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Frédérique Woerther

La λèξι̋ šθικ  (style éthique)


dans le livre III de la Rhétorique d’Aristote.
Les emplois d’šθικì̋ dans le corpus aristotélicien*
Résumé: L’adjectif šθικì̋ possède dans les traités d’Aristote deux
significations principales: il peut en effet renvoyer à (1) ce qui est
«relatif à l’ªθο̋», ou à (2) ce qui est «capable d’exprimer l’ªθο̋».
C’est ce que la présente étude se propose de démontrer dans un
premier temps, en s’efforçant de préciser chaque fois la nature et
la valeur de l’ªθο̋ ainsi impliqué dans l’emploi de cet adjectif.
Cette analyse permet, dans un deuxième temps, d’isoler le sens
particulier que recouvrent les trois occurrences d’šθικì̋ figurant
dans les développements de la Rhétorique consacrés à la λèξι̋ des
discours (Rhét. III, 7, 1408 a 11, 1408 a 25, et III, 1413 b 10). En effet: (1)
si la notion de λèξι̋ šθικ  implique l’ªθο̋ de l’orateur, l’extension
sémantique de ce dernier terme manifeste des écarts, non seulement
par rapport à la façon dont il est caractérisé dans le reste du traité
(Rhét. I-II et III, 13–19) à travers la définition de la πÐστι̋ âν τÀú
¢θει τοÜ λèγοντο̋, mais aussi par rapport à la doctrine des Éthiques;
(2) la façon dont Rhét. III, 12 conçoit l’Íπìκρισι̋—avec laquelle la
λèξι̋ šθικ  entretient des liens privilégiés—suppose une conception
traditionnelle et non aristotélicienne de la notion d’ªθο̋. La mise
en évidence du caractère discordant de ces trois occurrences fournit
à la littérature critique consacrée aux questions de la datation et de
l’unité de la Rhétorique un indice supplémentaire à exploiter.

i la date de composition de la Rhétorique ne peut être fixée


S avec certitude, c’est en premier lieu parce que le texte
même semble indiquer qu’Aristote n’a pas écrit ce traité

* Sauf indication contraire, les traductions sont de nous.Les éditions utilisées pour
les traités aristotéliciens sont les suivantes: Ethica Eudemia, R. R. Walzer, J. M. Mingay
(edd.), Oxford University Press, Oxford, 1991; Ethica Nicomachea, I. Bywater (ed.),

Rhetorica, Vol. XXIII, Issue 1, pp. 1–36, ISSN 0734-8584, electronic ISSN 1533-
8541. ©2005 by The International Society for the History of Rhetoric. All rights re-
served. Please direct all requests for permission to photocopy or reproduce article
content through the University of California Press’s Rights and Permissions website,
at www.ucpress.edu/journals/rights.htm.
1
2 RHETORICA

d’un seul jet. Les indices sur lesquels s’appuient les commentateurs
pour proposer une datation sont divers. Ainsi les renvois opérés
par le philosophe à des événements historiques connus par ailleurs
permettent d’avancer une ou plusieurs datations absolues de la
Rhétorique. D’autre part, les références, implicites ou explicites (par
le biais de citations) à la doctrine développée dans d’autres traités
(les Topiques, les Réfutations Sophistiques, les Politiques, les Analytiques)
fournissent autant d’arguments recevables pour une datation rela-
tive de certains passages de la Rhétorique. Enfin, les incohérences
ou les contradictions que le texte donne à lire ont permis à certains
spécialistes de tirer des conclusions d’ordre génétique, découpant la
Rhétorique en plusieurs «couches» successives et sans doute trop vite
considérées comme inconciliables les unes avec les autres; d’autres
critiques ont préféré ne pas accorder trop d’importance à ces contra-
dictions internes pour chercher à identifier le noyau invariable qui
constitue le noyau de la Rhétorique.1
L’étude suivante se propose de démontrer l’existence d’une de
ces incohérences textuelles: elle concerne l’emploi d’šθικì̋ dans la
Rhétorique. Lorsque cet adjectif qualifie la λèξι̋ des discours en Rhét.
III, 7 (1408 a 11, 1408 a 25) et III, 12 (1413 b 10), il revêt en ef-
fet un sens particulier, que l’on ne retrouve ni dans le reste de la
Rhétorique, ni dans les autres traités aristotéliciens. Afin de mener à
bien cette démonstration, il faudra dégager dans un premier temps
les différentes significations que possède cet adjectif dans les traités
d’Aristote, puis confronter les résultats de cette analyse au sens que
revêt šθικì̋ dans les trois passages de la Rhétorique cités plus haut.

1. L’adjectif šθικì̋ dans les traités aristotéliciens

L’ensemble du corpus aristotélicien compte 87 occurrences de


l’adjectif šθικì̋, dont les références et la répartition selon les traités
sont reportées dans le tableau présenté en annexe.2

Oxford University Press, Oxford, 1894; Catégories, texte établi et traduit par R. Bodéüs,
C. U. F., Paris, 2001; Poétique, texte, traduction et notes de J. Lallot et R. Dupont-Roc,
Collection Poétique, Editions du Seuil, Paris, 1980; Politica, W. D. Ross (ed.), Oxford
University Press, Oxford, 199212; Ars Rhetorica, R. Kassel (ed.), De Gruyter, 1976.
1
Cf. Ch. Rapp, Aristoteles Rhetorik, übers. und erl., in Aristoteles Werke in deutscher
Übersetzung, Band 4: Rhetorik, Akademie Verlag, Berlin, 1, 2002, p. 178–193, et J. M.
Rist, The Mind of Aristotle: a Study in Philosophical Growth, University of Toronto Press,
1989, p. 85–86 et 136–144.
2
Cf. aussi H. Bonitz, Index Aristotelicus, Berlin, 1870, réimpr. Graz, Akademischer
Druck und Verlagsanstalt, 1955, s.v. šθικì̋.
La λèξι̋ šθικ  dans la Rhétorique d’Aristote 3

1.1. šθικì̋ = ce qui est «relatif à l’ªθο̋»


L’adjectif šθικì̋ est généralement employé pour désigner «ce qui
concerne l’ªθο̋, ce qui est relatif à l’ªθο̋». Cette signification est de
loin majoritaire: elle concerne en effet plus de 77% des occurrences
d’šθικì̋ dans le corpus aristotélicien, et l’intégralité des occurrences
figurant dans les Éthiques (l’Éthique à Nicomaque, l’Éthique à Eudème, et
les Grands Livres d’Éthique) qui rassemblent à elles seules trois plus
de la moitié des emplois d’šθικì̋ chez Aristote.
L’étude qui suit va s’attacher à démontrer l’existence de ce
premier sens d’šθικì̋. Dans la mesure où la notion d’ªθο̋ est
impliquée dans cette signification, il est nécessaire de préciser le
sens et les valeurs de ce terme chez Aristote. L’ªθο̋ auquel renvoie
l’adjectif šθικì̋ désigne ainsi, dans un sens restreint, la qualité d’une
partie de l’âme humaine; dans un sens plus général et plus large, il
désigne la sphère dont relève cette qualité—problèmes, questions,
doctrines, etc.

1.1.a. Comment Aristote définit-il l’ªθο̋? Pour pouvoir être conve-


nablement cernée, cette notion nécessite un détour par l’analyse
de l’âme humaine et de ses divisions. L’ensemble des analyses qui
suivent s’appuient sur l’Éthique à Nicomaque (=EN), dont le contenu ne
diffère guère des autres traités éthiques aristotéliciens sur cette ques-
tion. Référence ne sera faite à l’Éthique à Eudème (=EE) que dans le cas
où celle-ci permet d’éclairer ou de compléter la doctrine développée
dans l’EN.
L’analyse de l’âme humaine et de ses divisions est amorcée dans
le chapitre 13 du livre I de l’EN. On peut distinguer dans l’âme deux
éléments, que la formulation du texte même empêche d’identifier
catégoriquement comme «parties» ou comme «facultés» (les formes

fa
ç
o
n
de neutre substantivé employées dans le passage laissent en effet en
suspens la question de savoir s’il s’agit de parties divisibles ou de
facultés logiquement séparables).3 L’un de ces éléments est en tout
cas dépourvu de raison (τä Šλογον), tandis que l’autre la possède
(τä δà λìγον êχον).4 Ces deux éléments sont à leur tour divisés
de la suivante: dans la partie irrationnelle, on distingue une
partie commune à tous les êtres vivants, cause de la nutrition et

3
Aristote emploie aussi le mot φÔσι̋ «nature» (I, 13, 1102 b 13) pour faire
référence à ces «parties».
4
EN, I, 13, 1102 a 28.
4 RHETORICA

de l’accroissement, appelée partie «végétative» ou «nutritive»,5 et


une partie «désirante», qui, tout en étant irrationnelle, participe à
la raison.6 Son existence est inférée, à titre de partie irrationnelle,
chez ceux qui sont continents et ceux qui ne le sont pas, à partir
du combat qu’elle mène contre la raison; à titre de participante à la
raison, chez ceux-là et davantage encore chez les tempérants et les
hommes courageux: là, par le triomphe de la raison, ici, par un accord
avec elle.7 Cette partie, irrationnelle par essence, participe au principe
raisonnable dans la mesure où elle l’écoute et lui obéit «comme on
obéit à son père».8 Ce double caractère de la partie désirante lui vaut
d’entrer dans une autre subdivision. La partie irrationnelle comprend
en effet cette partie «désirante»9 dont il a été dit qu’elle est à la fois
rationnelle et irrationnelle, et une partie purement rationnelle.
La distinction des parties de l’âme telle qu’elle vient d’être
brièvement exposée ne fait intervenir qu’indirectement la notion
d’ªθο̋, dans la mesure où Aristote indiquera plus loin que l’šθικ˜
‚ρετ  (vertu éthique) est la vertu de l’æρεκτικìν (désirant).10
L’EE en revanche propose une définition explicite de l’ªθο̋:
διä êστω 〈τä〉 ªθο̋ †τοÜτο†, ψυχ¨̋ κατ€ âπιτακτικäν λìγον 〈τοÜ ‚λìγου
µèν,〉 δυναµèνου δ' ‚κολουθεØν τÀú λìγωú ποιìτη̋.
EE, II, 2, 1220 b 5–7.
Supposons pour cette raison que le caractère est une qualité de la partie
irrationnelle de l’âme, capable néanmoins, selon la raison impérative,
de suivre la raison.

L’ªθο̋, ainsi défini comme la qualité de la partie irrationnelle de


l’âme capable de suivre la raison, intervient essentiellement dans les
Éthiques à travers la notion d’šθικ˜ ‚ρετ  (vertu éthique). Étant donné
que la partie végétative de l’âme n’est le siège d’aucune vertu, la
division des vertus humaines suit la division de l’âme rationnelle.
Il y a donc deux espèces de vertus: les ‚ρεταÈ διανοητικαÐ (vertus

5
Cette partie purement irrationnelle est tour à tour appelée dans l’EN τä θρεπ-
τικìν «le nutritif» (I, 13, 1102 b 11) et τä φυτικìν «le végétatif» (I, 13, 1102 b 29).

fa
ç
o
n
6
Cf. EN, I, 13, 1102 b 13–14: êοικε δà καÈ Šλλη τι̋ φÔσι̋ τ¨̋ ψυχ¨̋ Šλογο̋ εÚναι,
µετèχουσα µèντοι πηù λìγου «mais il semble qu’il y a dans l’âme une autre nature
irrationnelle, qui toutefois participe en quelque manière à la raison».
7
EN, I, 13, 1102 b 14–18 et 1102 b 26–28.
8
Cf. EN, I, 13, 1103 a 3: τä δ' ¹σπερ τοÜ πατρä̋ ‚κουστικìν τι.
9
Cette partie est appelée τä âπιθυµητικäν καÈ íλω̋ τä æρεκτικìν «appétitive ou,
d’une générale, désirante» (EN, I, 13, 1102 b 30).
10
EN, I, 13, 1103 a 10.
La λèξι̋ šθικ  dans la Rhétorique d’Aristote 5

dianoétiques) et les ‚ρεταÈ šθικαÐ (vertus éthiques). Ces dernières sont


définies comme vertus de l’ªθο̋:

ΣοφÐαν µàν καÈ σÔνεσιν καÈ φρìνησιν διανοητικˆ̋, âλευθεριìτητα δà καÈ


σωφροσÔνην šθικˆ̋. Λèγοντε̋ γ€ρ περÈ τοÜ ¢θου̋ οÎ λèγοµεν íτι σοφä̋
£ συνετä̋ ‚λλ' íτι προ̋ £ σ¸φρων.
EN, I, 13, 1103 a 4–8.
La sagesse, l’intelligence et la prudence sont dianoétiques, tandis que la
libéralité et la tempérance sont éthiques. En parlant en effet du caractère
de quelqu’un, on ne dit pas qu’il est sage ou intelligent, mais qu’il est
doux ou tempérant.

L’emploi de l’adjectif šθικì̋ peut être ici considéré comme le strict


équivalent sémantique du génitif complément du nom τοÜ ¢θου̋.
Si l’ªθο̋ est susceptible d’être qualifié par des adjectifs renvoyant
à la sphère morale, il faut néanmoins souligner que ces derniers ne
recouvrent pas nécessairement une détermination toujours positive.
Un passage de l’EE le démontre, qui propose deux qualifications
possibles de l’ªθο̋—l’une qui renvoie à une vertu (la justice), l’autre
à un vice (la témérité):
ΟÎ γ€ρ λèγοµεν ποØì̋ τι̋ τä ªθο̋, íτι σοφä̋ £ δεινì̋, ‚λλ' íτι προ̋ £
θρασÔ̋.
EE, II, 1, 1220 a 11–12.
Nous ne disons pas en effet, de quelqu’un qui est tel ou tel sur le plan du
caractère, qu’il est sage ou habile, mais qu’il est doux ou téméraire.

