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Mutus Liber

revu le 4 août 2006

Plan : I. introduction [journal des Savants, 1677 - frontispice du ML - les


versets du Pentateuque : Gen 28, 11, 12 - Gen 27, 28, 39 - Deut 33, 13, 28 -
le sel végétal fixe - l'esprit volatil sulfureux - quaternité - l'esprit nitro-aérien -
le sacrifice d'Abraham - la Philosophie - putrefactio - la Discorde - la source
vive - planche quatrième : la fixation - Nemrod ou la parabole sur la
cohobation - la tunique de Nessus - les cinq formes de renaissance] -
tableau des planches - II. Explication des opérations - III. Mutus Liber :
planches I - II - III - IV - V - VI - VII - VIII - IX - X - XI - XII - XIII - XIV - XV -
IV. Epilogue : Soulat des Maretz - bibliographie sommaire -

figures du Rosarium Philosophorum commentées : I - III - IV - V - VI - VII -


VIII - IX - XI - XVII - XXI -

Abréviations : Myst. : Mystère des Cathédrales [Fulcanelli] ; DM I ou II :


Demeures Philosophales [Fulcanelli et Eugène Canseliet] - BCC :
Bibliotheca Chemica Curiosa [Manget] - TC : Theatrum Chemicum [Zetzner]
- ML : Mutus Liber - Ros. Phil. : Rosarium Philosophorum - Ancien
Testament : Gen (Genèse) ; Deut (Deutéronome) - | SH : Serge Hutin -
Turba XXXV, 1 [Tourbe des philosophes, sermon 35, version 1] -

I. Introduction

Le 16, d'août 1677 paraît un article dans le Journal des Sçavants [pp.
193-196]

JOURNAL DES SAVANTS

Du Lundi 16 Aout M. DC. LXXVII.

MUTUS LIBER, IN QUO TATEM TOTA

Philosophia Hermetica figuris hieroglyphicis depingitur, Aurore cujus


nomen est Altus. In fol. Rupellae apud Petrum Savouret 1677.

Et se trouve à Paris chez Pierre le Petit et Estienne Michaller.

Tout le monde sait qu’Hermès est le premier qui a eu la Science


de la Transmutation des Métaux, après laquelle on voit encore
tant de gens inutilement occupés. L’Auteur de ce livre prétend

1
montrer ici tout le mystère de cette haute Philosophie & tout le
progrès de cet Art, par de seules figures hiéroglyphiques, sans
aucun discours & sans nulle explication. C’est ce qui le fait
appeler le Livre Muet, ne disant pas même le nom de celui à qui il
doit le jour. Ceux qui se plaisent à se ruiner à la recherche du
grand œuvre ne seraient peut-être pas fâchés qu’on donnât ici
l’âme & la parole à tant de figures muettes qui composent ce
Livre. Je me contenterai d’en déchiffrer quelques- une, laissant à
l’Auteur la liberté de leur donner tel autre sens qu’il lui plaira. Un
peu au-dessus du milieu de la deuxième planche on voit une
Vessie de verre ou Œuf des Philosophes, dans lequel il paraît un
Neptune, qui s’élève sur un Dauphin ayant sous ses bras deux
figures humaines avec les caractères de l’or & de l’argent sur la
tête. Il semble que l’Auteur veuille montrer par-là qu’il faut mettre
ces deux nobles Métaux dans l’œuf des Philosophes pour s’y
fermenter & s’ouvrir par le sel volatil du Nitre tiré du sel commun
qui est très fixe, représenté par un Dauphin, duquel ce Neptune
s’élève. Ce sel volatil nitreux qui est l’agent universel des
Philosophes, et qui contient leur sel, leur soufre & leur mercure
est excité par la douce & humide chaleur du Bain vaporeux à feu
de lampe, comme on voit au bas de cette même Planche. Mais
parce que ce sel nitre doit être parfaitement purifié, & tel qu’il se
trouve partout dans l’air, séparé des soufres étrangers, de l’alun,
& d’un sel fixe commun, la quatrième Planche semble montrer que
lorsque le Soleil est dans le Signe du Bélier ou du Taureau, il faut
ramasser sur des linges bien nets la Rosée céleste imprégnée de
ce feu fixe, & sel solaire, que l’air condensé par la fraîcheur de la
nuit laisse tomber sur la terre, ainsi qu’une éponge pressée rend
l’eau qu’elle contenait dans ses pores. Lorsque ce sel Solaire qui
n’est autre chose qu’un Nitre très purifié est concentré & pétrifié
par une adroite préparation, il imbibe la lumière & devient un petit
Soleil artificiel. Peut-être est-ce ce feu perpétuel des Urnes des
anciens si célèbre dans l’Antiquité, & si recherché par les
modernes : & peut-être aussi les nouveaux Phosphores de M.
Krafft [p. 190 : Liqueur de Terre Seiche de sa composition qui jettent
continuellement de grands éclats de lumière] dont nous avons parlé
dans le journal précédent, ne sont-ils autre chose qu’une
préparation de ce même Nitre. Ce même sel étant dûment réduit
en liqueur devient l’alcaest, ou dissolvant universel tant caché par
les Maître de l’art : aussi l’expérience fait voir que le sel volatil de
la Rosée de Mai dissout l’or aussi facilement que l’eau chaude
dissout la glace. On voit dans la huitième Planche ce mercure des
Philosophes qui est le soleil & l’âme des plantes employé à ouvrir
ces deux nobles Métaux à l’aide de la chaleur du Bain vaporeux,
& par le moyen de deux substances qu’il contient, dont l’une est
blanche & l’autre rouge. La blanche est la Lune des philosophes,
& la rouge ou l’intérieure est leur Soleil ; & c’est de cette dernière
que les Maîtres de l’Art tirent avec de l’esprit de vin une teinture
qui est le véritable Or Potable des Philosophes, après que le Nitre
étant refroidi a pris une couleur bleue en quittant la verte, qu’il
avait acquise dans le Creuset par deux heures de cuisson. C’est

2
aussi cette partie intérieure du Nitre, qui est le soufre homogène à
celui de l’or, puisqu’il acquiert sa couleur par degrés, & qu’étant
préparé d’une façon il donne un très belle teinture d’or au Régule
d’antimoine. Dans les quatre Planches qui suivent ce Sel Nitre ou
menstrue universel est employé à disposer le mercure commun.
La treizième Planche contient la Projection, & la quatorzième
semble enseigner la façon d’une minière artificielle & perpétuelle,
dans laquelle l’or & l’argent croissent comme les Plantes sur la
Terre : Puisque l’expérience fait voir qu’une once d’argent de
coupelle dissout dans l’esprit de Nitre croît dans une fiole en
arbre Métallique, si on y ajoute demi-livre d’eau de fontaine, &
environ deux onces de bon Mercure commun. Enfin la quinzième
& dernière Planche semble montrer que le Mercure commun qui
était autrefois indomptable comme un Hercule, sous la figure
duquel cet Auteur le représente, est enfin terrassé, & qu’après sa
mort il s’en forme le Soleil & la Lune, c’est-à-dire l’or & l’argent
artificiel des véritables philosophes Hermétiques.

L'analyse du ML est pour le moins sommaire mais l'auteur dégage


l'importance du Nitre [appelé sel volatil nitreux] ainsi que de la rosée
céleste. Autant dire la substance et la forme du feu secret des
alchimistes, autrement appelée Mercure .

Le 9, de mai 1686, Limojon de saint Didier, l'un des Français les


mieux éclairés sur l'Art sacré écrit une Lettre d'un Philosophe Sur le
fecret du grand Oeuvre écrite au fujet des Inftructions qu'Ariftée a
laiffées à fon Fils, touchant le Magiftere Philofophique. Des
passages de cette Lettre pourraient presque servir de sous titre à
bien des planches du ML.

Pifcis pifce capitur, volucrifque avi,


Aer quoque capitur aere fùavi.

Remarquez bien ces paroles, elles renferment tout le fecret de l'air des
Philosophes que le Cosmopolite nous expofe fous le nom de l'aiman
Philofophique ; lorsqu'il dit, aer generat magnetem, magnes vero
generat, vel facit apparere aerem noftrum ; c'eft-là ( dit-il ) l'eau de
noftre rofée, de laquelle fe tire le falpetre des Philofophes, qui nourrit,
& qui fait croître toutes chofes ;
On voit que la rosée est le processus dynamique qui conduit,
progressivement, à l'obtention du dissolvant des métaux ou
alkaest de Glauber. Rosée et salpêtre sont à l'identique de rose et
croix, c'est-à-dire en langue hermétique, fleur et étoile. Nous y
reviendrons dans le § II touchant aux explications de certaines
planches.

Le Mutus Liber ou Livre Muet est l'un des fleurons de l'iconographie

3
alchimique. Eugène Canseliet en a établi une édition critique en
1958 [L'Alchimie et son Livre muet (Mutus Liber). Réimpression
première et intégrale de l'édition originale de La Rochelle - 1677 -
Introduction et commentaires par Eugène Canseliet, F.C.H., disciple de
Fulcanelli. A Paris, chez Jean-Jacques Pauvert - cité in l'Alchimie
expliquée sur ses Textes classiques, Pauvert, 1972, 1980, p. 37]. Il y
revient dans l'Introduction de son Alchimie quand il évoque la
composition gravée qui abrite le titre :

Le livre Muet, dans lequel cependant toute la Philosophie hermétique


est représentée en figures hiéroglyphiques, consacré au Dieu
miséricordieux, trois fois très bon et très grand, et dédié aux seuls fils de
l'art, par l'auteur de qui le nom est Altus.
Mutus Liber, in quo tamen tota Philosophia hermetica, figuris
hieroglyphisis depingitur, ter optimo maximo Deo misericordi
consecratus, solisque filiis artis dedicatus, authore cuius nomen est
Altus.

4
planche inaugurale du Mutus Liber, Bibliotheca Chemica Curiosa,
Mangetus, 1702 [cliquez sur les nombres associés aux chapitres du
Pentateuque pour accéder au verset correspondant]

Ce texte est suivi de nombres en chiffres arabes qui indiquent des


passages du Pentateuque :

5
21. 11. 82. Neg. - 93. 82. 72. Neg. - 82. 31. 33. Tued. dont le rétablissement
conduit à : Gen(esis) - Genèse - chap. 28, 11 et 12 - Gen(esis) - Genèse -
chap. 27, 28 et 39 - Deut(eronomium) - Deutéronome - chap. 33, 13 et 28.

[certaines sources donnent Deut 33, 18 au lieu de 33, 13 mais la graphie


indique bien 33, 13. Du reste, à prendre le verset Deut 33, 18 on se rendrait
compte que le sens serait perdu].

La Bible a donné lieu à des interprétations très variées en dehors


de son sens premier. On a voulu y voir, entre autre, des intentions
occultes. Ce n'est pas là le message professé par des hermétistes
comme Fulcanelli ou E. Canseliet qui ont su dégager l'alchimie de
la gangue d'obscurantisme théosophique dans laquelle, vers la fin
du XIXe siècle, des cercles de sectateurs égarés voulaient faire
choir l'Art sacré. Le passage de la Bible qui a les rapports
peut-être les plus immédiats avec l'alchimie est le suivant, repris
maintes fois :

« C'est un feu que je suis venu apporter sur la terre, et comme je voudrais
qu'il soit déjà allumé. » [Lc 12, 49]

Le verset se rapporte à la raison de la présence du Christ parmi


nous; d'un autre point de vue, l'Artiste y voit une parabole sur le
feu secret dont sa doit être mondée. Ce feu, c'est évidemment
son Mercure dont l'obscurité radiante est la marque du sol niger
qui, d'abord, marque l'oeuvre du sceau de la ténèbre. Sceau
ou plutôt scel que la cabale autorise à rapprocher du vocable SEL.
Mais déjà, l'égarement guette l'impétrant car les Adeptes ont
dissimulé le fait suivant : il y a deux « S(C)ELS » dans l'oeuvre
dont l'un sert de moyen - d'objet - alors que l'autre est la fin - et le
sujet - des Sages. Comment démêler l'écheveau ? Le feu secret
des alchimistes se présente comme une substance poudreuse
voire porphyrisée, devant être tenue à l'abri de et de
préférence, en dehors des rayons du . Cyliani s'exprime ainsi
là-dessus :

« Je vis alors deux superbes vases en cristal reposant chacun sur un


piédestal du plus beau marbre de Carrara. L'un de ces vases était en forme
d'urne, surmonté d'une couronne en or à quatre fleurons; on avait écrit en
lettres gravées dessus: Matière contenant les deux natures métalliques.
L'autre vase en cristal était un grand bocal bouché à l'émeri, d'une forte
épaisseur, on avait gravé pareillement dessus ce qui suit: Esprit astral ou
esprit ardent, qui est une déjection de l'étoile polaire. Ce vase était surmonté
d'une couronne d'argent ornée de neuf étoiles brillantes. » [Hermès
Dévoilé, Introduction]

L'étude de nombreux textes du corpus permet de montrer que le


premier vase contenant la nature métallique ressortit de la fleur
ou anqoV ammonoV. La forme d'urne [qui est aussi celle du noeud
ascendant du dragon ou ingrès ] atteste qu'il s'agit d'un tertre
tumulaire où il n'est pas difficile de voir le tombeau récurrent des

6
gravures du Ros. Phil. En d'autres termes, il s'agit de l'antimoine
saturnin d'Artephius et de Tollius. Et les deux natures métalliques
sont les corps du et de . Quant à l'autre vase, il s'agit du
vase de nature qui est formé d'une substance d'origine ou plutôt
d'essence céleste: les Adeptes la nomment crachat de Lune ou
suc de la Lunaire : c'est la déjection de l'étoile polaire ou Aimant
des métaux. Ce second vase est surmonté d'une couronne
d'argent, dont le symbole n'est pas mais . Voilà qui permet
de distinguer le SCEL de l'oeuvre du principe SEL dont
l'idéogramme est . Nous avons ainsi trois principes qui sont, en
toute virtualité, vifs : les corps mêlés sont réduits sous trois
genres principaux, savoir le végétal, l'animal et le minéral. Le
minéral joue un rôle particulier par sa relation aux terres et aux
pierres : il forme donc la matrice du lapis [la résine ou toyson de l'or
alchimique que certains appellent encore terra alba foliata]. Le végétal
correspond au principe de multiplication du lapis et et permet de
jeter quelque lumière sur l'obscurité des chiffres que l'on observe
à la planche 13 du ML [100 - 1000 - 10 000, etc.] où, manifestement,
un processus d'accroissement est à l'oeuvre, après que l'oeuf
philosophique a été introduit dans l'athanor.

Baro Urbigerus, Besondere Chymische Schriften, Hamburg, 1705 - les


deux natures métalliques et la matière minérale

À gauche, l'esprit astral dans la vision d'Urbigerus. À droite, les


natures métalliques. L'esprit astral ou esprit ardent permet de
spiritualiser les corps en les rendant glorieux, ce qu'atteste la
forme stellaire prise par les métaux, de même que la couronne.
De l'autre côté, le personnage affecte la même pose que le rêveur

7
de la planche I du ML. Les Soufres des métaux dorment dans leur
gîte, ce qu'on reconnaît à l'amande dans laquelle chacun se
trouve reclus. Amande où là encore on devine sans effort celle
des branches d'églantier ou de rosier qui ornent le frontispice du
ML. Il n'est pas jusqu'au Monde, la lame XXI du tarot, qui ne
puisse être évoquée [voir Antoine Court de Gébelin : Monde primitif,
analysé et comparé avec le monde moderne vol. 8, tome 1, Paris 1781,
pp. 365- 410] mais nous ne pouvons, dans le cadre de cette
section, développer une amplification là-dessus [voir tarot
alchimique]. Quoi qu'il en soit, l'artifice mystérieux qui fait l'un des
grands secrets des alchimistes permet de transformer une
substance - ou un ensemble de substances - en sorte d'opérer sa
transmutation [transfert] d'un état inanimé [état amorphe] à un état
où l'âme a été infusée [état cristallin] où survient une circulation.
Urbigerus [alias Borghese ou C. de Siebenb] a consacré son
Circulatum minus Urbigeranum [London, 1690] au sujet. Il n'est
peut-être pas inutile de donner un extrait de la Circulation Mineure
Urbigurienne :

VI. La troisième manière commune consiste seulement en la


conjonction d’un Sel Végétal fixe avec son propre Esprit volatil
sulfureux, choses qui peuvent être aisément trouvées toutes préparées
par tout vulgaire chimiste ; et puisque dans leur préparation le soufre
le plus pur, contenant l’esprit, a souffert par leur manipulation non
philosophique, ils ne peuvent être inséparablement liés sans un médium
sulfureux, par lequel l’Ame étant renforcée, le Corps et l’Esprit sont
aussi à travers lui rendus capables de la plus parfaite union.
C'est évidemment au mariage de et de que nous sommes
invités. Le sel végétal fixe est évoqué dans la planche 4 du ML.
Est-il besoin d'ajouter que l'encadrement de la scène par le Bélier
[lieu d'exaltation traditionnelle du ] et le Taureau [exaltation de la ]
abonde dans le sens de cette interprétation ? Il faudrait revoir la
planche qui débute le Triomphe hermétique [Limojon de saint Didier].
L'esprit volatil sulfureux [il s'agit de l'esprit sulfureux volatile vitriolique
de Stahl, obtenu dans la distillation du vitriol : l'exposition à l'air libre le rend
à la qualité d'acide vitriolique - voir planches du Dictionnaire de Pernety, n°
166] se rapporte sans doute à celui qui est évoqué par Basile
Valentin dans son Dernier Testament [voir Christophle Glaser, Traité
de la Chymie, Paris, 1663, pp. 242-246 in
http://pwp.netcabo.pt/r.petrinus/calc-destvitr-f.htm ]. Le renforcement de
l'Âme passe, on l'a vu, par un agent intermédiaire qui prend divers
noms dont celui de rosée. Il s'agit là d'une partie du feu secret,
véritable aqua viva ou fontaine de jouvence. Cette aurifontina est
décrite dans l'une des gravures du Ros. Phil. et elle forme le
chapitre I de Jung, Psychologie du Transfert [trad. Albin Michel 1980].
Des rapports nets s'établissent entre quatre planches [1, 4, 9, 12]
du ML et cette première gravure. La fontaine est tripartite : la
planche 1 du ML possède aussi ce caractère, quoique moins

8
évident : le rêveur dont la tête repose sur le rocher est comme un
trait d'union entre la Terre et l'air [entendu comme spiritus]. Il
s'agit presque de la représentation d'un tableau dans un autre
tableau puisque nous voyons ce que voit le personnage : un
songe. C'est donc, d'une certaine manière, une réalité psychique.
Peut-on en dire autant de la croyance en Dieu qui est l'expression
numineuse d'une représentation éidétique ? Nous ne saurions
aller jusque là, mais Jung, dans sa Réponse à Job [trad. Buchet
Chastel, 1959] semble formel. C'est un point d'importance :

« La controverse est née du préjugé singulier selon lequel rien n'est vrai que
ce qui se présente ou s'est présenté sous la forme d'une donnée physique. »
[Réponse à Job, Lectori Benevolo, p. 13]

Si un rêve possède le statut de réalité tangible, ce qu'on ne


saurait assurément lui refuser - et il s'agit du produit inconscient
de notre psyché - prêterait-on un caractère moins réel à la partie
de notre esprit accessible à la conscience en état d'éveil ? Ne
peut-on point y voir les traits d'une réalité catégorielle ?

« Car le critère d'une vérité n'est pas seulement son caractère "physique" : il
est aussi des vérités psychiques, vérités de l'âme qui, dans la perspective
physique, ne sauraient pas plus être expliquées que récusées ou
démontrées. » [idem, p. 14]

Il nous semble important d'insister sur cet aspect du rêveur et du


songe quasi matérialisé qui nous est donné sur cette planche de
frontispice du ML. On peut même aller plus loin si l'on tient compte
que le feuillage de la roseraie [un clin d'oeil possible au Ros. Phil., i.e.
la Roseraie des Philosophes] prend l'allure d'un opercule, d'une
sorte d'oeilleton d'où la scène est vue non par accident mais de
manière consciente. On pourrait croire qu'il s'agit là d'un jeu de
miroir voulu du graveur et du commanditaire. Si nous avons
évoqué la Foi, c'est que, le lecteur l'aura remarqué, la spiritualité
est omni présente dans les quinze planches du ML. C'est aussi le
cas pour certaines des gravures du Ros. Phil. et de toute manière,
le parallèle est aisé à établir - on le verra bientôt - entre le ML et
des versets de l'Ancien Testament. Le second point trinitaire est à
établir entre le ciel firmamental [que le Philalèthe nomme l'Air des
Sages, voir Introïtus, VI] et la Terre , via un système complexe où
pas moins de trois éléments participent.

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fig. 1 du Ros. Phil. - auri fontina

La figure de l'ange d'abord qui exprime la liaison entre le spirituel


[versant humain] et le divin ; l'échelle visualise la liaison et, à son
tour, représente une graduation [voir infra Michelspacher]. Le son,
enfin, donne comme une troisième dimension à l'ensemble : les
anges portent des buccins et l'on sait l'importance de la musique
dans l'Art sacré [voir Atalanta fugiens]. Espace et temps sont ainsi
représentés en une scène qui, certainement, est unique dans
l'histoire de l'alchimie. Il manque un autre élément qui permette de
transformer cette trinité en quaternité : on le trouve dans le
phénomène de transformation intérieure, psychique. Cet élément
n'est pas immédiatement perceptible et nécessite de résoudre un
rébus très facile qu'Altus a fait inscrire sur la planche I. Ce rébus
conduit à la lecture des versets bibliques inscrits à gauche du
rêveur. Il s'agit de six extraits du Pentateuque, Gen (1, 2, 3, 4) et
Deut (1, 2). Ce n'est pas un hasard si le nombre d'extraits est de
six [d'autres versets évoquent en effet la rosée] mais il s'agit là d'un
artifice pour signaler l'entrelacement du et de qui aboutit à
l'étoile de Salomon ou digamma qui est l'image même du
lapis. Cette lecture permet de comprendre qu'une transformation
radicale s'opère dans la psyché de Jacob et qu'à la tripartition
AER - TERRA - COELUM vient s'ajouter le transfert psychique dont
le rêve forme la précipitation. Ainsi, d'un état corrompu et
amorphe, Jacob passe-t-il d'un état dépuré à un état pour ainsi
dire limpide, clair comme du cristal de roche. Désormais, il sera
en paix avec sa conscience. Nous l'avons dit, c'est la rosée qui
forme la trame ou le continuo des versets. L'intérêt d'un lien «
externe » en direction du Pentateuque procède d'un double but :
imposer la relation, exotérique, entre la Bible et la planche

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inaugurale du ML. Exposer une autre relation, ésotérique, entre le
lecteur ainsi prévenu et l'ensemble des quinze planches, via la
méditation des six versets. C'est là une entreprise ardue que seul,
à ce sommet d'expression, saura égaler sans la dépasser, Michel
Maier en son Scrutinium Chymicum [alias Atalanta fugiens, version
datant de 1687]. Sur ce que nous disions de l'Hermès Dévoilé, nous
relevons des points de convergence avec la fig.1 du Ros. Phil.
dont l'exotérisme est suffisant pour que nous puissions y trouver
la contre partie ésotérique dans la planche 1 du ML. Les quatre
fleurons évoqués par Cyliani sont à trouver dans la

« quaternité carrée délimitée aux quatre coins par les quatre étoiles. Ces
quatre sont les quatre éléments. En haut et au centre du bord supérieur se
trouve une cinquième étoile... la quinta essentia. » [Jung, Psychologie et
Alchimie, op. cit., p. 61]

La quaternité sera plus difficile à trouver dans la planche de


frontispice du ML, même si l'on possède une lanterne et que l'on
est chaussé de bonnes lunettes.

Chartier, le Plomb sacré des Sages, p. 59, d'après Hans von Osten, Eine
grosse Herzstärkung für die Chymisten, 1771 [cliquez pour une autre
version]

... & fi apres ces raifons & ces experiences confirmées par l'authorité de
fi grands Philofophes & Chemiftes vous n'eftes affez illuminé, vous
pouvez prendre les Lunetes, les Torches, & les Flambeaux du Hibou de
Khunrath, pour vous conduire, puifque au recit d'Ariftote, la plus
grande partie des Hommes eft de la nature des Chats-Huans, & ne
peut voir clair en pleine lumiere; mefme aux chfes qui naturellement &
vifiblement tombent d'elles-mefme en leur cognoiffance.
Nous allons examiner ce point . On connaît au moins deux
versions de la planche 1 du ML : l'une dans laquelle le fond de la
scène est représenté par la mer comme c'est le cas pour la
version que donne Mangetus, dans sa Bibliotheca Chemica Curiosa.
L'autre qu'E. Canseliet a présenté dans son Alchimie [Etudes de
symbolisme, Pauvert, 1978] et où l'on voit un champ s'étendre jusqu'à
l'horizon. Cette seconde version semble originale puisqu'on peut

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lire, au bas de la planche :

RVPELLAE apud PETRVM SAVOURET . cum


Privilegio Regis M . DC . LXXVII .
Il suit donc de cette observation, qu'il y a deux versions, dont l'une
- originale - ne rend pas compte de la richesse conceptuelle
véhiculée par cette parabole du songe de Jacob. Aussi
avons-nous donné les deux versions, celle utilisée par Mangetus,
sur laquelle porte l'analyse liminaire que nous voyons ici. L'autre
[voir infra] a servi à une amplification antérieure. Pour en revenir à
la quaternité de la planche posée en frontispice, on voit qu'elle ne
se dévoile évidemment que si l'on a sous les yeux les planches du
ML exposées dans la Bibliotheca Chemica Curiosa [elle est accessible
sur le serveur de la bibliothèque Complutense madrilène]. Des quatre
Eléments, deux sont immédiatement perçus : qui prend
d'ailleurs des aspects variés : rochers [dont celui sur lequel est posée
la tête du rêveur], sable [sel d'Ammon], et au loin, à droite, terre fertile
comme en témoigne un bosquet de pins. tranquille, mer étale
renfermant les sels dont l'Artiste a besoin, concentrés dans les
salicornia. Baro Urbigerus est disert sur ce chapitre [Circulatum
minus Urbigeranum] :

V - Notre seconde façon de préparer notre élixir végétal consiste en une


manipulation exacte d’une plante du plus noble degré, se tenant à part,
ou soutenue par d’autres : après la préparation de laquelle, sa
putréfaction, réduction en une huile, séparation des trois Principes
avec leur purification, union et spiritualisation, l’ensemble doit être
transformé en une Fontaine spirituelle éternelle, renouvelant toute
plante qui sera plongée en elle.
C'est de la préparation du dissolvant - alkali fixe - qu'il est
question. Cet alkali peut être obtenu à partir de borith ou de
natron [dans le cas des salicornia]. Urbigerus ajoute que de cette
plante peut être extrait une substance bitumineuse et Fulcanelli
[Myst.] précise une préférence pour le bitume de Judée, trait de
cabale qui n'a nul rapport avec le lac Asphaltite voisin de la Mer
Morte [voir Niepce et Chevreul]. Non. C'est du signe , du que
l'Adepte entend nous parler, et de la façon d'incorporer un rayon
igné qu'il prend à la matière sulfureuse, tirée de la vitreuse
provision du . Cette façon nécessite l'emploi du lut
philosophique par quoi il faut entendre le vase de nature. Du
reste, l'asphalte ou bitume de Judée est une substance qui
partage quelques traits externes avec la matière saline du : elle
est solide, cassante, noire, sulfureuse, inflammable, exhalant en
brûlant une odeur fort désagréable. Ne peut-on pas voir là
quelques-uns des caractères du premier Mercure des alchimistes

12
quand il ressemble au dragon babylonien ? Ce dragon qu'il faut
que l'Artiste choisisse d'un beau noir, luisant, compact, plus dur
que la poix. Ce n'est certes pas la vulgaire substance vendue
dans le commerce qui fera son affaire : il est presque toujours le
caput mortuum de la rectification de l'huile de succin. Les
Hollandais ont en Hongrie des mines de succin dont ils retirent à
part le sel et l'esprit [animus ] et qu'ils dépurent; quant à

l'huile [anima ], ils en obtiennent l'huile d'ambre [l'ambre jaune


évoquée par Michel Maier dans l'Atalanta fugiens, emblème XXXII] dont se
servent les maréchaux et cette substance, vendue presque pour
rien, et nommée bitume de Judée. Le pouvoir remarquable qu'elle
possède d'attirer à elle les corps légers était de nature à
entretenir dans l'esprit l'idée d'une sorte d'action vitale, qu'elle
partageait avec la pierre d'aimant. Ce n'est d'ailleurs pas un
hasard si la magnétite a souvent était confondue, par les rusés
alchimistes, avec l'Aimant des Sages. On a aussi confondu
l'ambre jaune avec la murrhe [voir idée alchimique, VI] mais il s'agit
là d'une distinction déjà assez subtile [au vrai, de ses nombreux
noms, myrritha ou même ambar pourraient prêter à confusion; il ne semble
pas y avoir de rapport entre ambar et cambar, cf. Artephius, Turba et
Senior, De chemia]. Lemery a, dans son Cours de Chymie, traité du
succin en l'appelant karabé [chap. XXI, pp. 458-486]. Sous ce
rapport, l'ambre végétal était l'objet de recherches dont on a pu
affirmer qu'elles revêtaient, chez certains peintres [notamment les
frères Van Eyck] un caractère quasi alchimique. En effet, on ne
connaît pas de dissolvant adéquat à l'ambre, à l'instar du
alchimique. Mais pour en revenir à la susbtance sulfureuse qui fait
tout l'intérêt du Mercure, il s'agit du Souphre principe que Jung
nomme sulphur . Ce principe se retrouve dans les Mixtes et
affecte une forme sensiblement huileuse, à ce qu'en rapporte
Homberg [Du Souphre principe, article troisième, Histoire de l'Académie
royale des sciences avec les mémoires de mathématique et de physique
tirés des registres de cette Académie, 1705, pp. 88-96]. Il n'y a
manifestement que le qui puisse conserver, sinon intact, du
moins sous forme vive, cette huile. Cette matière sulphureuse est
mêlée ou enchassée dans le chaos de la prima materia et elle
paraît alors sous une apparence protéiforme [voir Typus Mundi]. Le
principe actif ne peut être dégagé que dépuré de tout élément
étranger et nous arrivons alors au paradoxe, relevé par Homberg,
que :

Tous les mixtes qui paffent par une Analyfe rigoureufe ou très-exacte,
perdent, comme nous avons dit, le Souphre principe qui avoit compofé
ce smixtes; en forte que plus l'Artifte fe met en epine de le débrouiller,
moins il le trouve. Nous n'avons donc aucune connoiffance pofitive du
Souphre principe par le moyen de nos Analyfes, ou par la
décompofition des mixtes...

13
Le lecteur peut se demander pourquoi nous parlons du Souphre
alors que le sujet du ML est le , à n'en point douter. La
lecture des quinze planches lui aura fait voir qu'un élément est
présent qui, jusqu'à présent, n'a pas été étudié pour ce qu'il était :
la lumière. Voyez ces rais aux planches 4, 9 et 12, décomposées
à la façon d'un prisme.

Robert Fludd (1574-1637) - Philosophia moysaica, Gouda, 1638

La décomposition des mixtes donnent des indices permettant de


montrer que c'est la matière même de la lumière qui est notre
Souphre principe et, du reste, le seul principe actif de tous les
mixtes. L'univers est rempli de la matière de la lumière [que les
Modernes nomment photons] et le point crucial est que cette matière
extrêmement ténue, peut pourtant faire augmenter de poids et de
volume les autres principes. Voici, à cet égard, une expérience
proposée par Homberg :

Le Mercure commun ayant été purifié fuffifamment par le fer & par
l'antimoine, devient plus vif & plus liquide qu'il n'étoit avant cette
purification : cependant en le mettant en digeftion à une chaleur qui
lui convient, il arrive que ce Mercure, fans y ajouter aucune autre
matière fenfible, s'arrête peu à peu & ne coule plus, contre le naturel de
ce mineral , fe changeant en une poudre noire, blanche ou rouge, felon
qu'il plaît à l'Artifte ; cet-te poudre devient plus pefante que n'étoit le
Mercure quand on l'a mis en digeftion, & enfin de très-volatile qu'étoit

14
ce Mercure, jufqu'à fe fublimer par un petit feu de lampe, il devient par
une longue cuiffon fi pareffeux au feu, qu'il en fouffre la rougeur
pendant plus de vingt- quatre heures, & en le pouffant vivement au
feu nud, la plus grande partie s'en va à la vérité en fumée , mais il refte
un petit grain de métail dur, qui s'eft formée dans ce Mercure.
Homberg considère à juste titre qu'il s'est introduit quelque chose
dans ce mercure et qu'il y a eu transformation de la substance
même du , attendu qu'il ne coule plus et devient - à l'instar
d'une certaine variété de verre - malléable. Enfin, en dépit du
4ème degré de feu, il reste un bouton métallique irréductible.
L'erreur de Homberg, le lecteur l'aura deviné, tient à ce qu'il
confond la matière de la lumière et l'effet de la combustion. Erreur
conceptuelle que seul Lavoisier saura rectifier pour faire sortir la
science des ornières occultes [précédé par Mayow (1669), Boyle
(1668) et Priestley (1774), cf. Chevreul - le ML, rappelons-le était sorti dans
son édition rochelaise en 1677]. Mais il est possible, via la cabale
hermétique, de poursuivre cette voie qui, en toute autre
circonstance, conduirait à une impasse. Homberg ajoute :

Cependant en toute cette opération il n y a eu que le feu feul qui ait


touché le Mercure, non pas immédiatement, mais au travers d'un
vaiffeau de verre. Nous avons dit ci-deffus que le feu ou la flame n'eft
autre chofe qu'un mélange de la matière de la lumière & de l'huile du
charbon , ou de quelqu'autre corps qui brûle ; on ne pourra pas dire ici
que c'eft l'huile de ce charbon qui a échauffé le fourneau, qui fe foit
introduit & refté dans le Mercure pour le rendre plus pefant, puifque
l'huile ne fçauroit paffer par les pores du verre : c'eft donc la partie du
feu qui s'eft feparée de l'huile du charbon ; c'eft-à-dire, la matière de la
lumière qui compofoit avec l'huile du charbon la flame qui a échauffé le
fourneau, & cela doit ne-ceffairement être ainfi ; parce qu'aucune
autre matière que celle de la lumière n'a pu paffer au travers des
pores-du. verre pour fe joindre au Mercure.
Il est bien évident qu'un autre principe actif est présent dans le
ballon de verre utilisé par Homberg, l'air atmosphérique, qui
contient le gaz oxygène. Seul avant Lavoisier, John Mayow (1640
-1679) avait eu la prescience de ce fait :

« En effet, il prouve expérimentalement qu'il n'y a qu'une portion de l'air,


pour un volume donné, qui entretient la combustion et la respiration, et que
cette portion est l'esprit nitro-aérien. C'est encore à ce principe qu'est due la
rouille du fer exposé à l'air. Toutes ces vues sont parfaitement justes ; mais,
après avoir fait remarquer que l'esprit nitro-aérien diffère de l'esprit acide de
nitre (l'acide azotique hydraté) en ce que celui-ci éteint la flamme et agit sur
les animaux comme corrosif, il n'explique pas en quoi consiste la différence.
Ainsi, en traduisant la manière de voir de Mayow en langage moderne, il

15
avait vu deux gaz également élastiques dans l'air, l'oxygène et l'azote. »
[Chevreul, critique de Hoefer, III]

Nous voilà au coeur du problème puisque c'est précisément cet


esprit nitro-aérien que le couple alchimique du ML tente de
s'approprier grâce aux toiles tendues [planche 4]. Les anciens
chimistes supposaient qu'il y avait dans l'air un sel universel ou
esprit subtil d'action incessante, tenant de la nature de et ,
nommé par eux nitre aérien ou nitre volatil ou enfin, esprit
universel. Philalèthe le nomme Air des Sages [voir Introïtus, VI]. La
, dans cette philosophie de la nature, serait formée d'un mixte de
sel fixe et de souphre , attirant cet esprit universel; l'ayant
reçu en son sein, il s'y forme un corps appelé Nitre et dont
l'hiéroglyphe est [il ne s'agit pas de la stibine qui n'en forme que

l'enveloppe et pour ainsi dire, la coque]. Cet esprit nitre aérien est
nécessaire à l'Artiste qui souhaite entretenir la flamme invisible de
son feu secret et animer le sulphur en sorte d'en préparer un
rayon igné qui teigne en masse sa terra alba foliata. Cette
expérience fera voir une curieuse propriété de notre Nitre aérien
[à propos du Tractatus Quinque Medico Physici aut. Io. Mayovv. etc.
Varennes, Paris, Journal des Sçavants, 1665, pp. 30-34] :

D'où vient que fi l'on enfonce dans l'eau une chandelle allumée, dune
telle manière que le lumignon refte élevé d'un ou de deux doigts au
deffus de la fuperficic de l'eau ,& qu'au deffus de la chandelle on mette
une ventoufe qui s'enfonce auffi un peu dans l'eau , on voit d'abord
l'eau s'élever dans la ventoufe ; parce que les parties nitreufes de cet air
enfermé étant confumées par la flamme, laiffent le refte de. l'air
affoibly & bcaucoup fort. Et de là vient encore que l'air qui eft le plus
voifin de la flamme, fe trouvant plus foiblc par la perte de ces parties
folides, ne fçauroit refifter à la preffion de l'air voifin. Ainfi il vient
inceffamment de l'air nouveau auprès de la flamme.
Résumons :

Au XVe siècle, Eck de Sulzbach ayant chauffé six livres de mercure et


d'argent amalgamés, dans quatre vases différents, pendant huit jours,
constata que le poids de l'amalgame avait augmenté de trois livres.
Cette expérience, fut répétée au mois de novembre 1489, Mais quelle
est la cause de cette augmentation de poids? Cette augmentation
vient, dit Eck de Sulzbach, de ce qu'un esprit s'unit au corps du métal
; et, ce qui le prouve, c'est que le cinabre artificiel (oxyde rouge de
mercure), soumis à la distillation, dégage un esprit, (Hœfer, Histoire
de la chimie).
J. Rey, en 1630, expliquait cette augmentation de poids par la fixation
d'une certaine quantité d'air. A cette demande, pourquoi l'étain et le
plomb augmentent de poids quand on les calcine,

« il respond et soutient glorieusement que ce surcroît de poids vient

16
de l'air, qui dans le vase a été espessi, appesanti, et rendu
aucunement adhésif par la véhémente et longuement continue chaleur
du fourneau ; lequel air se mesle avec la chaux et s'attache a ses plus
menues parties. »

frontispice du Tractatus Quinque Medico-Physici de Johannes Mayow

En 1669, Jean Mayow, médecin anglais, publia à Oxford un ouvrage


intitulé Tractatus quinque medico-physici, quorum primus agit de
sale nitro et spiritu nitro-aero ; secundus de respiratione, etc.
Dans sa première dissertation, Mayow cherche à expliquer la
composition du nitre, sa production spontanée dans la nature,
l'analogie de son acide avec l'air, l'existence d'un principe dans
l'atmosphère de la même nature que celui du nitre, qui entretient la
combustion, la flamme et la vie.

