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Boualem Sansal.

Ecrivain

«La seule culture qui progresse en Algérie est la culture islamiste


faite de wahhabiya, takfiriya, salafiya»

le 26.10.17 | 12h00 Réagissez

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«Les islamistes en Algérie, ont-ils gagné ou perdu ? A mon avis, ils


ont gagné. Après avoir tué 200 000 personnes et pillé le pays, ils
ont été blanchis, indemnisés. Aujourd’hui, ils se comportent en
conquérants...», cingle l’auteur de 2084 : La fin du monde.

Votre dernier roman à succès international 2084 : La fin du monde


annonce le triomphe de l’ordre islamiste ; au-delà du roman, êtes-
vous convaincu que l’on se dirige vers ce «nouveau» monde ?

La question de l’islamisme est subsidiaire. Le fait essentiel est que le


monde arrive à un terminus. Nous sommes sept milliards d’habitants
sur une terre dont les ressources sont en voie d’épuisement et que la
pollution et le réchauffement climatique rendent déjà invivable. Dans
plusieurs pays, la catastrophe est là. Il est fatal que dans ces conditions
où la fin du monde se profile sous nos yeux apparaissent des courants
apocalyptiques et messianiques, comme l’islamisme. Dans les années
1930, ce fut le nazisme et le fascisme.
Que fait-on contre cela ? Rien ou pas grand-chose. N’est-ce pas la
preuve que l’humanité a perdu la raison et la force de se battre ? Les
islamistes, qui, eux, combattent avec foi et ardeur pour leur paradis, en
profiteront. C’est ça «2084», un monde qui s’est autodétruit et que les
islamistes ont cueilli comme un fruit pourri. En 1948, Orwell
imaginait la victoire de Big Brother, moi je vois celle de Bigaye,
l’équivalent islamiste de Big Brother.

En Algérie, comment sommes-nous passés de 1984 au sens orwellien


sous le régime du parti unique et de la police politique au monde de
2084 au sens sansalien ? Comment s’est opérée cette mutation ?

C’est sous Boumediène que nous avons approché au plus près


l’univers carcéral et absurde de 1984. Orwell a montré comment le
régime de Big Brother réécrit constamment l’histoire pour qu’elle soit
en harmonie avec la vérité édictée par le parti. Avec la Charte
nationale, Boumediène a réécrit trois mille ans d’histoire de ce pays
pour nous signifier qu’il en était l’apothéose.

Orwell aurait aimé voir ça. Avec Bouteflika, nous sommes dans un
mix de Big Brother, autocrate d’un empire zombi, et d’un autre
phénomène de la mascarade humaine, le roi Ubu d’Alfred Jarry, qui se
nourrit de complots et de prédations. Comment sommes-nous passés
de ça à ça ? C’est simple, Montesquieu nous l’a expliqué en un mot :
«Les peuples ont les dirigeants qu’ils Méritent.» Ne cherchez pas plus
loin. Le jour où le peuple se comportera en souverain éclairé, il se
donnera des dirigeants éclairés. Là, nous sommes au plus bas, nous
avons Big Ubu, et le peuple, très majoritairement, est prêt à lui donner
quatre autres mandats, même à titre posthume.

Vos alertes sur l’islamisation rampante qui menacerait la société


algérienne, voire française, ne sont-elles pas exagérées ? N’est-ce
pas une obsession ?

Le phénomène est rampant, donc pas visible à première vue. Il faut


bien regarder et d’abord se libérer du discours officiel qui nous dit que
tout va bien sous le règne lumineux de Big Bouteflika. En France, il
faut casser le mur du politiquement correct imposé par les médias et
par ceux qui guignent les voix des musulmans pour remplacer les voix
ouvrières passées au FN. Le ressenti n’est pas forcément le même
chez l’un et l’autre. Pour moi, ça brûle. Et quand il y a le feu, je pense
qu’il faut crier «au feu !», même s’il est petit, on l’éteindra d’autant
plus vite.

Si on attend que la bâtisse flambe, il est inutile de crier et de se


lamenter, il faut prendre ses jambes à son cou et fuir. Exagération,
obsession, dites-vous ? Je vous rappelle les millions de braves gens
que les islamistes ont tués de par le monde et les millions d’autres
qu’ils persécutent et chassent de leurs terres. De janvier 2015 à ce
jour, 240 personnes ont été tuées en France par les islamistes.

Le gouvernement exagérait-il lorsqu’il se déclarait en guerre contre


l’islamisme et décrétait l’état d’urgence ? Je pense qu’il a tardé à le
faire, le feu a pris, maintenant il doit dépenser des millions d’euros par
jour pour seulement limiter les dégâts.

Proclamer la victoire des islamistes, n’est-ce pas une manière de


s’avouer vaincu, sans livrer bataille ?

