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Revue d'histoire des sciences

Le ciel des fixes et ses représentations en Grèce ancienne


Mme Germaine Aujac

Résumé
RÉSUMÉ. — Le groupement des étoiles fixes en constellations représentant des animaux ou des personnages mythologiques
était en Grèce ancienne un moyen de repérer avec grande précision les étoiles dans le ciel. Nous avons conservé le nom des
constellations hérité des Grecs ; en revanche pour les étoiles elles-mêmes, c'est souvent la traduction arabe du grec qui a
prévalu.

Abstract
SUMMARY. — The grouping of the fixed stars into constellations representing animals and mythological figures was in Ancient
Greece the means of accurately placing the stars in the sky. We still use the Greek names for the main constellations ; but for
the stars themselves, we often use the Arabic translation of the Greek words.

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Aujac Germaine. Le ciel des fixes et ses représentations en Grèce ancienne. In: Revue d'histoire des sciences, tome 29, n°4,
1976. pp. 289-307;

doi : 10.3406/rhs.1976.1427

http://www.persee.fr/doc/rhs_0151-4105_1976_num_29_4_1427

Document généré le 18/05/2016


REV. HIST. SCI.
1976-XXIX/4

Le ciel des fixes et ses représentations

en Grèce ancienne

RÉSUMÉ. — Le groupement des étoiles fixes en constellations représentant


des animaux ou des personnages mythologiques était en Grèce ancienne un moyen
de repérer avec grande précision les étoiles dans le ciel. Nous avons conservé le
nom des constellations hérité des Grecs ; en revanche pour les étoiles elles-mêmes,
c'est souvent la traduction arabe du grec qui a prévalu.
SUMMARY. — The grouping of the fixed stars into constellations representing
animals and mythological figures was in Ancient Greece the means of accurately
placing the stars in the sky. We still use the Greek names for the main constellations ;
but for the stars themselves, we often use the Arabic translation of the Greek words.

Quiconque de nos jours aime à regarder le ciel étoile se plaît


à y reconnaître, au hasard des saisons, les constellations familières :
Orion avec le Baudrier et l'Epée, le Grand Chien avec son étoile
brillante Sirius, le Cocher avec Capella-La Chèvre, Pégase, les
Ourses, Grande et Petite, le Cygne, la Lyre où brille Véga, etc.
Les figures géométriques correspondant à ces constellations, celles
qu'il a vues sur des cartes du ciel ou celles qu'il préfère imaginer
pour son propre compte, le carré de Pégase, la croix du Cygne,
le losange du Dauphin, les deux triangles opposés par la base
(ou le cerf -volant) du Bouvier, le W ou le M de Cassiopée, etc.,
sont, pour lui, fort aisées à repérer dans le ciel, quelle que soit
leur position. Mais qui saurait aujourd'hui dessiner dans le ciel,
à l'aide des étoiles qui forment ces constellations, les personnages
ou les animaux dont les noms nous sont si familiers ? Qui reconnaît
en Céphée le roi d'Ethiopie, en Cassiopée sa femme, assise sur son
trône, en Andromède leur fille, livrée au Monstre marin (notre
Baleine) et délivrée par Persée, victorieux déjà de la Méduse dont
il a coupé l'horrible tête ; ou encore en Orion le chasseur géant
qui, brandissant sa massue dans la main droite et la dépouille
d'un lion dans la main gauche, poursuit inlassablement les Pléiades,
suivi de son Chien ?
т. xxix. — 1976 19
290 GERMAINE AUJAC

Si pourtant les noms ont subsisté, même vidés de la majeure


part de leur contenu, c'est fort probablement que ce contenu fut
un jour riche et solide. Pour en juger, nous disposons de peu de
textes, mais ils sont suffisamment éloquents pour que nous puissions
nous faire une idée précise de la manière dont les Grecs (puisque
c'est d'eux que nous avons hérité la plupart des noms de
constellations) se représentaient le ciel, partant, de la connaissance qu'ils
en avaient et du but qu'ils poursuivaient en peuplant ainsi la
voûte céleste de personnages et d'animaux étranges.
Les textes qui nous restent sont essentiellement :
1) les Phénomènes, du poète Aratos (1), simple mise en vers (et
par quelqu'un qui n'avait rien d'un astronome, précise
méchamment Cicéron) d'un traité d'astronomie portant le même titre,
œuvre du mathématicien et astronome Eudoxe de Cnide ;
2) le Commentaire aux Phénomènes ď Aratos et ď Eudoxe, établi par
l'astronome Hipparque (2) qui, à la critique du poème d'Aratos
et de sa source, adjoint un tableau des levers et couchers
simultanés par constellation, et un relevé des étoiles qui
permettent de repérer dans le ciel les vingt-quatre cercles
horaires ;
3) la Syntaxe mathématique de Ptolémée (3), dont les livres VI
et VII sont consacrés au catalogue des constellations, avec, pour
chaque étoile, l'indication des coordonnées écliptiques et de la
magnitude relative.

(1) Aratos a composé les Phénomènes à la demande du roi de Macédoine Antigone


Gonatas à la cour de qui il séjournait, vers 270 avant J.-C. Ce poème est donc postérieur
d'un siècle environ aux traités d'Eudoxe sur lesquels il s'appuie. Eudoxe de Cnide
(c. 408-355), élève de Platon, avait enseigné l'astronomie à Cyzique avant de venir
s'installer à Athènes ; il est l'auteur célèbre de l'hypothèse des sphères homocentriques
pour expliquer le mouvement propre des planètes.
Pour Aratos, le texte de référence est Arati Phaenomena, éd. et trad, par J. Martin,
Florence, 1956 (la traduction des divers passages d'Aratos présentée dans cet article
s'inspire souvent de celle de J. Martin).
Pour Eudoxe, cf. Die Fragmente des Eudoxos von Cnidos, éd. F. Lasserre, Berlin,
1966.
(2) On considère généralement que ce commentaire est une œuvre de jeunesse
d'Hipparque (né vers 190 avant J.-C. à Nicée en Bithynie) ; il n'y est jamais fait
mention de la précession des equinoxes, découverte ultérieurement, sans doute,
mais qui, de toute manière, n'aurait pas modifié sensiblement les développements
d'Hipparque.
Pour Hipparque, le texte de référence est : Hipparchi, In Arati et Eudoxi
Phaenomena commentariorum libri très, rec. C. Manitius, Leipzig, 1894.
(3) Ed. J. L. Heiberg, Leipzig, 1898-1903.
REPRÉSENTATION DU CIEL DES FIXES EN GRECE ANCIENNE 291

