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Revue Philosophique de Louvain

Aristote et la théorie énergétique du langage de Wilhelm von


Humboldt
Josef Voss

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Voss Josef. Aristote et la théorie énergétique du langage de Wilhelm von Humboldt. In: Revue Philosophique de Louvain.
Quatrième série, tome 72, n°15, 1974. pp. 482-508;

doi : 10.3406/phlou.1974.5801

http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1974_num_72_15_5801

Document généré le 24/05/2016


Résumé
Cette étude poursuit une double finalité : d'une part, mettre en évidence la prééminence du concept
d'energeia au sein de la philosophie du langage chez Humboldt; et d'autre part, montrer la racination
aristotélicienne de ce qu'il convient d'appeler le maître-mot du « Sage de Tegel ». La valorisation du
premier point donne lieu à l'esquisse d'une théorie où l'on tient essentiellement que le langage est
actualité productrice (ένέργεια) avant d'être produit d'actuation (έργον). L'examen du second aspect
appelle une confrontation historique en même temps qu'étymologique et métaphysique des points de
vue humboldtien et aristotélicien relatifs à la notion d'energeia. Ce rapprochement, dont par ailleurs on
ne se dissimule pas les limites, fait apparaître l'urgence d'une révision de la thèse communément
admise tendant à ramener l'humboldtisme à sa contexture idéaliste. L'héritage kantien, dont il ne s'agit
évidemment pas de sous-évaluer le poids, ne saurait faire oublier la dette fondamentale que Humboldt
a contractée envers le Stagirite.

Abstract
This study has a twofold aim : firstly, to show how outstanding is the concept of energeia in Humboldt's
philosophy of language ; and secondly, to point out the Aristotelian roots of what may be termed the
key-word of the « Sage de Tegel ». The evaluation of the first point gives rise to the outline of a theory
maintaining essentially that language is productive actuality (ένέργεια) before being a product of
actuation (έργον). The examination of the second aspect calls for an historical — and at the same time
etymological and metaphysical — confrontation of Humboldt's and Aristotle's views in regard to the
notion of energeia. This comparison, the limitations of which we are fully aware of, brings out the
urgency for revising the commonly-held thesis which tends to reduce Humboldtism to its idealist
framework. What he has inherited from Kant, the weight of which there is obviously no question of
underestimating, cannot lead us to forget the fundamental indebtedness of Humboldt to the Stagirite
Aristote

et la théorie énergétique du langage

de Wilhelm von Humboldt

AVANT-PROPOS

Nul n'ignore la place prodigieuse qu'occupe la philosophie


d'Aristote dans l'économie générale de la pensée occidentale. Depuis
vingt-trois siècles environ, l'Occident est impliqué dans un dialogue
quasi ininterrompu avec celui que les Scolastiques ont appelé « le
philosophe». Or, si l'on étudie d'un peu plus près le destin du legs
aristotélicien, on s'aperçoit que ce dernier, pour extraordinaire qu'il
soit, a connu des fortunes inégales suivant les époques et les générations
d'esprits. Ainsi, le VIe siècle de Boèce est, de toute évidence, autrement
« aristotélisant » que le XIe siècle d'Avicenne ; et les penseurs du XIIe
siècle (Abélard, Averroès) ne font pas la même « lecture » du Stagirite
que ceux du XIIIe siècle (Albert le Grand, Thomas d'Aquin). Ceci
se vérifie a fortiori en passant d'une époque historique à une autre.
De plus, il est indubitable que la manière dont tout le Moyen Âge
se situe par rapport à Aristote tranche radicalement avec l'aristoté-
lisme des époques ultérieures : renaissante, moderne, contemporaine.
Or, autant les chercheurs ont été et continuent d'être nombreux à
se pencher sur Aristote et l'aristotélisme médiéval, autant ces mêmes
spécialistes paraissent circonspects, voire réticents, lorsqu'il s'agit de
retracer l'histoire générale des grands thèmes aristotéliciens des origines
à nos jours. Sans doute pareil sujet est-il par trop ardu, parce que
démesurément vaste au point de se confondre avec notre histoire
intellectuelle tout court. Ce qui ne nous empêche pas d'estimer
néanmoins que cette « courbe d'influence aristotélicienne » mériterait
d'être tracée, pour la bonne raison qu'elle n'a jamais été tracée telle
quelle, du moins à notre connaissance.
Quoi qu'il en soit, ce problème est à examiner à un niveau qui
ne saurait être celui du présent propos. Même la question — plus limitée —
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de savoir quelle a pu être la présence d' Aristote dans l'idéalisme


allemand, par exemple, appelle des considérations d'un autre ordre.
L'objet de notre débat sera moins complexe sans être simple pour
autant : dégager un aspect précis de l'impact d'Aristote sur la théorie
linguistique de Wilhelm von Humboldt (1767-1835). À cette fin,
nous émettrons l'hypothèse qu'il existe une relation pour le moins
analogique entre l'energeia, en tant que notion fondamentale de
la philosophie aristotélicienne, et le concept d'energeia, tel qu'il
apparaît, — c'est-à-dire à une place éminemment centrale — dans la
théorie philosophique du langage chez Humboldt. Ce faisant, nous visons
moins à proposer des solutions passe-partout qu'à suggérer une
orientation de recherche. En fait, nous nous contenterons de distinguer
quelques idées forces, permettant la discussion et l'approfondissement
d'acquisitions dont nous sommes les premiers à reconnaître la
précarité.
Notre problématique s'articulera en plusieurs étapes : dans un
premier temps, il s'agira de donner un bref aperçu du caractère
énergétique de la théorie du langage de Humboldt en mettant en lumière
la place prépondérante du concept d'energeia au sein de celle-ci ; nous
nous emploierons ensuite à montrer que l'energeia humboldtienne est
bien « fille » d'Aristote ; enfin, nous tenterons, d'une part de
circonscrire, texte à l'appui, la teneur exacte du concept aristotélicien
d'energeia tel que l'a connu Humboldt, d'autre part et conjointement à
cette démarche, de donner une signification éclairante au terme hum-
boldtien d'energeia à la lumière de ce que nous pensons être son
origine aristotélicienne.

ESQUISSE D UNE THEORIE ENERGETIQUE


DU LANGAGE CHEZ HUMBOLDT
Dans les limites que nous impartit cet exposé, il ne nous est
pas possible de développer la doctrine humboldtienne dans son
ensemble. C'est pourquoi nous nous bornerons à relever un certain nombre
de passages significatifs de celle-ci, c'est-à-dire démonstratifs dans
la mesure même où ils sont susceptibles d'étayer notre thèse
énergétique.
Quelle que soit l'étiquette que l'on donne à cette doctrine, nul
ne pourra sérieusement contester que la conception énergétique ou
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dynamique des faits du langage compte parmi les intuitions


fondamentales du système humboldtien (x). Nous pensons —et nous ne sommes
pas les seuls — qu'elle est comme la clé de voûte de ce vaste édifice
théorique, le foyer d'où s'organise l'ensemble de cette pensée, qu'elle
soit linguistique ou autre. Faut-il du reste ajouter que cette vision
(Weltanschauung) énergétique est caractéristique de toute une époque,
un<< signe des temps» en quelque sorte ? Comme l'ont souligné certains
auteurs (2), il semble qu'au XIXe siècle en effet l'explication dynamique
(diachronique, historique, génétique, évolutionniste, dialectique,
énergétique) fasse figure d'archétype de toute explication du réel.

1. La proposition ergon-energeia
Parmi les nombreuses tentatives de Humboldt pour rendre compte
du langage dans ce qui constitue sa nature la plus intime, il en est une
qui, de tous temps, polarise l'attention des commentateurs. Selon
l'avis notamment de Heidegger, Weisgerber et Cassirer (3), cette
définition, citée souvent et souvent « exploitée », est des plus célèbres,
ce qui ne l'empêche point de rester, d'après ces mêmes auteurs, profon-

(!) Cf. E. Cassieer : « Noch immer ist es, wie man sieht, der Begriff der Form
und der geistigen Energie, der im Mittelpunkfc von Humboldts Denken steht. » (Freiheit
und Form. Studien zur deutschen Geistesgeschichte, abrév. FF, 1916, p. 525). Dans
Philosophie des formes symboliques I (Philosophie der symbolischen Formen I), abrév. PSF,
1923, le même auteur ramène schématiquement la philosophie du langage de Humboldt
à trois antinomies fondamentales : 1) objectivité-subjectivité ; 2) ergon-energeia ; 3) forme-
matière (pp. 99-104). Cf. également G. Mounix, Histoire de la linguistique, 1967, p. 191,
et H. Arens, Sprachwissenschaft, 1969 (2e éd.), p. 205 : « Dièse Sicht (= langage comme
energeia) (...) ist es, die den wesentlichen Unterschied zu seinen (= Humboldt) sprach-
forschenden Zeitgenossen und Nachfolgern ausmacht ».
(2) Entre autres H. Lefebvre dans Le langage et la société, 1966, p. 75, et E.
Cassirer, PSF, p. 87 :«(...) die durchgehende Tendenz, ailes geistige Sein auf den ursprûng-
lichen schôpferischen Prozess, in dem es wurzelt, aile « Gebilde » auf Grundformen und
Grundrichtungen des « Bildens » zurûckzufùhren ».
(3) M. Heidegger: «(...) prâgt Humboldt jene Sâtze, die zwar oft angefiihrt,
aber selten bedacht werden, (...)» (Unterwegs zur Sprache, 1960 (2e éd.), p. 246).
L. Weisgerber : « Als Sinn dieses viel umrâtselten Wortes (=prop.
ergon-energeia) ...» Die sprachlichen Zugriffe in der Erkenntnislehre, dans Sprache und Erhenntnis,
1972, p. 33.
E. Casstrer : « Ihren knappsten und schârfsten Ausdruck erhâlt dièse Gesamt-
ansicht ( = linguistique énergétique) in der bekannten Humboldtschen Formulierung,
daB die Sprache kein Werk (Ergon), sondern eine Tâtigkeit (Energeia) sei und daB daher
ihre wahre Definition immer nur eine genetische sein kônne ». (PSF, p. 104).
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dément énigmatique, et ce en dépit même ou précisément à cause