« Il est d'observation, dit-il, que les sels fixes et les sels volatils, et
môme les vitriols, ayant été calcinés jusqu'à expulsion totale de leurs
esprits acides, absorbent, par une longue exposition à l'air, une
certaine acidité. De plus, la limaille de fer, exposée à l'air humide, est
corrodée comme si elle était attaquée par des acides, et se convertit
en safran de mars apéritif. II semble donc qu'il existe dans l'air un
certain esprit acide et nitreux. Cependant en examinant la chose plus
attentivement, on trouve que l'esprit acide de nitre est trop pesant
proportionnellement à l'air dont il se compose ; et puis, l'esprit,
nitro-aérien, quel qu'il soit, sert d'aliment au feu et entretient la
respiration des animaux, comme nous le démontrerons plus bas ;
tandis que l'esprit acide du nitre est éminemment corrosif, et, loin
d'entretenir la vie et la flamme, il n'est propre qu'à les éteindre. Bien
que l'esprit de nitre ne provienne pas en totalité de l'air, il faut
cependant admettre qu'une partie en tire son origine. D'abord, on
m'accordera qu'il existe, quel que soit ce corps, quelque chose
d'aérien, nécessaire a l'alimentation de la flamme. Car l'expérience
démontre qu'une flamme exactement emprisonnée sous une cloche
ne tarde pas à s'éteindre, non pas, comme on le croit communément
par l'action de la suie qui se produit, mais par privation d'un aliment
aérien. Dans un verre où on a fait le vide, il est impossible de faire
brûler, à l'aide d'une lentille, les substances mêmes les plus
combustibles, telles que le soufre et le charbon. Mais il ne faut pas
s'imaginer que l'aliment igno-aérien soit tout l'air lui-même; non, il n'en

17
constitue qu'une partie, mais la partie la plus active. Il faut admettre
que les particules igno-aériennes, nécessaires à l'entretien de la
flamme, se trouvent également engagées dans le sel de nitre, et
qu'elles en constituent la partie la plus active, celle qui alimente le feu.
Car un mélange de nitre et de soufre peut être très bien enflammé
sous une cloche vide d'air, par conséquent d'où on a extrait cette
partie de l'air qui sert à alimenter la flamme. Et ce sont alors ici les
particules igno aériennes du nitre qui font brûler le soufre. Donc le
nitre renferme en lui-même les particules igno-aériennes nécessaires
à l'alimentation de la flamme. Dans la déflagration du nitre, les
particules igno-aériennes deviennent libres par l'action du. feu,
qu'elles alimentent puissamment. »

Mayow dit encore plus loin :

« Dans la combustion produite par l'action des rayons solaires (à


l'aide d'une lentille), ce sont les particules igno-aériennes qui
interviennent exclusivement. Car l'antimoine calciné a l'aide d'une
lentille se convertit en antimoine diaphorétique, entièrement semblable
à celui qu'on obtient en traitant l'antimoine par l'esprit acide de nitre.
L'antimoine, ainsi traité par l'une ou par l'autre méthode, augmente de
poids d'une manière à peu près constante. Et il est à peine
concevable que cette augmentation de poids puisse provenir d'autre
chose que des particules igno- aériennes, fixées pendant la
calcination. » (Traduction du Dr Hoefer.)

Mayow dit positivement que le sang absorbe une partie de l'air, et


que le changement du sang veineux en sang artériel est une
conséquence du contact de l'air atmosphérique avec ce liquide. Ainsi
donc, d'après Mayow, la respiration, la combustion dans l'air et le
pouvoir comburant du salpêtre sont produits par un seul et même
principe. Boyle entreprit, de 1668 à 1678, une série d'expériences sur
la respiration, et en conclut qu'il y a quelque substance vitale,
disséminée dans l'atmosphère, qui intervient dans la combustion et la
respiration,

« Il est suprenant, dit-il, qu'il y ait quelque chose dans l'air qui soit
seule propre à entretenir la flamme, et qu'une fois cette matière
consommée, la flamme s'éteigne aussitôt; et pourtant l'air qui reste a
fort peu perdu de son élasticité. »

Boyle pense, sans cependant oser se prononcer d'une manière bien


nette, qu'une portion de l'air seulement est capable d'entretenir la
respiration. Avec une grande sagacité, il prévit qu'en déterminant la
composition de la rouille des métaux, on arriverait à connaître celle de
l'air. Priestley découvrit l'oxygène, en cherchant, à l'aide d'une lentille,
quelle espèce d'air pouvaient fournir différentes substances ; à cet
effet, il mettait celles-ci dans un matras rempli de mercure et
renversé sur la cuve à mercure.

« Le 1er août 1774, dit-il, je tâchai de tirer de l'air du mercure calciné


per se (oxyde rouge de mercure), et je trouvai sur-le-champ que par le
moyen de ma lentille j'en chassais l'air très promptement. Ayant
ramassé de cet air environ trois ou quatre fois le volume de mes
matériaux, j'y admis de l'eau, et je trouvai qu'elle ne l'absorbait point ;
mais ce qui me surprit plus que je ne puis l'exprimer, c'est qu'une
chandelle brûla dans cet air avec une flamme d'une vigueur
remarquable. En même temps que je fis l'expérience que je viens de
rapporter, je tirai du précipité rouge ordinaire une quantité d'air qui

18
avait la même propriété ; et cette substance étant produite par une
dissolution de mercure dans l'esprit de nitre, je conclus que cette
propriété particulière dépendait de quelque chose qui lui était
communiqué par l'acide nitreux ; et puisqu'on fait le mercure calciné,
en exposant du mercure à un certain degré de chaleur, de manière
que l'air commun ait un libre accès autour de lui, je conclus
pareillement que cette substance, à ce degré de chaleur, avait reçu
quelque chose de nitreux de l'atmosphère. Trouvant cependant ce fait
beaucoup plus extraordinaire qu'il n'aurait dû me le paraître, je
conservai quelque soupçon que le mercure calciné, sur lequel j'avais
fait mes expériences, ayant été acheté a une boutique ordinaire,
pouvait dans le fait n'être rien de plus que le précipité rouge ; quoique
pour peu que j'eusse été praticien en chymie, je n'eusse pu concevoir
un pareil soupçon. Mais je fis part de mon doute à M. Warltïre, et il me
fournit du mercure calciné qu'il avait gardé pour modèle de cette
préparation, et dont il m'assura qu'il pouvait garantir la composition. Je
traitai celui-ci comme le premier, et en continuant seulement plus
longtemps l'application de la chaleur, j'en tirai beaucoup plus d'air que
de l'autre. Cette expérience aurait pu satisfaire un sceptique modéré.
Mais cependant me trouvant à Paris au mois d'octobre suivant, et
sachant qu'il y a de très habiles chimistes en cette ville, je ne manquai
pas l'occasion de me procurer, par le moyen de mon ami M. Magellan,
une once de mercure calciné préparé par M. Cadet, et dont il n'était
pas possible de suspecter la bonté. Dans le même temps, je fis part
plusieurs fois de la surprise que me causait l'air que j'avais tiré de
cette préparation à MM. Lavoisier, Leroi, et autres physiciens qui
m'honorèrent de leur attention dans cette ville, et qui, j'ose dire, ne
peuvent manquer de se rappeler cette circonstance. »

Priestley pensait que ce gaz était le même que celui qu'il avait
obtenu,une année auparavant, en maintenant, pendant longtemps,
l'air nitreux (bioxyde d'azote) sur de la limaille de fer humide,
c'est-à-dire qu'il confondit tout d'abord l'oxygène avec le protoxyde
d'azote.

« Dans le même temps où j'avais obtenu l'air en question du mercure


calciné et du précipité rouge, j'avais tiré la même espèce d'air du
minium. Dans cette expérience, la partie du minium sur laquelle je fis
tomber le foyer de la lentille devint jaune. Un tiers de l'air fut
promptement absorbé par l'eau; mais une chandelle brûla très
fortement et avec pétillement dans le résidu...... Cette expérience avec
le minium me confirma davantage dans mon idée, que le mercure
calciné doit emprunter de l'atmosphère la propriété de fournir cette
espèce d'air; le procédé de cette préparation étant semblable à celui
par lequel on fait le minium. Comme je ne fais jamais un secret
d'aucune de mes observations, je fis part de cette expérience, aussi
bien que de celles sur le mercure calciné et sur le précipité rouge, à
toutes mes connaissances de Paris et ailleurs. Je ne soupçonnais pas
alors où devaient me conduire ces faits remarquables...... Je restai
dans l'ignorance de la nature réelle de cette espèce d'air, depuis ce
temps (en novembre) jusqu'au 1er mars de l'année suivante......
Jusqu'à ce 1er mars 1775, j'avais si peu de soupçon que l'air tiré du
mercure calciné fut salubre, que je n'avais pas même pensé a y
appliquer l'épreuve de l'air nitreux. Mais réfléchissant (comme mon
lecteur s'imaginera sans doute que je dois avoir fait souvent) sur la
faculté qu'avait encore cet air d'entretenir la flamme d'une chandelle,
après avoir été longtemps agité dans l'eau, il me vint enfin en idée
d'en faire l'expérience; et ayant mis une partie d'air nitreux (bioxyde
d'azote) dans deux de cet air, je trouvai non seulement qu'il était

19
diminué, mais qu'il l'était tout-à-fait autant que l'air commun, et que la
rougeur du mélange était égale à celle d'un semblable mélange d'air
nitreux. et d'air commun.»

Raoul Jagnaux, Histoire de la chimie, tome I, Paris, 1892

Le décors est planté pour une étude entièrement rationnelle,


quoique s'appuyant sur des principes obéissant à la plus pure
orthodoxie hermétique, des arcanes du ML. Trois séries de
planches permettent de dégager les idées phare suivantes :

a)- allégorie de la préparation d'un sel, de vertu céleste, aux


époques où le - la par projection - traverse les signes du
Bélier et du Taureau, envisagés dans le zodiaque tropical ; il
s'agit d'un sel formé d'une terre où abonde le foie de soufre et le
vitriol vert. [planches 5, 6, 7, 10, 13]
b)- allégorie sur l'esprit nitro aérien présidant à l'animation des
choses vivantes ; permet d'expliquer en quoi le feu secret des
alchimistes brûle d'une flamme invisible et transforme les corps
morts des métaux en un esprit corrompu dont l'idéogramme est
. Le processus de transformation est expliqué en susbtance dans
la Tabula Smaragdina. [planches 1, 4, 9, 12]
c)- allégorie des opérations hermétiques. [planches 2, 3, 8, 11, 14,
15] Nous les détaillons infra.

Homberg (1705) était sur le bon chemin mais n'avait pas tenu
compte de ce que son verre contenait de l'air et il attribuait donc à
l'imprégnation de la lumière l'excès de poids mesuré après la
calcination. Peut-être était-il imbus, comme tant d'autres, d'idées
occultes... ? Mais c'est à John Mayow (1669) que devait revenir le
génie d'avoir pu, d'un seul tour, à la fois résoudre la question de
l'esprit nitro aérien et du sel nitre; par là découvrait-il, peut-être
sans le savoir, ce que les alchimistes avaient caché depuis mille
ans ? Il serait téméraire de l'affirmer.

Voyons à présent le premier extrait de la Genèse dont Altus a fait


disposer la référence dans la planche de frontispice :

Gen, 28, 11 : Il atteignit un certain lieu et s'y arrêta pour la nuit, car le soleil
était couché. Prenant une des pierres du lieu, il en fit son chevet et se
coucha en ce lieu.

Il s'agit de l'épisode du songe de Jacob. Naturellement,


l'hermétiste ne verra pas dans ce texte ce qu'y voit le prêtre. Pour
l'alchimiste, Jacob s'assimile à la matière même du Mercurius
et le couchant est pour lui l'aurore de l'oeuvre puisqu'il s'agit de
la mise au tombeau des matières [voir Aurora consurgens et Ripley
Scrowle]. La pierre que prend Jacob, dont il fait son chevet, n'est
autre que la prima materia que l'Artiste doit élire au début de
l'opus. On sait que Jacob lutte avec l'ange de Yahvé au gué de
Jaabok. Jung insiste sur le fait suivant :

20
« L'agression de la violence pulsionnelle est un événement divin lorsque
l'homme ne succombe pas à cette surpuissance, autrement dit ne la suit pas
aveuglément, mais défend au contraire avec succès sa nature d'homme
contre le caractère animal de la force divine. » [Métamorphoses de l'Âme
et ses Symboles, trad. Georg, Pochothèque, p. 560]

Chose étrange ! Ne voit-on pas là une contradiction intrinsèque


entre Yahvé, posé en « caractère animal », c'est-à-dire en forme
pulsionnelle et instinctive pure, et l'homme doué de raison? Au
lieu que la logique voudrait que Dieu ne soit pas habité par la
Colère! C'est un thème récurrent chez Jung et il trouvera son
épilogue dans sa Réponse à Job, bien plus tard... Mais nous
aurons l'occasion d'observer que si Dieu peut être aimé, en tout
cas, il doit être craint. D'une certaine manière, il s'agit là d'un
truisme puisque Dieu, en toute hypothèse, n'est que la
manifestation élémentaire de l'anthropos [envisagé bien entendu dans
le contexte exclusif du petit monde des alchimistes, i.e. l'unus mundus ; voir
Ripley Scrowle]. Jacob [Ya-Aqob] signifie protégé de Dieu c'est-à-dire
de l'Esprit ; il y a une autre relation entre le nom de Jacob et le
mot hébreu 'aqeb, qui signifie talon. On a encore rapproché ce
nom du verbe 'aqab qui signifie supplanter. Ce jeu de mot a bien
sûr pour origine la scène de l'usurpation de la bénédiction
promise à Esaü par Isaac [Gen, 27]. Voici qui nous amènera tout à
l'heure à Gen 27, 28. Pour l'heure, il convient de rappeler que -
dans Gen 28, 11 - Jacob vient d'arriver de Béer Shéva [Gen 11, 1 :
5]. Béer Shéva signifie le puits des sept [Gen 21, 25 : 32], expression
dans laquelle - par cabale - il est difficile de ne pas imaginer les
planètes, c'est-à-dire les métaux, assimilables à des brebis dont
la toison représente l'écorce métallique. Expression dont se
souviendra Valentin Andreae, quand il rédigera le premier
chapitre des Noces Chymiques non moins que le compilateur du
Musaeum hermeticum, dans cette gravure :

21
Musaeum hermeticum, p. 2

Béer Shéva prend le sens, tout autant, de puits du serment : en


liaison avec la première acception, le doute ne semble plus
possible : c'est de fusion qu'il est ici question. En effet, le serment
renvoie en alchimie renvoie à la † [crux] : nous pourrons noter au
passage qu'il s'agit là de l'hiéroglyphe grâce auquel, sans doute,
Jacob a combattu l'ange. Dès lors, si l'on se reporte à Gen 32,
25-33 et Gen 18, on remarquera sans doute ce qui lie, d'un
entrelacs à la fois brûlant et incombustible, cette légende de
Jacob à celle de Job [Jung, Réponse à Job] : le combat spirituel.

...et Jacob resta seul.


Et un homme lutta avec lui jusqu'à l'aurore. Voyant qu'il ne pouvait le
vaincre, ll le frappa à l'articulation de la hanche et l'articulation de la
hanche de Jacob se démit pendant qu'il luttait avec lui.

22
Il dit alors "Laisse-moi partir, car voici l'aurore", mais Jacob répondit :
"Je ne te laisserai pas partir avant que tu ne m'aies béni".
Il lui demanda : "Quel est ton nom ? - Jacob". Il reprit : "On ne
t'appellera plus Jacob mais Israël, car tu as été fort contre Dieu, et tu
l'emporteras aussi contre les hommes".
Jacob demanda : "Révèle-moi ton nom, je te prie", mais il répondit
"Pourquoi me demandes-tu mon nom ?" et, là même, il le bénit.
Jacob donna à cet endroit le nom de Phenuel, "car, dit-il, j'ai vu Dieu
face à face et je ne suis pas mort". Au lever du soleil, il avait passé
Phenuel... mais il boitait de la hanche.
Gen 32, 25-32

L'ange de Jacob est un messager, un envoyé - du moins peut-on


a priori le supputer - du spiritus sanctus, de Dieu en un mot.
L'hermétiste verra ici la marque du . Jacob prend ainsi le sens
de prima materia : c'est une véritable transmutation spirituelle qu'il
subit puisque l'ange, le combat ayant pris fin et l'onction ayant été
administrée, lui assure qu'il ne sera plus appelé Jacob mais Israël
[allusion à un jeu de mots entre le nom d'Israël et l'expression traduite par «
tu as lutté avec Dieu » - le nouveau nom donné à Jacob marque un
changement profond dans son existence]. L'image de la Force
s'impose, plusieurs fois illustrée dans l'iconographie.

la Force, bas-relief de Notre Dame de Paris, portail central

Jung ajoute :

« Il est "terrible de tomber aux mains du Dieu vivant" et "qui est près de lui
est près du feu, et qui est loin de lui est loin du royaume" car "Dieu est un
feu dévorant", le Messie est "un lion qui est de la race de Juda". »
[Métamorphoses de l'Âme et ses symboles, trad. Georg, Pochothèque,
pp. 560-561]

C'est ce Juda qui est incrusté dans le bouclier tenu par la Force. Il
s'agit d'une véritable offrande à Dieu [comprenez : il s'agit du moyen

23
pour l'alchimiste d'allumer le feu, interne à sa materia prima. Il y a, dans la
Vulgate, un jeu de mots entre Juda et l'expression : « je louerai le Seigneur
», voir Gen 29, 35 ; 49, 9]. L'artifice permettant de pratiquer
l'opération est représenté par le glaive de feu tenu en dextre par
la Vertu. Glaive qui n'est pas sans rapport avec le sulphur : le
combat de Jacob contre l'ange [Peniël] s'achève à l'auro hora [voir
Aurora consurgens] : Jacob souffre de sa hanche [iscion] que son
adversaire lui a luxée. Par cabale, il n'est pas absolument
impossible de voir un coup d'arrêt mis à la mobilité naturelle du
Mercurius [iscnoV, en proche assonance phonétique de iscion, a
le sens de dessécher, rendre sec : les alchimisent traduisent cela par fixer le
volatil]. Cette luxation de hanche est donc l'équivalent - si l'on nous
entend bien - du grappin ou loup hermétique [lequel n'a alors plus
rien, on le voit bien, de rapport avec le loup « ravisseur » des métaux, du
moins à ce stade de l'oeuvre] qui est le symbole de la coagulation du
Mercure en Soufre. Quelques mots sur Juda : le passage cité par
Jung trouve son origine de Gen 49, 9-10 :

« Tu es un lionceau, ô Juda, ô mon fils, tu es revenu du carnage ! Il a fléchi


le genou et s'est couché tel un lion et telle une lionne, qui le fera lever ? Le
sceptre ne s'écartera pas de Juda, ni le bâton de commandement d'entre ses
pieds jusqu'à ce que vienne celui auquel il appartient et à qui les peuples
doivent obéissance. »

Nous pouvons y voir une allusion au Lion vert [lionceau], premier


état de l'aqua permanens. L'eau permanente ou fons mercurialis
représente l'animus rector dans lequel il n'est, là encore, pas
interdit de voir le bâton de commandement ou la droite ligne à
partir de laquelle l'oeuvre, à en croire les Adeptes, n'est plus
qu'un jeu d'enfants [ludus pueorum] ou un travail de femme. Quoi
qu'il en soit, par le biais du lion [d'abord assimilé à Juda puis à Dan],
nous sommes en droite de rattacher Juda à Jean : de là, transition
facile avec saint Jean l'Evangéliste et surtout Jean le Baptiste ou
Précurseur. Quant à la correspondance entre le Christ et le lion,
on la trouve dans Ap 5, 5 :

« Et l'un des vieillards me dit : Ne pleure point ; voici, le lion de la tribu de


Juda, le rejeton de David, a vaincu pour ouvrir le livre et ses sept sceaux. »

Verset qui renvoie à Ap 3, 7 et Es. 22, 22 où l'on apprend que celui


qui détient la clef de la maison de David est investi d'une mission
de confiance et des pleins pouvoirs pour la remplir [dans Ac. 2, 30 il
est par ailleurs précisé que le Christ descend du roi David]. La maison de
David pour l'alchimiste est l'athanor, celui-là même que l'on
aperçoit aux planches 2 et 11 [moitié inférieure, côté laboratoire] du
Mutus Liber. Est-il besoin d'insister, enfin, sur l'ouverture du livre
sacré [conçu en tant que materia prima] et les sept sceaux [les âmes
métalliques, c'est-à-dire l'humide radical du métal, sa chaux vive] ? David
fait de Jérusalem sa capitale et achète une colline : le mont Moria.
C'est là que Jacob rêve d'une échelle s'élevant vers le ciel, ce qui
nous ramène à notre planche.

24
Gen 28, 12 : Il eut un songe : voici qu'était dressée sur terre une échelle
dont le sommet touchait le ciel; des anges de Dieu y montaient et y
descendaient.

En ce lieu s'élève le dôme du rocher dont le sens musulman


s'éloigne fort peu de la symbolique alchimique : il s'agit en effet de
la « pierre de boisson » ou de « l'eau vivante ». Voilà qui rappelle la
fons mercurialis, aqua vitae ou aqua permanens des vieux textes. C'est
le temple d'où la présence du spiritus sanctus peut être le mieux
perçue; on ne saurait le comparer qu'à l'omphalos de Delphes
[voir blasons alchimiques] : c'est la porte du ciel chymique [Gen, 28,
17 et voir Tollius]. Comment donc ne pas évoquer ici la figure de
l'olivier [moria : olivier sacré] à propos de ce verset coranique :

« [la lumière de Dieu] ... est une niche où se trouve une lampe, la lampe
dans un verre, le verre comme un astre de grand éclat; elle tient sa lumière
d'un arbre béni, l'olivier... dont l'huile éclaire, ou peu s'en faut, sans même
que le feu y touche. » [24, 35]

qui, là encore, rejoint de manière surprenante la symbolique de


l'athanor ou feu de lampe... Le Mercurius n'est-il pas un vitri
oleum [huile de verre] et sa nature sulfureuse, enfouie, n'est-elle
pas évoquée par l'olivier ? Du reste, Jacob, lorsqu'il se réveille,
prend la pierre dont il avait fait son chevet, l'érige en stèle et
verse de l'huile à son sommet [Gen 28, 18 : en versant cette huile,
Jacob la consacre et fait de l'endroit un lieu de culte]. Dans la même
veine, nous devons évoquer Abraham : c'est aussi au mont Moria
qu'il reçoit l'ordre d'immoler Isaac. Un bas-relief de Notre-Dame
de Paris restitue cette scène :

25
le sacrifice d'Abraham, Notre-Dame de Paris, portail central [cliché Alain
Mauranne]

Au dernier moment, un ange intervient qui substitue un bélier au


fils du patriarche.

« Le bélier est... comme le serpent du paradis qui aurait été le Christ selon
l'interprétation des Manichéens. Meliton de Sardes aurait enseigné que le
Christ était un agneau comparable au bélier qu'Abraham sacrifia à la place
de son fils. » [Jung, Métamorphoses de l'Âme, op. cit., p. 698, note 208]

Jung renvoie à l'Homélie sur la Pâque de Méliton de Sardes.


Rappelons que ce fut Méliton qui employa pour la première fois,
vers 180 ap. J.-C. l'expression de Livre de l'Ancien Testament et
que l'assimilation du Christ à l'agneau renvoie à l'Apocalypse,
ouvrage rédigé vers 95 ap. J.-C., dans lequel le Christ est
comparé à l'agneau céleste ou à un enfant divin échappant au
pouvoir d'un dragon [voir Ripley Scrowle]. Les anges du rêve de
Jacob, par leur mouvement de va-et-vient, évoquent la
cohobation, opération par laquelle le ciel entier devient le pélican
de l'Artiste :

« Il monte de la terre au ciel, & derechef il descend en terre, & il reçoit la


force des choses supérieures & inférieures. Tu auras par ce moyen la gloire
de tout le monde ; & pour cela toute obscurité s'enfuira de toi. » [Tabula
Smaragdina, verset VIII]

On peut encore voir dans cette échelle de Jacob un escalier


monumental dont les alchimistes ont donné plusieurs variations
iconographiques, tels Libavius [Alchemia, Tractatus quartus De Lapide

26
Philosophorum, p. 56], Lambsprinck [De Lapide Philosophorum,
planche IX] ou encore Michelspacher [Cabala, Spiegel der Kunst und
Natur: in Alchymia]. D'autres en ont donné des variations
symboliques sur des idéogrammes; ainsi dans l'Aurea Catena
Homeri, chaque anneau de la chaîne d'Hermès forme l'une des
marches qui conduit l'Artiste de la massa confusa du chaos au faîte
de l'oeuvre [voir Aurora consurgens, II]. Enfin, maints bas-reliefs se
ressentent à l'évidence d'une semblable symbolique, telle la
Philosophie du portail central de Notre-Dame de Paris [voir
Gobineau].

Vices et Vertus - la Philosophie

La Philosophie, de son air hiératique, nous présente les deux


livres de la philosophie hermétique, l'un ouvert [exotérique] dont le
sens est connu de tous et l'autre fermé [notre ML] dont l'expression
ésotérique n'est reconnue que des Amoureux de science pour
lesquels Limojon a écrit sa Lettre aux vrais disciples d'Hermès. La
tête de la Vertu est panachée des nuées du flos coeli, en quoi il
faut imaginer les étoiles et la qui encadrent le haut de la
planche I du ML. L'échelle est posée des pieds à sa tête,
exprimant la liaison entre et . Quant au sceptre, attribut de
la Force mais aussi de l'Harmonie, il exprime assez qu'à la fin de
son travail opiniâtre, toute obscurité s'enfuira de l'Artiste,
c'est-à-dire que le sulphur sera dépuré de ses souillures et
impuretés, héritées du Soufre comburant.

Gen 27, 28 : Que Dieu te donne de la rosée du ciel et de gras terroirs, du


froment et du vin nouveau en abondance.

Ce passage est encore tiré de Jacob : celui-ci usurpe l'identité


d'Esaü et Isaac, devenu vieux et aveugle, donne sa bénédiction à

27
son fils cadet alors qu'il croit la donner à son aîné... Ce sont les
quatre principes de philosophie qu'Isaac accorde ainsi à l'Artiste :
la rosée du ciel représente le [voir Verba Aristei]; les gras
terroirs forment la constellation du corps adamique [Adam pris
comme prima materia, voir Splendor solis, planche VIII]. Le froment est
l'or enté qui peut, par analogie, être rapporté à l'entrée royale de
Jésus à Jérusalem :

«... si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul; si au
contraire il meurt, il porte du fruit en abondance. » [Jn 12, 24]

Les grains de froment étaient le symbole de la vie, et, par


extension, le symbole de la résurrection et de la vie éternelle, non
pas tant parce qu'ils servaient de principale nourriture à l'homme,
mais plutôt parce qu'ils étaient employés pour ressusciter et
revivifier les métaux morts ou réduits en cendre. D'après
Louis-Claude de Saint-Martin [Tableau naturel des rapports qui
existent entre Dieu, l'homme et l'univers, Chamuel, Paris, 1900], le
froment est la substance passive, de base, c'est-à-dire le Mercure
du grand oeuvre; il ajoute que le froment est désigné par un mot
hébreu qui signifie pureté, tout de même qu'alliance et
bénédiction. L'épi de blé est très anciennement connu comme le
symbole de résurrection et il désigne l'or alchimique dans les
textes. Quant au vin nouveau, c'est la représentation classique du
second Mercure qu'il faut se garder de confondre avec le vinaigre
décrit dans la Turba et d'autres anciens écrits [voir Artephius, Senior,
etc.] L'explication hermétique de la parabole du grain de blé se
trouve dans le passage suivant, à propos du corps des
ressuscités :

«... Ce que tu sèmes, ce n'est pas le corps à venir, mais un grain tout nu, du
blé par exemple… et Dieu lui donne un corps à son gré… on sème de la
faiblesse, il ressuscite de la force ; on sème un corps animal, il ressuscite
un corps spirituel. » [1 Co, 15, 35-44]

Pour celui qui a étudié les textes alchimiques, il ne peut faire


aucun doute que Dieu est assimilé à l'esprit Mercure [pour
reprendre un titre extrait de Jung, Essais sur la symbolique de l'Esprit,
trad. Albin Michel] en tant que rotundum et crux †. Quant au
corps, il renvoie à Adam kadmon [voir Ripley Scrowle] comme Jung
en parle dans ses Paracelsica. La faiblesse vaut pour malakia
[semé dans la mort, analogue de la nigredo] et le corps animal peut
renvoyer au spiritus abscondus [voir Aurora consurgens, II] en tant qu'il
est dépourvu d'âme [anima ]. Cette image se retrouve dans le
Ros. Phil. : corruptio unius generatio est alterius [Aurora consurgens,
Artis Auriferae, I, XII, d'après Jn 12, 24].

28
fig. 7 du Ros. phil. - putrefactio

«... le premier homme Adam fut un être animal doué de vie, le dernier Adam
est un être spirituel donnant la vie... Le premier homme tiré de la terre est
terrestre. Le second homme, lui, vient du ciel. » [1 Co, 15, 45-47]

C'est en substance ce que montre la planche de frontispice du ML


: le rêveur, Jacob, se repose sur une lourde pierre : c'est l'Adam
primordial. L'Adam kadmon [au sens jungien] est l'homme éveillé ou,
si l'on préfère, individualisé [ce qui est manifesté par le processus de
spiritualisation ou échelle de Jacob].

Gen 27, 39 : Alors Isaac prit la parole et dit : "Vois, hors du gras terroir sera
ton habitat et loin de la rosée qui est au ciel..."

Il s'agit des versets qui terminent la bénédiction d'Isaac à Esaü. Il


est clair que ces versets ne peuvent s'entendre pour l'alchimiste
que tirés hors de leur contexte. Cet extrait n'a, du reste, plus le
même sens que Gen 27, 28 où l'on peut déceler un sens numineux.
Car, loin du sens d'onction que revêt la bénédiction d'Isaac à
Esaü [Jacob], c'est presque un bannissement que celle,
dramatique, que le patriarche accorde à Jacob [Esaü]. On
remarquera le phénomène de miroir qui se produit dans cette
intersection : dans la première partie de Gen 27, Jacob joue un
rôle actif [agens] en usurpant l'identité d'Esaü et, dans cette
mesure, il adopte la position du sulphur en face du mercurius
senex [Isaac]. Tel n'est plus le cas dans la deuxième période de
Gen 27 où Esaü en est réduit au rôle passif [patiens] de premier
Mercure par lequel se signale le Soufre blanc ou Sel . Mais
l'histoire montre que, progressivement, les rôles vont s'inverser :

29
Jacob s'enfuit et prend alors le masque du Mercurius alors
qu'Esaü prend les traits d'Ares . C'est ensuite que survient
l'épisode du songe de Jacob [Gen 27, 10-22, voir supra] suivi, avant
sa rencontre avec Esaü, de l'autre épisode de sa lutte contre Dieu
[Gen 32, 23-33, voir supra]. C'est ainsi que, juste avant de rencontrer
son frère, Jacob subit une conversion, une véritable
transmutation, puisque désormais on le nomme Israël. La Genèse
s'achève par la mort de Jacob [Gen 50].

