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romancières. Son cousin n’était autre que Dodi al-


Fayed, l’amant de Lady Di aux côtés de qui il est
Jamal Khashoggi, un reporter entre deux
mort sous le pont de l’Alma. Et, comme beaucoup de
mondes rejetons de l’élite locale, il est envoyé faire ses études
PAR THOMAS CANTALOUBE
ARTICLE PUBLIÉ LE SAMEDI 20 OCTOBRE 2018 aux États-Unis, dans l’Indiana.

Jamal Khashoggi lorsqu'il effectuait des reportages en Afghanistan dans les années 1980-90
Jamal Khashoggi lorsqu'il effectuait des reportages
en Afghanistan dans les années 1980-90.
Lorsqu’il revient en Arabie saoudite dans les années
Le journaliste saoudien a été assassiné par ceux qui 1980, il devient d’abord libraire avant de s’orienter
craignaient les critiques, pourtant mesurées, d’un vers le journalisme où il gravit doucement les
homme qui restait patriote et pieux, mais qui échelons de sa profession, s’illustrant notamment
souhaitait un avenir différent pour l’Arabie saoudite. comme reporter sur les terrains de conflit de la
Si, comme le laissent entendre les fuites distillées région : en Algérie, au Koweït, au Soudan et en
depuis deux semaines dans la presse turque, Jamal Afghanistan. C’est dans ce dernier pays qu’il rencontre
Khashoggi a été assassiné de manière particulièrement Oussama ben Laden qui, à l’époque, mène son djihad
sanglante, les circonstances de son trépas reflètent contre les troupes soviétiques, avec l’appui tacite de
avant tout la brutalité de ceux qui l’ont commandité. Riyad et l’appoint financier de la CIA. Il interviewe
Car le journaliste saoudien n’avait rien fait qui méritait plusieurs fois le fondateur d’Al-Qaïda, dont il restera
d’aboutir sur une table d’amputation improvisée, dans un admirateur jusqu’au bout tout en condamnant son
son propre consulat en Turquie, où il était venu basculement dans le terrorisme.
chercher des papiers administratifs pour pouvoir se Comme la grande majorité des Saoudiens, Jamal
marier. Khashoggi est très pieux, et le restera toute sa vie. Mais
Contrairement à ce qui a pu parfois être écrit, Jamal ce qui le distingue de ses compatriotes est son attrait
Khashoggi n’était pas un opposant farouche de la pour l’islam politique dans lequel il voit un moyen
monarchie saoudienne, encore moins un comploteur de concilier religion musulmane et démocratie. Même
cherchant à renverser les dirigeants en place. Il s’il ne l’a jamais revendiqué officiellement, il est
était simplement un journaliste critique qui, ces proche des Frères musulmans d’après plusieurs de ses
dernières années, après s’être longtemps tu en public, amis. En 1992, lorsque les élections algériennes sont
avait choisi d’embrasser pleinement ses principes en invalidées et que les généraux s’emparent du pouvoir
s’exilant, contraint de s’éloigner de sa famille. Pour après la victoire du Front islamique du salut, il y voit
ce faire, il avait troqué la bulle de l’élite saoudienne une occasion manquée et une source de déception.
pour celle de l’élite washingtonienne, ce qui explique À partir de cette époque, Jamal se lie avec Turki ben
en partie le retentissement de son meurtre. Faycal, un membre de la famille Saoud qui occupe
Jamal est né à Médine en 1953 dans une des le poste de directeur des services de renseignements
grandes familles saoudiennes qui ne font pas partie saoudiens de 1979 à 2001. Autrement dit, un pilier
de la lignée royale. Son oncle était le notoire et du régime. Cette proximité incitera beaucoup des
controversé marchand d’armes Adnan Khashoggi, connaissances de Khashoggi à penser qu’en plus de
deux de ses tantes, Soheir et Samira, étaient de célèbres