du flot des commentaires.
Dans sa fameuse et monumentale Introduction à VOuvrage sur
la Langue Kawi (1836, op. posth.), — la pièce maîtresse de ses écrits,
véritable testament linguistique (4), — Humboldt affirme : « En réalité,
le langage est quelque chose qui passe constamment et même à chaque
instant. Même sa conservation dans l'écriture n'est jamais qu'une
conservation incomplète, modifiée, qui doit chaque fois ressusciter dans
la parole. Le langage lui-même n'est pas un ouvrage (Ergon), mais
une activité (Energeia). Sa véritable définition ne peut donc être
que génétique » (VII, 45ss) (5). Extrayons de ce contexte une phrase,
la plus importante quant au fond, et la plus limpide quant au style
(qui pourtant n'est pas toujours à l'abri de tout reproche (6) ). Cette
phrase, d'aucuns Font baptisée pertinemment la « proposition ergon-
energeia» (7) : « Sie (= die Sprache) selbst ist kein Werk (Ergon), son-
dern eine Thâtigkeit (Energeia)». Le langage lui-même n'est pas un
ouvrage, mais une activité. Nous avons là, synthétisée de manière
on ne peut plus succincte en une phrase nucléaire minimale, l'expression
de ce qui, à nos yeux, constitue la quintessence même de la théorie
humboldtienne. Or, déjà au regard de sa forme, cette proposition
offre une particularité intéressante : il se trouve en effet qu'elle contient
l'unique mention (hapax legomenon) du terme grec energeia de toute
l'œuvre de Humboldt. Il en va de même pour le second terme grec
de cette proposition, ergon. Et, qui plus est, les mentions de ces termes
figurent entre parenthèses. Est-ce à dire qu'ils sont « quantités
négligeables» ou pour le moins accessoires? Non. On objectera qu'une
hirondelle ne fait pas le printemps et qu'une seule mention du terme
energeia constitue une assise bien fragile de théorie énergétique. Mais
qu'on ne s'y trompe pas : si paradoxal que cela puisse paraître, la

(4) Cf. E. Cassiber, PSF, p. 98 : «(...) bis er in der groBen zusammenfassenden


Einleitung zum Kawi- Werk von ihr (= linguistique) die letzte und glànzendste Probe
abgelegt hat».
(5) Les œuvres d'Aristote et de Humboldt sont citées d'après leur édition critique :
a) Aristotelis opera, éd. de l'Académie de Berlin (texte établi par I. Bekker), 5 vol.,
1831-1870, rééd. 1960-1962; b) Wilhelm von Humboldts Gesammelte Schriften, éd. de
l'Académie de Berlin, 17 vol., 1903-1936.
(6) Le style de Humboldt est communément caractérisé comme passablement
obscur. Cf. notamment Cassirer, Arens, Heidegger, Mounin.
(7) « Ergon-Energeia-Satz ». Cf. L. Jost, Sprache als Werk und wirkende Kraft,
1960.
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récurrence d'un terme dans une œuvre n'est pas toujours essentielle
à l'importance de l'idée qu'il est censé incarner.

2. Signification et implications de la proposition ergon-energeia


La formule ergon-energeia, en tant que formule lapidaire compacte,
est, par définition, limitée. Cela dit, elle est lourde de sens et pleine
de sous-entendus. Ce qu'elle « dit » expressis verbis est peu en regard
de ce qu'elle « dit » implicitement. En développant ce contenu implicite,
on y trouve la primauté de la diachronie sur la synchronie, c'est-à-dire
de l'évolution (verticalisme) sur le système (horizontalisme), ou encore
de l'histoire sur la structure, partant, de la linguistique historique
et/ou comparée sur le structuralisme. La formule ergon-energeia signifie
la priorité — méthodologique, chronologique et logique — de
l'ontogenèse (parole) sur la phylogenèse (langue), de la réactualisation
génétique du langage sur la langue au sens saussurien de corpus fermé, de
modalité structurée. La proposition ergon-energeia, c'est aussi
l'affirmation de la prépondérance du sujet sur l'objet, de Tinter subjectivité du
dialogue sur l'objectivité de la langue-objet, c'est-à-dire du pluralisme
des locuteurs sur l'unité de la langue en tant qu'entité socio-culturelle (8),
investie de généralité par la communauté linguistique. C'est la primauté
accordée à la langue orale (parler) sur la langue écrite (écriture,
littérature), à la constitution du langage sur la langue-institution, et,
mutatis mutandis, à la dimension syntaxique du langage sur sa
dimension lexicologique. C'est encore opter pour l'expression au détriment
de la communication; au niveau de l'acquisition du langage, pour
la créativité au détriment de l'imitation, pour l'innéisme chomskyen
au détriment du psittacisme behavioriste. L'insistance humboldtienne
sur l'aspect énergétique du langage représente la victoire de
l'intériorité (particulière) sur l'extériorité (universelle), de la forme
(abstraction, esprit, philosophie du langage, signifié, sémantique) sur la matière
(concret, corps, linguistique, signifiant, phonétique), de l'acte sur la
puissance, de l'infini sur le fini, du processus temporel (genèse,
structuration, activité, constituant, forma formans, flux héraclitéen) sur le
résultat intemporel (ouvrage, structure, passivité, constitué, forma
formata, être parménidien), du dynamique (mouvement, devenir)

(8) « Gebildc des objektiven Geistes » (W. Dilthey) ou « Objektivationsform des


Geistes » (H. Freyer). Cf. H. Freyer, Théorie des objektiven Geistes. Eine Einleitung
in die Kulturphiîosophie, 1934 (3e éd.), et R. Kônig, Sozioîogie, 1958.
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sur le statique (immobilité), de la vie (ordre de l'animé, de l'organique)


sur la mort (ordre de l'inanimé, de l'inorganique).
Arrêtons là une enumeration déjà trop longue mais nullement
limitative. Dans ce développement, on aura remarqué que la formule
ergon-energeia débouche sur quelques-unes des grandes antinomies
ou « polarités » de la philosophie du langage et même de la
philosophie tout court (9). Notons enfin que c'est le modèle énergétique
qui rend le mieux compte de la conception romantique du langage
comme «vision du monde» (Weltanschauung). Thèse fascinante qui
permet entre autres de définir le rôle déterminant des schémas
linguistiques au niveau de la genèse de l'intellection, sans pour autant épuiser
le problème complexe des relations langage-logique.

3. L'énergétisme humboldtien
Comme pierre angulaire d'une approche énergétique du langage,
la proposition ergon-energeia s'ancre naturellement dans un vaste
contexte énergétique qu'il nous suffira d'« évoquer », compte tenu des
impératifs spécifiques de notre enquête (10).
Humboldt situe l'être du langage dans une sorte d'activité (Thâtig-
keit), de spontanéité (Selbstthâtigkeit) ou d'émanation spontanée (un-
willkurliche Emanation) de l'esprit (VII, 17ss, 38ss). « Le langage,
dit-il, naît de l'effort sans cesse répété de l'esprit, pour rendre le son
articulé capable d'exprimer la pensée. Stricto sensu, c'est là la
définition de la "parole". Mais au sens large et essentiel, on ne peut pour
ainsi dire considérer comme la "langue" que la totalité de cette parole »
(VII, 46). D'où un intérêt accru non seulement pour le discours (Rede),
la parole (Sprechen), mais encore pour le son articulé (der articulirte

(9) Le langage est « produit à la fois individuel et social, forme et contenu, objet
et outil, système stable et processus évolutif, fait objectif et réalité subjective » (G.
Mounin, Histoire de la linguistique, 1967, p. 191). Sur les antinomies du langage, cf.
également A. Diemee, Philosophie, 1958, p. 313.
(10) II est peut-être intéressant de signaler que la linguistique actuelle, à
considérer ses plus récents développements avec la grammaire generative transformationnelle
de Chomsky, semble être particulièrement «friande» d'énergétisme humboldtien. Dans
l'introduction à Points de vue sur le langage (1969), A. Jacob écrit : « D'ailleurs, ce qui
est beaucoup plus en cause dans la conjoncture linguistique actuelle, c'est le besoin
de passer de perspectives assez strictement formelles, caractéristiques du «
structuralisme » le plus courant, à des perspectives qui veulent restituer à l'expérience linguistique
sa dimension d'activité. D'où la référence à Humboldt (...)» (P- 13).
488 Josef Voss