La Discorde - Notre-Dame de Paris, portail central

Nous avons eu plusieurs fois l'occasion d'évoquer et de


commenter ce chef d'oeuvre de cabale hermétique. Comment ne
pas à nouveau le convoquer ici, en un moment de l'oeuvre où
l'Artiste, de toute urgence, a besoin de son sel harmoniac,
c'est-à-dire de son anqoV ammonoV : c'est nommer l'antimoine
saturnin. C'est par son entremise que les Artistes parviennent à
extraire la racine métallique du corps des métaux. C'est cette
science d'Égypte qui vient de CHAM comme l'écrit justement
Chartier dans son Plomb sacré des Sages [Senlicque et François Le
Cointe, 1551, Paris]. La racine arabe CHAMMON signifie en effet le
feu ; ce feu a cette particularité qu'il est dit « de repos » car il
conserve les métaux comme les hommes [il faut comprendre un
certain principe vital qui est semblable au mondes minéral et animal : chez
l'animal il s'agit de l'arch de nature dont notre moderne ADN est la contre
partie. Dans le monde minéral, c'est l'orientation moléculaire des cristaux
qui détermine la forme du minéral et le fait désigner par son nom ]. La
planche I du ML donne donc à voir les deux principes de
philosophie sans lesquels il est impossible de préparer le : la

30
pierre, tout d'abord, celle-là même qui est évoquée dans Gen 28,11
et plus tard dans Gen 29, 2 :

«... Une grande pierre fermait l'orifice du puits. Quand tous les troupeaux y
étaient rassemblés, on roulait la pierre de dessus l'orifice du puits, on faisait
boire le petit bétail et l'on remettait la pierre en place sur l'orifice du puits. »
[Gen 29, 2-3]

Le puits a une grande importance dans la cabale hermétique [voir


Mylius, Philosophia Reformata]. Ici, l'intérêt est redoublé en ce sens
qu'il faut attendre que les circonstances soient favorables pour
étancher la soif des brebis. Dans l'iconographie, nous avons vu
que les Adeptes insistent sur le danger d'hydropisie qui doit
prémunir l'Artiste contre l'excès d'eau [qu'il faut comprendre comme le
dissolvant]. Dans Gen 29, 7 on lit :

« Voyez ! Il fait encore grand jour; ce n'est pas le moment de rassembler le


bétail... Nous ne pouvons pas [faire boire le bétail] tant que les troupeaux ne
sont pas tous rassemblés; alors on roule la pierre de dessus l'orifice du puits
et nous abreuvons les moutons. » [Gen 29, 7-8]

C'est au crépuscule que paraît Hesperus : elle signale l'aurore


de l'oeuvre et représente l'hiéroglyphe de la stibine ou plomb
sacré. Celui-ci est considéré comme étant le fils naturel de et il
est passionément aimé de que l'on aperçoit, à l'opposé, au
Levant. De cet antimoine se forme l'alliage que les Sages ont
appelé leur airain ou laiton; on sait que l'étain et le n'ont
pas de subsistance assez forte pour servir aux ouvrages des
hommes et résister à la violence du feu † [Héphaistos] s'ils n'ont,
au préalable, été alliés à l'antimoine. Éclat, dureté et lustre sont
les qualités que l'on reconnaît communément à cet airain qui le
font signaler comme l'Acier des Sages, ainsi que le fait observer
Pernety [Fables Egyptiennes et Grecques, tome I]. E. Canseliet a
assez parlé des rapports que la musique entretenait avec l'Art
sacré pour que l'on ne soit pas surpris d'apprendre que les orgues
qui servent à la musique n'auraient pas l'harmonie et la
délicatesse du ton que l'on sait et ne seraient pas assez justes
pour résonner telles si le forgeron divin n'avait par son mélange
modéré l'aigreur de . Eh bien ! Le verset de Gen 29, 7 nous
apprend qu'il faut attendre la nuit noire et sereine pour que l'influx
astral descende, en forme de rosée, amenée par les anges et
annoncée par la Clangor Buccinae [un des classiques du corpus, voir
bibliographie]. Cette rosée est d'essence mercurielle : le mystérieux
Adepte qui fit une transmutation sous les yeux d'Helvetius lui en a
parlé ; il s'agissait d'Élie l'Artiste qui se présenta à son domicile le
27 décembre 1666 [voir Husson, Transmutations métalliques, J'ai Lu,
1974]. Helvetius fit une recension de cet épisode dans son Vitulus
aureus. Cependant, la rosée est un ingrédient qui, s'il est
indispensable, n'est pas le seul qui soit nécessaire. L'Artiste doit

31
encore s'occuper à trouver les éléments du Lait de Vierge sans
lesquels le Rebis, forme évoluée de l'Airain et du laiton, ne saurait
s'épanouir. Précisément, ces éléments doivent être cherchés dans
la Discorde qui oppose, si l'on nous entend bien, Jacob à Esaü.
Fulcanelli a suffisamment insisté sur les deux ingrédients pour
qu'il nous soit permis, ici, de passer outre. Nous ferons toutefois
remarquer que Basile Valentin a noté que l'Artiste, pour peu qu'il
trouve la prima materia, trouvera toujours un pot pour la cuire. Et
que cette première matière est réputée être dans le même temps
pierre et non pierre : son expression consacrée, par cabale, est
donc l'hexagramme de Salomon qui signe l'alliance du et
de la . Or, si l'on reprend les possibilités de nature, on
remarque qu'une pierre ne peut être trouvée volant dans l'air que
si elle y a été projetée de terre, expulsée du cratère de quelque
volcan [où elle est donc, en ce cas, littéralement, à la fois pierre et non
pierre, puisqu'à l'état pâteux] ou si elle a franchi les bornes de notre
atmosphère, en forme de météorite et reliquat de quelque comète
[voir nos symboles et le chapitre 9 consacré à la pierre noire]. Là encore,
c'est l'état igné qui domine. Dans les deux cas, nous avons affaire
à une pierre qui chute [cado, cassito : dégoutter] dont la masse de
cabale rend, pour ainsi dire, le poids négligeable compte tenu
qu'il s'agit là d'un poids de nature, mais non point de l'Art. Seul
Dieu connaît, à ce qu'en disent les plus grands Adeptes, ce poids
de nature. Nous terminerons ce bref exposé en faisant remarquer
que la partie métallique, nécessairement l'étoile, est à chercher
dans la pierre tandis que la partie minérale, la fleur, doit être
recherchée dans le pot.

Deut 33, 13 : Pour Joseph, il dit : son pays soit béni du Seigneur ! Que le
meilleur don du ciel, la rosée, et l'abîme qui gît en bas...

Il s'agit d'un extrait du Deutéronome où Moïse bénit les douze


tribus d'Israël. Le don du ciel est, bien sûr, le don de Dieu,
c'est-à-dire du soufre [assonance qeion - qeioV]. Rappelons que
les alchimistes admettent la présence de deux Soufres parmi les
métaux : l'un est combustible tandis que l'autre résiste au feu et
préserve le métal contre toute élévation de degré du feu de fonte.
L'antimoine, à ce qu'en dit Chartier [voir supra], gouverne ainsi les
forges métalliques et par son Soufre incombustible, se joint aux
métaux et purifie une partie de leur soufre impur et combustible :
telle est l'oeuvre de la rosée de mai. C'est pourquoi les Sages
l'ont appelée l'Aimant des métaux :

Prenez, ont-ils dit, du Lyon noir qui ait les yeux


étincelants comme Opalles.
Voici la clef minérale pour ouvrir les corps métalliques et faire voir
les teintures. Chartier ajoute que les Hébreux appellent une pierre
précieuse que nous nommons émeraude Nophech qui se tire de

32
l'antimoine, selon ce que nous en avons dit. Ce mot veut que ce
soit le même que les Arabes ont entendu par Atmadon : Nophech
et Atmadon signifient Antimoine ou anqoV ammonoV. On peut,
par cet artifice, extraire de la substance antimoniale des teintures
et coloris divers pour les pierres précieuses, rubis, émeraudes,
opales, etc. De ses entrailles, se tire des teintures différentes tant
pour colorer les pierreries que pour conserver et embellir les
yeux. La rosée est ainsi assimilable au porte flambeau
[christophore] des métaux. En les spiritualisant, c'est-à-dire en les
sublimant, elle permet de chasser la ténèbre du sang minéral et
de faire ainsi sortir des cendres de ce phénix la vertu cachée du
métal. C'est ce qu'exprime ces versets :

« Leur vigne sont des vignes de Sodome, des plantations de Gomorrhe;


leurs raisins sont des raisins vénéneux, leurs grappes sont amères. Leur vin,
c'est du venin de dragon, un cruel venin de cobra. » [Deut 32, 32-33]

Les alchimistes peuvent reprendre à leur compte ces paroles du


Cantique de Moïse : le venin de dragon représente, en effet, le
Mercurius senex de Jung ou, si l'on préfère, le vinaigre d'Artephius.
D'où ce rappel à l'abîme [Deut 33, 13] où se devine une allusion au
Tartare.

Deut 33, 28 : Confiant, Israël se repose; elle coule à l'écart, la source de


Jacob, vers un pays de blé et de vin nouveau, et le ciel même y répand la
rosée.

Cette dernière citation de l'Ancien Testament se situe à la fin du


Cantique de Moïse. On a supputé que la source de Jacob pouvait
être le peuple issu du frère d'Esaü. Mais l'hermétiste y verra plutôt
la fontaine de vie qui sourd du pied de l'Arbor solari.

33
la sourve vive de Cadmos - Notre-Dame de Paris [cliché Alain Mauranne]

La source de Jacob est cette fontaine décrite par Bernard Le


Trévisan où se viennent baigner et . Le corps dissous des
métaux doit être imprégné en cette eau de rose que les Adeptes
nomment encore le Lac virginis. Ses vertus que l'on remarque dans
ce vinaigre antimonié sont en rapport avec ses écailles feuilletées
et brillantes où l'on peut deviner les poissons argentés et sulfurés
de D'Espagnet [voir Oeuvre secret d'Hermès]. Basile Valentin parle
en son Char Triomphal de l'Antimoine de ce baume de la vie qu'il
appelle Balsanum vitae & medentem Mumiam. Fulcanelli a insisté sur
l'aspect feuilleté que devait avoir cette prima materia, qui doit
posséder un aspect éclatant et nacré, semblable en cela aux yeux
de poissons [voir Ripley Scrowle]. Notre matière première, quand
elle a été dépurée de ses ordures, est mise en forme carrée ou
tetragwnon par quoi on insiste sur le fait qu'elle possède,
principiés, les quatre Éléments. C'est également insister sur son
brillant par lequel on reconnaît qu'elle est chargée de régule étoilé
ou sulphur , premier état de l'âme en voie de dépuration au sein
du spiritus. L'obtention de l'anima se fait au prix de la destruction
progressive de cet antimoine saturnin, d'où vient que le pseudo
Geber affirme :

Eft generalis caufa inventionis calcinationis corporum a


terreitate depuratio.

34
Il est donc de toute nécessité que l'Artiste fasse calciner les
parties hétérogènes des Soufres imparfaits et combustibles, qu'il
élimine les fèces et que la vertu corroborative de ses parties plus
déliées que sont les brillants de soient communiqués et

transférés au avant qu'il soit déchargé de sa †. On conçoit


donc que la soit une terre façonnée en un Mixte puisqu'elle est
le soutien du corps mêlé [airain, laiton] ; les parties contenues sont
les trois autres éléments enfermés dans la terre du Mixte : on les
a comparés aux sucs de la rose et scindés en Sel, Soufre et
Mercure. Le Sel est pris comme la lie de vin ; la seconde est
aqueuse ou moyenne substance [Mercure]. La troisième est aérée,
volatile et comparée à la fleur du vin [sulphur]. Cette source est
encore nommée toison de Gédéon par les Adeptes et il faut y
deviner l'origine, probable, de la planche 4 du ML. La légende de
Gédéon fait partie du livre des Juges et met en scène, là encore,
la visitation d'un ange du seigneur. Cet ange voulut lui donner
comme preuve de l'existence et de la force de Dieu cette
expérience de la toison :

« ...voici, je mettrai une toison de laine sur l'aire: si la toison seule se couvre
de rosée, et que tout le sol alentour reste sec, je connaîtrai que vous
délivrerez Israël par ma main, comme vous l'avez dit. » [Jg, 6, 37]

La vocation de Gédéon a donné lieu à un article qu'E. Canseliet a


fait paraître dans la revue Atlantis puis dans ses Études de
symbolisme alchimique [Pauvert, 1978]. Il y évoque bien sûr le mythe
de la Toison d'or et le bélier magique Chrysomelle [voir Trismosin,
Splendor solis]. Sans vouloir raconter à nouveau la légende qui se
rattache à Hellè et Phryxos, il semble utile de rappeler que le
principe volatil ou mercuriel [la lune à l'aurore] se rattache à Hellè
: elle fait une chute vertigineuse dans la mer qui portera son nom,
l'Hellespont [mer noire - nigredo]. Hellè [voir Atalante II] correspond
au principe qui permettra à l'Adepte de faire circuler l'aqua
permanens [et on peut la rattacher à l'allégorie des épisodes du voyage
des Argonautes]. Quant à Phryxos, il correspond au point fixe
emporté par le bélier magique. Selon les mythographes, Hellè eut
de Neptune Paeon ou Edon [voir zodiaque alchimique, cité in
Charles Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle. vol.
6, Paris : E. Babeuf, 1822]. Paeon est connu pour être un dieu de la
médecine [Paeoniae herbae : herbes médicinales] et par cabale, on
peut y voir un principe de purification, lié au sulphur [de

Paihwn, Paian ou Péan, le dieu médecin, surnom d'Apollon] dont on a


fait la figure du secours [paiwn] ce qui peut paraître surréaliste
quand on connaît la perfidie d'Apollon... Quoi qu'il en soit, il s'agit
d'un indice sur le processus de rubigo puisque paiwnia [les fêtes
de Paeon] désigne notre pivoine. Remarquons qu'en chinois, le mot
pivoine contient le mot tan [meoutan] ou cinabre, ce qui renvoie au

35
dragon rouge des vieux alchimistes [le cambar - kinnabariV -
d'Artephius et de la Turba]. Basile Valentin l'a transcrit en IAMSUPH
sur sa Clef X [voir Douze Clefs]. Selon Pline, Paeon découvrit les
propriétés médicinales de la pivoine et s'en servit pour guérir les
blessures d'Hercule [voir Fontenay]. On préconisait de cueillir la
pivoine à la lune décroissante [par cabale lors de la chute d'Hellè]
ainsi que le recommande Thessalus dans sa Lettre à Néron. De
tout ce que nous venons d'écrire, il suit que la pivoine contracte
des rapports avec le phénix, symbole suprême de l'individuation.
Voyons à présent Edon. Nous pouvons le rapprocher de Hdwnoi
dont la racine signifie réjouir ou charmer. La transition est facile à
faire avec Orphée et sa lyre dont nous savons quel est le sens
hermétique : il s'agit du lien du Mercure. C'est l'artifice dont
l'Artiste a besoin afin que l'aqua permanens reste stable au feu du
4ème degré et que les éléments du Rebis évoluent vers le lapis.
Cette fixation a donné le nom d'Aimant des sages à la matière
capable, telle la lyre sur les animaux sauvages, de susciter de
l'ordre dans le chaos primordial. C'est ce qui fait dire à Senior :

Je suis la lune, croissant humide et froide, et toi, soleil, tu es chaud et


sec. Quand nous nous épousons dans la justice de notre état dans
une maison qui n’est faite que d’un feu léger portant en lui ce qui est
lourd, nous sommes là de loisir, comme sont de loisir une femme et
un homme de noble naissance. Cette image est vraie. Et quand le
soleil et moi aurons été unis pour demeurer en loisir dans le ventre de
la maison fermée, je recevrai de toi l’âme avec tes caresses. Si tu
ôtes ma beauté et mon aspect charmant en t’approchant de moi,
nous nous réjouirons et l’esprit en nous s’exaltera quand nous serons
montés dans l’ordre des vieillards. Alors la lampe de ta lumière
versera ses rayons dans ma lampe. Il se fera de toi et de moi un
mélange de vin et d’eau douce après que j’aurai recouvert ma couleur
de la noirceur semblable à de l’encre après ma dissolution et ma
coagulation. Quand nous serons entrés dans la maison d’amour, mon

36
Ros. Phil., fig. 17 - Revificatio

corps se coagulera et je serai dans ma vacuité. Le soleil répond à la


lune : Si tu fais cela, si tu ne me causes pas de dommage, ô lune,
mon corps reviendra et ensuite je te donnerai une nouvelle force de
pénétration par laquelle tu seras puissante dans le combat du feu de
liquéfaction et de purgation. Tu sortiras de ces épreuves sans
diminution, et sans ténèbres, comme l’airain et le plomb, et tu ne
lutteras pas, car tu ne seras pas rebelle.

Ros. Phil., Réponse de la Reine Lune, Artis Auriferae, t. II, pp.


133-253

Ce passage pourrait être tiré de l'Aurora consurgens, Septième


parabole : conversation du bien-aimé et de la bien-aimée [voir M.L. von
Franz, trad. la Fontaine de Pierre, 1982, p. 141]. Rappelons que
l'Aurora consurgens, en bien des passages, est librement
transcrite du Cantique des cantiques [certains comme M.L. von
Franz ont été à deux doigts de l'attribuer à saint Thomas d'Aquin, voir
AC] et le texte que nous avons cité fait partie des morceaux à la
fois les plus beaux et les plus profonds de l'art d'Hermès. Avant
de commenter ce passage du Ros. Phil., il paraît nécessaire de
voir en quoi il se rapporte au ML. Nous avons vu que la planche
de frontispice du ML formait comme une sorte de compendium
concernant l'idée que l'on pouvait se faire quant au contenu
inconscient véhiculé par les images des textes; c'est d'ailleurs
l'une des raisons qui font que le ML est unique en son genre. Il est
en effet possible, en se livrant à ce que Jung formule comme
l'imagination active, de se livrer, dans l'examen des quinze
planches du ML, à une introspection poétique permettant de
saisir, en un processus d'interrelation archétypale, l'expression
raisonnable tout autant que l'impression sensible. Ce fait a son

37
importance, de l'interrelation archétypale, puisqu'il permet
d'étendre notablement la signifiance sémiotique d'une figure qui
ne passe pas seulement qu'en image. Voilà que se dégage la
véritable richesse conceptuelle de l'alchimie, déjà relevée par
Simon Diner [Louis de Broglie que nous avons connu, Fondation
Louis de Broglie, Paris, 1988, pp. 59-64] : la pensée alchimique
oscille sans cesse entre la corruption de la matière et la
purification de l'esprit; elle s'exprime de manière lapidaire par la
célèbre formule : SOLVE ET COAGULA. Cette oscillation trouve sa
correspondance dans le phénomène de l'imbibition ou
mondification : il fait l'objet, pour certains, des détails que l'on voit
à la planche IV. En voici la belle version dans l'édition de Manget :

38
planche quatrième du Mutus Liber, Bibliotheca Chemica Curiosa, Mangetus,
1702

Voici les commentaires de SH :

Tendue sur des piquets, cinq draps reçoivent la rosée céleste (flos

39
coeli) à la partie inférieure nous voyons l’alchimiste et son épouse
recueillir cette rosée en tordant l’étoffe pour l’en exprimer : la divine
liqueur tombe dans le récipient disposé à cet effet. Sur le sol, en
remarquera des formations végétales d’allure curieuse. Or, flos coeli
est le nom volontiers donné par les « fils de sciences » à une algue
bleue, le nostoc, qui apparaît soudain - comme mystérieusement
tombée du ciel (d’où son nom populaire lui-même aux résonances
alchimiques : crachat de la lune) - dans les près ou les jardins après
la pluie. Des alchimistes traditionnels ont effectivement employé le
nostoc pour préparer la matière première de l’Œuvre. Mais la rosée
proprement dite soigneusement recueillie (et d’ordinaire au
printemps) de la manière bien indiquée sur la figure, est d’usage très
courant en alchimie opératique; d’où le nom de « Frères de la rosée
cuite » quelquefois donné aux alchimistes rosicruciens du XVIIe
siècle. On remarquera la partie supérieure de la planche, où - entre le
Soleil et la Lune - nous voyons descendre l’éventail des influences
célestes (de deux polarités complémentaires). Le flos coeli peut
également, en effet, désigner un mystérieux agent céleste de nature
magnétique. L’alchimie opératique suppose en fait la connaissance
précise des forces magnétiques: magnétisme solaire, magnétisme
lunaire, magnétisme terrestre et même (semble-t-il) ce que les
astronomes modernes nomment rayons cosmiques. D’autre part, il ne
faut pas oublier que les alchimistes semblent (comme jadis les
fulguratores étrusques) aussi avoir eu la maîtrise d’une source
colossale d’énergie : celle provenant de la captation directe du « feu
du ciel », c’est- à-dire de la foudre. Quant à la possibilité de capter
directement cet autre « feu du ciel » que sont les rayons solaires, il
semble bien que les adeptes en aient également eu la maîtrise. Voici,
à ce propos, ce qu’écrit Magophon dans son commentaire à la
planche précédente (car il se demande comment il doit être possible
d’allumer la lanterne magique portée par la compagne de l’alchimiste)
: Certains auteurs, et non des moindres, ont prétendu que le plus
grand artifice opératoire consiste à capter un rayon de soleil, et à
l’emprisonner dans un flacon fermé au sceau d’Hermès. Ce miracle,
le photographe l’accomplit en quelque sorte, en se servant d’une
plaque sensible qu’on prépare de différentes manières.

Sur le nostoc, voir infra [on trouvera de plus amples renseignements


sur cette algue terrestre dans Atalanta XXXVII]. Il participe
assurément des influences extérieures mais c'est en vain, comme
l'affirme avec raison Pierre Dujols, qu'on y chercherait l'arcane
mercuriel. C'est cet agent magnétique, l'Aimant des Sages, qui
permet en effet de rassembler les restes épars de la prima
materia, après qu'elle a été démembrée par le serpent Python
[Typhon] à l'instar d'Osiris. La planche X du Splendor solis en
donne une belle représentation. De fait, trois influences,
principalement, se manifestent à l'Artiste dont il lui faut accorder
les poids s'il veut éviter de « brûler les fleurs » : le rayon, l'ombre
et l'étai. C'est ce que Fulcanelli a essayé de faire voir avec l'un
des bas-reliefs du portail central de Notre-Dame où un chevalier
défend son athanor - son vitri oleum - qu'un rayon cosmique va
venir percuter. C'est à Nemrod que l'Adepte a fait appel.

40
Nemrod, Notre-Dame de Paris

Il n'est pas inutile de rappeler la légende de Nemrod, dont la


Genèse fait le robuste chasseur devant l'Éternel. Fils de Chus et
petit-fils de Cham : Cham était autrefois l'ancien nom de l'Égypte
dont Kircher fait dériver le nom d'alchimie.[voir supra] Mais Cham,
c'est aussi le petit fils de Noé et le neveu de Miçraïm dont Franck
fait le premier roi d'Egypte [voir Paracelse].

« Koush engendra Nemrod. Il fut le premier héros sur la terre, lui qui fut un
chasseur héroïque devant le Seigneur. D'où le dicton : "Tel Nemrod, être un
chasseur héroïque devant le Seigneur." [Gen, 10, 8-9]

On traduit parfois « contre le seigneur » et non « devant le seigneur »


pour affirmer le caractère d'orgueil et d'impiété accusé de
Nemrod. La figure de Nemrod se profile comme l'ombre de Job.
L'orgueil est lié par cabale à la cohobation, c'est-à-dire à la
dépuration du par le , objet des laveures de Flamel qu'on
appelle encore Aigles. Cette inflation de la matière spiritualisée,
Nemrod ou ses semblables la transpose en bâtissant la tour de
Babel [de la racine Bll : confondre] qui nous renvoie d'ailleurs à
l'échelle céleste de Jacob [planche 1], en ce qu'il faut y voir
l'artifice de la communication entre firmamental et . La
construction de la tour de Babel apparaît ainsi comme un rêve
éveillé, c'est-à-dire une illusion. Celle de l'adoration des valeurs
matérielles. Sur le plan psychologique, il s'agit de l'inflation du
MOI - anima, équivalent du sulphur - tout à fait préjudiciable à
l'évolution de la psyché vers l'individuation puisqu'il résulte de
cette inflation - dont le miroir terrestre est la tour de Babel - une
carence des rapports entretenus normalement entre le MOI et le
ÇA [voir Ripley Scrowle et Aurora consurgens]. On trouve dans le

41
tarot l'arcane XVI ou Maison Dieu qui résume à merveille le
symbolisme véhiculé par la ziggourat biblique [voir notre tarot
alchimique]. La tour de Babel était un avertissement pour Dieu :

« Allons ! descendons, et là confondons leur langage, afin qu'ils n'entendent


plus la langue, les uns des autres. - Et l'Éternel les dispersa loin de là sur la
face de toute la terre; et ils cessèrent de bâtir la ville. - C'est pourquoi on
l'appela du nom de Babel, car c'est là que l'Éternel confondit le langage de
toute la terre, et c'est de là que l'Éternel les dispersa sur la face de toute la
terre. » [Gen, 11, 8-9]

Il y a dans cette action une ventilation, un essaimage aux quatre


vents d'où l'hermétiste tire sa cohobation; le moyen d'éviter une
fixation trop précoce de sa matière dissoute. Le premier signe de
la fixation - coagulation du - est l'irisation, marque des couleurs
de la queue de paon. Mais ici, victime de son inflation, c'est un
coup de foudre qui guette l'impétrant par trop impatient, autrement
dit l'explosion pure et simple de son creuset. Le rayon igné
dont l'Artiste a besoin doit être mesuré en sorte qu'il puisse
l'imprimer - grajh - dans sa matière grave [voir héliographie]. Ce
rayon est équivalent au phénomène psychique de la projection et
dépendant de [voir Aurora consurgens, II]. C'est ce rayon
victorieux, cette gloire divine largement étalée, que nous
apercevons à la planche 4 du ML. Nous donnons infra les
correspondances planétaires et zodiacales des rais de
l'arc-en-ciel. SH poursuit son analyse :

« L’un des édifices figurés juste au bord de l’horizon (la construction conique
à droite) est surmonté de la Croix de Lorraine : ce n’est pas seulement
l’emblème d’une grande province française mais c’est un symbole ésotérique
traditionnel. »

Rappelons que la croix d'Anjou ou de Lorraine, initialement,


n'avait aucun sens ésotérique : il s'agissait d'un reliquaire
contenant une parcelle de la vraie croix, vénéré par les ducs
d’Anjou, depuis Louis Ier (1339 -1384) qui le fit broder sur sa
bannière. Ce reliquaire, conservé à Baugé, avait un double
croisillon. La croix d'Anjou à double traverse en bois de la vraie
croix du Christ fut rapportée en 1241 de Crête par Jean d'Alluye
qui la cèda en 1244 aux moines de la Boissière. Cachée à Angers
pendant la guerre de Cent Ans, elle devint le symbole du Duché
d'Anjou. Après le mariage du roi René avec Isabelle de Lorraine,
la croix d'Anjou devint la croix de Lorraine. Ce n'est que de façon
détournée que certains hermétistes ont utilisé à des fins
ésotériques la croix d'Anjou si l'on se souvient qu'elle passa dans
le cou des aigles, support des armes. Et l'Aigle, en alchimie, est le
symbole majeur de la sublimation. Quoi qu'il en soit, il nous
semble bien difficile de distinguer une croix de Lorraine dans la
construction conique signalée par SH.
Manifestement, la draperie de l'arc-en-ciel constitue un temple,

42
érigé en partant de la jusqu'à la sphère du . Et le récipient
apte à recueillir les effluves célestes est représenté par les toiles
tendues entre le Bélier et le Taureau. Le faîte de ce temple est le
ciel firmamental et son toit est tendu de cet arc-en-ciel zodiacal -
ésotérique pour le coup - où se devine l'influence du symbolisme
de la rota. Le centre de cette roue ou rose cosmique se situe en
dehors du plan de la gravure : ce point central n'en a qu'une
valeur plus virtuelle car nous ne savons pas, au vrai, faire la part
de ce qui monte et de ce qui descend dans ces flux entrelacés
entre terre et ciel. Les commentateurs ont, en effet, raisonné sur
cette planche en considérant que les rayons descendaient
forcément. La Tabula Smaragdina, toutefois, est formelle :

« Il monte de la terre au ciel, & derechef il descend en terre, & il reçoit la


force des choses supérieures & inférieures. »

La fig. 8 du Ros. Phil., par ailleurs, montre clairement que c'est un


spiritus abscondus [esprit caché] et corruptus qui monte, c'est-à-dire

qui est sublimé [sur le sens à donner à cet « esprit Mercure » ,

voir Jung, Essais sur la symbolique de l'esprit, op. cit.]. D'où vient cet
esprit ? Si nous regardons la planche 4 de façon élémentaire, il
ressort clairement que cet esprit ne peut provenir que de la . Il
ne saurait évidemment provenir du qu'il ne fût, au préalable,
émané d'une production chthonienne. Il faut donc, en même
temps que nous évoquons des effluves célestes, ne pas oublier
les efflorescences salines [voir là-dessus l'arcanum duplicatum ; son
caput mortuum ainsi que le caput corvii du Donum Dei]. Elles seules
semblent capables de produire l'esprit - au sens d'animus - dont
les alchimistes ont besoin, et pour préparer leur , et pour
préparer leur . C'est ce qu'assure Batsdorff :

« Or la sublimation présuppose toujours la dissolution du corps , et tout


corps est dissout par l'esprit avec lequel il est mêlé, et par lui il est fait
spirituel ; et lorsque le corps est dissout, l'esprit se coagule par la même
opération, qui est divine, surnaturelle et incompréhensible » [Filet
d'Ariadne]

43
fig. 9 du Ros. Phil. Mundificatio

Cette ascension spirituelle - prélude à la dépuration - ne vaut


donc pour autant, que le corps [i.e. la materia prima] ait été dissout
[corrompu] dans et par l'esprit. On voit le paradoxe : l'accès à
l'anima [MOI] purifiée passe essentiellement par une corruption du
corps médiée par l'animus [SOI]. Le problème du Bien et du Mal
paraît contenu - sous réserve des limites de notre analyse - dans
cette antinomie, chose déjà relevée dans l'Aurora consurgens et
le Ripley Scrowle. Nous terminerons cet examen sommaire avec
une troisième planche, la quatorzième.

44
planche quatorzième du Mutus Liber, Bibliotheca Chemica Curiosa,
Mangetus, 1702

Cette planche est bien connue des disciples d'Hermès par la maxime
finale :

45
Ora
Lege Lege Lege Relege labora
et Invenies.
Le panneau supérieur de la planche donne à voir trois tours. Comme on
le dit dans l'analyse de l'ensemble des planches, il est plausible, sinon
probable, que les trois tours soient mises pour les signes zodiacaux
signalés au deuxième panneau. Ces tours sont du reste à l'image de
ces Mont- Joie que Fulcanelli évoque dans son Myst. Cath. [p. 68]. Nous
avons indiqué ailleurs qu'il s'agissait d'une allégorie dont le sujet est la
rosée qui s'élève jusqu'au mont de la Magnésie [par cabale, les sept
boeufs de labour]. L'occasion nous est donnée de citer Appolonios de
Tyane, également évoqué par Fulcanelli dans l'un de ses calembours,

Tableau des planches

Voici les quinze planches du Mutus Liber en grandes vignettes


qu'accompagnent la gravure initiale et l'Incipit :

AU LECTEUR

Quoy-que celuy qui a fait les frais de l'Impreffion de ce Livre, n'ait


voulu mettre à la telle ni Lettre dédicatoire, ni Préface, pour des
raifons qu'il a par devers luy; j'ay cru, pourtant, qu'il ne trouveroit pas
mauvais qu'il foit intitulé, Livre Muēt ; néanmoins toutes les Nations
du monde, les Hébreux, les Grecs, les Latins, les François, les Italiens,
les Efpagnols, les Allemans, &c. peuvent le lire & l'entendre. Auffi
eft-ce le plus beau Livre qui ait jamais efté imprimé fur ce fujet, à ce
que difent les Savans, y ayant-là des chofes qui n'ont jamais efté dites
par perfonne. Il ne faut qu'eftre un véritable Enfant de l'Art, pour le
connoître d'abord. Voilà (cher Lecteur) ce que j'ay cru devoir vous dire.

En 1677, apparut un ouvrage ne comportant aucun texte. Il fut


édité à La Rochelle par Pierre Savouret. Une autre édition parut

46
vers 1725 à Paris. C'est Eugène Canseliet qui en retrouva la trace
dans le catalogue distribué en 1937 par un libraire parisien,
Thiebaud, successeur de Nourry [les planches sont celles présentées
dans l'édition de La Rochelle]. On connait aussi des planches
dépareillées qui sont conservées dans la collection alchimique de
l'université de St Andrews. Plus tard, vers 1702, le médecin
genevois Jean-Jacques Manget inclut les planches dans sa
Bibliotheca chemica curiosa ; il semble que la version de Manget soit
la plus soignée. On suppose que l'auteur se serait dissimulé sous
l'anagramme d'Altus, qu'en décodant, l'on peut transformer en
Sulat : il s'agirait de Jacob Saulat, sieur des Marez. Celui-ci
déclara en effet avoir découvert le manuscrit lorsqu'il sollicita le
privilège de l'éditer à son compte. Il fut accordé par Louis XIV à
Saint-Germain, le 23 novembre 1676. J. Van Lennep ajoute dans
son Alchimie (p. 231) qu'un argument de poids fut ajouté par
Serge Hutin quand il découvrit que les armoiries figurant sur la
quinzième planche étaient celles du sieur Saulat des Marez. Nous
commentons les planches du Mutus Liber en y ajoutant des
commentaires de Magophon, alias Pierre Dujols, tirés de
son Hypotypose. On verra que plusieurs passages de ce texte ont
été repris à peu intacts dans le Myst., ce qui, de notre avis, laisse
peu de doute quant à l'auteur présumé du Ier tome de la trilogie.
Voici les commentaires de Magophon, avant qu'il entame
l'examen des quinze planches :

"Il s’est formé autour du Mutus Liber une légende absurde. Une
Ecole - qui n’a d’hermétique que le nom - a fait à cet ouvrage une
réputation d’obscurité impénétrable et, de ce chef, le vénère comme
un sacrement, sans le comprendre. C’est une erreur; de même que
traduire Mutus Liber par le Livre muet, sans paroles, est un
contresens philosophique. Tous les signes adoptés par l’industrie
humaine pour manifester la pensée sont des verbes. Les Latins - ce
mot entendu congrûment appellent le dessin, la peinture, la sculpture
et l’architecture, au moyen desquels les Hiérogrammates réservent
aux élus les arcanes de la Science, mutae artes, c’est-à-dire les arts
symboliques.

Qu’est-ce qu’un symbole? Sumbolh est une convention, un signe


de reconnaissance. Un symbole est donc ce que nous nommons
aujourd’hui un " Code ", un système tacite d’écriture adopté pour la
correspondance diplomatique, voire commerciale, les
communications télégraphiques, sémaphoriques, etc. Pour un
homme illettré, tout livre est mutus. Un volume en hébreu, sanscrit,
chinois, est un mutus liber, un libre muet, pour le plus grand nombre,
encore qu’ils soient instruits dans leur propre langue. Il faut donc se
faire à cette idée, toute simple, que le Mutus Liber est un libre comme
les autres et qu’il peut se lire en clair, si l’on en possède la grille.

D’ailleurs, les ouvrages d’alchimie, en vers, en prose, en latin, en


français ou tout autre idiome, ne sont eux-mêmes que des
cryptogrammes. Bien qu’écrits avec les lettres banales de l’alphabet
et le vocabulaire commun, ils n’en demeurent pas moins
indéchiffrables pour quiconque en ignore la clef. A dire vrai, entre les
deux procédés sténographiques, celui du Mutus Liber est encore le
plus transparent, car l’image objective est certainement plus parlante

47
que les tropes littéraires et les figures de rhétorique, surtout en une
matière aussi expérimentale que celle de la chimie.

En épinglant ces quelques pages de commentaires aux planches


allégoriques du Mutus Liber, nous nous sommes proposé, sans
quitter le manteau du philosophe, d’en faciliter la lecture, par une
interprétation sincère, aux véritables inquisiteurs de science, probes,
patients, laborieux comme les diligentes abeilles, et non aux curieux,
désœuvrés et frivoles, qui passent leur vie à papillonner inutilement
de livre en livre, sans jamais s’arrêter à aucun pour en extraire la
mellifique substance.

Eh quoi ! La grammaire, la géographie, l’histoire, les mathématiques,


la physique, la chimie et le reste ne deviennent accessibles qu’après
de longs et pénibles efforts, et l’on voudrait entrer au débotté dans le "
Palais du Roi " sans observer les convenances et se soumettre aux
lois de l’étiquette ! Une lecture hâtive et superficielle ne saurait
remplacer l’étude austère et grave. Les sciences profanes
elles-mêmes ne sont pénétrables et assimilables qu’à la suite d’un
travail soutenu et prolongé.

On peut nous objecter que l’Université compte d’illustres


grammairiens, géographes, historiens, mathématiciens, physiciens et
chimistes, mais qu’on n’y signala jamais le moindre alchimiste. Et si
l’agrégé d’alchimie est inconnu, c’est que l’alchimie est une chimère.
Cet argument ad hominem n’est pas sans réplique : une chose
cachée n’est point pour cela inexistante, et l’alchimie est une science
occulte ; nous dirons mieux : elle est la science occulte tout entière,
l’arcane universel, le sceau de l’absolu, le ressort magique des
religions, et c’est pourquoi on l’a appelée l’Art Sacerdotal ou Sacré.

Il y a dans toutes les croyances imposées au vulgaire au moyen d’une


mythologie appropriée: Bible, Védas, Avesta, Kings, etc., un
substratum positif qui est l’assise des sanctuaires de tous les cultes
répandus sur le globe. Ce mystère, reconnu dans le catéchisme
comme l’apanage des Pontifes - qui ne sont pas les Dignitaires
publics - est l’alchimie sur tous les plans: physique et métaphysique.
La possession exclusive du sacrarium fait la force des Eglises; aussi
veillent-elles sur le " secret maçonnique " avec un soin inquiet et
jaloux, secondées par une police et une censure ombrageuse.

Nous n’avançons rien au hasard, et cependant ces allégations


peuvent sembler gratuites, parce qu’invraisemblables, attendu que,
depuis l’invention de l’imprimerie, les livres hermétiques ont toujours
été publiés librement avec la licence des autorités civiles et
religieuses. Et rien, en effet, ne s’opposait à la diffusion de ces
libellés écrits en langues connues, mais en dedans; à telle enseigne
que les plus grands chimistes de L’Ecole de Lavoisier à Berthelot- s’y
sont brisé le front sans résultat. N’est ce pas ici le lieu de rappeler la
méprisante apostrophe d’Artéphius et les avertissements hautains
des Adeptes qui déclarent, sans ambages, n’écrire que pour ceux qui
savent et leurrer les autres ! Ainsi fait-on parler le " Christ " dans les
Evangiles, et les disciples se modèlent sur le " Maître ".

