Anda di halaman 1dari 52

YESHUA BEN PANTHERA : L’ORIGINE DU

NOM. STATUS QUAESTIONIS ET


NOUVELLES INVESTIGATIONS

Thierry MURCIA
Université d’Aix-Marseille-Centre national
de la recherche scientifique (UMR 7297)
murcia.t.murcia@gmail.com

À mon maître Gilles Dorival, amicalement

Summary
Yeshua ben Panthera is the most ancient name attributed to Jesus
in the rabbinical literature: we find it in the Tosefta (c. 300 C.E.).
The author of this article examines the various assumptions which
have already been proposed by several scholars to explain the name
“Pantera” – also attested by Celsus (c. 170 C.E.) – and the surname
“Ben Panthera”. The name Panthera is also attested by epigraphy and
various Christian documents present Panther(a) as Joseph’s father or
Mary’s grandfather. Thus, the author estimates that, in fact, there
are two different questions here. On the one hand: is “Ben Panthera”
really an infamous designation? And, on the other hand: has the tra-
dition of the name any historical value? He concludes that Panthera
might be nothing but a family name or the second name – or eventu-
ally the nickname – of Jesus’ father ( Joseph).

Résumé
Le nom le plus ancien attribué à Jésus dans la littérature rabbinique
est Yeshua Ben Panthera : il figure dans la Tosefta (ca 300 de notre
ère). L’auteur de cet article examine les différentes hypothèses savantes
proposées jusqu’ici pour expliquer le nom « Panthera » – également
attesté par Celsus (ca 170 de notre ère) – et le patronyme « Ben Pan-
thera ». Le nom Panthera est également attesté par l’épigraphie et
divers documents chrétiens présentent Panther(a) comme étant le père
de Joseph ou le grand-père de Marie. Aussi, l’auteur estime-t-il qu’en

++""+
158 T. MURCIA

fait, les deux questions suivantes doivent être distinguées : d’un côté,
« Ben Panthera » est-il réellement une appellation infamante ? Et, de
l’autre : la tradition concernant ce nom a-t-elle une quelconque valeur
historique ? Il arrive à la conclusion que Panthera ne devait être rien
d’autre qu’un nom de famille voire le deuxième nom – ou éventuelle-
ment le surnom – du père de Jésus ( Joseph).

Le nom le plus ancien sous lequel Jésus est connu dans la littéra-
ture talmudique est Yeshua ben Panthera 1, Panthira ou Panthiri. Il
est attesté à plusieurs reprises dans la Tosefta 2 :
« Vint alors Jacob [homme] de Kephar Sama pour le guérir au nom
de Yeshua Ben Panthera – ‫ » – ۆۖۂۏ ھی ۑۍۅەڽ‬3.
« J’ai rencontré Jacob [homme] de Kephar Sikhnin –‫ڽۆۖ ۈۑە ێۈۍۆی‬
– et il m’a dit une parole [ou un enseignement] de minut [“hérésie”]
au nom de Yeshua ben Panthiri – ‫ – ۆۖۂۏ ھی ۑۍۅۆەۆ‬4. »
Ce nom n’apparaît sous cette (ou ces) forme(s) pour la première
fois que dans la Tosefta. La Mishna l’ignore. Quant au Babli, quand
il renvoie aux sources palestiniennes, il lui préfère la forme Pandera 5
– ‫– ۑۍۀۆەڽ‬. Mais, dans les évangiles, Jésus est connu pour être le fils
de Joseph 6. Aussi, de nombreuses hypothèses ont été émises pour
expliquer ce nom de Panthera, transmis par la tradition juive 7.

1. Hypothèses diverses sur l’origine du nom Panthera.


David-Friedrich Strauss, le premier, dans un article publié en
1839 sur les noms Panther, Panthera et Pandera dans les textes juifs
et patristiques, a proposé de rapprocher Panthera du grec ϫϠϨϣϠϬϷϭ,

1. Sauf exception, je conserverai cette orthographe.


2. T Hullin 2, 22 et T Hullin 2, 24.
3. Dans l’édition de Zuckermandel. Yeshua Ben Panithera –‫ۆۖۂۏ ھی‬
‫ –ۑۍۆۅەڽ‬dans le manuscrit de Vienne.
4. Dans l’édition de Zuckermandel. Yeshua Ben Panthera (ou Panthira)
– ‫ –ۆۖۂۏ ھی ۑۍۅۆەڽ‬dans le manuscrit de Vienne.
5. B. Shabbat 104b ; B. Sanhédrin 67a.
6. Lc 3, 23 ; 4, 22 ; Jn 1, 45 ; 6, 42.
7. Pour un très rapide survol, voir : Origène, Contre Celse, traduction de
H. CHADWICK, Cambridge, 1965, p. 31, n. 3 ; texte grec et traduction de M.
BORRET, I, Paris, 1967, p. 163, n. 4 (SC 132). Plus approfondi : R. DI SEGNI,
Il Vangelo del Ghetto, Rome, 1985, p. 113-116 ; et surtout : M. STERN, Greek
and Latin Authors on Jews and Judaism, II, Jérusalem, 19922, p. 224-305.

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 159

le « beau-père » 8. D’après Paulus Cassel les Juifs auraient trans-


formé parthenos en panthera pour discréditer Jésus et sa mère : la
panthère, associée à Bacchus, aurait été considérée comme une bête
lascive 9. Heinrich Laible défend la même idée 10. Elle est vivement
critiquée par Hugh Schonfield 11. Pour Samuel Krauss il s’agirait en
fait d’une déformation de ϫϷϬϨϪϭ 12. Il n’exclut pas cependant abso-
lument la possibilité d’une influence concomitante du grec ϫϜϬϣϘ-
ϨϪϭ, la « vierge » 13. Hermann L. Strack juge ce rapprochement avec
ϫϷϬϨϪϭ indéfendable 14. Panthera serait plutôt, selon lui, un surnom
donné au père nourricier de Jésus 15. Robert Eisler met Pandera en
relation avec Pandaros, le nom d’un héros troyen parjure – dans
l’Iliade (IV, 88-126) – et voit dans « Ben Pandera » une injure cou-
rante chez les Juifs de l’époque 16. Mais pour Walter Ziffer il s’agirait
plutôt du « fils de Pandore » 17. Travers Herford pense, pour sa

8. Cité par J. MAIER, Jesus von Nazareth in der talmudischen Überliefe-


rung, Darmstadt, 1978, p. 263 et p. 314, n. 599.
9. P. CASSEL, « Caricaturnamen », dans Aus Literatur und Geschichte,
Berlin, 1885, p. 333-337.
10. H. LAIBLE, Jesus Christ in the Talmud, Cambridge, 1893 (= Jesus
Christus im Thalmud, Leipzig, 1891), dans G. DALMAN, Jesus Christ in the
Talmud, Midrash, Zohar, and the Liturgy of the Synagogue, Cambridge, 1893,
p. 22-24. D. JAFFÉ, « Une ancienne dénomination talmudique de Jésus :
Ben Pantera. Essai d’analyse philologique et historique », Theologische Zeit-
schrift 64 (2008), p. 258-270, écrit que ce critique « estimait que le terme
provenait du patronyme grec όϜϨϣϙϬϜ qui correspond au nom d’un sol-
dat romain, amant de Marie et véritable géniteur de Jésus ». Ce n’est pas
l’opinion de H. LAIBLE, Jesus Christ in the Talmud, Cambridge, 1893, p. 23,
qui défend exactement les mêmes idées que P. Cassel et précise : « What then
was intended to be expressed by the designation “Son of the panther”, from
which there came later, “Son of Panther”? We answer, “Son of the Panther”
meant “Son of sensuality” ».
11. H. SCHONFIELD, According to the Hebrews, Londres, 1937, p. 143-144.
12. S. KRAUSS, Das Leben Jesu nach jüdischen Quellen, Berlin, 1902,
p. 276, n. 12.
13. S. KRAUSS, « The Jews in the Works of the Church Fathers », Jewish
Quarterly Review 5 (1893), p. 143-144.
14. H.L. STRACK, Jesus, die Häretiker und die Christen nach den ältesten
jüdischen Angaben, Leipzig, 1910, p. 21*, n. 3 (fin).
15. H.L. STRACK, Jesus, die Häretiker und die Christen nach den ältesten
jüdischen Angaben, Leipzig, 1910, p. 21*, n. 3.
16. R. EISLER, The Messiah Jesus and John the Baptist, Londres, 1931,
p. 408 (II, p. 352 dans l’édition allemande).
17. W. ZIFFER, « Two Epithets for Jesus of Nazareth in Talmud and
Midrash », Journal of Biblical Literature 85 (1966), p. 356-357. Une idée
que l’on trouve déjà chez Huldreich (1705) : voir R. DI SEGNI, Il Vangelo del
Ghetto, Rome, 1985, p. 114, n. 5.
160 T. MURCIA

part, qu’il s’agit d’un surnom donné à Jésus dont on a perdu la sig-
nification d’origine 18. Johann Maier contourne la difficulté. Selon ce
critique, Ben Pandera serait un magicien idolâtre qui aurait vécu au
IIe siècle et que l’on aurait, à tort, confondu avec Jésus 19. Il estime
que les passages des sources tannaïtiques qui mentionnent Jésus ne
sont pas authentiques et que ceux des sources amoraïques sont des
interpolations médiévales. D’autres explications ont été avancées qui
ne méritent pas forcément toutes d’être rapportées ici (Ben Pantiri,
déformation de « Ben Patri » qui viendrait du latin filius patri, par
exemple 20). On pourrait toutefois citer, à titre anecdotique, la thèse
hautement fantaisiste de John Allegro qui relie Panther au « cham-
pignon sacré » auquel « les mycologues modernes ont donné le nom
d’Amanita pantherina » et qui, selon lui, « montre d’une manière
concluante que les Juifs étaient au courant de la nature mycologique
du culte chrétien, même si, plus tard, les persécutions et le temps
firent oublier ce fait ou qu’ils l’empêchèrent de l’exprimer » 21.
Aujourd’hui, deux explications restent principalement en concur-
rence et, tout récemment, Edward LipiȪski en a proposé une nou-
velle 22 :
– Panthera serait une déformation volontaire du grec ϫϜϬϣϘϨϪϭ,
la « vierge ». Cette proposition, déjà ancienne 23, est celle qui, à
ce jour, a réuni le plus de suffrage. C’est notamment l’opinion de
Joseph Klausner 24, Maurice Goguel 25, Joseph Hoffmann 26, Riccardo

18. T. HERFORD, Christianity in Talmud and Midrash, Londres, 1903, p. 46.


19. J. MAIER, Jesus von Nazareth in der talmudischen Überlieferung, Darm-
stadt, 1978, p. 264-267.
20. Hypothèse réfutée par J.Z. LAUTERBACH, « Jesus in the Talmud »,
dans Rabbinic Essays, Cincinnati/Ohio, 1951, p. 537-539.
21. J.M. ALLEGRO, Le champignon sacré et la croix, Paris, 1971 (= The
Sacred Mushroom and the Cross, Londres, 1970), p. 162.
22. E. LIPIǠSKI, « Pandera and Stada », Studia Judaica 11 (2008), p. 205-
213.
23. NIETSCH – BLEEK, Studien und Kritiken, 1840, p. 116 (non vidi). Cité
par J. KLAUSNER, Jésus de Nazareth. Son temps, sa vie, sa doctrine, Paris, 1933,
p. 23.
24. J. KLAUSNER, Jésus de Nazareth. Son temps, sa vie, sa doctrine, Paris,
1933, p. 23 (= Jesus of Nazareth. His Life, Times, and Teaching, New York,
1925/ Jésus le Nazaréen, son temps, sa vie, son enseignement, Jérusalem, 1922
[en hébreu]).
25. M. GOGUEL, Jésus, Paris, 19502, p. 57-58.
26. J. HOFFMANN, Jesus outside the Gospels, New York, 1984, p. 42.

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 161

Di Segni 27, Daniel Boyarin 28, Peodair Leihy 29, Richard Kalmin 30,
qui tous considèrent que c’est l’explication la plus plausible. Selon
Klausner :
« Les Juifs entendaient sans cesse les Chrétiens (dont la majorité
parlait déjà grec tout à fait au début du christianisme) appeler
Jésus le “Fils de la Vierge” (ϰЧϷϭ ϯҰϭ όϜϬϣϘϨϪϰ) ; et par dérision ils
l’appelèrent “Ben ha-Pantera” c’est-à-dire le fils de la Panthère. Peu
à peu on oublia que Jésus était ainsi nommé à cause de sa mère, et
on pensa que “Pantera” ou “Pantori ” ou “Pandera”, était le nom de
son père ; comme ce n’était pas un nom juif la légende se créa que le
père naturel était un étranger » 31.
Cette explication appelle toutefois plusieurs remarques. Tout
d’abord, l’appellation « fils de la Vierge » pour désigner Jésus n’avait
absolument rien de courant dans l’Antiquité 32. Pour les chrétiens
des premiers siècles, Jésus était principalement appelé « Messie »
(Christ), « Seigneur » ou « Fils de Dieu ». De plus, si « fils de la
Panthère » avait réellement été une déformation polémique – et
donc volontaire – de « fils de la Vierge », on aurait pu s’attendre à
ce que le souvenir de cette distorsion maligne s’en conserve un cer-
tain temps du moins. Comment dès lors expliquer que dès sa toute
première attestation dans les textes (Celse, ca 170, la Tosefta) cette

27. R. DI SEGNI, Il Vangelo del Ghetto, Rome, 1985, p. 114.


28. D. BOYARIN, Mourir pour Dieu. L’invention du martyre aux origines
du judaïsme et du christianisme, Paris, 2004, p. 157, n. 27 (= Dying for God.
Martyrdom and the Making of Christianity and Judaism, Stanford/Californie,
1999).
29. P. LEIHY, « You say “parthenos”, I say “Pandera”: a Jewish and Chris-
tian exegetical interplay », Australian Journal of Jewish Studies 17 (2003),
p. 81.
30. R. KALMIN, « Jesus in Sasanian Babylonia », Jewish Quarterly
Review 99 (2009), p. 111.
31. J. KLAUSNER, Jésus de Nazareth. Son temps, sa vie, sa doctrine, Paris,
1933, p. 23.
32. Ainsi que M. SMITH, Jesus the Magician, New York-Londres, 1978,
p. 46-47, le fait également remarquer. Il signale que le mot parthenos pour
désigner Marie ne figure qu’en Mt 1, 23 et affirme pour sa part que « Jesus is
never referred to as “the son of the virgin” in the Christian material pre-
served from the first century of the Church (30-130) nor in the second-
century apologists ». Voir également P. LEIHY, « You say “parthenos”, I say
“Pandera”: a Jewish and Christian exegetical interplay », Australian Journal
of Jewish Studies 17 (2003), p. 81, qui, malgré cette réserve, conserve l’idée
d’un jeu de mots fondé sur parthenos.
162 T. MURCIA

signification supposée ait déjà été oubliée 33 ? Ainsi que l’a en outre
noté Robert Eisler 34, si ce nom avait été injurieux, Panthera n’aurait
pas été compté, par les pères de l’Église eux-mêmes, au nombre des
ancêtres de Jésus, comme ce fut le cas (voir infra). Enfin, et c’est
sans doute le point le plus important, aucun des documents en
notre possession ne rattache directement l’origine de ce nom à la
mère de Jésus. D’où qu’elles proviennent, les sources sont unanimes
pour faire de Panthera le père de Jésus. Panthera a, en effet, tou-
jours été traité comme un personnage masculin aussi bien par Celse,
par les sources talmudiques que par les auteurs chrétiens qui l’ont
intégré dans la généalogie de Jésus (infra). Comment, en l’espace d’à
peine quelques décennies, un prétendu jeu de mots fondé sur Par-
thenos, la « Vierge » (une femme), en serait-il arrivé à désigner un
homme, un soldat, du nom de « Panthera » ? En admettant qu’un
jeu de mots soit à l’origine de cette dernière appellation, c’est donc
plutôt du côté du père qu’il faudrait orienter les recherches.
– La deuxième solution, qui paraît plus naturelle, est de voir en
Panthera le nom d’une personne, voire un « nom de famille ». C’est
celle qu’ont finalement retenue Marcus Jastrow 35, Hugh Schon-
field 36, Jacob Z. Lauterbach 37 et Morris Goldstein 38. Pour Lauter-
bach, Pandera ou Panthera aurait été soit le nom du père de Jésus,
soit celui du père de Joseph, soit un nom de famille ne correspon-
dant à aucune personne en particulier 39.

33. Pour Celse, qui dit tenir ses sources d’un Juif, Panthera est clairement
un homme, un soldat. Les amoraïm qui, dans le Babli, discutent des sens pos-
sibles de Ben Pandera et Ben Stada, n’évoquent quant à eux des jeux de mots
que pour le second (B. Shabbat 104b ; B. Sanhédrin 67a).
34. Cet argument, avancé par R. EISLER, The Messiah Jesus and John the
Baptist, Londres, 1931, p. 407, ne manque pas de bon sens, pourtant, ce
critique se contredit dès la page suivante en soutenant une thèse qui voit
précisément dans Pandera un nom injurieux (!). Voir supra note 16 et texte
afférent.
35. M. JASTROW, A Dictionary of the Targumim, the Talmud Babli and
Yerushalmi, and the Midrashic Literature, Londres-New York, II, 1903,
p. 1186, col. 2 : « Panthera : Surname of Joseph the father of Jesus of Naza-
reth ».
36. H. SCHONFIELD, According to the Hebrews, Londres, 1937, p. 148-149.
37. J.Z. LAUTERBACH, « Jesus in the Talmud », dans Rabbinic Essays, Cin-
cinnati/Ohio, 1951, p. 536.
38. M. GOLDSTEIN, Jesus in the Jewish Tradition, New York, 1950,
p. 37-39.
39. J.Z. LAUTERBACH, « Jesus in the Talmud », dans Rabbinic Essays,
Cincinnati/Ohio, 1951, p. 536. D. JAFFÉ, « Une ancienne dénomination tal-
mudique de Jésus : Ben Pantera. Essai d’analyse philologique et historique »,

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 163

– La dernière hypothèse en date est celle d’Edward LipiȪski 40.