Laut, Articulation, Lautform, Lautsystem, Sprachlaut)(u), considéré


comme le fondement de l'activité langagière (VII, 65ss). Ce fondement
est à son tour actif, énergétique. Il agit comme trait d'union, médiateur
entre la subjectivité (point de vue du locuteur, son produit) et
l'objectivité (point de vue de l'interlocuteur, son entendu) ; il est autant
« intériorité» qu'« extériorité», « énergie de l'intériorité objectivée dans
l'extériorité » (12).
Le langage, organe de la formation des idées (VII, 53), est un
organisme vivant (VII, 15) : son mode d'être est organique. Il n'a
d'existence véritable (realiter, in actu) qu'au moment précis où il
se trouve « réalisé » dans le processus générateur de la parole, la «
langue», dans son acception saussurienne, en tant que résultat tangible
de ce processus, n'ayant qu'une existence virtuelle, potentielle, idéale,
factice (VII, 160). Cette approche énergétique, comme le note
H. Arens (13), bouscule des perspectives séculaires qui paraissaient
définitivement acquises. Le phénomène linguistique fondamental, c'est
le flux evanescent de la parole, non la langue figée du lexique et de la
grammaire, de l'écriture et du dictionnaire (VII, 44, 63). On peut
parler — la métaphore n'est pas abusive — de« révolution copernicienne»,
dans la mesure où Humboldt inverse les termes de la relation de
causalité qui unit la parole à la langue, en prenant l'effet (parole,
Sprechen, Thâtigkeit, energeia) pour la cause, et la cause (langue,
Sprache, Werk, ergon) pour l'effet.
L'énergétisme, chez Humboldt, ne se cantonne pas à la linguistique.
Il s'étend à tous les autres domaines de sa pensée : politique, éthique,
esthétique, historique. Dès lors, le langage apparaît comme une
activité au second degré, une activité d'activité en quelque sorte. Car on
a dit que le langage était l'activité de l'esprit (cf. supra). Or l'existence
de l'esprit à son tour, affirme Humboldt, ne peut être conçue que sur

(n) Cette vue rejoint celle de W. von Waetbubg (Problèmes et méthodes de la


linguistique, 1969, 3e éd.) lorsqu'il caractérise le langage comme un processus énergétique
qui se déroule à un triple niveau : 1) le niveau « psychique » de la représentation, c'est-à-
dire de la conceptualisation ou abstraction des « signes linguistiques » à partir de certains
états de conscience ; 2) le niveau « physiologique » de l'articulation ; 3) le niveau « physique»
de l'audition (pp. 16-17).
On songe aussi à G. Mottnin évoquant « l'énergie d'expulsion de l'air pulmonaire »
et « l'énergie des muscles mis en jeu par cette expulsion » (Clés pour la linguistique,
1968, p. 106).
(12) Cf. E. Cassieee, P8F, p. 25, et Humboldt, VII, 55-60.
(13) Dans Sprachwissenschaft, 1969 (2e éd.), p. 205.
Aristote et W. von Humboldt 489

un mode génétique dynamique : précisément en tant qu'activité (VII,


24, 47) (14). Comme le langage (Sprachkraft), l'esprit est force (Geistes-
kraft, intellectuelle Thâtigkeit). L'homme également se définit par la
force : « c'est elle qui caractérise son être dans sa plus simple expression »
(VII, 25). En politique, l'action de l'État est déclarée condamnable,
dans la mesure où elle vise à des résultats «objectifs» et «positifs»
plutôt qu'à la mise en œuvre d'énergies individuelles (I, 111-120) (15).
Sur le plan moral, la liberté est la possibilité de choisir à l'intérieur
d'un éventail d'activités (Thâtigkeit) infiniment variées (1, 100).
L'énergie (Energie) est la source de toute vertu agissante (I, 104). Sur le
plan esthétique, en ce qui concerne la création artistique, celle-ci
reçoit sa détermination ultime d'une sorte d'énergie (II, 116ss).
L'artiste, en créant, ne se contente pas d'imiter la nature, comme le
locuteur, en parlant, ne se contente pas de reproduire les éléments
d'une langue toute faite, «donnée immédiate de la conscience». Il
anticipe sur le réel. Mythe, art, langage et science ne copient pas une
réalité donnée d'avance telle quelle. Ils représentent au contraire
les lignes de faîte d'une dynamique de l'esprit constitutive du réel,
et grâce à laquelle le réel nous apparaît comme une multiplicité de
formes régie par l'unité du concept (16). La fin dernière de l'homme
est le développement intense de toutes ses énergies (Krâfte) en vue
d'un équilibre harmonieux de toutes ses tendances (I, 106). Ce que
l'homme, dans ce processus de formation, reçoit de l'extérieur n'est
que germe, semence (Saamenkorn), que son activité énergétique
intérieure (energische Thâtigkeit) doit faire fructifier (I, 109). Ainsi, la
force (Kraft, Energie) apparaît comme l'image directrice de la
philosophie humboldtienne. Celle-ci est une « Krâftephilosophie »
(philosophie des forces) (17), où tout est force, activité, énergie, où, en
paraphrasant Protagoras, l'énergie est la mesure de toutes choses. Le monde
des formes est un monde des forces. Tout ce qui est extérieur est
d'abord intérieur. Nous ne comprenons pleinement les formes du réel
que si nous remontons à leur source : l'énergie dont elles sont issues. La
réalité est forma formans avant d'être forma formata. L'action
créatrice est logiquement antérieure à ce qui est créé. L'énergie ne

(14) « Wie sich das Dasein des Geistes uberhaupt nur in Tâtigkeit und als solche
denken lâBt (...)» (E. Cassiree, PSF, p. 103).
(15) Cf. également Cassiree, FF, p. 516.
(16) Cf. Cassieer, PSF, p. 43.
(17) Cf. L. Jost, Sprache als Werh und wirkende Kraft, 1960, pp. 45-47.
490 Josef Voss

peut être pensée que dans son activité, c'est-à-dire agissante, « en


acte ». C'est seulement en tant qu'expression du principe du devenir
que nous pouvons concevoir l'œuvre achevée, constituée. La forme
du constituant (Werden) est source d'intelligibilité de la forme du
constitué (Gewordenes), et non inversement (18).

II
SOUKCES ARISTOTÉLICIENNES DU CONCEPT
HUMBOLDTIEN d'eNEEGEIA

En rapprochant unilatéralement Humboldt d'Aristote, nous


mesurons l'ampleur de la réduction que nous opérons en ne retenant qu'un
aspect de l'énergétisme humboldtien. Nous ne sommes pas sans savoir
que cet énergétisme s'enracine par ailleurs dans d'autres contextes
philosophiques, tels que — pour ne citer que les plus importants — : la
monadologie leibnizienne, en ce qu'elle conçoit toute substance simple
ou monade comme microcosme spirituel actif, comme foyer d'énergie,
comme entité autarcique investie d'activité; le kantisme et son
insistance sur le rôle actif du sujet dans le processus épistémologique de la
synthèse (cf. infra paragr. IV)(19) ; l'activisme dynamiste goethéen (élan
faustien et culte de la personnalité artistique essentiellement créatrice).
Ces affinités spirituelles, dont nous faisons abstraction ici, existent
et nous ne prétendons aucunement les nier.
Ce qui nous paraît significatif dans la proposition ergon-energeia
(VII, 46), c'est que Humboldt se garde bien d'y utiliser le mot« Energie»
ou «energia» (forme latine), plus fréquent à la fois dans son œuvre
personnelle ainsi que dans la terminologie philosophique (20) et la
problématique esthétique du XVIIIe siècle finissant (21). Au centre
des discussions esthétiques de l'époque du jeune Humboldt figure
(") Cf. Cassiree, FF, p. 130, et PSF, p. 120.
(19) Ernst Cassirer, en tant que linguiste néo-humboldtien nourri de philosophie
néo -kantienne, était particulièrement bien placé pour étudier les sources kantiennes
de la pensée humboldtienne. Cf. FF, pp. 129ss, 261ss, 456, et PSF, pp. 8ss, 26, 42ss,
45, lOOss, 104ss, 120.
(20) Sur l'importance du concept d' * Energie » dans les œuvres philosophiques
de Hamann et Herder, cf. Cassirer, FF, pp. 176, 190ss, 198.
(23) « Wenn eine der tiefsten und fruchtbarsten âsthetischen Einsichten, die das
Zeitalter (= XVIIIe siècle) gewonnen hatte, darin bestand, daB dip. Gesetzlichkeit des
Schônen, nicht aus den fertigen Werken, sondern aus der « Energie » des kùnstlerischen
Schaffens abzuleiten und zu erklâren sei (...)» (Cassirer, FF, p. 204).
Aristote et W. von Humboldt 491

en effet ce que Cassirer appelle « le problème du Laocoon », c'est-à-dire


la question d'une classification des arts en arts qui agissent par leur
forme achevée (ergon, forma formata) — comme c'est le cas des arts
de l'espace ou arts plastiques : peinture, sculpture, architecture, — et en
arts qui agissent de manière génétique-dynamique par la constitution
même de leur forme (energeia, forma formans), tels que la musique
et tous les autres arts liés au temps (poésie, rhétorique, art dramatique,
danse). Cassirer a établi l'origine aristotélicienne de cette polarité
au niveau esthétique entre arts-erga et arts-energeiai. Selon lui, la
distinction ergon- energeia serait passée chez Harris et Herder, qui
y voient l'antinomie esthétique fondamentale, pour aboutir chez
Humboldt, dans la doctrine linguistique duquel elle reçoit sa plus
stricte formulation (seine bestimmteste Formulierung), sa version la
plus systématique (seine streng systematische Fassung) (22). Humboldt
aurait suivi de près ce débat auquel participèrent entre autres Lessing,
Winckelmann, Herder et Schiller.