Mais, pour être une science cachée, l’alchimie n’en est pas moins une
science réelle, exacte, conforme à la raison et, de plus, rationaliste.
De tous temps, il y eut des " faiseurs d’or "; les " gentilshommes
verriers ", même de nos jours, la transmutation opère encore des
miracles. A la suite de débats sensationnels et peu distants [Cette
introduction a été écrite avant la première guerre mondiale. (N. de

48
l’Ed.)] on a laissé dire - et au milieu de quelle stupeur que
l’Administration de la Monnaie aurait saisi, sans autre forme de
procès - et pour cause ! - la production d’un alchimiste contemporain:
- " Vous ne devez pas savoir pouvoir faire de l’or ! " Lui dit-on d’un air
comminatoire, en le renvoyant les mains libres, mais vides. Est-il
donc défendu d’être savant ou alors l’alchimie serait-elle un secret
d’Etat ? Cela n’emporterait point cette conclusion naïve les ministres
qui se succèdent soient au fait de la Kabbale. Les rois règnent, mais
ne gouvernent pas, suivant un aphorisme célèbre. Et il semble bien,
par moment, qu’il y ait encore, dans la coulisse, quelque éminence
grise qui tire les ficelles! Le fameux " Galetas du Temple " n’est
peut-être pas si aboli qu’on le suppose, et il y aurait un livre
surprenant à écrire sur les filigranes des billets de banque et les
sigles des pièces de monnaie.

Mais dans ce cas, dira-t-on, pourquoi l’or est-il devenu si rare que la
vie sociale en est comme paralysée ? Les espèces ne se sont pas
volatilisées, elles se sont déplacées, et il faut attendre qu’elles
reviennent à leur point de départ par un mouvement économique
inverse. Seulement, une trop grande lenteur dans ce retour peut avoir
des conséquences incalculables.

La politique des peuples est réglée par un pacte métallique secret qui
ne peut être violé sans entraîner les plus graves complications
internationales. On tirera donc des billets à tour de bras, mais on ne
frappera plus de pièces d’or. Et pourtant, ce n’est point que l’or
manque : il s’étale ostensiblement, et avec quel faste, sur
d’innombrables épaules, autour de poignets, de doigts et même de
jambes dont d’élégance et l’esthétique laissent parfois à désirer. Rien
ne serait, partant, plus facile pour l’Etat que d’échanger son papier
contre de la matière précieuse et de mettre les " coins " à l’œuvre.
C’est paradoxal, mais c’est la vérité. Il y a donc à cette éclipse
momentanée du numéraire or une raison profonde fondée sur la
sagesse. " Or est qui or vaut ", dit un adage. Si la frappe en était licite
aux nations qui ont épuisé leurs réserves normales, la surabondance
en entraînerait l’avilissement. L’étalon fiduciaire n’offrirait plus aucune
garantie et équivaudrait à de la fausse monnaie. L’équilibre financier
serait rompu; ce serait la mort des affaires, la ruine mondiale. C’est
pourquoi la production " naturelle " de l’or est elle-même limitée, si
bien qu’on refuse la concession de nouvelles mines et jusqu’à son
extraction à pauvre rendement des sables fluviatiles et autres.

Cependant, l’heure est proche où la science réclamera intégralement


tous ses droits, et ou l’occulte redeviendra manifeste comme il le fut
jadis. Le savant Girtaner l’a annoncé en basant son opinion sur des
lois ignorées, mais certaines: " Au XXème siècle, la Chrysopée sera
dans le domaine public ". Cet événement considérable est
subordonné, évidemment, à un statu social tout différent de celui qui
nous régit; mais nous allons fort, le monde tourne vite, et qui peut
prévoir la charte de demain !

Toutefois, si l’alchimie se bornait uniquement à la transmutation des


métaux, ce serait une science inappréciable sans doute au point de
vue industriel, mais assez médiocre au sens philosophique. En
réalité, il n’en est pas ainsi. L’alchimie est la clef de toutes les
connaissances, et sa divulgation complète est appelée à bouleverser
de fond en comble les institutions humaines, qui reposent sur le
mensonge, pour les rétablir dans la vérité.

49
Ces considérations préliminaires nous ont paru opportunes, avant de
prendre charitablement le lecteur par la main pour le conduire dans
les inextricables méandres du labyrinthe.

Comme notre désir est d’être utile aux chercheurs, mais que nous ne
pouvons, en quelques pages, écrire un traité technique, nous devons,
avant d’entrer en matière, orienter le disciple vers l’ouvrage qui
semble le mieux correspondre aux figures du Mutus Liber. La plupart
des manipulations indiquées dans ce recueil de symboles se trouvent
assez bien décrites par le plus notoire des philosophes, dans L
‘Entrée Ouverte au Palais Fermé du Roy d’Eyrénée Philalèthe.

Ce n’est pas qu’il n’y ait plus rien à y ajouter. Loin de là, au contraire.
La pratique de Philalèthe, qui nous est présentée sous des dehors
aimables et persuasifs, compte parmi les fictions les plus subtiles et
les plus perfides de la littérature hermétique. Elle renferme cependant
la vérité, mais comme le poison recèle quelquefois son antidote, si on
sait l’isoler de ses alcaloïdes pernicieux. Le cas échéant, nous
signalerons les traquenards à mesure qu’ils se présenteront sous nos
pas.

Le Mutus Liber se compose de quinze planches d’emblèmes, les


unes véridiques, les autres sophistiques, et disposés dans un de ces
beaux désordres qui, suivant le précepte de Boileau, est un effet de
l’art."

Nous sommes dans l'ensemble d'accord avec ce qu'écrivait Pierre


Dujols, même si nous ne pouvons pas partager ses vues quant à
la possibilité même des transmutations. Ce n'est pas que nous ne
le souhaitons pas, mais la raison a ses bornes là même où
commence la poésie. Et même encore plus loin, si l'on veut bien
entendre que la cabale hermétique a pour base une forme rare de
poésie, celle qui dit par les mots du coeur et de la finesse d'esprit
ce que d'aucuns voudraient ne prendre qu'à la lettre. Auquel cas,
inutile qu'ils s'attardent sur l'alchimie, car, comme le dit
Magophon, la " Philosophie ne leur est pas idoine ". Voici ce qu'écrivait
E. Canseliet, en introduction à l'analyse de la Porte alchimique de
la villa Palombara :

"Magophon, c'est la voie du mage : magou, magou, du mage et jwnh,


phoné, voix, parole. Le pseudonyme dissimulait Pierre Dujols de Valois qui
rédigea, pour la première fois, une excellente explication des planches du
Livre muet - Mutus Liber.cette édition, la troisème depuis 1677, après celle
de Jean-Jacques Manget, en 1702, qui fut achevée d'imprimer le 23 juin
1914, donna la naissance à 285 exemplaires, numérotés et paraphés par
Emile Nourry. Parmi ceux-ci, nous possédons le numéro 22 dont Pierre
Dujols fit hommage à notre Maître et dont nous donnons, en fac-similé,
l'envoi manuscrit sur la page de faux titre. Cela sans commentaire, si ce
n'est que nous traduisons ces petits vers latins, simplement pour détromper
ceux qui veulent que le libraire-érudit, mort en 1926, ait été Fulcanelli :

50
Ouverte aux ingénieux, - Et scellée pour les sots, - Je t'offre cette lecture -
Pour nous élucidée." [Deux Logis Alchimiques, Pauvert, 1979]

Pierre Dujols de Valois (1862-1926)

Pierre Dujols était persuadé que l'alchimie spéculative était


incomplète et trompeuse et que les textes, de même que les
images, revêtaient des significations plus profondes, non pas par
leur ésotérisme avoué mais par leur exotérisme caché. Il répondit
un jour à son ami Paul le Cour, qui voyait l’alchimie comme une
ascèse intérieure :

« qu’il était complètement dans l’erreur et qu’il ne pouvait pas comprendre


l’intellectualisme hermétique sans travailler sur la matière, que la
terminologie hermétique ne pouvait être remplacée par une terminologie
scientifique »

Le 19 avril 1926, peu après qu'il eût terminé de lire Le Mystère des
Cathédrales, Pierre Dujols devait décéder, âgé de 64 ans.

"Je l'ai salué quelquefois, déclare Canseliet, entr'aperçu sur son grabat, où il
gisait perclus, souffrant d'une arthrose - comme Scarron. Il ne pouvait pas
plier les genoux ni, par conséquent, quitter la position assise. Alors, le soir,
quand il s'étendait, ses genoux restaient en angle et lui servaient de pupitre."

51
Nous ne saurions passer sous silence le travail de Serge Hutin
[SH] sur le ML, publié aux éditions Le Lien, à Maizière-lès-Metz en
1966. Rappelons que S. Hutin (1927-1997) fut un hermétiste de
haut vol et qu'on lui doit plusieurs ouvrages d'importance sur l'Art
sacré dont un Que Sais-je sur l'Alchimie, récemment réédité.

Serge Hutin

Il était tentant de reprendre le travail de Hutin à propos du ML, en


miroir de celui que propose Dujols dans son Hypotypose ; après
tout, le hasard a voulu que M. Hutin soit né l'année qui a suivi
celle de la mort de Dujols. Nous avons donc amplifié l'analyse
consacrée à chaque planche, en remployant les notes de Hutin,
non pas in extenso car il y aurait eu de nombreuses redites, au
regard de nos commentaires propres, mais en faisant ressortir
l'acuité de ses remarques concernant tel point qui aurait pu nous
échapper ou tel autre qui aurait dû mériter un développement
spécial. Le texte de Hutin peut être trouvé dans ce site :

http://perso.wanadoo.fr/pensee.sauvage/telechrg/mutus.pdf.

[pour la commodité de la consultation, vous trouverez d'abord les planches


en vignettes, à agrandir en cliquant dessus. Chaque planche est ensuite
commentée, et peut être agrandie de même. Nous donnons d'autres
planches, en couleur, dans la section des gravures.].

52
planche 1 planche 2 planche 3 planche 4

planche 6 planche 7 planche 8 planche 9

planche 11 planche 12 planche 13 planche 14

II. Explications concernant les opérations qui se


déroulent aux planches 4, 5, 6, 7 et 10 -
Pour un livre muet, le Mutus Liber [ML] peut être disert à un
étudiant qui a lu ses textes. Posons d'abord que le ML est
constitué d'une série de planches formant l'oratoire et d'une autre
série formant le laboratoire. La planche 1 sert de portique et
montre que c'est du Mercure qu'il sera question ici. La relation à
l'airain ne fait aucun doute là-dessus. La planche 4 montre
comment on obtient la première matière, celle qui donne accès au
Mercure commun. Cette matière est formée de deux substances,

53
l'une voilée par la figure d'Arès et l'autre par celle de
Vénus-Aphrodite. La réunion des deux fournit une substance
liquide [ou plus exactement pâteuse, objet de la sublimation
philosophique], idéalisée par la rosée de mai, que le couple
recueille dans de larges bassines. Ce sel fait l'objet d'une
première calcination à la planche 5. On recueille un premier Caput
mortuum, qui correspond à un sel en forme de D et sans doute de
nature mercurielle, là encore purement idéalisé : il s'agit du
Mercure commun. L'esprit, qui s'est condensé dans le gros ballon
qui correspond au récipient est ensuite mis au fourneau au bain
de sable. La planche 6 montre le recueil de la substance après
qu'elle a été mise en digestion au bain de sable. Le matras ouvert
est disposé au fourneau à réverbère et va donner, là encore deux
produits, l'un sous forme d'un résidu qui correspond au Soufre,
figuré par une | et l'autre sous forme d'un autre esprit qui va se
condenser dans le récipient. A la fin de la planche 6, le Mercure
D est mis à calciner au fourneau dans un pot. Vient la planche 7.
Dans un premier temps, on mêle l'esprit obtenu précédemment et
le Mercure commun qui a été calciné. Le tout est mis en
calcination et on recueille un troisième sel, sous forme d'une ¯
qui correspond au double Mercure. C'est ce qu'exprime la scène
de l'oratoire du bas de la gravure où l'on voit Saturne dévorer son
propre enfant. Enfin, vient la planche 10. On prend le Soufre qui
correspond à la | que l'on joint à ¯ qui correspond au double
Mercure. Le tout {|¯} est pesé selon les proportions requises
et mis dans un matras qui est scellé au feu de lampe : ce serait le
fameux sceau d'Hermès. C'est manifestement la voie humide qui
est ici exposée, celle que nous n'avons pu, jusqu'à présent,
malgré une section entière, dévoiler autant que nous l'aurions
voulu... Le matras est disposé ensuite dans l'athanor
philosophique et la Grande coction démarre. On doit passer,
selon la tradition, par trois couleurs, en débutant par le noir, puis
le blanc et enfin le rouge. L'opération entière semble plus
complexe que celle qui a été décrite, parce qu'il faut passer par
des réitérations de la même technique, ainsi que semblent le
montrer les planches intercalées, notamment les deux couples 8 -
9 et 11- 12. Les planches 8 et 11 ont un rapport évident avec la
planche 2. C'est la partie supérieure qui diffère en ce que, à la
planche 2, les acteurs hermétiques nous sont en quelque sorte
présentés, de part et d'autre de Jupiter, tandis qu'aux planches 8
et 11, nous apercevons le Mercure philosophique et les aigles qui
indiquent une sublimation. La planche 13 ne diffère de la planche
10 que par les chiffres qui apparaissent en bas et à droite. Ils
indiqueraient le pouvoir de multiplication de la teinture... La
planche 14 semble être comme un mode d'emploi. La partie
supérieure montre trois tours qui correespondent à l'athanor. Il y a
trois coctions. La vignette au-dessous montre les trois chiffres
romains : VI - II - X qui correspondent au triangle de feu des

54
astrologues, avec respectivement : Lion - Bélier - Sagittaire [cf.
zodiaque alchimique]. Si l'on fait l'hypothèse qu'il y a concordance
entre les tours et les 3 séries, la quenouille serait peut-être
l'indice d'un feu qui doit être dosé en sorte que le contenu soit
dans un état filant, mais alors on ne comprend plus pourquoi c'est
la voie humide qui est exposée, car la température s'élève bien
au-delà de 500 °C et le matras volerait en éclat. En résumé, il
serait excessif d'observer dans ces gravures allégoriques le
travail réel pour la voie humide. Mais il y a d'importantes
indications à retenir concernant les questions de la séparation, de
la conjonction et de la sublimation.

III. Mutus Liber

planche 1

L'échelle des philosophes sépare en deux parties cette image,


encadrée par des branches de rosier ; deux anges sonnent de la
trompette ; un dormeur est étendu, allongé sur le côté droit sur
une roche ; en haut, la lune en son dernier quartier.

L'échelle se retrouve à la planche II du Myst. et Fulcanelli la


commente ainsi :

"Maintenue entre ses genoux et appuyée contre sa poitrine se dresse


l'échelle aux neuf degrés - scala philosophorum - hiéroglyphe de la patience
que doivent posséder ses fidèles, au cours des neuf opérations successives
du labeur hermétique..."

55
L'Adepte commente ici l'échelle de la Philosophie, au grand portail
central de Notre-Dame de Paris. Et d'ajouter :

"La patience est l'eschelle des Philosophes, nous dit Valois [Oeuvres de
Nicolas Grosparmy et Nicolas Valois, Mss. biblioth. de l'Arsenal, n° 2516
(166 S.A.F.)], et l'humilité est la porte de leur jardin ; car quiconque
persévérera sans orgueil et sans envie, Dieu lui fera miséricorde."

Essayons de décrypter les mots-clefs ; la patience renvoie à patio


[souffrir, supporter] qui est une indication sur l'un des deux
principaux corps dont est composée la pierre : le patient d'abord,
qui est le Corps ou Sel, dont l'animal fétiche est le cerf. L'agent
ensuite, qui est le Soufre rouge et dont l'animal symbolique est la
licorne. Nous avons identifié ailleurs le patient à une Terre et
l'agent à une chaux métallique qui est la teinture de la Pierre.
L'humilité [humilis] de humus [sol, terre] nous indique qu'une
substance ne s'élève pas du fond de la cuve lorsqu'elle est
maintenue en solution : autrement dit, elle précipite. C'est la
classique allégorie de l'état « humble et modeste » ou du caractère «
boueux, limoneux » que les Adeptes emploient pour désigner la
pierre des philosophes. Lorsque Nicolas de Valois dit que
l'humilité est la porte du jardin, il s'agit de la stricte vérité puisque,
sous l'humilité, se cache le dissolvant universel à son stade
premier - Lion vert -, appelé aussi Mercure commun. Son
animation, par infusion des Soufres, le transformera en Lion
rouge.
L'orgueil ou la fierté [ferus] traduit un caractère sauvage, non
cultivé mais aussi grossier, cruel et se rapproche par assonance
de ferrum [le fer, au sens de glaive ou d'épée mais aussi au sens de
ème
rouilleà ferre] ; il s'agit là d'une indication sur le travail du 3
oeuvre, en son début, là où le chevalier doit combattre le dragon
écailleux qui figure le Mercure [on peut trouver dans l'emblème XLI de
M. Maier en son Atalanta fugiens, une bonne analogie avec le sanglier de
Calydon]. Ce dragon, d'ailleurs, est un symbole ubiquitaire. Il
signifie dans une première acception l'une des matières premières
qui se trouve dans un état feuilleté, friable et qui présente parfois
des points colorés qui signalent une partie vitriolique. Dans une
seconde acception, le dragon écailleux est le symbole du
Mercure, comparable à Cronos ; c'est alors l'équivalent de la terre
feuillée des Sages qui doit être ouverte avant que l'or puisse y
être « enté ». L'une des gravures du De Lapide Philosophorum de
Lambspinck [gravure 2] illustre parfaitement le devenir de ce
dragon, à une phase avancée de la Grande coction.
L'envie doit être comprise dans le sens de désir [regretter, déplorer
une perte] qui nous renvoie aux pleurs des mères du massacre des
Innocents de N. Flamel, c'est-à-dire à l'époque de l'introduction du
Corps et de l'Âme dans l'Esprit [comprenez la dissolution du Sel et du
Soufre dans le Mercure].
Les neuf opérations, enfin, représentent le temps hermétique de
la Grande Coction

[Léto souffre pendant neuf jours et neuf nuits les douleurs de l'enfantement,

56
i.e. avant le début de la coagulation. Léto ou Latone fut assez heureuse pour
aborder l'île de Délos, où elle accoucha d'Apollon et d'Artémis, autre nom de
Diane aux cornes lunaires]

et les Anges, qui selon le pseudo-Denys, sont hiérarchisés en


trois triades. Ces anges, nous les voyons, qui s'apprêtent à
éveiller le dormeur, c'est-à-dire à animer le Mercure. Car cette
scène n'est qu'une allégorie de l'animation du Mercure et nous
donne le sujet du ML. cette scène se rapporte évidemment au Lion
vert, la grande inconnue du problème ; cette allégorie se rapporte
aussi à la dissolution des deux principes dans le Mercure
philosophique et au laiton que certains auteurs ont appelé l’airain.
Ce dormeur est sur le point d'être réveillé au son de l'airain. C'est
l'opération de la transformation du Lion vert en Lion rouge qui est
symbolisée. Les roses doivent être rapprochées de « nitri flore »
qui désigne la fleur de nitre. On en récoltait jadis en Egypte et en
Macédoine. Il s'agit probablemant d'un sel alcalin. Un doute
subsiste dans l'interprétation du quartier lunaire dans la mesure
où certains critiquent ont indiqué que la lune devrait plutôt être à
son premier quartier ; nous nous rangeons à cette vision dans la
mesure où le travail va commencer. La Lune en son premier
quartier, nous l'avons montré dans la section de l'Olympe
Hermétique, désigne le Mercure philosophique, alors que la Lune
dans son dernier quartier désigne le Sel des philosophes. On
connait une autre version de cette planche où l'on voit, d'après E.
Canseliet, que :

"...l'alchimiste sommeille, paresseusement étendu, une énorme roche lui


servant d'oreiller, non loin d'une nappe profonde qui alimente, en chute vive,
le ruisseau coulant à ses pieds."

On ne saurait en vérité mieux parler du Mercure philosphique. Le ciel


étoilé et serein renvoie évidemment à Jupiter, arbitre suprème
dont le rapport avec Thémis est des plus étroits. Ce ciel serein est
aussi celui de la rosée de mai, qui symbolise le dissolvant. De cette
première planche, Magophon nous a donné l'interprétation
suivante :

"La première, qui sert de frontispice, est vraiment capitale. De sa


compréhension dépend tout le succès de l’Œuvre. On y voit, dans un
cartouche formé de deux rosiers entrelacés, un homme endormi sur
un roc où végètent des kermès rabougris. Une eau limpide s’en
épanche avec des reflets métalliques. A côté du dormeur, sur une
échelle - l’Escalier des Sages - deux anges sonnent de la trompette
pour le réveiller. Au-dessus, un ciel nocturne propice au repos : les
étoiles brillent et la lune découpe sa corne d’abondance.

Cette page initiale comporterait une critique non imputable à l’auteur


instruit, mais à l’artiste profane qui, dans la reproduction des figures,
a commis, sans s’en douter, un lourd contresens. Et c’est déjà un
grand point que de le signaler, sans qu’il soit nécessaire d’insister
davantage. Les gloses hermétiques en avertiront le disciple qui ne
jugera pas inutile de s’informer.

L’Homme endormi est le sujet de l’Œuvre. Quel est ce sujet ? Les uns

57
disent que c’est un corps ; d’autres affirment que c’est une eau. Les
uns et les autres sont dans le vrai, car une eau, dénommée " la belle
d’argent ", jailli de ce corps que les Sages appellent la Fontaine des
Amoureux de Science. C’est le mystérieux selage des Druides, la
matière qui donne le sel ( de sel pour sal et agere produire ). Le
secret du magistère est d’en dégager encore le soufre et d’en utiliser
le mercure, car tout est dans tout. Certains artistes prétendent
s’adresser ailleurs pour cet effet, et nous ne nierons pas que
l’hydrargyre de cinabre puisse être de quelque secours dans le
travail, si on sait dûment le préparer soi-même ; mais on ne doit
l’employer qu’à bon escient et à propos. Pour nous, celui qui parvient
à ouvrir le rocher avec la verge de Moïse, et ce n’est pas une mince
confidence, a trouvé la première clef opératoire. Alors, sur cette
pierre abrupte fleuriront les deux roses qui pendent aux branches de
l’églantier, l’une blanche et l’autre rouge.

On nous demandera, et non sans raison, quel verbe magique est


capable d’arracher aux bras de Morphée notre Epiménide, qui
semble vraiment sourd aux clameurs des buccins. Ce Verbe vient de
Dieu, porté par les anges, les messagers de feu. C’est un souffle
divin qui agit de manière invisible, mais certaine, et ce n’est pas une
hyperbole. Sans le concours du ciel, le travail de l’homme est inutile.
On ne greffe les arbres ni on ne sème le grain en toutes saisons,
chaque chose a son temps. L’Œuvre philosophale est appelé
l’Agriculture Céleste, ce n’est pas pour rien ; un des plus grands
auteurs a signé ses écrits du nom d’Agricola, et deux autres
excellents adeptes sont connus sous les noms de Grand Paysan et
de Petit Paysan.

Le disciple devra donc méditer longuement sur cette première


planche, la confronter avec les apologues en langue vulgaire.
Puisse-t-il être assez heureux pour entendre lui-même la voix du ciel ;
mais qu’il sache, auparavant, qu’il y prêtera l’oreille en vain, s’il n’est
nourri lui-même des Saint Lettres."
[Hypotypose, Pierre Dujols]

Pierre Dujols, alias Magophon, manie la cabale hermétique avec


une dextérité consommée. Certains prétendent que Dujols, le
libraire-érudit, aurait pu être Fulcanelli... Il est certain que l'on
trouve dans son Hypotypose des passages qui évoquent fortement
Myst. et que le style de Dujols se rapproche étrangement de celui
de Fulcanelli. Quoi qu'il en soit, il est facile de voir que ses propos
se rapportent à la préparation du Mercure. Et qu'un sulfate [ou un
sulfure] est nécessaire à l'oeuvre, sans lequel l'hydrargyre
philosophique ne peut se manifester. Cette hydrargyre vient-il du
cinabre ? Voilà une grave question à laquelle beaucoup
d'apprentis alchimistes, et encore de nos jours, semblent avoir
répondu de manière positive, puisqu'ils oeuvrent avec le « Dragon
rouge », du cinabre, et d'autres avec le sublimé corrosif. Cette
planche 1 représente l'allégorie du réveil du Mercure. L'évocation
du kermès [voir ce terme en recherche] n'est pas innocente et ceux
qui savent l'analogie qui existe entre le kermès, la noix de galle et
l'étain grenaillé, en savent déjà assez sur le moyen de préparer le
Laiton. Cette première figure a aussi été commentée par Armand
Barbault dans son Or du Millième matin [J'ai Lu, 1969] :

58
"...vous y verrez un personnage curieux, endormi au creux d'une petite
colline, tandis qu'en songe il perçoit le son de la trompette d'un ange qui lui
apporte l'Annonciation. Cet ange, placé sur l'échelle de Jacob, reçoit l'écho
d'un autre ange, situé lui, au sommet de l'échelle et qui, dans sa trompette,
produit également le son que l'autre ange doit faire entendre à l'Adepte.
Cette figure, placée à l'intérieur d'une couronne de roses, doit être méditée
par quiconque désire entrer dans la citadelle alchimique..."

A. Barbault n'évoque pas le kermès. C'est donc une indication


précise que nous donne Dujols : ceux qui ont lu Myst. sauront
l'apprécier à sa juste valeur. L'Escalier des Sages, outre qu'il
s'agit de l'échelle de Jacob, constitue un clin d'oeil aux Amoureux
de science qui y reconnaîtront deux ouvrages majeurs : la Scala
Philosophorum [Guido de Montanor, BCC, II, pp. 134-147; Artis Auriferae,
vol. II, pp. 71-111 ; De Alchimia opuscula..., I, f. 101-135] et l'Escalier des
Sages de Barent Coenders van Helpen [voir gravures]. Quant au
son de la trompette, c'est évidemment une allusion au Clangor
Buccinae [parfois attribué à Guido de Montanor, BCC, II, pp. 147-165; Artis
Auriferae, vol. I, pp. 289-349; De Alchimia opuscula..., I, f. 19-69]. Notons
encore une allusion à la Cassette du Petit paysan, attribuée à
Grasseus [l'Arche ouverte ou Arca arcani in Bibliothèque des
philosophes chymiques, IV, 186-234 ; BCC, II, 585-619 ; TC, VI, 294-323].
Quant à l'Artiste qui signait ses oeuvres Agricola, il ne peut s'agir
que de Daniel Agricola. Voici ce qu'en dit Ferguson.

AGRICOLA (Daniel), Philopistius.

Galerazeya. Siue Revelator Secretorum. I. De Lapide Philosophorum.


II. De Arabico Elyzir. III. De Auro potabili, & Pomis Paradisi. Authore
Agricola Philopistio Germano Coloniae. Apud Petrvm Metternich,
prope Augustinianos Anno M.DC.XXXI. 24°. pp. 109, 173 [8, 1 blank).
This volume contains: title, pp. 2 ; Printer to the reader (explaining the
deceptive title), pp. 3-8; origin and occasion of the book, pp. 9-14.
Part I. consisting of the contents, pp. 15.17; first dialogue of Daniel
and Joachimus, pp. 18-92: Contents, pp. 93.102; first part of the
Galerazeya, called Lapis Philosophorum, subdivided into seven
sections, pp. 1-173; Index and Errata, pp, [8] The remaining two parts
(with their introductory dialogues) are not contained in this volume.
Were they ever printed? In the first edition of the first part the
introductory dialogue was somehow left out; but now in the second
edition It has been put in its right place (p. 16),

This is considered an alchemical book, and is ascribed to "G. Agricola


Philopistius" by Borel (Bibl. Chemica, 1654, p. 4), who gives "Lapis
Philosophorum" as an alternative title and the date, Coloniae, 1531,
24°. Borel is copied by Dufresnoy (Hist. de la Phil. Hermétique,
1742. iii p. 82, who identifies the author with G. Agricola the
metallurgist, adding the date 1534. Schmieder [Gesch. d. Alchemie
1832, p. 269) copies from these writers, but makes additional difficulty
by ascribing the Rechler Gebrauch d' Alchimei, Köln, 1531 (q.v.), also
to Agricola the metallurgist. None of these writers mentions the 1631
edition, and if it were not that reference is made in itself (p. 16) to a
previous edition, I should incline to the belief that Borel had made a
mistake in the date, which was copied by subsequent writers. The
ascription of the book to George Agricola, and the statement by
Schmieder that Agricola had pursued Alchemy in his youth, but that
his books though printed then did not attract notice till after he had

59
become otherwise distinguished, will not stand investigation. 1. The
Rechler Gebrauch d' Alchimei is a book of miscellaneous receipts and
treats very slightly of transmutation, and, although its date be 1531,
the place of printing is not given; most likely it was printed by
Egenolph at Frankfurt 2. The Galeraseya does not treat of Alchemy at
all, but is a book of Roman Catholic controversy and beliefs, and it
was recommended to be used for converting heretics. The Lapis
Philosophorum spoken of is entirely symbolical, and signifies faith in
the Roman Catholic church. 3. The nominal author is Daniel — not G.
or Georg — Agricola Philopistius, 'lover of the faith,' — not
Philopeusles, ' lover of enquiry or research,' as Schmieder gives it 4.
The author or editor confesses frankly that the title is an ingenious
one, a bait to catch readers, "esca in hamo, quo pisces capiuntur," as
he says, so that those who buy or read the book in the hope that they
will learn now to make gold, the gold that perisheth, will find that they
have acquired instead a pearl of priceless value. 5. The origin of the
book is described in the introduction and first dialogue. The author
(Daniel Agricola), who was living in Germany some 50 years before
the date of the book, after long study and making great acquirements,
at the age of 30 travelled over all the world and learned all he could.
After an absence of 60 years, he returned to Germany. A young men,
called Joachimus. who had wasted his substance in searching for the
philosopher's stone, and was forsaken of his kinsfolk and
acquaintance, came to the town where Daniel was, and as luck would
have it met him and told him his sorrows. Daniel consoled him and
promised that he would reveal to him the true stone. After Daniel and
Joachimus had lived together for so years, Daniel died calmly at the
not immature age of one hundred and ten years. Joachimus then
committed his teaching to writing, both for the guidance of others, and
in memory of Daniel himself. This work came into the hands of the
writer of the preface, whoever he was, who had it printed. 6. The
dates now given will not suit George Agricola under any
circumstances. If Daniel flourished 50 years prior to 1631, say in
1580, then he was alive twenty-five years after George Agricola was
dead. If the book was published in 1531 and Daniel was alive 50
years before that time, say in 1480, he must have been ten years old
at least, possibly fourteen, before George Agricola was born.
The whole story seems to be fictitious. The book is not by George
Agricola, it is not about Alchemy, so that Schmieder's derivation of the
name from galeroV and azo meaning the'' fortunate " or "joyful
blackness," and referring to that product of "putrefaction" which the
alchemists called "caput corvi," is mere nonsense. If the Galeraseya
be the result of a hundred and ten years' study, travel, meditation,
instruction, it is very small for its age. If Schmieder's statements about
Agricola's youthful alchemical studies and publications were correct,
and the Galeraseya were one of these printed in 1531, Agricola at that
time was thirty-seven (possibly forty-one) years of age; not a youth,
therefore, and he had already published the Bermannus, was settled
at Chemnitz, and was a man of distinction for scholarship. The book
hardly merits so much notice, but it has been so persistently ascribed
to G. Agricola that it is as well that the account it gives of itself should
be known, and the current errors rectified. Kopp, however, says (Die
Alchemie, 1886, i, p, 41) that these works are erroneously ascribed to
him, though he is not correct in saying that the Galeraseya is by a G.
Agricola; but he quotes Schmieder as to the meaning of the word
(Ibid, ii. p. 339), and does not seem to have been alware that the book
does not deal with Alchemy at all.

Revenons un instant sur la planche 1 : SH rappelle

60
opportunément cet ouvrage de Bernard Le Trévisan, le Songe
Verd. Ce petit écrit fait partie de ces textes où le héros est
endormi et fait l'objet de ses songes; citons d'autres exemples
comme l'Hermès Dévoilé de l'Adepte Cyliani ou encore la Fontaine
des Amoureux de science de Jean de Meun. Quand ce ne sont pas
des rêves, ce sont des visions : celle de Zozime que Jung a
analysée dans ses Racines de la Conscience [trad. Buchet Chastel] ou
celles de Ripley [voir Ashmole, Theatrum Chemicum Britannicum ainsi
que : Compound of Alchemy et Ripley Scrowle]. Zosime voit un prêtre
blanc [Berthelot, Alchimistes Grecs, III, t. 2] dont le nom Iwn peut, à
ce qu'en rapporte Jung [Psychologie du Transfert, trad. Albin Michel,
p. 129, n. 13] être l'une des formes du Mercure, par le biais de la
forme Merqûlius ou Marqûlius [il s'agirait d'un Sabéen].

« La conception primitive de l'alchimie apparaît sous une forme dramatisée


dans la vision de Zosime, à peu près comme elle pourrait se présenter dans
un rêve réel. » [Jung, Racines de la Conscience, op. cit., les visions de
Zosime, p. 189, Pochothèque]

Jung ajoute que dans la première version de la Vision, le prêtre se


soumet volontairement au sacrifice qui se trouve accompli par le
hiérourgos [celui qui opère l'action sacrée] : il transperce Iwn de son
épée. L'un des passage des Visions de Zosime peut être mis en
relation avec la planche I du ML :

Avec peine, je fus pris du désir de gravir les sept degrés et de


contempler les sept châtiments : et, comme il convient, en un seul
des jours, je parcourus le chemin de l'ascension. En m'y reprenant à
plusieurs fois, je me trouvai enfin sur la route. Au retour, je perdis
complètement mon chemin et, plongé dans un grand découragement,
ne voyant pas par où sortir, je tombai dans le sommeil.
Berthelot, III, V, 1

Ces degrés doivent être rapprochés de ceux de plusieurs


planches, à commencer évidemment par l'échelle de Jacob.
Citons l'une des gravures de l'Alchemia de Libavius [Tractatus
quartus De Lapide Philosophorum, p. 56]. L'attention est attirée par la
droite ligne de l'aller, l'ascension ne posant guère de problème
tandis que le retour est marqué par l'installation de la confusion.
Voilà qui nous rappelle la parabole du labyrinthe de Salomon dont
Fulcanelli assure qu'il faut non seulement savoir accéder à la
chambre centrale [le sel fixe ou sulphur ] mais encore trouver la
sortie, c'est-à-dire le degré de coction permettant d'éviter de
brûler les fleurs [autrement dit d'éviter que l'Esprit ne parte en fumée
avec le qui y est infusé]. Ce morcellement de la conscience qui

consiste en une progressive domination de l'inconscient sur le


conscient trouve évidemment sa résultante dans le sommeil,
éclipse du MOI. C'est là que le prêtre Iwn apparaît à Zosime. Il
joue le rôle de psychopompe c'est-à-dire de transporteur d'âme.
Pour l'alchimiste, c'est le véhicule du ou spiritus corruptus. C'est
ce que l'on aperçoit sur la gravure 8 du Ros. Phil. : l'esprit sortant

61
du corps correspond à l'entrée du labyrinthe. Le sommet de la
montagne est à mettre en relation avec la dépuration du ;

De Lapide Philosophorum, duodecima figura, Musaeum Hermeticum, 1678,


p. 365

Voyons les rapports entre la planche I du ML et la figure 12 du De


Lapide Philosophorum de Lambsprinck. Le rêveur trouve sa forme

projetée dans le couple { } du sommet de la montagne là où le

ciel se fait couleur d'azur [ioV]. C'est le cas du ciel étoilé du ML


que l'on retrouve à droite, encadrant la . Dans le couple
d'idéogrammes notés entre {}, nous avons fait figurer l'animus
avec, en exposant, le Mercurius. Il faut nous attarder un peu sur
un point, que nous avons déjà relevé dans l'analyse des
aquarelles de l'Aurora consurgens et qui trouve ici un intérêt
renouvelé. C'est à propos de l'ambiguité entre animus et anima

. Ambiguité que l'on retrouve par exemple chez Jung, depuis


ses premiers écrits [Introduction au Yi-King, in Synchronicité et
Paracelsica, trad. Albin Michel, 1990] jusque dans ses dernières
oeuvres en relation avec l'Art sacré. Non pas que les concepts
d'esprit et d'âme soient confondus; mais en tout cas, ils ne sont
pas indépendants [voir Ripley Scrowle].