Pour ce critique, qui considère que la solution du problème est
essentiellement d’ordre philologique, pantȠrȋ serait une déformation
de l’adjectif féminin substantivé pattȠrȋ susceptible de se rapporter
à quatre types d’individus : 1) Une esclave congédiée ou vendue. 2)
Une femme divorcée. 3) Une épouse ou une mère décédée. 4) Une
femme libre 41. Le fils de Panthera désignerait donc, selon lui, le
fils de « la divorcée » : ce que le témoignage de Celse (voir infra)
ne ferait, en définitive, que confirmer 42. Toutefois, les arguments
épigraphiques avancés par ce critique indiquent seulement que les
sens 1, 3 43 et 4 sont bien attestés. En revanche, il semblerait – si
j’ai bien suivi son développement – que le deuxième sens, celui de
« divorcée » retenu par LipiȪski, ne soit rien de plus qu’une con-
jecture déduite par ce critique à partir des trois autres sens. Mais
LipiȪski, à l’appui de sa thèse, avance un autre argument tiré des
évangiles : « L’absence de Joseph de sa vie publique [de Jésus], telle
qu’elle est rapportée dans les évangiles, pourrait suggérer une situa-
tion monoparentale et entretenir l’idée que Marie avait été répudiée
[have been divorced by her husband] par son mari » 44. Quoique
cette solution ne puisse être tout à fait écartée, on peut aussi bien
envisager – comme le veut la tradition – que Marie ait été veuve à
cette même époque. D’autre part, comme je l’ai dit plus haut, tous
les documents font de Panthera le père de Jésus. Pour la source de
Celse – un Juif du milieu du IIe siècle au plus tard (voir infra) – il
s’agit d’un soldat. Si Panthera/PattȠrȋ avait, à l’origine, le sens de
« divorcée » – et donc Ben Panthera celui de « fils de la divorcée »

Theologische Zeitschrift 64 (2008), p. 262, semble attribuer à tort à Lauter-


bach la thèse de Strauss (mentionnée plus haut) qui ferait de Jésus le « fils
du beau-père ». Lauterbach précise, au bas de la même page : « I have cited
all these fanciful interpretations of the name, although none of them is sat-
isfactory. Perhaps, however, we need no interpretation beyond the simple inter-
pretation that Panther was jus a name or still better a family name » : c’est
Lauterbach qui souligne (p. 536).
40. E. LIPIǠSKI, « Pandera and Stada », Studia Judaica 11 (2008), p. 205-
213.
41. E. LIPIǠSKI, « Pandera and Stada », Studia Judaica 11 (2008), p. 206.
42. E. LIPIǠSKI, « Pandera and Stada », Studia Judaica 11 (2008), p. 208-
209.
43. Sens 3 : « Décédé(e) » : il s’agit visiblement là du sens le plus cou-
rant. Voir M. JASTROW, A Dictionary of the Targumim, the Talmud Babli
and Yerushalmi, and the Midrashic Literature, Londres-New York, 1903, II,
p. 1155, col. 2 (haut).
44. E. LIPIǠSKI, « Pandera and Stada », Studia Judaica 11 (2008), p. 209.
164 T. MURCIA

– il faudrait dès lors admettre que celui-ci serait définitivement


tombé dans l’oubli et ce, aussitôt après avoir été attribué. C’est dif-
ficilement concevable et ce l’est d’autant moins si l’on considère la
charge polémique qui aurait été attachée à une telle appellation et
les possibilités d’exploitation qu’elle aurait offertes.

2. Le soldat Panthera
Jusqu’au siècle dernier, ce nom était inconnu en dehors des
sources juives et chrétiennes ce qui avait conduit de nombreux
savants à considérer Panthera comme « une invention de Juifs
moqueurs […] un surnom spécialement inventé pour les besoins
de la polémique juive » 45. Mais plusieurs découvertes épigraphiques
ont montré depuis que si ce nom était inconnu de la littérature, il
n’en avait pas moins été assez fréquemment porté pour autant. Il
figure notamment sur le monument funéraire d’un soldat originaire
de Sidon, Tiberius Julius Abdes Pantera 46. Ce légionnaire – mort
en 40 de notre ère à l’âge de 62 ans – appartenait à une cohorte
d’archers ayant tenu garnison en Palestine jusqu’en 9 de notre ère
avant d’être transportée sur le Rhin 47. Mais on le trouve également
sur diverses autres épitaphes 48 et il figure aussi sur un papyrus du
Fayoum sous la forme όϗϨϣϢϬ parmi plusieurs noms juifs 49. Patter-
son note que ce nom était plus spécialement porté par des soldats
romains et il ne manque pas d’établir un lien avec « le fait que le

45. A. DEISSMANN, Light from the Ancient East. The New Testament Illus-
trated by Recently Discovered Texts of the Graeco-Roman World, Londres,
1927, p. 74.
46. CIL XIII, 7514 : TIB. IUL. ABDES PANTERA.
47. M. SMITH, Jesus the Magician, New York-Londres, 1978, p. 47,
n’hésite pas à dire : « It is possible, though not likely, that this tombstone
from Bingerbrück is our only genuine relic of the Holy Family ». Voir égale-
ment R. EISLER, The Messiah Jesus and John the Baptist, Londres, 1931,
p. 407 : « There is a possibility that this was the soldier referred to by Celsus
and in Jewish tradition ».
48. A. DEISSMANN, « Der Name Panthera », dans C. BEZOLD, Orienta-
lische Studien: Theodor Nöldeke zum siebzigsten Geburtstag, Giessen, 1906,
p. 871-875 : CIL XI, 1421 : L. OTACILIUS Q. F. PANTHERA ; CIL X,
8058, 29 : T. D. […] MF. MEN. PANTHERAE ; CIL V, 6000a : M. CUTIO
TI. F. PANTHERAE ; CIL III, p. 1978 : L. AUFIDIUS PANTHERA
SASSIN(A) ; CIL VII, 18 : [L.] AUFIDIU[S] PANTERA PRAEFECT[US]
CLAS[SIS] BRIT[ANNICAE].
49. A. DEISSMANN, Light from the Ancient East. The New Testament Illus-
trated by Recently Discovered Texts of the Graeco-Roman World, Londres,
1927, p. 74, n. 1.

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 165

Panthera de la légende est supposé être un soldat romain » 50. Selon


ce critique il s’agirait d’un « surnom militaire » qui aurait com-
munément été porté au cours des deux premiers siècles de notre
ère. La controverse juive s’en serait emparé – peut-être du fait de sa
proximité sonore avec le mot grec ϫϜϬϣϘϨϪϭ – pour les besoins de
sa polémique 51.
Dans ce dossier, le témoignage d’Origène (ca 248) est particulière-
ment précieux. Comme on sait, l’exégète alexandrin mentionne en
effet à plusieurs reprises le nom de Panthera dans ses écrits 52. Dans
son Contre Celse, où il rapporte et combat les propos de Celse – un
polémiste antichrétien qui écrit vers 170 de notre ère – il écrit :
« Revenons aux paroles attribuées au Juif, où il écrit que la mère de
Jésus a été chassée par le charpentier qui l’avait demandée en mar-
iage, pour avoir été convaincue d’adultère et être devenue enceinte
des œuvres d’un soldat nommé Panthère (όϜϨϣѣϬϜ), et voyons si les
auteurs de cette fable de l’adultère de la Vierge avec Panthère et de
son renvoi par le charpentier ne l’ont point forgée aveuglément pour
nier la conception miraculeuse par le Saint-Esprit. » 53
Il convient ici de noter que dans le Vaticanus graecus 386 (A),
manuscrit du XIIIe siècle dont dérivent tous les manuscrits du Contre
Celse de la tradition directe et qui constitue le texte de base du Cor-
pus de Berlin, le nom Panthera a été effacé. De ce manuscrit (A),
dépendent directement le Parisinus supplem. gr. 616 (P), de 1339, le
Venetus Marcianus 45 (M), du XIVe siècle, et le Venetus Marcianus
44 (V), du XVe siècle. P porte Pantheros, M porte Panthera tandis
qu’en V le nom a été omis. Le papyrus de Toura (Pap), découvert

50. L. PATTERSON, « Origin of the Name Panthera », Journal of Theologi-


cal Studies 19 (1917), p. 79-80.
51. L. PATTERSON, « Origin of the Name Panthera », Journal of Theologi-
cal Studies 19 (1917), p. 80. Voir D. BOYARIN, Mourir pour Dieu. L’invention
du martyre aux origines du judaïsme et du christianisme, Paris, 2004, p. 157,
n. 27.
52. Prétextant de la « fréquence » de ce nom, J. MAIER, Jesus von Nazareth
in der talmudischen Überlieferung, Darmstadt, 1978, p. 243, voudrait pouvoir
dissocier le Panthera de Celse de celui des sources tannaïtiques. Il s’agirait,
selon ce critique, de deux personnages différents. Mais cette hypothèse ne
repose sur aucune base solide. D’ailleurs, ce n’est pas seulement du nom
« Panthera » qu’il est question dans ces deux sources mais de « Jésus fils
de Panthera » d’un côté, et de « Yeshu(a) Ben Panthera », de l’autre. Pour
d’autres arguments, voir : P. SCHÄFER, Jesus in the Talmud, Princeton/New
Jersey, 2007, p. 20.
53. Origène, Contre Celse 1, 32 : texte et traduction de M. BORRET, Ori-
gène, Contre Celse, I, Paris, 1967, p. 163 (SC 132).
166 T. MURCIA

en septembre 1941 et daté du VIIe siècle, a la forme Panthera 54.


Origène le mentionne à deux autres reprises dans le même ouvrage :
« Il fallait un corps, non pas comme le croit Celse, né d’un adultère
entre Panthère et la Vierge, car d’une union aussi impure aurait
plutôt dû sortir un fou nuisible aux hommes […] Il ne croit pas à ce
qui est écrit de sa conception par le Saint-Esprit, mais le croit avoir
été engendré par un certain Panthère, séducteur de la Vierge. » 55
En répondant à Celse 56, Origène nous livre de précieuses infor-
mations :
– Celse est un contemporain de l’empereur Hadrien (117-138 de
notre ère) 57.
– Ce polémiste laisse entendre que son informateur est juif 58.
– Il affirme que Jésus est un enfant illégitime.
– Il prétend que son vrai père s’appelle Panthera.
– Il nous dit que cet homme est soldat.
Comme le reconnaissent la plupart des chercheurs, Celse se fait
clairement ici l’écho de traditions juives 59. Il est cependant étonnant

54. M. BORRET, Origène, Contre Celse, I, Paris, 1967, p. 23-26, 33-34, 47,
59 et 162-163 (SC 132).
55. Origène, Contre Celse 1, 33 et 69 : texte et traduction de M. BORRET,
Origène, Contre Celse, I, Paris, 1967, p. 167, 271.
56. Il s’agit, bien sûr, d’une métonymie : dans les faits, Origène répond
seulement aux arguments de Celse. On peut imaginer que ce dernier est alors
mort depuis un certain temps déjà.
57. Origène, Contre Celse 1, 8 ; 3, 36.
58. Origène, Contre Celse 1, 28 : « Il [Celse] présente alors un Juif en
dialogue avec Jésus lui-même, prétendant le convaincre de plusieurs choses,
et la première, d’avoir inventé sa naissance d’une vierge » (traduction de
M. BORRET, Origène, Contre Celse, I, Paris, 1967p. 151).
59. « C’est à celles-ci qu’il doit l’histoire du soldat Panthéra, de l’adultère
duquel Jésus serait né » : P. de LABRIOLLE, La Réaction païenne. Étude sur
la polémique antichrétienne du Ier au VIe siècle, Paris, 1934, p. 126. « Il y a
dans l’argumentation de Celse des éléments de provenance indubitablement
juive » : M. LODS, « Étude sur les sources juives de la polémique de Celse
contre les chrétiens », Revue d’histoire et de philosophie religieuses 21 (1941),
p. 3. Voir également M. GOGUEL, Jésus, Paris, 19502, p. 57, note 2 ; Ch. GUIG -
NEBERT, Jésus, Paris, 19692, p. 27 ; E. BAMMEL, « Origen Contra Celsum I, 41
and the Jewish Tradition », Journal of Theological Studies 19, 1968, p. 211-
213 ; P. LEIHY, « You say “parthenos”, I say “Pandera”: a Jewish and Chris-
tian exegetical interplay », Australian Journal of Jewish Studies 17 (2003),
p. 85 ; P. SCHÄFER, Jesus in the Talmud, Princeton/New Jersey, 2007, p. 20 ;
D. JAFFÉ, « Une ancienne dénomination talmudique de Jésus : Ben Pantera.
Essai d’analyse philologique et historique », Theologische Zeitschrift 64
(2008), p. 264. La critique s’entend sur le fait que « the Jew depicted by

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 167

de voir combien ces données ont finalement été assez peu exploitées.
Cela tient peut-être à leur caractère calomnieux voire blasphéma-
toire. Herford y attache peu d’importance. Il estime que ces indica-
tions n’apportent rien de concret 60. Klausner ne les exploite guère 61.
Manns 62 et Mimouni 63 pas davantage. Mais quelques critiques, à
l’instar de Robert Eisler 64 ou de Hugh Schonfield 65 ont toutefois
tenté de les exploiter. Plus près de nous, Peter Schäfer lui consacre
également quelques pages 66 et Dan Jaffé y revient à plusieurs reprises
dans un récent article 67. Ce nom, remarque de son côté Maurice

Celsus undoubtedly belongs to a Hellenistic Jewish cultural milieu, as may


be deduced from the knowledge that he displays of Greek literature and
mythology. He also makes use of the Logos concept familiar to Hellenistic
Jewry » (M. STERN, Greek and Latin Authors on Jews and Judaism, II, Jéru-
salem, 19922, p. 230). L’analyse plus récente de Maren R. Niehoff, dans un
travail encore indéit (« Did Celsus’ Jew belong to the milieu of Jewish scho-
larship in Alexandria? »), qui a fait l’objet d’une communication à Jérusalem
le 1er juin 2010, dans le cadre d’un Workshop qui m’a aimablement été trans-
mis par Daniel Stökl-Ben Ezra, montre en outre que : (1) Celse et sa source
doivent clairement être distingués ; (2) Celse utilise bien un document écrit ;
(3) l’auteur anonyme de ce document est un Juif formé aux techniques d’ana-
lyse et de critique des textes telles qu’elles étaient pratiquées à Alexandrie.
60. T. HERFORD, Christianity in Talmud and Midrash, Londres, 1903,
p. 39, n. 2.
61. J. KLAUSNER, Jésus de Nazareth. Son temps, sa vie, sa doctrine, Paris,
1933], p. 22, p. 341-342.
62. F. MANNS, L’Israël de Dieu. Essais sur le christianisme primitif, Jérusa-
lem, 1996, p. 268-269.
63. S.C. MIMOUNI, Les chrétiens d’origine juive dans l’Antiquité, Paris,
2004, p. 109.
64. R. EISLER, The Messiah Jesus and John the Baptist, Londres, 1931,
p. 405-408.
65. H. SCHONFIELD, According to the Hebrews, Londres, 1937, p. 143-150.
66. P. SCHÄFER, Jesus in the Talmud, Princeton/New Jersey, 2007, p. 18-
22, notes p. 150-152.
67. D. JAFFÉ, « Une ancienne dénomination talmudique de Jésus : Ben
Pantera. Essai d’analyse philologique et historique », Theologische Zeit-
schrift 64 (2008), p. 258-270. Ce critique considère, à tort selon moi, que
« Fils de Panthera » avait dès le départ une connotation négative dans les
sources juives et qu’il était équivalent, pour les Juifs du IIe siècle, à « fils de
prostituée ». Mais, contrairement à ce qu’il affirme (Ibid., p. 267-268 et note
44), cette accusation ne figure à aucun moment dans le Babli (ni dans des
sources antérieures). La mère de Jésus y est uniquement accusée d’infidélité
conjugale, une accusation lourde, certes, mais beaucoup moins infamante
(B. Shabbat 104b ; B. Sanhédrin 67a ; voir Kallah 41c-d). De surcroît, même
cette accusation d’adultère ne figure pas dans les sources talmudiques anté-
rieures au Babli. En outre, dans les Toledot Yeshu – ouvrages pourtant polé-
miques – Marie est rarement dénigrée. Comme l’a également noté Joseph
168 T. MURCIA

Goguel, « paraît s’être tellement ancré dans la tradition que les


apologètes chrétiens ont éprouvé le besoin de l’expliquer » 68. De
fait, tout en rejetant catégoriquement cette accusation de rapports
illégitimes, aucun des Pères de l’Église n’a jamais prétendu que ce
nom de Panthera était « une pure invention ». Au contraire, plutôt
que de le condamner à une forme de damnatio memoriae, ils ont
tous tenté, après Origène, de lui ménager une place de choix dans
la généalogie de Jésus. Eusèbe de Césarée, tout d’abord, confirme