1. Formation classique de Humboldt


La vie de Humboldt reste à écrire. Du moins n'avons-nous pris
connaissance d'aucune biographie qui satisfasse à des normes
scientifiques et à des exigences historiques rigoureuses. Les monographies
existantes sont pour la plupart soit surannées, soit largement
incomplètes (23). Notons aussi que rien ou presque rien n'a été fait ni même
tenté au XXe siècle pour débroussailler de manière exhaustive
l'arrière-plan métaphysique de la réflexion humboldtienne. Comme
l'écrit Mounin, en se plaçant toutefois à un point de vue strictement
linguistique, « l'exégèse de la pensée de Humboldt, du point de vue
de nos connaissances historiques et linguistiques actuelles, reste
à faire »(24).
(22) Cf. Cassieer PSF, p. 87, et FF, chap. II à V, surtout pp. 134ss, 176, 190ss,
198, 211ss.
(23) Citons pour mémoire dans l'ordre chronologique de leur publication : G.
Schlesiee, Lebenserinnerungen an Wilhelm von Humboldt, 2 vol., 1843-1845. R. Haym,
Wilheîm von Humboldt. Lebensbild und Charalcteristik, 1856. A. Lbitzmann, Wilhelm
von Humboldt. Charakteristik und Lebensbild, 1919. P. Binswanger, Wilhelm von
Humboldt, 1937. J. A. von Rantzau, Wilhelm von Humboldt. Der Weg seiner geistigen
Entwicllung, 1939. E. Howald, Wilhelm von Humboldt, 1944. F. Schaffstein, Wilhelm
von Humboldt. Ein Lebensbild, 1952. P. Berglar, Wilhelm von Humboldt in Selbst-
erzeugnissen und Bilddokumenten, 1970.
(24) Dans Hist, de la ling., p. 188ss.
492 Josef Voss

II nous paraît difficilement concevable que Humboldt ait pu,


soit accorder à energeia une signification spécifique s'écartant
considérablement de ses normes sémantiques, soit passer sous silence son
acception intrinsèquement métaphysique, c'est-à-dire proprement
aristotélicienne. La plupart des biographes s'accordent en effet à penser
que rien de ce qui est antique n'est étranger à Humboldt, à son esprit
génial et perspicace d'humaniste hors-pair. Cet aristocrate berlinois,
nourri dès sa plus tendre enfance — Humboldt bénéficia d'une instruction
privilégiée — d'antiquité surtout grecque (litterulis graecis imbutus),
mais aussi sanscrite et latine, eut très tôt l'occasion de se familiariser
avec les écrits des Anciens. Précepteurs et maîtres, en particulier
Johann Jakob Engel (1741-1802) (25), aiguillèrent de bonne heure
l'attention du jeune Humboldt sur l'antiquité classique, ses écrivains
et ses penseurs : Xénophon, Platon, Cicéron, Sénèque, Hésiode, Homère
et Aristote. Le sujet d'une des premières publications de Humboldt,
âgé alors de vingt ans, est à ce titre démonstratif : « Socrate et Platon
sur la divinité, la providence et l'immortalité» (1787). Il n'est dès
lors pas faux de penser, comme le fait P. Berglar, que ce commerce des
Anciens, — fruit d'abord des leçons privées de grec et de latin, ensuite
des études de philologie classique chez le professeur Heyne à
l'Université de Gôttingen, — a dû influer considérablement sur l'orientation
générale des recherches humboldtiennes en matière linguistique (26).
Cette vue rejoint partiellement celle d'E. Spranger (27).

2. Humboldt lecteur d' Aristote

Humboldt semble avoir eu d'Aristote une connaissance dont


le niveau d'assimilation se situe nettement au-dessus de la moyenne
des humanistes — historiens de l'antiquité, érudits, philologues clas-

(25) La dette pédagogique la plus conséquente est, de l'aveu même de Humboldt,


celle qu'il a contractée envers Joh. Jak. Engel : «(...) ein Mann, in dem Deutschland
schon lângst nicht bloss einen seiner scharfsinnigsten Philosophen, sondern auch einen
seiner feinsten Schriftsteller verehrt, und dem ich den grôssten Theil meiner Bildung
schuldig zu sein mit innigster Dankbarkeit bekenne, (...)»(I, 4).
(26) «(...) den Grund nicht nur fur den durch aile vielfâltigen Wandlungen seines
Lebens hindurch treulich gepf logenen und sein Lebensgefùhl innig bestimmenden Umgang
mit den Alten, sondern auch fur die Handhabung seiner in spâteren Jahren immer weiter
ausgreifenden Sprachuntersuchungen ». P. Berglar, Wilhelm von Humboldt inSelbst-
zeugnissen und Bilddokumenten, 1970, p. 27.
(27) Cf. Wilhelm von Humboldt und Kant, 1908.
Aristote et W. von Humboldt 493

siques — de son temps. Parmi les références de Humboldt à Aristote,


il importe de distinguer les citations littérales des simples
réminiscences ou commentaires.
Les citations d' Aristote portent essentiellement sur trois écrits
majeurs du Stagirite : la Métaphysique (VII, 46), De l'Âme (VII, 437)
et l'Éthique à Nicomaque (I, 105ss). Cette dernière œuvre, Humboldt
l'a sans doute mieux assimilée que les deux autres, si l'on en juge
notamment d'après une citation particulièrement longue et révélatrice
dans l'Essai sur les limites de l'action de l'État (1792). Dans une optique
humaniste •— nous dirions aujourd'hui personnaliste — , l'auteur tente
de définir les conditions qui garantissent l'épanouissement de la
personne humaine à l'abri des pressions du régime politique. « Ce qui est
propre à chacun, du fait de la nature, a aussi un caractère de
supériorité et d'agrément parfait pour chaque individu. Ce qui est propre
à l'homme, c'est donc la vie de l'esprit, puisque l'esprit constitue
essentiellement l'homme. Une telle vie est également parfaitement
heureuse» (Éthique à Nicomaque, K, 7, 1178 a 5-8) (28). Dans ce passage
que Humboldt avance à l'appui de sa thèse individualiste, se
conjuguent trois notions clés de l'éthique aristotélicienne : l'individualisme
(to yàp oiKeîov eKaarco), le rationalisme (o Kara rôv vovv fiios) et
l'eudémonisme (evSaifjbovéaraTos). Aspects, au demeurant, que le Sage
de Tegel ne manquera pas de faire siens. De plus, il est à noter que
l'extrait cité conclut un chapitre de l'Éthique à Nicomaque où le terme
d'energeia est répété neuf fois.
Les réminiscences d' Aristote (I, 303, 322; VI, 114; VII, 200ss,
203), pour être moins explicites que les citations, ne sont pas moins
significatives, dans la mesure où elles renvoient à toute une culture
aristotélisante. Humboldt caractérise Aristote tantôt comme
l'initiateur d'une méthode scientifique nouvelle, plus rigoureuse quant aux
critères sur lesquels elle fonde l'interprétation des phénomènes
naturels (VI, 114) (29), tantôt comme le fondateur de la science en tant
que telle (Griïnder der Wissenschaft, VII, 200ss). Ce dernier passage
est trop long pour être cité in extenso. Retenons-en l'essentiel. Ce
que Humboldt admire dans l'entreprise d' Aristote, c'est l'effort promé-

(28) « to yàp oÎKeîov €K<ioTœ rf} <f>v<jei Kpariorov Kal -qSiarov èanv é/cacrr<w. Kal r<p
âv6pû>TT<i) 8^ â Kara tov vovv jStos, e?7re/> tovto fxâXiara âvdpœnos. OStos âpa Kal eùSai/xove'cr-
totos ».
(29) « Aristoteles griindet genauere Naturforschung und grôssere Strenge in jeder
wissenschaftlichen Behandlung» (VI, 114).
494 Josef Voss

théen pour fonder une science logiquement cohérente (in einem nach
Begriff geordneten Zusammenhang), lucide, soucieuse de clarté (in
bis dahin unbekannter Klarheit) et entièrement systématisée, c'est-à-
dire atteignant à la perfection de son essence (Vollendung des Begriffs).
Il souscrit de manière inconditionnelle à la méthode empiriste de la
philosophie aristotélicienne de la nature : procéder par induction
généralisatrice des données de l'observation et de l'expérimentation.
Il ne tarit pas d'éloges dès lors qu'il s'agit, dans des envolées
dithyrambiques, de décrire la profondeur (tief strebenden) et l'universalité
(weitumfassenden) du génie (riesenmâssiger Geist) d'Aristote. Cet
endroit (VII, 200ss) se termine par une apologie de la prose
aristotélicienne, qui pourtant n'a pas toujours eu que des admirateurs. Souplesse
(Gediegenheit), concision logique (Abgeschlossenheit der Begriffe) et
une certaine solennité à la mesure de l'élévation de la pensée (eine
mit der inneren Tiefe zusammenpassende Erhabenheit), telles sont,
d'après Humboldt, les principales qualités du style d'Aristote. Deux
pages plus loin (VII, 203), l'auteur tient des propos similaires où il
ne dissimule pas son admiration pour le Stagirite (30). Le compte
rendu de Woldemar, roman philosophique de Jacobi, (I, 303) aborde
la relation aristotélicienne entre le bonheur et la vertu (31). Enfin,

