêtent à lancer une frappe de représailles. montrer que les États-Unis ont désormais à leur
Nécessaire mais à haut risque, l’opération pourrait tête un président qui n’a pas peur d’assumer ses
aggraver la déstabilisation de la région, voire responsabilités. Allusion limpide à l’été 2013 où,
déboucher sur une confrontation entre les États-Unis après une attaque au sarin – déjà contre la Ghouta
et la Russie. – qui violait la « ligne rouge » définie notamment
Un an après avoir ordonné le lancement de 59 missiles par Washington, Londres et Paris, François Hollande
de croisière Tomahawk contre la base aérienne avait dû renoncer à frapper plusieurs cibles syriennes,
syrienne de Al-Shayrat, d’où avaient décollé les avions faute de l’appui des États-Unis et du Royaume-Uni,
de combat chargés de bombarder au sarin la localité alors que Paris avait déjà planifié une opération de
de Khan Cheikhoun, Donald Trump est sur le point de représailles très dissuasive et que les Rafale et les
lancer une deuxième frappe punitive contre la Syrie. Mirage de l’armée de l’air étaient prêts à décoller.
Il pourrait même s’agir, cette fois, d’une opération La frappe contre la base d’Al-Shayrat, il y a un an,
internationale à laquelle se joindraient la France et avait permis à Trump de démontrer une apparence de
le Royaume-Uni, avec une contribution possible du résolution.
Qatar et de l’Arabie saoudite.
Mais il s’agissait alors d’une opération de représailles
L’attaque syrienne contre la Ghouta orientale, aux largement symbolique, visant une cible unique,
portes de Damas, qui appelle aux yeux de Washington et dont les dégâts, surtout compte tenu des
et de ses alliés cette riposte militaire, n’est pas de la moyens employés, avaient été très limités. La
même nature que celle lancée contre Khan Cheikhoun, présence militaire russe en Syrie, le déploiement de
qui avait fait près de 80 morts et où l’usage du sarin conseillers russes auprès de nombre d’unités syriennes
avait été évident et massif. À Douma, la ville de la expliquaient en partie le choix prudent du Pentagone.
Ghouta visée le 7 avril, c’est un mélange de chlore Comme prévu, l’opération américaine avait donné lieu
et d’un « agent neurotoxique puissant » non encore
clairement identifié qui a fait une cinquantaine de
morts et, selon l’Organisation mondiale de la santé,
près de 500 blessés montrant des symptômes d’attaque
chimique.

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à une réaction courroucée, mais largement formelle, de Dans un premier temps, Washington et Paris, sans
Moscou. Et le caractère dissuasif de la frappe s’était nier leur volonté de manifester une « réaction ferme
révélé nul, comme on peut le constater aujourd’hui. » contre la Syrie, ont tenté d’obtenir du Conseil
de sécurité une résolution prévoyant un nouveau «
mécanisme d’enquête indépendant des Nations unies
sur le recours aux armes chimiques en Syrie ». Le
texte a obtenu 12 voix sur 15, donc trois de plus
que nécessaire (9) pour être adopté. Mais Moscou
a mis son veto. Deux autres projets de résolution
présentés par la Russie ont été écartés par Washington,
Bachar al-Assad s’affiche sur un mur de Damas, le 8 avril 2018. © Reuters Paris et leurs alliés au Conseil de sécurité parce
L’opération que les Occidentaux, États-Unis et France qu’ils prévoyaient un dispositif d’enquête sur l’usage
en tête, menacent de lancer dans les heures ou les jours des armes chimiques mais sans en identifier les
qui viennent, s’annonce plus difficile à faire accepter utilisateurs.
à Moscou qui, dès mercredi 11 avril, a mis en garde Tout a été fait, en d’autres termes, pour que Moscou
contre tout acte pouvant « déstabiliser la région ». montre à ses alliés que la Russie défend fermement ses
Et suggéré que les missiles américains visent « les positions et pour que les Occidentaux démontrent à la
terroristes et non le gouvernement légitime syrien ». communauté internationale qu’ils ont tenté de recourir
La veille, l’ambassadeur russe au Liban avait en outre à la diplomatie avant d’employer la force. Mais tandis
prévenu que les missiles américains tirés contre la qu’Emmanuel Macron précisait que d’éventuelles
Syrie seraient abattus et que les sites de lancement frappes s’attaqueraient « aux capacités chimiques
seraient frappés. détenues par le régime » et non « aux alliés de ce
Même si la taille du corps expéditionnaire russe a été dernier » et déclarait ne souhaiter « aucune escalade »,
réduite depuis novembre 2017, on compte encore en Donald Trump, qui venait d’annuler sa visite au Pérou,
Syrie aujourd’hui près de 3 000 soldats, un millier mettait en garde, dans un tweet, la Russie « alliée à
d’hommes des forces spéciales, plusieurs bataillons de un animal qui tue avec du gaz » contre les missiles «
la police militaire issus des républiques musulmanes beaux, nouveaux et intelligents » que Washington était
du Caucase, et plusieurs dizaines d’avions et sur le point de lancer.
