Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
ISBN 9782130560524
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-cites-2007-1-page-121.htm
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
PROPOS RECUEILLIS PAR SILYANE LARCHER
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
l’on considérait comme la langue de rait le simple stade de la nation natu-
l’authenticité contre la langue fran- relle. Même la notion de « nation natu-
çaise. Mais la langue créole est égale- relle » est contestée ou mal comprise
ment née dans la colonisation, elle par mes compatriotes. Selon moi, pour
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
nation ? C’est la grande difficulté. Le des grands mystères et que, plus on
monde est en mutation, avec des moda- avance de manière scientifique, plus ils
lités nationales et étatiques complète- prennent de la densité. Il existe donc
ment révisées, et nous avons à émerger une attitude, un mode de connaissance,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
sapiens. mémoire de l’esclavage, de la souverai-
Enfin, il existe un dernier contexte neté..., etc. Mais cette dernière dimen-
qui s’impose à l’écrivain, qui est le lieu sion, le petit contexte, est la moins
dans lequel il se trouve. Nous ne som- importante. Par exemple, à une cer-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
mes plus dans un territoire ou une na- taine époque, la littérature haïtienne se
tion, dans la mesure où ceux-ci ne sont trouva confrontée à Duvalier ; la litté-
pas fermés à la totalité-monde. Cette rature africaine, de son côté, affronta la
dernière traverse la Martinique, elle colonisation puis la décolonisation, etc.
traverse les cultures, les problémati- Ces littératures eurent de très beaux
ques. Cependant, nous sommes dans éclats. Mais quand Duvalier a disparu,
un lieu, et ce lieu – la Martinique – tout comme l’ancienne forme de colo-
124 connaît quelques difficultés, notam- nisation, que la totalité-monde a com-
ment une certaine obscurité identi- mencé son œuvre, ce fut la déroute dans
Entretien : taire, culturelle, historique, une grande ces littératures. Car, une fois que ces
Les identités menace pesant sur la langue créole, questions politiques se sont retirées, ces
dans la totalité-monde enfin, une irresponsabilité collective. postures militantes sont devenues ca-
Tous les problèmes de mon petit duques. Si la littérature n’a pas tenu
contexte y sont, et il est sûr que compte des deux autres dimensions, les
l’écrivain, tout en gardant le regard sur textes qu’elle a produits n’ont plus de
la compréhension de la littérature et valeur. Ce qui rend la littérature perti-
sur l’existence à l’échelle de la totalité- nente, ce sont seulement ces deux di-
monde, ne peut pas déserter le petit mensions : comprendre-interroger la
contexte. Celui-ci est incontournable, littérature et comprendre-interroger le
comme le dirait Glissant, on n’existe monde tel qu’il fonctionne aujourd’hui
pas au monde de manière désincarnée, et conditionne nos communautés et
comme « citoyen du monde », etc. On nos individualités. Le petit contexte est
ne peut exister au monde qu’à partir important en ceci que je ne pourrais pas
d’un lieu, d’un contexte qu’il faut aussi participer à l’aventure littéraire et hu-
traiter. maine contemporaine si je ne tenais pas
Donc, je vise à la fois, dans ma litté- compte des problèmes de mon lieu
rature – et c’est peut-être ainsi que je d’origine. Mais, si je ne tenais compte
définirais ma mission – d’abord à com- que de cela, en faisant une littérature
étroitement engagée qui se donnerait ont besoin de cette mémoire orale qui
pour mission de libérer la Martinique, n’est pas prise en compte par les insti-
ma littérature n’aurait aucun intérêt, tutions de conservation. Cette littéra-
car elle disparaîtrait avec l’écosystème ture, qui connaît, il est vrai, un certain
politique qui l’a générée. Si l’on consi- succès grâce à cela, tient compte de ce
dère par exemple l’œuvre de Césaire, ce contexte. Il aurait été dommage que
n’est pas pour la négritude qu’elle va moi, qui suis Martiniquais, j’écrive des
passer à la postérité. Ses pièces de romans complètement désinscrits du
théâtre sont liées à la décolonisation et, petit contexte dans lequel s’exerce
si l’on enlève ce contexte, on voit ma présence au monde. Mais, pour
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
qu’elles ont moins d’intérêt pour nous prendre l’exemple de Solibo magni-
permettre de comprendre quelque fique, nous savons désormais que, dans
chose au monde d’aujourd’hui. Lors- la sensibilité contemporaine mondiale,
qu’on essaie donc d’établir quelle est la les formes d’expression écrite et orale
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
naturel. Le roman Texaco entend sommes seuls. Les valeurs de la commu-
rendre compte de cette trajectoire, nauté ne déterminent plus mon échelle
comprendre le processus urbain, sur- de valeurs. Chaque individu doit se bâ-
prendre l’apparition de l’imaginaire tir une échelle de valeurs pour sa fa-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
monde et l’idée du lieu, qui s’éclairent
que la diversité des langues, des cultures réciproquement. Le monde ne se vit
et des identités soit préservée dans notre que par les lieux, et le Lieu ne se
dissémination individuelle. Ma posi- donne que par le monde.
