Anda di halaman 1dari 3

Enquête

Médailles sous influence


| 09.09.10 | 14h15 • Mis à jour le 09.09.10 | 14h16

Eric Woerth n’a pas de chance avec la Légion d’honneur. Il en trouble l’ordre aujourd’hui,
après avoir contribué à le mettre en retard, hier. C’était fin 2007, Nicolas Sarkozy, nouveau
président et grand maître de l’ordre, souhaitait étendre sa rupture jusqu’aux décorations
officielles de la République en imposant la parité totale. Le temps de refaire les listes pour les
rendre conformes à la nouvelle consigne et la promotion attendue pour le 1er janvier 2008 était
parue au Journal officiel (JO) avec un mois de délai. Parmi les principaux fautifs : le
ministère du budget, alors dirigé par M. Woerth, qui n’avait réussi à proposer qu’une femme
pour dix hommes.

Deux ans plus tard, "les choses se sont mises en place", constate le général Jean-François
Collot d’Escury, directeur de cabinet du grand chancelier de la Légion d’honneur, au prix
d’une adaptation de la demande présidentielle : "L’objectif de parité doit être atteint sur
l’ensemble des promotions et non plus ministère par ministère." Ceux qui ont enfin appris à
reconnaître les "mérites éminents" (ou "distingués" pour l’ordre national du Mérite) de leurs
nombreux effectifs féminins compensent ceux qui attendent que les femmes montent dans les
hiérarchies et obtiennent le nombre d’années de service requis (au moins vingt pour la Légion,
quinze pour le Mérite).

En revanche, les autres injonctions de la rupture sarkozienne sont loin d’avoir produit des
résultats aussi visibles. Les "personnes de rang modeste" ou "celles issues des minorités",
dont l’Elysée déplorait la trop faible représentation en 2007, restent rares dans les trois
promotions "civiles" annuelles de la Légion d’honneur (1er janvier, Pâques et 14 -Juillet).

Et l’affaire Woerth-de Maistre produit même un effet diamétralement opposé à celui qui était
recherché par cet affichage. L’intervention de l’ex-trésorier de l’UMP, devenu ministre du
travail, en faveur de la décoration du gestionnaire de la première fortune du pays, employeur
de sa femme et donateur de son parti, étaie les critiques les plus radicales de l’usage fait, de
nos jours, de la Légion d’honneur. Celles d’une "France des décorés déconnectée de la
sociologie et de la géographie du pays, reposant avant tout sur une proximité quasi physique
avec les ministères ou les ambassades", selon les termes d’Olivier Ihl, directeur de l’Institut
d’études politiques de Grenoble, et exégète des honneurs républicains. Celles d’une
récompense décernée non plus au mérite mais à la "fidélité politique ou personnelle", selon
M. Ihl. Celles d’un entre-soi de l’élite où les jeux relationnels peuvent confiner au trafic
d’influence.

Nicolas Sarkozy serait lui-même bien mal placé pour en faire le reproche à son ministre. A
chaque nouvelle promotion, à chaque nouvelle remise de croix à l’Elysée, individuelles ou
groupées, les observateurs n’ont pas manqué d’ironiser sur le mélange d’amitié, d’intérêt, de
remerciements, qui semble prévaloir dans le choix des distingués, de Didier Barbelivien à
Isabelle Balkany, en passant par la magistrate qui a prononcé le deuxième divorce du
président.
En cela, le président ne dévie pas de la logique de ses deux prédécesseurs. "Le véritable
bénéficiaire de la décoration, c’est celui qui la remet, dit Olivier Ihl. C’est une manière de se
créer des obligés." A ceci près que la France des décorations élyséennes n’est plus marquée
par la surreprésentation de départements tels que la Nièvre ou la Corrèze, comme sous
François Mitterrand ou Jacques Chirac. Elle reflète les fiefs électoraux de Nicolas Sarkozy :
Neuilly, les Hauts-de-Seine, la grande richesse.

Cet enracinement accentue la caricature élitiste et parisienne de la Légion d’honneur, même


s’il n’a pas lancé le mouvement. Sur la liste des invités du Fouquet’s au soir de l’élection de
M. Sarkozy, dix-neuf personnes, dont une majorité de grands patrons, ont été nommés ou
promus depuis trois ans.

Qu’en est-il du Premier Cercle, le club de riches donateurs de l’UMP, imaginé en 2004 par
Eric Woerth, et dont est membre Patrice de Maistre ? La liste de ces donateurs est
confidentielle, mais sur la dizaine de noms qui a filtré dans la presse, aucun n’a vu son
parcours professionnel échapper au ruban rouge. Le chirurgien esthétique Sydney Ohana a été
décoré en 2006 ; Aldo Cardoso, ancien patron du groupe Andersen, a été fait chevalier en
2007, comme l’avocat Robert Bourgi, conseiller officieux en Françafrique de l’Elysée.

Le PDG de Montpensier Finance, Guillaume Dard, figure dans la promotion du 1er janvier,
comme le conseiller en relations internationales Pascal Renouard de Vallière (qui produit sur
son site une lettre de félicitations d’Eric Woerth). Cheville ouvrière de ce Premier Cercle, la
conseillère de Paris Valérie Hoffenberg a, elle, reçu sa Légion d’honneur des mains du
président en 2008.