« La noirceur rougeâtre apparaît, et elle tombe en maladie et en rouille, puis


meurt par la putréfaction. Normalement, elle n'est plus soumise à la fuite,
puis quand elle est libre, elle se rassemble avec son conjoint et fait des
prières sincères pour prendre sa couleur et pas seulement un ornement.
Mais, avec une monnaie qu'on leur donne, ils deviennent de l'or. Cet esprit
et âme, les philosophes l'appelèrent vapeur. Ils dirent aussi que ce noir
humide était exempt de souillure, comme dans l'homme, il n'y a pas de
l’humidité et de la sécheresse. Ainsi, notre œuvre que les envieux ont caché
n'est que vapeur et eau » [Turba, sermon XXXV, version 1]

62
Il est difficile de tirer le grain de l'ivraie de cette version
abominable de la Turba [BCC, I, pp. 445-465] qui, malheureusement,
est encore la seule disponible en français [in Salmon, Bibliothèque
des Philosophes Chymiques, vol. II, pp. 1-55]. Du moins, l'essentiel
peut-il être retrouvé « vapeur et eau » ou si l'on préfère « spiritus &
vapor ». Dans cette partie de l'opus correspondant à la fin de la
nigredo , l'Esprit est encore maître des lieux [vas naturae : vase
de nature, i.e. V.I.T.R.I.O.L.E.U.M. ou oelum vitri, alias huile de verre],
sous forme visqueuse et encore corrompue - ce qu'exprime le
vocable spirituel -. Il est d'habitude signalé aux impétrants
comme un aigle, ainsi que Zosime le tire de la bouche d'Ostanès :

« Va vers le courant du Nil, tu trouveras là une pierre ayant un esprit;


prends-la, coupe-la en deux, mets ta main dans l'intérieur et tires-en le
cœur, car son âme est dans son cœur. »

(MS. 2327 fol. 169 v° et 170. Voir Berthelot, DES ORIGINES DE


L'ALCHIMIE ET DES OEUVRES ATTRIBUÉES À DÉMOCRITE D'ABDÈRE.
JOURNAL DES SAVANTS. -- SEPTEMBRE 1884 - in Idée alchimique, I)

Il s'agit d'une allégorie sur le mystère de la sublimation. Diodore


de Sicile [Histoire Universelle] en parle comme des crues du Nil
pour visualiser cette vague déferlante qui apporte la terre noire,
limoneuse et fertile, qui ensemence la terra alba foliata. La Turba
XXXV,1 est un commentaire sur l'or alchimique car la noirceur
rougeâtre annonce l'horo aura [voir Aurora consurgens] et la rouille
n'est autre que l'ioV, qui renvoie par effet de miroir l'image
corrompue du prêtre blanc Iwn. L'iconographie nous montre au
moins deux représentations du hiérourgos, que nous avons
évoqué supra. L'une, dans Petrus Bonus [Pretiosa Margarita
Novella], l'autre dans le Speculum veritatis [XVIIe siècle, Bibliothèque
Apostolique du Vatican, Cod. Lat. 7286].

63
Speculum veritatis, Anonyme, XVIIe

Là encore, les symboles se rapprochent de ceux développés sur


la planche I du ML. Le hiérourgos est représenté par l'élément :
il transperce de son épée le Mercurius senex contre le chêne.
Rappelons que cet arbre, pour beaucoup, à cause de l'allusion au
trisulfure d'antimoine, est une projection de la prima materia; nous
sommes d'un autre point de vue [voir Symboles et Introïtus, VI]. Le
chêne - aesculus - paraît se rapporter à la préparation de l'Airain
des Sages, c'est-à-dire au Rebis. Fulcanelli a brodé là-dessus
une allégorie sur la coagulation du . C'est nommer la noix de
galle, d'où l'allusion au coq [gallus] que l'on voit si curieusement
en train de couver [sic] dans un nid... À droite, c'est le serpent qui
est fixé, à l'instar de celui des figures du Livre d'Abraham Juif [voir
gravures]. Cette gravure du Speculum veritatis a le mérite de
présenter une monade si l'on tient compte des deux couples {
} et { }. Par aes [cuivre, laiton], il est clair que le chêne se
rapporte à l'airain ou hermaphrodite. Aes prend aussi le sens de
solde [aes militare par exemple] expliquant d'ailleurs l'une des
planches de la Philosophia Reformata de Mylius [gravure 28] : d'où
l'allusion à la monnaie dans le sermon de la Turba, 1, XXXV. Ce
n'est pas tout :

« Que Diane ici te soit propice, qui sait dompter les bêtes sauvages et dont
les deux colombes (qui ont été trouvées volant sans ailes dans les bois de la
Nymphe Vénus) tempéreront de leurs plumes la malignité de l'air... »
[Introïtus, VI]

Telle est la bénédiction du Philalèthe. Si l'on observe


soigneusement les branches de rosier de la planche I, il est assez

64
facile d'y trouver l'idéogramme de l'acide muriatique . Toutefois,
la présence dans l'angle supérieur droit de la [qui devrait être
comme le signale Canseliet en son premier quartier] donne à l'ensemble
l'apparence de l'aes ustum. Sur le Speculum veritatis, nous en
trouvons l'allégorie dans le serpent cloué au chêne, c'est-à-dire
[sur l'arbre envisagé comme rotundum, voir Aurora consurgens, I]. C'est la
galle de notre kermès :

« Prends le feu ou la chaux vive dont les philosophes disent qu'elle pousse
sur les arbres... Dieu lui a accordé une force et une efficacité si grandes que
la divinité elle-même est mêlée à ce feu. Et ce feu purifie tant au purgatoire
que dans les enfers. » [Gloria Mundi seu Tabula Paradisi, Musaeum
Hermeticum, 1678, pp. 203-305]

Sur le symbolisme de la galle, nous renvoyons à nos symboles. Il


ne fait aucun doute que, pour les Adeptes, notre feu est celui du
saint Esprit qui unit au en sorte d'en faire l'anima mundi . De

cette rouille [ioV] du chêne, l'Artiste va tâcher de faire naître et


prospérer le gui [ixoV], remède universel. C'est là ce Lion Verd
que signalent tant d'auteurs comme Georg Ripley ou Basile
Valentin. Les druides le cueillaient en hiver quand l'arbre est
dépouillé, ce qu'atteste ce nid dans lequel trône le coq [gallus] du
Speculum veritatis. Ce gui représente le véritable élixir de
l'alchimiste, en ce qu'il est sa résine ou son humeur visqueuse
[ixoV] dans lesquelles on reconnaît le Mercure philosophique. Et
c'est en droite ligne [ixiV] que nous sommes conduits au sulphur
et à sa réincrudation. Mais c'est là un terme encore lointain et
nébuleux, que nous ne verrons se dévoiler qu'à la planche 15 :
patience et humilité ! Poursuivons. SH décrit ensuite les couleurs
- qu'il faut comprendre par l'entendement - des deux roses que
l'on aperçoit à l'extérieur du mandala formé par les branches
entre-croisées :

« On remarquera aussi les deux fleurs qui pendent en bas du la figure; la


planche est en noir, mais leurs couleurs respectives ne font pas de doute
pour l’Hermétiste; celle qui correspond à la polarité féminine est blanche,
celle qui correspond à la polarité masculine est rouge. » [Vingt-cinq
Commentaires sur le Mutus Liber, op. cit.]

La fleur de gauche pointe vers la ; celle de droite nous


présente ses pétales et étamines. Elle rappelle la rose de Robert
Fludd [Summum Bonum, 1629, voir Aurora consurgens, I] qui est
tournée vers l'air et le et dont la forme suit celle de . La
logique hermétique veut que la fleur blanche soit liée à la et la
fleur rouge, à . La rose blanche est l'image du SEL tandis
que la rose rouge est liée au sulphur [voir Fontenay pour plus
d'explications]. Mais nous n'avons pas épuisé la symbolique du gui :

65
« Au moment de la mort hivernale, les tiges verts [du gui] se parent de
boules blanches brillantes; la vie, l'âme du chêne... semble s'être réfugiée
dans l'humble parasite qu'il supporte. » [A.-L. Mercier, la flore populaire de
l'Île-de-France, Paris, 1954-1963]

Ces boules brillantes sont identiques aux yeux de poissons dont


l'aspect de nacre, selon les alchimistes, signalent que la surface
de la matière est bien disposée [voir Ripley Scrowle]. Certains
Artistes y ont vu le :

«... C'est avec surprise que j'ai constaté que la partie de matière récupérée
se présentait bien comme une masse noire mais constellée de petits cristaux
formant à sa surface et dans sa masse de multiples points étoilés. La
tradition me laisse penser qu'il s'agit là du Mercure prêt à sortir de son lit. »
[Armand Barbault, L'Or du millième matin, J'ai Lu, 1969, Introduction aux
préparations du second ordre, p. 161]

arbre alchimique et serpent Ouroboros

Il n'est pas question ici de discuter du point de savoir si cette


massa confusa dont parle Barbault est ou non la prima materia.
En revanche, il est presque assuré que cet aspect cristallin
évoque ce que les Adeptes nomment le suc de la Lunaire dont
l'idéogramme est [aspect, rappelons-le, que devrait avoir selon
Canseliet la Lune dans la planche 1]. Or, ce suc de la Lunaire selon la
Tradition, est le SEL. Quoi qu'il en soit, nous voilà au moment de
l'horo aura selon ce qu'en dit l'antique formule celtique « Au gui, l'an
neuf ! » C'est là le Golden Bough de Frazer ou rameau d'or; voilà
l'alexipharmacon des Gaulois [omnia sanitatem]. En breton, on
l'appelle encore deur derhue ou eau de chêne : il s'agit bien de
l'eau du chêne creux [cava ilex] de Nicolas Flamel par laquelle on
rejoint la légende du roi qui meurt de la main du hiérourgos. On

66
assiste là au phénomène de transfert et de projection dont
l'hiéroglyphe - sur la planche 1 du ML - est l'échelle de Jacob. Ce
moyen de jonction entre et nous est offert par l'arbre
philosophique de l'image précédente. Sans vouloir revenir de
manière approfondie sur l'arbor vitae [voir Aurora consurgens, I], il
semble important de faire voir que la liaison entre et est
obtenue via l'artifice de la corruption ou putrefactio [ioV]. C'est
ce que la graveur a voulu représenter par le mandala qui occupe
le milieu de l'arbre, mandala formé par l'Ouroboros, dans lequel
une scène récurrente est inscrite : celle du pélican s'offrant
lui-même en pâture à sa couvée [voir Aurora consurgens, II - figure
22]. De part et d'autre du mandala, le tronc et les racines, qui
s'épuisent dans la terre et constituent le reflet chthonien de la
psyché [le ÇA - voir Jung, l'Arbre philosophique in Racines de la
conscience]; et aussi le faîte de l'arbre qui en forme la partie
spirituelle [le SOI]. Il est clair que le processus de transformation
[qui tend vers l'individuation] est ce mandala où nous devons
imaginer que réside le MOI. Les transpositions alchimiques sont
les suivantes :

SOI = - MOI = - ÇA =

Ces réflexions permettent d'amplifier ce que nous avons déjà


posé en conjecture dans l'Aurora consurgens et le Ripley Scrowle.
Si nous reconsidérons, de ce point de vue, la planche 1 du ML,
nous pouvons y voir également un mandala où l'idéogramme du
muriate [issu du nitrum ] sert d'enveloppe spirituelle et d'image
du SOI.

« L’une des clefs opératoires de l’alchimie est ainsi qualifiée : "ouvrir le


rocher avec la verge de Moïse". Car, outre son sens initiatique, la figure a un
sens très précis dans le domaine des manipulations de laboratoire. » [SH,
op. cit.]

SH reprend le commentaire de Pierre Dujols. La verge de Moïse


est un symbole de l'airain puisqu'elle se transforme, par le pouvoir
spirituel de son possesseur, en serpent. Elle passe donc d'une
forme solide et droite - sulphur - à une forme visqueuse et
curviligne - mercurius . Cet objet présente les caractères décrits
par Fulcanelli pour définir l'eau mercurielle, alternativement
étoilée ou métallique. Quant au « sens initiatique », il nous paraît
plus conforme à la cabale d'y voir un sens hermétique : la
manipulation de laboratoire consiste à dissoudre dans le bain
mercuriel [la fontaine du Trévisan] les natures métallique et
minérale . Elles sont disposées de part et d'autre de l'arbre et
caractérisent les deux polarités élémentaires de la psyché :
animus et anima . L'ouverture du rocher est une figure de

67
style puisque l'Artiste doit préparer ses matières à l'état de poudre
ou même porphyrisées; l'idée demeure, toutefois, pour signaler
que l'effet du dissolvant agit jusqu'au tréfonds de la materia prima
en sorte d'y puiser la matière sulfureuse. Dans l'Exode, Dieu
révèle sa puissance à Moïse et lui indique trois signes qui
témoignent de la manifestation des prodiges. Nous venons
d'évoquer le premier, la transformation du bâton en serpent. Cette
métamorphose ressortit de la nigredo . Le deuxième prodige
consiste en une modification de la main de Moïse qui devient
lépreuse et couverte de neige. Quant au troisième prodige, il
renoue plus directement avec le symbolisme alchimique :

« Alors, s'ils ne croient pas plus à ces deux signes et n'entendent pas ta
voix, tu prendras de l'eau du Fleuve [du Nil] et la répandras à terre; l'eau
que tu auras prise au Fleuve, sur la terre deviendra du sang. » [Ex, 4, 9]

Le Nil, on s'en souvient, est le symbole mercuriel qui a trait aux


sublimations [voir Diodore de Sicile, Histoire Universelle] et les Aigles
représentent les crues du fleuve. À ce qu'en rapporte Philalèthe,
chaque Aigle est une sublimation. L'allégorie hermétique exprime
l'effet de l'aqua permanens sur la vile ou materia prima : la
préparation du . Il reste à évoquer les trompettes qui
représentent - par le son émis - l'un des éléments dynamiques de
cet ensemble. D'abord, leur nombre. Elles sont deux comme les
éléments que l'Artiste doit traiter et ce n'est sans doute pas un
hasard si le graveur a fait figurer l'un des anges au milieu de
l'amande mystique [amugdaloV] et l'autre dont les ailes
apparaissent en dehors de ce mandala. Nous l'avons déjà dit, il
s'agit là d'un rêve, ni plus ni moins. Le rêve du moins - c'est un
truisme - a sa propre logique et lorsque celle-ci est mise au
service de l'alchimie, tous les espoirs sont possibles... Eh bien !
Nous devons croire qu'en 1677, l'auteur du ML appliquait les
préceptes de Gerhard Dorneus quand, en 1570, il publiait son
Lapis metaphysicus aut philosophicus [voir Jung, Synchronicité et
Paracelsica]. Ceci pour rappeler que nous trouvons dans le ML - et
sa première planche - l'un des derniers fleurons dans l'art
symbolique appliqué à Hermès.

planche 2

68
Cette planche se compose de deux parties ; la partie supérieure
où le soleil brille en plein ; au-dessous sont deux anges qui
tiennent un matras ventru ; dans le matras un personnage que
nous identifions comme Neptune, flanqué de Diane et d'Apollon :
une étoile surmonte celui de gauche tandis qu'une fleur surmonte
celui de droite. Cette partie supérieure est une évocation
allégorique, en gloire. La partie inférieure nous montre un athanor
auprès duquel est agenouillé le couple alchimique dans une
attitude de prière. On notera que la femme a la main droite levée
[indication possible pour une identification à Minerve ou à Junon] ; notez
qu'elle semble tenir de la main gauche un objet invisible : on dirait
d'une déesse à laquelle on aurait ôté ses attributs.

Cette planche a trait à la préparation du Mercure. Les deux


principes en sont figurés par l'étoile et la fleur. L'attitude de prière
et de louange se rapporte à l'action d'honorer [percolo = honorer,
mais aussi filtrer, mettre en digestion]. Les deux anges sont identiques
- dans leur symbolique - à ceux qu'évoque N. Flamel dans ses
Figures Hiéroglyphiques [voir le commentaire que nous donnons de la
figure VI, notes 151 à 156]. Ils sont semblables aux deux gnomes (1)
de la cheminée alchimique du château de Fontenay-Le-Comte, au
chien de Corascène et à la chienne d'Arménie d'Artephius, au loup
et au chien de Lambsprinck. Ce sont encore Gabricius et Beia,
Artémis et Apollon, les deux colombes de Diane. La femme a
quelque rapport avec Minerve [associée à Junon et à Jupiter] :
Minerve tient le globe [analogue en cabale hermétique au cercle
crucifère] du monde de la main gauche et le bâton du pouvoir de la
main droite [le bourdon du pélerin]. L'athanor montre un oeuf dont le
contenu est symbolisé par la partie supérieure de la planche. Les
anges qui tiennent l'oeuf philosophal expriment avec netteté la
dissolution de la matière à cette époque de l'oeuvre; nous les
avons déjà vus dans la planche I : le rêveur poursuit son songe.

69
Les Soufres sont sublimés dans l'aqua permanens et ne sont pas
encore réincrudés. La réincrudation est l'opération qui consiste en
le retour à un état antérieur de substances, ici des sels à l'état
d'oxydes, conjoints. Cette opération, en cabale hermétique,
contracte d'étroits rapports avec la chute de l'Ange [voir section
réincrudation]. Voici ce que pense Magophon de cette planche :

"La seconde planche n’est pas dans l’ordre des opérations. Elle
représente l’œuf des philosophes, et pourtant rien, jusqu’ici, n’a pu
faire connaître les éléments qui doivent le composer. Pour en donner
une idée, nous devons enjamber délibérément un certain nombre de
symboles.

Tout œuf comprend un germe - la vésicule de Purkinje qui est notre


sel ; la jaune, qui est notre soufre, et l’albumine, qui est notre
mercure. Le tout est enfermé dans un matras qui correspond à la
coquille. Les trois produits sont personnifiés ici par Apollon, Diane et
Neptune, le Dieu des eaux pontiques.

La tradition veut que ce matras soit - contenu dans un second, et


celui-ci renfermé dans un troisième fait du bois d’un vieux chêne.
Flamel dit expressément: " Note ce chêne ", et Vico, le chapelain des
seigneurs de Grosparmy et de Valois, le recommande avec non
moins d’intérêt. Cette insistance est significative, et nous rappellerons
qu’à la première planche, sur le rocher des Sages pousse le chêne
Kermès, l’Hermès des Adeptes, car, dans la langue hébraïque K et H
ne sont qu’une même lettre, prises alternativement l’une pour l’autre.
Mais qu’on y ait garde, le kermès minéral mène au piège tendu par
Philalèthe. Artéphius, Basile Valentin et tant d’autres, et l’on ne doit
pas perdre de vue que les philosophes se complaisent dans certaines
collusions verbales. ErmhV est le mercure artificiel qui amalgame le
compost.

La grandeur de l’œuf importe. Dans la nature, l’œuf varie de celui du


roitelet à celui de l’autruche ; mais, dit la Sagesse, in medio virtus. Il
nous faut dire aussi quelque chose du verre philosophique. Les
auteurs en parlent peu, et encore avec réserve. Mais nous savons,
par expérience, que le meilleur est celui de Venise. Il le faut de bonne
épaisseur, limpide, sans bulles. On employait encore, autrefois, le
gros verre de Lorraine fabriqué par les gentilshommes souffleurs ;
mais un bon praticien doit apprendre à faire ses matras lui-même.

La figure inférieure de cette seconde planche représente un athanor


entre un homme et une femme à genoux, comme s’ils étaient en
oraison, ce qui a porté certains esprits faibles à croire que la prière
intervient dans le travail comme un élément pondérable. C’est ici un
facteur inopérant. Le principal, c’est d’employer les matériaux
expédients ; mais l’élan de la créature vers le créateur peut influer
favorablement sur les directives, puisque la lumière vient de Dieu.
Qu’on s’affranchisse néanmoins de ces suggestions peu efficaces
dans la pratique. La prière de l’artiste, c’est plus encore le travail,
travail opiniâtre, souvent dur, dangereux et incompatible avec les
mains trop blanches. Comptez donc surtout sur l’improbus labor."
[Hypotypose, Pierre Dujols]

Magophon est au moins d'accord avec Fulcanelli sur un point :


c'est que la stibine commune ne trouve point sa place dans
l'oeuvre. C'est l'albâtre des Sages qui doit être utilisé ici, ou le

70
véritable stibium de Tollius, pareil à l'antimoine saturnin
d'Artéphius. Pour tous les alchimistes, à ce point du travail, le
silence s'impose [« chut » en latin se dit st, premières lettres de stibium et
stannum ]. Mais l'étain, dans l'oeuvre, n'est pas non plus ce métal
lépreux qui est utilisé dans les dissolutions auriques par la voie
humide. Il s'apparente encore à l'Airain des sages, c'est-à-dire au
Rebis. Voici ce qu'en dit A. Barbault :

"La gravure suivante [planche 2] du Mutus Liber représente ce que l'Adepte


va percevoir : l'oeuvre complète sur la terre (en bas) à l'image de son
archétype céleste (en haut). C'est pourquoi il faudra se cultiver sur tous les
plans pour trouver la véritable porte d'entrée car, une fois engagé, on est
seul sur le sentier et la route est longue et pénible." [l'Or du Millième matin,
p. 58]

La planche 2 est bi partite comme sept autres de l'ensemble.


Cette bi partition, Armand Barbault y voit comme l'oratoire et le
laboratoire, ce que rappelle la Tabula Smaragdina. On peut encore
y deviner la trace de la dichotomie archétypale entre animus et

anima . À ce titre, il est clair que la partie inférieure de la


planche 2 n'est pas exactement une représentation factuelle du
laboratoire mais comme une exhortation à l'oratoire, dont le
fourneau alchimique, le fameux athanor, ne constitue que le
medium, l'intercesseur. L'athanor - que l'on retrouve sur six autres
planches - est bien plus qu'un simple fourneau : il s'agit tout à la
fois du vase de nature, du carburant et du comburant.

« On remarquera, tout en bas de l’athanor, le foyer -- alimenté non par du


charbon ou du bois mais par une lampe à huile, pourvue de mèches
d’amiante (en augmentant le nombre de celles-ci, en peut faire croître la
chaleur à un rythme égal). À l’intérieur se trouve enclose la cornue de verre
ou de cristal, fermement obturée (par le « sceau d’Hermes »), qui est l’oeuf
philosophique; nous sommes ici devant le procédé alchimique dit de la "voie
humide" pour l’accomplissement du Grand-oeuvre. (la "voie sèche", elle, se
réalisant au creuset). » [SH, op. cit.]

71
Nicolas Valois, la Clef du Secret des Secrets

Le fourneau philosophique a été particulièrement bien décrit par


Batsdorff [pseudo] dans le Filet d'Ariadne. Sur la figure ci-dessus,
c'est l'athanor des Sages que l'on voit en coupe. Le matras
représente l'oeuf des alchimistes. On trouvera un traité entier sur
ce matras dans le Donum Dei. Observez que les éléments signalés
par les lettres A - C et D sont disposés autour du matras
exactement comme les éléments suivants : FEU - EAU et AIR.
D'ailleurs, les lettres C et D sont disposées en croissant de Lune,
ce qui lève toute équivoque sur leur sens. Le vaisseau de bois
représente les cendres, c'est-à-dire l'alkali fixe. Seule la partie
inférieure du fourneau paraît plus conventionnelle. L'intérieur du
fourneau est organisé exactement comme un mandala et l'oeuf en
occupe le centre. On se doute qu'un pareil fourneau n'existe que
dans l'esprit de l'Artiste et c'est en vain qu'on irait lui demander de
cuire la matière des alchimistes. Ceux-ci insistent, en général, sur
l'importance qu'il y a de suivre la Nature en tout : aussi le feu du
fourneau doit-il être bien proportionné [d'où l'allusion, fréquente, à la
musique et aux tons, voir Atalanta fugiens, prolégomène et introduction],
tel qu'en la minière on l'aura aperçu, à la trace qu'il aura laissé
sur la materia prima.
Neptune, enfermé dans ce que Magophon nomme « la vésicule de
Purkinje » a un signification multiple [voir humide radical métallique].

planche 3

72
C'est un compendium du 3ème oeuvre. En arrière-plan, Jupiter
tient de la main droite un sceptre couronné ; à gauche le Soleil, à
droite la Lune. Au centre, trois cercles circonscrits ; le cercle
extérieur est lui-même séparé en trois parties : une première
partie, la plus importante, est formée de trois séries de lignes
horizontales, multipliées par deux, à chaque fois (2 - 4 - 6) ; un
paon faisant la roue est en sommité, accompagnant une déesse.
La partie inférieure montre une sirène ; la partie gauche dix
oiseaux blancs qui sont peut-être des colombes. Le cercle moyen
montre à sa partie supérieure des symboles du printemps et de la
floraison ; la partie moyenne semble comme en arrière plan et
représente le Bélier et le Taureau que l'on voit sur la planche 4. La
partie inférieure nous montre le couple alchimique, avec à gauche
la femme tenant une lanterne et à droite, l'homme tenant une canne
à pêche qui tombe dans le cercle extérieur. Le cercle intérieur
représente des bateaux évoluant dans la mer ; au premier plan,
Neptune dans son char armé de son trident qui dépasse le cercle
et se termine entre le couple alchimique ; plus loin, un bateau où
l'on voit évoluer le couple alchimique.

Le paon est une image de la vanité [cf. Donum Dei] ; c'est l'oiseau
d'Héra (Junon) et de Jupiter : c'est un symbole solaire. N. Flamel
cite le paon toujours au chapitre consacré à la sixième figure (les
Anges) :

"En cette Opération du Rubisiement, encore que tu imbibes, tu n'auras guère


de noir, mais bien du violet, bleu, et de la couleur de la queue du Paon : car
notre Pierre est si triomphante en siccité qu'incontinent que ton Mercure la
touche, la Nature, s'éjouissant de sa nature, se joint à elle et la boit
avidement..." [Fig. Hier.]

ce qui indique bien que nous sommes au 3ème oeuvre. La queue

73
du paon indique évidemment les couleurs de l'arc-en-ciel ; cet
arc-en-ciel a le sens de voûte ou arc et renvoie à Mercure par le
truchement d'Arcas. Arcas est le fils de Jupiter et de Callisto, qui a
d'étroits rapports avec l'étoile pôlaire et l'ours. À ce sujet, E.
Canseliet s'est exprimé dans ses Deux Logis alchimiques, au
chapitre de l'Ourse et les deux Singes :

"Aussi Messire du Plessis avait-il connaissance du rôle considérable joué


par le magnétisme, dans l'élaboration philosophale, selon qu'en fait foi son
blason qu'il inscrivit sur la dépouille du bélier...Dans le langage des poètes,
qui est aussi celui des Dieux, l'ourse désigne le pôle, l'étoile pôlaire, sur
laquelle l'artiste doit régler sa route..."

L'Ourse et les deux Singes, Deux Logis Alchimiques, Eugène Canseliet

La référence au magnétisme s'explique ainsi : autrefois, par


magnésie étaient désignées des terres calcaires comportant du
carbonate de calcium ; par ailleurs l'étoile pôlaire renvoie à celle qui
désigne l'antimoine, autrefois appelé albaster [pour album astrum,
c'est-à-dire astre blanc], que l'on peut - par la cabale phonétique -
rapprocher d'alabaster [albâtre, variété de carbonate de calcium]. Le
soleil est la lune indiquent les deux principes mâle et femelle, ou
le Soufre et le Mercure ou enfin le fixe et l'humide. La séparation
trinitaire s'explique d'elle-même par une référence implicite aux
symboles sacrés véhiculés par le Christianisme ; on ne sait
peut-être pas que les trois signes du zodiaque, qui constituent
donc le quart du zodiaque - voyez l'emblème de Limojon de St-Didier
- sont désignés en latin par tetartemorion, renvoyant par
assonance à la musique en quart de ton (tetartemoria), au nombre
4 (tetartaeum) ou même, à la limite, à la colombe (teta)... La sirène
est le symbole de la coagulation du compost. De même, le
dauphin représente le principe humide et froid de l’œuvre,
c’est-à-dire le Mercure qui se coagule au contact du Soufre. Ce
dernier est souvent symbolisé par une ancre marine. Nous avons

74
un commentaire précis de ce qui se produit dans cette partie de
l’œuvre, aux DM, II, p.187 :

"La longue opération qui permet de réaliser l’empâtement progressif et la


fixation finale du Mercure, offre une grande analogie avec les traversées
maritimes... Le dauphin nage à la surface des flots impétueux, et cette
agitation dure jusqu’à ce que le rémora... arrête enfin, comme une ancre
puissante, le navire allant à la dérive."

Fulcanelli nous dépeint un processus de cristallisation progressif.


Le Bélier symbolise Mars, qui fait référence à Arès et par
conséquent à un vitriol ; la préparation du dissolvant peut se faire
de différentes façons, en employant soit du vitriol vert [sulfate de fer
ou couperose], soit du vitriol bleu [sulfate de cuivre], soit du vitriol
blanc [sulfate de zinc]. On peut aussi utiliser des terres vitrioliques,
c'est-à-dire des argiles ou encore des schistes alumineux et
pyriteux. Ces derniers peuvent être décomposés par l'eau qui fait
passer la pyrite à l'état de vitriol. C'est sans doute le véritable
dragon écailleux, du moins dans l'acception sous laquelle il faut
l'entendre, quand on désigne l'une des prima materia [dans une
autre acception, le dragon écailleux est le Mercure commun ou 1er
Mercure]. Quant au Taureau, c'est un symbole double qui peut
aussi bien désigner Vénus-Aphrodite que, renversé, une terre
siliceuse ou alumineuse qui contient le Sel des Sages .A
l'endroit, Vénus est l'hiéroglyphe consacré à un sel contenant des
cendres de végétaux. On peut obtenir ce sel de bien des
manières différentes et c'est, en partie, cela qui abuse les
étudiants, trop pressés de résultat que de véritable
compréhension de l'Art sacré. A l'envers, Vénus symbolise la
Terre : il peut s'agir de terre vitrifiable, de terre argileuse [et dans
ce cas, le kaolin se signale par sa pureté]. Ce peut être l'albâtre, enfin,
qui désigne la terre de Jésus, semblable à la pointe de la flèche
du Sagittaire. Voyons le commentaire de Magophon :

"La planche trois n’est pas davantage à sa place. Elle nous conduit
dans l’empire de Neptune. On voit s’ébattre dans ses ondes le
dauphin cher à Apollon, et des pêcheurs sur une barque qui tendent
leurs engins. Dans une autre nef, un homme est allongé dans une
pose nonchalante. Dans le second cercle, un paysage, avec, d’un
côté, un bélier; de l’autre, un taureau, que nous retrouverons plus loin
et étudierons en un moment plus opportun. Dans le bas, à gauche,
une femme tenant un panier qui est le symbole de la lanterne
grillagée des philosophes ; à droite, un homme jetant sa ligne dans la
mer qui se trouve dans le troisième cercle (celui qui renferme les
deux autres). Le troisième cercle est animé par un vol d’oiseaux à
gauche ; une sirène au bas, et Amphitrite dans le haut. En marge, le
soleil et la lune, et planant sur cette scène nautique, Jupiter porté par
son aigle. Toute cette figuration a pour but de démontrer que
l’opérateur doit déployer toutes ses facultés et mettre en œuvre
toutes les ressources de l’art pour capturer le poisson mystique, dont
parle d’Espagnet.

L’auteur aurait dû nous enseigner d’abord à tramer le filet nécessaire


à cette Pêche miraculeuse. Réparons son oubli : le guideau doit être

75
incombustible et demeurer inaltérable. L’appareil bien disposé dans
les eaux profondes, on se munira d’une lanterne dont l’éclat attirera la
proie dans les rets. On peut, suivant d’autres symboles, employer la
ligne ; mais l’arcane est dans la préparation de la bourse, et le mot
est de circonstance, car il ne s’agit rien moins que de prendre le
poisson d’or.

On trouvera le secret de cette opération dans un ouvrage classique


intitulé le Filet d’Ariadne, car nous ne pouvons résumer le procédé en
quelques lignes dans ce cadre restreint. Quant à la manière d’allumer
la lanterne magique indiquée par le panier, elle n’est décrite qu’en
des ouvrages très rares et de manière confuse. Il nous faut donc en
dire quelques mots.

Certains auteurs, et non des moindres, ont prétendu que le plus grand
artifice opératoire consiste à capter un rayon de soleil, et à
l’emprisonner dans un flacon fermé au sceau d’Hermès. Cette image
grossière a fait rejeter l’opération comme une chose ridicule et
impossible. Et pourtant, elle est vraie à la lettre, à tel point que
l’image fait corps avec la réalité. II est plutôt incroyable qu’on ne s’en
soit pas encore avisé. Ce miracle, le photographe l’accomplit en
quelque sorte en se servant d’une plaque sensible qu’on prépare de
différentes manières. [voir héliographie]

Dans le Typus Mundi, édité au XVIIème siècle par les PP. de la


Compagnie de Jésus, on voit un appareil, décrit encore par Tiphaine
de Laroque, [sic. Tiphaigne de La Roche dont les écrits sont
visibles sur le serveur Gallica de la bnf] au moyen duquel on peut
dérober le feu du Ciel et le fixer. Le procédé est on ne peut plus
scientifique, et nous déclarons candidement que nous révélons ici
sinon un grand mystère, du moins son application à la pratique
philosophale.

Les aigles qui volent à gauche, dans le grand cercle, désignent les
sublimations du mercure. II en faut de trois à sept pour la Lune, et de
sept à dix pour le Soleil. Elles sont indiquées par le vol d’oiseaux et
indispensables, car elles préparent la robe nuptiale d’Apollon et de
Diane, sans laquelle leur union mystique serait impossible. C’est
pourquoi Jupiter, le Dieu qui gouverne l’aigle, préside à ces
opérations." [Hypotypose, Pierre Dujols]

Ce qu'exprime Dujols, c'est le moyen de capter le Soufre avant de


l'infuser dans le Corps de la Pierre. C'est cela qui est « capter un
rayon de soleil, et à l’emprisonner dans un flacon fermé au sceau d’Hermès
». Le rayon de soleil est le Soufre rouge qui doit d'abord être
dissous dans l'eau-vive prime de Limojon. On peut en trouver la
source dans un animal mythique : la licorne dont le symbolisme
exprime très bien l'opération. C'est par pure analogie qu'il faut y
voir un rapport avec la photographie mais l'image - si l'on peut
dire - est semblable. Simplement dans le premier cas, c'est une
chaux métallique qui est capturée avant que d'être injectée dans
le corps de la Pierre, alors que dans le second cas, ce sont des
photons qui viennent modifier des sels d'argent. A propos,
s'est-on jamais avisé que c'est le même Marc-Antoine Gaudin [voir
héliographie], qui a proposé l'emploi de la gélatine pour préparer
les premières émulsions au gélatino-bromure d'argent. La
lanterne grillagée voile l'une des substances du dissolvant, par la

76
combinaison de la lumière et du trémis qui signale à l'attention du
cabaliste la structure en X, dont Fulcanelli nous dit qu'elle est
celle qui apparaît à la surface du Mercure quand il a été
canoniquement préparé. Quant aux sublimations du Mercure, il
s'agit de l'un des plus hauts secrets de l'oeuvre au point que nous
doutons que des alchimistes aient osé dévoilé l'arcane, tant il se
révèle constituer le pivot de l'Oeuvre. De cette planche, A.
Barbault a donné ce lumineux commentaire :

"La planche III du Mutus Liber complète l'enseignement traditionnel destiné à


fournir à l'Adepte la connaissance de tous les éléments, de toutes les forces,
de tous les secrets de la nature nécessaires à l'accomplissement de son
OEuvre et à l'affirmation de sa puissance. Il est dit par ailleurs dans la Table
d'Emeraude :

« Tu auras par ce moyen la gloire de tout le monde. Et pour ce, toute


obscurité s'enfuira d'avecques toy. Et cecy est la force de toute force. Car
elle vaincra toute chose subtile et toute chose solide pénétrera.»

Ainsi l'Adepte rayonnera-t-il en puissance sur le monde ainsi qu'il est


symbolisé par le Père trônant au sommet de cette troisième planche et
tenant entre ses mains le sceptre de la puissance et de la connaissance. Il
dispose des deux polarités essentielles représentées par le soleil et par la
lune situés de part et d'autre de cercles concentriques dont l'intérieur évoque
tous les éléments de la nature, la Matière première qui entre dans la
confection de l'oeuvre, l'irradiation d'en haut et d'en bas, les deux signes du
Zodiaque - Bélier et Taureau - caractérisant l'époque où l'Adepte recueille la
rosée, les perles d'émeraude qui entrent dans toutes les préparations, etc.