L’ensemble des passages cités permettent ainsi de dégager deux


significations propres au mot ªθο̋. Dans un sens globalisant, il
désigne la partie désirante de l’âme, qui est par essence irrationnelle,
mais qui participe à la raison dans la mesure où elle lui obéit; dans un
sens distributif, il renvoie à des dispositions distinctes que cette qua-
lité de la partie désirante de l’âme est susceptible de posséder, que ces
dispositions soient bonnes (ce sont alors des vertus) ou mauvaises
(il s’agit alors de vices).
D’après le tableau des occurrences d’šθικì̋ employées pour

fa
ç
o
n
désigner ce qui est «relatif à l’ªθο̋» et compte tenu des éléments
exposés précédemment, valables pour tous les traités éthiques aris-
totéliciens, le sens qui s’attache à šθικì̋ lorsqu’il qualifie les substan-
tifs ‚ρετ  (vertu) (et deux de ses espèces: âλευθεριìτη̋ et σωφροσÔνη)
et κακÐα (vice) apparaı̂t désormais avec évidence. L’éξι̋ šθικ  (disposi-
tion éthique) désigne à son tour la d’être habituelle de l’ªθο̋.
Si cette disposition constitue un juste milieu dans le domaine des ac-
6 RHETORICA

tions et des passions,11 elle renvoie alors à l’‚ρετ˜ šθικ  (vertu éthique),
telles que l’âλευθεριìτη̋ (libéralité) et la σωφροσÔνη (tempérance). Cette
vertu est distinguée de l’‚ρετ˜ διανοητικ  (vertu dianoétique ou intel-
lectuelle), dont les conditions d’acquisition sont différentes.12 Dans le
cas contraire, la disposition de l’ªθο̋ est vicieuse et l’on parle alors
de κακÐα (vice).
L’adjectif šθικì̋ qualifie également dans les Éthiques un type de
φιλÐα (amitié), ainsi que les φιλοÐ (amis) unis par ce lien d’amitié. L’ªθο̋
impliqué dans la désignation de cette φιλÐα renvoie au caractère
moral, considéré cette fois en un sens exclusivement favorable (c’est-
à-dire qu’il renvoie à l’‚ρετ˜ šθικ ) des amis. Opposée à l’amitié
fondée sur le χρησιµìν (utile) et sur l’™δÔ (agréable), la φιλÐα šθικ ,
qui est fondée sur l’‚γαθìν (bien), est celle des «hommes vertueux
et semblables selon la vertu (sc éthique). Ceux-ci souhaitent en effet
pareillement les biens les uns aux autres en tant qu’ils sont vertueux,
et ils sont vertueux en eux-mêmes».13
Pour les besoins des démonstrations ultérieures, il faut souligner
ici l’importance du lien qui unit, dans les Éthiques, la notion d’ªθο̋
à celle de προαÐρεσι̋ (choix préférentiel). Aristote définit l’‚ρετ˜ šθικ 
(vertu éthique) comme une éξι̋ προαιρετικ  (disposition capable de choix
préférentiel).14 Autrement dit, la vertu éthique est, pour emprunter les
mots de P. Aubenque:
une disposition qui exprime une décision dont nous sommes le principe,
qui engage notre liberté, notre responsabilité, notre mérite: l’adjectif

it fa
e
ç
o
προαιρετικì̋ désigne la différence spécifique qui sépare la vertu morale,

ç
o
n
qui nous est imputable, de la vertu naturelle, que nous n’avons aucun
mérite à posséder, parce qu’elle ne concerne pas notre proairesis.15

Par conséquent, la vertu éthique n’existe pleinement qu’à partir


du moment où elle r l’appui d’un élément rationnel, lequel
intervient à travers la προαÐρεσι̋. De plus générale, puisque
l’éξι̋ šθικ —disposition bonne ou mauvaise: en d’autres termes,
la vertu ou le vice—est ainsi définie comme éξι̋ προαιρετικ , la
qualité—bonne ou mauvaise—d’un ªθο̋ sera déduite de la qualité de
la προαÐρεσι̋ qui résume la disposition subjective de l’agent, plutôt
que la qualité des actes eux-mêmes produits par cet agent:

11
Cf. par exemple EN, II, 5, 1106 b 24–28.
12
EN, II, 1, 1103 a 15–17.
13
Cf. EN, VIII, 4, 1156 b 7–10: τÀν ‚γαθÀν . . . καÈ κατ' ‚ρετ˜ν åµοÐων; οÝτοι γ€ρ
τ‚γαθ€ åµοÐω̋ βοÔλονται ‚λλ λοι̋ ªù ‚γαθοÐ, ‚γαθοÈ δ' εÊσÈ καθ' αÍτοÔ̋.
14
EN, II, 6, 1106 b 36 et EE, II, 10, 1227 b 5–11.
15
P. Aubenque, La Prudence chez Aristote, Quadrige, P. U. F., Paris, 1963, p. 119–120.
La λèξι̋ šθικ  dans la Rhétorique d’Aristote 7

ΟÊκειìτατον γ€ρ εÚναι δοκεØ τ¨ù ‚ρετ¨ù καÈ µλλον τ€ ¢θη κρÐνειν τÀν
πρˆξεων.

fa
ç
o
n
EN, III, 4, 1111 b 5–6.16

[La notion de choix préférentiel] semble en effet très étroitement associée


à la vertu, et elle permet, mieux que les actes, de juger les caractères.

Celui qui accomplit un acte vertueux peut en effet agir d’une


involontaire, c’est-à-dire sous la contrainte, matérielle ou morale,
ou dans l’ignorance des circonstances particulières de l’action. Dans
ce cas, les actes accomplis ne peuvent pas révéler la disposition
subjective—l’ªθο̋—de l’agent.

1.1.b. L’ªθο̋ renvoyant plus généralement à l’objet étudié dans les

fa
ç
o
n
traités éthiques Aristote emploie également šθικì̋ pour qualifier plus
largement un certain type de traités, de questions, de problèmes ou
de discussions qui ont partie liée avec l’objet étudié dans les traités
que l’on appelle «éthiques». L’adjectif qualifie dans ce cas les sub-
stantifs θεωρÐα, πραγµατεÐα, λìγο̋ (pris dans son sens d’«argument»)
ou πρìτασει̋, mais on le trouve également employé de ab-
solue au neutre pluriel pour renvoyer à tout ce qui relève de la
problématique éthique, que ce soient les questions «éthiques», les
«exemples» tirés des Éthiques, ou encore les livres des Éthiques
eux-mêmes.
Il faut également ranger dans cette catégorie l’occurrence d’šθι-
κì̋ employée dans les Politiques avec un substantif désignant l’in-
strument musical qu’est l’αÎλì̋. Aristote détermine, dans le chapitre
6 du dernier livre des Politiques consacré à l’éducation des jeunes
gens par la musique, les types d’instruments qu’il faut employer. La
flûte doit, selon lui, être exclue:

16
Cf. aussi EE, II, 11, 1228 a 2–5: καÈ δι€ τοÜτο âκ τ¨̋ προαιρèσεω̋ κρÐνοµεν ποØì̋
τι̋; τοÜ δ' âστÈ τä τÐνο̋ éνεκα πρˆττει, ‚λλ' οÎ τÐ πρˆττει. ÃΟµοÐω̋ δà καÈ ™ κακÐα τÀν
âναντÐων éνεκα ποιεØ τ˜ν προαÐρεσιν «et c’est pour cette raison que nous jugeons que
quelqu’un est tel ou tel à partir de son choix préférentiel, car c’est là le ‘ce en vue de
quoi’ il agit, et non l’objet de son action. Semblablement, le vice aussi oriente le choix
préférentiel en vue des contraires», et EE, II, 11, 1228 a 11–15: ^Ετι πˆντα̋ âπαινοܵεν
καÈ ψèγοµεν εÊ̋ τ˜ν προαÐρεσιν βλèποντε̋ µλλον £ εÊ̋ τ€ êργα; καÐτοι αÉρετ¸τερον ™
âνèργεια τ¨̋ ‚ρετ¨̋, íτι πρˆττουσι µàν φαÜλα καÈ ‚ναγκαζìµενοι, προαιρεØται δ' οÎδεÐ̋
«en outre, nous louons et blâmons tous les hommes en portant notre regard sur leur
choix préférentiel plutôt que sur leurs actions—et ce, même si l’activité est préférable
à la vertu—parce qu’on accomplit des actes vils quand on y est forcé, et que personne
ne les choisit délibérément».
8 RHETORICA

^Ετι δà οÎκ êστιν å αÎλä̋ šθικìν ‚λλ€ µλλον æργιαστικìν, ¹στε πρä̋
τοÌ̋ τοιοÔτου̋ αÎτÀú καιροÌ̋ χρηστèον âν οÙ̋ ™ θεωρÐα κˆθαρσιν µλλον
δÔναται £ µˆθησιν.
Pol. VIII, 6, 1341 a 21–24.
En outre, la flûte n’est pas un élément éthique, mais bien plutôt [un
élément] orgiastique, si bien qu’il faut l’employer dans les occasions où
le spectacle a une fonction de purification plutôt que d’apprentissage.17

Ici, šθικì̋ renvoie à ce qui «est relatif à l’ªθο̋», l’ªθο̋ étant pris dans
un sens bien particulier qu’il s’agit de cerner.
Tout d’abord, la solution qui consisterait à reconnaı̂tre à cet
emploi d’šθικì̋ le sens de ce qui est «capable d’exprimer l’ªθο̋» est
oblitérée par le fait même qu’Aristote n’évoque nulle part l’idée que
l’αÎλì̋ (ou d’ailleurs tout autre instrument de musique) possède—
ou non–, à l’instar des mélodies et des harmonies, une propriété
mimétique.18
Selon une autre interprétation,19 on pourrait admettre qu’šθικì̋
désigne ici ce qui est «capable de susciter un ªθο̋». Cette signification
se tire en effet de l’opposition æργιαστικì̋ vs šθικì̋, où le premier
adjectif renvoie sans ambiguı̈té à la capacité de produire un état -
enthousiaste - chez le sujet qui écoute une musique exécutée sur une
flûte. On en déduit assez aisément qu’šθικì̋ revêt un sens parallèle:
à savoir, ce qui est «capable de produire l’ªθο̋» chez un individu
donné.
Dans cette hypothèse, Aristote contesterait alors l’idée que l’utili-
sation de la flûte contribue à produire un ªθο̋ particulier: c’est ce que
vient confirmer un passage ultérieur des Politiques où le philosophe
signale en effet que l’αÎλì̋ fut supprimée de l’éducation quand on
comprit que sa pratique ne tendait pas à la vertu (éthique):
‡Υστερον δ' ‚πεδοκ鵈σθη δι€ τ¨̋ πεÐρα̋ αÎτ¨̋, βèλτιον δυναµèνων κρÐνειν
τä πρä̋ ‚ρετ˜ν καÈ τä µ˜ πρä̋ ‚ρετ˜ν συντεØνον.
Pol. VIII, 6, 1341, a 37–39.
Mais plus tard, elle (sc la flûte) fut disqualifiée à cause de l’expérience
qu’on en (sc l’art de la flûte)20 avait, quand on fut mieux capable de juger
ce qui incitait à la vertu et ce qui n’incitait pas à la vertu.21

17
Pol. VIII, 6, 1341 a 21–24. Pellegrin modifiée (Aristote, Les Politiques, traduction
et présentation par P. Pellegrin, GF Flammarion, Paris, 1990, 19932 ).
18
Cf. infra: les Politiques.
19
Sur cette hypothèse, cf. aussi infra.
20
Cf. Pol. VIII, 6, 1341 a 32: ™ αÎλητικ .
21
Pol. VIII, 6, 1341, a 37–39. Trad. Pellegrin modifiée.
La λèξι̋ šθικ  dans la Rhétorique d’Aristote 9

Mais si cette signification d’šθικì̋ comme ce qui est «capable


de produire, de susciter un ªθο̋» semble cohérente avec les démon-
strations d’Aristote dans le dernier livre des Politiques,22 elle est trop
peu attestée dans le corpus aristotélicien pour pouvoir être acceptée
sans condition, d’autant plus qu’il existe une autre solution plus
confortable, qui reconnaı̂t à šθικì̋ le sens de ce qui est «relatif à
l’ªθο̋».
Cette dernière interprétation, selon laquelle šθικì̋ désigne ce qui
est «relatif à l’ªθο̋», suppose que l’on reconnaisse au terme ªθο̋ un
sens plus large que celui qui a été précédemment mis en valeur. Pour
conserver un sens acceptable, il faut ainsi admettre qu’ªθο̋ renvoie
ici à la sphère des questions qui concernent cette qualité de l’âme
humaine, et plus précisément, la question de l’éducation. Ainsi le
sens de la phrase citée plus haut se laisse reconstruire de la manière
suivante: «en outre, la flûte n’est pas un élément relatif à la sphère
propre à l’ªθο̋ (i.e.: la question de l’éducation) mais bien plutôt [un
élément] orgiastique».

1.2. šθικì̋ = ce qui est «capable d’exprimer l’ªθο̋»


Comme l’indique le tableau présenté en annexe, l’adjectif šθικì̋
peut également recouvrir un autre sens, moins répandu puisqu’il
concerne moins d’un quart des occurrences. Il désigne alors la capa-
cité à exprimer l’ªθο̋, en vertu du sens particulier des adjectifs grecs
en -ικì̋ qui soulignent l’aptitude, comme l’indique P. Chantraine
dans La Formation des Noms en Grec Ancien:

Dans le vocabulaire des sophistes, ils (sc les adjectifs en -ικì̋) ont égale-
ment servi pour désigner les aptitudes ou les capacités d’une personne
(. . .) L’emploi de l’adjectif en -ικì̋ (. . .) apparaı̂t très souple: αÎξητικì̋
chez Aristote et dans la prose scientifique signifie ‘apte à s’accroı̂tre’ et
‘qui fait croı̂tre’; κινητικì̋ ‘qui met en mouvement’ (Xénophon, etc) et
‘qui peut se mouvoir’ (Plutarque); λυπητικì̋ ‘qui afflige’ ou ‘qui s’afflige’

fa
ç
o
n
(κοιν ); Íπνωτικì̋ chez Aristote ‘somnolent’, ‘soporifère’, etc.23

22
C’est d’ailleurs l’interprétation de P. Pellegrin, qui, traduisant le passage
concerné de la suivante: «de plus, la flûte n’a pas un effet éthique mais
plutôt orgiastique», joint cette annotation: «la flûte ne provoque pas de disposi-
tions éthiquement bonnes (courage, maı̂trise de soi. . .), mais aide à provoquer des
états d’enthousiasme et de transe, par exemple, dans les Mystères» (19932 , p. 538).
23
P. Chantraine, La Formation des Noms en Grec Ancien, Klincksieck, Paris, 1933,
réimpr. Honoré Champion, Paris, 1979, § 322, p. 391 et 392.
10 RHETORICA

Les occurrences d’šθικì̋ qui possèdent cette signification sont em-


ployées dans la Poétique et dans la Rhétorique. L’analyse qui suit va
tenter de préciser, pour chacun de ces trois traités, la nature de l’ªθο̋
ainsi exprimé.