tion est de dire que, étant né en Marti- CITÉS. — Vous répondez ainsi à des
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
nique, je suis gardien d’une partie de la critiques qu’on vous a sans doute faites
richesse de l’humanité, je densifie ce à propos de la dérive traditionaliste ou
patrimoine, je le préserve, je le protège, du mythe de l’authenticité présents dans
au sens où les Sioux disaient : « Nous votre œuvre.
sommes les gardiens de la terre », de P. C. — Il est vrai qu’on a employé
même que je compte sur un écrivain les termes « mythes de l’authenti-
russe, lituanien ou inuit pour qu’il cité ». Il s’agit de plusieurs problèmes.
garde pour moi et mette dans une D’abord, nous assistons à un processus 127
forme esthétique ce qui a été produit général de créolisation dans les Améri-
dans son espace humain. Cette densifi- ques, qui est une mise en conjonction Entretien
cation du Lieu n’est pas équivalente de massive, brutale, accélérée de plusieurs avec Patrick Chamoiseau
fermeture, de traditionalisme, de désir races et de plusieurs peuples. Ensuite,
de préserver je ne sais quelle pureté es- ce processus a des résultantes, qui sont
sentielle de l’identité contre je ne sais elles-mêmes composites et entrent dans
quelle dilution. Elle suppose de faire en une alchimie anthropologique qui ne
sorte que cet espace commun qui est la s’arrête jamais. Ces résultantes, ce sont
totalité-monde puisse être une mise en les créolités. Nous avons donc une
relation des différents Lieux de la créolisation américaine qui a donné les
Pierre-monde. C’est pourquoi nous créolités cubaine, martiniquaise, gua-
parlons de « diversalité » plutôt que de deloupéenne, brésilienne, etc., toutes
diversité : la « diversalité » est la mise en différentes. Elles participent toutes du
relation harmonieuse des diversités pré- même processus de créolisation, qui ne
servées. Je défends la langue créole au se dirige pas vers la momification ou
nom de toutes les langues du monde, l’essentialisation, mais reste lié au mou-
j’essaie de comprendre le processus his- vement de créolisation qui continue à
torique et anthropologique propre à la l’échelle de la totalité-monde. Le jour
Martinique au nom de tous les proces- où Christophe Colomb met le pied sur
sus historiques et anthropologiques. une île des Antilles, le monde est de
nouveau relié, et depuis le processus de envie de se perdre dans une prétendue
mise en relation ne s’est jamais s’arrêté. civilisation du monde, soit à des tradi-
Nous avons le résultat historique d’une tionalistes assoiffés.