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ses activités de reporter, il effectue parfois quelque les médias sont contrôlés par le gouvernement et
« piges » pour son mentor, notamment en Afghanistan où le ministre de l’intérieur nomme les responsables
auprès de ben Laden. Mais, là encore, rien n’a jamais des rubriques, la liberté de la presse est une notion
été établi. purement théorique. Ce qui n’a nullement empêché
Dans les semaines suivant les attaques du 11 Khashoggi de faire carrière malgré ses différentes
septembre 2001, où figurent quinze sujets saoudiens incartades, soulignant le respect qu’il a toujours porté
parmi les dix-neuf terroristes, contrairement à aux institutions saoudiennes.
beaucoup de commentateurs politiques au Moyen- Dans le même temps, il devient la personne que
Orient, il n’aura de cesse de dénoncer ces attentats et sollicitent les journalistes et les chercheurs étrangers
de torpiller les théories du complot circulant dans le lorsqu’ils écrivent sur l’Arabie saoudite et ne veulent
monde arabe, qui visent à dédouaner les auteurs de leur se contenter ni de la façade lisse présentée à l’extérieur
responsabilité. Pour lui, ces assauts sont une atteinte ni de la parole des opposants en exil qui ont coupé
aux vraies valeurs de l’islam. les ponts depuis bien longtemps avec la mécanique
À la fin des années 1990, il intègre la hiérarchie politique du Royaume. En privé, sa parole est
des journaux saoudiens, jusqu’à être nommé en 2003 relativement libre, racontent aujourd’hui ceux qui le
rédacteur en chef d’El Watan, un grand quotidien du côtoyaient : il défend les « printemps arabes » et plaide
pays. Mais il ne tiendra que cinquante-quatre jours pour des réformes dans son pays.
à ce poste et sera renvoyé pour avoir laissé publier Khashoggi comprend qu’il est devenu une
une chronique critiquant un imam fondateur du épine dans le pied du nouveau maître de
wahhabisme au XIIIe siècle. Il retrouve alors Turki Riyad
ben Faycal, devenu ambassadeur à Londres puis à Début 2017, Jamal Khashoggi se voit interdire toute
Washington. Jamal Khashoggi lui sert de conseiller, prise de parole publique par le gouvernement de
en particulier sur les questions de presse. Dans la Riyad. Sa faute : il a critiqué Donald Trump juste après
capitale américaine, il commence à nouer des relations son élection lors d’une conférence publique dans un
avec tout ce que la ville compte de journalistes et de think tank américain. Mohammed ben Salmane n’est
think tanks, toujours désireux d’interpréter les jeux pas encore devenu prince héritier (cela se produira en
de pouvoir et les ambitions saoudiennes, souvent juin 2017), mais il est déjà l’homme fort du régime
obscures. La période est celle des années George W. depuis que son père a accédé au trône en 2015. Et il
Bush, dont la famille est très proche des Saoudiens ne veut pas la moindre ombre au tableau des relations
et l’entourage en très bons termes avec les milieux serrées qu’il entend établir avec le nouveau président
pétroliers. des États-Unis après l’intermède Obama.
En 2007, Jamal Khashoggi retourne dans son pays La position de Jamal Khashoggi devient alors difficile
pour se voir à nouveau confier les rênes d’El Watan. à vivre. Il ne peut plus écrire ni commenter l’actualité ;
Cette fois-ci, il tient un peu plus longtemps, mais il les notables dont il était proche sont les perdants
est de nouveau poussé vers la sortie en 2010, après des chamboulements parfois brutaux initiés par
que des dirigeants saoudiens se furent plaints de la Mohammed ben Salmane (surnommé MBS) ; sa
tonalité audacieuse de certains articles qui osaient famille commence à souffrir de ses positions, sa
questionner l’application trop rigoureuse des dogmes femme notamment qui est haute fonctionnaire. C’est
religieux dans la sphère publique. en effet le propre des dictatures : on ne punit pas
Il devient alors commentateur pour différentes chaînes seulement un individu, mais aussi son entourage.
de télévision de la région, offrant son point de vue sur À presque 59 ans, Khashoggi choisit alors de s’exiler
les événements dans la limite de ce qui est acceptable et de s’installer sur les rives du Potomac à l’été
pour un résident saoudien. Car, dans un pays où tous 2017, au cœur de la capitale américaine qu’il connaît