1.2.a. La Poétique La Poétique compte cinq occurrences de l’adjectif


šθικì̋ désignant la capacité d’exprimer l’ªθο̋.
L’adjectif šθικì̋ est premièrement employé pour qualifier les
û σει̋ (tirades). L’expression û σει̋ šθικαÐ (tirades éthiques) apparaı̂t
en effet dans le chapitre 6 de la Poétique, où Aristote définit la tragédie
et ses six parties. La première d’entre elles et la plus importante—
le philosophe va même jusqu’à la qualifier de ψυχ˜ τ¨̋ τραγωúδÐα̋
(l’âme de la tragédie)24 —est le µÜθο̋ (histoire), dont la prépondérance
sur cette autre partie que sont les ¢θη est démontrée à travers une
série d’arguments.
Après avoir exposé les deux premiers arguments (1°: le but visé
par la tragédie est la représentation d’action, et non la représentation
d’hommes, en tant qu’êtres qualifiés du point de vue du caractère;
par conséquent, l’action prime sur les caractères;25 2°: les caractères
ne sont pas nécessaires à la tragédie: sans action, il ne peut y avoir
de tragédie, tandis qu’il pourrait y en avoir sans caractères),26 Aris-
tote explique que les caractères ne constituent pas une condition
suffisante pour qu’il y ait tragédie:
^Ετι âˆν τι̋ âφεξ¨̋ θ¨ù û σει̋ šθικ€̋ καÈ λèξει καÈ διανοÐαø εÞ πεποιηµèνα̋,
οÎ ποι σει ç ªν τ¨̋ τραγωúδÐα êργον, ‚λλ€ πολÌ µ€λλον £ καταδεεστèροι̋
τοÔτοι̋ κεχρηµèνη τραγωúδÐα, êχουσα δà µÜθον καÈ σÔστασιν πρα㵈των.
Poét. 6, 1450 a 29–33.
En outre, si l’on dispose à la suite des tirades éthiques, bien réussies dans
l’expression et la pensée, on ne réalisera pas ce qui est l’effet propre de la
tragédie, au contraire de la tragédie qui se montrerait inférieure sur ces
points mais qui comporterait une histoire et un système de faits.27

L’ªθο̋ que les tirades sont capables d’exprimer et dont Aristote


réfute ici la valeur nécessaire ne renvoie pas au caractère d’un per-
sonnage que ses actions permettent de qualifier. En ce cas, il y aurait
en effet contradiction avec les propos antérieurs du philosophe, qui

24
Poét. 6, 1450 a 39.
25
Poét. 6, 1450 a 15–23.
26
Poét. 6, 1450 a 23–29.
27
Trad. J. Lallot, R. Dupont-Roc modifiée.
fa
ç
o
n
La λèξι̋ šθικ  dans la Rhétorique d’Aristote 11

déclarait que les personnages de la tragédie sont nécessairement qua-


lifiés dans l’ordre du caractère.28 Au contraire, l’ªθο̋ dont il s’agit ici
renvoie au caractère que représente directement une tirade travaillée
pour elle-même. Cette de mettre en œuvre de l’ªθο̋ n’a rien
d’indispensable à la tragédie; il existe d’ailleurs des tragédies qui
n’ont pas recours à de telles représentations éthiques: ce sont les
tragédies ‚ θει̋ (dépourvues de caractère), dont les personnages de-
meurent néanmoins qualifiés, mais uniquement par l’intermédiaire
de leurs actions.29
Si l’on se reporte maintenant à la définition qu’Aristote livre
de l’ªθο̋ dans ce même chapitre 6, force est de reconnaı̂tre qu’elle
manifeste une profonde cohérence avec les Éthiques.30 La Poétique
établit en effet un lien étroit entre ªθο̋ et προαÐρεσι̋ (choix préférentiel),
puisqu’il y a ªθο̋, dit Aristote, lorsque les propos de celui qui parle
rendent manifeste sa προαÐρεσι̋:
^Εστιν δà ªθο̋ µàν τä τοιοÜτον ç δηλοØ τ˜ν προαÐρεσιν, åποÐα τι̋; διìπερ
οÎκ êχουσιν ªθο̋ τÀν λìγων âν οÙ̋ µηδ' íλω̋ êστιν í τι προαιρεØται £
φεÔγει å λèγων.
Poét. 6, 1450 b 8–10.
Le caractère, c’est ce qui est tel qu’il manifeste la qualité du choix
préférentiel; c’est pourquoi ne possèdent pas de caractère ceux des
discours qui ne mentionnent absolument pas ce que choisit ou évite
celui qui parle.

Outre les û σει̋, l’adjectif šθικì̋ qualifie également dans la


Poétique la τραγωúδÐα (tragédie). Dans le chapitre 18, Aristote distingue
quatre espèces de tragédies:
™ µàν πεπλεγµèνη, ©̋ τä íλον âστÈν περιπèτεια καÈ ‚ναγν¸ρισι̋, ™ δà
παθητικ , οÙον οÑ τε ΑÒαντε̋ καÈ οÉ ÇΙξÐονε̋, ™ δà šθικ , οÙον αÉ Φθι¸τιδε̋
καÈ å ΠηλεÔ̋; τä δà τèταρτον îψι̋, οÙον αÑ τε ΦορκÐδε̋ καÈ å ΠροµηθεÌ̋
καÈ íσα âν ‰øδου.
Poét. 18, 1455 b 33 - 1456 a 3

28
Poét. 6, 1449 b 36–38: âπεÈ δà πρˆξε¸̋ âστι µÐµησι̋, πρˆττεται δà Íπì τινων
πραττìντων, οÏ̋ ‚νˆγκη ποιοÔ̋ τινα̋ εÚναι κατˆ τε τä ªθο̋ καÈ τ˜ν διˆνοιαν . . . «puis-
qu’elle (sc la tragédie) est une représentation d’action et que les agents en sont des
personnages en action qui doivent nécessairement avoir des qualités dans l’ordre du
caractère et de la pensée. . .». Trad. J. Lallot, R. Dupont-Roc.
29
Poét. 6, 1450 a 25.
30
La Poétique livre une première définition des caractères, sur laquelle nous ne
nous attarderons pas. Cf. Poét. 6, 1450 a 5–6: τ€ δà ¢θη, καθ' ç ποιοÔ̋ τινα̋ εÒποµεν τοÌ̋
πρˆττοντα̋ «[j’appelle] les caractères ce qui nous permet de qualifier les personnages
en action».
12 RHETORICA

La [tragédie] complexe, tout entière constituée du coup de théâtre et


de la reconnaissance, la pathétique, comme les Ajax ou les Ixion, la
tragédie éthique, comme les Femmes de Phthie et Pélée; la quatrième
espèce, c’est le spectacle, par exemple les Phorcides, Prométhée et tout
ce qui se déroule dans l’Hadès.31

Aucune définition ne vient éclairer le type «éthique» de tragédie, hor-


mis le fait qu’Aristote assimile curieusement le nombre des espèces
de tragédies, qui sont quatre, au nombre de ses parties qui ont été
énumérées dans le chapitre 6 de la Poétique, et qui sont au nombre
de six.32 Quelles que soient les différentes tentatives que l’on peut
déployer pour faire coı̈ncider le nombre des espèces de tragédies
au nombre des parties de la tragédie—les interprétations que l’on
peut proposer supposent qu’on se résigne à admettre l’existence
persistante de contradictions internes dans le texte d’Aristote33 —la
seule correspondance évidente est celle qui s’établit entre les ¢θη et la
tragédie «éthique».
Dans ces conditions, est définie comme «éthique» la tragédie qui
prête une attention particulière à l’ªθο̋, défini comme la partie qui
découle de l’action à laquelle cet ªθο̋ est subordonné.
Lorsqu’šθικì̋ qualifie une espèce d’âποποιÐα (épopée), il conserve
le sens qu’il recouvre dans la définition de la tragédie éthique. En
effet:

^Ετι δà τ€ εÒδη ταÎτ€ δεØ êχειν τ˜ν âποποιÐαν τ¨ù τραγωúδÐαø, £ γ€ρ πλ¨ν
£ πεπλεγµèνην £ šθικ˜ν £ παθητικ ν;
Poét. 24, 1459 b 8–10.
En outre, l’épopée doit comporter les mêmes espèces que la tragédie:
elle peut être simple, complexe, éthique ou pathétique;

Il conserve également cette signification lorsqu’il est employé pour


caractériser une épopée particulière: l’Odyssée.34
La même conclusion peut être tirée à propos du dernier emploi
d’šθικì̋, situé à la fin du chapitre 24 de la Poétique, où Aristote
conseille de donner toute son attention au style dans certaines parties
seulement de l’épopée:

31
Trad. J. Lallot, R. Dupont-Roc modifiée.
32
Cf. Poét. 18, 1455 b 32–33: Τραγωúδ Ðα̋ δà εÒδη εÊσÈ τèσσαρα (τοσαÜτα γ€ρ καÈ τ€
µèρη âλèχθη) «il y a quatre espèces de tragédies (c’est aussi le nombre des parties dont
nous avons traité)». Trad. J. Lallot, R. Dupont-Roc.
33
Cf. J. Lallot et R. Dupont-Roc, Aristote, Poétique, Collection Poétique, Éditions
du Seuil, Paris, 1980, p. 292–298.
34
Cf. Poét. 24, 1459 b 15–16: ™ δà ÇΟδÔσσεια (. . . ) šθικ  «l’Odyssée (. . .) est éthique».
La λèξι̋ šθικ  dans la Rhétorique d’Aristote 13

Τ¨ù δà λèξει δεØ διαπονεØν âν τοØ̋ ‚ργοØ̋ µèρεσιν καÈ µ τε šθικοØ̋ µ τε
διανοητικοØ̋; ‚ποκρÔπτει γ€ρ πˆλιν ™ λÐαν λαµπρ€ λèξι̋ τˆ τε ¢θη καÈ τ€̋
διανοÐα̋.
Poét. 24, 1460 b 2–5.
Il faut travailler le style dans les parties sans action, celles qui ne sont ni
éthiques, ni pathétiques; car inversement, un style trop brillant détourne
l’attention des caractères et de la pensée.35

Dans la mesure où l’épopée comporte les mêmes parties que la


tragédie (à l’exception du chant et du spectacle),36 l’šθικäν µèρο̋
fait sans ambiguı̈té référence à l’une des parties de l’épopée qui est,
comme dans le cas de la tragédie, désignée par le terme ªθο̋.
L’ªθο̋ impliqué dans les emplois de l’adjectif šθικì̋ de la Poétique
renvoie donc à cette partie de la tragédie ou de l’épopée qu’est le
«caractère». Bien que ce caractère demeure toujours subordonné au
µÜθο̋ représenté, il peut faire l’objet d’une attention particulière dans
les tragédies et les épopées dites «éthiques».

1.2.b. Les Politiques Dans les Politiques, toutes les occurrences


de l’adjectif šθικì̋ renvoyant à la capacité d’exprimer l’ªθο̋ sont
rassemblées dans le livre VIII, consacré à l’éducation des jeunes gens
par la musique.
L’adjectif est premièrement employé aux côtés des substantifs
γραφεÔ̋ (peintre) et ‚γαλµατοποιì̋ (sculpteur). Aristote enjoint de
faire contempler à la jeunesse des représentations visuelles d’¢θη qui
soient bons, comme ceux que l’on trouve par exemple dans l’œuvre
du peintre Polygnote:
δεØ µ˜ τ€ ΠαÔσωνο̋ θεωρεØν τοÌ̋ νèου̋, ‚λλ€ τ€ Πολυγν¸του κ“ν εÒ τι̋
Šλλο̋ τÀν γραφèων £ τÀν ‚γαλµατοποιÀν âστιν šθικì̋.
Pol. VIII, 5, 1340 a 36–38.
il faut que les jeunes gens contemplent non pas les œuvres de Pauson,
mais celles de Polygnote ou de tout autre peintre et sculpteur qui serait
éthique.

Qualifier ainsi d’«éthiques» ces deux genres d’artisans signifie qu’ils


représentent, dans les objets qu’ils réalisent, des ¢θη. Le terme ªθο̋
dont on avait souligné précédemment la neutralité axiologique37
est employé ici en un sens favorable: loin de renvoyer à toutes les

35
Trad. J. Lallot, R. Dupont-Roc modifiée.
36
Poét. 24, 1459 b 8–12.
37
Cf. supra, p. 3.
14 RHETORICA

qualifications (vertueuses et vicieuses) que pourrait recevoir la partie


désirante de l’âme, il ne désigne que les qualifications vertueuses.
Cette valeur se tire tout d’abord se tire tout d’abord de l’idée générale
qu’Aristote formule dans ce passage.
D’après lui, la jeunesse doit être habituée à éprouver du plaisir
dans les représentations de beaux ¢θη—entendus, conformément aux
Éthiques, comme des dispositions (bonnes) que la qualité de la partie
désirante de l’âme est susceptible de posséder—car c’est à cette
condition que la vertu éthique, véhiculée par ces représentations,
apparaı̂tra aimable aux jeunes gens et les conduira insensiblement
à la vertu.
Le deuxième indice qui permet de déduire le sens que revêt
ici šθικì̋ se tire d’un passage de la Poétique qui mentionne déjà
Polygnote, et dans lequel Aristote expose le deuxième argument en
faveur de la prédominance du µÜθο̋ sur les ¢θη:
^Ετι Šνευ µàν πρˆξεω̋ οÎκ “ν γèνοιτο τραγωúδÐα, Šνευ δà šθÀν γèνοιτ' Šν;
αÉ γ€ρ τÀν νèων τÀν πλεÐστων ‚ θει̋ τραγωúδÐαι εÊσÐν, καÈ íλω̋ ποιηταÈ
πολλοÈ τοιοÜτοι, οÙον καÈ τÀν γραφèων ΖεÜξι̋ πρä̋ ΠολÔγνωτον πèπονθεν;
å µàν γ€ρ ΠολÔγνωτο̋ ‚γαθä̋ šθογρˆφο̋, ™ δà ΖεÔξιδο̋ γραφ˜ οÎδàν
êχει ªθο̋.
Poét. 6, 145 a 23–29
En outre, sans action il ne saurait y avoir de tragédie, tandis qu’il
pourrait y en avoir sans caractères: de fait, les tragédies de la plupart
des modernes sont dépourvues de caractères, et en général, beaucoup
de poètes font ainsi; de même, parmi les peintres, c’est le cas de Zeuxis,
comparé à Polygnote. Car si Polygnote est un bon peintre de caractères,
la peinture de Zeuxis ne contient aucun caractère.38

