Introduction
1 Ce transfert d’imaginaire fait évidemment penser aux commentaires de Marx sur les
vêtements d’emprunt aux modèles de l’antiquité classique des révolutionnaires de 1789. “La
tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants.
Et même quand ils semblent occupés à se transformer, eux et les choses, à créer quelque
chose de tout à fait nouveau, c’est précisément à ces époques de crise révolutionnaire qu’ils
évoquent craintivement les esprits du passé, qu’ils leur empruntent leurs noms, leurs mots
d’ordre, leurs costumes, pour apparaître sur la nouvelle scène de l’histoire sous ce
déguisement respectable et avec ce langage emprunté”, Karl Marx, Le 18-Brumaire de Louis
Bonaparte.
2 Cf Perrineau (Dir.), L’engagement politique, déclin ou mutation ?, PFNSP, 1994.
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5 “DBMOF. Il me paraît souhaitable de revenir sur ce titre. Dictionnaire des militants a-t-on dit
parfois et pour simplifier et je ne récuse pas cette simplification. Il s’agit bien d’un Dictionnaire
des vies d’hommes et de femmes engagés, dans la mesure où les sources permettent de les
suivre, de leur naissance à leur mort, ce qui est l’exception. Mais je voudrais surtout revenir sur
le terme ouvrier que j’ai toujours entendu au sens large de travailleur, manuel ou intellectuel,
homme d’action ou théoricien, paysan à l’occasion, ayant exercé une action, importante ou
non, de longue durée ou non, en vue d’apporter, par réformes ou par révolution, ou par les
deux, plus de justice sociale et plus de liberté. Mais entendons-nous bien sur les militants qui
ont été retenus : ce sont celles et ceux qui, je l’ai précisé, de 1914 à 1939 inclusivement, se
sont conduits en acteurs responsables du mouvement ouvrier, qui ont assumé une tâche,
même modeste, pendant un temps, même court, dans une section, une cellule, un syndicat,
une coopérative..” (Jean Maitron, Tome 16, pp 14-15, 1981)
6 Cf Michelle Perrot, “Le Dictionnaire comme lieu de mémoire”, La part des militants, Ed de
l’Atelier, 1996.
7 Jean Jaurès, La Découverte, Gallimard.
5
8 Christophe Charle, “Du bon usage de la biographie comparée ou les trois âges de la
biographie collective”, dans La part des militants, p. 58
9 Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société française, XIX°-XX° siècle, Seuil, 1986 (réédité).
10Antoine Prost, “L’histoire ouvrière en France aujourd’hui” dans Historiens et Géographes,
n°35O, p. 203 et suivantes.
11 José Gotovitch présente ainsi son étude sur les communistes belges de 1939 à 1944, Du
rouge au tricolore, Ed. Labor, 1992, p. 9.
6
22 Mancur Olson, Logique de l’action collective, PUF, Paris 1978 (1° éd., Harvard University
Press, 1966).
23 Collection Repères, La Découverte, 1996.
24 Gaxie (Daniel), “Economie des partis et rétributions du militantisme”, RFSP, 1977, p. 123-
154.
25 Pierre Bourdieu, “La délégation et le fétichisme politique”, Actes de la Recherche en
Sciences Sociales, 1984, n°52-53.
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29 Hirschman. A, Défection, prise de parole et loyauté, Fayard, Paris, 1995 (1re édition, 1970).
30 A. Oberschall, Social conflict and Social Movements, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1973.
31 Maurice Paz, Un révolutionnaire professionnel, Auguste Blanqui, Fayard, 1984. Pour une
mise au point Cf la notice sur Blanqui dans Biographies Nouvelles, Tome. 44 du DBMOF, 1997.
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accompli par les ouvriers et par leurs porte-parole depuis le XIX° siècle, la
figure du militant ouvrier, mais aussi l’histoire du militantisme ouvrier,
peuvent s’analyser au regard de cette notion. L’intérêt du concept de
représentation, tel que le définit Roger Chartier, c’est qu’il permet de
dépasser certains clivages disciplinaires (histoire et sociologie) et
d’associer histoire sociale, histoire des mentalités ou culturelle et histoire
politique :
“Avec le concept de représentation, il est possible de désigner et de lier
trois dimensions qui constituent la réalité sociale. Tout d’abord, dans un
sens classique, hérité de Mauss et de Durkheim, les représentations
collectives qui sont la matrice des schèmes de perception, de classement
et de jugement. Ensuite, les formes et les pratiques symboliques par
lesquelles les groupes, les communautés, les individus donnent à voir
leur identité. Enfin, la délégation à un représentant (individu, collectif,
instance abstraite) de la cohérence et de la permanence de la
communauté représentée. Il s’agit donc de comprendre plusieurs choses
: comment des propriétés sociales peuvent être intériorisées et traduites
en représentations collectives ; comment s’opère le travail de la
représentation, mené sur soi-même et sur les autres pour montrer et faire
reconnaître l’identité ; comment se construit la représentation politique.
La grande vertu de la notion de représentation est la possibilité d’articuler
l’étude des représentations collectives, celle des formes et des pratiques
symboliques et celles du pouvoir et de la politique. Elle permet de penser
les luttes sociales, non pas seulement comme des luttes économiques et
politiques, mais aussi comme des luttes de représentation et de
classement qui ont pour objet les critères de division et de
hiérarchisation du monde social. La catégorie de représentation nous
éloigne d’une conception figée, étroitement socio-économique, des
oppositions et des conflits qui, à la fois, traversent et construisent le
monde social. Elle constitue à mes yeux l’un des concepts les plus
opératoires pour la pratique d’une histoire culturelle du social”. (Chartier,
Esprit, Oct 1996).