Ce qu'il faut retenir de ces indications symboliques qui sont de toute


première importance, c'est que l'Adepte doit se préparer très longtemps à
l'avance et qu'il serait insensé de croire qu'il suffit de jeter un coup d'oeil
rapide sur les ouvrages d'alchimie pour aussitôt passer à l'action et partir en
quête de la Matière première. Celle-ci ne contient au départ aucune des
particules invisibles qui tôt ou tard devront s'y fixer pour que se produise sa
métamorphose. [...] La plupart des auteurs qui se sont intéressés à l'alchimie
ont totalement négligé les trois premières planches du Mutus Liber pour
aborder
directement la quatrième où l'on voit l'Adepte et sa compagne occupés à
tordre des toiles préalablement exposées au-dessus de l'herbe verte des
prairies afin qu'elles s'imbibent peu à peu des perles de rosée ; ces
dernières, on le sait, ne cessent de monter le long des tiges vertes au
moment où la nature se trouve en pleine exaltation, au printemps, sous les
signes du Bélier et du Taureau symbolisés par les deux animaux figurant sur
cette quatrième planche. L'irradiation des forces vives est, elle, symbolisée
par les faisceaux qui rayonnent du.sommet de la figure et qui contiennent les
deux polarités solaire et lunaire dessinées à leur tour dans les coins
supérieurs de la figure. Les nombreuses toiles étendues sur la prairie
évoquent l'importance de l'opération ainsi que l'abondance de la rosée
matinale qu'il faudra recueillir " [l'Or du Millième matin, pp. 125-126]

planche 4

77
C'est assurément la planche la plus connue du ML. Nous y
retrouvons le Bélier et le Taureau, le couple alchimique tordant
une toile afin d'en extraire de la rosée de mai et des toiles
étendues plus loin ; au dernier plan se projettent un prisme
lumineux et les deux symboles du Soleil et de la Lune. Nous
avons évoqué ailleurs cette allégorie qui se rattache à
l'acquisition progressive du sel de la rosée de mai qui fait partie
du Mercure préparé ou dissolvant universel [le Lion vert de Ripley] :

"Les Métaux, comme affirmé précédemment, contiennent un sel, duquel le


feu et la sagacité de l'artiste peuvent extraire une eau que les Sages
nomment eau Mercurielle, lait de la Vierge, Lunaire, rosée de Mai, le Lion
Vert, le Dragon, le Feu des Sages. Cette eau Mercurielle, ils l'ont comparée
à la corrosive eau-forte, car de même que ces eaux à base d'atrament,
d'alun, de cuivre, d'arménite, etc, corrodent les métaux et les dissolvent,
ainsi cetesprit Mercuriel, ou eau, dissout son corps et en sépare la Teinture."
[E. Kelly, Théâtre de l'Astronomie Terrestre, chapitre IV : préparation de
la Terre Mercurielle]

La rosée de mai est un des composés particuliers du dissolvant


universel ; ce que l'on sait moins, c'est que cette rosée est ni plus
ni moins - par cabale - que de l'urine d'ange et que sa formation
implique qu'une substance se trouvant dans l'atmosphère, monte
d'abord de la terre jusque dans le ciel, avant de redescendre sous
une forme légèrement différente : il s'agit donc d'une tentative
d'expliciter par l'image une opération relevant de l'oratoire [l'échelle
de Jacob et les anges, voir planche inaugurale] par une opération de
laboratoire [le recueil d'un sel dans une large bassine]. E. Canseliet
revient sur cette rosée de mai au chapitre de l'Inscription extérieure
de la villa Palombara (Deux Logis alchimiques, p. 53) :

"Les ondes sont ces eaux que Moïse, en son premier livre ou la Genèse,
qualifia de supérieures et qui génèrent le météore infiniment précieux
au-dessus de tous les autres, dénommé la rosée, elle-même véhiculant
l'esprit ou le sel harmoniac du ciel. Celui-ci est isomère du nitre ou isotope si

78
l'on veut, pour parler le langage qu'utilisent les spagyristes actuels. La série
des opérations se montre interminable autant que laborieuse, qui fut
dépeinte, en ses moindres détails, par l'anonyme Altus."

Les ondes que Canseliet évoque sont directement palpables dans


le faisceau lumineux qui jaillit de la voûte du ciel. Imaginons
l'éther des Anciens, vibrant régulièrement à l'instar d'une harpe
céleste, sous l'influence du vent . C'est ce vent, devenu visible
par la magie de la gravure, que donne à voir Altus. Il l'a
décomposé en un prisme où deux ensembles sont disitngués :
l'un est en rapport avec les astres errants; il s'agit des sept
bandes claires. L'autre, fait de douze bandes plus sombres,
réunies en paires, ressortit des signes du zodiaque. Si l'on tient
compte du fait que chaque planète, selon les Chaldéens, exerce
une maîtrise sur deux signes [maîtrise diurne et nocturne], il est
possible d'avancer que les bandes claires externes correspondent
aux planètes qui n'ont qu'une seule maîtrise : et dont les
idéogrammes sont disposés aux coins supérieurs de la planche.
Selon le schéma ci-dessous, on peut donner un sens et un nom à
chacun des rais de l'arc-en-ciel :

mandala des maîtrises planétaires

En effet, l'éventail se déploie en « lisant » chaque rai et sa


correspondance dans le mandala, dans l'ordre des aiguilles d'une
montre, à partir du . La signifiance hermétique de ces arcanes
est étudiée dans notre zodiaque alchimique et la section humide
radical analyse l'apport des planètes au grand oeuvre. Les
planètes et les signes se complètent, l'une étant le spiritus rector de
l'autre. Il faut entendre par là que les planètes en corps
représentent les chaux des métaux, ouverts par le dissolvant des
alchimistes. L'ouverture du métal est symbolisée par l'hiéroglyphe
, la sublimation suivant cette ouverture ou « mort » du métal. La
psychanalyse nomme transfert ce processus de sublimation : il
consiste en l'abandon par l'animus des défroques, vieux
sequins, vieilles cuirasses en vue de l'animation [passage animus -

79
anima] du spiritus qui passe par sa dépuration. Dans l'introduction,
nous avons vu que la planche 4 devait être comparée à la fig. 9
du Ros. Phil., allégorie de la mondification [purification]. Ce terme
de technique alchimique signifie nettoyer, blanchir et recouvre
l'opération des laveures de Flamel. [on notera que les termes net,
propre (mundus) et le monde, l'univers (mundus) sont homonymes en
latin. Ceci est un trait de cabale qui explique pourquoi les Adeptes
assurent qu'il existe un miroir d'où l'on peut contempler le monde, cf.
blasons alchimiques ; d'autres écrivent qu'il faut blanchir Latone, laver
le laiton, i.e. l'airain] L'allégorie est reprise dans l'épisode des
écuries d'Augias qui forme l'un des Douze travaux d'Hercule [voir
Fontenay]. À ce sujet, il convient de citer Pernety :

Tous les Philosophes parlent de la matière du grand œuvre ou de la


médecine dorée, comme d’une matière extrêmement vile, méprisée,
& souvent mêlée avec le fumier, ils disent même qu’elle se trouve sur
le fumier, parce quelle a beaucoup d’ordures & de superfluités, dont il
faut la purger. Il n’est donc pas surprenant que ce travail ait été
imposé par Eurysthée à Hercule, qui est l’Artiste. Les témoignages
des Philosophes le prouveront mieux que le raisonnement, Morien dit
(Entretien du Roi Calid.) : « Les Sages nos prédécesseurs disent, que
si vous trouvez dans le fumier la matière que vous cherchez, vous
devez l’y prendre ; & que si vous ne l’y trouvez pas, vous devez vous
donner de garde de tirer de l’argent de votre poche pour l’acheter,
parce que toute matière qui s’achète à grand prix, est fausse & inutile
dans notre œuvre. » Avicenne (De Animâ, dict. I. c. 2.) ; « Nous
trouvons dans les Livres qu’Aristote a écrits sur les pierres, qu’on en
trouve deux dans le fumier, l’une de bonne odeur, l’autre de mauvaise,
toutes deux méprisées, & de peu de valeur aux yeux des hommes ; si
l’on savait leurs vertus & leurs propriétés, on en ferait un grand cas ;
mais parce qu’on les ignore, on les méprise, on les laisse sur le fumier
& dans des lieux puants ; mais celui qui saurait en faire l’union,
trouverait le magistère. » Gratien, cité par Zachaire, dit comme
Morien : « Si vous la trouvez dans le fumier, & qu’elle vous plaise,
prenez-la. » L’Auteur du Rosaire cite Merculinus, qui dit : « Il y a une
pierre cachée & ensevelie dans une fontaine. Elle est vile, méprisée,
jetée sur le fumier, & couverte d’ordures. » Arnaud de Villeneuve
(Novum lumen, c. I.) « Elle se vend à vil prix ; elle ne coûte même
rien. » Bernard Trévisan (Philos. des Métaux.) : « Cette matière est
devant les yeux de tout le monde & le monde ne la connaît pas, parce
qu’elle est méprisée & foulée aux pieds. » Morien (Cap. 9.) : « Avant
sa confection & sa parfaite préparation, elle a une odeur puante &
fétide ; mais après qu’elle est préparée, elle en a une bonne.... Son
odeur est mauvaise, & ressemble à celle des sépulcres. » Calid (Loc.
cit.) : « Cette pierre est vile, noire, puante, & ne s’achète point. »
[Fables Égyptiennes et Grecques, tome II, Livre V, chap. 8]

L'opinion d'Avicenne [pseudo] est notable : il parle de deux pierres

80
dont l'une est odorante et l'autre puante. Voyons cela. La pierre
de bonne odeur rappelle le baume de vie évoqué supra [Balsanum
vitae] et la pierre fétide, le sulphur en son premier état,
c'est-à-dire ce spiritus abscondus que nous voyons à la fig. 8 du
Ros. Phil.

fig. 8, Ros. Phil.

Par fumier, il ne faut pas entendre le commun, celui que l'on


rencontre dans les fermes - encore qu'il ait un intérêt certain [voir
Alexandre Sethon] - , mais bien plutôt la matière des Sages pour
autant qu'elle renferme la proportion adéquate d'escarboucle
[obtenue par distillation des urines selon ce qu'en rapporte Alchild Bechil],
c'est-à-dire de sang de Nessus [voir Atalanta XXV], sorte de spath
visqueux auquel on adjoint du foie de soufre et de l'air
phlogistiqué [ = air corrompu dont le nom vulgaire est homonyme
d'un traité que Fulcanelli attribue à Senior, voir Libavius]. Les Amoureux
de science auront reconnu le vase de nature composé d'engrais
[Lac virginis], de l'humide radical des métaux et de la déjection de
l'étoile polaire appellée sputum lunae. Nous ne saurions mieux dire.
Dans le Rosaire, Senior ajoute :

« L’eau que j’ai mentionnée est une chose qui descend du ciel ; la terre avec
son humidité la reçoit et l’eau du ciel est retenue par l’eau de la terre, et
l’eau de la terre la retient grâce à sa soumission et à son sable et l’eau
retiendra l’eau et Albira sera blanchi par Astuna. » [Ros. Phil., premier
blanchissement de la première pierre]

Jung indique [Psychologie du transfert, op. cit., p. 139, note 4] que le


texte du De Chemia est différent de celui du Ros. Phil. Albira est

81
remplacé par Alkia et Astuna par Astuam. Alkia serait mis pour
al-kiyan, principe vital, où l'on peut voir le sulphur . Quoi qu'il en
soit, Albira et Astuna forment les opposés dont l'Artiste doit faire
son airain. Notons qu'Albira est mis pour Albaras ou arsenic [qui
caractérise le Sel ou corps de la pierre]. Un autre extrait du Rosaire, de
Merculinus, permet de mieux comprendre le processus de
dépuration :

« La conception transforme en sang ce qui était semblable au lait. Si la


femme blanche est donnée en mariage à l’époux rouge tous deux bientôt
s’embrassent et s’accouplent. Ils se dissolvent eux-mêmes et
s’accomplissent aussi eux-mêmes afin qu’après avoir été deux, ils
deviennent en quelque sorte un seul corps. » [Ros. Phil., La conjonction ou
le coït]

On pourra revoir la gravure qui orne l'emblème XLI de l'Atalanta


fugiens, sur la transformation des roses blanches en roses rouges,
en liaison avec le mythe d'Adonis. C'est de Prudence [c'est-à-dire
de Sagesse, voir Gobineau] et de feu que l'alchimiste doit être muni
dans cette phase d'albification.

De cette planche 4, nous avons ainsi complété l'interprétation : Il


est clair que l'on peut imaginer la scène suivante : le couple
alchimique est en train de tordre un linge dans une bassine ;
certains critiques ont cru qu'il s'agissait de la rosée de mai ou
rosée céleste. En arrière plan, nous voyons d'autres linges tendus
: ils s'imprègnent peu à peu du sel précieux [que Dujols appelle
selage, cf. supra] ; à gauche le Bélier et à droite le Taureau : que
l'on se rapporte à notre schéma de préparation du dissolvant. On y
verra que le Bélier [Ariès] voile Arès, qui est cet acide soi-disant
vitriolique [en fait il s'agit de l'acide carbonique, nous le savons de nos
jours] ; le Taureau voile le complexe Vénus-Aphrodite qui cache le
composé K H dont la nature peut varier selon le mode de
préparation : huile de tartre faite par défaillance [alkali fixe
desséché], alkali fixe, nitre aérien, foie de soufre. Ces linges que
l'on aperçoit, nous l'affirmons, ont été enduits au préalable d'alkali
fixe et on les a laissés seulement alors s'imprégner de rosée, tout
simplement parce qu'il s'agit d'eau distillée. Le couple alchimique
recueille donc le tartre vitriolé dissous dans une bassine avant de
soumettre le liquide à l'évaporation a siccite. C'est le principal
composant du Mercure philosophique qui est ici exposé au vu de
tous. Veuillez croire que ce ne sont pas les oligo-éléments de la
rosée de mai qui pourront contribuer à préparer le Mercure des
Sages... Magophon sera-t-il d'accord avec nous ?

"La quatrième planche montre comment s’opère la collection du flos


coeli. Des draps sont tendus sur des piquets pour recevoir la rosée
céleste. Au-dessous, un homme et une femme en opèrent la torsion
pour en exprimer la divine liqueur, qui tombe dans un grand vase
disposé à cette fin. A gauche, on voit le Bélier; à droite, le Taureau.

Le flos coeli a mis à la torture l’esprit des mauvais souffleurs. Les uns
y ont vu une sorte d’influx magique, car pour ceux-là, la magie est

82
une puissance surnaturelle acquise par le concours des esprits, bons
ou mauvais. Les autres, plus réalistes et plus rapprochés du vrai, y
ont reconnu la rosée matinale. Le flos coeli est appelé, en effet, l’eau
des deux équinoxes, d’où l’on a déduit qu’il s’obtient au printemps et
à l’automne et est un mélange des deux fluides. Certains, se croyant
plus avisés, allaient recueillir ce mystérieux produit dans une sorte
d’algue ou de lichénoïde dont le nom vulgaire est le nostoc. Dans les
Sept Nuances de L’Œuvre philosophique, Etteilla, qui valait peut-être
mieux que sa réputation, semble avoir obtenu quelque résultat
satisfaisant d’une mousse analogue; mais il faut lire son opuscule
avec de bonnes lunettes. [Etteilla alias Alliette (1750-1810), cf.
Tarot alchimique]

Les Rose-Croix s’appelaient les Frères de la Rosée cuite, au


témoignage de Thomas Corneille, bon hermétiste ainsi que son frère,
le grand tragique. Néanmoins, Philalèthe raille dédaigneusement les
collecteurs de rosée et d’eaux de pluie, dans lesquelles, nonobstant,
l’abbé de Valmont reconnaît quelque vertu.

Au disciple de se faire une opinion d’après son propre jugement. Mais


il est hors de doute qu’un agent tenu secret, dit " Manne Céleste ",
joue un rôle important dans le travail.

Nous devons déclarer, de bonne foi, que le Bélier et le Taureau de la


planche, qu’on prend toujours pour les signes du Zodiaque sous
lesquels on doit recueillir le flos coeli, n’ont aucun rapport avec les
symboles astrologiques. Le Bélier est l’Hermès Criophore, qui est le
même que Jupiter Ammon; et le Taureau, dont les cornes dessinent
le croissant, attribut de Diane et d’Isis, qui s’identifient avec la vache
l’amante de Jupiter, est la Lune des philosophes. Ces deux animaux
personnifient les deux natures de la Pierre. Leur union forme l’Azim
des Egyptiens. L’Asimah de la Bible, monstre hybride désignant
l’orichalque, l’oryx de laiton ou d’airain, le taureau de Phalaris ou de
bronze, le veau d’or ou de chrysocale [Il n’est pas hors de propos de
rappeler ici que Helvetius a écrit un traité d’alchimie sous le titre de
Vitulus aureus (le Veau d’Or).] qui diffère, certes, du similor de
Mannheim et tient en quelque sorte du mechior. Enfin, pour tout dire,
c’est l’électrum des poètes; mais il faut bien entendre ce mot qui
renferme l’arcane magique. Philalèthe enseigne que l’or des
hermétistes est, en certain point, semblable à l’or vulgaire. Nous
ajouterons encore que, suivant la Mythologie, la pierre dévorée par
Saturne s’appelait betulus, qui est, en somme, le même mot que
vitelus, nom latin du veau, et que vitellus, est le jaune de l’œuf. La
pâte des azymes en était l’hiéroglyphe. Les prêtres des bords du Nil
ne touchaient jamais aux pains du sacrifice avec un instrument
tranchant d’acier ou de fer: Ils en faisaient un cas de sacrilège. De là
cette ancienne coutume, encore en usage, de rompre le pain. De
même, dans le rite catholique, l’officiant sectionne l’hostie avec la
patène de vermeil. Toute cette logomachie cache le vermillon des
Sages ou l’amalgame philosophique du mercure, de l’or et de l’argent
de l’art, rendu indissoluble par le flos coeli.

On apprendra, non sans surprise, que les courses de taureaux sont


une figuration dramatique du Grand Œuvre. Tous les jeux ont une
origine hermétique. La cocarde rouge que porte l’animal, et à laquelle
est attachée une prime accordée au vainqueur, est l’image de la Rose
des philosophes. La grosse affaire, c’est d’être un bon Matador.
Aussi, d’après la tradition espagnole, " pour accéder au
Gouvernement, il faut triompher du taureau " - le taureau mystique,

83
évidemment. Cette victoire conférait la " chevalerie ", la vraie
noblesse, celle de la Science, et par conséquent le sceptre. C’est
pourquoi, sous Louis XIII, les chefs de la Kabbale d’Etat étaient
surnommés les " Matadors ". L’espèce n’est pas éteinte, bien
qu’effacée et inapparente." [Hypotypose, Pierre Dujols]

Là encore, on remarque des analogies avec le texte du Myst. :


Etteilla est évoquée deux fois, p. 91 et p. 111 lorsque Fulcanelli
nous parle des couleurs de l'Oeuvre [À propos d'Alliette, Le Denier
du Pauvre ou la Perfection des métaux, Paris, c. 1785. Voir aussi le
Psautier d'Hermophile]. Que le Bélier et le Taureau ne soient pas là
comme signes zodiacaux exotériques, nous le savons depuis
longtemps. En revanche, ce que l'on sait moins, c'est que le Bélier
cache un vitriol et le Taureau, de la cendre... Pour la « manne
céleste », voici ce que Pernety nous en dit :

"Manna Chymicorum ou Manna Mercurialis . C'est un précipité blanc de


mercure, qu'on fait ensuite passer par l'alambic sous forme blanche comme
la neige. On lui donne aussi le nom d'Aquila cœlestis . Blancard . Béguin dit,
dans sa Chymie, que cette manne se fait en dissolvant le mercure dans de
l'eau forte, qu'il faut ensuite le précipiter avec l'eau de mer, ou salée, et puis
distiller ce précipité d'abord à petit feu.

Manne. Mercure des Philosophes. Ils l'ont aussi appelé Manne divine , parce
qu'ils disent que le secret de l'extraire de sa minière est un don de Dieu,
comme la matière même de ce mercure." [Dictionnaire]

L'électrum des poètes est le Laiton « non net qu'il faut blanchir »,
c'est-à-dire l'Airain qui est cette mystérieuse matière qui fait l'objet
de la dissolution au début du 3ème oeuvre. A. Barbault s'est
beaucoup étendu sur ce travail dans les champs :

"...Il vaut mieux rechercher des petites plantes très saines que des plantes
plus belles, plus grosses mais cependant trop riches en éléments chimiques
non assimilés. Il faut attacher une importance particulière aux plantes qui
restent vertes longtemps, aux bourgeons de sapin, à certaines fleurs comme
celles des genêts qui restent verts toute leur vie durant.
Parallèlement, quand le temps était clair et serein, en l'absence de vent,
nous poursuivions la récolte de la rosée matinale. On le verra; nous ne
procédions pas tout à fait comme il est indiqué dans le Mutus Liber (planche
IV): nous faisions glisser une toile très fine mais très spongieuse sur l'herbe
verte et en même temps suffisamment rigide des champs de blés ; la toile
s'imprégnait des gouttes de rosée perlant à la pointe de l'herbe et, tous les
vingt mètres environ, nous nous arrêtions pour éponger la toile que nous
tordions à cet effet au dessus d'un récipient où nous recueillions à chaque
fois quelques verres de rosée fraîche. La méthode indiquée par le Mutus
Liber (des toiles fixes tendues sur l'herbe) est certainement préférable car la
rosée recueillie de cette façon est plus pure et constituée par les gouttes les
plus éthérisées. Notre méthode a toutefois l'avantage de fournir une quantité
plus volumineuse. Après avoir filtré et purifié cette rosée fraîche, nous y
faisions baigner les petites plantes et les bourgeons que nous avions
ramassés. Ceci dura du début du printemps jusqu'à la Saint-Jean d'été,
c'est-à-dire du 21 mars au 24 juin, période la plus propice à leur récolte.
Cette récolte débutait parfois deux heures avant le lever du soleil, mais
devait au plus tard être terminée une heure après. Depuis, nous procédâmes
de même chaque année. Mais ce travail est délicat. Certaines années,
durant toute une saison printanière, je n'ai pas trouvé plus de 10 à 15 jours

84
où le temps fût vraiment serein, sans nuage et sans vent, et où la rosée fût
abondante et fortifiée par un bon aspect de lune. Les plantes, pousses
vertes, bourgeons, petites fleurs et autres éléments végétaux dynamiques et
parfaits ainsi recueillis furent introduits dans des vases de terre
préalablement remplis de rosée que nous scellâmes hermétiquement et que
nous conservâmes au frais. Nous avons utilisé le contenu de ces vases, au
fur et à mesure de nos besoins, de la manière suivante: le vase choisi était
porté pendant quarante jours à la température de quarante degrés afin que
se préparent la fermentation ainsi que le mélange de sève et de rosée.
Après refroidissement, le contenu du vase était introduit dans la nacelle
contenant la Terre sacrée ; puis cette dernière était placée dans un alambic
afin que s'effectuent les premières digestions, processus ainsi nommé parce
que plantes, sève et rosée servent d'aliments à la Matière." [l'Or du
Millième matin, p. 69-70]

planche 5

Cette planche semble faire suivre directement à l'opération


désignée à la planche 4. Nous avons vu que cette opération
consistait à recueillir du tartre vitriolé ou de l'alkali fixe. Mais il
peut s'agir aussi d'une allégorie touchant à la captation de l'Esprit
universel, et alors l'opération désignerait le salpêtre ou sel nitre.
Dans la planche 6, les cristaux sont mis à distiller avec le liquide
[eau distillée] dans une bassine [en haut à gauche]. En haut à à
droite, le feu va faire distiller le phlegme, que l'on recueille dans
l'alambic puis dans le récipient. L'opération terminée, l'épouse
recueille avec une cuiller le résidu, figuré par des cristaux en
forme de triangle. A droite, l'homme nu, désigné par le croissant
lunaire et tenant un nourrisson avec son bras gauche, montre que
le produit désigne la part mercurielle. Il faut manifestement
remployer le « phlegme » qui s'est dégagé dans le récipient et le

85
mettre à chauffer dans un bain de sable, ce qui est désigné dans
la partie inférieure de la planche. On peut sans peine imaginer
quelle est la matière recueillie à la cuiller. Par contre, on ne sait
trop à quoi sert ce qui est contenu dans le récipient. S'agit-il de
phlegme ? S'agit-il d'acide nitrique ? Alors, ce serait la
préparation de tartre vitriolé...

"La cinquième planche initie le disciple aux opérations de laboratoire.


On y assiste à une suite de manipulations variées. Il est visible qu’il
s’agit de la coction de la liqueur récoltée dans la planche précédente.
Un homme et une femme la versent ostensiblement dans un pot mis
sur le feu. Dans la figure au dessous, l‘homme y ajoute un produit
visqueux et tient, de l’autre main, une substance qu’il n’est pas
difficile de découvrir, si l’on songe que l’œuf d’Hermogène est
analogue aux autres. Sur le même plan à côté, un personnage nu,
décoré d’une demi-lune et accolé à un enfant, reçoit un flacon où se
remarquent quatre petits triangles. Ils représentent les proportions
des éléments mis en œuvre, à savoir un de soufre pour trois de
mercure. Le corps lunaire intervient dans cette opération ; il est
indiqué par un écu portant une lune d’argent sur champ de gueules.

La Lune des philosophes n’est pas toujours l’argent, encore que ce


métal convienne au travail à un certain moment. Pour dérouter le
profane, les Adeptes donnent ce nom au mercure et à son sel, dont la
préparation présente les plus grandes difficultés. Pour que le mercure
soit propre aux opérations, il est indispensable de l’animer. Cette
animation se fait au moyen du soufre préparé à cet effet. On trouvera
dans Philalèthe des indications pratiques qui, néanmoins, ne doivent
pas être toujours suivies mot à mot. II est exact, cependant, qu’il faille
purger le mercure de ses éléments hétérogènes en séparant le pur
de l’impur, le subtil de l’épais. On voit, dans cette planche, la femme
qui se dispose à écumer le compost. C’est une présentation changée
du travail, mais exacte au fond. Dans l’Œuvre, c’est l’élément féminin,
en effet, qui opère la sélection par ses vertus constitutives; mais
l’artiste doit y prêter la main et seconder la nature avec prudence.

Les autres figures représentent les digestions et distillations. Nous


n’apprendrons rien de nouveau au lecteur sensé en lui disant qu’un
homme bourré de formules chimiques et aptes à résoudre sur le
papier tous les problèmes d’école n’a aucun titre à se dire chimiste. II
faut donc que la pratique accompagne la théorie, l’une est la
conséquence de l’autre. La pratique du laboratoire seule donne la
maîtrise, car qu’est-ce que la pratique, sinon le contrôle de la théorie.
La rigueur de la première redresse les errements de la seconde. Le
disciple devra donc s’efforcer de réaliser tous ses concepts."
[Hypotypose, Pierre Dujols]

Nous ne sommes pas d'accord avec ce qu'écrit Dujols. Certes, la


vignette supérieure de la planche semble montrer que c'est le flos
coeli, recueilli à la planche 4, qui fait l'objet des opérations de
laboratoire. Mais nous ne voyons pas que l'Artiste ajoute un
produit visqueux sur la vignette centrale. Il enlève tout simplement
le chapiteau de sa main gauche tandis que sa main droite tient le
récipient qui contient, soit du phlegme, soit un acide. La femme
recueille le produit qui s'est accumulé à la base de la bassine et
qui correspond à un sel fixe et c'est ce même produit qui est
symbolisé par l'homme nu avec l'emblème de la Lune. Il s'agit

86
d'une matière qui a rapport avec le Mercure commun ou avec le
Sel, ce qui paraît plus douteux. Quant à la vignette inférieure, il ne
s'agit pas d'une distillation mais d'un chauffage au bain de sable,
alimenté par le fourneau et c'est une coupe du dispositif que nous
voyons. Le mystère réside dans le contenu du récipient.

planche 6

Nous voyons la suite des travaux exposés sur la planche 5. Nous


étions restés sur le mystérieux contenu du récipient, qu'on met
dans des vases au bain de sable. Ici, la vignette supérieure
montre l'Artiste en train de recueillir le contenu de ces vases
dans un ballon [on dirait presque un dessin animé car on voit les
bouchons de ces vases en l'air, à droite, ce qui exprime l'idée qu'ils ont été
vidés]. Le ballon est mis au feu de réverbère et un chapiteau avec
son récipient sont adaptés et lutés. L'opération va consister à
chauffer la substance, le résultat étant figuré par une fleur. Le
résidu obtenu après calcination est recueilli et figuré par une fleur
de marguerite. Cette fois-ci, c'est un personnage ayant les
attributs du Soleil, donc du Soufre, à qui est donné
symboliquement le vase contenant la substance figurée par cette
marguerite. On démarre ensuite une autre opération, figurée par
la partie droite de la vignette du bas, où l'on met au four à
réverbère l'autre substance, tenant du Mercure, vue à la planche 5.

"La planche six est la continuation de la cinquième. On remarquera


que les opérations y sont toujours effectuées par un homme et par
une femme symbolisant les deux natures. L’action extérieure de ces

87
agents indique le travail intérieur des corps réagissant l’un sur l’autre.
Dans la première figure, l’agent féminin joue un rôle passif, et l’agent
masculin un rôle actif. Celui-ci est le soufre; celle-là, la lune.

On désirera savoir, sans doute, quel est ce soufre mystérieux dont


parlent toujours les philosophes, sans autrement le désigner. C’est le
soufre des métaux. Le secret de l’art consiste à l’extraire des corps
mâles pour l’unir aux corps femelles, ce qui suppose leur
décomposition préalable. La science actuelle semble considérer ce
fait comme une impossibilité absolue. De grands chimistes du XVIIIe
siècle ont démontré, dans des communications adressées aux corps
académiques, que l’opération est réalisable et qu’ils l’avaient réalisée.
[Dujols fait peut-être référence à Geoffroy L'Ainé qui prétendait
préparer du fer à partir d'argile et de lin ; Nicolas Lemery
démontra que le fer obtenu par Geoffroy provenait bien sûr de
l'argile ; Geoffroy se rendit aux arguments de Lemery, cf. infra et
Fontenay] Nous avons en mains un magnifique soufre d’argent
obtenu par un moyen analogue et qui se rapproche beaucoup de la
teinture des Sages. Mais, pour arriver à ce résultat, il faut une
certaine pratique et une connaissance approfondie du règne minéral.

Défiez-vous des auteurs qui parlent de broyages, de décantations, de


séparations obtenues par ce qu’ils appellent des " tours de mains ".
L’action manuelle ne concourt aux résultats qu’à la façon d’une
cuisinière préparant son pot-au-feu. Lorsque les ingrédients sont dans
la marmite, l’eau cuit le compost, portée à la température requise par
le feu extérieur. La coction achevée, il n’y a plus qu’à extraire les
produits et à les employer suivant la formule. Mais toute intervention
intempestive est préjudiciable et nuit à l’Œuvre.

Nous devons signaler tout particulièrement la figure représentant la


rose hermétique obtenue par les sublimations précédentes. Il y aurait
ici beaucoup de choses à dire. Tous les traités d’alchimie ne sont que
des " Romans de la Rose ", au propre comme au figuré. Le premier
soin de l’artiste consiste à y faire la part du vrai et du faux. Celui-ci
domine et constitue la littérature hermétique.

Qu’est-ce que la Rosée ? C’est la fleur de l’arbre philosophique qui


présage le fruit. Or, l’arbre des philosophes est le mercure végétal ; la
Rose est donc l’efflorescence de la sève métallique mise en
mouvement par le feu extérieur, qui excite le feu interne des corps.
Mais les Sages parlent de deux feux différents dévolus à cette
fonction. Le disciple doit donc penser qu’il existe, en dehors du feu
naturel, un autre agent ainsi dénommé, et ce feu secret est le ferment
des métaux, qui joue dans le travail un rôle analogue à celui du levain
dans la pâte du boulanger. Mais que l’adjonction de ce nouvel
élément ne trouble pas la pensée du fils de science. De même que le
levain est fait de farine et d’eau acidifiés, le ferment des métaux est
un produit du soufre et du mercure, amenés par l’art à l’état
convenable. Les proportions sont analogues à celles employées pour
la panification. [cf. Chevreul - Résumé de l'Histoire de la Matière -
sur l'analogie du levain et de la préparation de l'or alchimique]

Notre planche nous montre une seconde rose plus petite, et une
troisième encore moindre. Y aurait-il plusieurs roses ? Oui et non. Il y
a deux roses en principe, suivant qu’on opère pour l’or ou l’argent; et,
au fond, il n’y en a qu’une. Cependant, le Mutus Liber en présente
trois, bien déterminées. C’est exact; mais elles sont filles l’une de
l’autre, c’est-à-dire à trois puissances différentes. Dans le régime de

88
la coction, Philalèthe enseigne qu’on obtient d’abord la rose blanche,
qu’il nomme la lune; la rose jaune ou safran; la rose rouge ou
parfaite. Nous n’employons pas la terminologie exacte de cet auteur;
mais nous parlons assez clairement pour nous bien faire entendre. [il
s'agit là des régimes de planètes : la rose blanche correspond au
régime de la Lune et au Soufre blanc ; le safran est la couleur de
l'Aurora consurgens ; la rose rouge correspond au régime de
Mars, lié au Soufre rouge...]

L’obtention des roses est subordonnée à la putréfaction. La


putréfaction donne lieu à une succession de couleurs. La première est
la noire; elle est la clef des autres. Pas de noir, point de putréfaction ;
et sans putréfaction, nulle transformation. Si semblable accident
venait à se produire, c’est que les matériaux mis en contact n’ont pas
les qualités voulues ou sont mal préparés. Voir Philalèthe pour le
reste et n’en prendre que la fin." [Hypotypose, Pierre Dujols]

Le Soufre des métaux les chimistes croyaient encore le tenir au


XVIIIe siècle, ainsi qu'en témoignent des articles parus dans les
Mémoires de l'Académie royale des sciences. Nous avons sous
les yeux deux articles : Du Souphre Principe, par M. Homberg [22
avril 1705] dans lequel l'auteur croit que le Soufre n'est autre que la
lumière et Sur la production artificielle du Fer, et sur la composition
des autres métaux, par M. Geoffroy [11 mai 1707] où l'auteur croit
que le Soufre des métaux n'est autre que la partie qui s'échappe
du métal quand on le calcine. Il semble que Geoffroy ait confondu
la teinture des métaux avec un métal dans un grand état de
division. Mais jamais, on n'a pu obtenir le « Soufre » des métaux,
comme croit l'entendre Magophon. Voici l'article Soufre que
commente ainsi Pernety :

"Soufre. Nom que l'on donne en général à toutes les matières inflammables
dont on se sert dans la Chymie, telles que sont le soufre commun, les
bitumes, les huiles, etc. Quelquefois les Chimistes donnent ce même nom à
des matières nullement inflammables, mais seulement colorées sans aucune
autre raison, particulièrement dans les matières minérales, en sorte que l'on
voit le mot de soufre attribué à bien des matières même très opposées entre
elles. On donne le nom de soufre en particulier au soufre commun, qui paraît
composé de quatre différentes matières ; savoir, de terre, de sel, d'une
matière purement grasse ou inflammable, et d'un peu de métal. Les trois
premières matières y sont à peu près en portions égales, et font presque tout
le corps du soufre commun, quand on le suppose épuré par la sublimation
de sa terre superflue; et c'est alors de la fleur de soufre. Mém. de l'Acad. de
1703, p. 32.

Les Chymistes admettent trois sortes de soufre, qui ne sont que le même,
modifié différemment; le soufre volatil ou mercuriel, le soufre moyen, et le
soufre fixe. Voyez MATIERE , SEL .

SOUFRE . (Sc. herm.} Lorsque les Philosophes parlent de leur soufre, il ne


faut pas s'imaginer qu'ils parlent du soufre commun dont on fait la poudre à
canon et les allumettes, ni aucun autre soufre séparé et distinct de leur
mercure. Quoi qu'ils disent qu'il faut prendre un soufre, un sel et un mercure,
ces trois choses se trouvent à la vérité dans leur matière, mais elles n'y sont
pas sensiblement distinctes. Leur soufre est artificiel, leur mercure l'est
aussi, et l'art manifeste leur sel. Mais tout cela ne fait qu'une chose qui les
renferme toutes trois. Philalèthe.

89
Lorsqu'ils disent en général notre soufre, on doit les entendre de leur pierre
au blanc ou au rouge ; dans ce cas ils les distinguent par la couleur. Leur
rouge est leur minière du feu céleste, dit d'Espagnet, leur ferment, le principe
actif de l'œuvre, dont le mercure est le principe passif. Ce n'est pas que le
mercure n'agisse aussi, puisqu'il a un feu interne, et que partout où il y a feu,
il y a action; mais on le compare à la femelle, qui dans la génération est
censée passive.

Les Philosophes ont donné à ce soufre une infinité de noms, qui conviennent
tous à ce qui est mâle, ou fait l'office de mâle dans la génération naturelle.
C'est leur or, qui n'est point actuellement or, mais qui l'est en puissance.

SOUFRE BLANC . Corps composé de la pure essence de métaux, que


quelques-uns appellent un argent-vif conduit de puissance en acte, et extrait,
par les opérations du magistère, de tous les principes de la Médecine du
premier ordre. Philalèthe.