L’emploi, ici, d’šθογρˆφο̋ pour qualifier Polygnote indique bien


que l’adjectif šθικì̋, lorsqu’il est employé dans les Politiques pour ca-
ractériser le peintre, renvoie à la capacité de représenter des caractères
(qui, dans la question de l’éducation des jeunes gens, renvoient ex-
clusivement aux caractères moralement bons).
L’adjectif šθικì̋ recouvre cette même signification lorsqu’il
qualifie le µèλο̋ (mélodie)39 et l’ρµονÐα (harmonie),40 qui désignent

38
Cf. supra.Trad. J. Lallot, R. Dupont-Roc modifiée.
39
Pol. VIII, 7, 1341 b 34 et 1342 a 28.
40
Pol. VIII, 7, 1342 a 3. Le terme d’ρµονÐα que nous traduisons ici par «harmo-
nie» recouvre en réalité plusieurs sens: «(1) c’est un type d’échelonnement de sons
organisés dans le cadre d’un ‘système’ (par exemple, l’octave): il se traduit alors par
‘échelle’; (2) c’est une échelle musicale d’une certaine teinture, il se traduit alors par
La λèξι̋ šθικ  dans la Rhétorique d’Aristote 15

deux des trois éléments—avec le ûυθµì̋ (rythme)—constitutifs de la


musique.
Dans le chapitre 5, Aristote a montré que la musique possédait
une valeur éducative, non seulement parce qu’elle produit un effet
sur l’ªθο̋ de l’âme,41 mais aussi parce qu’elle possède des rythmes
et des mélodies imitatifs:

^Εστι δà åµοι¸µατα µˆλιστα παρ€ τ€̋ ‚ληθιν€̋ φÔσει̋ âν τοØ̋ ûυθµοØ̋ καÈ
τοØ̋ µèλεσιν æργ¨̋ καÈ πραìτητο̋, êτι δ' ‚νδρεÐα̋ καÈ σωφροσÔνη̋ καÈ
πˆντων τÀν âναντÐων τοÔτοι̋ καÈ τÀν Šλλων šθÀν.
Pol. VIII, 5, 1340 a 18–21.
Et il y a, surtout dans les rythmes et les mélodies, des ressemblances,
très proches de la nature véritable, de la colère, de la douceur, mais aussi
du courage et de la tempérance ainsi que de tous leurs contraires et des
autres caractères.

Si les rythmes et les mélodies possèdent ainsi la propriété d’imiter


les ¢θη—c’est-à-dire des traits de caractère qui sont autant de dispo-
sitions éthiques, vertueuses ou vicieuses–, ils ne sont pas pour autant
de simples µιµ µατα (représentations). Aristote indique en effet que la
musique est une µÐµησι̋ (représentation) qui se distingue radicalement
de la µÐµησι̋ à l’œuvre dans les autres arts, puisqu’elle a le privilège
de représenter directement les ¢θη, là où la peinture et la sculpture,
par exemple, représentent bien plutôt des signes de ces ¢θη.42

‘harmonie’. Mais ce mot n’a pas le sens moderne d’accord de deux ou plusieurs notes
émises simultanément; (3) opposé à rythmos, il désigne l’ensemble des sons musicaux,
distingués des simples bruits» (P. Pellegrin, 19932 , p. 534, note 24).
41
Pol. VIII, 5, 1340 a 8–12.
42
Cf. Pol. VIII, 5, 1340 a 32–34: ^Ετι δà οÎκ êστι ταÜτα åµοι¸µατα τÀν šθÀν,
‚λλ€ σηµεØα µλλον τ€ γιγνìµενα σχ µατα χρ¸µατα τÀν šθÀν «en outre, ceux-ci
(sc les objets visibles que produisent par imitation la peinture et la sculpture) ne
sont pas des ressemblances des caractères, mais les figures et les couleurs produites
sont bien plutôt des signes des caractères». La spécificité de cette µÐµησι̋ musicale,
exprimée par le grec åµοÐωµα, est ainsi caractérisée par J. Pépin, 1985, p. 28 (qui
traduit åµοÐωµα par «correspondance» ): «les formes produites par les plasticiens ne
sont pas des åµοι¸µατα, elles n’ont rien qui corresponde vraiment aux dispositions
morales; mais celles-ci sont signalées à l’extérieur par les formes et couleurs qui
se produisent naturellement sur le corps. (. . .) Ainsi, par le truchement des signes
naturels, sculpteurs et peintres finiront par imiter indirectement les sentiments, sans
toutefois parvenir à en réaliser des åµοι¸µατα. Il en va tout autrement de la musique,
dont on a vu qu’elle imite directement les dispositions morales et que (de ce fait, peut-
on penser) elle en offre, elle, des åµοι¸µατα. C’est à établir cette différence qu’Aristote
voulait en venir dans cette apparente digression sur les arts visuels, ainsi d’ailleurs
que l’ont généralement compris les interprètes modernes. On y trouvera confirmation
de ce que la notion d’ åµοÐωµα n’est pas partout réductible à celle d’image; car, bien
16 RHETORICA

Une fois établie la propriété mimétique des mélodies et des


rythmes musicaux, Aristote procède dans le dernier chapitre des
Politiques à l’examen de ces éléments afin de distinguer ceux qui
conviennent à l’éducation des jeunes gens. Il divise d’abord les
mélodies en šθικˆ (éthiques), πρακτικˆ (pratiques) et âνθουσιαστικˆ
(enthousiasmantes).43
Une première interprétation consiste ici à déduire le sens d’šθικì̋
de la signification que recouvrent les deux autres adjectifs πρακ-
τικì̋ et âνθουσιαστικì̋. Puisque les mélodies «pratiques» et les
mélodies «enthousiasmantes» sont ainsi qualifiées en fonction de
l’action qu’elles produisent chez ceux qui les écoutent - la mélodie
pratique poussant à l’action, et la mélodie enthousiasmante mettant
le sujet dans un état de transe -, la mélodie «éthique» sera celle qui
suscitera l’apparition d’un ªθο̋ (vertueux). Telle est l’interprétation
défendue par P. Pellegrin:44
Une mélodie éthique aide à ou provoque la formation d’états habituels
qui sont la matière éthique même de l’individu; une mélodie active
(littéralement «pratique» ) pousse à l’action; une mélodie enthousias-
mante, en mettant le sujet dans un état de transe, facilite son éventuelle
possession par un dieu ou un «démon».

Si cette interprétation d’šθικì̋ comme ce qui est «capable d’inspirer,


de produire un ªθο̋» semble être valide, elle souffre néanmoins
d’une faiblesse: elle est totalement inédite dans la production aris-
totélicienne, et constitue pour un ainsi dire un hapax sémantique.
Une autre solution plus appréciable, puisqu’elle défend une
signification bien attestée d’ šθικì̋, semble être celle qui consiste à
reconnaı̂tre à cet adjectif le sens de ce qui est «capable d’exprimer un
ªθο̋». Dans le cas de la musique, et en vertu du caractère mimétique
particulier qui lui a été reconnu,45 il faudrait, plus que de «capacité à
exprimer l’ªθο̋», parler de «capacité à représenter directement l’ªθο̋,
à ressembler à l’ªθο̋».

que relayée, l’imitation des sentiments par le peintre ou le sculpteur n’est nullement
dénuée de valeur d’illustration; ce n’est d’ailleurs pas ce qu’Aristote lui reproche,
mais bien de ne pouvoir agir sur les dispositions morales, alors que le musicien le
peut, précisément en raison de cette correspondance privilégiée, qu’il exploite plus
qu’il ne la produit, et qui s’exprime par le nom d’åµοÐωµα». (cf. J. Pépin, «ΣΥΜΒΟΛΑ,
ΣΗΜΕΙΑ, ÃΟΜΟΙΩΜΑΤΑ. À propos de De Interpretatione 1, 16 a 3–8 et Politique VIII,
5, 1340 a 6–39», p. 28, in: Aristoteles Werk und Wirkung. I. Band, Aristoteles und seine
Schule, J. Wiesner (ed.), De Gruyter, Berlin, New-York, 1985, p. 22–44).
43
Pol. VIII, 7, 1341 b 34.
44
P. Pellegrin, 19932 , p. 542, note 4.
45
Cf. supra.
La λèξι̋ šθικ  dans la Rhétorique d’Aristote 17

Appliqué aux mélodies comme aux harmonies, l’adjectif šθικì̋


qualifie en particulier l’harmonie dorienne:
Πρä̋ δà παιδεÐαν, ¹σπερ εÒρηται, τοØ̋ šθικοØ̋ τÀν µελÀν χρηστèον καÈ ταØ̋
ρµονÐαι̋ ταØ̋ τοιαÔται̋. ΤοιαÔτη δ' ™ δωριστÐ, καθˆπερ εÒποµεν πρìτερον;
Pol. VIII, 7, 1342 a 28–30.
Pour ce qui concerne l’éducation, comme il a été dit, il faut employer,
parmi les mélodies, celles qui sont éthiques et les harmonies de même
sorte. Or telle est la dorienne, comme nous l’avons dit auparavant.

Cette propriété «éthique» du dorien est explicitée quelques lignes


plus loin:
ΠερÈ δà τ¨̋ δωριστÈ πˆντε̋ åµολογοÜσιν ±̋ στασιµωτˆτη̋ οÖση̋ καÈ
µˆλιστα ªθο̋ âχοÔση̋ ‚νδρεØον. ^Ετι δà âπεÈ τä µèσον µàν τÀν Íπερβìλων
âπαινοܵεν καÈ χρ¨ναι δι¸κειν φαµèν, ™ δà δωριστÈ ταÔτην êχει τ˜ν φÔσιν
πρä̋ τ€̋ Šλλα̋ ρµονÐα̋. Φανερäν íτι τ€ ∆¸ρια µèλη πρèπει παιδεÔεσθαι
µλλον τοØ̋ νεωτèροι̋.
Pol. VIII, 7, 1342 b 12–17.
À propos du dorien, tous s’accordent à dire qu’il est le plus régulier

it
et qu’il possède au plus haut point un caractère courageux. De plus,

e
ç
o
puisque nous louons le milieu entre les excès, et que nous affirmons
qu’il faut le poursuivre, et que le dorien, comparé aux autres harmo-
nies, possède cette nature, il est évident que les mélodies doriennes
conviennent davantage à l’éducation des jeunes gens.46

i
e
ç
o
D’après ce passage, le dorien est une harmonie qui r la qualifica-
tion d’«éthique» en vertu de son ªθο̋ ‚νδρεØον.47 En d’autres termes,
il ressemble au caractère courageux, c’est-à-dire qu’il reproduit di-
rectement, selon le mode particulier de la représentation musicale,
cette vertu éthique.
Plus généralement, lorsque les mélodies ou les harmonies r
vent la qualification d’«éthiques», cela signifie qu’elles sont autant
d’åµοι¸µατα (ressemblances) d’¢θη—qualifiés positivement.

1.2.c. La Rhétorique La Rhétorique compte onze occurrences d’šθι-


κì̋ renvoyant, comme dans les Politiques et la Poétique, à ce qui est

46
Trad. P. Pellegrin modifiée.
47
La même remarque peut être formulée à propos des rythmes «éthiques». Cf.
Pol. VIII, 5, 1340 b 8–10: οÉ µàν γ€ρ ªθο̋ êχουσι στασιµ¸τερον οÉ δà κινητικìν, καÈ τοÔτων
οÉ µàν φορτικωτèρα̋ êχουσι τ€̋ κιν σει̋ οÉ δà âλευθεριωτèρα̋ «certains [rythmes] ont
un caractère plus régulier, d’autres, un [caractère] vif, les uns avec des mouvements
plus grossiers, les autres [avec des mouvements] plus dignes d’hommes libres». Trad.
P. Pellegrin.
18 RHETORICA

«capable d’exprimer l’ªθο̋». D’après le tableau présenté en annexe,


seules trois d’entre elles figurent dans le traité du style et qualifie
la λèξι̋ (Rhét. III, 1–12): elle seront analysées plus loin. Les autres
figurent dans les livres I-II, et dans le traité sur la τˆξι̋ (composition)
des discours, qui forme la seconde partie du livre III (chap. 13–19).
L’ªθο̋ impliqué dans l’emploi de l’adjectif šθικì̋ renvoie à deux
réalités différentes. Dans six cas, il désigne l’ªθο̋ de l’orateur, envi-
sagé comme moyen de persuasion technique (que nous appellerons
èthos), tandis que deux occurrences seulement, figurant dans un pas-
sage consacré à la narration des discours judiciaires, renvoient au
caractère réel d’une personne différente de l’orateur.
(1) L’ªθο̋ renvoyant à la πÐστι̋ âν τÀú ¢θει τοÜ λèγοντο̋ (= èthos)
Six occurrences d’šθικì̋ dans la Rhétorique désignent la capacité
d’exprimer l’ªθο̋ de l’orateur ou, plus exactement, ce qu’Aristote
désigne sous l’expression πÐστι̋ âν τÀú ¢θει τοÜ λèγοντο̋ (moyen de
persuasion résidant dans le caractère de celui qui parle) et qui renvoie
à l’un des trois moyens de persuasion techniques définis dans la
Rhétorique.48 Pour plus de commodité et afin de la distinguer du
mot grec ªθο̋, cette πÐστι̋ sera désormais désignée par le terme
translittéré èthos.
Qu’est-ce que l’èthos?49 Avant de considérer chacun de ces occur-
rences, il est nécessaire d’opérer un bref détour par la définition de
l’èthos, telle que la livre Aristote:
∆ι€ µàν οÞν τοÜ ¢θου̋, íταν οÕτω λεχθ¨ù å λìγο̋ ¹στε ‚ξιìπιστον
ποι¨σαι τäν λèγοντα; τοØ̋ γ€ρ âπιεικèσι πιστεÔοµεν µλλον καÈ θττον,
περÈ πˆντων µàν πλÀ̋, âν οÙ̋ δà τä ‚κριβà̋ µ  âστιν ‚λλ€ τä ‚µφιδοξεØν,
καÈ παντελÀ̋. ∆εØ δà καÈ τοÜτο συµβαÐνειν δι€ τοÜ λìγου, ‚λλ€ µ˜ δι€
τä προδεδοξˆσθαι ποιìν τινα εÚναι τäν λèγοντα.
Rhét. I, 2, 1356 a 5–13.

fa
ç
o
n
,
48
Cf. Rhét. 2, 1356 a 1–4: αÉ µàν γˆρ εÊσιν âν τÀú ¢θει τοÜ λèγοντο̋, αÉ δà âν τÀú τäν
‚κροατ˜ν διαθεØναÐ πω̋, αÉ δà âν αÎτÀú τÀú λìγωú, δι€ τοÜ δεικνÔναι £ φαÐνεσθαι δεικνÔναι
«(sc parmi les moyens de persuasion techniques), les uns résident en effet dans le
caractère de celui qui parle, les autres dans le fait de disposer l’auditeur de telle ou
telle les autres dans le discours lui-même, par le fait qu’il démontre ou paraı̂t
démontrer».
49
Sur cette question, nous renvoyons entre autresà: W. W. Fortenbaugh, «Per-
suasion through Character and the Composition of Aristotle’s Rhetoric», Rheinisches
Museum, 134, 1991, p. 152–156; W. W. Fortenbaugh, «Aristotle’s on Persuasion through
Character», Rhetorica, 10, 1992, p. 207–244; W. W. Fortenbaugh, «Aristotle’s Accounts
of Persuasion through Character», in: Theory, Text, Context Issues in Greek Rhetoric
and Oratory, Ch. L. Johnstone (ed.), State University of New-York Press, 1996, p.
147–168; W. W. Fortenbaugh, «On the Composition of Aristotle’s Rhetoric: Arguing
La λèξι̋ šθικ  dans la Rhétorique d’Aristote 19

[Il y a persuasion] par le caractère, quand le discours est fait de telle sorte
qu’il rend celui qui parle digne de foi. Car nous faisons confiance plus
volontiers et plus rapidement aux gens honnêtes, sur tous les sujets en
général, et même totalement sur les sujets qui n’autorisent pas un savoir
exact et laissent quelque place au doute; il faut aussi que cela soit obtenu
par le moyen du discours et non à cause d’une opinion préconçue sur le
caractère de celui qui parle.

