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Michael Riffaterre, Columbia University.

L'INTERTEXTE INCONNU
Au nom de mes collègues du Department of French and Romance Philology, je souhaite la
bienvenue aux participants de ce symposium. Je voudrais aussi exprimer notre gratitude à
notre ami Karl Uitti; c'est sur son initiative que nous sommes ici réunis, et que Princeton et
Columbia accueillent ensemble les membres du colloque. Nous lui sommes
particulièrement reconnaissants d'avoir voulu rappeler, en choisissant notre campus de
préférence au sien, le rôle qu'a joué Columbia dans le développement des études
médiévales aux États-Unis. Peu d'hommes y ont plus contribué que Lawton P. G.
Peckham, que nous venons de perdre, et à la mémoire de qui ce colloque est dédié. Sa
carrière même symbolise la collaboration de nos deux universités, puisqu'il avait fait son
doctorat à Princeton avant de venir enseigner la littérature médiévale à Columbia, et d'y
être successivement notre « chairman » et doyen de la Faculté des Arts et des Sciences.
Nous, qui avons bénéficié de son érudition et de son enseignement, resterons fidèles à son
exemple et au souvenir de son amitié.
Je voudrais encore souligner ce qu'a de significatif l'évolution de la revue que nous
publions : longtemps considérée l'équivalent américain de Romania, notre Romanic Review
s'oriente maintenant vers la théorie de la littérature et l'application de la sémiotique à
l'analyse textuelle, sans pour autant abandonner le Moyen Age. Rien d'étonnant à cela : les
médiévistes ont été parmi les premiers à renouveler leurs méthodes à la lumière de la
poétique moderne. Le sujet du colloque d'aujourd'hui reflète ce renouvellement, et j'en
prendrai prétexte pour ajouter quelques mots sur un problème que soulève la vogue
actuelle de l'intertextualité.
Ce problème, c'est la confusion qu'on fait trop souvent entre inter- textualité et intertexte.
L'intertexte est l'ensemble des textes que l'on peut rapprocher de celui que l'on a sous les
yeux, l'ensemble des textes que l'on retrouve dans sa mémoire à la lecture d'un passage
donné. L'intertexte est donc un corpus indéfini. On peut toujours, en effet, en reconnaître le
commencement : c'est le texte qui déclenche des associations mémorielles dès que nous
commençons à le lire. Il est évident, par contre, qu'on n'en voit pas la fin. Ces associations
sont plus ou moins étendues, plus ou moins riches, selon la culture du lecteur. Elles se
prolongent et se développent selon le progrès de cette culture, ou même en fonction du
nombre de fois que nous relisons un texte. Or l'erreur que commettent, selon moi, la
plupart des critiques quiinvoquent aujourd'hui l'intertextualité, c'est de croire qu'elle
consiste simplement en une connaissance ou en une prise de conscience de l'intertexte.
Si l'intertextualité se réduisait à cela, on n'aurait aucun besoin du terme, car elle ne
couvrirait que des domaines connus et auxquels s'applique une terminologie claire et
éprouvée. La connaissance de l'intertexte antérieur relèverait de l'histoire des influences,
des filiations littéraires, de la recherche traditionnelle des sources, tradition à l'heure
actuelle assez déconsidérée. La connaissance de l'intertexte postérieur relèverait de
l'histoire de la survie d'une œuvre, de ce que la philologie du siècle dernier appelait le
Nachleben. La connaissance a-chronique de l'intertexte relèverait de la thématologie.
Mais il s'agit de bien plus que de métalangage. Si l'intertextualité se réduisait à la
connaissance de l'intertexte, elle fonctionnerait d'autant mieux que le lecteur connaîtrait
mieux cet intertexte. Elle cesserait de fonctionner dès que surgirait une génération de
lecteurs pour laquelle les traditions de la génération précédente seraient lettre morte. Elle
cesserait, si le contenu d'une culture changeait, si le sociolecte du lecteur d'aujourd'hui
différait trop de celui des lecteurs contemporains de la création du texte. Ai-je besoin de
souligner que c'est au premier chef le cas de la littérature médiévale. Nous savons trop peu
sur les échanges culturels du Moyen Age pour nous mettre vraiment dans la peau de
lecteurs du xnr8 siècle, par exemple, ou pour reconstituer l'image que les auteurs d'alors
se faisaient des destinataires de leur œuvre.
Mais il n'y a pas de raison de croire qu'une connaissance plus développée, plus profonde,
de l'intertexte fait mieux fonctionner l'intertextualité. Tout au plus la fait-elle fonctionner
différemment. L'accident historique qu'est la perte de l'intertexte ne saurait entraîner l'arrêt
du mécanisme intertextuel, par la simple raison que ce qui déclenche ce mécanisme, c'est
la perception dans le texte de la trace de l'intertexte. Or cette trace consiste en des
anomalies m/ratextuelles l : une obscurité, par exemple, un tour de phrase inexplicable par
le seul contexte, une faute par rapport à la norme que constitue l'idiolecte du texte. Ces
anomalies, je les appellerai des agrammaticalités. Le terme ne doit pas s'entendre au sens
étroit de faute de grammaire : il couvre aussi bien toute altération de n'importe lequel des
systèmes du langage — morphologique, syntaxique, sémantique, sémiotique. Ces
agrammaticalités indiquent la présence latente, implicite, d'un corps étranger, qui est
l'intertexte. Elles suffisent à provoquer chez le lecteur des réactions que l'identification de
l'intertexte continuera et prolongera, mais qui au minimum se suffisent à elles-mêmes.
Je redéfinirai donc ainsi l'intertextualité : il s'agit d'un phénomène qui oriente la lecture du
texte, qui en gouverne éventuellement l'interprétation, et
1 . J'ai tenté de définir ce phénomène dans un article postérieur à cette communication, «
La Trace de l'intertexte », La Pensée française, octobre 1980.

