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Conte littéraire.

Comment Robert Pioche, le 14 octobre 1690,


mourut en se baignant au grand baignoir.
Par Jean-Pierre Fleury.

1960 fut, ignorants que vous êtes, l’année non de naissance, mais de renaissance de
Robert Pioche, sous le nom totémique d’Olivier Mathieu, de lignage féminin, et il fut
intronisé Robert Pioche seulement cinq ans plus tard par l’action inspirée de l’Esprit Saint des
Enfers païens. Robert Pioche se retrouva dos à dos et tête-bêche avec son double, qui crut
bon de mourir cinq jours après sa naissance. Né Phénix, il renaît périodiquement de ses
cendres. La mort de Robert Pioche remontait au 14 octobre 1690, et nous vous l’allons
raconter.
En l’année 1690 d’ancien régime, donc, sous la férule d’un vieux roi absolu, amoureux des
bourgeois, ennemi des aristocrates, virant presque janséniste grâce à la complicité de la petite-
fille du redoutable bateleur et militant huguenot barbu Agrippa d’Aubigné – je désigne ainsi
le Roi Soleil – notre Phœnix ne subit pas l’outrage du bûcher comme notre licencieux et athée
Claude Le Petit en 1662, ou en 1680 comme la Voisin, l’ensorceleuse du beau monde dont
Madame de Sévigné dira : « Il faut que je vous reprenne l’âme damnée de la Voisin : on
assure, au contraire, que son confesseur a dit qu’elle avait prononcé Jésus, Maria, dans le
milieu du feu : c’est peut-être une sainte. Voyez comme je suis scrupuleuse à vous ôter les
fausses nouvelles1 ». Non, ce dernier était mort du supplice de l’eau volontaire, accidentel ou
criminel.
En 1690, les autorités de l’Eure et Loir procédèrent à une enquête sur la mort de
Robert Pioche, noyé en se baignant au Grand-Baignoir, près l’enclos des Pères Capucins 2.
D’où il sera d’ores et déjà attesté que vers la fin du XVIIe siècle, existait en notre langue le
mot « baignoir » au masculin, et que ce mot désignait ce qu’en ma région gallaise (haute-
bretonne) les anciens désignaient sous le nom de « baille », « baigne » ou « bouille ». Lorsque
j’étais enfant, je plongeais dans l’eau saumâtre et noire de vase de l’embouchure de la Loire.
Je disais alors que j’allais à la baille, ou à la baigne. En contrée angevine voisine, on y dit
longtemps « boére » ou « boire » pour désigner les excavations rondes qui se trouvent dans le
lit de la Loire. Ce qu’on appelle dans les Landes des baïnes. Une baïne est une baignoire
naturelle en mer, creusée à marée haute par la houle et invisible. Il s’y déverse le trop plein
d’eau de l’océan. À marée descendante, les baïnes forment des goulets par lesquels se
déverse ce trop plein qui entraîne alors, sous les vagues incessantes d’un fort courant, les
baigneurs intrépides ou ignorants vers le large et la noyade assurée.
Qui sait si Robert Pioche ne tomba point en quelque traquenard sournois, sombre guet-
apens féminin ? Car il en arrivait de belles, en ces lieux proches des enclos des Pères
Capucins, sous cette fin de règne de Louis le Quatorzième et lors de la Régence.
Indépendamment de la noyade de Robert Pioche, une série d’autres noyades : la mort de Jean
Rougeault, noyé au trou Madeleine, à Chartres ; la reconnaissance du corps d’André
Couasnon, procureur, noyé dans la rivière d’Eure, près les Capucins ; la mort de Jacques
Chauveau, trouvé dans la rivière, au lieu appelé les Voiries, des prés communaux de Saint-
Martin-au-Val ; la reconnaissance du corps de Michel Rousseau, noyé près les Capucins ; la
1
Lettre à Madame et Monsieur de Grignan, Mercredi des Cendres, 1780.
2
Cf. Inventaire-sommaire des Archives départementales antérieures à 1790, rédigé par
M. L. Merlet, archiviste, chevalier de la légion d’honneur. Eure-et-Loir. Archives Civiles –
séries A à D – tome premier – Chartres, Garnier, imprimeur de la préfecture, rue du
Grand-Cerf, 11 – 1867.