En vertu de son statut technique, l’èthos est un moyen de persuasion


créé de toutes pièces par l’orateur; fourni δι€ τοÜ λìγου (par le moyen
du discours), il est purement discursif et n’entretient aucun lien avec
la personne réelle de celui qui parle. Les trois qualités nécessaires
à l’orateur qui veut paraı̂tre digne de foi sont énumérées au début
du livre II de la Rhétorique:50 il s’agit de l’‚ρετ  (vertu), de la φρìνησι̋
(prudence) et de l’εÖνοια (bienveillance).
Dans le chapitre I, 8 de la Rhétorique, Aristote propose une ana-
lyse des régimes politiques, présentée comme un recueil de notions
préalables, nécessaires à l’orateur. La fonction de ce chapitre est
double. Il constitue en premier lieu une condition indispensable à

the Issue, Emotional Appeal, Persuasion through Character, Character tied to Age
and Fortune», in: ΛΗΝΑΙΚΑ, Festschrift für C. W. Müller zum 65. Geburtstag am 28.
Januar 1996 Ch. Müller-Goldingen, K. Stier (edd.), Teubner, Stuttgart, 1996, 165–188;
E. Garver, «La Découverte de l’Ethos chez Aristote», in: Cornilliat F., Lockwood R.
(edd.), Ethos et Pathos, Le Statut du Sujet Rhétorique, Actes du Colloque International
de Saint-Denis, 19–21 juin 1997, Honoré Champion, Paris, 2000, p. 15–35; W. M. A.
Grimaldi,Rhetoric: a Commentary, Fordham University Press, New-York, 1980 (t.I) et
1988 (t.II), p. 184–185; A. B. Miller, «Aristotle on Habit (êθο̋) and Character (ªθο̋).
Implications for the Rhetoric», Speech Monographs, 41, 1974, p. 309–316; F. Piazza,
«\Ηθο̋ e Јθο̋ nella Retorica dell’Aristotele», Giornale filologico Ferrarese, 13, 1990, p.
5–33; P. L. Rosenthal, «The Concept of Ethos and the Structure of Persuasion», Speech
Monographs, 33, 1966, p. 114–126; R. C. Rowland, D. F. Womack, «Aristotle’s View of
Ethical Rhetoric », Rhetoric Society Quarterly, 15, 1985, p. 13–31; E. Schütrumpf, «The
Model for the Concept of ethos in Aristotle’s Rhetoric», Philologus, 137, 1993, p. 12–17;
J. Sprute, «Ethos als Überzeugungsmittel in der aristotelischen Rhetorik», in: Rheto-
rik zwischen den Wissenschaften: Geschichte, System, Praxis als Probleme des historischen
Wörterbuches der Rhetorik, G. Üding (ed.), Max Niemeyer Verlag, Mayence, 1963, p.
281–290; V. V. Val’čenko, «Ethos in Aristotle’s Rhetoric», Vestnik Drevnej Istorii, 168,
1964, p. 37–59; F. Wisse, Ethos and Pathos from Aristotle to Cicero, Hakkert, Amster-
dam, 1989; M. H. Wörner, Das Ethische in der Rhetorik des Aristoteles, Verlag Karl Alber,
Freiburg / München, 1990.
50
Cf. Rhét. II, 1, 1378 a 6–16: ΤοÜ µàν αÎτοÌ̋ εÚναι πιστοÌ̋ τοÌ̋ λèγοντα̋ τρÐα
âστÈ τ€ αÒτια; τοσαÜτα γˆρ âστι δι' ‹ πιστεÔοµεν êξω τÀν ‚ποδεÐξεων. ^Εστι δà ταÜτα
φρìνησι̋ καÈ ‚ρετ˜ καÈ εÖνοια; δι' ‚φροσÔνην οÎκ æρθÀ̋ δοξˆζουσιν, £ δοξˆζοντε̋
æρθÀ̋ δι€ µοχθηρÐαν οÎ τ€ δοκοÜντα λèγουσιν, £ φρìνιµοι µàν καÈ âπιεικεØ̋ εÊσιν ‚λλ'
οÎκ εÞνοι, διìπερ âνδèχεται µ˜ τ€ βèλτιστα συµβουλεÔειν γιγν¸σκοντα̋. Παρ€ ταÜτα
οÎδèν. Ανˆγκη
Ç Šρα τäν ‰παντα δοκοÜντα ταÜτ' êχειν εÚναι τοØ̋ ‚κροωµèνοι̋ πιστìν «les
20 RHETORICA

la composition des discours délibératifs.51 Celui qui conseille doit en


effet toujours avoir en vue l’intérêt de ceux auxquels il s’adresse: les
citoyens d’une cité dont les valeurs et les principes sont inscrits dans
la constitution. Chaque régime politique détermine ainsi le choix
des prémisses nécessaires à la construction d’un discours délibératif,
quel qu’en soit le sujet particulier. Mais la connaissance des régimes
politiques est liée, dans un second temps, à l’èthos:
ÇΕπεÈ δà οÎ µìνον αÉ πÐστει̋ γÐνονται δι' ‚ποδεικτικοÜ λìγου ‚λλ€ καÈ δι'
šθικοÜ (τÀú γ€ρ ποιìν τινα φαÐνεσθαι τäν λèγοντα πιστεÔοµεν, τοÜτο δ'
âστÈν “ν ‚γαθä̋ φαÐνηται £ εÖνου̋ £ Šµφω), δèοι “ν τ€ ¢θη τÀν πολιτειÀν
áκˆστη̋ êχειν ™µ̋.
Rhét. I, 8, 1366 a 8–12.
Puisque les moyens de persuasion s’obtiennent au moyen d’un discours
démonstratif mais aussi éthique (nous accordons en effet notre confiance
à cause du fait que l’orateur paraı̂t tel ou tel, c’est-à-dire quand il paraı̂t
vertueux ou bienveillant ou les deux à la fois), il nous faudra posséder
les caractères de chacun des régimes politiques.

L’adjectif šθικì̋ est immédiatement explicité par le contenu de la


parenthèse, qui renvoie à la définition de l’ªθο̋ de l’orateur considéré
comme moyen de persuasion technique.52 Par conséquent, šθικì̋,

raisons pour lesquelles ceux qui parlent sont eux-mêmes persuasifs sont au nombre
de trois: il n’y a pas davantage de raisons en effet qui, mises à part les démonstrations,
nous font accorder notre confiance. Ce sont la prudence, la vertu et la bienveillance:
ils trompent en effet sur les sujets dont ils parlent ou sur lesquels ils conseillent,
ou bien pour toutes ces raisons, ou bien pour l’une d’entre elles. Ou bien faute de
prudence, leur opinion est erronée, ou bien, leur opinion étant correcte, c’est par
méchanceté qu’ils ne donnent pas leur avis, ou bien ils sont prudents et honnêtes,
mais pas bienveillants: et c’est pour cette raison qu’il est possible de connaı̂tre le
meilleur parti sans le conseiller. Hors ces cas-là, il n’y en a pas d’autre. Il est donc
nécessaire que celui qui semble posséder toutes ces qualités inspire confiance à ceux
qui l’écoutent».
51
Cf. Rhét. 8, 1365 b 21–28: Μèγιστον καÈ κυρι¸τατον πˆντων πρä̋ τä δÔνασθαι
πεÐθειν καÈ καλÀ̋ συµβουλεÔειν τä τ€̋ πολιτεÐα̋ πˆσα̋ λαβεØν καÈ τ€ áκˆστη̋ êθη καÈ

fa
ç
o
n
νìµιµα καÈ συµφèροντα διελεØν. ΠεÐθονται γ€ρ ‰παντε̋ τÀú συµφèροντι, συµφèρει δà τä
σÀúζον τ˜ν πολιτεÐαν «la plus importante et la principale de toutes choses pour pouvoir
persuader et bien conseiller, c’est de saisir tous les régimes politiques sans exception,
et d’analyser pour chacun d’eux les habitudes, les institutions et les intérêts. Tous
les hommes sont en effet persuadés par l’intérêt, et ce qui est intérêt, c’est ce qui
sauvegarde le régime».
52
La dont est ici défini l’èthos se distingue de Rhét. II, 1, 1378 a 6–16 pour
deux raisons. Aristote cite en I, 8 deux vertus: ‚ρετ  (exprimée ici par l’adjectif ‚γαθì̋)
et εÖνοια, tandis qu’il mentionne en II, 1 trois vertus: ‚ρετ , φρìνησι̋, εÖνοια. Cette
première difficulté peut être levée si l’on considère que l’‚ρετ  de I, 8 renvoie à
cette vertu générique, formée par l’union de l’‚ρετ˜ šθικ  (i.e. l’‚ρετ  prise dans son
La λèξι̋ šθικ  dans la Rhétorique d’Aristote 21

qualifiant ici λìγο̋, désigne la capacité que possède le discours


d’exprimer l’èthos, c’est-à-dire de fournir une forme discursive à ce
moyen de persuasion.53
Le chapitre 18 du livre II de la Rhétorique confirme le sens de
l’expression šθικä̋ λìγο̋. Assurant la fonction de transition entre
l’étude des lieux spécifiques à chaque genre de discours et l’analyse
consacrée aux lieux communs, le passage suivant reformule les points
désormais acquis, et évoque le contenu de Rhét. I, 8 en ces termes:
περÈ δà τÀν κατ€ τ€̋ πολιτεÐα̋ šθÀν âν τοØ̋ συµβουλευτικοØ̋ εÒρηται
πρìτερον. ‡Ωστε διωρισµèνον “ν εÒη πÀ̋ τε καÈ δι€ τÐνων τοÌ̋ λìγου̋
šθικοÌ̋ ποιητèον.
Rhét. II, 18, 1391 b 20–23.
On a parlé précédemment des caractères en fonction des régimes po-
litiques dans les chapitres consacrés au délibératif. Aussi, tenons pour
définis la manière et les moyens permettant de produire des discours
éthiques.

La même expression est employée quelques lignes plus loin, avec le


même sens:

ÇΕπεÈ δà περÈ éκαστον µàν γèνο̋ τÀν λìγων éτερον ªν τèλο̋, περÈ πˆντων
δ' αÎτÀν εÊληµµèναι δìξαι καÈ προτˆσει̋ εÊσÈν âξ Áν τ€̋ πÐστει̋ φèρουσι
καÈ συµβουλεÔοντε̋ καÈ âπιδεικνÔµενοι καÈ ‚µφισβητοÜντε̋, êτι δ' âξ Áν
šθικοÌ̋ λìγου̋ âνδèχεται ποιεØν, καÈ περÈ τοÔτων δι¸ρισται, λοιπäν ™µØν
διελθεØν περÈ τÀν κοινÀν.
Rhét. II, 18, 1391 b 23–28.
Puisque pour chaque genre de discours le but est différent, et que, au
sujet de tous (sc ces genres de discours), on a dégagé les opinions et
les prémisses d’où l’on tire les preuves à la fois dans les délibérations,
dans les discours épidictiques et dans les controverses, et qu’en outre
les éléments qui permettent de construire des discours éthiques ont été
définis, il nous reste à examiner les éléments communs (sc à tous les

fa
ç
o
n
genres de discours).

sens restreint en II, 1) et l’‚ρετ˜ διανοητικ  (i.e. la φρìνησι̋). Il subsiste en revanche


une unique contradiction, à mon sens irréductible, entre ces deux passages: si la
présence de l’‚ρετ  générique et de l’εÖνοια est manifestement nécessaire de
simultanée en II, 1, la présence de l’une ou l’autre qualité demeure suffisante en
I, 8. Sur cette question, cf. W. W. Fortenbaugh, «Aristotle’s Accounts of Persuasion
through Character», in: Theory, Text, Context Issues in Greek Rhetoric and Oratory, Ch.
L. Jonhstone (ed.), State University of New-York Press, 1996, p. 147–168.
53
Sur l’šθικä̋ λìγο̋, cf. E. Garver, «Making Discourse Ethical: The Lessons of
Aristotle’s Rhetoric», Proceedings of the Boston Area Colloquium in Ancient Philosophy, 5,
1991, p. 73–96.
22 RHETORICA

Dans chacun de ces trois passages, Aristote oppose toujours l’aspect


argumentatif du discours (que ce soit en mentionnant la valeur
démonstrative du discours, les lieux propres au genre délibératif
ou l’ensemble des lieux spécifiques aux trois genres de discours), à
son aspect éthique.
S’il est vrai que l’expression šθικä̋ λìγο̋ renvoie sans ambiguı̈té,
comme l’indique Rhét. I, 8, à la seule mise en œuvre discursive de
l’èthos, où interviennent alors, dans les récapitulations de Rhét. II, 18,
les développements relatifs au pathos qui ont été exposés en Rhét. II,
2–16? Trois hypothèses peuvent être évoquées:
- dans les deux passages de Rhét. II, 18, Aristote subsume sous
l’expression šθικä̋ λìγο̋ non seulement l’èthos, mais aussi le pa-
thos. Cette solution demeure cependant délicate, dans la mesure où
šθικä̋ λìγο̋ a été strictement défini en Rhét. I, 8 comme le discours
exprimant l’èthos;
- Aristote n’a tout simplement pas mentionné l’expression du
pathos dans le discours;
- en mentionnant, en Rhét. II, 18, que la mise en œuvre discursive
de l’èthos, Aristote fait en réalité plus globalement référence à l’aspect
non argumentatif du discours, qui réunit le pathos et l’èthos.54
Lorsqu’il qualifie la γν¸µη (maxime) en Rhét. II, 21, l’adjectif
šθικì̋ conserve encore cette signification. Définie comme un µèρο̋
âνθυµηµατικì̋ (partie de l’enthymème),55 la γν¸µη est rangée parmi les
moyens de persuasion relevant de l’argumentation ou logos. Mais

fa
ç
o
n
Aristote la présente néanmoins comme le véhicule privilégié de
l’èthos: šθικοÌ̋ γ€ρ ποιεØ τοÌ̋ λìγου̋ (elle rend en effet éthiques les
discours).56
Cette propriété de la maxime est éclairée par le lien qui a été
auparavant établi, dans les Éthiques et dans la Poétique, entre ªθο̋ et
προαÐρεσι̋. Aristote définit en effet la maxime de la suivante:

^Εστι δ˜ γν¸µη ‚ποφˆνσι̋, οÎ µèντοι οÖτε περÈ τÀν καθ' éκαστον, οÙον
ποØì̋ τι̋ ÇΙφικρˆτη̋, ‚λλ€ καθìλου; καÈ οÎ περÈ πˆντων, οÙον íτι τä εÎθÌ
τÀú καµπÔλωú âναντÐον, ‚λλ€ περÈ íσων αÉ πρˆξει̋ εÊσÐ, καÈ αÉρετ€ £ φευκτˆ
âστι πρä̋ τä πρˆττειν.
Rhét. II, 21, 1394 a 21–26.