Bien au contraire. Il faut constamment rappeler le danger qui nous


guette, les gens sont hélas oublieux, insouciants, mal informés, pris
par les difficultés quotidiennes. Il faut insister, les bousculer, les
alarmer. Mais je vous pose la question : les islamistes en Algérie ont-
ils gagné ou perdu ? A mon avis, ils ont gagné, après avoir tué 200
000 personnes et pillé le pays ils ont été blanchis, indemnisés et
aujourd’hui ils se comportent en conquérants.

Autre terrible constat : la seule culture qui progresse en Algérie est la


culture islamiste faite de wahhabiya, takfiriya, salafiya, rokya, halala
et autres pratiques monstrueuses. Or, qui fait la culture gouverne,
n’est-ce pas ? A l’intérieur du pays, la chose saute aux yeux. A Alger,
on peut s’illusionner et penser que la cohabitation entre «la famille qui
avance et la famille qui recule», comme disait Tahar Djaout, marche
aussi bien que l’exige la loi sur la Concorde civile et de
réconciliation… et de la défaite, devrait-on ajouter.

Dans ce climat de régression sociétale, que peut la littérature, que


peuvent les écrivains ?
A part alerter, un écrivain ne peut rien, c’est une personne avec un
stylo, c’est tout. La littérature en revanche a un réel pouvoir, encore
faut-il que le gouvernement le reconnaisse et fasse d’elle un
instrument privilégié d’éducation et de promotion des valeurs
humanistes.

Combien, à votre avis, les raïs qui se sont succédé à la tête du pays
ont-ils lu de livres ? Avez-vous vu l’un d’eux recevoir un écrivain,
citer un écrivain dans ses discours ? Souvenez-vous de la réflexion de
Bouteflika à propos de Chadli que Mitterrand avait reçu en audience
deux heures durant, il se demandait comment Chadli, qui, selon lui,
était inculte, avait pu tenir devant ce puits de culture qu’était
Mitterrand. Bouteflika avait du bagou, c’est sûr, il pouvait parler 36
heures d’affilée sans reprendre son souffle, mais durant combien de
temps pouvait-il parler de littérature avec Mitterrand ? Plus que
Chadli, moins que Chadli ? La question reste ouverte.

Vous avez déclaré la veille de la sortie de votre roman (2084) que


l’Algérie est vaccinée contre la démocratie, n’est-ce pas trop
pessimiste ; vous décrétez une sorte de fin de l’histoire...

Une fin de l’histoire, non, les pays arabo-musulmans suivront leur


voie. Cette voie ne mène pas à la démocratie, elle mène à l’oligarchie,
à la présidence à vie, au califat, au zaïmisme, au sultanat… ce que
nous voyons dans tous les pays arabes sans exception. Le Printemps
arabe a chassé les dictateurs, c’était bien, mais les gens ont fait quoi
ensuite, ils ont voté pour les islamistes et après pour leurs vieux
coquins, les caciques de l’ancien régime. Revenons à l’Algérie : la
démocratie ne l’a jamais visitée, elle est passée d’une férule à l’autre,
celle du FLN, celle du FIS, celle du triumvirat Armée-Police-DRS.
Depuis l’indépendance, les Algériens n’ont jamais vécu que cela,
hormis ces quelques mois de démocratie à la Mickey, qui a fait le
triomphe du FIS et des GIA et ouvert la voie au règne de la prédation
institutionnalisée d’aujourd’hui.

Vous ne croyez plus au triomphe de la raison et de la modernité en


Algérie ?
Je n’y crois pas du tout. Elle viendrait d’où cette modernité ? Des
mosquées ou des casernes qui poussent comme des champignons ?

Regardez l’état de l’école, de l’université, de l’administration. Où sont


notre élite scientifique, nos écrivains, nos artistes, nos experts ? Ils ont
massivement émigré. Regardez la jeunesse, l’avenir du pays, c’est à
pleurer, elle est amorphe comme nulle part dans le monde.

Pourtant, vous avez déclaré lors des débats organisés dans le journal
Le Monde en 2016 que vous vous sentiez «plus libre de parler en
Algérie qu’en France»...

C’est vrai, mais je parle pour moi, je ne représente pas l’Algérie. Le


politiquement correct a verrouillé la liberté d’expression en France sur
le sujet islam. En matière littéraire, l’Algérie oscille entre verrouillage
et laxisme. En ce moment, c’est la fermeture, comme en témoignent
les interdictions de plusieurs rencontres littéraires à Tizi Ouzou,
Béjaïa, Aokas. C’est en Kabylie, vous me direz, c’est peut-être ça la
raison. Bref, la récréation est finie, le raïs est malade, il se repose, il ne
faut pas l’ennuyer.

La frontière entre le politique et la littérature est devenue tellement


mince que le romancier s’expose à des tentatives de récupération ;
êtes-vous exposé à ce risque et comment y échapper ?