(30) « Er (— Aristote) forschte nach Thatsachen, sammelte dieselben und strebte,


sie zu allgemeinen Ideen hinzuleiten. Er prufte die vor ihm aufgebauten Système,
zeigte ihre Unhaltbarkeit und bemûhte sich, dem seinigen eine auf tiefer Ergrûndung
des erkennenden Vermôgens im Menschen ruhende Basis zu geben. Zugleich brachte
er aile Erkenntnisse, die sein riesenmâssiger Geist umfasste, in einen nach Begriffen
geordneten Zusammenhang. Aus einem solchen, zugleich tief strebenden und
weitumfassenden, gleich streng auf Materie und Form der Erkenntniss gerichteten Verfahren,
in welehem die Erforschung der Wahrheit sich vorzûglich durch scharfe Absonderung
ailes verfûhrerischen Scheins auszeichnete, musste bei ihm eine Sprache entstehen,
die einen auffallenden Gegensatz mit der seines unmittelbaren Vorgângers und Zeitge-
nossen, des Plato, bildete. Man kann beide in der That nicht in dieselbe Entwicklungs-
periode stellen, muss die Platonische Dichtung als den Gipfel einer nachher nicht wieder
erstandenen, die Aristotelische als eine neue Epoche beginnend ansehen ». (VII, 200).
« Die Kunde eines grossen Theils des Erdbodens wurde nun erst wahrhaft erôffnet,
die wissenschaftliche Beobachtung und die systematische Bearbeitung des gesammten
Gebietes des Wisseus war, in wahrhaft welthistorischer Verbindung eines thaten- und
eines ideenreichen ausserordentlichen Mannes, durch Aristoteles Lehre und Vorbild
dem Geiste klar geworden». (VII, 203).
(81) « (...), der nothwendige Zusammenhang der Glûckseligkeit mit derTugend(...).
Allein die Einsicht dieses Zusammenhanges bleibt immer ein tiefer Blick in die innerste
Natur des Menschen. Den alten Philosophen, vorziiglich dem Aristoteles, entgieng er
nicht. Ihnen war der Mensch zu sehr ein Ganzes ; ihre Philosophie gieng zu sehr von den
dunklen, aber richtigen Ahndungen des Wahrheitssinnes aus ». (I, 303).
Aristote et W. von Humboldt 495

dans une dissertation sur les différences entre les sexes (I, 322),
Humboldt oppose la « masculinité » de la raison (die mànnliche
Vernunft) à la «féminité» de l'imagination (die weibliche Phantasie),
l'austérité toute « masculine » du rationalisme aristotélicien (Vernunft
mit einer fast an Hârte grânzenden Bestimmtheit) à l'exubérance
toute :< féminine » de l'imagination platonicienne (Ueppigkeit der
Phantasie).
Ces quelques exemples donnent une idée de l'assiduité avec
laquelle l'humaniste Humboldt a fréquenté Aristote (32).

III
LA TENEUR DU CONCEPT ARISTOTÉLICIEN D'ENERGEIA

Revenons à la notion d'energeia. On ne peut pas ne pas faire


porter l'analyse du contenu sémantique de celle-ci d'abord sur la
signification du terme grec en général, c'est-à-dire en tant que vocable
relevant du lexique de la langue grecque classique, ensuite sur son
acception proprement aristotélicienne (energeia en tant que terme
du langage philosophique « technique » d' Aristote, tel qu'il apparaît
dans les œuvres dont Humboldt a pris connaissance).

1. Sens largement grec


Le Thesaurus Graecae linguae ab Henrico Stephano (Dictionnaire
de la langue grecque, grec-latin, vol. 3, 1835) donne comme synonymes
latins d'energeia au sens le plus général : actio (action), actus (acte),
efficacia (efficience), efficacitas (efficacité) ; ensuite, dans un sens plus
restreint : vis efficax, quae in aliquo agit (force efficace qui agit en
quelqu'un) (33). Dans le Handwôrterbuch der griechischen Sprache
(Dictionnaire de la langue grecque) de Franz Passow (vol. 1,2, 1884), nous
relevons les traductions allemandes : Wirksamkeit (efficacité), Thâtig-
keit (activité), Thatkraft (force agissante). Et M. A. Bailly (Abrégé
du dictionnaire grec-français, 1901) traduit en français par : force
des choses; d'où, par extension, force ou vivacité dans le discours
(p. 295). Ce qui rejoint les significations tant latine et allemande que
humboldtienne (VII, 46).

(32) Cf. E. Speanger, Wilhelm von Humboldt und Kant, 1908, et Wilhelm von
Humboldt und die Humanitâtsidee, 1909.
(33) Art. energeia, col. 1064 A 19 - 1065 A 4.
496 Josef V oss

2. Sens étroitement aristotélicien


Le Wôrterbuch der philosophischen Begriffe (Dictionnaire
philosophique) de Rudolf Eisler assigne au terme allemand Energie, pris
dans ses différentes acceptions philosophiques d'efficience (Wirksam-
keit), d'actuation (Verwirklichung), de force active (Tatkraft) et de
capacité de travail (Arbeitsfâhigkeit) une origine non seulement
grecque, mais aristotélicienne, (vol. I, 1927, pp. 337-343).
Dans la Métaphysique d'Aristote, le terme d'energeia occupe une
place centrale, notamment au niveau de l'explication du devenir,
problème fondamental de la philosophie des Anciens (cf. antagonisme
Parménide-Héraclite). La plupart du temps, il se trouve associé au
terme corrélatif dunamis. Energeia et dunamis forment le couple
conceptuel qui dans l'esprit de son auteur permet de résoudre les
antinomies du réel (identité-différence; permanence-évolution) et de
rendre compte du « flux phénoménal » de l'être, c'est-à-dire du
mouvement des étants au sein de l'être. Toute transformation d'un étant
implique au niveau de l'étant transformé le passage d'un état de
potentialité (dunamis) à un état d'actualité (energeia) grâce à l'action d'une
forme (eidos). L'energeia désigne la réalité vivante, l'efficacité, l'être
plein ou la plénitude d'être par opposition à la pure potentialité ou
virtualité d'être (non-être relatif) de la dunamis (Métaph., © 6ss).
L'antinomie du changement — devenir autre tout en restant le même —
s'explique par l'actuation d'une puissance. Aristote distingue le to fièv
Bvvdfxei (ce qui est en puissance) du ro S'ivepyeia (ce qui est en
acte). Logiquement l'acte précède la puissance. L'acte ne peut être
engendré que par un autre acte (34). Aristote affirme donc la
composition hybride du changement, en posant à sa source, en tant que
conditions de son intelligibilité, deux principes ontologiques : un
principe parménidien d'identité, de permanence, de similitude, de
détermination d'être (energeia) et un principe héraclitéen d'altérité,
d'évolution, d'opposition, de déterminabilité d'être (dunamis).
L'energeia permet à l'être de s'accomplir, de se réaliser pleinement, de
parvenir à sa fin (telos), la perfection d'être (perfectio rei, entelecheia).

(34) « <f>avepov Sri nporepov èvépyeia Swaju.ecos iariv ». (Métaph., 0, 8, 1049 b 5) ;


« àel yàp eV tov Swâ/xei ovtos yiyverai to èvepyelq. ov vtto èvepyeîa. ôvros, oîov âvdpœiros
i£ avdpumov, fiovaiKos viro fjLovaiKov, àel kivovvtos tivos npœrov • to Be kivovv ivepyeiq
iarlv ». {Ibidem, 0, 8, 1049 b 24-27).
Aristote et W. von Humboldt 497

L'energeia est aussi cause finale (35). Aux deux extrémités de la


hiérarchie des degrés d'être, dunamis désigne la pure puissance de la «
matière », energeia l'acte pur, éternel de « Dieu » dont l'être est soustrait
aux contingences du changement (36). Dès lors que l'être en tant
qu'être est acte, « énergie », tout ce qui est doit être conçu sur le mode
actif (actuel, génétique, dynamique, énergétique). En extrapolant
cette conception aux domaines physiologique, biologique, épistémo-
logique, éthique, on dira que la vision, la vie, la connaissance, la vertu
sont des « énergies ». (Cf. De l'Ame et Éthique à Nicomaque)
« Le terme energeia, dit Aristote, signifie actuation d'une
puissance, c'est-à-dire perfection d'être, entéléchie (37). Dans ce sens,
il s'applique principalement aux différentes catégories de mouvement.
Par la suite, cette signification s'est étendue à d'autres domaines.
Mais il semble bien que energeia signifie essentiellement mouvement ».
(Métaph., ©, 3, 1047 a 30-32) (™).
Le traité De V Ame valorise la notion d'energeia dans un contexte
plus psychologique que métaphysique. Toutefois, le mot y garde
généralement son sens premier métaphysique, abstraction faite de
quelques nuances sémantiques insignifiantes. Ainsi, la locution /car'
ivépyeiav est de rigueur chaque fois qu'il est question de l'activation
de facultés psychophysiologiques : la perception en acte (rj /car'eVe/)-
yeiav aïadrjais), l'ouïe en acte (àxo-r) kclt' ivépy eiav), l'acte de la
sensation (aiarôrjTov èvépyeia) (39). En revanche, nous avons remarqué que le
terme ergon, contrairement au sens plutôt passif de œuvre (Werk)
que lui attribue Humboldt dans sa proposition ergon-energeia, est
employé ici par Aristote dans un sens actif de fonction, (rœv rfjs ^vx^s
epycov) ou encore d'activité (rà irdôr) ko.1 rà epya rfjs ifjvxrjs) (40) !
Dans cette dernière acception, il est généralement opposé à ndOos, au

(35) « réXos S'17 èvépyeia, Kaî rovrov X^-Plv V Swa/us A<tytj8av€T<zi ». (Ibidem, 0, 8,
1050 a 9-10).
(36) Pour un complément d'information sur la solution aristotélicienne au problème
métaphysique du devenir cf. La Physique d'ARiSTOTE, et les travaux de F. Van steen-
beeghen, Ontologie, 1961 (3 éd.), pp. lllss, et L. Fuetscher s.j., AUundPotenz, 1933.
(37) E. Zeixer, dans Die Philosophie der Griechen, II, 1921 (4e éd.), admet qu'en
Métaphysique Aristote emploie indistinctement energeia pour entelecheia (pp. 302ss).
(3^) « iXrjAvde S'ij ivépy eia, rovvofj,a, ■>} ■npos ttjv ivreXexeiav arvVTiOeix.évr) /cat inl rà
ôAAa, eK TÛ)v Kivrjaeoiv fiâXiara • 8ok£Î yàp 17 èvépyeia juaAiara 77 Kivqais eîvai ».
(39) B, 5, 417 b 22; T, 2, 425 b 28; F, 2, 426 a 11, 16.
(40) A, 1, 403 a 10; A, 4, 408 a 4.
498 Josef Voss