54
C’est la solution retenue par Ch. Rapp, Aristoteles Rhetorik, übers. und erl., in
Aristoteles Werke in deutscher Übersetzung, Band 4: Rhetorik, Akademie Verlag, Berlin,
2002, 2, p. 717.
55
Rhét. II, 20, 1393 a 24–25.
56
Rhét. II, 21, 1395 b 13.
La λèξι̋ šθικ  dans la Rhétorique d’Aristote 23

La maxime est une déclaration non pas sur le singulier—par exemple


de quelle sorte est Iphicrate—mais sur le général; non pas sur toutes
les choses –par exemple, que le droit est l’opposé du courbe—mais sur
toutes celles qui concernent les actions: ce qu’il faut choisir et éviter dans
le domaine de l’agir.

La maxime a ainsi pour objet des formulations relevant du do-


maine pratique, puisqu’elle exprime ce qu’il faut choisir ou éviter.
En d’autres termes, elle manifeste une προαÐρεσι̋ (choix préférentiel):
šθικοÌ̋ γ€ρ ποιεØ τοÌ̋ λìγου̋. \Ηθο̋ δ' êχουσιν οÉ λìγοι, âν íσοι̋ δ λη ™
προαÐρεσι̋. ΑÉ δà γνÀµαι πσαι τοÜτο ποιοÜσι δι€ τä ‚ποφαÐνεσθαι τäν
τ˜ν γν¸µην λèγοντα καθìλου περÈ τÀν προαιρετÀν, ¹στ' “ν χρησταÈ Âσιν
αÉ γνÀµαι, καÈ χρηστο θη φαÐνεσθαι ποιοÜσι τäν λèγοντα.
Rhét. II, 21, 1395 b 13–17.
Elle (sc la maxime) rend en effet éthiques les discours. Possèdent un
caractère les discours dans lesquels le choix préférentiel est évident.
Toutes les maximes réalisent cela, parce que l’orateur exprime sous
une forme générale son avis au sujet des choix qu’il réalise; aussi, si les
maximes sont honnêtes, elles feront aussi apparaı̂tre le caractère honnête
de l’orateur.

Ce passage témoigne de l’extrême cohérence qui relie les Éthiques,


la Poétique et la Rhétorique. Bien que l’èthos, dont la maxime est le
véhicule discursif privilégié, soit ici subordonné aux requisits propres
de la rhétorique (tripartition de son contenu, statut discursif), il n’en
manifeste pas moins des liens étroits avec l’ªθο̋ tel que l’ont défini
les Éthiques et la Poétique, et notamment à travers l’étroite liaison qu’il
entretient avec la notion de προαÐρεσι̋.
Deux occurrences d’šθικì̋ figurant dans le traité de la τˆξι̋
(composition) des discours (Rhét. III, 13–19) manifestent elles aussi une
profonde cohérence avec ce qui a été souligné à propos des livres I
et II: l’adjectif renvoie à la capacité du discours ou d’un élément du
discours à exprimer l’èthos.
Dans le chapitre 17 du livre III, Aristote décrit ainsi les conditions
dans lesquelles l’orateur doit avoir recours à ce moyen de persuasion
qu’est l’èthos:
ΟÎδ' íταν šθικäν τäν λìγον, οÎ δεØ âνθÔµηµˆ τι ζητεØν ‰µα; οÎ γ€ρ
êχει οÖτε ªθο̋ οÖτε προαÐρεσι̋ ™ ‚πìδειξι̋. Γν¸µαι̋ δà χρηστèον καÈ
âν δι γησει καÈ âν πÐστει; šθικäν γˆρ. ΚαÈ âγ° δèδωκα, καÈ ταÜτ' εÊδ°̋
±̋ οÎ δεØ πιστεÔειν.
Rhét. III, 17, 1418 a 15–19.
Et lorsqu’on met en œuvre un discours éthique, il ne faut pas non
plus chercher en même temps un enthymème, car la démonstration
24 RHETORICA

ne comporte ni caractère ni choix préférentiel. Mais il faut employer des


maximes, et dans la narration, et dans la preuve, car c’est là un élément
éthique: «moi aussi, j’ai donné, tout en sachant qu’il ne faut pas faire
confiance».

Le λìγο̋ šθικì̋ renvoie, ici encore, au discours exprimant l’èthos.


Comme précédemment, l’èthos est distingué de la démonstration
logique qui57 n’exprime pas de προαÐρεσι̋.
Le chapitre 16 du livre III contient deux occurrences d’šθικì̋
qui ne désignent pas la capacité d’exprimer la πÐστι̋ âν τÀú ¢θει τοÜ
λèγοντο̋, mais l’ªθο̋ réel—et non pas créé par le discours—d’une
personne différente de l’orateur. Aristote établit en effet de la manière
suivante la propriété éthique de la δι γησι̋ (narration) d’un discours
judiciaire:
ÇΗθικ˜ν δà χρ˜ τ˜ν δι γησιν εÚναι. ^Εσται δà τοÜτο, “ν εÊδÀµεν τÐ ªθο̋
ποιεØ. ƒΕν µàν δ˜ τä προαÐρεσιν δηλοÜν, ποιäν δà τä ªθο̋ τÀú ποι€ν
ταÔτην; ™ δà προαÐρεσι̋ ποι€ τÀú τèλει. ∆ι€ τοÜτο οÎκ êχουσιν οÉ µα-
θηµατικοÈ λìγοι ¢θη, íτι οÎδà προαÐρεσιν (τä γ€ρ οÝ éνεκα οÎκ êχουσιν),
‚λλ' οÉ ΣωκρατικοÐ. ^Αλλα šθικ€ τ€ áπìµενα áκˆστωú ¢θει, οÙον íτι ‰µα
λèγων âβˆδιζεν; δηλοØ γ€ρ θρασÔτητα καÈ ‚γροικÐαν ¢θου̋. ΚαÈ µ˜ ±̋
‚πä διανοÐα̋ λèγειν, ¹σπερ οÉ νÜν, ‚λλ' ±̋ ‚πä προαιρèσεω̋. ÇΕγ° δà
âβουλìµην; καÈ προειλìµην γ€ρ τοÜτο; ‚λλ' εÊ µ˜ ²ν µην, βèλτιον. Τä µàν
γ€ρ φρονеου τä δà ‚γαθοÜ; φρονеου µàν γ€ρ âν τÀú τä ²φèλιµον δι¸κειν,
‚γαθοÜ δ' âν τÀú τä καλìν.
Rhét. III, 16, 1417 a 15–27.
La narration doit aussi être éthique. Tel sera le cas, si nous savons ce
qui réalise le caractère. Un premier moyen consiste à montrer son choix
préférentiel: le caractère sera de telle ou telle qualité en vertu de la qualité
de ce choix. Et le choix préférentiel est de telle ou telle qualité en vertu de
la fin poursuivie. C’est pour cette raison que les traités de mathématiques
ne possèdent pas de caractères parce qu’ils ne possèdent pas non plus
de choix préférentiel (car ils ne possèdent pas de fin), tandis que c’est
le cas pour les Dialogues Socratiques. D’autres éléments éthiques sont
ceux qui accompagnent chaque caractère, par exemple: «il parlait tout en
marchant». Cela montre en effet la hardiesse et la rudesse du caractère.
Et il faut parler comme si les actes provenaient non pas de la pensée,
comme le font ceux d’aujourd’hui, mais du choix préférentiel: «moi,

57
Cf. également Rhét. III, 17, 1418 a 37 - b 1: ^Εχοντα µàν οÞν ‚ποδεÐξει̋ καÈ šθικÀ̋
λεκτèον καÈ ‚ποδεικτικÀ̋, â€ν δà µ˜ êχηù̋ âνθυµ µατα, šθικÀ̋; καÈ µλλον τÀú âπιεικεØ
ρµìττει χρηστäν φαÐνεσθαι £ τäν λìγον ‚κριβ¨ «si l’on a des démonstrations, il faut
parler à la fois éthiquement et démonstrativement; si l’on n’a pas d’enthymèmes, il
faut parler éthiquement. D’ailleurs il convient mieux à l’homme honnête de paraı̂tre
bon plutôt que de tenir un discours rigoureux».
La λèξι̋ šθικ  dans la Rhétorique d’Aristote 25

c’est ce que je souhaitais; et c’est pour cette raison que je choisis de le


faire. Et si je n’y ai rien gagné, ce fut meilleur». Dans le premier cas, c’est
le langage d’un homme prudent; dans le deuxième, d’un homme de
bien. L’homme prudent se définit dans la poursuite de ce qui est utile,
l’homme de bien, [dans la poursuite] de ce qui est beau.

L’ªθο̋ impliqué dans la définition de la narration éthique demeure


cohérent avec la notion d’ªθο̋ qui a été définie dans les Éthiques,
et qui figure dans les autres traités aristotéliciens: la liaison ªθο̋ -
προαÐρεσι̋ y est en effet réaffirmée.
Rien n’indique plus en revanche que cet ªθο̋ renvoie à la per-
sonne de l’orateur, et qu’il possède un statut purement discursif. Au
contraire, tout porte à croire, d’après les exemples fournis par Aris-
tote, qu’il s’agit de l’ªθο̋ des personnes concernées par la narration
d’un fait dans un procès—qu’il s’agisse de l’accusé, de l’accusateur ou
de témoins. D’autre part, l’ªθο̋ exprimé à travers une telle narration
peut recouvrir des qualités qui ne sont plus exclusivement circons-
crites aux trois vertus de l’orateur que sont l’‚ρετ , la φρìνησι̋ et
l’εÖνοια: en témoigne l’illustration de ce passage, où Aristote évoque
la θρασÔτη̋ καÈ ‚γροικÐα ¢θου̋ (hardiesse et rudesse du caractère).

fa
ç
o
n
Les šθικˆ (éléments éthiques) mentionnés dans ce même passage
ont valeur d’indices permettant de juger la qualité d’un ªθο̋ et ren-
voient très probablement à des critères tels que l’âge, les conditions
de fortune et les dispositions analysées par Aristote en Rhét. I, 10
et II, 12–17. En effet, ces critères ne constituent pas des arguments
nécessaires permettant de qualifier, de infaillible et irréfutable,
un ªθο̋: par exemple, si les jeunes gens sont souvent irascibles, ce
n’est pas en raison de leur âge, mais uniquement à cause de la qualité
de leur ªθο̋.

2. Les trois occurrences de l’adjectif šθικì̋


dans le traité du style (Rhét. III, 7 et 12)

Dans la première section du livre III de la Rhétorique (chap. 1–12),


Aristote traite de la question de la λèξι̋ (style) des discours.58 Celui-ci
doit revêtir deux qualités principales, ou ‚ρεταÐ (vertus): la clarté et le
πρèπον (convenance).

58
Sur la λèξι̋, cf. B. Gernez, «La Théorie de la λèξι̋ chez Aristote», in: Théories de
la Phrase et de la Proposition de Platon à Averroès, Ph. Büttgen, S. Diebler, M. Rashed
(edd.), Études de Littérature Ancienne, 10, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 1999, p. 67–79.
26 RHETORICA

2.1. La définition de la λèξι̋ šθικ  (III, 7)


C’est en définissant ce qu’il appelle la convenance du style des
discours qu’Aristote introduit dans le chapitre 7 les deux notions de
style éthique et de style pathétique. Il y affirme en effet que «le style
aura de la convenance s’il est pathétique, éthique, et s’il correspond
aux choses dont il traite».59
Cette affirmation est suivie par la définition du stylé éthique:
ΚαÈ šθικ˜ δà αÕτη ™ âκ τÀν σηµεÐων δεØξι̋, íτι ‚κολουθεØ ™ ρµìττουσα
áκˆστωú γèνει καÈ éξει.
Rhét. III, 7, 1408 a 25–27.
Et cette démonstration à partir de signes est éthique, parce que l’accom-
pagne le [style] adapté à chaque genre et à chaque disposition.