mort de Léonard Gougis, trouvé dans le puits de Vauparfonds, paroisse de Luisant ; la
reconnaissance du cadavre de Pierre Horeau, noyé entre la vallée de Launay et l’enclos des
Capucins. Et puis quelques méfaits, liés aux vignes et au vin : un vol de vin à Luisant ; la
plainte de Jacques Dollu contre plusieurs individus qui dévastent ses vignes, à Luisant ; un vol
de vin dans le clos de Miles Noël, à Luisant. Des délits de pêche interdite : enquête contre
certains quidams qui pêchent dans la rivière de Saint-Martin-au-Val depuis le pont de Saint
Martin jusqu’à Monplaisir ; plainte contre les Capucins de Chartres qui pêchent avec sennes
et trémaux dans la rivière de Saint-Martin-au-Val. Un mauvais entretien de canaux
d’écoulement : ordonnance pour le curage des fossés qui longent la rue du Bas-Luisant ;
requête pour le même curage depuis la fontaine du Bas-Luisant jusqu’au pont de Saint-
Martin-au-Val. Demande en séparation de corps et de biens de Madeleine Lebeau contre
Nicolas Lemaire, sieur de Volailles, son mari, pour débauches et mauvais traitements ;
enquête sur la mort d’un homme mangé par les loups devant la maison du Carillon, en la
vallée de Luisant ; état des dégâts causés dans les bois de Luisant par une tempête survenue le
jour de la Chandeleur ; sentence condamnant Julien Cordier a être pendu par effigie, pour
avoir tué d’un coup de pierre Michel Horeau, curé de Saint-Brice-lès-Chartres ; épitaphe dudit
Horeau placée sur le côté du mur de l’église de Saint-Brice, vis-à-vis le chemin des Trois-
Ponts. Plainte de Marie Desvaux contre Mathurin Desvaux, son frère, qui a ravagé sa vigne,
près la fontaine du Vivier, à Luisant.
Tout semble simple, et l’écheveau aisé à dénouer. Imaginez, en ces temps de
superstitions, la force des anges du mal et des démons fourbes. Et des êtres jouant double jeu.
Dans un secteur circonscrit à l’enclos des Capucins, drainé par la rivière de Saint Martin au
Val, la paroisse de ce nom et celle de Luisant : noyades, actes violents, actes liés à l’eau et
aux fosses. Folies Succubes ou les Bacchanales des Capucins. Hommes noyés, parce qu’ils
ont subi le maléfice de quelques succubes angéliques. Ils ont dû se promener en des lieux de
messes noires, être témoins de faits qui les dépassaient. Ainsi le plus connu de la bande,
Robert Pioche. Je vois, en des nuits de lunes hululantes, d’été surchauffé, d’hiver plus glacé
que la rivière de Saint Martin, des hommes rentrant seuls et plus tard que raison en leur foyer,
croisant quelque fée des bois, quelque naïade trop belle pour être vraie sur l’accotement des
cours d’eau. Que font-elles là, attendant le premier mâle qui passe ? Elles sortent tout juste
rassasiées d’un festin royal donné par les moines capucins en leur abbaye. Festin discret, fait
de poissons pêchés en la rivière, de vins, de raisins volés aux paysans et de sang. Leur sang à
elles, offert en autodafé vampirique. Festin orgiaque où des diablesses font oublier la
monotonie des messes basses, du jardinage et des enluminures. Où les Capucins en perdent
leur capuce et leur prépuce, de trop rassasier les belles. « Dansons la capucine, y a pas de
pain chez nous, y en a chez la voisine… ». Et cette voisine est moins Marie la mère du
Galiléen que quelque vierge insatiable et évanescente du Diable, à l’hymen toujours
renouvelé, qui vient tenter chaque nuit les religieux bons bougres, dont tous n’ont pas choisi
la tonsure de gaîté de cœur. Mais l’Église peut nourrir son homme et le faire rêver loin du
moulin banal de la vie. Cette vierge, les vierges multiples du Diable sont des succubes
sophistiquées qui disparaissent au petit matin, toujours en longeant la rivière de Saint Martin
au val profond. Il leur est difficile de rentrer au bercail et elles n’aiment pas être surprises près
de leur nid d’amour assuré. Aussi le témoin gênant est-il séduit par une naïade, l’un de leurs
nombreux avatars, lorsque la brume chaude ou le brouillard lourd enrubannent, en nuitée, le
val de Saint Martin humide. Quel homme ne succomberait-il pas devant la naïade, après une
journée de labeur et une soirée à l’auberge du village ? Nombreux y succombèrent. Au point
de confondre le fantôme des succubes aux yeux de braise avec la nappe aquatique des eaux
sans murmure. Combien ne se noyèrent-ils pas sans en prendre conscience, en croyant
étreindre la plus jolie des femmes ? Combien ne prirent pas même conscience de tomber dans
les flots après avoir presque conquis, des yeux, de la voix, du cœur, la belle ; et marché sur
l’eau quelques pas des dieux ?