I. — Un exemple : la tête du Dragon

Le plus lu de ces textes est incontestablement, de nos jours


comme dans l'Antiquité (les Phénomènes ont été traduits plusieurs
fois en latin, et par des personnages aussi illustres que Cicéron
ou Germanicus), le poème d'Aratos. Aussi aurait-on facilement
tendance à mettre au compte de la fantaisie poétique des
descriptions d'animaux ou de personnages qui, en fait, donnaient des
indications parfaitement précises et totalement dépourvues
d'ambiguïté pour le lecteur averti. L'un de ces lecteurs avertis fut le grand
astronome Hipparque qui, loin de traiter le poème d'Aratos comme
une œuvre futile, lui consacra une longue exégèse, fort instructive
pour nous.
Prenons un exemple. Après avoir décrit le Dragon, qui serpente
entre les Ourses, Aratos poursuit (v. 55 à 62) :
« Sur la tête du Dragon, brillent plusieurs étoiles :
Deux aux tempes, deux aux yeux ; un peu plus loin, une dernière
Indique, sur le monstre, l'extrémité de la mâchoire.
La tête est inclinée : on dirait bien qu'elle regarde
Le bout de la queue d'Helicé [= la Grande Ourse] ; sont alignées
Sa gueule, sa tempe à droite (4), et l'extrémité de cette queue ;
La tête du Dragon va frôler l'Océan (5) au point où
Les levers et les couchers confondent leurs limites. »

Les cinq étoiles du Dragon ici désignées sont, dans la


nomenclature actuelle, ^ et y (ou Grumium et Etamin) pour les deux étoiles
aux tempes, v et (3 (ou Alwald et Kuma) pour les deux aux yeux,
et [l (Arrakis) pour l'étoile à l'extrémité de la mâchoire.

(4) L'expression grecque хротафою та 8e£ià (littéralement : les parties droites de


la tempe) est amphibologique, d'où la discussion d'Hipparque. En effet, Aratos vient
de parler des deux tempes, matérialisées par deux étoiles, et donc il est normal de
comprendre ici « la tempe droite », comme le font Hipparque, qui y voit une erreur de
vocabulaire, et Attalos, qui l'explique par une certaine position de la tête (ni l'un ni
l'autre ne mettent en doute le bien-fondé de l'alignement considéré ; seul le vocabulaire
est en cause). J'ai préféré pour ma part traduire par une expression plus vague, qui
laisse place au doute, comme le fait le grec correspondant.
(5) L'Océan ici désigne l'horizon (Aratos veut sans doute imiter Homère qui dit
également de la Grande Ourse que « seule elle n'a point de part aux bains dans l'Océan »);
le point « où les levers et les couchers confondent leurs limites » est le point de tangence
sur l'horizon du plus grand des cercles toujours visibles. Donc, pour Aratos, la tête
du Dragon est située juste à la limite du cercle arctique ou cercle des étoiles toujours
visibles. Ce cercle est relatif à une latitude donnée : sa distance au pôle est égale à la
latitude du lieu.
292 GERMAINE AUJAC

La signification rigoureuse qu'il convient de donner à ce passage


est confirmée par le commentaire d'Hipparque (1, 4, 2-8). D'une
part il précise que
« ce n'est pas la tempe droite » [ c'est ainsi qu'il interprète l'expression,
d'ailleurs peu claire, que j'ai traduite par « sa tempe à droite »], « mais
la gauche qui est à l'alignement de la langue du Serpent et de l'extrémité
de la queue de la Grande Ourse » (I, 4, 4) ;

d'autre part, il indique que, pour la position de la tête du Dragon,


Aratos et Eudoxe sont dans le vrai, tandis qu'Attalos, un de leurs
commentateurs, se trompe en voulant les corriger.
A l'appui du premier point, Hipparque énonce le principe
général qui régit toute représentation du ciel, que
« toutes les constellations ont été tracées du point de vue de l'observateur,
supposant les figures tournées vers nous (6), sauf au cas où on les voit de
profil » (I, 4, 5).

Et donc, si v et (3 indiquent les deux yeux, si Ç et y marquent


les deux tempes, et (x l'extrémité de la gueule, la moitié gauche
de la gueule serait représentée par (3 et y, la moitié droite par v et £.
Donc pour Hipparque, comme pour Eudoxe d'ailleurs, sont en
alignement y et [x Draconis et tq Ursae Majoris, mais tandis
qu'Eudoxe et Aratos appellent y la tempe droite du Dragon,
Hipparque voit dans cette même étoile la tempe gauche : ce n'est
donc pas l'observation d'Eudoxe qui est fautive ici, mais sa
nomenclature. L'explication proposée par Attalos dans le but de disculper
Aratos, que le poète « suppose la tête du Dragon tournée à l'envers,
vers l'extérieur du monde, et non vers l'intérieur » (I, 4, 5) est
parfaitement irrecevable, selon Hipparque, parce que contraire à
la tradition unanime (7).
Quant à la position même de ces étoiles, elle était déjà connue
avec précision. Hipparque indique, pour la tête du Dragon, que
« l'étoile située à l'extrémité de la gueule [\i Draconis] est distante

(6) D'où la différence fondamentale entre une représentation sur carte du ciel ou
sur globe céleste. La carte est vue de l'intérieur, du point de vue de l'observateur
terrestre : personnages et animaux y sont représentés de face. Le globe est vu de l'extérieur,
du point de vue de Dieu : personnages et animaux y sont représentés de dos.
(7) Pour Hipparque comme pour Attalos, l'erreur (ou la difficulté) ne vient pas de la
localisation (Aratos place certainement y dans l'alignement et non pas š), mais de la
désignation. Hipparque y voit une erreur de nomenclature par rapport à la
représentation normale ; Attalos, une représentation différente, avec la tête tournée en dehors,
ce qui inverse les côtés droit et gauche.
REPRÉSENTATION DU CIEL DES FIXES EN GRÈCE ANCIENNE 293

du pôle de 34° 3/5 ; son œil méridional [[3] en est à 35° ; sa tempe
méridionale [y] à 37° » (I, 4, 8). Gela prouve qu'Aratos et Eudoxe
sont dans le vrai quand ils disent que la tête du Dragon va frôler
l'horizon : l'étoile la plus méridionale de la tête du Dragon, située
à 37° du pôle, est placée exactement sur le cercle toujours visible
correspondant à une latitude de 37° N (8), soit, pour Hipparque,
à la latitude d'Athènes (I, 3, 12). Pour cette latitude donc,
« la tête du Dragon tourne tout entière dans la calotte toujours visible,
avec seulement la tempe gauche sur le cercle ; il n'est donc pas vrai,
comme le prétend Attalos, que la tête du Dragon, située su sud de la
calotte toujours visible, se couche un moment pour se relever très peu
après » (I, 4, 8).