Définition qu’Aristote complète immédiatement par des exemples


de ce qu’il appelle le «genre» (γèνο̋) et la «disposition» (éξι̋):
Λèγω δà γèνο̋ µàν καθ' ™λικÐαν, οÙον παØ̋ £ ‚ν˜ρ £ γèρων, καÈ γυν˜ £
‚ν ρ, καÈ Λˆκων £ Θετταλì̋, éξει̋ δè, καθ' ‹̋ ποιì̋ τι̋ τÀú βÐωú; οÎ γ€ρ
καθ' ‰πασαν éξιν οÉ βÐοι ποιοÐ τινε̋. ÇΕ€ν οÞν καÈ τ€ æνìµατα οÊκεØα λèγηù
τ¨ù éξει, ποι σει τä ªθο̋; οÎ γ€ρ ταÎτ€ οÎδ' ±σαÔτω̋ “ν Šγροικο̋ “ν
πεπαιδεÔµενο̋ εÒπειεν.
Rhét. III, 7, 1408 a 28–32.
J’entends par genre ce qui dépend de l’âge: par exemple, enfant,
homme, vieillard; homme, femme; Laconien, Thessalien. Par disposi-
tions, j’entends ce en vertu de quoi l’on est tel ou tel dans sa façon de
vivre, car ce n’est pas en fonction de n’importe quelle disposition que

it
e
ç
o
les façons de vivre sont telles ou telles. Si donc on prononce les mots
propres à la disposition, on réalisera le caractère. Car un homme grossier
et un homme cultivé ne sauraient dire la même chose, ni employer les
mêmes termes.

Le style r donc la qualification d’«éthique» lorsqu’il possède


la capacité d’exprimer l’ªθο̋ de la personne réelle qui prononce le
discours. D’après le passage cité de Rhét. III, 7, l’ªθο̋ exprimé renvoie
non seulement à des caractéristiques génériques (le γèνο̋) tels que
l’âge, le sexe ou la nationalité, mais aussi à des caractéristiques plus
individuelles (l’éξι̋), dont relèvent par exemple le caractère grossier
ou cultivé d’une personne particulière.

59
Rhét. III, 7, 1408 a 10–11: τä δà πρèπον éξει ™ λèξι̋, â€ν ªù παθητικ  τε καÈ šθικ˜
καÈ τοØ̋ Íποκειµèνοι̋ πρˆγµασιν ‚νˆλογον.
La λèξι̋ šθικ  dans la Rhétorique d’Aristote 27

Ce passage permet d’établir dans un premier temps que l’ ªθο̋


exprimé par la λèξι̋ šθικ  est susceptible de recouvrir un éventail
de qualités beaucoup plus larges que celles de l’ªθο̋ des Éthiques.
La citoyenneté implique certes des différences d’ordre éthique entre
les individus, comme l’atteste un passage des Pol. III, 4, où Aristote
affirme que «la vertu du citoyen est nécessairement fonction de la
constitution».60 L’âge constitue lui aussi un critère en fonction duquel
varient les qualifications éthiques des individus, comme l’indiquent
les chapitres II, 12–14 de la Rhétorique, où Aristote énumère les
différences relatives aux ¢θη chez les jeunes gens, les vieillards et
les hommes d’âge mûr, et cela, en empruntant les mêmes termes
que ceux des Éthiques. Enfin, le critère sexuel implique également
des différences d’ordre moral, puisqu’Aristote établit en Pol. I, 13
que la vertu éthique de l’homme n’est pas la même que celle de
la femme.61 En revanche, l’illustration offerte par Aristote à tra-
vers la distinction grossier vs cultivé pour éclaircir la notion d’éξι̋
paraı̂t manifestement étrangère à sa doctrine éthique. L’EN définit
en effet les éξει̋ comme «ce en vertu de quoi nous avons une at-
titude bonne ou mauvaise à l’égard des passions: par exemple, à
l’égard de la colère, si nous l’éprouvons violemment ou faiblement,
nous avons une mauvaise attitude, tandis que si nous l’éprouvons
avec mesure, nous avons une bonne attitude; et ainsi pour les

60
Cf. Pol. III, 4, 1276 b 30–31: τ˜ν ‚ρετ˜ν ‚ναγκαØον εÚναι τοÜ πολÐτου πρä̋ τ˜ν
πολιτεÐαν.
61
Cf. Pol. I, 13, 1260 a 14–24: åµοÐω̋ τοÐνυν ‚ναγκαÐω̋ êχειν καÈ περÈ τ€̋ šθικ€̋
‚ρετ€̋ Íποληπτèον, δεØν µàν µετèχειν πˆντα̋, ‚λλ' οÎ τäν αÎτäν τρìπον, ‚λλ' íσον Éκανäν

fa
ç
o
n
áκˆστωú πρä̋ τä αÍτοÜ êργον; διä τäν µàν Šρχοντα τελèαν êχειν δεØ τ˜ν šθικ˜ν ‚ρετ ν (τä

,
γ€ρ êργον âστÈν πλÀ̋ τοÜ ‚ρχιτèκτονο̋, å δà λìγο̋ ‚ρχιτèκτων), τÀν δ' Šλλων éκαστον
íσον âπιβˆλλει αÎτοØ̋. ‡Ωστε φανερäν íτι êστιν šθικ˜ ‚ρετ˜ τÀν εÊρηµèνων πˆντων, καÈ
οÎχ ™ αÎτ˜ σωφροσÔνη γυναικä̋ καÈ ‚νδρì̋, οÎδ' ‚νδρεÐα καÈ δικαιοσÔνη, καθˆπερ ºúετο
Σωκρˆτη̋, ‚λλ' ™ µàν ‚ρχικ˜ ‚νδρεÐα ™ δ' Íπηρετικ , åµοÐω̋ δ' êχει καÈ περÈ τ€̋ Šλλα̋
«il faut donc supposer qu’il en est de même pour les vertus éthiques: tous doivent
y avoir part, mais pas de la même seulement dans la mesure où l’exige la
fonction de chacun. C’est pour cette raison que celui qui commande doit posséder
la vertu éthique parfaite (car sa fonction est, au sens absolu, celle de celui qui
commande, et la raison est ce qui commande), tandis que pour les autres, leur
fonction ne leur appartient que dans la mesure où elle leur convient. Aussi est-il
manifeste que la vertu éthique appartient à tous ceux dont nous avons parlé
(sc l’esclave, la femme et l’enfant), et que la tempérance de la femme n’est pas
la même que celle de l’homme, ni le courage ni la justice, comme Socrate le
pensait, mais l’un a le courage de celui qui commande, l’autre, le courage de
celui qui obéit. Et il en est de même pour les autres vertus». Trad. P. Pellegrin
très légèrement modifiée.
28 RHETORICA

autres passions».62 Or la grossièreté ou l’éducation d’un homme


ne sont pas des critères décisifs en matière de qualification mo-
rale.
D’autre part, si l’ªθο̋ exprimé par le style éthique renvoie à la
personne de l’orateur, il ne désigne en aucun cas l’èthos tel qu’il a été
défini antérieurement. Non seulement cet ªθο̋ est en effet susceptible
de recouvrir des qualités qui excèdent largement le champ circonscrit
par les trois vertus constitutives de l’ªθο̋ entendu comme moyen de
persuasion technique (‚ρετ , φρìνησι̋, εÖνοια) puisqu’il inclut des
dispositions qui ne sont pas nécessairement morales ni forcément
positives, mais il possède également une valeur référentielle, dans la
mesure où il renvoie ici à la personne réelle de l’orateur et non plus au
caractère persuasif de celui-ci, créé uniquement par le discours. C’est
que la notion fondamentale de πρèπον, à partir de laquelle Aristote
défini la λèξι̋ šθικ  exige que l’homme grossier ne s’exprime pas
comme un homme cultivé, que la femme ne s’exprime pas comme
un homme, etc. Ces éléments soulignent bien le fait que ce qui
est ici visé, c’est l’adaptation stylistique du discours à l’ªθο̋ de
celui qui parle, parce que le style éthique, établissant un rapport
d’analogie entre l’ªθο̋ de l’orateur et le style qu’il adopte dans son
discours, appuiera le caractère vraisemblable de sa prise de parole. Ce
qu’affirme Aristote du style pathétique peut à cet égard s’appliquer
au style éthique, puisqu’ils expriment l’un et l’autre, respectivement,
les passions et le caractère de l’orateur:
ΠιθανοØ δà τä πργµα καÈ ™ οÊκεÐα λèξι̋; παραλογÐζεταÐ τε γ€ρ ™ ψυχ˜
±̋ ‚ληθÀ̋ λèγοντο̋.
Rhét. III, 7, 1408 a 19–21.
Le style approprié rend en outre le fait plausible, car l’esprit conclut, par
un paralogisme que celui qui parle dit vrai.63

Lorsqu’il énumère les critères en fonction desquels les ¢θη humains


se différencient, Aristote a sans doute en vue la pratique des logo-
graphes, car il souligne la nécessité, à laquelle ils sont soumis, de
prendre en considération l’ªθο̋ réel de leur client, afin d’y adapter
le style de leurs compositions. C’est en effet le client qui, en dernier

62
Cf. EN, II, 4, 1105 b 25–28: éξει̋ δà καθ' ‹̋ πρä̋ τ€ πˆθη êχοµεν εÞ £ κακÀ̋,
οÑον πρä̋ τä æργισθ¨ναι, εÊ µàν σφοδρÀ̋ £ ‚νειµèνω̋, κακÀ̋ êχοµεν, εÊ δà µèσω̋, εÞ;
åµοÐω̋ δà καÈ πρä̋ τ’λλα. Cf. le passage parallèle en EE, II, 2, 1220 b 18–20.
63
Trad. M. Dufour, A. Wartelle modifiée (Aristote, La Rhétorique, texte établi
et traduit par M. Dufour et A. Wartelle, C. U. F., Paris, 1938 (t. I), 1932 (t. II), 1973
(t. III)).
La λèξι̋ šθικ  dans la Rhétorique d’Aristote 29

lieu, devra prononcer ce discours devant les juges.64 On pense ici à


la pratique oratoire dans laquelle s’est illustré Lysias, qui adapte le
ton et le style de ses compositions à ses clients afin d’appuyer la

fa
ç
o
n
vraisemblance des propos qu’il leur fait tenir.
Si l’on suit cette interprétation, il faut considérer que l’énuméra-
tion de tous les critères cités par Aristote ne doivent pas être pris à la
lettre, car jamais un enfant ou une femme ne prendra la parole devant
une assemblée à Athènes. La fonction de ce passage ne consiste donc
pas à fournir au logographe des indications précises sur la
dont il devra composer son discours et réaliser une λèξι̋ šθικ , mais

fa
ç
o
n
à illustrer ce que l’on doit entendre sous le terme d’ªθο̋ tel qu’il est
impliqué dans la λèξι̋ šθικ .

2.2. La λèξι̋ šθικ  et l’Íπìκρισι̋ (III, 12)


Définie ainsi de strictement référentielle et englobant des
caractéristiques qui dépassent la simple qualification morale, la λèξι̋
šθικ  est mise en relation, en Rhét. III, 12, avec l’Íπìκρισι̋ (action ora-
toire). La lecture des passages qu’Aristote consacre à cette notion rend
palpable l’idée que, à cette occasion, l’emploi d’ªθο̋ fait davantage
référence au sens «traditionnel» de ce terme qu’au concept défini
avec rigueur dans les Éthiques.
Après avoir établi qu’à chacun des trois genres de discours cor-
respond un style différent,65 Aristote distingue la λèξι̋ γραφικ  (style
écrit), qui suppose une bonne connaissance de la langue grecque66
puisqu’elle requiert une extrême exactitude, et la λèξι̋ ‚γωνιστικ 
(style des débats), sous laquelle il range les styles éthique et pathétique,
et qui est davantage liée à l’Íπìκρισι̋ (action oratoire):
^Εστι δà λèξι̋ γραφικ˜ µàν ™ ‚κριβεστˆτη, ‚γωνιστικ˜ δà ™ Íποκριτικω-
τˆτη. ΤαÔτη̋ δà δÔο εÒδη; ™ µàν γ€ρ šθικ , ™ δà παθητικ .
Rhét. III, 12, 1413 b 8–10.
Le style le plus exact est le style écrit, tandis que le plus propre à l’action
oratoire, c’est le style relatif aux débats. Celui-ci se divise encore en deux
espèces: le style éthique et le style pathétique.

Le style éthique se caractérise donc par la mise en œuvre de procédés


tels que l’asyndète ou l’emploi de répétitions, et doit nécessairement
recevoir l’appui de l’Íπìκρισι̋:

64
Mis à part, bien sûr, les cas où ce sont les synégores qui prennent la parole.
65
Rhét. III, 12, 1413 b 3–4.
66
Rhét. III, 12, 1413 b 6.
30 RHETORICA

διä καÈ τ€ Íποκριτικ€ ‚φηùρηµèνη̋ τ¨̋ ÍποκρÐσεω̋ οÎ ποιοÜντα τä αÎτÀν


êργον φαÐνεται εΠθη, οÙον τˆ τε ‚σÔνδετα καÈ τä πολλˆκι̋ τä αÎτä εÊπεØν
âν τ¨ù γραφικ¨ù æρθÀ̋ ‚ποδοκ鵈ζεται, âν δà ‚γωνιστικ¨ù οÖ, καÈ οÉ û τορε̋
χρÀνται; êστι γ€ρ Íποκριτικˆ.
Rhét. III, 12, 1413 b 17–21.
C’est pour cette raison que les discours destinés à l’action oratoire ne
remplissent plus leur fonction et paraissent niais quand l’action oratoire
en est retranchée; par exemple, les asyndètes et les répétitions de mots
sont proscrits avec raison dans le style écrit, tandis que ce n’est pas le
cas dans le style relatif aux débats, et les orateurs s’en servent, car ce
sont là des procédés propres à l’action oratoire.67

Aristote mentionne l’Íπìκρισι̋ dès l’introduction du traité consacré


au style, en affirmant l’importance qu’elle revêt dans le domaine de le
rhétorique.68 Cependant, aucune étude ne lui a été consacrée et Aris-
tote ne fait pas à cet égard figure d’exception puisqu’il se contente

in
a
p
e
r
çu
e
d’évoquer brièvement son rôle dans le chapitre 12. L’Íπìκρισι̋ en-