C’est ce qui arriva, le 14 octobre, pour Robert Pioche. Il rentrait de la taverne où il
avait mangé et bu les quelques sous de la journée, glanés sur le parvis de l’église paroissiale ;
une journée passée à déclamer des vers étranges où se mêlait la Beauté des femmes et la
recherche de la Vérité du Soleil. Il rentrait en sa demeure cruelle, une hutte de branchages au
fond du bois de Luisant, tout près d’une autre hutte, celle d’un vieux charbonnier presque
aveugle. Il avait été clerc d’église autrefois, un compilateur de sermons. Aujourd’hui Robert
Pioche n’était plus qu’un ascète des bois, un insecte au milieu de la nature. Aussi lorsqu’il
aperçut, à la Lune, cette forme étrange survolant la rivière, qui était plus belle que la plus
belle statue de Marie ou des anges et des gargouilles de l’église du village, il resta interdit.
L’apparition plus que vivante, aguichante, affriolante, plus immaculée de peau transparente
que la plus fine des pelures d’un parchemin d’argent, lui fit perdre les sangs et c’est avec
contentement et béatitude qu’il chercha à rejoindre la belle, et qu’il s’enfonça pas à pas dans
l’onde pourtant fraîche où bientôt ne surnagea plus que sa tête. Cette brume de femme divine
l’entraînait plus avant vers le centre de la rivière, là où le courant gagne toujours sur l’homme,
même les meilleurs nageurs. Et c’est sans rancœur, sans amertume qu’il se livra aux eaux de
la vie et disparut tout entier dans le cours d’eau de Saint Martin, saint Martin le partageux,
celui qui d’un seul coup de son épée coupa son manteau en deux pour revêtir un pauvre. Sans
un regret et sans un cri. Et le lendemain son corps, à peine balloté par des vaguelettes sans
écume, flottait sur les eaux en rive, en bordure de la rivière, coincé entre des touffes d’herbes
et un tronc de saule, dont les branches pleuraient sa mort. Il avait rejoint les Enfers sacrés de
ses croyances. Celles des dieux d’avant l’Orient, celles des celtes perdues dans les paroles
des druides, éteintes depuis si longtemps. Alors, on le repêcha. On s’étonna de sa mort à la
Lune. Avait-il voulu se rafraîchir, par cette nuit d’été si chaude ? Avait-t-il rencontré quelque
mauvais diable ? Avait-il chuté dans l’eau par mégarde, juste là où, la veille encore, une
kyrielle de bambin nus s’éclaboussaient de joie de vivre et de plaisir à étancher leur corps ?

Pourquoi Robert s’est-il noyé


En se baignant au Grand-Baignoir ?
Seul Méphisto pourrait le dire,
Ou la succube aux cheveux d’or.
Près de l’enclos des Capucins,
Pioche qui veut et meurt qui peut !

On le disait bon nageur, Robert Pioche. Son visage montrait un calme atlantique,
comme s’il n’avait pas du tout résisté à l’élément liquide, comme s’il l’avait recherché, désiré.
L’enquête conclut à un accident. Tout le monde ne peut pas percevoir les succubes en retour
de ribaude. Il faut être poète pour cela, ou désigné par le Diable en personne. Et nos braves
gens d’arme et autres villageois n’étaient pas poètes pour deux sous. Et puis, il fallut
l’enterrer. On lui rendit quelques honneurs. Honneurs des humbles. Le curé rechignait à
l’accueillir. Robert Pioche n’était pas un bon chrétien. Certains dirent : mais quel mal a-t-il
fait ? Oui, il nous a volés quelques grains de raisin, quelques épis de blé, quelques pommes,
mais il nous a préservés du Diable en son repère d’ermite ! Et le prêtre dut s’incliner, non sans
rechigner. Alors Robert, le corps inerte de Robert Pioche fut enterré dans un coin du cimetière
paroissial. On le dispensa d’une croix. Car il était pauvre. Mais à quelques jours de là, alors
que l’on finissait de dresser procès-verbal de sa mort accidentelle, le miracle s’accomplit.
Toute trace de sa fosse disparut de la surface de la terre retournée par le fossoyeur. Le gazon
était vierge de tout signe, de tout remuement. Personne au village ne s’en étonna. Comment
s’étonner, lorsque le mort avait vécu comme un ermite et déclamait des phrases un peu folles,
souvent trop belles à comprendre ? Seul le curé du village s’étonna, regrettant d’avoir
accueilli dans son église un tel mécréant. Que dirait Dieu quand il pèsera sa vie de prêtre ?
N’y avait-il pas sacrilège ?