Dan : « In all the versions, Miriam (Mary), Jesus’ mother, is described in


a favorable light ». – J. DAN, « Toledoth Yeshu », Encyclopaedia Juda-
ica 15 (1972), col. 1209. Elle n’est en tout cas jamais présentée comme une
« femme de mauvaise vie » : au pire, c’est une femme infidèle (Tol., version
Huldreich 1), au mieux – et dans l’immense majorité des cas – une pauvre
victime (Tol., manuscrit Adler 1 ; Tol., manuscrit Munk 3 ; Tol., fragment de
Perse ; Tol., manuscrit de Strasbourg 1 ; Tol., fragment slave ; Tol., manus-
crit de Vienne 1 ; Tol., version Wagenseil p. 4). En définitive cette appellation
de « fils de la prostituée » pour qualifier Jésus est rarissime dans les sources
juives du haut Moyen âge. On la rencontre essentiellement en Pesiqta Rab-
bati XXI, 100b-101a, un ouvrage composite difficile à dater. En revanche,
comme le dit D. JAFFÉ, « Une ancienne dénomination talmudique de Jésus :
Ben Pantera. Essai d’analyse philologique et historique », Theologische Zeits-
chrift 64 (2008), p. 267-270, l’assimilation de la minut, l’« hérésie » – et donc
le christianisme – à une prostituée, est effectivement ancienne mais il n’y a
absolument pas lieu de fusionner puis de confondre les deux dossiers comme
ce critique le fait. Cette équivalence minut / prostitution n’est, somme toute,
qu’une actualisation de l’ancienne équivalence idolâtrie / prostitution dont
il est maintes fois question dans la Bible (Is 1, 21 ; Jr 2, 20 ; 3, 1, 6 ; Ez 16,
15-20, 30 ; 23, 1-21 ; Os 1, 2 ; 2, 4 ; 4, 12 ; Ap 17, 1, 5, 15). Il n’y a là, quoi
qu’il en soit, aucun rapport avec le nom même « Yeshua ben Panthera ». En
revanche, on peut admettre qu’à une époque tardive, l’équation minut / pros-
titution ait fini par évoluer pour se transformer en une équation min / fils de
prostituée, compris cette fois de façon littérale. L’idée que je défends, précisé-
ment, est que cette accusation de naissance illégitime n’est ni une réponse à
la croyance en la conception virginale, ni aux prétentions d’ascendance davi-
dique – deux aspects assez secondaires dans ce débat (voir les ébionites) –,
mais qu’elle vise essentiellement à remettre en question le caractère légitime
de l’enseignement de Jésus. Cet enseignement est illégitime et il l’est dès l’ori-
gine. Et s’il l’est à la source, les conditions mêmes de la conception et de la
naissance de son principal promoteur doivent nécessairement être illégitimes
elles aussi. Ce raisonnement, qui part de l’équation métaphorique « idolâ-
trie = prostitution », puis « christianisme = prostitution » (à la faveur d’un
jeu de mots : minut, hérésie – zenut, prostitution), pour aboutir à l’équation
« Jésus = enfant de la prostitution stricto sensu », est le fruit d’une lente évo-
lution et c’est bien ce qui ressort d’une analyse approfondie des sources.
68. M. GOGUEL, Jésus, 19502, p. 57, n. 2. Voir, dans le même sens,
M. SMITH, Jesus the Magician, New York/Londres, 1978, p. 61.

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 169

l’origine juive de cette tradition 69. Il écrit que certains, parmi les cir-
concis (i.e. les Juifs), ont prétendu que « que notre Sauveur et Sei-
gneur Jésus-Christ était issu de « Panthère » (Њϥ ϫџϨϣϢϬϪϭ) » 70/ 71. Il
est intéressant de noter qu’il ne semble alors y avoir rien d’offensant
dans ce nom 72. Eusèbe fait simplement remarquer – ce que les Juifs
auraient mal compris – que c’est le Seigneur lui-même qui, dans
les Écritures, en Osée 5, 14 (et 13, 7) dans la version des Septante,
s’attribue ce nom de « Panthère » : з ϥѩϬϤϪϭ ϫϗϨϣϢϬϜ ЋϜϰϯѦϨ жϨϪ-
ϧϗϡϠϤ. D’après Strack, Eusèbe ne dépend pas ici d’Origène 73. Et l’on
peut penser, avec Johann Maier 74, que si Eusèbe avait connu une
quelconque généalogie de Jésus intégrant un personnage du nom de
Panther, il n’aurait pas manqué de le signaler, soit ici, soit dans son
Histoire ecclésiastique (en I, VII ou III, XI) où il question de la géné-
alogie ou de la parenté de Jésus 75. Il est remarquable 76, en outre, que
le Physiologus, un bestiaire chrétien dont on ignore la date exacte de
rédaction (terminus ante quem 386 de notre ère), s’appuie précisé-
ment sur ce même verset du prophète Osée (5, 14) pour faire de
la panthère un des symboles du Christ 77. On sait de façon sûre que
cet ouvrage était connu des Pères de l’Église dans le dernier quart

69. C’est également l’opinion de H.L. STRACK, Jesus, die Häretiker und
die Christen nach den ältesten jüdischen Angaben, Leipzig, 1910, p. 10*, qui
cite ce texte. J. MAIER, Jesus von Nazareth in der talmudischen Überlieferung,
Darmstadt, 1978, p. 260, estime, au contraire, qu’Eusèbe vise en réalité le Juif
de Celse via la réponse d’Origène.
70. Ou « d’une panthère », comme le traduit J. MAIER, Jesus von Naza-
reth in der talmudischen Überlieferung, Darmstadt, 1978, p. 260 : « Von
einem Panther ».
71. Eusèbe, Eclogae propheticae III, 10 sur Osée 5, 14 (et 13, 7). Texte
(grec) : H.L. STRACK, Jesus, die Häretiker und die Christen nach den ältesten
jüdischen Angaben, Leipzig, 1910, p. 10*.
72. H.L. STRACK, Jesus, die Häretiker und die Christen nach den ältesten
jüdischen Angaben, Leipzig, 1910, p. 10* et 21* n. 3.
73. H.L. STRACK, Jesus, die Häretiker und die Christen nach den älte-
sten jüdischen Angaben, Leipzig, 1910, p. 10*. Pour une opinion contraire
J. MAIER, Jesus von Nazareth in der talmudischen Überlieferung, Darmstadt,
1978, p. 260.
74. J. MAIER, Jesus von Nazareth in der talmudischen Überlieferung, Darm-
stadt, 1978, p. 260.
75. Voir la généalogie 2.
76. Aucun critique, à ma connaissance, ne semble pourtant avoir encore
établi un tel lien.
77. A. VERMEILLE, Physiologus – De l’Orient à l’Occident. Un patchwork
multiculturel au service de l’Écriture. Mémoire de Latin, J.-J. AUBERT (dir.),
Université de Neuchâtel, Suisse, 2006, p. 20, 62-63 et Annexes p. XXVIII
(traduction française de la notice sur la panthère) : étude disponible online.
170 T. MURCIA

du IVe siècle. Eusèbe dépend-il également ici du Physiologus ? Le cas


échéant, ce bestiaire serait plus ancien d’au moins un demi-siècle.
Toujours est-il que si la panthère était peut-être perçue comme un
animal lascif dans les deux premiers siècles de notre ère, on peut
voir que dès le premier tiers du IVe siècle cet animal était connoté
très positivement dans l’Église 78.

3. Un ancêtre de Jésus ?
Ce n’est qu’à partir d’Épiphane de Salamine (ca 375) que
« Panther » compte officiellement parmi les ancêtres de Jésus 79.
L’hérésiologue écrit en effet : « Joseph était, d’une part, le frère
de Clopas, et il était, d’autre part, le fils de Jacob surnommé Pan-
ther (όϗϨϣϢϬ) : l’un et l’autre étaient [fils] du surnommé Panther
(ϯϪӍ όϗϨϣϢϬϪϭ) » 80. Panther aurait donc été, d’après lui, le surnom
de Jacques ( Jacob), le père de Joseph selon l’évangile de Matthieu
(Mt 1, 16). Cette tentative d’intégration (modèle A), qui viserait à

78. L’association lion et panthère se retrouve en Is. 11, 6 et dans l’Évangile


du Pseudo-Matthieu 19, 1 où l’on voit ces deux fauves adorer l’enfant-Jésus
(F. BOVON – P. GEOLTRAIN (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, I, Paris, 1997, p.
137).
79. Voir la généalogie 3 (modèle A) en fin d’article.
80. Épiphane, Panarion 78, 7, 5 [PG 42, 708 D]. Texte (grec) H.L. STRACK,
Jesus, die Häretiker und die Christen nach den ältesten jüdischen Angaben,
Leipzig, 1910, p. 10*-11*. D’après T. HERFORD, Christianity in Talmud and
Midrash, Londres, 1903, p. 39, n. 2, qui renvoie à Wagenseil, ce passage du
Contre les Hérésies d’Épiphane serait une citation d’Origène. Il s’agit d’une
confusion : Épiphane en est le seul auteur et il ne mentionne aucune source.
Plusieurs chercheurs, qui renvoient à Herford, ont reproduit cette erreur
d’attribution : J. KLAUSNER, Jésus de Nazareth. Son temps, sa vie, sa doctrine,
Paris, 1933,], p. 22 ; G.G. FOX, « Early Jewish Attitudes toward Jesus, Chris-
tians, and Christianity », Journal of Biblical Literature 13, 2, 1945, p. 89,
col. 2 ; J.Z. LAUTERBACH, « Jesus in the Talmud », dans Rabbinic Essays, Cin-
cinnati/Ohio, 1951, p. 536-537 ; M. GOLDSTEIN, Jesus in the Jewish Tradition,
New York, 1950, p. 38, 276 n. 53 ; D. ROKEAH, « Ben Stara est Ben Pan-
tira. Vers la clarification d’un problème philologique et historique », Tarbiz
39, 1969-1970, p. 13 [en hébreu] ; F.F. BRUCE, Jesus and Christian Origins
Outside the New Testament, Londres, 1974, p. 57, note 10 ; P. LEIHY, « You
say “parthenos”, I say “Pandera”: a Jewish and Christian exegetical inter-
play », Australian Journal of Jewish Studies 17 (2003), p. 85 (qui dépend de
Klausner) ; D. JAFFÉ, Le judaïsme et l’avènement du christianisme. Orthodoxie
et hétérodoxie dans la littérature talmudique I e-II e siècle, Paris, 2005, p. 231,
note 178 (=D. JAFFÉ, « Une ancienne dénomination talmudique de Jésus :
Ben Pantera. Essai d’analyse philologique et historique », Theologische Zeits-
chrift 64 (2008), p. 265, note 33).

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 171

répondre aux attaques des détracteurs juifs 81 et/ou païens (Celse),


n’a connu qu’un succès relatif 82. Mais elle est encore mentionnée –
comme un fait établi, mais sous une autre forme (modèle B) – dans
divers documents jusqu’au début du XIVe siècle.
Sur ce point, la Didascalie de Jacob ou Doctrina Jacobi 83 est un
document particulièrement intéressant (et que j’ai déjà d’ailleurs
eu l’occasion de mentionner dans un autre dossier) 84. Il s’agit d’un
ouvrage daté par son auteur de 634 – et sans doute rédigé peu
après cette date (ca 640) – qui vise à catéchiser les Juifs convertis
de force. L’un d’eux, Jacob, un négociant juif baptisé sous la con-
trainte, y est mis en scène. Il tente de convaincre ses condisciples
de la vérité de la foi chrétienne. Le personnage, pour démontrer la
respectabilité des origines de Marie, raconte alors qu’il a assisté, à
Ptolémaïs (Akko), au discours d’un grand docteur de la Loi venu de
Tibériade. Ce dernier, pour dénigrer Marie et prouver que ce n’est
qu’une femme comme les autres, se met à réciter sa généalogie qu’il
connaît – bien évidemment – par cœur : Panther est intégré dans ce
phylum et présenté comme l’aïeul de Marie. Par ce procédé du récit
enchâssé, le rédacteur de la Doctrina prétend utiliser le témoignage
du parti adverse pour couper court aux calomnies ou aux insinu-
ations des interlocuteurs de Jacob (et, à travers eux, des lecteurs
récalcitrants). Voici le texte 85 :

81. J. KLAUSNER, « Jesus in Talmud and Midrash », Encyclopaedia


Judaica 10 (1972), col. 16 (= Encyclopaedia Hebraica 9, 1959-1960, col.
746-750) ; J. MOREAU, Les plus anciens témoignages profanes sur Jésus, Bru-
xelles, 1944, p. 81 ; P. LEIHY, « You say “parthenos”, I say “Pandera”: a Jewish
and Christian exegetical interplay », Australian Journal of Jewish Studies 17
(2003), p. 85.
82. Ce modèle A se retrouve chez Anastasios le Sinaïte, un auteur de
la seconde moitié du VIIe siècle (fl. 640-700) qui, dans ses Interrogationes
et Responsiones, cite la généalogie épiphanienne : PG 89, col. 811B [459],
Quæstio 153. – Voir P. CASSEL, « Caricaturnamen », in Aus Literatur und
Geschichte, Berlin, 1885, p. 323, note 1.
83. Texte, traduction et commentaire : V. DÉROCHE, « Doctrina Jacobi
nuper Baptizati », dans Travaux et Mémoires 11 (1991), p. 47-273.
84. Th. MURCIA, « Rabban Gamaliel, Imma Shalom et le philosophe :
une citation des évangiles dans le Talmud ? – Date et enjeux de B. Shabbat
116b », Revue des études juives 169 (2010), p. 313-348, spécialement p. 341-
343.
85. Doctrina Jacobi I, 42. La traduction, à peine retouchée, est celle de
V. DÉROCHE, « Doctrina Jacobi nuper Baptizati », dans Travaux et Mémoires
11 (1991), p. 132-135.
172 T. MURCIA

« Le Dieu de nos pères […] a envoyé à Ptolémaïs un Juif qui racon-


tait la généalogie de la sainte Marie. Il disait en se moquant d’elle
qu’elle était issue de Juda. Ce Juif était un grand docteur de la Loi
à Tibériade et il disait : “Pourquoi les chrétiens exaltent-ils Marie ?
C’est une fille de David et pas la mère de Dieu. Car Marie est une
femme, c’est la fille de Joachim, et sa mère était Anne 86. Joachim
est le fils de Panther (ϯϪӍ όϗϨϣϢϬϪϭ). Panther (όϗϨϣϢϬ) était frère
de Melchi 87 issu – d’après ce que rapporte notre tradition à nous,
les Juifs de Tibériade – de Nathan le fils de David de la lignée de
Juda. Lorsque mourut Matthan 88 le père de Jacob, Melchi fils de
Lévi prit la femme de Matthan, qui était veuve, la mère de Jacob
qui, avec sa mère, entra sous le toit de Melchi le frère de Panther, le
père de Joachim. Melchi ayant engendré Héli de la mère de Jacob, il
se trouva que Jacob et Héli étaient frères utérins de pères différents.
Lorsque Héli mourut sans enfants après son mariage, conformément
à la Loi, Jacob fut contraint de prendre la femme de son frère Héli,
pour “susciter une descendance à son frère”, et il engendra ainsi de
la femme de son frère Héli un enfant nommé Joseph. Ce Joseph
est donc, selon la nature, descendant de Jacob, et, selon la Loi, fils
d’Héli. Quant à Joachim, le père de Marie, et son père Panther

86. Les parents de Marie se seraient appelés Joachim et Anne. Il s’agit


d’une tradition ancienne qui remonte, au moins, au milieu du IIe siècle (Proto-
évangile de Jacques). Anne était le nom de la mère du prophète Samuel.
Stérile, elle promit à Dieu que si elle enfantait un fils, elle le lui consacre-
rait et c’est ce qui advint (1 S 1-2). Le cantique de Marie, consigné par Luc
(Lc 1, 46-55), est calqué sur celui alors prononcé par Anne pour la circons-
tance (1 S 2, 1-10). Le Protoévangile de Jacques (chapitres 1 à 8 : F. BOVON
– P. GEOLTRAIN (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, I, Paris, 1997, p. 81-89)
reprend tous ces éléments : Anne devient le nom de la mère de Marie. Celle-
ci pleure sa stérilité et fait vœu – si le Seigneur entend sa prière – de consa-
crer à Dieu l’enfant qui lui naîtra. Marie naît : elle demeure dans le Temple
de l’âge de trois ans jusqu’à sa puberté. Dans l’Évangile du Pseudo-Matthieu
I, 1 (F. BOVON – P. GEOLTRAIN (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, I, Paris, 1997,
p. 119), il est précisé que Joachim était de la tribu de Juda.
87. Dans le manuscrit A, le témoin grec le plus ancien, Panther est
présenté comme le fils de Melchi.
88. L’enchaînement qui suit figure déjà chez Eusèbe de Césarée qui
l’emprunte à Julius Africanus : Matthan épouse N1 (« Estha » chez Africa-
nus). Ils ont un fils : Jacob. Matthan décède. Melchi descendant de Nathan
épouse N1 à son tour. Ils ont un fils : Héli. Héli et Jacob sont donc frères
utérins. Héli épouse N2 mais meurt sans descendance. En vertu de la loi du
lévirat, Jacob, son demi-frère, épouse N2 à son tour et suscite une descen-
dance à Héli : Joseph. Joseph a donc deux pères : l’un naturel, Jacob, l’autre
légal, Héli. – Eusèbe, Histoire ecclésiastique I, VII, 7-9 ; Questions évangéliques
à Stephanos IV, 2 (45-53). Voir généalogie 2 en fin d’article.