Si maintenant nous mettons en regard le troisième des textes


dont nous disposons, le catalogue de Ptolémée, qui est pour bonne
part une simple remise à jour, pour le ne siècle après J.-C, du
catalogue d'étoiles, perdu, d'Hipparque, avec conversion des
coordonnées équatoriales en coordonnées écliptiques, nous constatons
quelques légers changements dans la description de la tête du
Dragon. Elle se présente en effet comme suit :
— l'étoile sur la langue (= \i) ;
— l'étoile dans la gueule (= v) ;
— l'étoile au-dessus, sur l'œil (= (3) ;
— l'étoile sur la mâchoire (= £) ;
— l'étoile au-dessus, sur la tête (=y)-

Ce sont là les cinq étoiles déjà repérées par Aratos et


Hipparque, mais la représentation s'est quelque peu modifiée : la tête
du Dragon ne se présente plus de face, avec ses deux yeux et ses
deux tempes, un côté droit et un côté gauche (9), mais de profil,
ce qui met fin du coup à toute discussion sur la droite ou la gauche.
C'est de profil que la tête du Dragon est dessinée par Mercator sur

(8) En réalité, le traité (I'Aratos semblerait écrit pour les régions où le tropique
d'été est coupé par l'horizon suivant le rapport 5/3 (v. 497-499), ce qui correspond
à un jour solsticial de 15 heures et à une latitude de 41° N, celle de l'Hellespont, et de
Rome. Hipparque discute ce point en I, 3, 5-7, mais, négligeant ce qu'il considère
comme une confusion du poète, il examine tout le traité « par rapport à l'horizon de
la Grèce » c'est-à-dire par rapport aux régions où le gnomon est avec son ombre d'équi-
noxe dans le rapport de 4 à 3, où le plus long jour dure 14 heures 3/5 et où la hauteur
du pôle au-dessus de l'horizon (ou la latitude) est de 37° environ.
(9) Hipparque désigne également les étoiles par leur position au nord au ou sud,
comme dans l'exemple précédent, ce qui a le mérite de lever toute ambiguïté.
294 GERMAINE AUJAC

les fuseaux destinés à la sphère céleste illustrant le texte de


Ptolémée (10).
Ainsi ce que l'on constate, à la lumière de ce court exemple
portant sur cinq étoiles d'un tout petit fragment de constellation,
c'est que, au moins depuis Eudoxe et jusqu'à Ptolémée, la
représentation des constellations est restée remarquablement stable, à
quelques variantes près. La tête du Dragon, d'abord vue de face,
est maintenant présentée de profil, d'où une légère altération dans
la nomenclature ; mais cette tête du Dragon a toujours localisé,
au cours des temps, sans conteste, le même groupe de cinq étoiles.
Le foisonnement, au ciel, des personnages et des animaux, n'était
pas simple fantaisie mythologique, mais moyen concret et précis
de repérer un nombre toujours plus grand d'étoiles.
A mesure en effet que l'observation gagnait en précision, le
nombre des constellations repérées a augmenté. Gonon de Samos,
astronome à la cour des Ptolémées, est resté célèbre pour avoir
donné à un groupe d'étoiles, jusque-là anonymes, le nom dont
nous usons encore aujourd'hui de « Chevelure de Bérénice », en
hommage à la jeune reine (11), Strabon cite cette constellation,
ainsi que l'étoile Canopus (12), comme exemple de ces étoiles
« qui n'ont reçu un nom que d'hier ou d'avant-hier, tandis que
d'autres restent encore anonymes » (I, 1, 6, G.3). En effet Canopus,
qui n'était pour Eudoxe que « l'astre qu'on voit d'Egypte » et
pour Aratos, le gouvernail d'Argo, est désignée sous son nom par
Hipparque, Poseidonios, Strabon, Ptolémée. Ce dernier connaît une
« Section antérieure du Cheval », notre Equuleus, qu'ignoraient
Eudoxe et Aratos. D'autres figures se sont précisées : la Figure
Inconnue d'Aratos (l'Agenouillé d'Hipparque et de Ptolémée), s'est
transformée en Hercule ; l'Oiseau des Grecs est devenu le Cygne

(10) Une reproduction anastatique des fuseaux originaux gravés par Gérard
Mercator et conservés à la Bibliothèque royale à Bruxelles, avec une préface de
M. Antoine de Smet, a paru aux Editions Culture et Civilisation (Bruxelles, 1968)
sous le titre : Les sphères terrestre et céleste de Gérard Mercator, 1541 et 1551.
(11) Bérénice, fille de Magas roi de Cyrène, avait offert une boucle de ses cheveux
à la déesse Aphrodite pour la remercier de l'heureux retour de son époux Ptolémée III
Evergète de sa campagne d'Asie (246-245) ; cette boucle disparut du temple ; Conon de
Samos prétendit l'avoir retrouvée au ciel dans la constellation à laquelle il a donné ce
nom. Callimaque écrivit une élégie sur la Chevelure de Bérénice, imitée plus tard par
Catulle.
(12) Canopus est le nom du pilote du bateau d'Osiris ; ce bateau est au ciel la
constellation que les Grecs nommaient Argo. Canopus est l'étoile la plus brillante du
ciel après Sirius; elle est située par Hipparque à 38° 1/2 du pôle austral.
REPRÉSENTATION DU CIEL DES FIXES EN GRECE ANCIENNE 295

au long cou ; le Fleuve qui sort ď Orion a été converti en Eridanus ;


de même la Bête que tient le Centaure est devenue un Loup.
En attendant d'être groupées en constellations, ou bien quand
« elles ne rappellent pas par leur disposition les membres d'une
figure déterminée » (Aratos, v. 370), les étoiles restent anonymes,
bien que leur position soit parfois parfaitement connue. Aratos
parle des étoiles peu brillantes « qui roulent entre le gouvernail
d'Argo et le Monstre marin [= notre Baleine], dispersées sous les
flancs gris du Lièvre, anonymes » (v. 368-370). Ptolémée fait suivre
chaque description de constellation d'une liste des étoiles
anonymes voisines, dont la position est aussi exactement repérée que
celle des étoiles incluses dans les constellations connues.

IL — Le ciel étoile et la géométrie de la sphère

Est-ce par simple désir de se rendre le monde nocturne familier


que les hommes ont ainsi peuplé le ciel de personnages
mythologiques et d'animaux variés ? Certainement pas. La sphère étoilée
était un complément indispensable à la géométrie de la sphère ;
elle permettait de localiser concrètement dans le ciel les cercles
fondamentaux de la sphère céleste ; elle fournissait à la Sphérique
son application pratique.
Au premier rang, parmi les cercles fondamentaux de la sphère,
l'écliptique, cercle oblique le long duquel se déplace le Soleil dans
son mouvement annuel ; les premières constellations repérées et
représentées ont été celles du zodiaque ou cercle des animaux
(Ç<i>8cov) ; sur des monuments chaldéens datant du xne siècle
avant J.-C, on reconnaît déjà le Taureau, le Lion, le Scorpion,
le Capricorne. Le zodiaque est théoriquement (13) une bande
de 12° de large (16° aujourd'hui) située de part et d'autre de
l'écliptique, et divisée en douze parties égales, à l'intérieur de
laquelle les planètes (les Grecs n'en connaissaient que cinq) semblent
accomplir leur mouvement propre. C'est le long de cette bande