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déjà bien et où il a ses entrées. Le Washington fils, tous deux restés en Arabie saoudite. Néanmoins,
Post, que tous les gouvernants, tous les lobbyistes, tous les ponts ne sont pas coupés avec les dirigeants
tous les analystes, toutes les ambassades et tous les du Royaume qui continuent d’échanger avec lui, en
correspondants de presse reçoivent chaque matin sur premier lieu l’ambassadeur saoudien aux États-Unis,
leur paillasson, lui offre une chronique. Et les chaînes qui n’est autre que le petit frère de MBS.
de télévision sont plus que ravies de lui offrir un Khashoggi comprend pourtant qu’il est devenu une
siège sur leurs plateaux dès qu’il faut décrypter les épine dans le pied du nouveau maître de Riyad qui
soubresauts du Moyen-Orient. ne cesse de faire étalage de son impulsivité, prenant
Jamal Khashoggi, qui était un notable saoudien, en otage le premier ministre libanais, rançonnant des
devient un notable washingtonien : inconnu ou centaines de personnalités saoudiennes, emprisonnant
presque de la plupart des Américains, mais invité des critiques jusqu’ici tolérés, déclarant un embargo
à toutes les tables des shakers and movers dans le sur son minuscule voisin qatari, et conduisant une
périmètre de la Maison Blanche et du Congrès. Il guerre jusqu’au-boutiste et meurtrière au Yémen.
peut enfin s’exprimer sans entraves. Pour autant, ses MBS agit de plus en plus comme un monarque
écrits et sa parole ne deviennent pas tapageurs. Il ne individualiste et impérieux, alors que la tradition
commet pas de brûlot, mais des articles dans lesquels saoudienne consistait jusqu’à présent à régler les
il défend les réformes économiques avancées par MBS problèmes en interne par le consensus et le
qui semblent vouloir entraîner son pays dans l’après- clientélisme.
pétrole, et où il se félicite des avancées sociétales L’ambassadeur saoudien à Washington fait plusieurs
autorisant les femmes à conduire et les cinémas à propositions à Khashoggi de revenir en Arabie
rouvrir. saoudite en échange de postes prestigieux, mais celui-
ci refuse. Depuis que MBS est devenu prince héritier,
une dizaine de membres de la famille royale étendue
ont été assignés à résidence ou rapatriés dans leur pays
contre leur gré avant de disparaître du paysage (ils
ne sont certainement pas morts, mais consignés au
silence). Le journaliste ne veut pas renoncer à la liberté
de parole qu’il a enfin conquise.
Jamal Khashoggi avec sa fiancée, quelques jours avant sa disparition
De surcroît, il a une nouvelle fiancée, une jeune
Pour autant, il ne mâche pas ses mots concernant le doctorante turque avec laquelle il désire se marier. Il
renforcement de la chape autoritaire sur son pays et se rend fréquemment à Istanbul pour la voir. Avantage
il exprime même des regrets sur son attitude passée non négligeable de ces voyages : la cité sur les
dans l’ultime chronique publiée de son vivant : « Cela bords du Bosphore accueille depuis quelques années
m’était douloureux de voir mes amis arrêtés. Mais je des opposants saoudiens en exil, et Jamal apprécie
ne disais rien. Je ne voulais pas perdre mon emploi ni le régime politique mis en place par Recep Tayyip
ma liberté. Je m’inquiétais pour ma famille. J’ai fait Erdogan inspiré des préceptes de l’islam politique.
un choix différent désormais. J’ai quitté ma maison, D’après ses amis, il envisage même de s’installer en
ma famille et mon travail. Faire autrement serait Turquie.
revenu à trahir ceux qui croupissent en prison. Je peux
désormais parler quand d’autres ne le peuvent pas. » Mais avant cela, il veut se marier et il doit obtenir
des autorités de son pays le jugement de son divorce
Ce qui pourrait ressembler à un bannissement doré ne prononcé en Arabie saoudite. Il ne souhaite pas se
l’est pas complètement. Il est contraint de divorcer de rendre à l’ambassade de Washington, craignant pour
sa femme et il ne peut plus communiquer avec son sa sécurité. Il décide de remplir ses démarches au

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consulat d’Istanbul. Il s’y rend le 1er octobre 2018. On Boite noire


lui demande de repasser le lendemain pour récupérer Ce portrait de Jamal Khashoggi a été écrit à partir
les documents qu’il sollicite. Il se rend le mardi 2 de multiples articles parus dans la presse américaine,
octobre en début d’après-midi au rendez-vous que le notamment dan le New York Times, le Washington
consul lui a fixé. Entre temps, un commando de quinze Post et le New Yorker. Il a également bénéficié des
Saoudiens est arrivé en Turquie au petit matin. Sa confidences de deux Français (un journaliste et un
fiancée turque l’attend devant le bâtiment, avec le chercheur) qui connaissaient bien le journaliste.
téléphone portable que Jamal lui a confié, ne voulant
pas risquer qu’on le pirate ou qu’on lui subtilise. Il ne
ressortira jamais vivant du consulat.

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