créolité martiniquaise qui s’est toujours CITÉS. — Sans être un universaliste
trouvée dans un processus interactif transparent et sans chercher dans vos ro-
avec la totalité-monde. C’est pour cette mans une vérité sur la tradition marti-
raison que je dis aujourd’hui – et niquaise, quand on vous lit, on peut
Édouard Glissant l’a dit avant moi : en revanche se poser la question de la
l’identité traditionnelle était exclusive conception de la culture qui y est reflétée.
de l’autre, la nouvelle identité est rela- Dans Éloge de la créolité (Gallimard,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
tionnelle. Je change donc en échan- 1989, p. 14), vous faites un constat
geant avec l’Autre mais sans me perdre sociohistorique, politique et culturel :
ou me dénaturer. Cela veut dire que le « Surdéterminés tout du long, en his-
changement est inscrit dans le principe toire, en pensées, en vie quotidienne, en
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
de l’identité, et que ce que nous avons idéaux (même progressistes), dans une
vécu en termes de créolité historique, attrape de dépendance culturelle, de dé-
tout ce qui fait notre fond et notre pendance politique, de dépendance éco-
richesse première (les traditions trans- nomique, nous avons été déportés de
mises par les conteurs, etc.), est entré nous-mêmes. » Quand on lit cela, on
dans une fluidité et une évolution. Pour comprend que la démarche littéraire est
ne rien perdre de cela, seul l’imaginaire la réponse, à travers une manière d’en-
128 relationnel nous permet à la fois de den- visager sa culture (la créolité), à une
sifier ce qui a été produit par les résul- situation politique, culturelle et sociale
Entretien : tantes historiques et de le mettre en d’aliénation de la communauté dont
Les identités perspective, de façon à pouvoir vivre vous êtes issu et entend participer d’une
dans la totalité-monde avec toute la richesse possible les nou- réflexion sur la conscience collective. On
velles modalités identitaires. peut comprendre cette position, mais il
Il est vrai que la totalité-monde, la n’est pas évident que la masse de la po-
diversité provoquent un désir de raci- pulation martiniquaise s’interroge au-
nes et de traditions que connaissent les jourd’hui sur la question identitaire. La
peuples composites. Sur dix lecteurs culture créole est assumée, elle devient
que je vais avoir, il y a huit qui vont même folklorique, sans que la question
chercher le côté traditionnel. D’autre du devenir et de la modernité de la
part, contre les traditionalistes, il va y totalité-monde se pose pour autant.
avoir les universalistes, qui pensent P. C. — Si vous allez dans n’im-
qu’il faut s’ouvrir au monde et tiennent porte quel pays européen et interrogez
tout un discours sur la modernité, mais le citoyen de base, vous ne pouvez pas
qui en fait ont tendance à refouler la di- en attendre une grande réflexion sur
versité. En fait, toutes ces critiques sont l’Europe, sur son devenir, sur sa place
fondées sur des lectures liées à des repré- dans le monde, etc. De même, on ne
sentations culturelles : on a affaire soit à pourrait demander une réflexion de ce
des universalistes transparents, qui ont type à tous les Martiniquais. D’autre
part, il ne faut pas non plus oublier Dans un premier temps, ce travail
que le Cahier d’un retour au pays natal n’est pas évident pour tout le monde.
d’Aimé Césaire a tout modifié dans Les représentations culturelles acquises
notre rapport à l’Afrique, à notre cou- dans un cadre donné façonnent les lec-
leur de peau, à la colonisation, sans tures différentes qui en sont faites.