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 173

et son frère Melchi, qui étaient fils de Lévi, ils étaient parents de
Joachim pour autant que l’esprit peut remonter le fil des traditions
hébraïques dans sa recherche. Si bien que Marie, la fille de Joachim
– fils de Panther, lui-même frère de Melchi – a été donnée à Joseph,
issu de David par son père selon les deux “patriarchies” de Matthan
et de Salomon, et d’Héli par sa mère, étant cousin de Joachim le
père de Marie par sa parenté naturelle 89. Que les Chrétiens n’aillent
donc pas penser que Marie est tombée du ciel !” 90. Aussi vrai que
devant Dieu, j’ai 91 entendu cela de la bouche du docteur de la Loi.
Le Juif disait cela pour se moquer, et moi j’ai rendu gloire à Dieu
qui révèle ce qui est caché. »
D’après la Doctrina 92, Marie est donc la fille de Joachim et la
petite-fille de Panther, lui-même fils de Lévi. Lévi, le bisaïeul de
Marie, est à la fois le père de Panther et de Melchi. Melchi est le
père d’Héli – frère de Jacob – qui est présenté comme le père légal
de Joseph, l’époux de Marie : Jacob étant son père naturel en fonc-
tion de la loi du lévirat. Cette généalogie apparemment embrouil-
lée est en réalité très réfléchie. Elle vise à concilier les généalogies
contradictoires de Matthieu et de Luc 93 tout en intégrant le nom
de Panther. Ce faisant, l’auteur – témoin du modèle B – contredit
Épiphane qui fait de Panther, alias Jacob, le père de Joseph et de
Clopas (et non l’aïeul de Marie). Il convient toutefois de noter que
dans le manuscrit A, le témoin grec le plus ancien de la Doctrina,
Panther est donné comme le fils de Melchi 94 ce qui permet de le
compter de nouveau parmi les ancêtres de Joseph. Le manuscrit A
pourrait renvoyer ici à une tradition plus ancienne également attes-
tée par Épiphane (modèle A).
La source de Jacob est donc censée être un Juif éminent, un
grand docteur de la Loi venu de Tibériade. L’homme paraît être, en
effet, particulièrement bien renseigné sur le sujet (!) Mais la mémoire
de Jacob, son auditeur, n’en est pas moins exceptionnelle. Par ce
stratagème l’auteur tente de lever plusieurs difficultés. Les Juifs nou-
vellement convertis ne laissent pas d’être choqués par l’attitude des

89. La version slave ajoute : « avec Lévi ».


90. Ce passage, originellement rédigé en grec, nous est parvenu en grec
et en syriaque. Le texte syriaque a été publié, avec traduction, dans Patrologia
Orientalis VIII, 5, n° 40, p. 721-722.
91. C’est Jacob, le personnage principal du récit-cadre, qui s’exprime.
92. Voir plus bas, la généalogie 4 (modèle B).
93. Mt 1, 1-16 ; Lc 3, 23-37. Voir plus bas, la généalogie 1.
94. Mais d’après V. DÉROCHE, « Doctrina Jacobi nuper Baptizati », dans
Travaux et Mémoires 11 (1991), p. 61, le texte serait fautif.
174 T. MURCIA

chrétiens vis-à-vis de Marie. Mise au-dessus des anges, elle est depuis
longtemps déjà considérée comme étant « la Mère de Dieu ». Le
Sage de Tibériade, par son exposé, semble prioritairement vouloir
contrer ce qui, pour un Juif, est une aberration : « Que les Chré-
tiens n’aillent donc pas penser que Marie est tombée du ciel ! »
Autrement dit : Marie n’est qu’une femme, ce n’est pas la déesse
Cybèle ou Artémis. Elle ne doit pas être adorée. Mais ce n’est qu’un
faux-semblant. Le véritable enjeu pour l’auteur de la Doctrina est de
faire taire les calomnies concernant la naissance de Jésus : Non.
Jésus n’est pas un mamzer – un « bâtard » en hébreu – il n’est pas
le fruit d’une union illégitime. Le terme mamzer – ‫ – ۋۋۃە‬translit-
téré en grec (ϧϗϧϡϤϬϪϭ), apparaît en effet à plusieurs reprises dans la
Doctrina 95. Un certain Panther ou Panthera n’est pas son véritable
père. Les Juifs n’ont pas affabulé, ils ont simplement mal compris.
Si Jésus est parfois appelé « fils de Panther », c’est tout simplement
parce que Panther est l’un de ses ancêtres du côté de Marie, plus
exactement, son bisaïeul. Le Sage qui est pris à témoin ne vient
évidemment pas d’une obscure bourgade de Palestine mais de
Tibériade. C’est cette ville qui fut le siège du patriarcat jusque vers
425 96 et elle demeura longtemps, pour les Juifs, la seule véritable
capitale intellectuelle et religieuse. C’est notamment à Tibériade
que fut, selon toute vraisemblance, rédigé le Talmud (dit) de Jérusa-
lem. Mais d’où ce providentiel personnage est-il lui-même censé
tenir son information ? Le rédacteur ne le précise pas. Mais certains
pensaient que les Sages de Tibériade avaient en leur possession
diverses archives secrètes. D’après une tradition connue de Julius
Africanus (ca 220-230 de notre ère) et transmise par Eusèbe de Cés-
arée, le roi Hérode aurait fait détruire toutes les généalogies des
familles juives de Jérusalem. Mais il précise que certaines familles
avaient conservé les leurs ou en avaient fait des copies 97. Et la Souda
cite plus particulièrement le témoignage d’un certain Juif du nom
de Theodosios qui prétend qu’une généalogie de Jésus était con-

95. Doctrina Jacobi I, 40 ; III, 3, 4 et 11. Voir V. DÉROCHE, « Doctrina


Jacobi nuper Baptizati », dans Travaux et Mémoires 11 (1991), p. 223
(Index).
96. Voir Code Théodosien XVI, 8, 14 (loi du 11 avril 399) ; XVI, 8, 29
(loi du 30 mai 429) ; W. BACHER, « Gamaliel VI », Jewish Encyclopedia 5
(1901-1906), p. 563. G. STEMBERGER, Jews and Christians in the Holy Land,
Palestine in the Fourth Century, Édimbourg, 2000, p. 263-264 : « The patri-
archate must have become extinct between 415 and 429 ».
97. Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique I, VII, 13-14.

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 175

servée à Tibériade 98. Qui est ce Theodosios ? Il s’agit en réalité d’un


personnage fictif dont le récit est rapporté dans un document de
peu postérieur au règne de Justinien (527-565 de notre ère) intitulé
Sur le sacerdoce du Christ ou la Confession de Théodose 99. Dans ce
récit, le Juif Théodose – qui est présenté comme étant
« archiphérécite et docteur des Juifs » – révèle à son ami chrétien
Philippe l’existence d’un registre (ϥϹϟϢϩ = codex) tenu secret que
ses coreligionnaires tiendraient caché dans un coffre. Théodose
raconte que les prêtres du Temple, poussés par l’un des leurs à
admettre Jésus dans leur confrérie, avaient mené de son vivant une
enquête préalable pour connaître sa généalogie exacte et les circon-
stances de sa naissance. À l’issue de celle-ci, ils étaient arrivés à
l’évidente conclusion que le témoignage de Marie et de son entou-
rage était vrai (sa virginité post-partum ayant notamment été dûment
constatée par des sages-femmes). Par surcroît, « mus par une force
divine, ils découvrirent que Marie, par son origine, participait des
deux tribus 100 à la fois » 101. Ils se résolurent donc à inscrire Jésus
dans leur registre sacerdotal, en tant que prêtre, « fils de Dieu et de
Marie, la vierge » 102. Une recension de la Confession de Théodose
ajoute ici cette importante précision : « Ce registre fut sauvé du
Temple avec soin par ceux qui exerçaient les plus hautes fonctions
parmi les Juifs au temps de la prise du Temple et de Jérusalem, et il
est déposé à Tibériade. » 103 Le chrétien Philippe, confident du Juif
Théodose, décide alors de mener sa propre enquête. Il demande à
certains de ses amis, moines et évêques, de « se rendre à Jérusalem
pour connaître la vérité ». Il rapporte enfin qu’« ils ont mis un

98. S. KRAUSS, Das Leben Jesu nach jüdischen Quellen, Berlin, 1902,
p. 159.
99. Sur le sacerdoce du Christ ou Confession de Théodose, voir P. GEOLTRAIN
– J.-D. KAESTLI (éd.), Ecrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005, p. 75-99.
100. Elle descendrait conjointement de la tribu de Juda et de celle de
Lévi, plus précisément, à la fois de la lignée du roi David et de celle du grand
prêtre Aaron. Jésus est donc à la fois Messie royal et sacerdotal. On notera
que le document se contente d’affirmer cette double ascendance. Contraire-
ment à la Doctrina, il ne propose aucune généalogie.
101. Sur le sacerdoce du Christ ou Confession de Théodose 15 (P. GEOLTRAIN
– J.-D. KAESTLI (éd.), Ecrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005, p. 90).
102. Sur le sacerdoce du Christ ou Confession de Théodose 29 (P. GEOL-
TRAIN – J.-D. KAESTLI (éd.), Ecrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005,
p. 96).
103. Sur le sacerdoce du Christ ou Confession de Théodose 29 (P. GEOL-
TRAIN – J.-D. KAESTLI (éd.), Ecrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005, p. 96,
note à 29 [fin]).
176 T. MURCIA

grand soin à faire des vérifications, pour savoir si ce qu’avait dit


Théodose était vrai : c’est ainsi qu’ils ont retrouvé à Tibériade que
Jésus avait été mis au nombre des prêtres et inscrit dans le regis-
tre. » 104 La Confession de Théodose est postérieure au règne de Justi-
nien 105. Sa rédaction paraît remonter au VIIe siècle 106. Cet écrit est
donc contemporain de la Doctrina Jacobi et exploite visiblement les
mêmes traditions sans que l’on puisse forcément parler d’une influ-
ence directe d’un document sur l’autre.
Ces traditions byzantines ne sont pas sans rappeler un passage
bien connu de la Mishna – maintes fois cité par les spécialistes – et
où il est question d’un certain rouleau généalogique qui aurait été
retrouvé à Jérusalem :
« R. Shimon Ben Azzaï a dit : – J’ai trouvé un rouleau généalogique
– ‫ – ۋڿۆۉۗ ۆۂۄێۆی‬à Jérusalem et il y était écrit : “Un certain homme
est un mamzer 107 – ‫[ –ڽۆۖ ۑۉۂۍۆ ۋۋۃە‬car il est né] d’une femme
mariée [i.e. d’un adultère]”. » 108
Ce passage mishnique qui traite des enfants illégitimes et qui
mentionne – ‫ –ۑۉۂۍۆ‬peloni, « untel », a déjà fait l’objet de plusieurs
analyses. La plupart des chercheurs estimaient autrefois qu’il fallait
y voir une allusion à Jésus 109. Aujourd’hui, la tendance s’est plutôt

104. Sur le sacerdoce du Christ ou Confession de Théodose 33 (P. GEOLTRAIN –


J.-D. KAESTLI (éd.), Ecrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005, p. 98).
105. Sur le sacerdoce du Christ ou Confession de Théodose 1 : « À l’époque
de Justinien, l’empereur de pieuse mémoire… » (P. GEOLTRAIN – J.-D. KAESTLI
(éd.), Ecrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005, p. 83).
106. Sur le sacerdoce du Christ ou Confession de Théodose, (P. GEOLTRAIN –
J.-D. KAESTLI (éd.), Ecrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005, p. 78).
107. Enfant illégitime.
108. M. Yebamot IV, 13 (ma traduction).
109. S. KRAUSS, « Jesus of Nazareth in Jewish Legend », Jewish Ency-
clopedia 7 (1901-1906), p. 170, col. 1 : « The earliest authenticated passage
ascribing illegitimate birth to Jesus is that in Yeb. IV. 3 ». Voir également :
H. LAIBLE, Jesus Christ in the Talmud, Cambridge, 1893 (= Jesus Christus
im Thalmud, Leipzig, 1891), dans G. DALMAN, Jesus Christ in the Talmud,
Midrash, Zohar, and the liturgy of the synagogue, Cambridge, 1893, p. 30-33
(voir cependant ici les réserves de Dalman, Ibid., p. 33, note 1) ; T. HERFORD,
Christianity in Talmud and Midrash, Londres, 1903, p. 43-45 ; G.R.S. MEAD,
Did Jesus Live 100 B. C.?, Londres/Bénarès, 1903, p. 153-154 ; B. PICK,
Jesus in the Talmud. His personality, his disciples and his sayings, Chicago/
Londres, 1913, p. 20-21 ; J. KLAUSNER, Jésus de Nazareth. Son temps, sa vie,
sa doctrine, Paris, 1933, p. 38-40 ; H. SCHONFIELD, According to the Hebrews,
Londres, 1937, p. 139-141 ; J. MOREAU, Les plus anciens témoignages profanes
sur Jésus, Bruxelles, 1944, p. 79 ; J. HOFFMANN, Jesus outside the Gospels,
New York, 1984, p. 43. Plutôt favorable également : D. JAFFÉ, Le judaïsme

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 177

inversée 110/ 111. Le terme peloni ou pelan, s’il désigne parfois Jésus 112,
est d’usage très courant dans la littérature talmudique. De plus, la
Mishna ne mentionne jamais explicitement Jésus, ni sous son nom,
ni sous celui de Ben Panthera. On notera, enfin, qu’il ne s’agit pas
de l’unique « rouleau généalogique retrouvé à Jérusalem » dont par-
lent les sources talmudiques 113.
'BVUJMQPVSBVUBOUFOSFTUFSMÆ 1BTOÊDFTTBJSFNFOU4JMEFNFVSF
EJGGJDJMFEFEÊUFSNJOFSTJMFSÊEBDUFVSNJTIOJRVFMVJNËNFWJTBJUSÊF
MMFNFOU +ÊTVT  JM OF GBJU FO SFWBODIF QBT EF EPVUF m MB QPMÊNJRVF
BJEBOU m RVF OPUSF NPSDFBV B ÊUÊ PV B QV ËUSF
 DPNQSJT  EBOT MB
TVJUF  DPNNF TF SÊGÊSBOU Æ +ÊTVT .BJT EFQVJT RVBOE FYBDUFNFOU 
*M FTU EJGGJDJMF EF MF EJSF .BJT MPO QFVU EV NPJOT BENFUUSF RVVOF
UFMMF MFDUVSF EFWBJU EÊKÆ BWPJS DPVST BV EÊCVU EV 7**F TJÍDMF %BOT

et l’avènement du christianisme. Orthodoxie et hétérodoxie dans la littérature


talmudique I e-II e siècle, Paris, 2005, p. 156. À noter que Herford, suite aux
remarques de Bacher, révisera son jugement et qu’il en est de même – au
final – de Klausner : T. HERFORD, « Jesus in rabbinical literature », Universal
Jewish Encyclopaedia 6 (1942), p. 88, col. 1 ; J. KLAUSNER, « Jesus in Talmud
and Midrash », Encyclopaedia Judaica 10, 1972, col. 16.
110. W. BACHER, « Critical Notices. R. Travers Herford’s “Christian-
ity in Talmud and Midrash.” », Jewish Quarterly Review 17 (1905), p. 175 ;
H.L. STRACK, Jesus, die Häretiker und die Christen nach den ältesten jüdi-
schen Angaben, Leipzig, 1910, p. 27*, n. 4 ; S. ZEITLIN, « Jesus in the Early
Tannaitic Literature », dans Abhandlungen zur Erinnerung an Hirsch Perez
Chajes, Vienne, 1933, p. 299-300 ; J.Z. LAUTERBACH, « Jesus in the Talmud »,
dans Rabbinic Essays, Cincinnati/Ohio, 1951, p. 539-541 ; M. GOLDSTEIN,
Jesus in the Jewish Tradition, New York, 1950, p. 67-68 ; J. MAIER, Jesus von
Nazareth in der talmudischen Überlieferung, Darmstadt, 1978, p. 49-50 ;
R.E. BROWN, The Birth of the Messiah, New York/Londres, 19932, p. 536 ;
R.E. VAN VOORST, Jesus Outside the New Testament: An Introduction to the
Ancient Evidence, Grand Rapids/Michigan-Cambridge, 2000, p. 114-115 ;
R.E. VAN VOORST, « Rabbis », dans Jesus in History, Thought, and Culture.
An Encyclopedia, Santa Barbara/Californie, 2003, p. 712.
111. Ne se déterminent pas : Gr. H. TWELFTREE, « Jesus in Jewish Tradi-
tions », in The Jesus Tradition Outside the Gospels, D. WENHAM (éd.), Shef-
field, 1984, p. 313 ; R. DI SEGNI, Il Vangelo del Ghetto, Rome, 1985, p. 120.
P. SCHÄFER, Jesus in the Talmud, Princeton/New Jersey, 2007, n’y fait pas
référence.
112. Il est parfois utilisé dans la littérature talmudique pour désigner
Jésus lorsqu’on ne veut pas le nommer, notamment dans les éditions censu-
rées. Voir, par exemple, D. JAFFÉ, Le judaïsme et l’avènement du christianisme.
Orthodoxie et hétérodoxie dans la littérature talmudique I e-II e siècle, Paris,
2005, p. 156.
113. Voir J. Taanit IV, 2 (68).
114. Je ne le pense pas même si j’estime ne pas encore disposer de suf-
fisamment d’éléments pour trancher de façon définitive.
178 T. MURCIA