SOUFRE ROUGE . Plusieurs Chymistes ont travaillé sur le soufre naturel, et


de mine, appelé sulphur nativum par les Latins, comme étant la vraie matière
des Philosophes ; mais quand ceux-ci lui ont donné ce nom, c'est dans le
temps qu'elle est parfaite au rouge ou au blanc. Elle est alors proprement le
soufre philosophique; car Raymond Lulle entre autres nous assure que le
soufre des Sages n'est point distingué sensiblement de leur mercure, et leur
mercure ne se fait point avec le soufre commun, naturel ou factice.

SOUFRE VIF . (Sc. herm.) C'est le même que soufre rouge. Rullandus
donne le nom de soufre rouge à l'arsenic.

SOUFRE DE VITRIOL . C'est l'âme de ce minéral.

SOUFRE NOIR . Antimoine. Planiscampi.

SOUFRE ONCTUEUX . Soufre des Philosophes.

SOUFRE NARCOTIQUE du vitriol. Extrait du vitriol dont on trouve le


procédé dans la Chymie de Béguin. Paracelse regardait ce soufre comme
un excellent anodin, et le préférait à tous les autres.

SOUFRE AMBROSIEN est un soufre naturel rouge, beaucoup transparent,


et ressemblant au grenat, mais formé en gros morceaux.

SOUFRE VERT . Huile de cinabre. Dict. Herm.

SOUFRE INCOMBUSTIBLE . C'est celui des Sages.

SOUFRE VRAI DES PHILOSOPHES . C'est le grain fixe de la matière, le


véritable agent interne, qui agit, digère, cuit sa propre matière mercurielle,
dans lequel il se trouve renfermé.

SOUFRE ZARNET . Soufre philosophique.

SOUFRE OCCULTE . Le même que celui de l'article précédent.

SOUFRE DE NATURE . C'est encore le même. Quelques-uns cependant


donnent ce nom à la matière parvenue à la couleur blanche. L'Auteur du
Dictionnaire Hermétique pourrait s'être trompé, lorsqu'il dit que le soufre de
nature est le menstrue essentiel fait avec le mercure et l'esprit de vin sept
fois rectifié, qui dissout la chaux du soleil et de la lune, ou du moins qui en
tire la teinture, laquelle par des opérations faciles et occultes, on redonne à

90
l'or. Le soufre universel est, selon le même Auteur, la lumière [Pernety cite
l'article de Homberg évoqué supra] de laquelle procèdent tous les soufres
particuliers."
[Dictionnaire mytho-hermétique]

planche 7

Cette planche semble se rapporter à la fabrication de l'une des


parties du Mercure philosophique. Les quatre tableaux du haut se
réfèrent aux opérations « réelles », les trois scènes du bas
représentent les allégories correspondantes. L'allégorie nous
montre à gauche un personnage que l'on pense être Saturne,
s'apprêtant à dévorer l'un de ses enfants. La scène se fait sous un
feu soutenu ou du moins une chaleur certaine semble émaner du
personnage - serait-ce une indication sur la chaux vive ? Au
centre, le bain de Saturne - s'agit-il du « blanchiment » du laiton ?
À droite, le produit obtenu ; notons que Saturne est à présent
armé d'un glaive... En haut, dans les quatre tableaux, nous
observons d'abord que l'on remplit une bassine de liquide. Ce
liquide est ensuite mis au feu et des cristaux paraissent être
récupérés à la cuiller et mis dans un flacon contenant des *.

"La septième planche est très importante, mais elle est difficile à
comprendre. Nous retrouvons ici les quatre petits triangles qui
indiquent les rapports déjà expliqués; mais nous arrivons à une
opération délicate, car c’est ici que Saturne dévore son enfant.

On connaît la fable de Saturne et de Jupiter. Qu’est-ce que Saturne et


qu’est-ce que Jupiter ? La nomenclature chimique, qu’on trouve chez
les auteurs, vous fera connaître à quels métaux conviennent ces deux
noms. Mais nous ferons remarquer, en toute conscience, que le

91
Saturne et le Jupiter des Sages ne sont pas les mêmes que ceux des
chimistes profanes. Qu’on y prenne garde, et que l’on n’aille pas faire
de la soudure de plombier ou de ferblantier. Nous ne travaillons pas
sur des produits bruts, et encore qu’ils soient tous empruntés à la
famille des métaux, ils ne sont propres à l’œuvre qu’après avoir subi
une préparation qui les rend " philosophiques ".

Si l’on adopte la voie humide, on procédera selon l’art en mettant en


contact nos deux éléments, de telle sorte que l’un absorbe l’autre, ce
qui donnera un produit nouveau qui tiendra des deux, sans qu’il soit
possible désormais d’en faire l’analyse de manière chimique. La voie
sèche suppose, évidemment, une combinaison obtenue par un
procédé adapté à la nature des corps. Mais qu’on ne mélange pas les
deux voies: les liquides s’unissent aux liquides, et les solides, aux
solides. [Fulcanelli reconnaît pourtant à la voie sèche deux
phases : la phase humide qui correspond à la dissolution et va
jusqu'à la fermentation du Rebis ; la phase d'assation qui est le
début de la coagulation de l'eau mercurielle, cf. Myst., p. 160 :

« la seconde période [...] commence alors, par un second tour de


roue, se parfait et s'achève lorsque le contenu de l'oeuf [...] apparaît
granuleux ou pulvérulent, en forme de cristaux, de sablon ou de
cendre. »

Il y aurait là bien à dire puisque Fulcanelli nomme à la fois le lien


du Mercure, cite la teinture et caractérise l'aspect de la Pierre]

Dans cette opération, le feu joue un certain rôle. Une des figures
représente Saturne croquant son fils au milieu d’un brasier. II faut
prêter ici la plus grande attention aux discours des philosophes.
Celui-ci assure que le feu élémentaire est le destructeur des corps, et
que leur fusion en volatilise l’âme; celui-là déclare que les Sages
brûlent avec l’eau, mais prohibent en même temps les liqueurs
corrosives, telles que les acides.

Le disciple se trouve donc enfermé dans un cercle vicieux, dont il lui


est fort difficile de sortir à son avantage. Il faut prendre la moyenne
des deux doctrines pour les accorder ensemble. Il est une eau qui
renferme le feu du Ciel; c’est la rosée ou flos coeli, que nous avons
vu étreindre dans une planche précédente. On sait que la rosée
renferme un principe acide qui brûle à la lettre. Les objets soumis à
son action ne tardent pas à tomber en poussière. Nous devons faire
observer, cependant, que la rosée philosophale diffère, en réalité, de
la rosée commune. Elle est, néanmoins, formée des véritables pleurs
de l’Aurore unis à une substance terrestre, qui est le sujet de l’Œuvre.
[on se reportera ici à Senior, De Chemia qui indique que : « Le
soleil est la clé de toute porte... », voit Bibliotheca Chemica
curiosa, II, pp. 216-235]

Lorsque Saturne a accompli son horrible festin, on doit, dit Philalèthe,


faire passer sur lui toutes les eaux du déluge, non pas de manière à
le noyer, mais à corriger les effets d’une digestion laborieuse en
éliminant les toxines résultant de la fermentation. C’est ce qu’on
appelle " blanchir le nègre ". L’opération est rude, mais efficace, si
l’on y persévère, car il faut s’y reprendre à plusieurs fois. Ce lavage à
grande eau dépouille le corps de ses impuretés, en corrige les
humeurs et le rend dispos pour les opérations subséquentes. On le
distille alors hermétiquement afin de n’en rien perdre; on en précipite
le sel qui se présente en petits cristaux très hygrométriques, et qu’on

92
doit soustraire aussitôt aux influences de l’air. C’est pourquoi on
l’enferme, comme le montre une autre figure, dans un flacon bouché
à l’émeri et qu’on tiendra, en réserve." [Hypotypose, Pierre Dujols]

De ce commentaire, on retiendra ces cristaux qu'il faut tenir à


l'abri de l'air. Voyez ce qu'il faut en penser aux sections salpêtre
et tartre vitriolé. Voyez également la section laboratoire 1 où l'on
discute de la voie des carbonates. On ne sait au juste, ici ce qu'il
faut entendre par « blanchir le nègre », car il ne peut s'agir, dans
cette phase de l'oeuvre, du laiton, auquel cas nous serions au
3ème oeuvre. Pourtant nous sommes au 2ème oeuvre, au stade de
la préparation du Mercure commun. Dans cette planche, le couple
alchimique utilise le sel de Mercure dans une large bassine, qu'il
faut soumettre à la calcination. Le produit de ce sel, représenté
par des étoiles, est ensuite donné symboliquement à une femme
qui porte à son front l'empreinte du croissant lunaire. Il s'agit donc
d'un sel servant à préparer le Mercure. Revenons un instant sur le
commentaire de Pierre Dujols et admirons à la fois le ton
d'humour combiné à celui de l'érudition, où l'auteur fait preuve de
virtuosité cabalistique. Voyons, par exemple, ce flacon bouché à
l'émeri, qu'il faut tenir en réserve. Cyliani, dans son Hermès
Dévoilé, parle aussi d'un tel flacon, formé d'ailleurs du meilleur
marbre de Carrare. E. Canseliet écrit qu'il faut, à une certaine
époque de l'oeuvre, se servir du bouton de retour issu de la
vitreuse provision. On est en droit de se demander si les Adeptes
ne parlent pas, ici, de la même chose. C'est-à-dire d'une
substance cachée [apoqetoV : mis en réserve, mystérieux] ou qui
s'est déposée [apoqesiV : action de déposer].

planche 8

93
Cette planche se rapproche de la n° 2 mais nous sommes ici à un
stade ultérieur. Dans le matras, nous voyons le Mercure,
désormais animé. Des colombes volent aux pieds des anges ; le
soleil et la lune sont aux pieds de Mercure. Dans cette image est
symbolisée la dissolution radicale des composés que nous avons
maintes fois envisagée (1, 2, 3, 4).

"La huitième planche nous fait voir le mercure des philosophes


réalisé, tandis que la planche deux n’en présentait que les éléments
constitutifs. Il est le produit du Soleil et de la Lune qui sont à ses
pieds. Les aigles volent autour de lui parce qu’on lui fait subir dans le
matras les sublimations nécessaires, ce qui est indiqué au bas de la
planche par l’athanor ou l’on a mis l’œuf à incuber.

Le mercure des philosophes, animé et sublimé selon les règles, doit


circuler longtemps dans le vase avant de produire les heureux effets
qu’on attend de lui. Mais il y a plusieurs mercures dans l’œuvre, et
Philalèthe en signale un second, tout particulièrement, sous le nom de
lait de vierge. Celui-ci diffère du premier en quelque chose, bien qu’ils
soient tous les deux de même essence. Philalèthe, Ripley et d’autres
vont jusqu’à dire qu’il s’agit du mercure commun. Basile Valentin, au
contraire, le bannit avec malédiction. Certains ont cru que le lait de
vierge pouvait être obtenu par une combinaison des deux. Nous
connaissons un artiste qui a réalisé ce tour de force pour le plaisir de
vaincre la difficulté, sans prétendre en tirer d’autre conséquence.
Nous sommes donc en mesure de certifier l’opération comme
réalisable, ce qui n’implique pas que nous adhérions à son emploi
dans la pratique. II faut accueillir avec la plus grande réserve tous les
noms bizarres imposés par les philosophes à certains ingrédients.
Ces différentes épithètes ne servent qu’à déguiser la suite des
opérations. De telle sorte que le même produit, suivant qu’il est ou
n’est pas exalté, porte tel nom ou tel autre. Et il est vrai, après tout,
que l’alcool, bien qu’extrait du vin, en diffère et par le nom, et par
l’aspect, et par la puissance, et par les effets, de même que le vin

94
diffère du raisin, d’ou il est tiré..." [Hypotypose, Pierre Dujols]

Dujols aborde ici un important point de science : les deux


Mercure. Mais sans donner d'explications outre mesure. Nous
sommes en mesure de pouvoir afirmer que le Mercure commun ou
1er Mercure correspond à l'eau-vive prime de Limojon [1, 2, 3].
C'est le véritable Lion vert de Ripley, le Mercure non encore
animé, avant le stade du bain des astres. Ramon Lull l'appelle,
dans sa Clavicule le Mercure vulgaire - ce qui égare le sentiment
vers le vif-argent vulgaire -. L'autre Mercure est celui dont les
alchimistes ont le plus parlé : le second Mercure, appelé aussi
double Mercure ou enfin, le Mercure philosophique. Ils l'appellent
aussi le compost [mélange Mercure commun et Rebis], le Rebis,
chose double, étant l'homme double igné de Basile Valentin,
habituellement désigné par les alchimistes comme une substance
hermaphrodite [voilée par quantités d'allégories : Apollon et Diane ; les
deux chiens du Corascène et d'Arménie ; les gnomes de la cheminée
alchimique ; le patient et l'agent, Gabricius et Béia, etc.]

planche 9

Variation sur le thème de la rosée de mai ; on observera que des


bassines se sont substituées aux toiles. La scène du bas montre à
gauche le couple alchimique recueillant la rosée de mai et à droite
l'allégorie correspondante : Mercure. On voit dans le lointain des
champs labourés, indice que la terre est prête à acceuillir le
Soufre.

95
"La neuvième planche nous ramène au flos coeli. Pourquoi ce retour,
et à quoi bon y recourir de nouveau, puisque nous nous en étions
approvisionnés ? Ce n’est pas que l’auteur du Mutus Liber veuille
nous renvoyer à la campagne pour en avoir d’autre ; mais il était bien
obligé d’en répéter le symbole, du moment que cet agent céleste doit
entrer dans une nouvelle combinaison.

Nous voyons, dans une des figures de cette planche, Mercure en train
d’acheter un pot de cette eau divine à une paysanne. C’est donc qu’il
en a besoin pour quelque usage. Philalèthe prescrit, effectivement, de
laver le mercure à plusieurs reprises, de façon à lui faire perdre une
partie de sa nature huileuse. [cette étrange opération est décrite
par plusieurs auteurs : il s'agit de guérir le Roi de son
hydropisie. Michel Maier y consacre l'emblème XLVIII de
l'Atalanta fugiens] Il décrit soigneusement cette opération, qui
s’accomplit avec l’eau céleste portée à une certaine température,
modérée néanmoins, car il faut un rien de trop de chaleur pour que la
partie ignée du flos coeli reprenne le chemin des Astres. Philalèthe
est un grand maître, sa parole fait autorité et il présente le travail avec
une ingénuité si convaincante qu’aucun soupçon de fraude ne saurait
vous effleurer. Mais nous devons éventer ici une ruse: cet auteur a
confondu à dessein, dans son ouvrage, la voie sèche et la voie
humide. [Dujols souligne ici un point de cabale absolument
fondamental, car de nombreux alchimistes ont joué sur les deux
voies pour égarer les impétrants ; c'est la raison pour laquelle
Fulcanelli conseille à l'étudiant, avant d'entrer dans le labyrinthe
de Salomon, de se munir d'un fil d'Ariane, qu'il appelle Arachnè]
Ce serait donc un tort d’appliquer à une technique ce qui convient à
l’autre. Mais, cette remarque faite, nous reconnaissons que l’esprit
astral joue un rôle permanent dans les opérations.

Et puisque nous employons la locution de Cyliani, arrêtons-nous aux


interprétations invraisemblables auxquelles ce terme assez récent a
donné lieu. Des écrivains d’hier ont vu dans cet esprit astral une
émanation magnétique de l’opérateur. D’après eux, il faudrait,
pendant une période déterminée, subir un entraînement physique et
moral, pour pratiquer avec succès cette sorte de fakirisme ou de
yoga. [sans aller jusque là, reconnaissons que la vision que Jung
avait de l'alchimie, par la projection de la psyché qu'il y voit, à
juste titre, abonde dans cette vue] La force du produit doit être
proportionnelle à la puissance du fluide, de telle sorte que la poudre
de projection obtenue multiplie à 100, 1.000 ou 10.000, etc., suivant le
potentiel de l’artiste. Ces fantaisistes prétendent ainsi imprégner la
matière d’esprit astral comme on charge un accumulateur
d’électricité. Voilà ou mène l’analogie mal entendue et appliquée à
tort et à travers. Nous ne nommerons pas ces théoriciens singuliers
dont la sincérité est respectable; mais nous devions signaler le fait
pour mettre en garde le disciple studieux, et trop confiant, contre les
lectures hasardeuses d’auteurs sans mandat et sans consécration,
qui n’ont jamais produit que des livres, mais passent dès lors pour
des Maîtres." [Hypotypose, Pierre Dujols]

Nous sommes bien d'accord avec Dujols pour admettre la


fourberie de Philalèthe. Fulcanelli, d'ailleurs, nous prévient sur
l'outrance des allégories du mystérieux Adepte. quant au flos coeli,
voyez l'article de Pernety :

"FLEUR DU CIEL, Flos Coeli. C’est une espèce de manne, que l’on trouve
ramassée sur l’herbe au mois de mai particulièrement ; elle diffère de la

96
manne, en ce que celle-ci est douce, et se recueille sur les feuilles des
arbres en forme de grains; le Flos Cœli, au contraire se trouve sur l’herbe et
n’a presque point de saveur. On tire par l’art chymique une liqueur du Flos
Cœli, dont les propriétés sont admirables. Quelques Chymistes se sont
imagines que c’était la matière dont se servent les Philosophes Hermétiques
pour le grand œuvre, mais mal-à-propos." [Dictionnaire]

Quant aux propriétés magnétiques dont il faudrait que l'Artiste soit


imprégné, elles nous font penser à la préparation spéciale dont
Armand Barbault [l'Or du millième matin, J'ai Lu, 1969] préconise
l'usage sans que l'on sache au juste s'il l'entend au sens propre
du terme ou par cabale. Mais il convient de se méfier de
Magophon comme des autres, et sous des airs méfiants et
entendus, il se pourrait qu'il dise le vrai pour le faux... En tout cas,
ce qu'il faut observer ici, c'est la largeur des bassines de la
planche 9. Or, des bassines de cette largeur ne sont employées
que lorsqu'on a en vue de faire cristalliser un sel, et la préparation
du nitre relève de cette technique. Un dernier mot : sur cette
accumulation d'électricité dont parle Dujols, on ferait bien de jeter
un coup d'oeil sur la cage de Faraday de la tour Rivalland - cf. Fontenay
- et de son aspect étrangement cristallin afin de mesurer de quelle
nature peut être ce mystérieux ambre utilisé par les Adeptes.

planche 10

Cette planche capitale nous montre sans doute la préparation du


Rebis . Considérons les quatre tableaux du haut, la scène du bas
étant l'allégorie correspondante. En haut à gauche, préparation
des deux matières de base : la chaux métallique à gauche est

97
symbolisée par l'étoile ; à droite, la fleur [flos = sel très blanc]
symbolise le soufre blanc, qui est absolument pur. On notera que
ces deux substances ont été mises sur les deux plateaux d'une
balance - symbole de Thémis - dont on aperçoit le fléau couché.
Cela constitue une indication sur la période de l'oeuvre où l'Artiste
essaye ses matières et espère que dame Nature veillera à établir
les poids de façon canonique. Ces substances sont mises dans
un matras puis le matras est scellé au feu de lampe ; il s'agit du
sceau vitreux d'Hermès qui est apposé au vase de nature. Le
matras est ensuite disposé dans l'athanor. L'allégorie du bas
semble représenter l'alliance des deux principes ; la présence de
l'arc peut être une indication sur Diane chasseresse, c'est-à-dire
Artémis [lune cornée]. On distingue d'ailleurs un croissant de lune
dans la partie supérieure, un peu à droite, du soleil.

"La dixième planche représente la conjonction. La première figure


expose, dans les plateaux d’une balance, d’un côté, le sel indiqué par
l’étoile, de l’autre le soufre désigné par une fleur qui, avec le cœur,
forme sept pétales. [on peut se demander si Dujols n'est pas
envieux : les textes sont unanimes à considérer que la part de
soufre est beaucoup plus faible que celle du sel; mais sept
ressortit du nombre des métaux connus par les Anciens. Il y a là
un rapport à l'arbre solaire] Ce sont les proportions du rapport. Un
homme verse sur cette fleur un liquide enfermé dan un flacon. C’est
le mercure. II tient, de l’autre main, un autre récipient plein d’esprit
astral pour l’utiliser selon le cas. La femme place tous ces produits
dans un matras à long col; mais qu’on se rappelle ici ce que nous
avons dit du rôle de la femme dans l’Œuvre: les deux agents
personnifiés de la sorte sont les matières elles-mêmes, et les divers
accessoires qui les accompagnent déclarent leur état d’exaltation.

À la seconde rangée, l’artiste scelle le matras au sceau d’Hermès. Il


en présente le col à la flamme d’une lampe, de manière à ramener le
verre à un état pâteux et ductile. Il doit l’étirer ensuite avec précaution
de manière à l’amenuiser au point voulu, tout en s’assurant qu’il ne se
produit aucune capillarité par ou pourrait s’échapper l’esprit du
compost. Les choses en étant là, après avoir sectionné le verre, il en
renverse sur elle-même la partie adhérente au matras pour en former
un épais bourrelet. Aujourd’hui, cette opération s’exécute très
facilement au gaz, à l’aide du chalumeau. Quelques praticiens, d’une
habileté consommée, emploient un procédé automatique d’une plus
grande perfection. Enfin, quel que soit le moyen adopté, l’on place
ensuite l’œuf dans l’athanor et la coction commence. [c'est la
préparation du vase de nature, autrement nommé maison de
verre ou poulet d'Hermogène]

Nous ne dirons rien de l’athanor. Le Mutus Liber en présente la forme


et les dispositions intérieures. Philalèthe le décrit soigneusement.
Nous n’ajouterons aux dits de cet auteur qu’une remarque importante:
la construction du fourneau est en partie, allégorique, et il a beaucoup
à y apprendre au point de vue de la conduite du feu et du régime de
l’Œuvre.

En dernier lieu, l’Ouvrage secret de la Philosophie d’Hermès, attribué


à d’Espagnet et cité avantageusement, sera utile à suivre, car on y
trouve le Zodiaque des Philosophes. [voir cap. 116-120]

98
La dernière figure de cette planche démontre que la conjonction est
opérée: le Soleil et la Lune sont unis. Le travail a donné les couleurs
requises. Elles sont ici synthétisées dans un cercle d’abord noir, puis
blanc et enfin jaune et rouge. Le produit obtenu multiplie par dix,
comme l’énoncent les chiffres." [Hypotypose, Pierre Dujols]

Nos premiers commentaires n'étaient pas satisfaisants. D'un


certain côté, ils n'étaient pas complètement absurdes. Voici
pourquoi : la chaux, telle que nous en parlons, n'est pas la chaux
vulgaire mais une chaux métallique dont l'hiéroglyphe est . Mais
plutôt que la préparation du Nitre de la sapience, c'est de la
préparation du Rebis qu'il s'agit. L'étoile symbolise le Sel ou
corps, c'est-à-dire une terre [de la nature du kaolin ou une terre
vitrifiable]. Le Soufre rouge est indiqué de façon indirecte par la
fleur à sept pétales : le rapport est en effet de sept parts de Sel
pour une de Soufre. Dans un temps ultérieur, le Mercure s'anime
[on voit l'Artiste verser le Mercure commun dans un matras à long col qui
contient les natures métalliques]. La voie empruntée semble ici la voie
humide, sans que l'on sache bien ce qui pourra résulter de cette
Coction, à cause des conditions de température, et surtout de
pression, qui règnent dans le matras. Voyez ici le Filet d'Ariadne
de Batsdorff... Il est ici clairement évident qu'Apollon et Diane
symbolisent les natures métalliques en réincrudation. Il faut donc
voir, d'un côté de la balance, le sel en forme d'étoile, obtenu à la
planche 9 et de l'autre côté, la fleur, symbolisant le Soufre, obtenu
à la planche 6. Les deux substances mises en présence sont donc
une chaux métallique et le salpêtre des philosophes. C'est alors
que débute la Grande coction, mais par voie humide, après que le
matras ait été scellé au feu de lampe.

planche 11

99
Cette planche n'est qu'un reflet de la 8.

"La planche onze proclame que l’opérateur est entré dans le régime
du Soleil c’est-à-dire qu’il a obtenu l’or des philosophes, qui n’est pas
l’or vulgaire. Nous avons déjà parlé de cet or mystérieux. Bien que
Jupiter joue un rôle nominal dans le processus opératoire, il ne s’agit
point du bisulfure d’étain, mais du véritable " or mussif " ou secret.
[cf. les expériences alchimiques d'August Strindberg et les
relations épistolaires entre Strindberg et Jollivet-Castelot] Nous
confesserons cependant, en toute vérité, que ce n’est pas un produit
de la nature, mais de l’art. Des chimistes contemporains qui se sont
indûment pris pour compétents, ont cru le rencontrer dans le vitriol
commun, qu’ils se flattaient de rendre philosophique. Ils ont mal
entendu Basile Valentin. Le stroma de la dissolution de ce sel,
considéré par eux comme un " or naissant ", n’est qu’un mirage
fugace et ne laisse, à l’analyse, que déception. [trait de cabale
résultant d'un jeu de mot entre jenax et joinix, le phénix de
l'oeuvre, c'est-à-dire le sulphur en voie de réincrudation ; par

jainw, on peut y deviner l'aurore de l'oeuvre puisque


annonce , exactement comme dans la fable de Latone où
Diane paraît avant Apollon]

Un auteur, célèbre à d’autres titres et qui a joui, dans certains milieux,


de quelque prestige - il nous faut nommer Strindberg [cf. supra.
Ajoutons qu'avant d'entreprendre ce travail, nous ignorions que
Dujols connaissait les expériences de Strindberg] pour prévenir
contre ses égarements - s’est échoué dans une technique puérile et
ridicule. Son Livre d’Or est une aberration qu’appelait un charitable
silence. Philalèthe et d’autres conseillent, à qui ignore l’or artificiel, de
le chercher dans l’or vulgaire, en signalant toutefois ce travail comme
long et ardu. Il faut, dans ce cas, lui faire subir des manipulations
difficiles et dangereuses, car on peut transformer ce métal en

100
fulminate [cf. voie humide] et les Mémoires du XVIIIe siècle
rapportent plusieurs accidentes mortels consécutifs à cette
préparation. Mais, si le disciple est instruit à la bonne école, il évitera
cette embûche sophistique et opérera hermétiquement; il écartera
ainsi ce péril redoutable. Les maîtres savent atteindre le but suivant
par d’autres voies, qu’ils se gardent bien d’indiquer, mais qui ne sont
pas introuvables, si l’on raisonne avec sa raison plutôt qu’avec les
livres trompeurs des Sages. " Il faut de l’or pour faire de l’or ", dit
l’axiome classique; c’est juste, encore qu’il y ait deux Or différents
pour mener l’Œuvre à bonne fin. Cette planche fait voir qu’on
recommence ici toutes les opérations précédentes. Il faut élever le
mercure à un plus haut degré de sublimation au moyen des aigles, le
redistiller pour lui donner une animation plus grande." [Hypotypose,
Pierre Dujols]

Nous renvoyons le lecteur à la section sur la voie humide où est


abordée la question des fulminates d'or et de la préparation des
dissolutions auriques.

planche 12

Là encore, cette planche est analogue à la 9.

"La planche douze nous enseigne comment on peut porter ce


mercure à une échelle supérieure. Il faut, à cette fin, recommencer
les imbibitions de flos coeli jusqu’à ce que le mercure, qui en est
avide, en soit imprégné à saturation." [Hypotypose, Pierre Dujols]

Et comme on le voit, elle n'a pas inspiré Magophon outre mesure.


Pour lui, il faut voir dans ces redites des réitérations d'une même

101
technique, afin de concentrer davantage le produit. Mais il est
possible que ces images identiques aient résulté de la confusion
entre des éditions différentes du ML. ainsi, comme nous le dit J.
van Lennep :

"La comparaison entre les planches reproduites par Laplace [Jean Laplace,
avec des planches en couleurs d'un soi-disant manuscrit du Mutus,
découvert à la bibliothèque du Congrès, à Washington in Altus, Mutus Liber
(intr. et commentaires par J. Laplace, Archè, Milan, 1979] et celles de
l'édition princeps ou de Manget, révèle des différences notables au niveau
de tous les détails. La couleur a été appliquée grossièrement sur des
planches vierges dont les sixième et septième sont identiques à celles qui
furent découvertes par Elie Charles Flamand et qui furent attribuées par
Canseliet à l'édition de 1725. Comme il le fut signalé pour celle-ci, cet
exemplaire de Washington comporte des textes ajoutés à la série des
planches : descriptions d'athanors et procédés de transmutation. ils sont en
outre accompagnés par deux gravures." [in Alchimie, p. 233]

planche 13

Comme on le voit, la différence entre la planche 10 et la planche 13,


tient aux nombres indiqués en bas, entre Apollon et Diane, qui
témoignent de la multiplication accordée lors des réitérations de la
technique de concentration.

"La treizième planche est une répétition de la dixième, car dans


l’œuvre, toutes les opérations se suivent et se ressemblent; mais
cette nouvelle conjonction, qui s’opère avec des matières sublimées à
l’extrême, n’est autre que le commencement des multiplications. Le
travail est le même que celui de la planche dix et, dans la coction, on
verra reparaître des couleurs. La durée de celle-ci décroît à mesure

102
que la puissance multiplicative augmente, de telle manière qu’il ne
faut, à la fin, qu’un jour pour obtenir le résultat qui, au début,
demandait des moins. Les chiffres de cette planche donnent les
puissances des transmutations obtenues par les coctions
subséquentes." [Hypotypose, Pierre Dujols]

Ces conjonctions successives ont été décrites dans les planches


du Rosaire des Philosophes [à ne pas confondre avec le Rosarius
minor parfois attribué à Arnaud de Villeneuve, voir Alchemia de 1541,
p. 309 ; Theatrum Chemicum, 1659, ii, p. 466 et aussi Verae Alchimiae
de Gratarole, 1561, i, p. 222 ]. Voyez d'abord les Douze Portes de
Ripley pour une vue générale sur la Conjonction. Ce n'est pas
moins de quatre conjonctions dont parle le Rosaire, chacune étant
illustrée par une gravure. Jung a consacré un ouvrage entier au
Ros. Phil. : la Pyschologie du Transfert [trad. Albin Michel, 1980]. Il
n'entre pas dans nos vues de décrire ici par le menu les planches
du Ros. Phil. ni de disséquer l'ouvrage de Jung. Toutefois, il nous
a paru intéressant de donner un aperçu des quatre stades de la
conjonction des principes.

fig. 3 du Ros. Phil.

Voici le couple alchimique, le roi et la reine surmontant chacun


leur symbole. Une colombe crée le lien d'union entre eux,
surmontée d'une étoile. Voici ce que pense Pernety de la colombe
:

"Colombe. D’Espagnet et Philalethe ont employé l’allégorie de la Colombe,


pour désigner la partie volatile de la matiere de l’œuvre des Sages. Le
premier a emprunté de Virgile (Eneid. Liv 6.) ce qu’il dit de celle de Vénus,
pour le temps de la génération du fils du Soleil ou regne de Vénus
philosophique. Le second a dit que les colombes de Diane sont les seules
qui soient capables d’adoucir la férocité du dragon ; c’est pour le temps de la

103
volatilisation, où les parties de la matiere sont dans un grand mouvement,
qui cesse à mesure que la couleur blanche, ou la Diane Hermétique se
perfectionne. Les Souffleurs doivent bien faire attention à cela, s’ils ne
veulent pas perdre leur argent à faire des mélanges fous d’argent vulgaire
avec d’autres matieres pour parvenir au magistere des Philosophes."
[Dictionnaire]

Dans cette première conjonction, les époux royaux conservent


leurs vêtements, signe que les éléments sont seulement mis en
présence, avant la dissolution. Ils tiennent en leur main des tiges
végétales, qui expriment le phénomène d'une croissance minérale
qui ne peut être le fait que de cristaux. Cette phase peut être
illustrée par le texte suivant :

"Et si vous connaissiez mon secret, vous sauriez que je suis le grain semé
dans la terre pure qui, en naissant, croît et se multiplie et apporte du fruit au
semeur." [Parabole du soleil par le Philosophe Belin, in Ros.
Philoosphorum]

Lors de la 2ème phase de la conjonction, les époux royaux sont


mis à nu. On voit trois phylactères [qui ont eux-mêmes par l'étymologie
une portée hermétique, voir en recherche] sur lesquels on lit :

"Ô Lune, donne-moi de devenir ton époux. Ô Soleil, il est juste que te sois
obéissante. C'est l'esprit qui vivifie." [Ros. Phil., Francfort, 1550]

fig. 4 du Ros. Phil.

C'est alors la phase de dissolution et on peut compléter la figure


de ce commentaire :

"C'est pourquoi Geber dit : Ce sont des fumées subtiles, et elles ont besoin

104
d'une cuisson tempérée pour être épaissies en elles-mêmes d'une façon
égale. Seule, en effet, la chaleur tempérée peut épaissir l'humidité et parfaire
le mélange, mais elle ne doit pas dépasser la mesure. Car les générations et
les procréations des choses naturelles ne se font qu'au moyen d'une chaleur
très tempérée et égale, comme est le fumier de cheval humide et chaud."
[Ros. phil., Francfort, 1550]

Vient alors la 3ème phase de Conjonction qui correspond au bain


des astres. La colombe sert toujours de médiateur entre les deux
Principes et on remarque que les tiges végétales s'entrecroisent à
la façon d'un X, sans doute pour donner raison à Fulcanelli, qui
voit dans cet X la surface du dissolvant quand il a été
canoniquement préparé. La gravure est complétée de ce
comentaire :

fig. 5 du Ros. Phil.

"Hermès : là s'effectue la conjonction des deux corps, et elle est


indispensable dans notre magistère. Et si l'un des deux corps seulement
manquait à notre pierre, elle ne fournirait de teinture en aucune manière.
C'est pourquoi un philosophe dit : le vent l'a porté danss on ventre. Il est
donc clair que le vent est l'air, et l'air est la vie, et la vie est l'âme, c'est-à-dire
l'huile et l'eau." [Ros. phil., Francfort, 1550]

Par cette phrase sybilline, le pseudo-Hermès exprime simplement


l'idée de la sublimation du soufre rouge dans le Mercure commun,
par laquelle il devient le Mercure animé ou Mercure
philosophique. L'âme est ici le symbole du soufre sublimé. Vient
alors la 4ème phase de conjonction qui est le coït proprement dit :
il correspond à l'accrétion du soufre rouge à la toyson d'or ou
résine de l'or. Une légende commente ainsi cette scène :

105
"Ô lune, mon étreinte et mon suave amour - Te rendent, comme moi, forte et
belle à ton tour. - Ô soleil, lumineux par-dessus tous les êtres. - Je te
manque pourtant, comme la poule au coq son maître."

fig. 6 du Ros. Phil.

que l'on peut compléter de ce dernier commentaire :

"Arislée dans la vision. Unis donc ton fils Gabricus, qui t'est plus cher que
tous tes autres fils, avec sa soeur Beya qui est une enfant radieuse, douce
et tendre. Gabricus est mâle et Beya est femme, et elle lui donne tout ce qui
vient d'elle [...] Car l'union de Gabricus avec Beya a provoqué la mort sur le
champ. Beya monta en effet sur Gabricus, l'enferma dans son ventre, si bien
que l'on ne put rien voir de lui. Et elle étreignit Gabricus avec un amour si
grand qu'elle le conçut tout entier dans sa nature et le divisa en parties
indivisibles. [...] C'est pourquoi Marie, soeur de Moïse, dit : Unis la gomme à
la gomme en un vrai mariage, et transforme-les en une sorte d'eau brûlante."
[Ros. phil., Francfort, 1550]

On remarquera que les textes de la Turba et du Ros. Phil. sont


congénères.

planche 14

106
Quatre tableaux sont représentés ; le tableau supérieur montre
trois tours qui peuvent symboliser les trois oeuvres traditionnelles
[noir, blanc et rouge] ou la même réitération d'une technique
particulière. Il est tout à fait possible aussi que les tours
symbolisent les signes du zodiaque qui sont expressément
nommés au panneau inférieur [tornus, faire le tour, la circonférence] en
forme de trinité . Le second tableau montre le travail d'une
fileuse ; nous connaissons l'importance du symbolisme de la
fileuse ou de la pelote ; au milieu du tableau, un tamis. Les
chiffres VI - II - X sont énigmatiques. Si nous établisssons une
correspondance avec les signes du zodiaque, [cf. zodiaque
alchimique] nous avons : Vierge - Taureau - Capricorne ; avec les
mois : Cancer - Poissons - Scorpion ; avec les mois correspondant
au début traditionnel de l'oeuvre (mars-avril) : Lion - Bélier -
Sagittaire : nous obtenons les équivalents alchimiques suivants :
le Lion est le lieu de la dissolution correspondant au Lion Vert de
Ripley mais c'est sans doute le Lion rouge qu'il faut considérer. Le
Bélier est le lieu d'exaltation du Soleil, celui où se tient le bélier
Chrysomelle ou encore de la Toyson d'or ou Christophore, qui
porte en son ventre l'Acier magique. Enfin, le Sagittaire est le lieu
de la réincrudation. Ces trois signes nous indiquent que tout ici
doit être fait, en sorte que l'or simplement enté, c'est-à-dire l'or
mussif hermétique, devienne si l'on nous suit bien, le véritable or
alchimique, celui qui correspond aux belles pousses de blé, que
l'on peut moissoner aux époques propices. [le triangle de Feu se
retrouve dans une aquarelle du Codex Vossianus, annexé à une version de
l'Aurora consurgens]

Le troisième tableau nous donne à voir, à gauche, le principe


volatil, correspondant à la Lune [Mercure], au centre, la balance,
symbole de Thémis et du poids de nature, un mortier, un pilon et

107
une spatule ou une cuiller de fer ; à droite, le principe fixe,
correspondant au Soleil [Soufre]. Le quatrième tableau nous
montre un récipient plus grand pour contenir le Mercure que pour
contenir le Soufre, ce qui est conforme aux données que nous
avons.