Cette problématique de la représentation rejoint celle de l’histoire
culturelle que définit Antoine Prost dans un article significativement
intitulé : “Sociale et culturelle indissociablement”. (“D’une certaine
manière, pour des raisons à la fois pratiques et épistémologiques qui
n’ont rien à voir avec le marxisme, l’histoire culturelle est le
couronnement de l’investigation. Elle vient après les autres, parce qu’il
est impossible de comprendre une représentation sans savoir de quoi elle
est représentation, sous peine de sombrer dans le nominalisme”, p. 145).
Ainsi compris, les militants ouvriers ne sauraient être analysés
indépendamment de l’histoire économique et sociale, et de l’histoire des
ouvriers en mouvement (sociologie historique des mobilisations
collectives ouvrières), ces histoires elles-mêmes ne prenant sens
complètement qu’en étant constamment rapportées aux constructions
11
Sociale, N° du 18 au 21 janvier 1911, cité par Serge Quadruppani, Des permanents des partis
politiques, Ed Métailié, 1979.
37 Jean-Louis Robert, “Les militants syndicalistes parisiens et la Grande Guerre :
renouvellement ou stabilisation ?” dans La part des militants,, p. 130., cité.
38 L’étymologogie du mot l’atteste assez : “Adj ; 1° : Terme de théologie. Qui appartient à la
milice de Jésus-Christ. Le fidèle, toujours militant dans la vie, toujours aux prises avec l’ennemi.
L’Eglise militante, l’assemblée des fidèles sur la terre, par opposition à l’Eglise triomphante (les
saints, les bienheureux), et à l’Eglise souffrante (les âmes du purgatoire). 2° : Aujourd’hui,
militant se dit dans un sens tout laïque, pour luttant, combattant, agressif. Caractère militant.
Disposition, attitude militante. Politique militante. ETYM : Lat. militare, être soldat”. LITTRE, p.
560, 1866.
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..), les groupes représentés (“la masse”, “les” masses, les “tièdes”, les
“ventre-creux”, le “prolétariat”, les “travailleurs”, les “gens”), l’ennemi
(les “gros”, les “autres”, “ceux d’en haut”, “patron”, “bourgeois”, etc..)
autrement dit l’ensemble des catégories utilisées. Des analyses lexicales
et de l’évolution du champ sémantique, seraient, de ce point de vue,
fructueuses.
Penser relationnellement les fonctions militantes c’est aussi intégrer ces
études à l’analyse plus large des “intermédiaires culturels”(A. Gramsci,
M. Vovelle39). C’est ici tout le problème de la professionnalisation des
militants, de l’évolution des formes de professionnalisation, et des luttes
de concurrences entre intermédiaires culturels jouant de clivages
différents (Prêtre-religion ; militants ouvriers-classe sociale ; instituteurs-
savoir/sens civique ; nouveaux-clercs : genre, racisme, etc.) qui se trouve
posé. On trouvera d’utiles éléments dans l’ouvrage de Jacques Ion dans
lequel sont formulées certaines hypothèses relatives aux transformations
de l’espace public habermassien et aux types de militantisme qui y
correspondent40.
39M. Vovelle (Dir), Les intermédiaires culturels, Actes du colloque de Centre Méridional
d’Histoire Sociale, des mentalités et des Cultures, 1978, Publications de l’Université de
Provence, 1981.
40 Jacques Ion, La fin des militants ?, Editions de l’Atelier, 1997.
41cf P. Bourdieu, Les règles de l’art, Seuil, 1992, p. 359 et suivantes.
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42 Luc Berlivet/Frédéric Sawicki, “La foi dans l’engagement (militants syndicalistes CFTC de
Bretage dans l’après-guerre), Politix, n°27, 1994.
43 Cf Claude Dubar, “Socialisation politique et identités partisanes : pistes de recherche”, dans
L’identité politique, PUF-CURAPP, 1994.
44 Pour un aperçu de la méthode de Jacques Maître, cf “les deux soeurs”, Genèses, 24,
Septembre 1996.
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48 Michel Offerlé, “Légitimation et illégitimation du personnel politique ouvrier avant 1914”, Les
Annales, ESC, 1984/4.
49 Pascal Delwit et José Gotovitch (Dir.), La peur du rouge, Editions de l’Université de
Bruxelles, 1996.
50 Seymour Martin Lipset, L’homme et la politique, Seuil, 1962. (“l’individualité appartenant à
une couche sociale inférieure aura pu, souvent dés son plus jeune âge, faire l’expérience des
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52 Arthur Koestler décrit assez clairement les contraintes qui pèsent sur la gestion d’un passé
dépassé : “D’habitude, nous romantisons le passé. Mais chez ceux qui ont renoncé à une foi ou
se sont vus trahis par un ami, le mécanisme inverse entre en jeu. Rétrospectivement,
l’expérience originale pers de son innocence, et au souvenir, est faussée par le ressentiment.
J’ai tenté, dans les pages qui précèdent, de retrouver l’état d’esprit qui fut jadis le mien -et n’y ai
guère réussi. L’ironie, la colère et la honte entrent constamment en jeu ; les passions de
l’époque paraissent toutes perverties, la certitude intérieure d’antan se voit transformée en
l’univers clos de l’intoxiqué ; la mémoire devient chasse gardée, derrière un réseau de
barbelés. Ceux qui ont été séduits par la grande illusion de notre temps, et se sont livrés à cette
débauche intellectuelle et morale, sont condamnés soit à se précipiter dans une outrance
inverse, soit à vivre dans un désenchantement perpétuel” (p. 76), Les militants, Mille et une
nuits, 1997 (texte publié dans le recueil collectif Le Dieu des Ténèbres, ED. Calmann-Lévy,
1950) avec d’autres contributions d’Ignazio Silone, Richard Wright, André Gide, Louis Fischer
et Stephen Spender).