,
globe l’ensemble des moyens mis en œuvre par l’orateur qui pro-
nonce son discours pour produire un effet de proximité en mettant
les faits dont il parle sous les yeux de ses auditeurs. Elle constitue
le complément théâtral apporté au texte, dont la fonction consiste,
tout en restant à soutenir et appuyer la λèξι̋ du discours,
afin de rendre ce dernier plus persuasif.
L’Íπìκρισι̋ concerne principalement l’étude de la voix, à travers
les trois critères que sont le µèγεθο̋ (volume), l’ρµονÐα (harmonie) et le
ûυθµì̋ (rythme):
^Εστι δà αÎτ˜ µàν âν τ¨ù φ¸νηù, πÀ̋ αÎτ¨ù δεØ χρ¨σθαι πρä̋ éκαστον πˆθο̋,
οÙον πìτε µεγˆληù καÈ πìτε µικρø καÈ µèσηù, καÈ πÀ̋ τοØ̋ τìνοι̋, οÙον æξεÐαø
καÈ βαρεÐαø καÈ µèσηù, καÈ ûυθµοØ̋ τÐσι πρä̋ éκαστα. ΤρÐα γˆρ âστι περÈ
‹ σκοποÜσιν; ταÜτα âστÈ µèγεθο̋ ρµονÐα ûυθµì̋.
Rhét. III, 1, 1403 b 27–32.
Elle (sc l’action oratoire) réside elle-même dans la voix: comment il faut
s’en servir pour chaque passion, par exemple quand il faut prendre une

67
Trad. M. Dufour, A. Wartelle modifiée.
68
Cf. Rhét. III, 1, 1403 b 18–22: τä µàν οÞν πρÀτον âζητ θη κατ€ φÔσιν, íπερ
πèφυκε πρÀτον, αÎτ€ τ€ πρˆγµατα âκ τÐνων êχει τä πιθανìν; δεÔτερον δà τä ταÜτα τ¨ù
λèξει διαθèσθαι; τρÐτον δà τοÔτων, ç δÔναµιν µàν êχει µεγÐστην, οÖπω δ' âπικεχεÐρηται,
τ€ περÈ τ˜ν Íπìκρισιν «nous avons donc consacré premièrement nos recherches,
suivant la nature, à ce qui est naturellement premier: quels sont les éléments dont
les choses elles-mêmes tirent leur caractère persuasif; deuxièmement: l’exposition,
par le style, de ces choses; troisièmement: ce qui a la plus grande puissance, mais
qui n’a pas encore fait l’objet d’une étude, tout ce qui concerne l’action oratoire».
La λèξι̋ šθικ  dans la Rhétorique d’Aristote 31

voix forte, une voix faible, ou une voix moyenne; et comment il faut
se servir des tons, par exemple, quand il faut prendre une voix aiguë,
une voix grave, ou une voix moyenne; et de quels tons il faut se servir

fa
ç
o
n
pour chacune d’entre elles (sc les passions). L’objet des observations sont
donc au nombre de trois: le volume, l’harmonie et le rythme.69

Lorsqu’Aristote évoque ainsi l’Íπìκρισι̋, il fait, comme en Rhét. III, 7,


référence à un emploi très large du mot ªθο̋ qui ne désigne pas de
exclusive, comme dans les Éthiques, des dispositions morales.
Ainsi, dans le passage où il déclare que l’emploi d’asyndètes doit être
appuyé par l’Íπìκρισι̋:
‚νˆγκη γ€ρ ÍποκρÐνεσθαι καÈ µ˜ ±̋ ëν λèγοντα τÀú αÎτÀú ¢θει καÈ τìνωú
εÊπεØν.
Rhét. III, 12, 1413 b 30–31.
Il est nécessaire de faire appel à l’action oratoire et de ne pas prononcer
cela comme une seule chose, avec le même caractère et le même ton.

L’ªθο̋, employé aux côtés de τìνο̋ (ton), désigne le tempérament que

fa
ç
o
n
manifeste une personne à travers l’air qu’elle se donne et la manière
dont elle s’exprime. Il se rattache par conséquent aux emplois tra-
ditionnels de ce terme que l’on trouve, par exemple, chez Isocrate
ou Hypéride.
Dans le Philippe, Isocrate exprime en effet l’idée que le caractère
persuasif d’un discours est imputable à la dont il sera prononcé,
à l’intonation et à l’inflexion que l’orateur donnera à sa voix et que
l’orateur désigne par le terme ªθο̋:
ÇΕπειδ€ν γ€ρ å λìγο̋ ‚ποστερηθ¨ù τ¨̋ τε δìξη̋ τ¨̋ τοÜ λèγοντο̋ καÈ
τ¨̋ φων¨̋ καÈ τÀν µεταβολÀν τÀν âν ταØ̋ ûητορεÐαι̋ γιγνοµèνων, êτι
δà τÀν καιρÀν καÈ τ¨̋ σπουδ¨̋ τ¨̋ περÈ τ˜ν πρξιν, καÈ µηδàν ªù τä
συναγωνιζìµενον καÈ συµπεØθον, ‚λλ€ τÀν µàν προειρηµèνων πˆντων
êρηµο̋ γèνηται καÈ γυµνä̋, ‚ναγιγν¸σκηù δè τι̋ αÎτäν ‚πιθˆνω̋ καÈ µηδàν
ªθο̋ âνσηµαινìµενο̋ ‚λλ' ¹σπερ ‚παριθµÀν, εÊκìτω̋, οÚµαι, φαÜλο̋ εÚναι
δοκεØ τοØ̋ ‚κοÔουσιν.
Isocrate, Philippe, 26–27.

69
Un passage du chapitre 7 semble aussi inclure dans l’Íπìκρισι̋ l’adoption
de certaines expressions du visage: Cf. Rhét. III, 7, 1408 b 4–8: êτι τοØ̋ ‚νˆλογον µ˜
πσιν ‰µα χρ σασθαι; οÕτω γ€ρ κλèπτεται. Λèγω δà οÙον â€ν τ€ æνìµατα σκληρ€ ªù, µ˜
καÈ τ¨ù φων¨ù καÈ τÀú προσ¸πωú καÈ τοØ̋ ρµìττουσιν; εÊ δà µ , φανερäν γÐγνεται «il ne faut
pas, en outre, employer tous les moyens analogiques en même temps; c’est ainsi,
en effet, qu’on se cachera. J’entends par là; par exemple, si les mots employés
sont durs, il ne faut pas employer et la voix, et le visage en concordance [avec
cette dureté]. Sinon, cela paraı̂tra manifeste».
32 RHETORICA

Quand le discours est en effet démuni de l’opinion de l’orateur, de la


voix et de ses variations utilisées dans les morceaux oratoires, et, en
outre, de l’opportunité et du zèle avec lequel on aborde l’entreprise,
quand rien ne concourt à convaincre mais qu’il (sc le discours) est privé
de tout ce que je viens de citer et qu’il est nu, quand on le lit d’une
manière non persuasive sans indiquer aucun caractère mais comme si
on détaillait un compte, le discours paraı̂t évidemment, je pense, de peu
de valeur à ceux qui l’écoutent.70

Hypéride lui aussi emploie le terme ªθο̋ avec ce sens large:


ΚαÈ ταÜτ' êλεγεν σπουδˆζουσˆ τε τÀú ¢θει ±̋ êνι µˆλιστα καÈ æµνÔουσα
τοÌ̋ µèγιστου̋ íρκου̋, ª µ˜ν µετ' εÎνοÐα̋ τ¨̋ ⵨̋ λèγειν καÈ âπÈ πˆση̋
‚ληθεÐα̋.
Hypéride, Athénog. col. 171
Et cela, elle le disait avec l’air le plus sérieux du monde, et en jurant
par les serments les plus solennels que, pour sûr, si elle parlait ainsi,
c’était par sympathie pour moi et en toute sincérité.

L’observation des emplois d’šθικì̋ lorsque cet adjectif qualifie


la λèξι̋ des discours en Rhét. III, 7 et III, 12 permet ainsi d’établir
deux constatations. En premier lieu, la notion d’ªθο̋ impliquée dans
la définition de la λèξι̋ šθικ  manifeste un écart incontestable non
seulement par rapport à l’ ªθο̋ des Éthiques, mais aussi par rapport à
l’ªθο̋ tel qu’il est défini dans la πÐστι̋ âν τÀú ¢θει τοÜ λèγοντο̋. L’ªθο̋
exprimé par la λèξι̋ šθικ  englobe en effet des qualifications qui
débordent de la sphère strictement morale, et il renvoie à la personne
réelle de l’orateur.72 D’autre part, le lien privilégié que la λèξι̋ šθικ 
entretient avec l’Íπìκρισι̋ est exprimé dans des développements qui

70
Trad. G. Mathieu, E. Brémond modifiée (Isocrate, Discours, texte établi et
traduit par G. Mathieu et E. Brémond, C. U. F., Paris, 1928 (t. I), 1938 (t. II), 1942
(t. III) et 1962 (t. IV)).
71
Hyperides, The Forensic Speeches, Introduction, Translation and Commentary
by D. Whitehead, Oxford University Press, Oxford, 2000.
72
De même, la λèξι̋ παθητικ  (style pathétique) exclut toute référence au pathos,
moyen de persuasion technique qui consiste à induire dans l’auditoire des πˆθη
(passions). Elle se définit comme le style qui exprime les passions de l’orateur
(cf. Rhét. III, 7, 1408 a 16–19: παθητικ˜ δà, â€ν µàν ªù Õβρι̋, æργιζοµèνου λèξι̋, â€ν
δà ‚σεβ¨ καÈ αÊσχρˆ, δυσχεραÐνοντο̋ καÈ εÎλαβουµèνου καÈ λèγειν, â€ν δà âπαινετˆ,
‚γαµèνω̋, â€ν δà âλεεινˆ, ταπεινÀ̋, καÈ âπÈ τÀν Šλλων δà åµοÐω̋ «pathétique est le
style qui, s’il y a outrage, est celui de l’homme en colère; s’il y a impiété et actes
honteux, celui d’un homme qui s’indigne et qui hésite même à les énoncer; s’il y
a actes louables, celui qui parle avec admiration; s’il y a des actes pitoyables,
de celui qui parle avec humilité; et pareillement du reste» ), c’est-à-dire l’attitude
emportée et violente qu’il adopte face au contenu que véhicule son discours.
La λèξι̋ šθικ  dans la Rhétorique d’Aristote 33

supposent un sens non aristotélicien d’ªθο̋, puisque ce terme désigne


les manifestations perceptibles (notamment la voix) qui permettent
d’appréhender le tempérament propre d’une personne.

L’analyse sémantique d’šθικì̋ menée sur tout le corpus aris-


totélicien a permis de mettre en lumière le caractère discordant de
cet adjectif lorsqu’il qualifie la λèξι̋ des discours en Rhét. III, 7 (1408 a
11, 1408 a 25) et III, 12 (1413 b 10). Ces trois occurrences, qui font figure
d’hapax sémantiques au regard des autres traités d’Aristote et du reste
de la Rhétorique, ne peuvent en aucun cas trouver ici d’interprétation
définitive. Tout au plus pourront-elles être invoquées, à titre d’indices
supplémentaires, dans les problèmes d’ordre génétique que suscite
en général l’œuvre d’Aristote, dans la question de la datation relative
des différents chapitres qui constituent aujourd’hui notre Rhétorique,
ou encore dans l’établissement de l’authenticité de certains passages
de ce traité.
34 RHETORICA

Annexe:
les emplois d’šθικì̋ dans les traités aristotéliciens

Traités livre ch. p. Bekker ‚ρετ / φιλÐα autres emplois «relatif «capable
κακÐα absolus à l’ªθο̋» d’expri-
mer l’ªθο̋»
An. Post. I 33 89b9 θεωρÐα +
EE II 1 1220a5 + +
1220a10 + +
1220a13 + +
2 1220a38 + +
3 1220b34 + +
4 1221b38 + +
5 1222a10 + +
1222b9 + +
10 1227b5 + +
1227b8 + +
VII 1 1234b28 éξι̋ +
7 1241a10 + +
10 1242b32 + +
1242b36 + +
1243a1 + +
1243a8 διˆλυσι̋ +
1243a32 + +
1243a35 + +
1243a36 φÐλοι +
1243b2 φÐλοι +
1243b9 + +
EN I 13 1103a5 + +
1103a7 âλευθεριìτη̋, σωφροσÔνη +
II 1 1103a15 + +
1103a17 + +
1103a19 + +
2 1104b9 + +
5 1106b16 + +
9 1109a20 + +
V 15 1138b14 + +
VI 2 1139a2 + +
1139a22 + +
1139a34 éξι̋ +
13 1144a7 + +
1144b15 «partie» +
1144b32 + +
La λèξι̋ šθικ  dans la Rhétorique d’Aristote 35

Annexe: (continuée)

Traités livre ch. p. Bekker ‚ρετ / φιλÐα autres emplois «relatif «capable
κακÐα absolus à l’ªθο̋» d’expri-
mer l’ªθο̋»
EN VII 12 1152b5 + +
VIII 15 1162b23 + +
1162b31 + +
X 8 1178a18 + +
1178a19 + +
1178a25 + +
MM I 1 1181a24 «questions» +
1181b28 πραγµατεÐα +
5 1185b13 + +
1185b15 «exemples» +
6 1185b38 + +
1186a2 + +
Mét. A 1 981b5 τ€ šθικˆ (= Eth.) +
6 987b1 «questions» +
M 4 1078b18 + +
Phys. VII 3 247a7 + +
Poét. 6 1450a29 û σει̋ +
18 1456a1 τραγωúδ Ðα +
24 1459b9 âποποιÐα +
1459b15 ™ ÇΟδÔσσεια +
1460b3 µèρο̋ +
Pol. I 13 1260a15 + +
1260a17 + +
1260a20 + +
II 2 1261a31 τ€ šθικˆ (= Eth.) +
III 9 1280a18 τ€ šθικˆ (= Eth.) +
12 1282b20 «questions» +
IV 11 1295a36 τ€ šθικˆ (= Eth.) +
VII 13 1332a8 τ€ šθικˆ (= Eth.) +
1332a22 λìγοι (arguments) +
VIII 5 1340a38 γραφεÔ̋, ‚γαλµατοποιì̋ +
6 1341a21 αÎλì̋ +
7 1341b34 µèλο̋ +
1342a3 ρµονÐα +
1342a28 µèλο̋ +
36 RHETORICA

Annexe: (continuée)

Traités livre ch. p. Bekker ‚ρετ / φιλÐα autres emplois «relatif «capable
κακÐα absolus à l’ªθο̋» d’expri-
mer l’ªθο̋»
Probl. XIX 920a6 âνèργεια +
Rhét. I 2 1358a19 «questions» +
8 1366a7 λìγο̋ +
II 18 1391b21 λìγο̋ +
1391b25 λìγο̋ +
21 1395b12 λìγο̋ +
III 7 1408a11 λèξι̋ +
1408a25 δεØξι̋ +
12 1413b10 λèξι̋ +
16 1417a16 δι γησι̋ +
1417a22 «éléments» +
17 1418a15 λìγο̋ +
1418a18 γν¸µη +
Top. I 14 105b20 προτˆσει̋ +
105b21 προτˆσει̋ +

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