"La quatorzième planche est principalement consacrée à


l’instrumentation. On y voit le matras scellé hermétiquement avec son
bourrelet, tel que nous l’avons décrit; le mortier et le pilon pour les
broyages; la cuillère à écrémer; les balances pour déterminer les
justes poids; le fourneau des premières opérations avant l’emploi de
l’athanor.

Nous rappelons qu’il faut entendre les broyages, la décantation,


l´écrémage et tout le reste d’une manière philosophique, encore
qu’une trituration, un décantage et écrémage soient positivement
nécessaires pour rendre les matériaux propres au travail ; mais, par
suite, ces opérations se font d’elles-mêmes et, pour ainsi dire,
automatiquement par la réaction des corps les uns sur les autres. Le
disciple devra méditer profondément sur la femme à la quenouille, et
la suivre avec sagacité dans ses manipulations; elles ne sont pas
indifférentes et tout y parle au vrai fils de science. Nous ne pouvons
ici transgresser les volontés de l’auteur, qui témoigne de son dessein
bien arrêté de laisser le symbole exprimer seul toute sa pensée. Si
ces lignes tombent sous les yeux d’un Adepte, il approuvera notre
réserve, qui frise pourtant l’indiscrétion. Mais, pour le surplus, qui
potest capere capiat." [Hypotypose, Pierre Dujols]

Dujols ne nous parle pas du symbolisme des chiffres romains : VI


- II - X. Ils correspondent tout simplment au triangle de feu du
zodiaque des astrologues. Voyez la section prima materia. Le Lion
correspond au Lion vert... qu'il faut comprendre là dans le sens de
son évolution, celle qui le conduit à l'état de Lion rouge ; le Bélier
à Ariès, toyson d'or [et non pas Arès, le sens du symbolisme ici est
différent] et désigne le Sel que l'on a vu conjoint avec le Soufre, à
la planche 10. Quant au Sagittaire, il est l'exact homonyme spirituel
de la licorne [cf. Fontenay sur un examen hermétique complet sur la
licorne] et symbolise la pénétration du Soufre rouge dans le Sel.
Ces opérations doivent se réaliser au fourneau, à haute
température. Le Mercure doit être à l'état filant, ce qui peut
expliquer le travail de la quenouille. Ce n'est pas tout : la cabale
autorise à deviner dans la quenouille [hlakath] le fuseau grâce
auquel on prépare la salaison du Rebis. Le sel des Sages, nul ne
l'ignore, est le Mercurius dont Fulcanelli assure qu'il constitue

le fou de l'oeuvre [hlainw] : c'est un vagabond, un charlatan et


un imposteur ; c'est le fameux larron dont parle Philalèthe
[Introïtus, VI]. Il erre ça et là, sombre [alaomai], tel une nuée
obscure. Aussi le compare-t-on à un mauvais génie [alastoV] et
les souffleurs ont-ils toute raison de craindre les foudres de ce
vengeur, comme l'enseignent les Adeptes. C'est assurément une
fable qui ne manque pas de sel [alaV]...

108
planche 15

C'est une apothéose. Les travaux d'Hercule sont passés, l'échelle


est mise littéralement au rancard. Les conjoints tiennent les bouts
d'un cordon présenté par Hercule, en gloire, que Jupiter enlève
dans le ciel. Ce cordon et les bras du couple forment un carré. Le
soleil et la lune ont été conquis. En bas de la gravure, se voit un
blason de sable au chevron abaissé, accompagné en chef de trois
coquilles et de trois besants, qui serait celui de Jacob Sulat, alias
Saulat des Marez, à qui est attribué le ML.

"La quinzième et dernière planche représente l’apothéose de Saturne,


victorieux de son fils Jupiter qui l’avait détrôné, et gît, inerte, sur le
sol. C’est la solarisation du plus vil des métaux, sa résurrection et sa
glorification dans la lumière. Les deux branches d’églantier du
frontispice sont chargées de baies rouges et de baies blanches
remplies de semences actives dont chacune a le pouvoir de muer en
or ou en argent tous les métaux impurs. De soi-disant mystiques - qui
nient la possibilité de l’œuvre métallique et n’ont trouvé dans les
allégories des philosophes qu’un traité d’ascèse dont ils seraient fort
embarrassés d’expliquer chaque symbole - ces pseudo-mystiques
voient dans cette planche une image de la résurrection de l’homme et
de son retour dans la patrie céleste, et ils s’extasient béatement sur
cette découverte qu’ils ne sont pas loin de considérer comme
géniale." [Hypotypose, Pierre Dujols]

Cette interprétation ne nous convainc pas. Pourquoi Saturne


serait-il vainqueur de de combat hermétique, alors qu'en toute
logique, c'est Jupiter qui doit l'emporter ? Si nous considérons les
régimes planétaires, il est hors de doute que le 1er régime est

109
celui de Mercure, ce qui est conforme aux données de la tradition.
S'ensuit Saturne, puis Jupiter et la Lune. J. van Lennep, quant à
lui, voit dans l'homme couché, non pas Saturne, mais Hercule,
image de l'Artiste épuisé par les Douze travaux qu'il a dû accomplir.
Le cordon et les bras du couple forment un carré où l'on peut voir
soit les Quatre Eléments, soit la Terre. Nous ajouterons
qu'Hercule terrassé symbolise le vaincu et sublimé : la pierre
herculéenne était, en effet, une représentation du mercure chez
les Anciens. La planche 15 montre Hercule portant la tunique de
Nessus. Nous rappellerons la légende du centaure Nessus en
empruntant le texte suivant à Pernety :

Hercule ayant vaincu Achéloüs, n’eut plus de compétiteurs. Il


emmenait Déjanire avec lui, lorsqu’il fut arrêté dans son chemin
par les eaux débordées & impétueuses, d’un fleuve. Ne sachant
comment le traverser, il eut recours au Centaure Nessus, qui
savait les gués, & le pria de passer Déjanire de l’autre côté.
Nessus y consentit, prit Déjanire sur son dos, & la porta à l’autre
rive ; mais en traversant la rivière, la beauté de Déjanire fit
impression sur Nessus, au point de l’engager à vouloir lui faire
violence, dès qu’il eut abordé le rivage. Déjanire se mit à crier,
Hercule l’entendit, & se doutant du dessein de Nessus, il lui
décocha une flèche empoisonnée du venin de l’hydre de Lerne, &
le tua. Nessus en mourant donna sa robe, teinte de son sang, à
Déjanire, qui en fit l’usage que nous verrons dans la suite.
Nous avons déjà parlé de ce Centaure, à l’occasion de Junon
changée en nuée, il naquit d’Ixion & de cette nuée. Son nom
indique ce qu’il était, c’est-à-dire, le mercure au rouge pourpré,
puisque NesoV, veut dire une robe bordée de pourpre ce qui
marque le temps où la couleur rouge commence à se manifester
sur la matière, temps auquel Hercule lui décoche une flèche,
après qu’il a passé le fleuve, c’est-à-dire, après que l’eau
mercurielle ne peut plus se volatiliser, & l’emporter par
l’impétuosité de ces flots. Hercule, dit-on, le tua, parce que la
matière est alors fixe. Il donna sa robe, teinte de son sang, à
Déjanire ; c’est la matière au blanc, signifiée par Déjanire, qui
reçoit la couleur rouge, par l’action du mercure philosophique.
Elle la fit porter à Hercule par Lichas, pour ravoir son amour, car
elle le soupçonnait de l’avoir abandonnée, pour aimer Iolé, fille
d’Euryte. Hercule la vêtit à mais au lieu d’amour, elle lui imprima
de la fureur : il tua Lichas, & fit ce que nous dirons, lorsque nous
parlerons de sa mort. Lichas domestique, porteur de la robe de
Nessus, est le mercure philosophique. Les Philosophes, Trévisan
entre autres (Philosoph. des Métaux.), lui donnent le nom de
serviteur rouge, & Basile Valentin, avec plusieurs autres, le
nomment loup, à cause de sa voracité & de sa propriété
résolutive, ce qui convient très bien à Lychas, qui vient de luw
dissoudre, & de cew fondre, se répandre. On dit que Déjanire
devint jalouse d’Iolé, parce que cette Iolé signifie la couleur de
rouille qui prend la place de la blanche, d’IoV, rouille des métaux,

110
& de lawV, jouir ; c’est pour cela qu’on a suppose qu’elle avait
supplanté Déjanire. On dit Iolé, fille d’Euryte, parce qu’il vient
d’EuroV, nourriture, corruption, & que la rouille vient de la
corruption. Déjanire se tua avec la massue de son amant ;
c’est-à-dire, que la matière volatile, représentée par Déjanire, fut
alors fixée par la partie fixe : Lychas fut changé en rocher par la
même raison.

Fables Égyptiennes et Grecques, tome 2, livre IV, chap. XIX, pp. 451-453

Des points de cette fable s'accordent avec celle d'Atalante et


d'Hippoménès, pour ce qui concerne la lutte du fixe et du volatil
. Nessus, dans cette affaire, joue le rôle de transporteur à
l'instar du saint Christophe ou Offerus [voir tarot alchimique]. Il est
en outre marqué du signe de la corruption ioV ou . Cette
corruption, il la porte jusque dans sa robe, tachée de son sang,
c'est-à-dire du , qu'il donne à Déjanire au moment de mourir.
Dans son explication de cabale, Pernety semble un peu confus :
ce n'est qu'une partie de l'aqua permanens qui ne se volatilise
pas, qui est fixée. Cette partie ressortit bien évidemment du par
accrétion au Sel , l'ensemble formant le lapis naissant - qui est
aussi le Rebis. La différence essentielle réside dans la forme de
la matière : le Rebis dont on connaît plusieurs variétés [airain,
laiton, cuivre, etc.] se présente sous un aspect visqueux [où nous
trouvons l'équivalent de Lychas] tandis que la naissance du lapis est
marquée d'un événement majeur dans le cours du grand oeuvre :
la sursaturation de la solution, précipitant au sens propre du
terme la coagulation de l'aqua permanens; Jung, par analogie,
nomme ce phénomène individuation. Lychas [LicaV] se rapporte
par ailleurs au système mésotonique si l'on veut bien voir que
licanoV indique la note située au-dessus de la mèse [mesh];
c'est aussi la corde de la lyre donnant cette note et que l'on
touche avec l'index: c'est avec cette note clef, s'il en est,
qu'Orphée instaure le charme dans la nature et dompte les
animaux sauvages. En d'autres termes, c'est la clef du sel
harmoniac des Sages. Nous savons - les alchimistes même
envieux ne peuvent taire cela - que le forme le milieu [mesoV]
de l'oeuvre et que son symbole, de fait, pourrait tout aussi bien
être ^ que l'idéogramme habituel. L'accent circonflexe -

circumflexus pour « fléchi autour » - résume à merveille l' a et l'w


du Mercure, comme nous l'avons montré dans l'Aurora
consurgens, II.

111
Notons que dans cette fable, Déjanire ne joue pas tant le rôle de
matière volatile que, plutôt, celui de Sel; nous avons déjà
largement insisté dans nos sections sur l'ambiguité existant entre
le Sel et le Mercure. Sur la massue d'Hercule, voir Atalanta XXV. Il
s'agit de l'arc d'argent d'Apollon qui symbolise la conjonction
radicale du sulphur et du principe salin ou toyson d'or. En somme,
si l'on revient à l'interprétation que donne P. Dujols de la planche
15, si l'on considère les règles de la cabale hermétique, on peut
admettre que c'est bien de la glorification d'un Saturne rénové
qu'il s'agit. Il suffit d'ailleurs de se rappeler du titre d'un des
classiques de l'Art sacré : Huginus a Barma ou le Règne de Saturne
transformé en siècle d'or. Eh bien ! Ne voit-on pas, de la planche de
frontispice à la planche finale, ce processus dynamique de
transformation spirituelle, en quoi consiste l'individuation ? La
transformation de la materia prima consiste, dans la tête de
l'Artiste, à y consommer la projection d'éléments en partie
inconscients de sa psyché. En l'occurrence, la fable d'Hercule et
de Déjanire offre un exemple dramatique où la sublimation se
termine en un feu dévorant qui n'a rien à voir avec celui, mesuré
et prolongé, de la Grande coction. SH ajoute :

« On aura noté que la lune est figurée à droite de l’homme, le soleil à


gauche de la femme : cette apparente discordance symbolique nous rappelle
en fait que l’accomplissement des noces chimiques, du mariage des deux
natures hermétiques opposées suppose toujours une phase où les deux
polarités s’inversent, l’époux devient passif et sa compagne active »

Comme le montre Jung, il n'y a là nulle discordance: l'animus

de la femme trouve sa contre partie dans l'anima de


l'homme . Cette inversion de polarité survient, dans le
processus alchimique, à l'époque de la dissolution : les Soufres
sont dissous et seul le Soufre blanc, c'est-à-dire la salamandre ou
Sel, résiste au pouvoir dissolvant du .

112
paon sortant d'une cornue - Ms. XVIIIe - Dr. C. Rusch,

Nous pouvons tenter de rendre compte de cette apparente


antinomie par l'image. Ainsi, de ce paon qui figure dans le
Psychologie et Alchimie [Jung, trad. Buchet Chastel, 1970]. Le paon,
rappelons-le, apparaît à la planche 3 du ML. Son symbolisme est
lié à la manifestation de l'albedo, lorsque les alchimistes affirment
que leur matière ressemble aux yeux de poissons [voir Aurora
consurgens, II]. Ainsi, la cornue est une représentation du vase de
nature dans lequel le processus évolue; en témoignent l'entrelacs
des idéogrammes où l'on reconnaît le , , et . Notez le
signe z disposé à gauche de la flèche d'Ares qui signale
l'animation du Mercure.

« La corde triple désigne tout d'abord le lien intime unissant la sapientia et


son adepte... elle désigne aussi les trois parties du processus qui unit le
corps, l'âme et l'esprit... de la substance de transformation en un accord
impérissable... Ce composé est le résultat de l'opus, le filius philosophorum
ou lapis, comparable eun sens au corpus mysticum de l'Eglise. » [Jung,
Psychologie et alchimie, § 478]

La sapientia, il faut le rappeler expressément, désigne l'arcane


secret du Mercurius . Nous l'avons dit, la corde triple dessine un
quadratum qui est l'image du lapis. Quant au filius
philosophorum, allégorisé dans les traits de l'Hercule porté en
gloire, on le retrouve - selon Jung [voir Psychologie du Transfert,
chap. 10, la Nouvelle naissance] - dans la figure 11 du Ros. Phil.

113
Chose étrange ! La fig. 11 choisie par Jung ne correspond pas à
la nouvelle naissance, c'est-à-dire au lapis, mais à celle du Rebis.
Il est tout à fait notable que Jung ait choisi non pas tant la figure
de la renaissance [voir Psychologie du Transfert, p. 178] comme
symbole de l'individuation que celle de la transformation. On
trouve dans l'Âme et le Soi, Renaissance et individuation [trad. Albin
Michel, 1990] le chapitre À propos de la renaissance [extrait du T. XI 1,
pp. 125-162, Gesammelte Werke, 1976] avec un exposé sur les
formes possibles de la « renaissance ». Jung distingue cinq
formes possibles : la métempsychose, la réincarnation, la
résurrection, la renaissance (renovatio) et la transformation. Il
nous paraît assez évident que les deux premiers types de
renaissance renvoient au transfert [métempsychose] et à la
projection [réincarnation] dans un sens d'ailleurs assez
superposable à celui que leur donnent les alchimistes. Le
transfert [voir Aurora consurgens, II] est lié - selon notre lecture des
textes - à ; la métempsychose est indissociable d'un concept
que les Occidentaux ont des difficultés - en bons cartésiens qu'ils
sont souvent - : le karma. Il n'entre nullement dans nos vues de
nous livrer ici à une exégèse du samsara. Néanmoins,
l'étymologie nous indique que ce terme sanscrit [dérivé de Sam-S R
: couler avec] est lié à l'image occidentale du Mercurius et au flux
de ce que l'on appelle la « roue du karma », là où les alchimistes
évoquent la cohobation [Fulcanelli l'associe à un bas-relief du portail
central de Notre-Dame, représentant l'Orgueil, voir Gobineau]. Une
autre représentation vient d'instinct à l'esprit : celle de la roue où
Ixion est enchaîné. La symbolique est superposable car elle
véhicule des mythologèmes saturniens en rapport avec le temps
[voir Mynsicht, Aureum Seculum redivivum et aussi 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8,
9, 10,]. Ixion est tenu en résidence aux Enfers où le vent fait
tourner sa roue pour l'éternité. On rattache l'ensemble de son
mythe au ; sa carrière fait voir des opérations conflictuelles : il
assassine son beau-père puis, libéré par Zeus, tente de séduire
Héra [pseudo Héra d'ailleurs puisque Néphélé en avait pris la forme].

114
fig. 21 du Ros. Phil.

Il semble qu'Ixion soit le symbole de l'entité psychique se perdant


dans le dédale de l'espace intercepté entre la circonférence et
le point solaire; entité dont le sulphur représente l'hiéroglyphe
probable. C'est un spiritus qui finit mal, qui n'a pas trouvé le
chemin du ciel firmamental de Philalèthe [l'eau étoilée et métallique
est la quinta essentia au sens d'eau germinative, voir Mylius,
Philosophia Reformata]. Ajoutons que c'est Hermès qui reçut
mission d'appliquer à l'ingrat Ixion le châtiment : il le lia au moyen
de serpents à la roue qui tourne sans relâche au fond du Tartare.
Voyons à présent la deuxième forem possible de renaissance : la
réincarnation. Elle correspond manifestement à une projection [en
effet, la métempsychose ou transmigration, correspond à une conception
cyclique où nous voyons l'action saturnienne] où se trouve engagé
[voir là encore Aurora consurgens, II]. On voit que ces deux
premières formes de renaissance sont liées et que leur
formulation est primitive - au sens d'élémentaire. Mais il faut noter
le progrès réalisé entre les deux, dans la mesure où la
réincarnation envisage un temps davantage linéaire : il y a une
schizogénie réalisée par l'incarnation de l'âme dans le corps mais
elle ne constitue pas un événement singulier [il y a transfert de
conscience où un être, parfaitement éveillé, peut revenir sur Terre en
échappant au cycle du Samsara ou se fondre dans le Nirvana]. Il y
manque un facteur qui n'apparaît qu'avec la troisième forme de
renaissance : la résurrection.

« Ici vient s'ajouter une autre nuance : celle de transformation, de la


transmutation de l'être... À un niveau supérieur, ce processus est une
élévation du corpus glorificationis, du subtle body, à l'état d'incorruptibilité. »

115
[Jung, l'Âme et le Soi, À propos de la renaissance, §203, op. cit.]

On pourrait penser que la différence est mince entre réincarnation


et résurrection; tel n'est pas le cas puisqu'ici, on envisage que la
réincarnation s'effectue in proprio corpore. La césure est donc nette
d'avec la structure cyclique correspondant à la dialectique
métempsychose - réincarnation. La flèche temporelle est sensée
mais l'état de corps glorieux échappe totalement au principe de
raison. En alchimie, cet état correspond au sulphur dépuré,
prêt à être réincrudé dans un corps rénové [voir Mundificatio in
Ros. Phil.] Le quatrième type est la renaissance (renovatio) qui
correspond à un renouvellement - dans le sens d'un
enrichissement - de la psyché où participent des facteurs de
renforcement, d'amélioration ou de guérison; ici, le mot de
transmutation peut être prononcé dans le sens de projection
radicale. Nous n'en sommes plus, là, au stade du lapis, mais de la
projection de poudre philosophale, assurant la guérison des corps
et l'évolution des métaux en argent (argyropée) ou en or
(chrysopée). Il faut toutefois comprendre que cette renovatio -
stricto sensu - met en branle un processus de projection
extérieure [la projection dont nous avons parlé jusqu'alors étant localisée
dans le vase de nature de l'alchimiste; nous avons d'ailleurs attiré à
plusieurs reprises l'attention sur la méprise des auteurs quant au sens du
mot élixir, a fortiori de celui de projection]. Or, la projection extérieure a
nom : mythes, oeuvres artistiques, etc., bref de tout ce qui
ressortit de la part imaginaire de la psyché, c'est-à-dire de notre
ombre [voir un essai sur le chef d'orchestre Sergiu Celibidache
là-dessus]. La renaissance paraît indissociable de la cure, du
traitement et l'on ne saurait en trouver meilleur équivalent
alchimique que le rajeunissement subi par le roi dans la fons
mercurialis. Là encore, la renovatio procède de la réincrudation et
constitue une forme plus évoluée de résurrection au sens où elle
peut être étudiée par les psychologues et les psychiatres [voir tout
particulièrement Jung, la Vie symbolique et les Essais sur la
symbolique de l'Esprit, 1er et 3ème volets d'une trilogie sur les rapports
entre la psychologie analytique et le Christianisme; l'Âme et le Soi -
2ème volet - constituent une sorte de point d'orgue dans cette trilogie].
Le cinquième élément de la renaissance est constitué par la
transformation rituelle telle qu'elle s'opère dans la messe [mystère
de la transsubstantiation] ou les mystères d'Eleusis [illusion de
l'immortalité] comme Jung le rapporte :

« En vérité, c'est un beau mystère que les dieux bienheureux proclament !


Pour les mortels, la mort n'est pas une malédiction, mais une bénédiction ! »
[l'Âme et le Soi, note 2, À propos de la renaissance, épitaphe d'Eleusis]

C'est à peu près en ces termes que s'exprimait Cyliani :

« J'aperçus un effroyable dragon qui avait un énorme dard à trois pointes


qui cherchait à me lancer son haleine mortelle. Je m'élançai sur lui en criant:
"Lorsqu'on a tout perdu, que l'on a plus d'espoir - La vie est un opprobre et la
mort un devoir". » [Hermès Dévoilé, ca. 1831]

116
fig. 11 du Ros. Phil.

En bref, il apparaît logique qu'en lieu et place de la fig. 21 du Ros.


Phil., Jung ait proposé la fig. 11 en ce qu'elle illustre parfaitement
bien la 4ème forme de la renaissance, qui est la rénovation ou
transformation intérieure, dont le but est l'individuation.

planche finale

117
"Mais si nous redevenons pur esprit, c’est donc que notre corps en
renfermait l’essence sous sa forme grossière et, dans ces conditions
on ne saurait refuser aux métaux les mêmes propriétés. L’esprit ou le
feu est partout si froid en apparence, dans les métaux qu’on
transforme en fulminates inflammables et détonants au moindre
choc. Or, la transmutation est un phénomène qui fait passer l’espèce,
du plan inférieur au plan supérieur, au moyen d’un agent spirituel,
véritable semence nommée poudre de projection. Ce produit
merveilleux s’obtient par la mort et la putréfaction réelle d’une
substance métallique, laquelle, transfigurée, à la propriété de modifier
à son tour les êtres de sa nature. Ceux-ci, sous son action, subissent
de même une mort et une résurrection promptes, qui les élèvent à
leur plus haut degré de dignité. Les Hermétistes comparent cette
transformation à celle du blé. [voir Chevreul et l'alchimie : 1, 2, 3, 4]
Le grain se corrompt dans la terre, assimile les éléments grossiers du
sol et, par le travail d’une longue digestion, les mue en pur romet
dans le rapport de cent pour un. Cette digestion est plus ou moins
activée par l’ambiance. Dans certains climats, la moisson a lieu trois
mois après les semailles, et sous le tropique, la végétation a quelque
chose de presque instantanée. Il est donc tout à fait rationnel qu’un
ferment doué d’une grande puissance et projeté dans les corps
soumis à une température élevée, puisse les faire évoluer avec une
rapidité qui tient du prodige.

L’évolution est la loi de la vie : le minéral devient végétal et le végétal


animal, par voie d’intrussusception; mais ce transit est subordonné à
la médiation [terme repris de la Table d'Emeraude bien traduite.
Rappelons que de nombreux textes font circuler la Tabula
Smaragdina avec le mot « méditation » au lieu du mot «
médiation », ce qui fausse le sens. Hortulain a rédigé son
Commentaire sur la mauvaise traduction, de même qu'Eugène
Chevreul. En revanche, Fulcanelli et Ferdinand Hoefer donnent
la bonne traduction; notons que les versions traduites outre
Manche donnent aussi une version exacte] d’un agent extérieur,
plante ou bétail. Si donc les métaux sont admis de la sorte à passer
d’un règne dans l’autre, avec l’aide d’un élément approprié, il est plus
logique encore qu’un certain or parfait et quintessencié, ramené à son
état radical et spermatique, ait la vertu d’exalter et de convertir en
lui-même ses homogènes. N’est-ce pas ainsi que le germe humain,
en gestation, assume et transforme la substance des être d’une
origine moins noble ? La nutrition est une métamorphose continue.
De même que, dans les trois règnes, tout converge vers l’homme,
dans les minéraux, tous aboutissent à l’or. Mais il n’en faut point
déduire que la nature, à la longue, fasse de l’or avec du plomb. Elle a
besoin, pour cet effet, du secours de l’art, c’est-à-dire du ferment
magique qui en opère la transmutation.

L’or est appelé le soleil, car en grec, aur est la lumière [aurion :
demain, vers le matin, c'est-à-dire du côté de l'Orient] ; il est le
ciel des métaux, la spiritualisation de l’espèce [aura : souffle
d'air]. Les métaux deviennent donc or comme, à certains égard, notre
corps devient esprit par le travail de la fermentation posthume.[les
métaux sont transformés en chaux ] La putréfaction,
nauséabonde et hideuse, est pourtant la prestigieuse fée qui opère
tous les miracles du monde. C’est une grossière erreur de croire que,
chez l’homme, l’âme abandonne le corps avec le dernier souffle. Elle
est elle-même entièrement chair, car la matière est une modalité de

118
l’esprit à différents états sous la dépendance d’une étincelle majeure
et plus subtile, qui est le Dieu de chaque organisme et si la Science
nie la réalité de l’esprit parce qu’elle n’en a jamais trouvé trace, elle
déshonore son nom. [Jung n'a pas dit autre chose, en substance]
Un cadavre, rigide et glacé, n’est nullement mort au sens absolu. Une
vie intense, mais inconsciente heureusement et sans réflexes
sensibles, continue dans la tombe, et c’est de cet horrible et plus ou
moins long combat - qui est le Purgatoire des Religions - que la
matière, distillée, sublimée, transmuée et vaporisée par l’action du
Soleil, s’élance dans le plan amorphe, qui a ses degrés depuis l’air
jusqu’à la lumière élémentaire et de celle-ci au feu principe où tout
finit par se résoudre et d’où tout émane à nouveau.

Nous croyons avoir accompli notre tâche avec toute la probité


requise, et fait luire quelques clartés nouvelles dans un domaine
obscur. Au disciple, maintenant, de parachever l’Œuvre. Quant à
ceux qui prétendent acquérir la Sagesse sans mérite et seulement de
quelque obole vile et méprisable, nous leur disons, comme le saint
Jérôme de la légende au riche et désœuvré Cratus: " La Philosophie
ne vous est pas idoine ".

Pour vous, fils de science, souvenez-vous du signe éloquent que


vous adressent les figures terminales de la quatorzième planche, et
de la glose qui clôt le Mutus Liber: Si vous avez compris, travaillez
dans le silence et fermez quelque temps encore la bouche sur le
Mystère."
[Hypotypose, Pierre Dujols]

La fin de l'Hypotypose de Pierre Dujols ne reprend pas, bien sûr,


la dernière planche de texte du ML, mais représente une
Récapitulation de l'oeuvre. Nous ne commenterons pas ces lignes
qui s'apparentent davantage à la pure cabale qu'à son application
à l'alchimie « opératique ».

IV. Epilogue

On l'a vu, l'auteur du ML s'est caché derrière le pseudonyme


d'Altus qui ne serait que l'anagramme de Saulat ou mieux de
Soulat. Et le nom de guerre de notre Altus serait donc Soulat des
Maretz. Voilà qui ne nous avance guère. Si nous reprenons la
Lettre d'un Philosophe de Limojon de saint Didier, ainsi que notre
analyse spécifique de la planche 4 du ML, nous sommes parvenus
à ce passage où nous discutons du sel, évoqué ostensiblement
par Altus :

Dans cette optique, nous sommes en droit si l'on rapporte la rosée


au sens particulier que lui ont attribué les alchimistes, de
reconnaître à notre menstrue des qualités que ne lui ont jamais
connues ou reconnues les universités. Quel est l'usage réservé
que l'Artiste fait de la rosée ? Nous l'avons dit, elle le sert comme
dissolvant des métaux et des minéraux. On doit recueillir - voir la
planche 4 du ML - ce fruit non encore mûr alors que le -
comprenez la dont n'est pour ainsi dire que le miroir - tient
le milieu entre et . Il s'agit donc d'un sel et il faut se garder

119
de prendre cette matière saline pour le SEL des Sages dont
l'hiéroglyphe, rappelons-le, est . Ce sel Nitre, curieusement, est
apparu à La Rochelle, presque en même temps qu'était édité le
ML : E. Canseliet l'appelle sel isotope de l'arcanum duplicatum : il
a été découvert par Seignette, apothicaire, vers 1672 [l'édition
originale du ML date de 1677].

Né à La Rochelle, le 4 décembre 1660, Pierre Seignette est mort


dans la même ville le 11 mars 1719. Il était pharmacien dans sa
ville natale, mais en 1686 il se convertit au catholicisme et, pour
prit de son abjuration, fut admis au Collège des médecins de La
Rochelle. II n'est connu que par la découverte du tartrate de
potasse et de soude, découverte tout accidentelle, qu'il fit vers
1672. Il exploita longtemps, sous le nom de sel polychreste, ce
composé dont il tint la préparation secrète; depuis lors le tartrate
de potasse et de soudee est connu en chimie et en médecine
sous le nom de sel de Seignette. On a de Seignette plusieurs
brochures, où il exalte les propriétés merveilleuses de son arcane
:

I. Ies principales utilités et l'usage le plus familier du véritable sel


polychreste. La Rochelle, 16..., in-4". — II. La nature, les effets et les usages
du sel alcali nitreux de Seignette..., in-4°. — III. Le faux sel polychreste, les
utilités de la poudre polychreste, etc. La Rochelle, 1675, in-8°

[L. Hv. Extrait du Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales.


Troisième série. Tome huitième, Scl-Sep, M. A. Dechambre, Paris, G.
Masson, P. Asselin, 1880]

Le tartrate double de potasse et de soude est un sel congénère


du tartre vitriolé. Un rapport de Boulduc, datant de 1731, qui
examinait la nature de ce sel dont l'analyse s'était jusqu'alors
dérobée aux regards des chymistes, permet de préparer cette
susbtance. Nous avions alors ajouté :

Peut-on, en vérité, penser qu'il y ait quelque liaison entre Pierre


Seignette et l'édition du ML ? Rien ne le fait supposer ni dans la
littérature spécialisée, ni dans les supputations des historiens de
l'Art sacré. Toutefois, il est impossible de ne pas remarquer que
trois planches, au moins, du ML, se rapportent expressément à la
préparation d'un sel : il s'agit des planches 5, 6 et 7. Nous en
avons discuté dans l'introduction à l'étude du ML et prions donc le
lecteur de s'y reporter.

Et à présent ? Eh bien ! Pierre Seignette peut avoir quelque rapport


avec Soulat des Maretz. Voici pourquoi. Seignette a pour origine
sagne, seigne et saigne : le mot sagne est encore utilisé comme
nom commun pour désigner une zone marécageuse ou humide où
ne poussent que des herbes de marais que l'on utilisait autrefois
pour faire de la litière, [du gaulois sagna, terre marécageuse]. Il s'agit
là de toponymes jurassiens [voir
http://home.worldcom.ch/pdelacre/toponymie_jurassienne.html]. Voyons à

120
présent Soulat. On peut y voir le latin Sol ou soleil ou le latin
solus, seul [en grec ion proche de ioV, rouille]. Quant au mot Maretz,
il vient en droite ligne de Maret ou marais.
Ainsi, par cabale, peut-on voir en Soulat des Maretz l'anagramme
spirituel du Soleil du marais, de la fange ou de la boue. Ce qui
nous renvoie à la figure d'Adamas sortant de la boue dans la
planche VIII du Splendor Solis [voir Ripley Scrowle pour une étude sur
l'Adam primordial et l'Adam kadmon]. Ce n'est pas tout : en grec,
marais se dit eloV tandis que s'épelle hlioV. On mesure le
poids de cabale qu'Altus a insufflé à son pseudo patronyme. Il y a
plus : en latin, marais se dit stagnum, qui n'est point éloigné de
stannum [plomb argentifère ou ] que l'on peut rapprocher de

stagwn [liquide coulant goutte à goutte ou eau de mer]. Voilà qui nous
ramène à la planche I où l'on a déjà parlé de cette mer étale,
encalminée qui contient en son sein le natron dont l'Artiste a
besoin pour son . Il existe une autre piste sur l'origine d'Altus :
Ferguson [Bibliotheca Chemica, II] écrit que :

« L'auteur anonyme, dit Arcere dans son Histoire de la ville de la


Rochelle, 1757, in-4, t. 2, p. 384, pourrait être Jacob SAULAT, sieur DES
MAREZ, lequel demanda un privilége pour ce manuscrit. Je crois que le vrai
auteur est TOLLÉ médecin de la Rochelle, grand chimiste ; le nom emprunté
Altus le désigne assez. Quérard (Les Supercheries Littéraires Dévoilées,
1869, i. 282d) enters this book under Altus and agrees with Barbier in
ascribing it to Tollé. Brunet (i. 203) also enters it under Altus, but prefers
ascribing it to Saulat. May Altus not be meant for a kind or anagram of Saulat

Tollé, « grand médecin de La Rochelle. » Ce nom rappelle aux


Amoureux de science celui de Jacques Toll [voir le Chemin du Ciel
Chymique] ou Jacobus Tollius mais il s'agit là d'une fausse piste
puisque Tollius, s'il voyagea beaucoup, ne s'arrêta pas à La
Rochelle. En revanche, on a peine à croire que Tollé ne
connaissait pas Pierre Seignette... Récemment, on a pourtant
risqué l'hypothèse suivante :

Mutus Liber

Das „stumme Buch“ ist ein alchemistisches Werk, das von einem
gewissen Altus verfasst wurde und mit dem Holländer Jacobus
Tollius oder dem Franzosen Joseph du Chesne (Duchêne) identifiziert
wird. Die Estausgabe erschien im Jahre 1677 unter dem Titel Mutus
liber in quo tamen tota Philosophia hermetica figuris hieroglyphicis
depingitur ... solisque filiis artis dedicatus, authore cuius nomen et
Altus. Das Werk besteht ausschließlich aus Darstellungen, die die
Herstellung des Steines der Weisen angeben.

http://www.ringbote.de/rollenspiele/spielhilfen/vermischtes/alchemie/alchemie_schriften.html

mais il semble bien s'agir là d'une confusion entre le médecin


rochelais Tollé et Tollius. Quant à Joseph du Chesne, alias
Quercetanus, il n'a jamais, à notre connaissance été pressenti

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comme l'auteur supposé - le commanditaire - du ML.

Bibliographie sommaire

1. Mutus Liber, La Rochelle, 1677, (Ferguson I, 29-30)


2. L'alchimie et son livre muet, Paris, 1967
3. Bibliotheca chemica curiosa, Genève, 1702
4. Histoire de la ville de La Rochelle et du pays d'Aulnis, La Rochelle,
1757
5. Commentaires sur le Mutus Liber, S. Hutin, Maizières-lez-Metz,
1966

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