Bois de Luisant, nom prédestiné pour qui adorait plus le Soleil que le Dieu des
chrétiens. La hutte de branchage disparut bientôt. C’est la nature elle-même qui se chargea
d’effacer toute trace de Robert Pioche. Le vieux charbonnier était mort depuis longtemps, lui
aussi. Et c’est pourquoi un midi de Chandeleur d’une année incertaine, mais dont quelques
anciens doivent savoir, doivent encore connaître la date, une tempête, une tornade très vive et
très brève plutôt renversa des chênes centenaires et envoya au diable les branchages de l’abri
incertain de Robert, gagné aux ronces et aux orties. Toute trace de son existence s’effaça
avec eux. Et les vieux du village dirent qu’il y avait là quelque trait merveilleux, quelque
mystère où Dieu lui-même n’était pas mêlé, en cet acte de la nature survenant juste ce jour
consacré à la renaissance de la Terre.
Bientôt, on retrouva le curé d’un village de la contrée, mort au fond de son jardin.
Mort d’une blessure à la tempe qui résonnait quelquefois lorsqu’il repensait à Robert le diable
du Luisant, l’ami du charbonnier noir. Car l’histoire de l’ermite avait fait tout le tour de la
contrée. Et ce curé s’était signalé pour son antipathie vis-à-vis de l’humble poète, dite et
réitérée en chaire. Il en faisait l’exemple à ne pas suivre. Il fut aisé de connaître le coupable, il
était jeune, il avait nom Julien Cordier et, par un hasard curieux, c’était aussi sa profession, si
bien que c’est lui qui fournissait en corde de chanvre les exécuteurs des hautes œuvres. Il
avait fui comme un dératé à l’arrivée de la bonne, je devrais dire la concubine du vieux prêtre.
Péché que Dieu ne pardonnera peut-être pas. Julien, jamais on ne le retrouva. Alors on
instruisit son procès. Puis son procès eut lieu en son absence. Il valait mieux pour lui. Et
Julien Cordier fut condamné a être pendu par effigie. Et l’épitaphe du prêtre Michel Horeau
fut gravée dans la pierre sur le côté du mur de l’église de Saint-Brice, vis-à-vis le chemin des
Trois-Ponts. Mais pour quelle raison Julien Cordier avait-il lapidé, d’un coup d’un bon, le
vieux prêtre en son jardin ? On supputa à l’évêché, du moins le prêtre exorciste le suggéra,
que Cordier et le Diable étaient liés par un pacte secret ; et que c’était pour venger la mémoire
de Robert qu’il avait envoyé cette pierre à la tête du prêtre.
Reste encore à comprendre quelques faits. Tout d’abord, cet acharnement des autorités
à vouloir curer les fossés de Luisant et de Saint Martin. Cela faisait suite à un libelle qu’on
disait véhiculé par des vendeurs d’almanachs ambulants. Ce libelle, évidemment anonyme,
mettait au pinacle Robert Pioche ; et au plus bas le malheureux curé tué par Cordier. Et se
félicitait de la mort d’Horeau. Certains disaient que Cordier en était l’auteur, mais personne
au village n’avait souvenance qu’il eût appris à lire et à écrire. Tordre des liens de chanvre ne
nécessitait pas de posséder ces savoirs-là. Ce libelle insinuait aussi que les Capucins près du
Baignoir, où Robert Pioche rendit l’âme, ne devaient pas être exempts de tout reproche dans
sa mort ; que l’on pouvait difficilement expliquer toute cette consommation de poissons par
des moines censés faire pénitence. Comme il était difficile d’expliquer pourquoi les
chandelles et les cierges ne s’éteignaient jamais, certaines nuits, derrière les vitraux de la
chapelle de l’abbaye ; et pourquoi un bruit sourd en émanait que l’on pouvait difficilement
expliquer par des messes basses nocturnes. Certains, même, virent des semblants de fantômes,
des soupçons de nuages en mousseline franchir allègrement les ouvertures haut perchées du
monastère. Que complotaient les Capucins ? La cabale était en marche. Les autorités
ecclésiales se turent, comme il est de coutume en ces cas, et les autorités séculaires en
conclurent que les bons moines devaient effectuer quelque recherche pas vraiment
catholique concernant le grand œuvre de l’alchimie. Que les religieux ne se contentaient pas
de pêcher pour leur unique compte, mais aussi de pécher pour le compte du Malin. N’avaient-
ils pas découvert quelque fragment de pierre de lune, dans les eaux de la rivière de Saint
Martin, ou dans « le baignoir à Robert » comme on appelait maintenant l’endroit où Robert
Pioche s’était noyé ? Et ces derniers se dirent que les fossés qui drainaient l’eau de pluie
jusqu’à la rivière de Saint Martin devaient peut-être receler également de tels fragments de
pierre de lune. Aussi, ordonnèrent-ils ces curages avec des hommes à eux. Ce fut en vain.