d’hélicoptères de combat. Rodomontade technologique qui ne peut cependant
Ce contingent russe, présent depuis 2015, qui a permis dissimuler la situation stratégique difficile dans
au régime de Bachar al-Assad de reprendre le contrôle laquelle se trouve en réalité le président américain.
d’une situation militaire très compromise, dispose Personne n’a oublié en effet, en particulier au Proche-
depuis un accord conclu en janvier 2017 d’une « base Orient, que quelques jours seulement avant sa décision
permanente » sur l’aéroport de Hmeimim et d’une « de frapper le régime de Damas, il avait annoncé son
base navale permanente » en Méditerranée dans le intention de retirer de la région les 2 000 hommes
port de Tartous. Ces bases et d’autres installations des forces spéciales chargés de lutter contre ce qu’il
stratégiques syriennes sont désormais défendues par le reste de l’organisation État islamique. Entre le projet
dernier cri de l’industrie militaire russe : des batteries de retrait et la volonté de frapper un protégé de
de missiles sol-air S-300 et S-400 et des batteries Poutine, comment les alliés, mais aussi les ennemis
mobiles de détection et de défense antiaérienne Pantsir des États-Unis, pourraient-ils entrevoir une stratégie
et Tor M1. Arsenal que les états-majors doivent claire ? Et comment Paris, qui a tenu, depuis le
évidemment prendre en compte dans la planification début des échanges diplomatiques, à établir clairement
de leurs opérations.

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les responsabilités syrienne et russe dans ce crime, Et l’attitude de chacun sera probablement affectée par
pourrait-il insérer ses choix politiques et opérationnels une offensive militaire américaine et occidentale en
dans une approche de la situation aussi incertaine ? Syrie.
Pour le New York Times, Trump aurait le choix Après avoir largement participé, aux côtés de la
en Syrie entre trois options, toutes mauvaises. La Russie, au rétablissement militaire de Bachar al-
première est la « frappe punitive limitée », du type de Assad, l’Iran entend aujourd’hui être payé de ses
celle lancée il y a un an contre la base de Al-Shayat. efforts et de ceux de ses milices en installant en
Elle est peu douloureuse pour le régime et ne peut Syrie une multitude de bases militaires qui incarnent
changer le cours de la guerre ou entraîner les États- sa volonté de contrôler un arc chiite des confins de
Unis dans un développement imprévisible. Les dégâts l’Afghanistan aux rives de la Méditerranée, via l’Irak,
qu’elle provoque peuvent rapidement être réparés par la Syrie et le Liban. Sa présence, ou celle de ses
le régime, avec l’aide de ses alliés russes et iraniens. milices, dans le sud-ouest de la Syrie, lui permet en
La deuxième est de rendre la guerre plus difficile outre de disposer de positions à portée de mortier
pour Bachar al-Assad en armant, comme l’avait tenté d’Israël. C’est-à-dire de tenir à portée de missile la
Obama, des rebelles bien choisis. Le problème de cette totalité du territoire israélien.
option, dans la période actuelle, c’est qu’elle peut Cette stratégie, comme l’obsession anti-iranienne de
aisément être contrée par l’Iran et la Russie, sous la Benjamin Netanyahou, que tous les stratèges israéliens
forme d’envoi de renforts ou de livraisons d’armes ne partagent pas, a lancé les deux pays dans une course
plus abondantes ou plus puissantes. de collision redoutable : l’Iran cherche à renforcer sa
La troisième consiste à lancer une attaque face à présence militaire en Syrie et Israël est prêt à tout, ou
laquelle l’Iran et la Russie sont impuissants, par presque, pour l’en empêcher. Dernière manifestation
exemple en choisissant des cibles qui menacent spectaculaire de cette hostilité : le raid de l’aviation
l’existence même du gouvernement syrien. Le israélienne, lundi dernier, contre la base aérienne
premier risque qu’elle présente est de provoquer T4 près de Homs, qui abrite un centre de contrôle
l’effondrement du pouvoir, c’est-à-dire de plonger des drones iraniens et où sont stationnés, outre des
des millions de Syriens dans un chaos pire que Gardiens de la Révolution iraniens, des avions de
celui qu’ils connaissent. Le second risque est une combat russes et syriens et leurs équipages.