(13) La tradition veut que l'obliquité de l'écliptique ait été découverte par Oeno-
pidts de Chio, un géomètre légèrement antérieur à Anaxagore ; il en aurait fixé
approximativement la valeur au « côté du pentédécagone », soit 24° (avis contraire dans
l'ouvrage de Sir Thomas Heath, Aristarchus of Samos, Oxford, 1913, p. 131). Eratos-
thène aurait trouvé une meilleure approximation, en attribuant 11/83 de méridien à la
distance entre tropiques (cf. Ptolémée, Syntaxe mathématique, 1, 12). Mais Eratosthène,
Hipparque et leurs successeurs ont usé le plus souvent du chiffre rond de 4/60 de
cercle, ou 24°.
296 GERMAINE AUJAC

oblique que sont répartis, plus ou moins irrégulièrement, les


constellations zodiacales ou signes du zodiaque. C'est traditionnellement
ce zodiaque, cercle oblique (et non pas l'équateur céleste, cercle
parallèle), qui, dans maintes descriptions, divise le ciel étoile. Les
Grecs répartissent toujours les constellations en trois groupes :
les constellations boréales, mais boréales par rapport au zodiaque,
les constellations australes, au sud du zodiaque, et les douze
constellations zodiacales. Celles-ci sont, bien entendu, le Bélier,
le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, les Pinces
ou la Balance (14), le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le
Verseau, les Poissons. Ces constellations jalonnent l'écliptique.
Les cercles parallèles, tropiques, équateur, cercles arctiques
peuvent être également situés dans le ciel grâce aux étoiles qu'ils
portent. Voici par exemple comme Aratos repère le tropique du
Cancer :
« Sur lui circulent les deux têtes des Gémeaux ;
On y voit aussi les genoux du solide Cocher,
La jambe gauche et l'épaule gauche de Persee ;
II traverse le bras droit d'Andromède au-dessus du coude...
Les sabots du Cheval, le cou de l'Oiseau
Avec sa tête, les belles épaules du Serpentaire
Glissent le long du même cercle.
La Vierge qui évolue un peu plus au sud ne le touche pas ;
Mais le touchent le Lion et le Cancer. Tous deux
Y sont fixés à la suite l'un de l'autre ; le cercle
Coupe le Lion sous le poitrail et le ventre jusqu'à l'aine,
II fend ensuite le Cancer de part en part sous la carapace
Où on peut le voir partagé, par moitié, si exactement
Qu'il a un œil de chaque côté du cercle » . ... ....
(v. 480-496).

Cette description, pour précise qu'elle soit, ne satisfait pas le


pointilleux Hipparque, qui reprend point par point les allégations
d'Aratos. Il fait remarquer tout d'abord (I, 10, 2 sqq) que :
« les têtes des Gémeaux [= les étoiles a et [3, souvent appelées Castor et
Pollux] ne sont pas situées sur le tropique d'été ; car le tropique d'été
est approximativement à 24° de l'équateur (15) ; or, des Gémeaux, la

(14) Les Pinces est le nom ancien; celui de la Balance apparaît vers le ier siècle
avant J.-C.
(15) Ces expressions « la tête qui mène », « la tête qui suit » sont caractéristiques
des indications que l'on trouve habituellement chez ceux qui décrivent le ciel. « La tête »
désigne l'étoile sur la tête ; « qui mène » et « qui suit » doivent s'entendre par rapport au
mouvement de rotation, d'est en ouest, de la sphère des fixes ; l'étoile qui semble
mener précède l'autre dans son mouvement ; elle lui est donc orientale.
REPRÉSENTATION DU CIEL DES FIXES EN GRECE ANCIENNE 297

tête qui suit [= (3 ou Pollux] est à 30° au nord de l'équateur, celle qui
mène [= a ou Castor] est à 33° 1/2, de sorte que l'une est de 1/5 de signe
de zodiaque [= 6°], et l'autre d'environ 1/3 de signe [= 10°] au nord du
tropique d'été. Quant au Cocher, il n'a pas d'étoiles sur les genoux ;
si Aratos place sur les genoux certaines des petites étoiles sans éclat,
l'erreur est non moins flagrante, car ce sont les pieds, approximativement,
qui sont sur le tropique ; l'étoile sur le pied gauche [ = i] est à 27°
au nord de l'équateur ; et celle sur le pied droit [= (3 Tauri] à 23° 1/2 ;
et l'on ne saurait alléguer qu'Aratos place sur les genoux ces étoiles-ci
que nous plaçons sur les pieds, car de l'étoile que nous plaçons sur le
pied droit, il dit ailleurs :
La pointe de la corne gauche du Taureau
Et le pied droit de son voisin le Cocher
Sont occupés par une seule étoile.

... Pour Persée, Aratos s'écarte nettement aussi de la vérité. Car


au milieu du corps de Persée, il y a une étoile brillante [= a] située à 40°
au nord de l'équateur, c'est-à-dire à 16° au nord du tropique, soit plus
de la moitié d'un signe (16) ; et donc l'épaule gauche [= 0] est très au
nord du tropique d'été, car Persée est campé de telle sorte que la tête
est vers le nord et les pieds vers le sud, la tête s'inclinant légèrement en
direction de l'est... A propos d'Andromède aussi, Aratos est dans l'erreur;
car les étoiles situées sur l'épaule droite [= раб] sont au nord du tropique ;
de ces trois, la plus méridionale [= a] est à 30° au nord de l'équateur ;
des trois étoiles dans la main droite [= ixX], la méridionale [= i] est
à 32° au nord de l'équateur ; il est donc clair que le coude est passablement
au nord du tropique, et non pas au sud, comme le prétend Aratos.
A propos du Cheval, on ne sait pas au juste quelles étoiles Aratos
plaçait sur les sabots... Quant à l'Oiseau, son bec [= (3 Gygni] est à 25° 20'
au nord de l'équateur ; l'étoile suivante, qui serait située dans le larynx
[=■/)], est à 31° au nord de l'équateur ; il est donc clair que ni la tête
de l'Oiseau ni son cou ne peuvent se trouver sur le cercle tropique d'été...
A propos du Serpentaire, Aratos est complètement dans l'erreur ; des
épaules du Serpentaire, la droite [= (3] est située beaucoup plus près de
l'équateur que du tropique ; la gauche [= x] est à 1/3 de signe (17) au
sud du tropique ; en effet l'épaule droite est de 7° environ au nord de
l'équateur, la gauche à environ 15°.
Les indications suivantes, sur la Vierge, le Lion et le Cancer, me
paraissent s'accorder tout à fait avec les apparences. En effet, des étoiles
situées sur la poitrine du Lion, la plus méridionale et la plus brillante,
que certains placent dans le cœur [= a ou Regulus], est légèrement au
sud du tropique, tandis que l'étoile qui la jouxte, vers le nord [= tj],