que personne ne le lise. On s’aperçoit Tout le travail d’Édouard Glissant, qui
qu’il y a une influence des œuvres ar- a agi sur moi, sur Raphaël Confiant1 et
tistiques et littéraires sur l’imaginaire sur ceux de ma génération, est mainte-
sans que l’on en ait pour autant une nant, à mon avis, en train de transfor-
connaissance parfaite. Dans Écrire en mer complètement l’imaginaire des
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
pays dominé, je considère que je suis Martiniquais dans la direction de cette
un guerrier de l’imaginaire. Mon nouvelle complexité, et nous assiste-
problème, c’est de pouvoir changer rons sans doute à des émergences ma-
l’imaginaire, non d’effectuer un travail jeures dans les dix ou vingt prochaines
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
communautés exclusives de l’autre,
toujours été symboliquement effacé. avec des certitudes, des mythes fonda-
Cependant, je ne l’ai pas fait dans une teurs, des récits narratifs qui consti-
perspective traditionnelle où la littéra- tuaient leur identité. Tout cela est
ture servait à organiser la vérité d’un en train d’exploser. Il existe encore,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
Lieu contre les autres vérités, mais certes, des intégristes, des traditionalis-
dans la perspective d’une densification tes, sectaires et fondamentalistes, des
du Lieu à partir de laquelle nous pour- gens qui, confrontés à la diversité du
rons ensuite entrer dans l’énigme de la monde, se replient sur eux-mêmes. De
Pierre-monde. nos jours, tous les conflits dans le
CITÉS. — Lorsque vous parlez de monde sont d’ailleurs liés à des attitu-
travail sur l’imaginaire, on comprend des régressives face à la diversité de la
130 que votre littérature ne s’inscrit pas totalité-monde. Ces communautés
d’abord dans une démarche militante ou anciennes étaient en général monoli-
Entretien : engagée. S’il faut lui donner un contenu thiques (ma peau, ma race, mon
Les identités politique, celui-ci serait plus de l’ordre dieu, etc.). Aujourd’hui, nous entrons
dans la totalité-monde de la réflexion sur une poétique qui dans des systèmes composites assumés
invite à une réforme de l’imaginaire. par des individus. De plus en plus, de
P. C. — Exactement, c’est toute la vieux pays ataviques sont en train de
différence entre le rebelle et le guer- se transformer en « lieux », c’est-à-dire
rier, qui me paraît très importante. en endroits balayés par le grand souffle
Césaire est un rebelle ; Glissant, un du monde, qui deviennent multi-
guerrier. transculturels, à travers des processus
CITÉS. — On a tout de même interrétroactifs qui relient les différen-
l’impression qu’il y a un blocage, chez les tes composantes. Nous avons à cons-
Martiniquais, dans une position ambi- truire un « Lieu Martinique », non pas
guë entre le discours affiché qui reven- sur la vieille cohérence de la tradition
dique la créolité, d’une part, et la satis- culturelle née dans les plantations,
faction à l’égard de la situation politique mais sur un mode multi-trans-
actuelle, d’autre part. Vous proposez un culturel. Les nouvelles sociétés dispo-
autre rapport au monde, vous engagez seront d’un imaginaire relationnel, ca-
une réforme de l’imaginaire, mais n’êtes- pable de se déprendre de la dimension
vous pas trop optimiste en pensant que, rurale et de bâtir, à travers des syn-
thèses, des régressions, des antago- plus là. Beaucoup de Français qui
nismes et des solidarités, des manières viennent s’installer ici et qui défendent
de vivre ensemble que nous ne le patrimoine local sont plus Marti-
connaissons pas encore. Il est normal niquais que moi et que beaucoup
que les Martiniquais ne comprennent d’Antillais. On s’aperçoit que ce qui va
pas encore cela, dans la mesure où faire la cohésion du Lieu, c’est la par-
nous ne nous situons plus dans les ca- ticipation au projet du Lieu, non
dres de la vieille communauté dotée l’origine. Maintenant on peut choisir sa
d’un drapeau, mais nous sommes en- telle natale. Je comprends tout à fait
trés dans la complexité qui demande qu’un Martiniquais, même s’il est né
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
de quitter les « Territoires » pour éla- ici, se sente mieux au Japon et participe
borer des « Lieux ». Nous serons ainsi au « Lieu Japon ». Et, personnellement,
amenés à envisager un « Lieu Marti- je me sens plus proche de n’importe
nique » qui soit à la fois solidaire de la quel écrivain du monde qui partage
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
comptable de n’importe quelle « pe- notre insu et continue à se faire ainsi. Il
tite » langue dans le monde. Si nous faut déjà en prendre conscience. Le
parvenons à faire sortir la défense des problème du composite quand on en a
lieux, des cultures et des identités du conscience, c’est qu’il crée un désir
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
ment la conscience d’un projet commun. gestes.