confrontation directe avec la Russie, avec toutes les Ce n’était pas, loin s’en faut, la première incursion
conséquences qu’une telle crise pourrait provoquer militaire israélienne dans l’espace aérien syrien. Une
dans la région et jusqu’en Europe. « Il n’y a pas de centaine d’opérations du même type ont eu lieu ces
victoire possible pour Trump, constate un diplomate dernières années avec le feu vert, ou au moins orange,
arabe, mais le risque, très réel, d’ajouter du chaos au des militaires russes qui contrôlent le ciel syrien. La
chaos, d’aggraver encore l’instabilité régionale et de majorité avait pour cible des dépôts d’armes ou des
provoquer une escalade militaire. » convois de matériel militaire iranien à destination
L’Iran aura à portée de missile la totalité du du Hezbollah libanais. Le pragmatisme des militaires
territoire israélien russes et les bonnes relations affichées entre Benjamin
Netanyahou et Vladimir Poutine expliquaient cette
Car même s’ils ne sont pas visibles en première ligne
relative bonne volonté de Moscou.
dans le face-à-face États-Unis/Russie que Trump,
comme Poutine, sont en train de mettre en scène et de Mais le dernier raid israélien en Syrie, comme les
dramatiser, les autres acteurs régionaux – Iran, Israël, menaces de frappes occidentales contre le régime
Arabie saoudite, Turquie – contribuent largement à la de Damas, sont peut-être en train de bousculer
tension qui transforme le Proche-Orient en poudrière. ces arrangements, ajoutant à l’incertitude régionale.
Première capitale à attribuer l’attaque de la base T4

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à Israël, Moscou a exprimé sa « préoccupation » sur la vieille rivalité entre Riyad et Téhéran pour la
après cet événement avant de publier un communiqué domination de la région, et sur la haine que vouent
critiquant « l’usage indiscriminé de la force contre des Trump, Netanyahou ou le jeune prince saoudien
civils » par l’armée israélienne à Gaza. Conjugaison Mohamed ben Salmane au régime des mollahs.
de signes que les experts israéliens ont considérés Régime avec lequel Obama et ses partenaires des
comme inquiétants, car ils pourraient mettre en péril la « 5 +1 » (États-Unis, Royaume-Uni, France, Chine,
« coordination militaire » avec la Russie en Syrie, que Russie, Allemagne) ont commis l’immense erreur,
les dirigeants israéliens jugent vitale. Non seulement à leurs yeux, de conclure l’accord sur l’arrêt du
pour frapper l’Iran quand ils l’estiment nécessaire, programme nucléaire iranien.
mais aussi pour poursuivre les survols d’avions ou de Lorsqu’on ajoute à ce tableau le rôle très trouble de
drones d’observation qui renseignent l’armée sur les la Turquie, membre de l’Otan, hostile au régime de
développements de la présence militaire iranienne. Bachar al-Assad, mais qui va jusqu’à collaborer avec
Une autre raison pour laquelle Israël souhaite la Russie et l’Iran, protecteurs du régime de Damas,
préserver de bonnes relations avec Moscou est pour s’opposer aux milices kurdes et liquider tout
l’appartenance de la Russie au « quartette » embryon d’une hypothétique région kurde, on mesure
diplomatique du Moyen-Orient (avec les États-Unis, l’ampleur des ébranlements qui pourraient secouer
l’Union européenne et l’ONU), que le gouvernement demain cette région déjà très instable. On mesure
entend ménager dans la perspective du nouveau plan aussi à quel point le calibrage d’une éventuelle frappe
de paix américano-saoudien pour la Palestine. Même internationale sera décisif, non seulement pour sa
si les relations entre Moscou et Téhéran, en Syrie, capacité de dissuasion, mais aussi pour son impact sur
sont loin d’être au beau fixe, au point que certaines un pays ravagé et un peuple dans la détresse.
garnisons iraniennes ont été déplacées et que la Faut-il, au regard de tous ces risques enchevêtrés,
Russie a même menacé d’interrompre les livraisons laisser impuni l’usage de l’arme chimique par un
d’armes iraniennes à Damas, les dirigeants russes tyran ? Certainement pas, même si tant d’autres crimes
considèrent avec une certaine méfiance la nouvelle contre l’humanité ou violations du droit international
alliance américano-israélo-saoudienne en train de se le demeurent. Faut-il, une fois encore, se contenter
mettre en place. d’une frappe largement symbolique qui ne changera
Ils le savent, cette alliance, qui pourrait être rien au destin de cette interminable guerre ? Peut-
concrétisée par une contribution éventuelle de l’Arabie être pas. La tragédie, dans ces heures décisives, est
à une frappe contre la Syrie, est essentiellement que l’essentiel de la décision appartienne à un homme
cimentée par une hostilité commune à l’Iran. Hostilité aussi dénué de sagesse et de raison que Donald Trump.
fondée sur la concurrence entre sunnites et chiites,

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