(16) Ici le signe de zodiaque est pris comme unité de mesure ; il vaut 30°. La moitié
d'un signe vaut donc 15°.
(17) Hipparque use volontairement ici de larges approximations. Un tiers de
signe équivaut à 10°.
298 GERMAINE AUJAC

est légèrement plus septentrionale que le tropique d'été. Des quatre


étoiles brillantes situées dans les cuisses et dans les pattes du Lion [= SOlct],
la seconde à partir du nord [= 0] située dans la cuisse est au nord du
tropique ; la troisième, située aussi dans les pattes [= t] est au sud du
tropique. Très évidemment donc le Lion est coupé par le tropique dans
sa longueur, au-dessous du poitrail et sous le flanc. Des quatre étoiles
dans le Cancer [= §ут)0] qui enserrent le Petit Nuage [= e] (18), la
méridionale [= 0] des deux situées à l'occident est à moins de 1° au sud du
tropique ; la septentrionale [= •/)] est à moins de 1° au nord du tropique
d'été ; des deux étoiles situées à l'Orient, près du Petit Nuage, la
méridionale [= S] est située à peu près sur le tropique lui-même ; l'étoile
septentrionale [= y) est à environ 2° 1/2 au nord du tropique. Bien
évidemment donc, l'indication sur le Cancer est à très peu près en accord
avec les apparences » (I, 10, 2-12).

Des discussions analogues, sur la position de l'équateur, du


tropique du Capricorne, ou du cercle arctique, montrent clairement
le rôle que jouaient les constellations dans l'explicitation de la
géométrie de la sphère.
Le cercle arctique en particulier, ou cercle des étoiles toujours
visibles en un lieu donné du globe terrestre, était fort utile à
connaître pour le géographe, car c'était un repère de latitude
terrestre, sa distance au pôle étant égale à la latitude du lieu.
C'est ainsi qu'Hipparque, dans l'ouvrage qu'il a consacré à la
critique de la Géographie d'Eratosthène, dressant un tableau des
climats ou latitudes géographiques fondé sur des critères
astronomiques, indique pour chaque parallèle terrestre considéré quelles
sont les étoiles qui se trouvent sur le cercle arctique. Il situe
par exemple le parallèle 12° N à l'endroit
« d'où l'on voit la Petite Ourse tout entière contenue dans le cercle arctique
et où elle demeure toujours visible ; l'étoile brillante située à l'extrémité
de la queue [= a, notre étoile polaire], la plus méridionale de toutes,
est alors située sur le cercle arctique (19), ce qui fait qu'elle effleure
l'horizon » (Strabon, Géographie, II, 5, 35).

(18) Cet amas ouvert en forme de nuage, Praesepe, est souvent appelé la Mangeoire
ou la Crèche (cf. Aratos, v. 892 sqq.) ; il est flanqué de deux étoiles d'un faible éclat,
y et 8, appelées les Anes. L'apparition ou la disparition de cet amas, l'éclat relatif des
deux Anes, jouaient un rôle important dans les prévisions météorologiques.
(19) Le ciel des fixes a changé depuis ce temps-là, du fait de la précession des
equinoxes. La Syntaxe mathématique de Ptolémée, fondée sur les observations d'Hip-
parque, place effectivement notre actuelle étoile polaire à 12° du pôle, les autres étoiles
de la Petite Ourse étant plus proches qu'elle dudit pôle. P. V. Neugebauer (Tafeln
zur astronomische Chronologie) indique que, en 100 avant J.-C, a Ursae Minoris était
à 12° 18' du pôle.
REPRÉSENTATION DU CIEL DES FIXES EN GRECE ANCIENNE 299

Tout au long du tropique du Cancer, tropique terrestre situé


à 240 n,
« à l'intérieur du cercle arctique, on commence à voir la Grande Ourse (20)
presque en entier, sauf les pattes [= t, et jx], l'extrémité de la queue
[= yj] et une des étoiles du rectangle [= y] » (Strabon, H, 5, 36).
Dans les régions
« situées à égale distance du pôle et de l'équateur [= latitude 45° N],
le cercle arctique se trouve au zénith ; il porte l'étoile qui marque le cou
de Cassiopée [= a], tandis que celle qui indique le coude droit de Persée
[= 7j] est légèrement au nord » (21) (Strabon, II, 5, 41).
Pour les régions situées à 48° 1/2 N, « Cassiopée (22) se meut à
l'intérieur du cercle arctique » (Strabon, II, 5, 42). Etoiles et
constellations fournissaient donc des points de repère sûrs, aussi
bien à l'astronome qu'au géographe.
Autres cercles importants, et non moins utiles pour la
connaissance précise du ciel, et, partant, de la Terre, les méridiens, que
l'on peut également repérer par des étoiles. Hipparque, à la fin de
son Commentaire à Aratos, décrit les vingt-quatre méridiens qui
limitent les fuseaux horaires ;
« je considère comme fort utile, dit-il, d'indiquer quelles étoiles fixes
ont entre elles, successivement, la distance d'une heure équinoxiale (23) »
(Ш, 5, 1).
Il commence par le cercle qui passe par les points tropiques et
les pôles, sur lequel « se trouve l'étoile située à l'extrémité de
la queue du Chien [= tj], sur le demi-cercle qui contient le point
tropique d'été » : ce demi-cercle joue donc le rôle de méridien
origine. Hipparque continue :
« A partir de cette étoile, on trouve à la distance d'une heure l'étoile
de l'Hydre située à la naissance du cou [= Ç], et, à quelque chose près,

(20) Hipparque, qui connaît une représentation ancienne de la Grande Ourse,


avec seulement les sept étoiles brillantes (In Aratum, 1, 5, 6), utilise normalement la
représentation plus développée, telle que la décrit Ptolémée et qui comprend vingt-sept
étoiles, [l et i sont placées par Hipparque à environ 48° et 38° du pôle, y à 25°, ■»] à 30°.
(21) a Cassiopeiae était en 100 avant J.-C. à peu près exactement à 45° de distance
du pôle (cf. P. V. Neugebauer, op. cit.) ; 7] Persei est à 30' au nord de a Cassiopeiae.
(22) L'étoile la plus méridionale de Cassiopée, celle sur la tête, Ç, était à 48° du
pôle environ.
(23) L'heure équinoxiale, douzième partie du jour ou de la nuit d'équinoxe, a une
valeur universelle ; l'heure temporaire, fraction de la durée effective d'un jour et
d'une nuit particuliers, a une valeur variable avec la saison et avec la latitude du lieu.
300 GERMAINE AUJAC

l'étoile brillante de l'Ourse, située dans les genoux de devant [= 0]. Le


second intervalle d'une heure va jusqu'à la petite étoile dans le Lion
[= v] qui précède d'un peu moins d'une coudée (24) l'étoile brillante dans
le cœur [= a] ; cette petite étoile est située à moins d'un doigt (25) en
avant du méridien qui limite le second intervalle horaire. La troisième
distance horaire, au milieu du Lion, est marquée, dans le Lion, par la
méridionale des deux étoiles situées de chaque côté de la brillante sur la
hanche [= S] » (III, 5, 2).