sens d'affection, de « passion » (41). Cette ambivalence n'a probablement


pas échappé à Humboldt qui a pris soin, dans sa formule ergon-ener-
geia, d'ajouter aux termes grecs la traduction allemande, ou plutôt
de faire accompagner les termes allemands d'une traduction grecque
entre parenthèses.
Il reste à préciser la signification du terme aristotélicien d 'en ergeia
tel qu'il est employé par son auteur dans YÉthique à Nicomaque,
l'œuvre que Humboldt semble avoir mieux connue et appréciée plus
que les autres. (Cf. supra paragr. II, 2). De là à postuler que c'est
avec l'energeia éthique (d'Aristote) que Tenergeia linguistique (de
Humboldt) offre le plus d'analogie, il n'y a qu'un pas que précisément
l'analyse suivante devrait nous permettre de franchir.
Autant l'energeia métaphysique était définie par opposition à
dunamis, autant l'energeia éthique l'est par anthithèse avec ergon.
Cette première impression est en effet confirmée par les nombreux
endroits de YÉthique où Aristote associe les deux termes pour mieux
faire ressortir leur différence sémantique (A, 1, 1094 a 3-6 ; A, 6, 1098 a
12-14; H, 13, 1153 a 23-25; I, 7, 1168 a 3-9). Est-ce à dire qu'il s'agit
d'une opposition « pertinente » au sens que donne à ce mot la
phonologie contemporaine ? L'hypothèse est d'autant plus séduisante qu'elle
nous aiderait à mieux comprendre la même alliance de mots chez
Humboldt.
Aristote place la fin morale suprême de l'homme qu'est le bonheur
(eudémonisme) dans une sorte d'activité de l'âme selon la vertu (èarlv
rj evSai/xovîa i/jvx^js ivépyeid ns /car' àperrjv ; A, 13, 1102 a 5-6).
Ce thème est répété, sous des formes variées, tout au long de Y Éthique
à Nicomaque (42). Il constitue incontestablement un des leitmotive
de celle-ci. « Le Bien est l'acte (energeia) propre de chaque être ».
« Le bonheur réside dans l'activité et non dans une potentialité, qui
pourrait être en sommeil ; il est usage, et non simple possession ; il ne
consiste pas à être, mais à faire» (43). Le concept d'energeia est
assurément aussi important dans YÉthique (plus de 110 mentions) que dans
la Métaphysique, même s'il acquiert dans la première une teneur

(41) Cf. supra et A, 1, 403 b 12; A, 5, 409 b 15-16.


(42) A, 2, 1095 a 14-22; A, 6, 1098 a 7-20; A, 9, 1098 b 29- 1099 a 3; A, 10, 1099 b
26; A, 11, 1100 a 13ss, b 10; A, 13, 1102 a 5ss, 17ss; Z, 13, 1144 a 5ss; H, 14, 1153b
lOss; /, 9, 1169 b 29-35; K, 2, 1173 a 14ss; A', 7, 1177 a 12-25; K, 7, 1177 b 16-29;
K, 8, 1178 b 7ss; K, 9, 1179 a 8ss.
(43) P. Aubenqub, Encyclopaedia Universalis, 1968, vol. 2, art. Aristote, p. 401.
Aristote et W. von Humboldt 499

spécifique différente de celle qu'il a dans la seconde. Voilquin donne


d'energeia quelque vingt-cinq traductions françaises différentes (44) :
activité (de loin le sens le plus fréquent), activité créatrice, acte (au
sens général et au sens technique aristotélicien), action, exercice,
usage, force (agissante, vive, en acte, en action, actuelle, qui se déploie),
violence, effort, manifestation, activité en acte, activité déployée,
activité qui se déploie, déploiement d'activité, énergie, pratique.
L'éventail des nuances sémantiques du terme ergon est à peine moins
vaste (environ vingt traductions différentes) : œuvre, ouvrage, travail,
fonction, activité, acte, occupation, action, résultat, objet, ce qui
est là (donné), quelque chose, fait, tâche, office, peine (difficile),
comportement, ce qui est essentiel, ce qui caractérise, le propre de. Le
Thesaurus Graecae linguae donne pour ergon les équivalents latins de
base : opus (œuvre), factum (fait), res facta (chose faite). Le Wôrter-
buch der griechischen Sprache traduit en allemand par : Werk (œuvre),
Arbeit (travail), Geschàft (affaire), obliegende Sache (tâche), Verrich-
tung (activité), Handthierung (opération), Beschâftigung (occupation),
Sache, Ding (chose). En comparant ces significations à celles d'energeia,
on s'aperçoit que ergon est plus polysémique que energeia : ses écarts
de signification sont plus considérables. On constate en outre que
le sens humboldtien passif de ergon n'est pas établi chez Aristote
de manière univoque. Dans VÉlhique à Nicomaque, ergon possède
la signification tantôt de ce qui résulte de l'activité (sens passif),
tantôt de cette activité elle-même (sens actif). Disons, à titre
provisoire et en apportant un léger correctif à ce qui a été avancé plus
haut, que l'opposition aristotélicienne entre ergon et energeia n'est
pas toujours pertinente. Dans l'œuvre du Stagirite, ergon et energeia
sont loin de former un couple conceptuel aussi uni que dans la formule
humboldtienne ergon-energeia.
Mais peut-être n'importe-t-il pas peu de considérer qu'Aristote
oppose energeia non seulement à dunamis (Métaph.) et à ergon (Éth.
Nie), mais encore, toujours dans le cadre de Y Éthique à Nicomaque,
à ttolQos, ë£is, Trpoaipecriç. Étant donné que dans le puzzle (système)
d'une langue chaque pièce (lexeme) se définit par tout ce que les autres
ne sont pas (principe d'opposition), ces nouvelles antithèses ne
manqueront pas d'ajouter, par différenciation sémantique, des éléments
nouveaux à la signification d'energeia. IJdôoç signifie, comme dans le
traité De l'Âme, affection, penchant, inclination. Le Kara irâOos (par
(44) Dans sa traduction française de Y Éthique à Nicomaque, 1961.
500 Josef Voss

sentiment) est parfois employé en relation avec le tcad'eÇw (par dispo-


position) (©, 7, 1157 b 32). La distinction e^i? (disposition) — ivépyeia
(activité) est capitale dans YÉthique à Nicomaque. Ce qui importe,
c'est l'agir. L'éthique aristotélicienne est une éthique de l'action. Le
bonheur (evSaifxovla) est dans l'activité (ivépyeia). Mais celle-ci doit
s'enraciner dans une disposition stable (e£ts). Aristote écrit : « II n'est
pas indifférent de préciser si l'on conçoit le souverain bien dans la
possession (tcrr/aec) ou dans l'usage (xprjoei), dans le tempérament
(ivépyeia) ou dans la simple disposition (e£ei) » (A, 9, 1098 b 33). Plus
loin : « En ce qui concerne les vertus, on répartit les hommes vertueux
d'après la disposition (ttad'eÇiv) et l'activité (Kar'ivépyeiav)» (&, 6,
1157 b 6). Le Kad'etjiv signifie le mode de la disposition stable, de
l'état du caractère, de la volonté, de l'habitude résultant de
l'expérience. Est-ce le pendant éthique du Kara StW/xiv ontologique ? Le
kclt* evépyeiav marque, comme dans la Métaphysique, une modalité
d'être actuelle, in actu(45). Il semble à tout le moins hasardeux de
faire correspondre au couple métaphysique Swa/xts - ivépyeia le couple
éthique éÇis - ivépyeia. La signification de irpoaipeais (plan
prémédité, dessein, option, projet, velléité, tendance, parti pris, mouvement
antérieur à l'acte de choisir, délibération réfléchie) est assez voisine
de celle de ë£is et jrddos. Le Kara irpoaîpeaiv (E, 9, 1154 a 2) définit
le mode de la disposition intentionnelle, du choix librement consenti.
Il arrive souvent que irpoaipecns s'oppose soit à irpâÇis (action),
dont TTpoaipeais est, en tant que choix délibéré, le principe (A, 1,
1094 a iss; Z, 2, 1139 a 31), soit à irddos au sens passif antithétique
à Trpoaipecns et à ivépyeia de : ce qui se passe, passion, traitement,
impulsion passionnée, émotion (E, 7, 10, 1132-1134; &, 7, 1157) (46).

3. Champ sémantique du terme energeia


Pour conclure ce paragraphe, essayons, dans une sorte de synthèse,
(45) « "EÇis (lat. habitus), état de celui qui a, qui possède quelque chose et, par
extension, ce qu'on possède, ce dont on est disposé à se servir effectivement. 'Evépyeia,
acte opposé à la puissance, ce qui est effectif opposé à ce qui est virtuel. » ( J. Voilqtjin,
Éthique à Nicomaque, 1961, note 266, p. 523) Signalons pour mémoire d'autres
références relatives à l'emploi du terme ZÇis dans YÉthique à Nicomaque : E,\, 1129 a 7;
E, 1, 1129 a 13ss; E, 1, 1129 a 18; E, 3, 1130 a 13; Z, 1, 1138 b 32; Z, 2, 1139 a 16;
Z, 2, 1139 a 22; Z, 2, 1139 a 34; Z, 2, 1139 b 13; Z, 3, 1139 b 31; Z, 4, 1140 a; 0, 6,
1157 b 6; 0, 7, 1157 b 29, 31ss.
(46) D'autres références relatives à irpoaloeois : Z, 2, 1139 a 23; Z, 2, 1139 a 25;
Z, 2, 1139 a 31ss; Z, 2, 1139 a 34; Z, 2, 1139 b 4; 6, 1, 1157 b 30ss.
Aristote et W. von Humboldt 501

de faire le point sur les sens variés d'energeia, tels que nous les a révélés
l'analyse précédente et tels que Humboldt a pu les connaître. Ce
schéma récapitulatif (cf. fig. I) fait apparaître une signification
fondamentale et générale du terme energeia. Cette signification première
définit le centre de gravité du réseau conceptuel énergétique, centre
autour duquel gravitent les différents ensembles « satellisés » des
connotations secondaires d'energeia. Nous distinguons deux coordonnées à
l'intérieur de ce champ sémantique : l'axe vertical du langage ordinaire
et l'axe horizontal du langage philosophique.
Le « tronc » sémantique commun d'energeia semble assuré par
la traduction française : activité (ail. Tâtigkeit; cf. Humboldt VII,
46). Sur le plan du langage courant s'inscrivent, en deçà de ce sens
large, les sens quelque peu édulcorés d'action et d'efficacité, au-delà,
les sens plus musclés de force agissante et d'énergie violente. Sur
l'axe horizontal s'échelonnent les nuances proprement philosophiques
du terme avec, aux extrémités de cette hiérarchisation, les notions
de puissance et d'entéléchie. Faut-il ajouter que ce tableau n'a
aucunement la prétention d'être exhaustif?

