Ecrivain
Orwell aurait aimé voir ça. Avec Bouteflika, nous sommes dans un
mix de Big Brother, autocrate d’un empire zombi, et d’un autre
phénomène de la mascarade humaine, le roi Ubu d’Alfred Jarry, qui se
nourrit de complots et de prédations. Comment sommes-nous passés
de ça à ça ? C’est simple, Montesquieu nous l’a expliqué en un mot :
«Les peuples ont les dirigeants qu’ils Méritent.» Ne cherchez pas plus
loin. Le jour où le peuple se comportera en souverain éclairé, il se
donnera des dirigeants éclairés. Là, nous sommes au plus bas, nous
avons Big Ubu, et le peuple, très majoritairement, est prêt à lui donner
quatre autres mandats, même à titre posthume.
Combien, à votre avis, les raïs qui se sont succédé à la tête du pays
ont-ils lu de livres ? Avez-vous vu l’un d’eux recevoir un écrivain,
citer un écrivain dans ses discours ? Souvenez-vous de la réflexion de
Bouteflika à propos de Chadli que Mitterrand avait reçu en audience
deux heures durant, il se demandait comment Chadli, qui, selon lui,
était inculte, avait pu tenir devant ce puits de culture qu’était
Mitterrand. Bouteflika avait du bagou, c’est sûr, il pouvait parler 36
heures d’affilée sans reprendre son souffle, mais durant combien de
temps pouvait-il parler de littérature avec Mitterrand ? Plus que
Chadli, moins que Chadli ? La question reste ouverte.
Pourtant, vous avez déclaré lors des débats organisés dans le journal
Le Monde en 2016 que vous vous sentiez «plus libre de parler en
Algérie qu’en France»...
C’est sûr, quand on a quelque audience, on est une cible pour les
recruteurs. Parfois l’approche est discrète, d’autres fois on entend de
loin le bruit des sabots. Le problème n’est pas tant la personne de
l’écrivain, il est dans l’utilisation que les gens font de ses écrits et de
ses paroles. Il n’y peut rien. La solution est de cesser d’écrire et de
parler. Mais bon, restons modestes, un écrivain n’est pas si important
qu’on veuille absolument le récupérer, et ces invitations n’ont pas
forcément le côté trouble qu’on leur prête.
Mais vous aussi vous exagérez certaines situations quand vous dites
par exemple que vos romans sont interdits en Algérie, alors qu’ils se
vendent dans toutes les librairies ?
Or, vous savez que ce qui a été publié ne peut plus être effacé. J’ai
beau répéter que je vis en Algérie, que mes livres sont disponibles, la
presse étrangère reste sur sa croyance : on dit que je suis réfugié en
France ou en Allemagne, on dit que je suis interdit au pays depuis
mon voyage en Israël.
Hacen Ouali