Et ainsi de suite pour les vingt-quatre intervalles horaires.


Un tel repérage est utile, ajoute Hipparque
« pour calculer avec exactitude l'heure la nuit, pour préciser le temps des
éclipses de lune, et pour bien d'autres observations astronomiques »
(III, 5, 1).

III. — La grande horloge du ciel étoile

Le ciel étoile, en effet, jouait un rôle privilégié dans la


détermination du temps. La place des constellations sur la voûte céleste
permettait de repérer l'heure la nuit, à condition que l'on connaisse
avec exactitude le point de l'écliptique, ou l'étoile du zodiaque,
qui se levait à la tombée du jour.
Il était reconnu depuis longtemps que
« Toutes les nuits, six douzièmes du zodiaque, toujours, se couchent,
Autant se lèvent ; chaque nuit dure le temps qu'il faut
A la moitié du cercle, à partir de la tombée du soir,
Pour s'élever au-dessus de la Terre »
(Aratos, v. 554-558).

Il suffît donc de savoir, une nuit donnée, le point de l'écliptique


qui était à l'horizon au début de la nuit, ou celui qui était au
méridien, pour déduire à chaque moment, de la position relative
du cercle, l'heure qu'il est.
Le problème est plus compliqué qu'il n'y paraît. D'une part,
la position en oblique du cercle zodiacal fait que les temps
d'ascension de portions égales de ce cercle ne sont ni égaux ni
proportionnels. D'autre part la position du cercle zodiacal au début de

(24) La coudée astronomique vaudrait 2° d'après P. Tannery (Mémoires


scientifiques, II, p. 263). Chaque intervalle d'une heure (il y en a vingt-quatre) représente
donc 15° de longitude.
(25) Un doigt serait la vingt-quatrième partie de la coudée ; il vaudrait donc 5'.
Coudées et doigts sont d'anciennes unités de mesure babyloniennes.
REPRÉSENTATION DU CIEL DES FIXES EN GRÈCE ANCIENNE 301

la nuit tel ou tel jour dépend essentiellement de la position du


Soleil sur l'écliptique ce jour-là ; en effet, dans son mouvement
propre, le Soleil décrit l'écliptique en 365 jours 1/4 à très peu près,
d'ouest en est, déterminant ainsi l'alternance des saisons ; il
parcourt un signe de zodiaque en un mois environ, et un degré
d'écliptique en un jour à peu près. Il importe donc de connaître,
chaque jour, dans quel degré de zodiaque se trouve le Soleil pour
savoir quel degré de zodiaque se lève au début de la nuit (26),
et pouvoir, de là, déterminer l'heure au cours de la nuit.
Toute l'astronomie grecque est dominée par le problème
multiforme de la détermination du temps. Si nous nous bornons ici à
cet aspect du problème qui met en jeu le lever et le coucher des
étoiles et constellations, nous constatons que la question était
traitée à la fois d'un point de vue théorique, dans les nombreux
manuels de géométrie sphérique, et d'un point de vue plus pratique,
par référence aux observations de tous les jours et à la sphère
étoilée. La majeure partie du traité d'Euclide intitulé Les
Phénomènes est consacrée à l'étude géométrique des levers et des couchers
du cercle oblique du zodiaque, à la détermination de la portion
d'horizon sur laquelle ils s'opèrent, à l'évaluation des temps
d'ascension (ou de descente) de chaque signe du zodiaque suivant
la position de la sphère. Un traité d'Autolycos de Pitane,
mathématicien et astronome légèrement antérieur à Euclide, est intitulé
Les levers et les couchers d'étoiles.
Mais cette étude théorique, pour indispensable qu'elle soit, ne
suffît pas à qui veut concrètement lire dans les étoiles l'heure
qu'il est. Les degrés de l'écliptique ne sont pas tous matérialisés
par des étoiles ; il faut donc pouvoir repérer leur lever ou leur
coucher d'après les étoiles connues qui font leur lever ou leur
coucher en même temps que tel ou tel degré de tel ou tel signe.
D'où l'abondante littérature concernant les levers et couchers
simultanés.
Aratos, à la suite d'Eudoxe, consacre une partie importante
des Phénomènes à l'étude des levers et couchers simultanés, énumé-
rant à chaque fois les principales étoiles qui se lèvent ou qui se
couchent en même temps que se lève ou se couche tel ou tel signe.

(26) Le Soleil se trouvait au premier degré du Bélier le jour de l'équinoxe de


printemps, au premier degré du Cancer pour le solstice d'été, au premier degré des Pinces
pour l'équinoxe d'automne, au premier degré du Capricorne pour le solstice d'hiver.
302 GERMAINE AUJAC

II indique par exemple, pour ne citer que le cas du Bélier, choisi


pour la brièveté de la description, que :
« Au lever du Bélier
On peut voir aussi l'Autel au couchant, et à l'Orient
Monter Persée jusqu'à la tête et aux épaules ;
Pour sa ceinture, le doute est possible ; elle apparaît
Soit avec la fin du Bélier (27), soit au lever du Taureau,
Avec lequel, sans tarder, elle tourne dans le ciel »
(v. 709-714).
Hipparque adresse à cette partie du poème d'Aratos à la fois
des critiques de détail qui visent aussi bien le texte d'Aratos et
celui de sa source, Eudoxe de Gnide, que leur commun exégète
Attalos, et des critiques d'ensemble, beaucoup plus instructives
pour nous, au cours desquelles il reproche notamment à Aratos
de ne pas avoir tenu compte de l'inégalité de durée dans les temps
d'ascension des différents signes de zodiaque (28) et de ne pas avoir
fait la différence entre les signes-constellations, d'étendue et de
position variables, et les signes-douzièmes, tous équivalents en
forme et en dimensions (29). Ceci posé, il dresse pour son compte
un tableau beaucoup plus systématique des levers et couchers
simultanés, en considérant toutes les constellations et non pas
seulement les signes de zodiaque. Il avait précisé au préalable
que cet exposé serait uniquement valable pour les latitudes
correspondantes à un jour solsticial de 14 heures 1/2, soit 36° N ; le tableau
de concordance, déjà établi pour l'ensemble du monde habité,
permettrait de transposer facilement ces indications pour toute
autre latitude (II, 4, 3).
« D'abord donc nous exposerons les levers et couchers simultanés pour
les constellations situées au nord du zodiaque, puis pour celles situées au
sud, et finalement pour les douze signes : je désigne par là les
constellations zodiacales elles-mêmes, dont certaines occupent un espace supérieur

(27) Le texte d'Aratos ici a été controversé, assez inutilement, me semble-t-il.