DFUUF QFSTQFDUJWF  %PDUSJOB +BDPCJ *   QPVSSBJU QBSGBJUFNFOU ËUSF


VOF SÊQPOTF JNQMJDJUF Æ . :FCBNPU *7   6O FYBNFO HSPVQÊ EFT
EFVY EPDVNFOUT WJFOU DPOGPSUFS DFUUF IZQPUIÍTF JM FTU RVFTUJPO 
EBOT MFT EFVY UFYUFT  EF jHÊOÊBMPHJFv &O PVUSF  EBOT MB .JTIOB 
PO BDDVTF QFMPOJ m jVOUFMv m EËUSF VO FOGBOU JMMÊHJUJNF  UBOEJT
RVF +ÊTVT  EBOT MB %PDUSJOB  GBJU MPCKFU EVOF TFNCMBCMF BDDVTBUJPO
4VSUPVU  QFMPOJ FTU RVBMJGJÊ EF NBN[FS 0S MF NËNF UFSNF m SBSJT
TJNF FO HSFD m USBOTMJUUÊSÊ NBN[JSPT  FTU ÊHBMFNFOU FNQMPZÊ EBOT
MB %PDUSJOB  Æ RVBUSF SFQSJTFT &OGJO  4IJNPO #FO "[[BÐ NFO
UJPOOÊFO.:FCBNPU*7 
FTU DPNNFPOTBJU VONBÏUSFSÊQVUÊ
DFTU VO HSBOE EPDUFVS EF MB -PJ RVJ FOTFJHOF Æ 5JCÊSJBEF &U MF
+VJG EF MB %PDUSJOB RVJ SFTUF BOPOZNF
 FTU MVJ BVTTJ VO jHSBOE
EPDUFVS EF MB -PJv RVJ FOTFJHOF Æ 5JCÊSJBEF &O GBJU  MB QSJODJ
QBMF EJGGÊSFODF FOUSF MFT EFVY EPDVNFOUT SÊTJEF EBOT MF GBJU RVF MB
.JTIOB m EF NËNF RVF -B $POGFTTJPO EF 5IÊPEPTF m NFOUJPOOF VO
EPDVNFOU ÊDSJU  UBOEJT RVF MB %PDUSJOB TF SÊGÍSF  FMMF  Æ VOF jUSBEJ
UJPOPSBMFvGFSNFNFOUÊUBCMJF*MOFGBVUQBTQFSESFEFWVFRVFMB

115. Mais le mot – une insulte – n’était toutefois pas totalement inconnu
des chrétiens de l’époque puisqu’on le rencontre également sous la forme
ϧџϧϡϢϬϠ dans la Vie de Syméon le fou (information transmise par Christian
Boudignon que je remercie). En fait, « Syméon Salos l’adresse à un verrier
juif (Vie par Léontios de Néapolis) » : V. DÉROCHE, « Doctrina Jacobi nuper
Baptizati », dans Travaux et Mémoires 11 (1991), p. 128, n. 45.
116. Voir note 95. Première occurrence en Doctrina I, 40 (peu avant d’en
arriver à la généalogie de Marie). À noter toutefois qu’aucune de ces men-
tions ne vise directement Jésus.
117. Si l’on en croit, du moins, les sources rabbiniques babyloniennes :
B. Erubin 29a ; B. Sota 45a ; B. Qiddushin 20a ; B. Arakhin 30b. Mais la
rédaction du Babli, justement, est à peu près contemporaine de celle de la
Doctrina. Voir Th. MURCIA, « Rabban Gamaliel, Imma Shalom et le philo-
sophe : une citation des évangiles dans le Talmud ? – Date et enjeux de B.
Shabbat 116b », Revue des études juives 169 (2010), p. 341-343.
118. Ces deux derniers points en commun méritent d’être signalés même
s’il est vrai que le Juif de la Doctrina – pour être plus convaincant – doit
forcément être un « grand docteur de la Loi » et, donc, de préférence, venir
« de Tibériade » (voir notes 96 et 98 et le texte afférent). Mais il n’est pas
moins vrai que si tous les rabbins ne venaient pas ou n’enseignaient pas à
Tibériade, c’est bien cependant à cette cité-là que le nom de Ben Azzaï reste
traditionnellement attaché (voir note précédente).
119. L’information, du fait même de cette absence de rouleau géné-
alogique, reste invérifiable. Mais, pour des Juifs – culturellement bien dis-
posés à accepter ce qui est présenté comme « tradition orale » – l’argument
n’en était sans doute pas moins fort pour autant. C’est aussi le lieu de
rappeler qu’une vieille tradition attribuait au roi Hérode la destruction de
(presque) toutes les généalogies (note 97 et texte afférent).

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 179

%PDUSJOBTBESFTTF BVQSFNJFSDIFG ÆEFT+VJGTOPVWFMMFNFOUDPOWFS


UJTFURVFTPOSÊEBDUFVSmRVJTFYQSJNFÆMBQSFNJÍSFQFSTPOOFFUTF
QSÊTFOUF MVJNËNF DPNNF MBDUFVS QSJODJQBM m QSÊUFOE ËUSF VO +VJG
EV OPN EF +BDPC 0S DFUUF HÊOÊBMPHJF OB BV GPOE RVVO TFVM CVU
NPOUSFSmFOGBJTBOUEF1BOUIFSMFCJTBÐFVMEF+ÊTVTDÔUÊNBUFSOFMm
RVF DFMVJ RVF MFT +VJGT BQQFMMFOU j#FO 1BOUIFSBv  FU RVF MFT ÊWBO
HJMFTOPNNFOUjMFGJMTEF+PTFQIv OFTUQBTVOFOGBOUJMMÊHJUJNF
VO NBN[FS
 %VOF GBÉPO PV EVOF BVUSF  %PDUSJOB +BDPCJ *  
QBSBÏUEPODCJFOËUSFVOFSÊQPOTFJNQMJDJUF OPOQBTBVUFYUFNËNF
EF MB .JTIOB  NBJT QMVUÔU Æ TPO VUJMJTBUJPO DPNNF BSNF QPMÊNJRVF
Un des termes utilisés dans la Doctrina, pour désigner les évan-
giles, est megaleion (ϧϠϞϜϦϠҾϪϨ). Vincent Déroche explique en note
que ce mot « appartient à une langue plutôt populaire » 122. L’utili-
sation de ce substantif – peu fréquent dans ce sens précis 123 – mérite
d’être signalé pour au moins deux raisons. On peut concevoir, d’une
part – du fait que les destinataires de la Doctrina sont prioritaire-
ment des Juifs – que l’emploi de megaleion pouvait permettre d’évi-
ter celui d’euangelion qui était prétexte à plusieurs jeux de mots peu
flatteurs en hébreu 124. Mais, d’autre part, comme megaleion s’avère
phonétiquement très proche de megilla – ‫ –ۋڿۉہ‬qui, en hébreu,
désigne, un rouleau manuscrit (et notamment un rouleau de la
Bible hébraïque), on peut penser que cette utilisation spécifique
n’est pas uniquement le fruit du hasard : pour le rédacteur – de
même que pour tous les Juifs nouvellement convertis – l’évangile
est à présent le seul véritable « rouleau » de référence 125. Quant à la
fréquence d’emploi de megaleion dans la section I, 41-42 qui traite
de la généalogie de Marie – elle concentre, à elle seule, quatre occur-

120. Références en note 6.


121. Voir tableau récapitulatif en fin d’article.
122. V. DÉROCHE, « Doctrina Jacobi nuper Baptizati », dans Travaux et
Mémoires 11 (1991), p. 132, note 57.
123. Le mot ϧϠϞϜϦϠҾϪϭ se rencontre dans la Bible – aussi bien dans le
Nouveau Testament que dans la version des Septante – mais avec un tout
autre sens. Il désigne, le plus souvent, la « grandeur » ou les « hauts faits »
de Dieu : Dt 11, 2 ; Ps 71, 19 ; Tb 11, 15 ; Si 17, 8, 10, 13 ; 18, 4 ; 36, 7 ; 42,
21 ; 43, 15 ; 45, 24 ; 2 M 3, 34 ; 7, 17 ; Ac 2, 11.
124. Voir B. Shabbat 116a ; Amulo, PL 116, col. 146D-147A (§ 10).
125. Dans la Doctrina, Jésus, nouveau législateur, remplace la Loi de
Moïse par « une nouvelle Loi » : la « Loi des Saints Évangiles » (Doctrina I,
9-12, 29, 37 ; II, 7). La loi de Moïse est « accomplie » (Doctrina I, 10), une
façon de dire qu’elle est « supprimée » (Doctrina I, 10 ; III, 7 ; IV, 2). « La
Sainte Loi est supprimée ou plutôt accomplie » (Doctrina Jacobi I, 10).
180 T. MURCIA

rences sur les six 126 que compte la Doctrina (140 pages de texte) –
elle a également pu être induite par la mention, dans la Mishna, de
notre fameux « rouleau généalogique » : megilat-yohasin en hébreu.
À cette megilla mensongère, le rédacteur opposerait, implicitement,
le seul rouleau digne de foi : le megaleion véridique 127.
D’autres auteurs plus tardifs – témoins du modèle B – et qui
dépendent vraisemblablement tous directement ou indirectement
de la Doctrina, comptent également Panther et même Barpanther
(ou Karpanther) 128 parmi les ancêtres de Jésus. Pour André de Crète
(mort vers 720/740) 129, Panther est le frère de Melchi. Il est le père
de Karpanther (φϜϬϫϜϨϣϙϬ), qui est le père de Joachim, qui est lui-
même le père de « la Mère de Dieu ». Karpanther est donc l’aïeul
de Marie et Panther son bisaïeul. La généalogie de Marie consignée
par Jean Damascène 130 (mort vers 749) présente le même canevas 131 :
« De la lignée de Nathan, fils de David, était né Lévi dont sont issus
Melchi et Panther (ϯѦϨ όϗϨϣϢϬϜ) ; Panther (з όϗϨϣϢϬ) engendra
Barpanther (ϯѦϨ ξϜϬϫϗϨϣϢϬϜ), ainsi nommé. Le même Barpanther
(з ξϜϬϫϗϨϣϢϬ) engendra Joachim, Joachim engendra la Sainte Mère
de Dieu. De la lignée de Salomon, fils de David, Matthan prit femme
qui lui donna Jacob. Matthan étant mort, Melchi de la famille de
Nathan, fils de Lévi, frère de Panther (ϯϪӍ όϗϨϣϢϬϪϭ), épousa la
femme de Matthan, mère aussi de Jacob, et d’elle il engendra Héli.
Jacob et Héli furent frères utérins, mais Jacob de la famille de Salo-
mon, et Héli de la famille de Nathan. Héli, de la famille de Nathan,
mourut sans enfant, et Jacob, son frère, de la famille de Salomon,

126. V. DÉROCHE, « Doctrina Jacobi nuper Baptizati », dans Travaux et


Mémoires 11 (1991), p. 223 (Index).
127. En Doctrina Jacobi I, 41-42, le rédacteur se réfère de façon plus spé-
cifique aux généalogies de Matthieu et de Luc qu’il englobe sous le terme
megaleion.
128. Une erreur de scribe, peut-être par suite d’une confusion entre les
lettres B et K à la graphie très proche (en hébreu), ou par déformation (texte
pris sous la dictée) ou/et un possible rapprochement avec le latin Carpenta-
rius (artisan du bois, charpentier).
129. Oratio in circumcisionem Domini [PG 97, col. 916B-C]. Texte
(grec) chez H.L. STRACK, Jesus, die Häretiker und die Christen nach den älte-
sten jüdischen Angaben, Leipzig, 1910, p. 11*.
130. Voir plus bas, la généalogie 4.
131. Jean Damascène, La Foi Orthodoxe IV, XIV [PG 94,
col. 1156D-1157A]. Texte (grec) : H.L. STRACK, Jesus, die Häretiker und die
Christen nach den ältesten jüdischen Angaben, Leipzig, 1910, p. 12*-13*. La
traduction – que j’ai retouchée – est ici celle de E. PONSOYE, Jean Damascène,
La Foi Orthodoxe, Paris, 1966.

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 181

prit sa femme et donna une descendance à son frère, engendrant


Joseph. Donc Joseph, d’après la nature, est fils de Jacob et descend
de Salomon, et d’après la Loi, fils d’Héli et descend de Nathan. »
Pour Jean Damascène, Marie est donc la fille de Joachim, la
petite-fille de Barpanther et l’arrière-petite-fille de Panther. Lévi,
le trisaïeul de Marie, est à la fois le père de Panther et de Melchi.
Melchi est le père d’Héli – frère utérin de Jacob – qui est présenté
comme le père légal de Joseph, l’époux de Marie ( Jacob étant son
père naturel en fonction de la loi du lévirat). Cette généalogie tente
de concilier les généalogies contradictoires de Matthieu et de Luc 132
tout en intégrant les noms de Panther et de Barpanther.
Vers 800 133, le moine Épiphane, dans sa Vie de Marie 134, reprend
l’essentiel de ces informations : « De la lignée de Nathan, fils de
David, est né Lévi. Lévi engendra Melchi et Panther (ϯѦϨ όϗϨϣϢϬϜ)
[…] Panther (з όϗϨϣϢϬ) engendra Barpanther (ϯѦϨ ξϜϬϫϗϨϣϢϬϜ).
Barpanther (з ξϜϬϫϗϨϣϢϬ) engendra Joachim le père de Marie la
Mère de Dieu. […] Melchi le frère de Panther engendra Héli. »
Notons que le moine Épiphane prétend dépendre d’un écrit de
Saint Cyrille 135 ce qui nous ramènerait à l’époque d’Épiphane (de
Salamine). Mais la généalogie qu’il propose est identique à celle de
Jean Damascène. Il mentionne, en outre, parmi les auteurs ayant
déjà traité cette question, un certain « Jacob l’Hébreu » 136. Il s’agit
sans aucun doute de la Doctrina Jacobi. La généalogie qu’il propose
dépend des précédentes.
Enfin, un Dialogue contre les Juifs faussement attribué à Andron-
icus I Comnène de Constantinople (fin XIIe siècle) 137 et daté des

132. Mt 1, 1-16 ; Lc 3, 23-37. Voir plus bas la généalogie 1.


133. Épiphane le Moine mentionne André de Crète mort vers 720/740.
On a par ailleurs proposé de voir en Épiphane l’auteur de la Vie d’André mais
ce n’est pas démontré.
134. Texte (grec) : H.L. STRACK, Jesus, die Häretiker und die Chris-
ten nach den ältesten jüdischen Angaben, Leipzig, 1910, p. 13* [PG 120,
col. 189D-190A-B].
135. Cyrille de Jérusalem (mort en 386) d’après H.L. STRACK, Jesus, die
Häretiker und die Christen nach den ältesten jüdischen Angaben, Leipzig,
1910, p. 13*, Cyrille d’Alexandrie (mort en 444) d’après A. DEISSMANN, « Der
Name Panthera », dans C. BEZOLD, Orientalische Studien: Theodor Nöldeke
zum siebzigsten Geburtstag, Giessen, 1906, p. 871 et J. MAIER, Jesus von Naza-
reth in der talmudischen Überlieferung, Darmstadt, 1978, p. 262.
136. V. DÉROCHE, « Doctrina Jacobi nuper Baptizati », dans Travaux et
Mémoires 11 (1991), p. 49. Cette mention figure en PG 120, col. 185.
137. Le véritable auteur est en fait Andronic Comnène Branas Doucas
Ange Paléologue, le fils du sébastocrator Constantin et neveu de Michel
182 T. MURCIA

années 1310 reprend toutes ces données. Son auteur prétend lui-
même tenir ses informations d’un écrit juif qu’il aurait trouvé en
Macédoine dans la maison d’un certain Élie, docteur de la Loi.
Il affirme qu’on pouvait y lire : « [Marie] était une femme de la
race de David, fille d’Anne et de Joachim qui était fils de Panther.
Ainsi, Panther et Melchi étaient frères, fils de Lévi, de la branche
de Matthan dont le père était David, de la tribu de Juda » 138. En
réalité, le texte du Dialogue emprunte à la Doctrina une partie de
son matériau et sa généalogie en dépend directement 139. Le fait qu’il
omette Barpanther montre, en outre, qu’il n’a probablement pas eu
accès aux versions retravaillées transmises entre-temps par André de
Crète, Jean Damascène et le moine Épiphane.
En somme, tous ces témoins 140 dépendent d’une façon ou d’une
autre de la Doctrina Jacobi 141, un ouvrage – rappelons-le – avant

VIII. Voir V. DÉROCHE, « Doctrina Jacobi nuper Baptizati », dans Travaux


et Mémoires 11 (1991), p. 49.
138. A.L. WILLIAMS, Adversus Judaeos. A Bird’s-Eye View of Christian
Apologiae until the Renaissance, Cambridge, 1935, p. 184-185 [PG 133,
col. 859-860].
139. V. DÉROCHE, « Doctrina Jacobi nuper Baptizati », dans Travaux et
Mémoires 11 (1991), p. 49-50. F. Nau considère au contraire, mais certaine-
ment à tort, que malgré les points communs indéniables entre les deux docu-
ments, il n’y a « eu aucun emprunt immédiat » : PO VIII, 5, n° 40, p. 739-
740 (1912). A.L. WILLIAMS, Adversus Judaeos. A Bird’s-Eye View of Christian
Apologiae until the Renaissance, Cambridge, 1935, p. 185, n. 1 : Williams,
qui renvoie à Nau, est du même avis. Mais comme l’explique V. DÉROCHE,
« Doctrina Jacobi nuper Baptizati », dans Travaux et Mémoires 11 (1991),
p. 49, n. 11, l’emprunt est manifeste. Une supposée source commune aux
deux documents demeure introuvable. Pour l’heure, on peut donc dire que
le Dialogue dépend bien de la Doctrina qui est beaucoup plus ancienne. L’au-
teur du Dialogue, de même que le moine Épiphane, s’est contenté d’enrichir
la généalogie de la Doctrina.
140. Si, au dire de V. DÉROCHE, « Doctrina Jacobi nuper Baptizati », dans
Travaux et Mémoires 11 (1991), p. 49, « le texte [de la Doctrina] a subi une
diffusion faible qui explique une tradition indirecte réduite », on ne peut
pas vraiment en dire autant de la généalogie de Marie (et de Joseph) qu’elle
propose et qui a tout de même connu un certain succès. Si Déroche men-
tionne, parmi ses promoteurs, Épiphane le Moine et Andronicus, il omet, en
revanche, de signaler André de Crète (qui est certes cité mais non en tant que
témoin du texte) et Jean Damascène. H.L. STRACK, Jesus, die Häretiker und
die Christen nach den ältesten jüdischen Angaben, Leipzig, 1910, p. 8*-13*, au
contraire, omet, lui, de mentionner Andronicus et surtout la Doctrina Jacobi
qui est la source du modèle B.
141. Pour H. SCHONFIELD, According to the Hebrews, Londres, 1937, qui
cite la Doctrina et Andronicus (dans la traduction de A.L. WILLIAMS, Adver-
sus Judaeos. A Bird’s-Eye View of Christian Apologiae until the Renaissance,

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 183

tout destiné à des Juifs nouvellement convertis : Panther et accessoi-


rement Barpanther seraient des ancêtres de Marie (aïeul et bisaïeul).
Seul Épiphane de Salamine s’en détache nettement. Selon lui, Pan-
ther alias Jacob est le père de Joseph. Bien qu’il reste isolé 142, il est
le témoin d’une tradition plus ancienne. Nonobstant, aucun de ces
deux modèles ne semble avoir été connu d’Origène ni même d’Eu-
sèbe de Césarée. L’un comme l’autre n’auraient pas manqué, le cas
échéant, de s’y référer quand l’occasion s’est présentée : Origène
dans son Contre Celse et Eusèbe dans son Histoire ecclésiastique et
dans ses Eclogae propheticae. Au contraire, le modèle B – dont la
Doctrina est le plus ancien témoin – utilise manifestement la généa-
logie de Joseph proposée par Julius Africanus 143 (ca 220-230 de
notre ère) et conservée par Eusèbe de Césarée dans au moins deux
de ses écrits 144 : une généalogie de laquelle Panther est absent mais
dont l’objectif essentiel est de concilier Matthieu et Luc. On peut
donc considérer que Panther n’a commencé à être intégré parmi les
ancêtres de Jésus qu’à partir du derniers tiers du IVe siècle 145.