Fig. i
Aristote-Humboldt
Tableau sémantique d'energeia
énergie
energia
Energie
t
force agissante
vis efficax
Thatkraft
t perfection
puissance projet œuvre ACTIVITE énergie acte d'être
Swa/its — > - disposition epyov — >■ ENEPrEIA —> physique —^ èvépyeia —>
Potenz affection Werk THÂTIGKEIT physiolog. Verwirklichung perfectio re;
npoalpeais, e< râOos psychique (Prozess) Wesensvol-
tI
Vorhaben action esthétique lendung
Veranlagung npâÇis (Wirklich-
Leiden Handlung keit)
efficacité
t
efficacitas
Wirksamkeit
502 Josef Voss

IV
LA TENEUR DU CONCEPT HUMBOLDTIEN D'ENERGEIA

Quelles modulations sémantiques nouvelles se dégagent pour la


proposition ergon- energeia de l'association Humboldt- Aristote ?
Quelles implications l'hypothèse de l'origine aristotélicienne d' energeia
entraîne-t-elle au niveau de l'interprétation de la formule ergon-ener-
geia ? Comment « lire » celle-ci, connaissant la teneur aristotélicienne
de ces mots clés ? Ou encore : dans quelle mesure Humboldt assigne-t-il
à la notion d'energeia, dont nous pensons avoir montré qu'elle est
« fille » d' Aristote, un contenu sémantique différent du contenu que
cette notion a chez Aristote ?

1. Ce qui rapproche Humboldt d 'Aristote


Quelle que soit la réponse à ces questions, il est certain que le
détour par Aristote et par les sources grecques d'energeia permettra
de « penser » de manière plus adéquate l'energeia humboldtienne.
Or, non seulement il n'est pas faux de prétendre qu'en utilisant une
seule fois dans son œuvre, mais à un endroit capital de celle-ci, le
terme energeia, Humboldt n'ignorait ni ce que nous avons appelé
son sens largement grec, ni ce que nous avons appelé son sens
étroitement aristotélicien ; il faut en plus admettre — l'analyse précédente
l'a montré — que l'auteur de la proposition ergon-energeia se réclame
du Stagirite en attribuant à energeia une signification très largement
aristotélicienne. D'autant plus, dirons-nous, que le concept humbold-
tien de forme est lui aussi essentiellement dynamique. Pour Humboldt
la forme du langage (innere Sprachform) est principe énergétique de
structuration, d'organisation, au même titre que la forme
aristotélicienne (eidos) est principe d'être (Wesensgrund), force intérieure
agissant comme cause finale du devenir et du développement de toutes
choses, principe qui fonde l'essence (ousia), la détermination
particulière de tout être. La « Sprachform » en tant que forma formata
est produit de l'energeia ; mais en tant que forma formans, elle est
à son tour active, force agissante (Sprachkraft). «Sprachform» et
« Sprachkraft » sont indissociables.
L'affirmation d'une certaine identité terminologique (signifiant)
et sémantique (signifié) entre l'energeia aristotélicienne et l'energeia
humboldtienne appelle une interprétation originale, c'est-à-dire aristo-
télisante, de la proposition ergon-energeia de Humboldt (VII, 46).
Aristote et W. von Humboldt 503

Définir le langage comme activité (Thâtigkeit, energeia) au sens


aristotélicien, c'est le concevoir comme actuation d'une fin (telos) qui lui
est propre, comme expression dynamique des contenus réels de
conscience moyennant le concours d'énergies intellectuelles et psychiques.
Energeia est synonyme de « Sprachkraft », force du langage. Elle
est la faculté d'actuation psychophysiologique proprement humaine
permettant au sujet parlant de convertir des contenus de conscience
subjectifs (représentation) en contenus de conscience objectifs (signes
linguistiques). Le signe linguistique qui résulte de ce processus d'objec-
tivation des contenus de conscience représente le point
d'aboutissement objectif — extériorité , langue, ergon, puissance — du « dialogue »
subjectif — intériorité, langage, energeia, acte qui s'instaure entre le
sujet (moi) et le monde (objet). La force qui engendre la pensée et la
force qui donne naissance au langage (Sprachkraft) sont identiques
en tant qu'énergies spirituelles. C'est leur activité qui fonde en dernière
instance l'être comme « objet » possible de connaissance, c'est-à-dire
en tant qu'objet de représentation ou contenu de conscience. C'est
une activité « synthétique », au sens kantien du terme, ce qui nous
montre que l'energeia humboldtienne a une dimension idéaliste
difficilement dissociable de sa dimension aristotélicienne. La langage est
inséparable de l'activité intellectuelle (Sie [= die intellectuelle
Thâtigkeit] und die Sprache sind daher Eins und unzertrennlich von einander ;
VII, 53). Or celle-ci se présente comme une «synthèse» du multiple
(Das Denken fordert ausserdem Zusammenfassung des Mannigfaltigen
in Einheit; VII, 67) (47).
Définir le langage comme activité au sens aristotélicien, c'est
attirer l'attention sur le processus génétique, dans lequel le langage
est impliqué de manière incessante (48) : le mouvement infini qui
mène de l'« aptitude » de s'exprimer et de comprendre ce qui vient
d'être entendu, à la « mobilisation » de cette capacité ou virtualité
et à son élévation au rang de « réalité tangible » par la « force créatrice »
du discours (49).
(47) Cf. I. Kant, Critique de la raison pure, 2e éd., 1787, pp. 129ss, 153ss, 202ss,
et E. Cassieee, FF, pp. 261ss, 456, P8F, pp. 8ss, 26, 45, lOOss.
(48) «(...), daB man die Sprache nur richtig begreifen kann, wenn man an sie
nicht die MaCstâbe des Bestehenden, des Résultâtes anlegt, sondern die Schweise des
Sich-Vollziehenden, des Wirksamwerdens ». (L. Weisgekbee, Die sprachlichen Zugriffe
in der Erkenntnislehre, dans Sprache und ErJcenntnis, 1972, p. 33)
(49) Cf. W. von Waetbueg, Problèmes et méthodes de la linguistique, 1969 (3e éd.),
pp. 12 et 17-20.
504 Josef Voss

Définir le langage comme activité au sens aristotélicien, c'est


concevoir l'opération mentale par laquelle toute locution est investie
de sens comme un acte créateur. Le sujet parlant fait preuve de
créativité (creative aspect of language use, Chomsky), dans la mesure où, à
chaque acte locuteur, il « réalise », de manière « sensible », un tout
sémantique complexe, la phrase, à partir des éléments lexicaux (monè-
mes, morphèmes, paradigmes), syntaxiques (syntagmes) et
phonétiques que la « langue » tient à sa disposition à l'état virtuel. Ces
réalisations formées d'éléments structurés (lexemes) et fonctionnels
(syntagmes) ne sont pas pour autant figées, stéréotypées. Chaque énoncé,
en vertu même de son contexte phonétique, syntaxique et sémantique
propre (courbes intonatives, accents rythmiques, prosodie, modulations
sémantiques), est en quelque sorte unique en son genre. Ce qui veut
dire, en d'autres termes, que les mots en tant que mots, c'est-à-dire
dans leur existence lexicale toute « léthargique », n'ont pas de
signification ou du moins sont sémantiquement ambigus, polyvalents. C'est
dans le contexte de l'énoncé individuel concret que les lexemes
acquièrent leur pleine valeur sémantique : tel énoncé ressuscitera, en
l'actualisant, telle signification de tel mot. Au fond, tout se passe comme si
les mots recevaient leur signification de la phrase, mais que, pour
comprendre la phrase, il fallait déjà connaître la signification de chacun
de ses constituants (VII, 72ss). L'intégralité du sens est plus que la
somme de ses composants. Cela signifie enfin que le contenu sémantique
de chaque mot n'existe, au niveau du locuteur, qu'en puissance (duna-
mei), pour ainsi dire à l'état de momie (mumienartig, VII, 45).
L'accession du langage d'un état de potentialité à un état d'actualité, c'est
l'activité langagière de la parole qui l'opère par un processus que
Humboldt qualifie précisément d'energeia. C'est dans ce traitement
énergétique des « réalités » virtuelles de la conscience que réside,
d'après l'auteur de la proposition ergon- encrgeia, la « substantifi que
moelle » du fait linguistique (50).
(50) Notons toutefois que Humboldt ne semble pas avoir en vue une négation
radicale du caractère « ergétique » (ergon) du langage (cf. VII, 61ss et H. Arbns, Sprach-
wissenschaft, p. 205). Qu'on ne s'y trompe pas ! La solution en apparence exclusivement
énergétique qu'il apporte, par une formule lapidaire, à l'antinomie ergon-energeia,
n'évacue pas la tension fondamentale entre deux pôles : le pôle représenté par la «
tendance à l'individualisation» (Individualisierungstendenz) du langage en tant que fait
individuel privé, et le pôle représenté par la « tendance au conventionalisme » (Konven-
tionalitâtstendenz) du langage en tant que fait collectif supra-individuel. Elle lui donne
un « sens ». Cf. H. -G. Gadamer, Semantik und Hermeneutik, dans Sprache und Erhenntnis,
Aristote et W. von Humboldt 505

Le tableau suivant (cf. fig. 2) récapitule, dans une optique aristo-


télico-humboldtienne, l'essentiel de ce qui a été développé ci-dessus
au sujet de la polarité ergon-energeia.