Dans chacun de ces cas, impossible de démêler l’écheveau de relations personnelles, de


fidélité politique et d’intérêts bien compris, de services rendus à la patrie ou au parti, qui ont
motivé la récompense. Le risque de mélange des genres n’a retenu personne de proposer,
d’accepter ou de remettre la croix désirée. Confrontés à ces scrupules, les défenseurs de M.
Woerth rejoignent les arguments des opposants de toujours à la Légion d’honneur. "Hélas,
elle est tellement galvaudée, depuis si longtemps, dit ainsi Jean-François Mancel, ex-président
du conseil général de l’Oise, ami et ancien mentor d’Eric Woerth. Il y a une dérive terrible.
Cela consiste à faire plaisir ou à récompenser quelqu’un qui était là au moment où il le
fallait."

Aux formules défensives du ministre du travail pour justifier son intervention en faveur de M.
Maistre - "J’ai fait comme de multiples députés, c’est d’une grande banalité" - le député PS
Gaëtan Gorce veut opposer le rigorisme de ceux qui croient à l’exemplarité de la distinction.
Selon l’élu de la Nièvre, où François Mitterrand décora sans compter, les demandes de
parlementaires ne sont pas si fréquentes. "Cela m’est arrivé une seule fois en treize ans de
mandat, assure-t-il. Et c’était pour un ancien résistant, présentant de nombreux faits d’armes.
Je ne me serais pas permis de solliciter une distinction de cette nature, pour les motifs que M.
Woerth invoque, dans les termes qu’il emploie. Faire une demande de Légion d’honneur reste
un acte singulier. Quant à l’obtenir, c’est très rare, tant les contingents sont limités. Il faut
soit avoir un dossier très solide, soit être un député très influent."

Pour tenter de conserver cette exemplarité au millier de Légions d’honneur civiles attribuées
chaque année, la grande chancellerie de l’ordre compte sur une série de contrôles. En amont
de la constitution des dossiers par les ministères, les préfectures peuvent vérifier les casiers
judiciaires ou déclencher une enquête de moralité. En aval, un conseil de l’ordre, composé de
seize membres, vérifie la validité des candidatures. Il se prononce sur la foi d’un formulaire
standard de quatre pages, où les cabinets ministériels doivent rédiger un avis circonstancié sur
la personne proposée. Mais ces dossiers ne permettent pas d’apercevoir les petits calculs ou
les jeux d’influence qui peuvent avoir poussé tel ou tel nom.

Le plus édifiant exemple de dossier bidon, qui a réussi à passer tous les filtres, est contenu
dans le jugement du tribunal correctionnel de Paris condamnant Charles Pasqua, en 2009,
pour "trafic d’influence" dans le procès de l’Angolagate - décision dont l’ancien ministre a
fait appel. Les juges y démontent comment l’homme d’affaires Arcadi Gaydamak a été décoré
de l’ordre national du Mérite grâce à un dossier présenté par le ministère de l’agriculture pour
"ses éminents mérites dans les échanges commerciaux de produits carnés". "Supercherie"
montée, d’après les juges, grâce à une intervention de M. Pasqua en échange du financement
de sa formation politique. Le tribunal concluait sèchement : "Pour un élu, le fait de monnayer
(...) une intervention en vue d’obtenir, en faveur d’un tiers, une distinction honorifique, fût-
elle méritée, présente une réelle gravité (...). Les valeurs distinguées par nos deux ordres
nationaux, qui ne sont ni l’influence ni l’entregent, ne peuvent être ni échangées, ni vendues."

L’Etat français lui-même peut être tenté d’échanger le prestige de ses décorations contre la
promotion de ses propres intérêts. C’est parfois le cas avec les distinctions accordées aux
personnalités étrangères. Ainsi la Légion d’honneur accordée à Abdul Razak Baginda, un
proche du pouvoir malaisien un temps accusé d’avoir commandité le meurtre de son ancienne
maîtresse, doit-elle sans doute davantage à son rôle dans un contrat de vente de deux sous-
marins franco-espagnols à Kuala Lumpur qu’à sa passion pour Napoléon.

Longtemps ces taches sur l’honneur national ont été indélébiles. "Les décorations accordées
aux étrangers ne sont qu’honorifiques, explique Laurent Stefanini, chef du protocole au
ministère des affaires étrangères. Comme ils n’étaient pas formellement entrés dans l’ordre,
on ne pouvait les en exclure." Une récente modification du code de la Légion d’honneur va
mettre fin à cette anomalie. La toute première de ces déchéances devrait frapper le général
Manuel Noriega, l’ancien dictateur panaméen élevé au grade de commandeur, en 1987, par
François Mitterrand, et qui vient d’être condamné à Paris pour blanchiment d’argent
provenant du trafic de drogue.

En France, les soupçons de jeux d’influence ont pu aussi être alimentés par le fait que
plusieurs catégories professionnelles, censées demeurer indépendantes, se sont habituées à
l’idée de se laisser décorer. "Pendant la dernière partie de la IIIe République, après la
première guerre mondiale, puis toute la IVe, il ne serait venu à l’esprit d’aucun magistrat,
journaliste ou syndicaliste en activité d’accepter une Légion d’honneur, dit Olivier Ihl. Avec
la Ve République, l’acceptation est entrée dans les mœurs à un point tel que ce ne sont plus
que les refus, aujourd’hui, qui font du bruit."

Toute la haute hiérarchie de la magistrature produit ainsi ses décorations les jours de rentrée
solennelle des tribunaux. "Que l’exécutif puisse distinguer des membres du judiciaire n’est
pas sain, dit Mathieu Bonduelle, secrétaire général du Syndicat de la magistrature (SM,
gauche). C’est un affaiblissement de la séparation des pouvoirs." Quant aux journalistes,
beaucoup refusent toujours le principe d’être décorés, mais d’autres, parmi les plus visibles,
l’acceptent.

Jérôme Fenoglio

Anda mungkin juga menyukai