Cambridge, 1935) et qui renvoie également à Épiphane de Salamine et à Jean


Damascène, « these passages clearly reveal the existence of Jewish documents,
going back to the heyday of the Jewish college at Tiberias in the fourth cen-
tury, in which the genealogy of Jesus was discussed, and in which the name
Panther was found at a date approximating to the reign of Alexander Jan-
naeus ».
142. Voir cependant note 82.
143. Voir plus bas, les généalogies 2 et 4.
144. Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique I, VII, 1-17 ; Questions évan-
géliques à Stephanos IV, 2. Voir plus bas, la généalogie 2.
145. S.C. MIMOUNI « Jacob de Kefar Sikhnaya : trajectoire d’un chré-
tien d’origine judéenne du Ier siècle », dans A. MAMAN – S. E. FASSBERG –
Y. BREUER (éd.), Sha´arei Lashon. Studies in Hebrew, Aramaic and Jewish
Languages Presented to Moshe Bar-Asher, II. Rabbinic Hebrew and Aramaic,
Jérusalem, 2007, p. *11-*12, précise : « Dans la généalogie de Jésus, rapportée
dans un fragment syriaque de la Didacalie de Jacob, un écrit relevant de la
polémique antijuive de la première moitié du VIIe siècle, la mère de Jésus est
fille de Joachim, fils de Pantera, frère de Melchi, de la famille de Nathan
et fils de David : cette explication paraît assez vraisemblable, d’autant que ce
texte semble conserver nombre de traditions chrétiennes d’origine judéenne
dont certaines peuvent être fort anciennes. ». Voir S.C. MIMOUNI, Les chré-
tiens d’origine juive dans l’Antiquité, Paris, 2004, p. 109. F. MANNS, L’Israël de
Dieu. Essais sur le christianisme primitif, Jérusalem, 1996, p. 268, de son côté,
considère que cette explication généalogique serait acceptable si le Talmud
ne donnait pas d’autres noms à Jésus. Or, précise-t-il « fréquemment, Jésus
est désigné comme Ben Stada. ». Manns a sans doute raison, mais l’argument
qu’il avance ne saurait être retenu : en effet, quoique traditionnelle l’identi-
fication de Ben Stada à Jésus est erronée ainsi que je l’ai moi-même démon-
184 T. MURCIA

4. De la prétendue « tradition talmudique » sur la liaison entre


Marie et le soldat Panthera
Au début du XXe siècle, H. Lesêtre considérait que Panther devait
être un ancêtre de Jésus qui n’entrait pas dans la généalogie directe.
Il écrit : « Saint Épiphane et saint Jean Damascène lui donnèrent
une place dans la généalogie, et les Juifs en abusèrent en le faisant
servir de base à leurs calomnies » 146. De fait, comme nous avons pu
le voir, c’est exactement le contraire qui est vrai. À partir du IVe
siècle, la tradition juive concernant Panthera avait déjà dû connaître
une certaine expansion, dans une partie du monde chrétien tout
du moins. Un démenti pur et simple, à la façon d’Origène, n’était
pas forcément la meilleure façon d’y répondre. Et c’est ainsi que,
par une sorte de modus vivendi, Panthera s’est retrouvé intégré dans
certaines généalogies de Marie. Mais, de façon assez étonnante,
H. Lesêtre ajoute : « D’après le Talmud, le nom de Panther fut celui
d’un ami et d’un officier d’Hérode Antipas, qui résidait à Magdala,
et auquel Marie-Madeleine se serait attachée après avoir quitté son
mari, Pappus ben Juda » 147. Si elle était vérifiée, cette information
serait particulièrement intéressante. Lesêtre cite-t-il ses sources ? Il
renvoie, pour toute référence, au fameux commentaire du Nouveau
Testament de John Lightfoot 148 publié à partir de 1658. Malgré son
« âge avancé », justement, cet ouvrage a fort bien vieilli et il n’est
parfois pas malvenu de s’y référer. Or, si Lightfoot cite effective-
ment bien, dans ce passage, le « Talmud », « Panthera », « Marie
de Magdala » et « Papus Ben Juda », des données aussi précises que
celles que rapporte Lesêtre n’y figurent absolument pas 149. D’ailleurs,

tré : Th. MURCIA, « Qui est Ben Stada ? », Revue des études juives 167 (2008),
p. 367-387 ; D. ROKEAH, « Jesus Nonetheless. A Response to Thierry Mur-
cia », Revue des études juives 170 (2011), p. 279-284 ; Th. MURCIA, « Ben
Stada (ou Ben Stara) n’est pas Jésus : Une réponse à David Rokéah », Revue
des études juives 172 (2013), p. 189-199.
146. H. LESÊTRE, « Marie, Mère de Dieu », Dictionnaire de la Bible IV
(1912), col. 808.
147. H. LESÊTRE, « Marie, Mère de Dieu », Dictionnaire de la Bible IV
(1912), col. 808.
148. J. LIGHTFOOT, A Commentary on the New Testament from the Tal-
mud and Hebraica, Oxford, 1859 [1658-1674/1684] (Horae Hebraicae et
Talmudicae : Hebrew and Talmudical Exercitations), II, p. 372-374 (sur Mt
27, 56).
149. Dans le Talmud en particulier, Panthera n’est qu’un nom. On ne
sait rien de lui. C’est Celse qui affirme qu’il s’agit d’un soldat. En outre,
si Hérode le Grand et Hérode Agrippa sont quelquefois mentionnés dans

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 185

on ne les trouve même dans aucun des deux Talmuds, ni même dans
les Midrashim, ni dans les Targumim. Elles ne figurent pas non plus
dans le Josippon 150, ni dans aucune des versions des Toledot Yeshu
parmi les plus connues. D’ailleurs, après Lesêtre, aucun chercheur ni
ne les exploite, ni ne les mentionne. Après vérification, il ne s’agit
donc en réalité que d’une reconstruction conjecturale effectuée,
non par Lightfoot, mais par Lesêtre lui-même, à partir de diverses
sources talmudiques (lato sensu) 151 et surtout, d’une bonne dose
d’interprétation…
En fait, l’indication que Panthera ait été soldat ne se trouve pas
dans la littérature talmudique. Elle figure pour la première fois
chez Celse et on ne la trouve même que rarement dans les Toledot
Yeshu 152. Laible fait observer, qu’au contraire de ce que l’on peut
trouver dans les récits talmudiques, l’accusation portée par Celse 153
« ne contient aucun point qui, en lui-même, serait historiquement
impossible » 154. Mais Gustav Dalman renvoie ici en note 155 à un
passage du Yerushalmi, qui figure également dans la Tosefta et dans
le Babli 156, et dont voici la traduction :

les deux Talmuds – mais jamais en rapport ni avec Panthera, ni avec Marie
de Magdala, ni même avec la localité de Magdala – Hérode Antipas, à ma
connaissance, n’y figure, lui, pas une seule fois.
150. Sur cette œuvre du Xe siècle, voir : G. STEMBERGER, Einleitung in Tal-
mud und Midrasch, Munich, 20119, p. 375 (H. L. STRACK – G. STEMBERGER,
Introduction au Talmud et au Midrash, Paris, 19867, p. 375). Texte hébreu et
traduction (du passage concernant Jésus) : I. LÉVI, « Jésus, Caligula et Claude
dans une interpolation du Yosiphon », Revue des études juives 91 (1931),
p. 135-154. Traduction seule : J.-P. OSIER, L’Évangile du Ghetto, ou Comment
les Juifs se racontaient Jésus, Paris, 1984, p. 129-134.
151. Les sources talmudiques confondent effectivement Marie de Mag-
dala et la mère de Jésus : voir Th. MURCIA, L’Énigme Marie-Madeleine. L’En-
quête (à paraître), chapitres III et IV. De leur côté, les Toledot Yeshu (ver-
sion Wagenseil) font bien de Panthera un « soldat » (voir note suivante) et
l’amant (version Huldreich, les autres versions en font plutôt son abuseur),
voire même l’époux (Manuscrit de Vienne 1) de celle-ci. Quant à la confu-
sion – que Lesêtre semble avoir faite sienne – entre Marie, la mère de Jésus,
et Marie Bat Bilga, une fille de prêtre qui aurait épousé un officier de l’armée
séleucide, voir infra.
152. Toledot Wagenseil (1681). Plus précisément, Pandera est dit être gib-
bor-milhama – ‫ – ڿھۂە ۋۉۄۋہ‬c’est-à-dire « un vaillant guerrier » (p. 2).
153. Origène, Contre Celse 1, 32.
154. H. LAIBLE, Jesus Christ in the Talmud, Cambridge, 1893, p. 20.
155. G. DALMAN, Jesus Christ in the Talmud, Midrash, Zohar, and the lit-
urgy of the synagogue, Cambridge, 1893, p. 20, n. 1.
156. T. Sukka 4, 28 ; J. Sukka V, 8 ; B. Sukka 56b.
186 T. MURCIA

« [La division de] Bilga reçoit toujours [sa part du pain de proposi-
tion] au Sud [dans la partie sud des cours du Temple] à cause de
Marie Bat Bilga : elle apostasia et épousa un officier – ‫ –ێەۀۆۂۅ‬de la
maison royale de Javan [Grèce]. Elle vint et tapa sur le “toit” [le des-
sus] de l’autel et lui dit : – Loup ! Loup 157 ! – ‫ –ۉۂ۔ۂێ‬Tu as dévasté
les domaines d’Israël et tu ne t’es pas tenu à leur côté à l’heure de
leur oppression ! » 158
La Marie dont il est question dans ce document est présentée
comme étant la fille de Bilga, d’une famille de prêtres. Les versions
de la Tosefta et du Babli fournissent davantage de détails : la scène
est censée se dérouler au moment où les Grecs entrent dans le Tem-
ple, c’est-à-dire en 169 avant notre ère qui est l’année de la profana-
tion du Temple par l’armée d’Antiochos Épiphane (1 M 1, 20-21).
La fille de Bilga, qui a pris le parti des Grecs, se précipite alors sur
l’autel et le frappe avec sa sandale en l’invectivant. Ce texte, auquel
renvoient quelques savants, dont Gustav Dalman (op. cit.), Samuel
Krauss 159 et Marc Lods 160, et qui mentionne une certaine Marie qui
apostasie pour épouser un officier, aurait pu influencer la légende de
Marie et du soldat Panthera. C’est notamment l’opinion de Joseph
Klausner 161, de Jacques Moreau 162, de Robert Eisler 163, de Maurice
Goguel 164 et de Dan Jaffé 165. On notera que le terme traduit par
officier, sradiot – ‫ –ێەۀۆۂۅ‬dérivé du grec stratiôtês, se rapproche de
Stada ou Stara un personnage présenté comme identique à Panthera

157. Luqos : on reconnaît ici le grec translittéré lukos. L’autel est comparé
à un loup car il « dévore » les sacrifices. Sur cette explication voir Genèse
Rabba 99, 3 (fin).
158. J. Sukka V, 8, 55d (ma traduction). On trouvera une autre traduc-
tion chez J.-P. OSIER, L’Évangile du Ghetto, ou Comment les Juifs se racon-
taient Jésus, Paris, 1984, p. 140.
159. S. KRAUSS, Das Leben Jesu nach jüdischen Quellen, Berlin, 1902,
p. 276, n. 13.
160. M. LODS, « Étude sur les sources juives de la polémique de Celse
contre les chrétiens », Revue d’histoire et de philosophie religieuses 21 (1941),
p. 8, n. 15.
161. J. KLAUSNER, Jésus de Nazareth. Son temps, sa vie, sa doctrine, Paris,
1933, p. 23.
162. J. MOREAU, Les plus anciens témoignages profanes sur Jésus, Bruxelles,
1944, p. 81.
163. R. EISLER, The Messiah Jesus and John the Baptist, Londres, 1931,
p. 407 (vol. 2, p. 352 dans l’édition allemande).
164. M. GOGUEL, Jésus, 19502, p. 57.
165. D. JAFFÉ, « Une ancienne dénomination talmudique de Jésus : Ben
Pantera. Essai d’analyse philologique et historique », Theologische Zeit-
schrift 64 (2008), p. 265, note 32.

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 187

dans la tradition babylonienne 166. Notons également que ce récit


mettant en scène Marie Bat Bilga a fait l’objet d’une récupération
dans les Avot de Rabbi Nathan pour y subir quelques transforma-
tions : la scène se déroule cette fois en 70 de notre ère et Titus y
tient le rôle principal 167.

5. Aux origines de la tradition.


Pour la plupart des critiques, cette naissance illégitime d’un sol-
dat romain aurait été imaginée pour répliquer à l’affirmation chré-
tienne de la conception virginale et de la descendance davidique 168.
C’est notamment l’opinion de Charles Guignebert qui écrit :
« Dès le second siècle circulait la légende juive de l’adultère de Marie
avec le soldat Panthera ou Pandera : Celse la connaît. Elle s’exprime
par la nécessité de donner une interprétation de polémique à
l’affirmation de la naissance virginale du Christ et ne représente cer-
tainement aucune tradition autonome. » 169
Notons que c’était déjà plus ou moins l’opinion d’Origène :
« Il était tout naturel que ceux qui n’admettent pas la naissance
miraculeuse de Jésus forgent quelque mensonge. Mais l’avoir fait

166. Voir note 145 (fin).


167. Avot de Rabbi Nathan A 1 : « [Ceci] se rapporte à l’ignoble Titus,
que ses os pourrissent ! Car il tenait une baguette dans sa main, avec laquelle
il frappait la face de l’autel, en hurlant : Loup ! Loup ! Tu es roi et je suis roi,
viens faisons la guerre ensemble ! Combien de taureaux ont été égorgés sur
toi ! Combien d’oiseaux ont été mis à mort sur toi ! Combien de vin a été
répandu sur toi ! Combien d’encens fut brûlé sur toi ! Tu es celui qui jeta
la désolation sur le monde entier ! » (traduction de É. SMILÉVITCH, Leçons
des Pères du Monde – Pirqé Avot et Avot de Rabbi Nathan Version A et B,
Lagrasse, 1983, p. 79). « Baguette » pourrait n’être ici qu’un euphémisme
pour désigner le membre viril (opinion de Schechter). C’est sans doute exact
si l’on se réfère à la scène de la profanation du Temple par Titus rapportée
en Genèse Rabba 10, 7 (sur 2, 1) ; Lévitique Rabba 20, 5 (sur 16, 1) et 22,
3 (sur 17, 3) ; Qohélet Rabba 5, 9 (sur 5, 8) ; B. Gittin 56b ; Avot de Rabbi
Nathan B 7. Voir Pirqé de Rabbi Éliézer 49.
168. J. KLAUSNER, Jésus de Nazareth. Son temps, sa vie, sa doctrine, Paris,
1933, p. 22-23 ; 341-342 ; M. GOGUEL, Paris, 19502, p. 58 ; C. GUIGNEBERT,
Jésus, Paris, 1933, p. 27 ; D. JAFFÉ, « Une ancienne dénomination talmudique
de Jésus : Ben Pantera. Essai d’analyse philologique et historique », Theolo-
gische Zeitschrift 64 (2008), p. 267.
169. C. GUIGNEBERT, Jésus, Paris, 1933, p. 27.
188 T. MURCIA

sans vraisemblance 170 et en maintenant que la vierge n’avait pas


conçu de Joseph faisait éclater le mensonge à tout homme capable
de discerner et de réfuter les fictions. » 171
Cette explication peut sembler logique. Il est d’ailleurs difficile
d’admettre que Celse ait pu connaître une tradition authentique,
différente de celles des évangiles, concernant la véritable profession
du père de Jésus. Mais cette restriction ne s’applique pas automa-
tiquement au nom même « Panthera », que l’on trouve aussi bien
chez Celse que dans la Tosefta. Le nom Panthera, quant il appa-
raît pour la première fois dans les textes tannaïtiques, n’a aucune
connotation péjorative. Il s’agit simplement, pour le rédacteur, de
bien situer le personnage : Yeshua Ben Panthera, celui-là et non
un autre. Une pure invention paraît donc peu probable. Pourquoi
aurait-on imaginé de toute pièce un nom aussi singulier, s’il n’était
authentique ? Pour nourrir une éventuelle polémique, il n’était pas
nécessaire d’aller si loin. Il suffisait d’arguer, comme une frange
des Ébionites, que Jésus était tout simplement le « fils naturel de
Joseph » 172. Or, les deux traditions sont bien attestées et pratique-
ment aussi anciennes l’une que l’autre 173 : d’un côté, Jésus est dit fils
de Panthera, de l’autre il est dit fils de Joseph 174. Dans les évangiles,