FlG. II
Structure
superficielle du langage
ergon : potentionalité, phylogenèse, mode
d'être parménidien, objectivité,
synchronie, extériorité matière, fait
social, fini, inorganique, langue,
communication, Saussure, Behavioris-
tes, imitation, langue «
monolithique», unité, identité, paradigma
tique, phonétique, son, linguistique,
forma formata, écrit, signifiant, ...
perspectivisme des écarts sémantiques
valeur moyenne de chaque signe
linguistique
intersubjectivité, entente possible
Il h h \ ff entre individus, dialogue

Structure profonde
du langage
ENERGEIA : actualité, ontogenèse, mode d'être
héraclitéen, subjectivité, diachronie,
intériorité, forme, fait individuel,
infini, organique, parole, expression,
Humboldt, Chomsky, créativité,
langue « vision du monde»,
pluralisme, différence, syntagmatique,
sémantique, sens, philosophie du
langage, forma formans, oral, signifié, . . .

1972, p. 59. Le problème ergon-energeia est en dernière analyse un problème de priorité,


la véritable question n'étant pas de savoir si le langage est soit ergon, soit energeia,
mais davantage ergon ou davantage energeia (cf. A. Schaff, Langage et réalité, dans
Diogène n° 51, 1965, p. 157). « C'est entre le mobile et l'immobile, entre le processus
créateur et la réalité constituée, dans le passage de l'un à l'autre » que devra se localiser
notre, recherche (cf. H. Lefebvre, Le langage et la Société, 1966, p. 75).
506 Josef Voss

2. Ce qui sépare Humboldt d'Aristote


L'objet de ce qui précède était d'étudier jusqu'à quel point se
recouvrent les significations aristotélicienne et humboldtienne d'ener-
geia. Nous avons tenté d'établir que cette coïncidence ne se limitait
pas à une concordance extérieure de signifiants, mais comportait
en outre une forte convergence de signifiés. Maintenant, en ce qui
concerne les connotations spécifiquement humboldtiennes d'energeia,
pour importantes qu'elles scient, il nous semble que leur examen
déborde le cadre du présent propos. C'est pourquoi nous nous
contenterons ici de suggérer brièvement deux orientations de recherche.
La première découle d'une constatation très simple : Humboldt
utilise la notion d'energeia dans un contexte linguistique, ce qui n'est
pas le cas d'Aristote. L'application au domaine des faits du langage,
pour être originale, ne saurait remettre en cause l'acception originelle
et la teneur aristotélicienne proprement philosophique d'energeia.
En revanche, cette transposition nous engage à reconsidérer une
analogie sans doute trop facilement acquise et elle met en évidence ce
qui, à première vue, sépare l'energeia humboldtienne de l'energeia
aristotélicienne : des emplois différents dans des contextes différents.
Humboldt emploie l'expression aristotélicienne energeia, dans ce
qu'elle a de spécifiquement linguistique, pour caractériser le langage,
dans ce qu'il a de spécifiquement énergétique, toute la difficulté
étant de savoir en quoi consiste exactement la dimension linguistique
d'energeia. Cette dimension, Humboldt l'a valorisée en parlant
d'energeia dans le cadre de la philosophie du langage. Cependant, elle ne
supprime en rien le contenu philosophique du concept ; elle enrichit
au contraire celui-ci d'une connotation nouvelle.
Dans Unterwegs zur Sprache (1960, 2e éd.), de Heidegger, nous
trouvons une seconde indication en ce qui regarde les nuances
proprement humboldtiennes du concept d'energeia. Selon Heidegger,
Humboldt, en définissant l'être profond du langage comme energeia,
attribue au terme grec une signification non grecque de « activité du sujet »,
signification qui serait à « penser » dans le contexte de la monadologie
de Leibniz. La démarche linguistique de Humboldt, poursuit Heidegger,
serait axée en dernière analyse sur une réalité métalinguistique :
l'homme. Elle trouve sa justification dans une science que l'on
pourrait qualifier d'anthropologie historique, et qui viserait à rendre
compte de ce qui fonde l'évolution intellectuelle du genre humain (51).
(51) «(...) Humboldt das Wesen der Sprache als Energeia bestimmt, dièse jedoch
Aristote et W. von Humboldt 507

Cette dernière remarque de Heidegger nous semble particulièrement


pertinente. Qu'on songe au souci permanent de Humboldt—notamment
dans Y Einleitung (VII) —pour replacer la problématique du langage
dans le contexte plus global d'une histoire culturelle de l'humanité
(VII, 13 ss). Quant à la teneur non grecque d'energeia, il nous paraît
évident, comme nous l'avons souligné par ailleurs (cf. supra introd.
au paragr. II), que la référence à Aristote n'épuise pas le contenu
sémantique d'energeia. Elle n'en éclaire qu'un aspect, la monadologie
(Leibniz) et le subjectivisme transcendantal (Kant, Schelling) en
éclairant d'autres.

CONCLUSION
En posant la priorité du langage-energeia sur le langage-ergon,
Humboldt restitue au langage sa dimension première d'activité.
Interprétée au niveau du langage en catégories aristotéliciennes,
l'energeia est le « moyen linguistique qui concerne la possibilité même de
passer de la langue au discours » (52). Elle est «spontanéité» et «force
créatrice individuelle ». La langue prend vie à travers la parole actuante
et individuelle des locuteurs qui sont « les porteurs vivants, mais aussi
changeants de l'esprit collectif» (53).
Il se trouve que dans la conjoncture linguistique actuelle, on ne
compte plus les auteurs qui ont fait état de l'origine essentiellement
idéaliste de l'outillage conceptuel de Humboldt. A juste titre. Et nous
sommes loin de contester en quoi que ce soit le mérite qu'il y a à insister
sur une filiation intellectuelle que nul ne songerait à révoquer
sérieusement en doute (54). Mais tout n'a pas été dit, tant s'en faut. Ramener
l'énergétisme humboldtien au seul kantisme est une réduction à nos

ganz ungriechisch im Sinne von Leibnizens Monadologie als Tâtigkeit des Subjekts
versteht. Humboldts Weg zur Sprache nimmt die Richtung auf den Menschen, fûhrt
durch die Sprache hindurch auf anderes : das Ergrûnden und Darstellen der geistigen
Entwicklung des Menschengeschlechts » (op. cit., p. 249).
(52) A. Jacob, Points de vue sur le langage, 1969, p. 13.
(53) w. von Waetbukg, Problèmes et méthodes ..., p. 292.
(54) Mentionnons à ce sujet quelques-uns des travaux les plus importants : E.
Cassieer : FF et PSF; Die kantischen Elemente in Wilhelm von Humboldts Sprach-
philosophie, Festschrift Paul Hensel, 1923 ; E. Spranger, Wilhelm von Humboldt und Kant,
1908; W. Streitberg, Kant und die Sprachwissenschaft, 1909; E. Fiesel, Die Sprach-
philosophie der deutschen Romantilc, 1927 ; F. Kainz, Die Sprachphilosophie der deutschen
Romantik, 1938.
508 Josef Voss

yeux irrecevable et que nous avons voulu démasquer en attirant


l'attention sur les sources grecques et aristotéliciennes d'une — ou
plutôt de la — notion clé de la linguistique humboldtienne.

Luxembourg. Josef Voss.

Résumé. — Cette étude poursuit une double finalité : d'une part,


mettre en évidence la prééminence du concept d'energeia au sein de la
philosophie du langage chez Humboldt; et d'autre part, montrer la
racination aristotélicienne de ce qu'il convient d'appeler le maître-mot
du « Sage de Tegel ». La valorisation du premier point donne lieu à
l'esquisse d'une théorie où l'on tient essentiellement que le langage
est actualité productrice (ivépyeia) avant d'être produit d'actuation
(epyov). L'examen du second aspect appelle une confrontation
historique en même temps qu'étymologique et métaphysique des points
de vue humboldtien et aristotélicien relatifs à la notion d'energeia.
Ce rapprochement, dont par ailleurs on ne se dissimule pas les limites,
fait apparaître l'urgence d'une révision de la thèse communément
admise tendant à ramener l'humb oldtisme à sa contexture idéaliste.
L'héritage kantien, dont il ne s'agit évidemment pas de sous-évaluer
le poids, ne saurait faire oublier la dette fondamentale que Humboldt
a contractée envers le Stagirite.

Abstract. — This study has a twofold aim : firstly, to show


how outstanding is the concept of energeia in Humboldt's philosophy
of language ; and secondly, to point out the Aristotelian roots of what
may be termed the key-word of the « Sage de Tegel >>. The evaluation
of the first point gives rise to the outline of a theory maintaining
essentially that language is productive actuality (ivepyeia) before
being a product of actuation (ipyov). The examination of the second
aspect calls for an historical — and at the same time etymological and
metaphysical — confrontation of Humboldt's and Aristotle's views
in regard to the notion of energeia. This comparison, the limitations
of which we are fully aware of, brings out the urgency for revising the
commonly-held thesis which tends to reduce Humboldtism to its
idealist framework. What he has inherited from Kant, the weight of
which there is obviously no question of underestimating, cannot lead
us to forget the fundamental indebtedness of Humboldt to the Stagirite
(Transi, by J. Dudley).

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