Le sens me paraît clair. Aratos hésite entre deux indications possibles : la ceinture de
Persée se lève avec les derniers degrés du Bélier ou bien elle se lève avec les premiers
degrés du Taureau. La traduction de J. Martin, « au déclin du Bélier » me paraît
dangereusement prêter à confusion, bien que sa note ad locum soit pertinente (p. 94).
(28) Le recueil intitulé La Petite Astronomie nous a conservé un Anaphoricos ou
traité sur les temps d'ascension des signes, composé par Hypsiclès, et fondé sur
l'utilisation d'un système de progressions, à la mode babylonienne.
(29) C'est par cette distinction que commence le manuel de Géminos, Vlnlro-
duclion aux Phénomènes.
REPRÉSENTATION DU CIEL DES FIXES EN GRÈCE ANCIENNE 303

au douzième correspondant, d'autres un espace moindre ; certaines aussi


sont situées très au nord, d'autres très au sud du zodiaque, ce qui fait
qu'elles sont très en avance ou très en retard, dans les levers et les couchers,
sur les douzièmes correspondants. Nous indiquerons dans chaque cas,
sur le cercle zodiacal, le signe qui passe au méridien, avec le degré exact ;
nous indiquerons également les étoiles fixes qui culminent au méridien
lors du début et de la fin des levers et des couchers de chaque constellation ;
nous indiquerons enfin en combien d'heures équinoxiales s'opèrent pour
chaque constellation le lever et le coucher » (Hipparque, II, 4, 4-5).

Prenons une fois de plus comme exemple la constellation du


Bélier, et voyons comment les principes précédents sont mis en
pratique.
« En même temps que le Bélier, se lève l'arc de zodiaque compris entre
le milieu du 19e degré des Poissons et le 21e du Bélier (30). Culmine au
méridien l'arc compris entre le milieu du 24e degré du Sagittaire et le
14e degré du Capricorne. La première étoile qui se lève est celle dans le
pied de devant [= tj Piscium] ; la dernière à se lever, celle qui suit, des
étoiles dans la queue [= т]. Culminent parmi les fixes (31), d'abord,
de la Lyre, l'étoile qui mène de celles dans la barre [= [3] ; du Sagittaire,
l'étoile qui suit de celles dans le dos [= т] qui précède le méridien de
2/3 de coudée. En dernier lieu, culminent, du Verseau, l'étoile qui suit
de celles dans la main gauche [= ja] ; du Capricorne, l'étoile dans la
poitrine [= y)] ; du Dauphin, l'étoile qui mène de celles dans la queue
[= s]. Le Bélier se lève (32) en 1 heure 2/5 » (III, 3, 10).

Il faudrait se garder de croire que le coucher d'une constellation


est le symétrique de son lever : le Bélier par exemple se couche en

(30) Ce qui veut dire que la constellation du Bélier déborde sur le signe des Poissons
mais ne remplit pas entièrement le signe du Bélier. Elle se lève en même temps que
32° 1/2 d'écliptique. Or pendant que 32° 1/2 d'écliptique se lèvent sur l'horizon, c'est-à-
dire franchissent ce cercle fixe, pour une inclinaison de l'axe du monde de 36°, 20°
seulement d'écliptique franchissent le méridien.
(31) Les étoiles qui passent au méridien sont un bien meilleur repère que celles qui
se lèvent, du fait que le méridien est toujours visible, alors que l'horizon astronomique
est souvent caché par les reliefs du sol. Hipparque indique successivement quelles
étoiles culminent en même temps que se lève la première étoile de la constellation,
puis quelles étoiles culminent en même temps que se lève la dernière étoile de la
constellation.
(32) Cf. Euclide, les Phénomènes, Proposition 13 : « Sur le demi-cercle qui part
du Capricorne, des arcs de cercle égaux se lèvent en des temps inégaux ; y mettent
le plus de temps ceux qui sont proches des points tropiques ; y mettent moins de temps
ceux qui sont à leur suite ; y mettent le moins de temps ceux qui sont proches de
l'équateur. Se lèvent et se couchent en des temps égaux les arcs égaux situés à égale
distance de l'équateur. » Le lever du Bélier se fait assez vite parce que, l'écliptique étant
alors fortement incliné sur l'horizon, beaucoup de points du signe font leur lever en
même temps.
304 GERMAINE AUJAC

deux heures d'équinoxe à la latitude de 36° N (Hipparque, III, 4,


10).
Le ciel étoile, grande horloge nocturne, est d'autant plus difficile
à déchiffrer que la position des constellations, la nuit, varie avec
la saison. Mais, justement, il peut servir aussi à repérer la saison
dans laquelle on se trouve. Il suffit souvent d'un peu d'attention
pour que ce qui paraît énigmatique se résolve simplement.

« Tout au long de l'année,


La saison des labours, la saison des semailles,
Tout est partout, à demeure, manifesté dans le ciel de Zeus.
Et l'on peut, même d'un navire, prévoir l'hiver houleux
En considérant soit le sévère Arcturus
Soit toute autre étoile qui surgit de l'Océan
A l'aube ou aux premières heures de la nuit.
Car au cours de l'année le Soleil les rencontre toutes
En décrivant son grand circuit ; il fonce sur l'une
Puis sur l'autre, soit à son lever soit à son coucher.
Chaque étoile voit naître une aube différente »
(Aratos, v. 741-751).

Les calendriers anciens, dont nous avons conservé quelques


débris (33), par exemple dans le calendrier annexé à Y Introduction
aux Phénomènes de Géminos, divisent l'année en douze séquences
dont chacune correspond au temps (qui peut varier de 29 à 32 jours)
mis par le Soleil à parcourir chacun des signes, dans son mouvement
propre. Les principaux événements astronomiques, equinoxes,
solstices, y sont datés par le lever héliaque des étoiles les plus
remarquables, dont l'apparition ou la disparition constituent, dans le
déroulement des saisons, des jalons sûrs, du moins pour un assez
long temps (la précession des equinoxes n'altère notablement la
concordance qu'après plusieurs siècles). Le lever héliaque de Sirius-
Sothis a longtemps coïncidé en Egypte avec le solstice d'été,
donnant le signal du début de l'année, nommée sothiaque (34)
en l'honneur de cette étoile. En Grèce, Arcturus, les Pléiades et
les Hyades dans la constellation du Taureau, la Chèvre ou Capella,