170. C’est-à-dire : il suffisait de dire que Jésus était le fils naturel de


Joseph.
171. Origène, Contre Celse 1, 32 : texte et traduction M. BORRET, I, Par is,
1967, p. 165 (SC 132).
172. Pour R. EISLER, The Messiah Jesus and John the Baptist, Londres,
1931, p. 407, il s’agissait non pas d’opposer un argument à la conception vir-
ginale mais plutôt à l’ascendance davidique de Jésus en lui imaginant un père
romain : « Rather then the myth of the parthenogenesis, the claim of Jesus
and his family to be descended from King David may have induced the Jews
to insinuate that he was nothing but the bastard son of the Roman ». Voir
également M. LODS, « Étude sur les sources juives de la polémique de Celse
contre les chrétiens », Revue d’histoire et de philosophie religieuses 21 (1941),
p. 8-9 ; P. SCHÄFER, Jesus in the Talmud, Princeton/New Jersey, 2007, p. 21.
Notons toutefois que si le nom Panthera pouvait suggérer une origine étran-
gère, il ne l’impliquait pas (voir infra).
173. P. SCHÄFER, Jesus in the Talmud, Princeton/New Jersey, 2007,
p. 151, n. 25, est d’accord pour dire que les traditions transmises par le Juif
de Celse « are clearly older than the sixties and seventies of the second cen-
tury C.E. ».
174. Références en note 6. Ajouter Mt 1, 16 dans le palimpseste du Sinaï
(Codex Sinaïticus = Syrsin) qui présente Joseph comme le géniteur de Jésus.
Voir F.C. BURKITT, Evangelion da-mepharreshe: The Curetonian Version of the
Four Gospels, with the readings of the Sinai Palimpsest, and the early Syriac
Patristic evidence, Londres, 1904, vol. 1, p. 5 (note à Mt 1, 16) et vol. 2,

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 189

quand ses contemporains mentionnent le père de Jésus, c’est tou-


jours de Joseph qu’il s’agit. Et il est également précisé que Jésus est
« artisan », comme son père 175. Or, dans les passages en question,
il y a déjà une pointe polémique. Mais il ne s’agit en aucune façon
de mettre en doute ou de défendre la légitimité de la naissance de
Jésus. Il s’agit seulement, pour ses auditeurs sceptiques, ou tout du
moins surpris, de rappeler que, pour eux, Jésus n’est qu’un homme
dont ils connaissent fort bien, et le père, et la mère 176. Et, qu’elles
lui attribuent un père naturel ou seulement putatif, les sources chré-
tiennes, orthodoxes, hétérodoxes ou gnostiques, lui donnent tou-
jours le même nom : Joseph.
L’importance des données fournies par Origène – et confirmées
par les sources tannaïtiques – a sans doute été sous-estimée. Mais
elle ne doit pas non plus être surévaluée. En effet, puisque le nom
de Panthera est en réalité le seul dénominateur commun entre les
deux sources. Et ce seul nom a très bien pu suffire, au polémiste
antichrétien ou à sa source, pour en déduire qu’il s’agissait d’un non-
Juif, un soldat. Origène achève son Contre Celse vers 248 de notre
ère, mais le pamphlet de Celse, auquel il répond, est beaucoup plus
ancien. On s’accorde généralement sur une date de rédaction autour
de 170-180 de notre ère. Le nom de Panthera est donc connu avant
cette date-là 177. La Tosefta, elle, a été compilée plus tard, vers 300

p. 262-263 : « Jacob begat Joseph; Joseph, to whom was betrothed Mary the
Virgin, begat Jesus called the Messiah ». Et Burkitt d’ajouter, non sans avoir,
au préalable, exprimé ses regrets les plus sincères auprès de ses lecteurs : « I
believe that S [Syrsin] accurately preserves the original text of the Old Syriac
version in this passage » (p. 263).
175. Mt 13, 55 ; Mc 6, 3.
176. Mt 13, 54-57 ; Mc 6, 1-4 ; Lc 4, 22 ; Jn 6, 42. En Mc 6, 3, cas
unique dans les évangiles, Jésus est simplement appelé « [l’artisan], le fils de
Marie ». Au vu du contexte, cela implique seulement que le père de Jésus
n’est alors pas présent, voire qu’il n’est jamais présent, et on en a donc sou-
vent déduit qu’il était certainement décédé : la scène se déroule à Nazareth
même. Marie, au contraire, compte parmi les interlocuteurs présents ou du
moins les témoins potentiels. Voir Mt 13, 55 où Joseph n’est pas non plus
nommé mais où la précision l’« artisan », attribuée à Jésus chez Marc, sert
ici à le désigner. Toujours est-il qu’on ne saurait tirer argument de ce seul
verset pour affirmer que, pour ses contemporains, Jésus devait être « de père
inconnu », ainsi que l’insinue P. LEIHY, « You say “parthenos”, I say “Pan-
dera”: a Jewish and Christian exegetical interplay », Australian Journal of
Jewish Studies 17 (2003), p. 84.
177. Celse rédige son traité vers 170. Mais il dépend lui-même d’un écrit
polémique dont l’auteur est un Juif lettré dont on ignore le nom (voir note
59). Cet auteur anonyme a lui-même lu les évangiles, y compris celui de Jean
190 T. MURCIA

de notre ère. Mais l’épisode de Jacob le guérisseur (« disciple » de


Yeshua Ben Panthera) et de Ben Dama 178, qui paraît présenter d’as-
sez bonnes garanties d’authenticité, se déroule entre l’extrême fin du
Ier siècle et les années 130 de notre ère, autrement dit, à une époque
immédiatement postérieure à celle de la rédaction des évangiles.
Quant à l’accusation d’adultère, portée contre Marie, faut-il déjà y
voir une allusion – comme l’affirment certains critiques 179 – dans
ce passage de Jean qui met en scène Jésus et des pharisiens qui lui
rétorquent : « Nous ne sommes pas nés de la prostitution » ( Jn 8,
41) ? Sans doute pas. Il convient d’abord de remettre ce verset dans
son contexte. Chez Jean, l’attaque vient en fait de Jésus qui remet
en cause la légitimité de ses interlocuteurs en tant que « Fils d’Abra-
ham » – et qui conclut : « Vous êtes du diable, votre père » – et
non l’inverse ( Jn 8, 33, 37-44). La réponse attribuée aux pharisiens
appartient au même registre et il n’y a, sans a priori, pas de raison
d’y voir – comme par un effet « miroir » – un argument ad homi-
nem dirigé contre Jésus : « Ils lui dirent : “Nous ne sommes pas nés
de la prostitution… » et la seconde partie de la phrase explicite la
première : « … Nous n’avons qu’un seul Père : Dieu.” » ( Jn 8, 41).
Autrement dit : Nous sommes des Juifs fidèles. En somme, dans
ce verset, la « prostitution » désigne simplement l’« idolâtrie » ou
« l’hérésie » : ce n’est rien de plus qu’un lieu commun 180.
Les trois documents les plus anciens qui se rapportent à ce pré-
tendu adultère de Marie ne remontent pas plus haut qu’au dernier
quart du IIe siècle 181. Il s’agit du Discours de Celse donc, d’un passage

(voir notamment Origène, Contre Celse 2, 59, 70). On peut donc situer la
rédaction de ce traité (fourchette large) entre 100 et 170, et, plus vraisem-
blablement, autour des années 140-160. Le Juif de Celse prétend que Jésus a
été initié en Égypte et que son père était un homme du nom de Panthera. Je
soupçonne Celse d’en avoir lui-même déduit que ce dernier était soldat mais
il est possible que ce détail ait déjà été présent dans sa source. Pour le reste,
ces informations doivent remonter assez loin, à savoir la source du Juif de
Celse, selon le schéma : Source X (juive) Ʀ Juif de Celse Ʀ Celse Ʀ Origène.
178. T. Hullin 2, 22-23 (incipit cité en début d’article).
179. Par exemple, W. HORBURY, « The Strasbourg Text of the Toledot »,
in Toledot Yeshu (“The Life Story of Jesus”) Revisited, P. SCHÄFER (éd.),
Tübingen, 2011, p. 59 : « That the father was non-Jewish already appears in
another form in St John’s Gospel ».
180. Voir note 67.
181. L’Évangile de Nicodème ou Actes de Pilate 2, 3-4 (P. GEOLTRAIN –
J.-D. KAESTLI (éd.), Ecrits apocryphes chrétiens, II, Paris, 2005, p. 264-265) –
et également en 7, 1 [IX, 1] (début) dans la recension grecque ancienne A
(omis dans P. GEOLTRAIN – J.-D. KAESTLI (éd.), Ecrits apocryphes chrétiens, II,

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 191

de Tertullien 182 et d’un autre de l’Évangile de Thomas 183. Or, si cette


accusation de naissance illégitime est, en définitive, aussi tardive 184,
il n’y a dès lors plus aucune raison de mettre en doute l’authenti-
cité du nom Panthera qui est manifestement antérieur à celle-ci.
En effet, si ce nom ne doit originellement rien à la polémique, c’est
qu’il dépend naturellement d’une tradition plus sérieuse, extérieure
à la tradition chrétienne et parallèle à celle-ci.
Le nom même Panthera est d’origine grecque. Mais les Juifs, du
temps de Jésus et bien avant, portaient fréquemment des noms

Paris, 2005, p. 271) – y fait très clairement référence, mais la rédaction défi-
nitive de ce document ne remonte pas plus haut qu’au IVe siècle. Notons que
le nom Panthera n’est pas mentionné dans cette source, contrairement à ce
que M. LODS, « Étude sur les sources juives de la polémique de Celse contre
les chrétiens », Revue d’histoire et de philosophie religieuses 21 (1941), p. 7,
prétend (sans d’ailleurs proposer de références plus précises).
182. Tertullien, Des Spectacles 30, 6 : « Le voilà, leur dirai-je, ce fils du
charpentier ou de la prostituée (aut quaestuariae filius), ce destructeur du
sabbat, ce Samaritain, ce possédé du démon » – Traduction (retouchée) de
M. DE GENOUDE, Tertullien – Œuvres, t. II, 1852, p. 421. Tertullien paraît
ici mêler, dans un même ensemble – et en sus de l’accusation portant sur le
non-respect du sabbat – Mt 13, 55 (ou Mc 6, 3) et Jn 8, 41 et 48. Il pourrait
prêter ici aux Juifs de son temps des propos fondés sur sa propre exégèse des
textes plutôt que sur une réalité vécue. Il s’agirait en ce cas d’une prolepse
ou d’une quelconque forme d’anticipation. D. BOYARIN, Mourir pour Dieu.
L’invention du martyre aux origines du judaïsme et du christianisme, Paris,
2004, p. 157-158, n. 27, s’avance sans doute un peu trop en qualifiant ce
texte d’« excellente preuve indirecte de cette accusation juive formulée contre
le christianisme […] qu’il ait été fils de prostituée ». La même remarque vaut
pour D. JAFFÉ, « Une ancienne dénomination talmudique de Jésus : Ben Pan-
tera. Essai d’analyse philologique et historique », Theologische Zeitschrift 64
(2008), p. 267-268 et P. SCHÄFER, Jesus in the Talmud, Princeton/New Jer-
sey, 2007, p. 20 (haut), p. 111-112, p. 151 n. 31, qui lui accordent un crédit
exagéré.
183. Évangile de Thomas 105 : « Jésus a dit : “Celui qui connaît son père
et sa mère, on l’appellera fils d’une prostituée”. » – traduction dans F. BOVON
– P. GEOLTRAIN (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, I, Paris, 1997, p. 52. Ce
texte paraît toutefois dépendre de Jn 8, 39-41. Voir R.E. BROWN, The Birth
of the Messiah, New York-Londres, 19932, p. 534-535.
184. Contrairement à ce qu’affirme P. SCHÄFER, Jesus in the Talmud, Prin-
ceton/New Jersey, 2007, p. 21, puisqu’on ne la trouve pas dans les sources
juives les plus anciennes. Et, d’où qu’on y regarde, l’attestation la plus
ancienne – et la seule réellement incontestable pour le dernier tiers du IIe
siècle – est celle qui figure dans le Contre Celse. En définitive, la moisson
est donc très maigre et il convient donc de ne pas tirer de conclusions trop
hâtives.
192 T. MURCIA

grecs, voire latins 185. D’ailleurs, comme le précise l’inscription –


CIL XIII, 7514 – le légionnaire Tiberius Julius Abdes Pantera était
originaire de Sidon. Et, comme son nom l’atteste, il était bien d’ori-
gine syro-phénicienne : Abdes est la transcription latine de l’ara-
méen – ‫‘ – ۏھۀ‬abhed, ou de l’hébreu – ‫‘ – ۏھۀ‬ebhed (même sens), et
qui signifie « serviteur » ou « esclave ». Le fait que les apôtres
André et Philippe portent des noms grecs n’en fait pas des Hellènes
pour autant : tout deux sont Juifs, de Galilée. Barthélemy paraît être
un nom sémite ? Il ne l’est qu’à moitié puisqu’il signifie en fait : « le
fils de Ptolémée ». Quant à « Cleopas », dont la tradition fait le
frère de Joseph – et donc l’oncle de Jésus – il s’agit également d’un
nom typiquement grec 186. Sans même parler des grands prêtres eux-
mêmes 187, plusieurs rabbins et disciples des Sages portaient des
noms étrangers et nul n’aurait songé – même une seconde – à
mettre en doute leur parfaite judaïcité 188. Dans sa fameuse Histoire
des Juifs, Graetz précise que « comme beaucoup de gens avaient des
noms doubles, un nom hébreu et un nom grec, ce qui produisait
des confusions, Gamaliel émit une ordonnance prescrivant d’indi-
quer clairement, dans les lettres de divorce, les différents noms du
mari et de la femme » 189. Cette mesure, qualifiée d’« utile », aurait
selon ce critique été décidée (parmi d’autres) à la fin de la période
du second Temple, « en vue d’obvier à certains abus ou dans l’inté-

185. Agrippa, Alexandre, Antipas, Apollos, Aquilas, Aristobule (pour


rester sur la lettre A).
186. Voir Th. MURCIA, L’Énigme Marie-Madeleine. L’Enquête (à paraître),
chapitre XIV.
187. Sans toutefois préciser les sources, H. SCHONFIELD, According to
the Hebrews, Londres, 1937, p. 144-145, fait cette judicieuse observation :
« Alien surnames were by no means unusual in Jewish families of the period,
and even among the high priests we find a Simon Kantheras and his son
Elioneus the son of Kantheras; so that the latter was known as Bar Kan-
theras and not as Bar Simon as we might expect ». Simon fils de Boethos,
surnommé Kantheras, a été grand prêtre de 41 à 43 (Flavius Josèphe, Anti-
quités judaïques XIX, VI, 2 § 297-298 ; 4 § 313). Son fils Elioneus, appelé
Bar Kantheras, a été grand prêtre de 44 à 45 (Antiquités judaïques XIX, VIII,
1 § 342 ; XX, I, 3 § 16). Voir également L. ROTH, « Simeon Ben Boethus »,
Encyclopaedia Judaica 14 (1972), col. 1554.
188. Alexandre/Alexandroni, Dostaï ou Ben Dostaï (Dosithée), Ben
Dourmasqit (fils du « Damascène »), Ben Hyrkanos, Ben/Bar Loulianos ou
Louliani ( Julien), Naqdimon (Nicodème), Papa, Papias ou Papos (« Père »)
ou Ben Papa, Bar Papi, Tarphon (Tryphon) : liste, bien évidemment, non
exhaustive.
189. H. GRAETZ, Histoire des Juifs, Paris, II, 1884, p. 299.

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 193

rêt de la société » 190. D’autre part, les noms doubles et composés,


à valeur de surnom, étaient alors si répandus que l’on peut se
demander si en posséder un n’était pas la norme. Il suffit ici de se
reporter aux écrits bibliques de l’époque, par exemple : « Il [Matta-
thias] avait cinq fils : Jean surnommé Gaddi, Simon appelé Thassi,
Judas appelé Maccabée, Eléazar appelé Auârân, Jonathès appelé
Apphous » (1 M 2, 2-5). La signification de tous ces sobriquets
hébreux ou araméens (transmis par la Septante en lettres grecques)
n’est pas très claire. Cependant, nous sommes presque certains que
Maccabée signifie « le Marteau », en hébreu : maqqebhet – ۗ‫– ۋ۔ھ‬
(cf. Charles Martel). Notons que Marc (Marcus), surnom donné à
Jean, le disciple de Pierre (rédacteur présumé de l’Évangile de Marc),
a exactement la même signification en latin (Ac 12, 12). Ces noms
de substitution ou ces sobriquets pouvaient prendre appui – comme
de nos jours – sur une particularité physique, morale ou une appar-
tenance à un corps de métier ou à une confrérie 191 : « le Petit » 192,
« le Noir » 193, « le Roc » (Képhas, Pierre), « le Juste » 194, « le
Zélote » 195. Des noms composés pouvaient aussi bien faire office de
surnoms : Bar-Ionas (fils de la colombe 196, Mt 16, 17), Bar Abbas
(fils du père), Barnabé (fils de consolation ou du Prophète, Ac 4,
36), Barsabbas (fils du repos 197, Ac 15, 22), « Boanergès » (fils du
tonnerre, Mc 3, 17), etc.