qui est le contraire de la lecture linéaire. C'est le mode de perception du texte qui gouverne
la production de la signifiance, alors que la lecture linéaire ne gouverne que la production
du sens. C'est le mode de perception grâce auquel le lecteur prend conscience du fait que,
dans l'œuvre littéraire, les mots ne signifient pas par référence à des choses ou à des
concepts, ou plus généralement par référence à un univers non-verbal. Ils signifient par
référence à des complexes de représentations déjà entièrement intégrés à l'univers
langagier. Ces complexes peuvent être des textes connus, ou des fragments de textes qui
survivent à la séparation de leur contexte, et dont on reconnaît, dans un nouveau contexte,
qu'ils lui préexistaient. Ces complexes finissent par devenir la monnaie courante du
sociolecte. Ils peuvent être liés encore (ou avoir été liés en un premier stage d'existence) à
un genre (par exemple les formules de la chanson de geste, ou les clichés du portrait des
héros qu'une thèse de Columbia a étudiés chez Chrétien de Troyes 2). Mais ils sont tout
aussi bien des systèmes descriptifs3 qui ne sont plus rattachables à leurs textes originels
et qui ne relèvent plus que de la conscience linguistique du lecteur.
Ainsi compris, la production du sens dans l'œuvre littéraire résulte d'une double démarche
de lecture : d'une part, la compréhension du mot selon les règles du langage et les
contraintes du contexte, et d'autre part la connaissance du mot comme membre d'un
ensemble où il a déjà joué ailleurs un rôle défini. Ce qui ne veut pas dire que la lecture
littéraire suit une pratique du déjà-vu : elle est cela, mais plus largement, elle est une
pratique de ce qui aurait pu être déjà vu. Déjà-vu réel, donc, mais aussi déjà-vu potentiel.
Car chaque mot pertinent du texte littéraire, c'est-à-dire chaque mot stylistiquement
marqué, signifie dans la mesure où il présuppose un texte. Le texte que nous lisons
combine donc des lexemes et des syntagmes, comme n'importe quelle séquence verbale.
Mais il n'est littéraire que dans la mesure où il combine aussi les textes auxquels
appartiennent originairement ces lexemes, et les textes dont ces syntagmes ne sont que
des citations partielles.
On doit donc se représenter le texte littéraire non pas comme une séquence de mots
groupés en phrases, mais comme un complexe de présuppositions, chaque mot du texte
étant comme la pointe de l'iceberg proverbial. Le texte se comporte comme une séquence
d'enchâssements (au sens linguistique du terme), une série de textes, réduits à des
lexemes qui les symbolisent, une série de textes lexicalisés, dont chacun repose lui-même
sur un complexe intertextuel. La seule manière, à mon sens, de pallier l'inconnu relatif de
l'intertexte médiéval, c'est de changer la direction traditionnelle de l'enquête,
2. Alice M. Colby, The Portrait in Twelfth Century French Literature, Genève, Droz, 1965.
J'eus la chance d'être le directeur de cette thèse : que ceci fasse pardonner à un simple
théoricien de venir parler devant des médiévistes.
3. Sur le système descriptif, voir ma Production du texte, Paris, Seuil, 1979. J'ai esquissé
une typologie de l'intertextualité dans «Syllepsis», Critical Inquiry (Chicago) 6.4, Summer
1980, p. 625-638.

de la restitution archéologique. Au lieu de reconstituer un corpus, essayer de déterminer la


nature des présuppositions, définir les règles par lesquelles un présupposant déclenche
chez le lecteur une écriture ou chez l'auditeur un dire, une activité associative qui lui fait
cerner le manque du texte, et compléter un message dont le vide partiel, dont
l'incomplétude l'invite à le reconstituer.

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