(33) Les indications de calendrier compilées par Géminos viennent d'Euctémon,


d'Eudoxe, de Callippe, de Dosithée, de Démocrite. Claude Ptolémée est également
l'auteur d'un calendrier, les Фаоек;, qui fait état d'indications tirées de calendriers
égyptiens.
(34) D'un lever héliaque de Sirius au lever suivant (année sothiaque), l'intervalle
est un peu plus long que l'année tropique des saisons.
REPRÉSENTATION DU CIEL DES FIXES EN GRÈCE ANCIENNE 305

sont les étoiles ou amas d'étoiles dont les levers et les couchers
héliaques indiquent des changements de saison (35).
Ainsi personnages et animaux qui peuplent le ciel depuis les
temps les plus reculés (Homère déjà cite Orion et la Grande Ourse)
en faisaient comme un livre ouvert, dans lequel il était facile de
lire et grâce auquel l'homme pouvait se diriger à la surface du
globe terrestre (36) et connaître sa place exacte dans le temps
comme dans l'espace.
« Ces figures, un homme de jadis
Les a conçues ; il imagina de les appeler toutes par un nom
En les groupant en figures ; impossible en effet de toutes
Les nommer ou les connaître, prises séparément ;
II y en a trop partout ; beaucoup d'entre elles vont de pair,
Pour la taille et pour la couleur, si toutes tournent ensemble ;
Aussi décida-t-il de rassembler les étoiles
Afin qu'alignements et juxtapositions
Dessinent des figures ; ainsi furent nommées
Les constellations ; plus de surprise au lever d'une étoile »
(Aratos, v. 373-382).
L'étonnant, en fait, c'est qu'une nomenclature aussi
conventionnelle soit non seulement restée stable durant toute l'Antiquité,
mais qu'elle ait persisté, même bien appauvrie de contenu, jusqu'à
nos jours. Il a fallu que, très tôt, elle ait été soutenue par des
représentations matérielles qui parlaient à l'imagination des hommes
et s'imprimaient fortement dans leur mémoire, créant des
stéréotypes. On cite des monuments chaldéens du xne siècle avant J.-C.
qui présentent les figures de certains signes de zodiaque. En Grèce,
les sphères solides, sur lesquelles étaient tracées les constellations,
étaient d'usage courant ; on attribuait la paternité de ce mode
de représentation à l'école ionienne ; mais on vantait surtout la
sphère étoilée d'Eudoxe de Cnide (cf. Cicéron, La République,
I, 14, 22) qui servit certainement à la fois de support matériel (37)

(35) Le lever matinal d'Arcturus, le lever du soir de Capella, marquaient le début


de l'automne (vers la mi-septembre). Le lever matinal des Pléiades annonçait le
début de l'été (vers la fin mai). Ces indications, généralement assez vagues, suffisaient
pour les calendriers agricoles.
(36) C'est ce qu'exprime par exemple le géographe Strabon (I, 1, 21) : « II n'est
pas bon d'ignorer les lois qui régissent le ciel et la position de la Terre au point que,
arrivant dans des pays où certains des phénomènes célestes diffèrent beaucoup de
ceux dont on a l'habitude, l'on en soit tout désorienté. »
(37) II est problable en effet que nombre d'indications concernant les levers
simultanés, les couchers simultanés, etc., ont été obtenues par Eudoxe et par Hipparque,
т. xxix. — 1976 20
306 GERMAINE AUJAC

et d'illustration à ses ouvrages, les Phénomènes et le Miroir. C'est


vraisemblablement en ayant sous les yeux ou dans le souvenir
une sphère de ce genre qu'Aratos donne du ciel étoile une description
si vivante et si poétique. De même c'est sans doute en s'aidant
de la sphère solide mentionnée par Ptolémée (Syntaxe
mathématique, VII, 1) qu'Hipparque a pu dresser le tableau complet des
levers et couchers simultanés des constellations. L'Atlas Farnèse,
actuellement conservé à Naples, reproduction romaine d'un modèle
hellénistique, fournit un bon exemple (mais celui-ci était conçu
comme œuvre d'art, non comme instrument de travail) des globes
célestes, plus ou moins précis suivant l'usage auquel on les destinait,
qui ont aidé les hommes, au cours des siècles, à fixer dans le ciel
les figures que nous nous plaisons à y reconnaître aujourd'hui.
Ces figures, dans l'Antiquité, avaient des contours beaucoup plus
stables et mieux définis que les alignements, souvent variables
d'une carte à l'autre, par lesquels on définit aujourd'hui les
constellations et à travers lesquels il est le plus souvent si difficile de
reconstituer l'image évoquée par la dénomination de la constellation.
La transmission des connaissances emmagasinées dans un globe
céleste, instrument indispensable aussi bien pour la recherche que
pour l'enseignement, s'est pendant quelques siècles, au moins
d'Eudoxe à Ptolémée (pour nous en tenir à nos informations sûres),
effectuée assez fidèlement : des modifications ne sont intervenues
que pour donner une plus grande précision à la connaissance du
ciel. Il était facile alors de repérer dans le ciel les constellations
principales, et d'en désigner les étoiles par la place qu'elles
occupaient sur le dessin représentant le personnage ou l'animal.
Puis il advint une plaisante aventure : le monde arabe,
recueillant l'héritage des Grecs, a traduit les indications relatives aux
constellations dans son propre langage. Quand à son tour la science
arabe a pénétré dans le monde occidental, elle l'a fait avec ce
langage insolite, lui imposant par exemple les noms apparemment

non par le calcul, mais par l'expérimentation sur la sphère étoilée, placée suivant
l'inclinaison demandée, et qui pouvait pivoter sur son axe de manière à simuler les
phénomènes célestes. C'est de la même manière que procédait Archimède quand il
proposait à Eratosthène une méthode « qui permettait d'aborder certaines propositions
mathématiques par le biais de la mécanique ; ... car il est plus aisé d'édifier la
démonstration après avoir acquis préalablement quelque connaissance des objets de la recherche
au moyen de cette méthode que de chercher sans la moindre connaissance » (Lettre à
Eratosthène lui dédiant le traité Sur la Méthode, éd. et trad. Ch. Mugler, Paris,
1971). Ce même Archimède avait composé un traité, perdu, sur La Sphéropée.
REPRÉSENTATION DU CIEL DES FIXES EN GRECE ANCIENNE 307

mystérieux par lesquels elle désignait les étoiles. Qui se douterait


de nos jours que, lorsqu'on appelle une étoile Deneb (le mot
veut dire « queue » en arabe), on utilise tout simplement, dans sa
traduction arabe, le langage des Grecs qui, il y a plus de vingt
siècles, parlaient de « l'étoile sur la queue » ?
Aujourd'hui que s'est perdue l'habitude de dessiner les
personnages et les animaux dans le ciel, que les alignements définissant les
constellations sont simplement devenus des conventions variables
et le plus souvent dénuées de sens, il faut des conférences
internationales, des discussions longues et circonstanciées, pour faire
accepter, pour le ciel étoile, une nomenclature unique, résultat
auquel semblent être parvenus, sans trop de difficultés sinon sans
querelle, les astronomes de l'Antiquité et leurs disciples, qui
pouvaient aisément retenir les figures des constellations inscrites
sur les globes célestes. D'ici peu, de simples numéros d'ordre, un
ensemble de chiffres plus mystérieux encore pour le profane que
les noms arabes qui leur étaient affectés jusqu'ici, serviront seuls
à désigner les étoiles, revenues à leur anonymat primitif, dans ces
aires géométriques aux contours variés représentant les
constellations, seuls vestiges de ces personnages et animaux légendaires
qui aidaient le profane à vivre dans la familiarité du ciel étoile.
Le gain est-il si évident ?
Germaine Aujac.
Université de Toulouse-Le Mirail.

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