P. C. — Le sentiment d’appar- CITÉS. — Comment vous situez-
tenance à une histoire commune, un es- vous, du point de vue littéraire, par rap-
pace donné, des repères communs assez port à Édouard Glissant ?
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
forts, c’est cela une nation naturelle. P. C. — Il est sûr que nous sommes
Mais cette nation naturelle doit expri- très proches dans l’idée de totalité-
mer sa présence au monde selon des monde qu’il faut tenter de deviner.
modalités qui sont nouvelles, et non Nous le faisons de livre en livre, et
plus à travers l’État-nation. Il est vrai chaque livre règle un problème. C’est
que l’État-nation a permis de densifier cela qui fait l’intérêt d’une œuvre
les territoires d’une manière très parti- d’art, elle reprend le fil culturel. Nous
culière, mais à quel prix ? Quand je vois savons qu’il nous faut libérer notre 133
le grand silence artistique et esthétique imaginaire, maintenant il faut trouver
qu’on rencontre dans certaines régions l’énergie de la création que demande Entretien
de France, je me dis que la France s’est la Pierre-monde, l’énergie de la mer- avec Patrick Chamoiseau
appauvrie en se centralisant. L’État- veille. C’est une fluidité constante.
nation a permis à des nations d’avoir Beaucoup de gens sont déconcertés
une présence adéquate à une certaine parce qu’ils veulent retrouver dans
époque, mais au prix d’une grande Chronique des sept misères ou dans So-
perte en diversité et en richesse. Au- libo magnifique ce qu’ils ont aimé et
jourd’hui, la question de l’oralité a été connu, alors que le processus s’est déjà
traitée, le mélange des langues est fait, porté au-delà. Un critique a remarqué
les gens ont été libérés par rapport à la une fois que Chronique des sept misè-
langue française ; cela est réglé1. Tous res est un roman polyphonique du
« nous », alors que Texaco, c’est le
« je ». Mais la question n’est pas celle
1. Allusion à la diglossie entre langue créole et du « nous » des communautés ancien-
langue française, qui a longtemps eu cours aux nes, mais celle du « je » et du « nous »
Antilles françaises et qui a induit, pour nombre ensemble. On se trouve à la fois dans
d’Antillais, par souci d’intégration, une surva-
lorisation de la langue de la Métropole. La la construction de la conscience collec-
conséquence directe fut un discrédit, voire un tive, de la perception de cette réalité
rejet du créole (N.d.l.R.). mosaïque et complexe, et dans la mo-
dernité de l’individuation. Je suis un nous sommes déjà dans la probléma-
individu dans un « nous » probléma- tique relationnelle du Lieu composite.
tique, et inversement. Le « je » de On reprend ce qui a structuré la résis-
Texaco est un « nous » problématisé tance jusqu’à présent pour le décom-
qui, à son tour, renvoie à un « je » en poser et, à la fin, on est confronté à la
train de se construire. En ce qui totalité-monde, l’énigme de la Pierre-
concerne la question politique, celui monde : tout a changé. De plus,
qui aurait été rebelle dans les an- l’œuvre littéraire questionne d’abord
nées 1950, qui aurait fait toutes les la littérature, et c’est à travers ce ques-
guerres coloniales et qui serait revenu
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
tionnement qu’elle prend la puis-
ici, serait désespéré et amer, car cela ne sance d’action sur le réel. Cette puis-
marcherait pas. Des centaines de per- sance dépasse le tract, l’engagement, le
sonnes ont connu ce problème. Si Fa- militantisme immédiat, qui ne peu-
non était rentré chez lui, il aurait été vent pas comprendre le futur du
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.93.73 - 12/06/2018 10h18. © Presses Universitaires de France
134
Entretien :
Les identités
dans la totalité-monde