Puis, en plein hameau, on fit un matin la découverte, devant la maison du Carillon, en la
vallée de Luisant, d’un homme mangé par les loups. Quelques gens d’armes se rendirent à
cheval sur les lieux, récupèrent ce qu’il restait du cadavre, la tête surtout, qu’ils portèrent
jusqu’à Chartres où un bourreau de la cité reconnut tout de suite les traits de Cordier, celui qui
le fournissait de cordes à pendus. Aussitôt, les autorités firent ensevelir les restes épars de
Cordier, sans rien en dire. Il ne fallait pas relancer cette vieille histoire. On convint dans un
premier temps que l’homme avait dû errer dans le pays depuis sa fuite. Mais bientôt on apprit
qu’il avait eu partie liée, autrefois, avec un homme qui faisait l’actualité locale du moment.
En effet, dame Madeleine Lebeau venait de faire une demande en séparation de corps et de
biens contre Nicolas Lemaire, sieur de Volailles, son mari, pour débauches et mauvais
traitements. Or, ce dernier fréquentait assidûment les Capucins et certains l’avaient vu
franchir le guichet de l’abbaye, à nuit tombée ou au petit matin. L’étau se resserrait et la
femme Lebeau finit par révéler à la justice que son mari s’adonnait à des orgies en compagnie
de moines extatiques et de démones mi-chair mi-voile de lumière et de poussières d’astre et
de lune rayonnantes. Des succubes ailées. L’affaire fut jugée sérieuse. L’évêché convoqua
l’ensemble de la communauté monastique et son prieur. On convint de taire au peuple telle
licence. L’abbaye fut fermée sans explication. Les moines dispersés en différents couvents,
proches ou lointain, où il durent mener rude pénitence. Le prieur fut attaché à l’évêque lui-
même. Et la ruine gagna les vieux bâtiments mi-religieux mi-profanes. L’affaire remonta
jusqu’au roi, qui fit ôter la plaque épitaphe du curé Horeau à Saint-Brice. Personne ne voulut
qu’il s’ébruitât, jusqu’à la plèbe, que la mort du prêtre ait pu être commanditée par les
Capucins licencieux et libidineux. Les autorités voyaient mal l’église de Saint-Brice devenir
quelque lieu de culte en béatification du saint homme. Le plus simple était d’effacer des
mémoires le souvenir même du noble curé. Car j’avais oublié de vous dire que Michel
Horeau n’était rien de moins que le confesseur du prieur des Capucins.
Le souvenir de Robert Pioche se perpétua pendant quelques générations, d’une
manière de plus en plus ténue, jusqu’au jour où plus personne ne sut pourquoi on appelait les
jardins en friches d’une abbayé morte « l’enclos des Capucins » ; et pourquoi le creux de la
rivière, près de cet enclos, avait pour nom « le baignoir à Robert ». Le fait pas moins étonnant
est cette plainte de Marie Desvaux contre Mathurin Desvaux, son frère, dont elle affirmait
qu’il avait ravagé sa vigne, près de la fontaine du Vivier, à Luisant. Comment ne pas
rapprocher Marie et Mathurin Desvaux de Marguerite et Marcel, sœur et frère ennemis,
l’oncle de Robert Pioche s’appropriant la part du gâteau patrimonial ? D’ailleurs n’est-il pas
expressément dit que cette vigne, cette source de revenu, ce bien était situé « près de la
fontaine du Vivier » ? Seul Robert lui-même, au fond des Enfers souterrains ou du Nirvâna
céleste – en des lieux antinomiques de l’élément liquide – était apte à apprécier l’ironie de
l’histoire. Car, si son enveloppe terrestre de 1690 était bel et bien envolée, morte noyée dans
le baignoir, il n’oubliait pas, dans l’attente de sa prochaine réincarnation, qu’il s’était plongé
sciemment dans l’eau fraîche de rivière, par une nuit estivale, pour mieux fusionner avec
l’impossible. Les rives des eaux de Saint Martin du Val et de Luisant étaient recouvertes
d’une myriade de jeunes pousses, de la cardère ou chardon à foulon, dont les feuilles opposées
et soudées par la base forment une cavité remplie d'eau après les pluies. Or, les vrais poètes
savent que la cardère a pour nom populaire « bain de Vénus » ou « baignoire de Vénus ».

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