C’est sûr, quand on a quelque audience, on est une cible pour les
recruteurs. Parfois l’approche est discrète, d’autres fois on entend de
loin le bruit des sabots. Le problème n’est pas tant la personne de
l’écrivain, il est dans l’utilisation que les gens font de ses écrits et de
ses paroles. Il n’y peut rien. La solution est de cesser d’écrire et de
parler. Mais bon, restons modestes, un écrivain n’est pas si important
qu’on veuille absolument le récupérer, et ces invitations n’ont pas
forcément le côté trouble qu’on leur prête.

Vous êtes un écrivain clivant et qui déchaîne les passions ; avec


Kamel Daoud, vous êtes les deux écrivains algériens les plus
attaqués par certains cercles «médiatico-intellectuels» algérois...
Cela révèle quoi de notre époque ?
A mon avis, ça tient à l’atonie politique et culturelle du pays. Ce pays
est à mourir d’ennui, il ne se passe rien, tout est fermé, gelé, éteint, ça
sent le deuil. Sur le plan culturel, l’Algérie est bonne dernière dans le
classement mondial. Elle a deux, trois pauvres écrivains et que fait-
elle, elle veut les faire taire. Kamel Daoud et moi serions clivants ?
Pas du tout, les médiatico-intellectuels dont vous parlez voient des
crimes de lèse-majesté là où il y a tout banalement des opinions
différentes. Ils sont encore dans la culture FLN version Messaâdia, les
constantes nationales, l’unanimisme, la pensée unique, le respect de la
ligne. Hélas pour eux, il n’y a pas de vaccin pour ça.

Mais vous aussi vous exagérez certaines situations quand vous dites
par exemple que vos romans sont interdits en Algérie, alors qu’ils se
vendent dans toutes les librairies ?

Je ne suis pas responsable de ce que les journalistes écrivent sur moi.


Ils puisent dans d’anciens articles, datant de 2008-2009, quand mon
éditeur, Gallimard, avait diffusé un communiqué de presse, par lequel
il signalait que mon pamphlet Petit éloge de la mémoire qui venait de
sortir était interdit d’entrée en Algérie. Interrogé par la presse, j’ai
confirmé l’information. Souvenez-vous que ce livre avait déclenché
une immense polémique en Algérie.

La ministre de la Culture m’avait accusé d’attenter aux symboles du


pays et dans la foulée avait déclaré que j’étais persona non grata en
Algérie, ceci pour avoir seulement émis un léger doute sur le nombre
de morts de la guerre d’indépendance, fixé par on ne sait qui ni
comment à «un million et demi de martyrs».

L’interdiction a surtout porté préjudice à Edif 2000, l’éditeur qui


importe et distribue mes livres. Faute de visa, il a été obligé de
réexpédier en France les quelques milliers d’exemplaires qu’il venait
d’importer. Gallimard et Edif 2000 peuvent évidemment confirmer
cela. Depuis, la chose est restée dans les mémoires et les archives.

Or, vous savez que ce qui a été publié ne peut plus être effacé. J’ai
beau répéter que je vis en Algérie, que mes livres sont disponibles, la
presse étrangère reste sur sa croyance : on dit que je suis réfugié en
France ou en Allemagne, on dit que je suis interdit au pays depuis
mon voyage en Israël.

On rappelle que j’ai été limogé de mon poste au ministère de


l’Industrie et que je suis salement attaqué par les médiatico-
intellectuels, pour reprendre votre expression. Aujourd’hui, je ne
réagis plus à rien. «Laisser pisser le mérinos» est ma devise.

C’est comme pour Kamel Daoud, on répète en France qu’il a une


fatwa sur la tête, alors qu’il n’a jamais dit cela : il a seulement dit qu’il
avait porté plainte contre l’activiste islamiste qui, dans une vidéo mise
en ligne, pressait le gouvernement de lui appliquer la charia pour avoir
dit qu’il n’était plus musulman, ce qu’il n’a jamais dit aussi. Une fois
le mot fatwa lancé, plus moyen de l’arrêter, il fait le tour de la planète.
Ainsi fonctionnent les médias, c’est une caisse de résonance
planétaire.

Pourquoi dès qu’un écrivain algérien est salué par la critique en


Occident, il est vite «crucifié» en Algérie ?

C’est un mystère, d’autant plus incompréhensible que nos


«crucificateurs» ne sont pas de pauvres commissaires politiques à la
tâche, mais des universitaires et des journalistes importants, le gratin
de la pensée et de ce qui reste de la culture dans le pays. On se
demande ce qui les dérange, les opinions exprimées par ces écrivains
ou leur succès à l’étranger ? Il est possible qu’ils espèrent quelque
reconnaissance pour hauts faits d’armes, attraper un traître ou un
contrebandier, c’est la gloire.

Dans son livre La Malédiction, Rachid Mimouni dit en exergue : «A


la mémoire de Tahar Djaout assassiné par un marchand de bonbons
sur l’ordre d’un ancien tôlier.» Demain, on dira quelque chose comme
ça pour nos écrivains qui ont le tort d’être salués en France :
«Crucifiés par des médiatico-intellectuels sur l’ordre d’un système
archaïque.»

Hacen Ouali

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