Conclusion.
D’où qu’on y regarde, les traditions juive (Panthera) et chré-
tienne ( Joseph) ne sont pas nécessairement contradictoires. Le père
de Jésus peut très bien avoir porté le nom de Joseph Panthera. Pan-
thera n’était pas un nom fréquent mais celui de Clopas, le frère de

190. H. GRAETZ, Histoire des Juifs, Paris, II, 1884, p. 299.


191. Et, de même, à Rome : « À l’origine le cognomen [le surnom] reprend
une particularité physique ou caractérielle de l’individu qu’il désigne (Longus,
Barbatus, Pius…). Il peut aussi traduire une origine (Antias, Medullinus, Col-
latinus…) ou une activité (Agricola, Augurinus, Censorinus…) ». – P. CORBIER,
L’épigraphie latine, Paris, 19992 [1998].
192. Mc 15, 40.
193. Niger : Ac 13, 1.
194. Un surnom qui paraît avoir été assez fréquent. Voir notamment : Ac
1, 23 ; Col 4, 4.
195. Mt 10, 4 ; Mc 3, 18 ; Lc 6, 15 ; Ac 1, 13.
196. Ou « de Jean ».
197. Littéralement : « fils du Shabbat » = nom ou surnom donné à un
enfant né un jour de sabbat.
194 T. MURCIA

Joseph (d’après la tradition) ne l’était pas davantage 198. Tous deux


sont des noms grecs. On remarquera d’ailleurs que la forme Joseph
Pandera ou Joseph Ben Pandera se rencontre dans les Toledot Yeshu.
Elle permet d’y désigner soit le père putatif 199 de Jésus, soit son père
naturel 200, un Juif dans les deux cas 201. Il ne s’agit toutefois pas là
d’un témoignage antique : l’auteur s’est certainement contenté de
croiser les traditions. En revanche, l’importance du témoignage
croisé de Celse et des sources tannaïtiques ne doit pas être sous-esti-
mée. Mais les généalogies incorporant Panthera, proposées par plu-
sieurs auteurs chrétiens à la suite d’Épiphane, n’offrent, elles, aucune
garantie. Il ne s’agit manifestement que de constructions tardives
visant à désamorcer les calomnies adverses 202. L’incorporation a pu

198. Sur la très faible fréquence de ce nom du temps de Jésus, voir :


Th. MURCIA, L’Énigme Marie-Madeleine. L’Enquête (à paraître), chapitre
XIV : Clopas ou Cléopas ?
199. Tol. V 1.
200. Tol. A. 1 ; Tol. H. 1 ; Tol. M. 3 ; Tol. P. ; Tol. S. 1 ; Tol. Sl. ; Tol. W.
p. 2 (abréviations : note 67).
201. P. SCHÄFER, Jesus in the Talmud, Princeton/New Jersey, 2007, p. 19,
insiste trop sur le fait qu’en lui attribuant un père du nom de Panthera, Jésus
« becomes not only a bastard but even a non-Jew ». Le seul nom « Pan-
thera » n’implique aucun de ces deux aspects. D’une part, c’est uniquement
la confrontation avec la tradition chrétienne – les évangiles – qui fait dire
que si Jésus est né de Panthera c’est donc un enfant illégitime. Les sources
tannaïtiques ne disent rien de tel. D’autre part, le nom même Panthera n’im-
plique pas une origine étrangère. Si tel était le cas, pourquoi aucune source
juive, ni le Talmud, ni même les sulfureuses Toledot, ne songent à aucun
moment à remettre en question la parfaite judaïté de Panthera ? Aussi bien
en tant qu’époux de Marie qu’en tant qu’amant sans scrupules de celle-ci
(selon les versions) Panthera/Pandera reste toujours un Juif. Mais P. SCHÄ-
FER, Jesus in the Talmud, Princeton/New Jersey, 2007, p. 21, ajoute : « His
father was by no means a descendant of David but the otherwise unknown
Panthera/Pandera (just a Roman soldier, according to Celsus, in other words
a non-Jew and member of the hated Roman Empire that so visibly and hor-
ribly oppressed the Jews) ». En vérité, à aucun moment Celse ne précise que
Panthera est un « soldat romain » (Voir G.R.S. MEAD, Did Jesus Live 100
B. C.?, Londres/Bénarès, 1903, p. 288, n. 1, qui fait le même constat). Il
ne dit même pas qu’il s’agit d’un soldat étranger. Si cela se déduit toujours
si naturellement, et Peter Schäfer n’échappe pas à la règle, c’est à tort. La
dynastie des Hérode recrutait aussi bien des soldats étrangers que des Juifs.
Quant aux légionnaires des troupes auxiliaires stationnées en Palestine, ils
n’avaient bien souvent de romain que le nom.
202. Mais l’on peut également envisager un schéma moins « conflic-
tuel » : le simple poids, dans la sphère juive, de cette tradition (non polémique
au départ) a pu amener les Pères de l’Église à considérer qu’après tout – de
même que toutes les données traditionnelles venant des Juifs et ne présentant

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 195

paraître plus efficace que la simple dénégation : c’est plus particuliè-


rement le cas dans la Doctrina Jacobi qui vise à convaincre des Juifs
convertis sous la contrainte. Et les auteurs qui ont suivi (modèle
B) dépendent tous, directement ou indirectement, de la Doctrina.
Quoi qu’il en soit, ce personnage de Panthera n’est sûrement pas
une pure invention. L’explication proposée aussi bien par Marcus
Jastrow 203, Hugh Schonfield 204, Jacob Zallel Lauterbach 205 que par
Morris Goldstein 206, me paraît à la fois la plus naturelle et la plus
vraisemblable : Panthera devait être le nom d’une personne, voire un
« nom de famille ». Et tout semble indiquer, en l’occurrence, que ce
devait également être le nom – ou éventuellement le surnom 207 –
du père de Jésus 208. En d’autres termes : Joseph et Panthera ne font
qu’un et l’exploitation des sources tannaïtiques à des fins historiques
est donc bien susceptible de donner parfois quelque résultat 209.

pas une réelle menace pour le christianisme – elle avait peut-être, elle aussi,
quelque fondement. Dans tous les cas, l’inscription in fine de Panthera au
nombre des aïeux de Jésus atteste de la vigueur de cette tradition.
203. M. JASTROW, A Dictionary of the Targumim, the Talmud Babli and
Yerushalmi, and the Midrashic Literature, Londres-New York, II, 1903,
p. 1186, col. 2.
204. H. SCHONFIELD, According to the Hebrews, Londres, 1937, p. 148-
149.
205. J.Z. LAUTERBACH, « Jesus in the Talmud », dans Rabbinic Essays,
Cincinnati/Ohio, 1951, p. 533, 536.
206. M. GOLDSTEIN, Jesus in the Jewish Tradition, New York, 1950,
p. 37-39 : « Yeshu ben Panthera was given simply as a family name of Jesus
in ist earliest mention in the Talmud » (p. 39).
207. H.L. STRACK, Jesus, die Häretiker und die Christen nach den ältesten
jüdischen Angaben, Leipzig, 1910, p. 21*, n. 3. Cette idée n’est pas récente.
Elle a même, en son temps, traversé l’esprit de l’abbé du Clot de la Vorze,
pourtant fougueux défenseur de la foi chrétienne et des Saintes Écritures.
Dans sa longue Note II « Sur les Évangiles », il écrit entre parenthèses : « Il
ne serait pas impossible que Panthera fût un surnom de Joseph » – J-Fr. DU
CLOT, La Sainte Bible vengée des attaques de l’incrédulité, et justifiée, Paris, III,
Paris, 18372, p. 270 (bas).
208. Voire de son grand-père. J.Z. LAUTERBACH, « Jesus in the Talmud »,
dans Rabbinic Essays, Cincinnati/Ohio, 1951, p. 537, rappelle que l’on appe-
lait parfois les garçons en fonction du nom de leur aïeul, ainsi qu’on peut le
lire en B. Yebamot 62b : « Les fils des fils sont comme des fils ». Il n’est pas
sans intérêt de noter que l’on trouve chez Justin une remarque très voisine
(Dialogue avec Tryphon 100, 3). Schonfield, de son côté, rappelle le cas encore
plus éloquent de Simon Kantheras et de son fils Elioneus Bar Kantheras, ainsi
nommé non d’après son père, mais d’après son grand-père (voir note 187).
209. J. HOFFMANN, Jesus outside the Gospels, New York, 1984, p. 42 :
« We cannot rule out the possibility that there is a kernel of historical truth
to the tradition that Jesus’ real father was known as Pandira. »
196 T. MURCIA

Appendice. « Yeshu » : un acronyme insultant 210 ?


Nous l’avons vu, le nom de Jésus ne figure pas dans la Mishna :
c’est dans la Tosefta qu’il fait sa première apparition. Nonobstant, il
est présent une dizaine de fois dans les deux Talmuds sous la forme
Yeshu – ‫– ۆۖۂ‬, Yeshu ha-Notsri – ‫– ۆۖۂ ہۍۂۓەۆ‬, ou Yeshu ben Pan-
thera (ou Pandera) – ‫– ۆۖۂ ھی ۑۍۅەڽ‬. Nous avons également noté
que la forme longue Yeshua – ‫ – ۆۖۂۏ‬ne figure, elle, que dans la
Tosefta (selon les manuscrits 211), en T. Hullin 2, 22 et T. Hullin 2,
24, deux des témoins textuels les plus anciens : Yeshua ben Panthera
– ‫ – ۆۖۂۏ ھی ۑۍۅەڽ‬ou Yeshua ben Panthiri – ‫– ۆۖۂۏ ھی ۑۍۅۆەۆ‬. Tandis
que la forme Yeshu ben Pandera ne se rencontre que dans Yerushalmi
ou dans le Midrash, c’est-à-dire dans les documents rédigés en
hébreu ou, du moins, issus du rabbinisme palestinien 212, les deux
formes Yeshu 213 et Yeshu ha-Notsri 214 ne figurent, elles, que dans le
Babli. Les critiques se sont donc efforcés de comprendre pourquoi,
lorsqu’il est nommé, Jésus est toujours – dans le Talmud de Baby-
lone – appelé Yeshu – ‫ – ۆۖۂ‬et jamais Yeshua – ‫ – ۆۖۂۏ‬215. On a très

210. J’ai déjà traité de cette question, de façon plus succincte, dans
Th. MURCIA, « Jésus adorateur d’une brique ? B. Sanhédrin 107b : L’épisode
talmudique du séjour de Yeshu en Égypte », Revue des études juives 170
(2011), p. 378-379.
211. Dans le manuscrit de Vienne (et dans l’édition de Zuckermandel,
Trèves, 1882, p. 503, qui dépend ici de ce manuscrit).
212. Qohélet Rabba 1, 8 ; J. Shabbat XIV, 4 (14d-15a) ; J. Avoda Zara II,
2 (40d).
213. B. Sanhédrin 43a ; B. Sanhédrin 107b ; B. Gittin 56b-57a.
214. B. Sanhédrin 43a ; B. Sanhédrin 103a ; B. Sanhédrin 107b / B. Sota
47a ; B. Avoda Zara 16b-17a ; B. Gittin 56b-57a.
215. Cette affirmation n’est toutefois pas totalement exacte et doit être
relativisée. Dan Jaffé, en effet, a fait l’observation suivante : « Dans le manus-
crit dit du Yémen de TB Sanhédrin 43a, nous trouvons à deux reprises la
mention : – ‫ – ۆۖۂۏ‬Yéshua à la place de – ‫ –ۆۖۂ‬Yéshu ». Ce critique en
conclut que – ‫ – ۆۖۂۏ‬Yéshua devait être la forme originellement utilisée par
l’éditeur du Babli. – D. JAFFÉ, Le judaïsme et l’avènement du christianisme.
Orthodoxie et hétérodoxie dans la littérature talmudique Ie-IIe siècle, Paris, 2005,
p. 127, note 36. Le manuscrit yéménite Herzog 1, dont il s’agit, date seule-
ment de la seconde moitié du XVIe siècle mais présente un bon texte. J’ajoute
que dans le manuscrit Adler des Toledot Yeshu, également yéménite, le nom
de « Jésus » (qui n’est pourtant pas en odeur de sainteté) est toujours écrit
– ‫ – ۆۖۂۏ‬Yeshua, signe que la forme courte – ‫ – ۆۖۂ‬et son interprétation
acronymique n’étaient pas universellement répandues. – Texte hébreu :
S. KRAUSS, Das Leben Jesu nach jüdischen Quellen, Berlin, 1902, p. 118-121.
Notons enfin que, de son côté, le manuscrit araméen de la Geniza du Caire
(Tol. C.) a la forme singulière – ‫( – ۆۆۖۂ‬voir l’arabe – ‫ )– ۏۆێۆ‬tandis que la

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 197

tôt prétendu qu’il s’agissait d’une mutilation intentionnelle de son


nom et/ou d’un acronyme insultant. D’après certaines Toledot
Yeshu, Yeshu – ‫– ۆۖۂ‬, serait l’acronyme de – ‫ – ۆۋۄ ۖۋۂ ۂۃۆۈەۂ‬Yim-
mah Shemo Ve-Zikhro (ou Zikhrono), c’est-à-dire de « que soient
effacés son nom et son souvenir » 216. Plusieurs critiques se sont éle-
vés contre cette interprétation 217. Schonfield fait remarquer que
« Yeshu » correspond à la prononciation du nom Yeshua au nord
de la Palestine 218 et Krauss considère que Yeshu est tout simplement
la forme abrégée normale de Yeshua/Yehoshua 219. D’autres, comme
Lauterbach, arguant que le nom « Yeshu » n’est connu et utilisé
dans la littérature talmudique que pour désigner Jésus, estiment au
contraire que la mutilation est certainement volontaire 220. Mais
quelques critiques ont également suggéré, pour expliquer cette sin-

version Huldreich, beaucoup plus tardive, porte tantôt – ‫ – ۆۖۂۏ‬Yeshua, tan-


tôt – ۖ‫ – ۆۃۜۂ‬Yezus.
216. Tol. V. 4, 7 ; Tol. W. p. 8 ; [Tol. H. 5, 7] (traduction seule : OSIER,
1984, p. 38, 42, 89, [108-109]) ; Tol. L. ; Tol. Sl. (fin) ; Tol. P. (S. KRAUSS,
Das Leben Jesu nach jüdischen Quellen, Berlin, 1902, p. 129-130, 139-140) ;
Tol. M. 7 (S. KRAUSS, « Une nouvelle recension hébraïque du TOLDOT
YÊŠÛ », Revue des études juives 103 (1938), p. 77). Voir sur cette question
la note de Dalman, dans H. LAIBLE, Jesus Christ in the Talmud, Cambridge,
1893, p. 7, n. 1.
217. S. KRAUSS, Das Leben Jesu nach jüdischen Quellen, Berlin, 1902,
p. 250-253 ; G.R.S. MEAD, Did Jesus Live 100 B. C.?, Londres/Bénarès, 1903,
p. 136 ; H.L. STRACK, Jesus, die Häretiker und die Christen nach den ältesten
jüdischen Angaben, Leipzig, 1910, p. 18*, n. 2 (fin) ; H. SCHONFIELD, Accord-
ing to the Hebrews, Londres, 1937, p. 221. M. GOLDSTEIN, Jesus in the Jewish
Tradition, New York, 1950, p. 24 : « It is a shortened form for the older
spelling, Yehoshua, as Yose, for example, is a later abbreviation of Yosef ».
218. H. SCHONFIELD, According to the Hebrews, Londres, 1937, p. 221 :
« Jesu is actually the north-Palestinian contraction of the Hebrew Jeshua,
where the letter ayin was not sounded ». Voir D. FLUSSER, Les sources juives
du christianisme. Une Introduction, Paris/Tel-Aviv, 2003, p. 29 : « Le nom
même de Jésus, Yeshu, atteste de l’accent galiléen de cette époque. Ce nom
n’est pas un sobriquet. Jésus était de Galilée et le « a » final du nom hébreu
Yeshua n’y était pas prononcé. »
219. S. KRAUSS, « Le nom de Jésus chez les Juifs », Revue des études
juives 55 (1907), p. 148-151. Voir également M. GOLDSTEIN, Jesus in the
Jewish Tradition, New York, 1950, p. 24.
220. J.Z. LAUTERBACH, « Jesus in the Talmud », dans Rabbinic Essays,
Cincinnati/Ohio, 1951, p. 482. Voir I. B. PRANAITIS, The Talmud unmasked:
The Secret Rabbinical Teachings concerning Christians, New York, 1939,
p. 28 (= Christianus in Talmude Iudaeorum sive Rabbinicae doctrinae de
Christianis secreta, Saint-Pétersbourg, 1892).
198 T. MURCIA

gularité, de voir en Yeshu la translittération hébraïque de la forme


grecque du nom de Jésus : ЮϢϮϪӍϭ 221. Qu’en est-il réellement ?
Nul n’ignore que ЮϢϮϪӍϭ ( Jésus) est la transcription grecque du
nom hébreu – ‫ – ۆۖۂۏ‬Yeshua qui est lui-même la forme tardive de
l’hébreu – ‫ – ۆہۂۖۏ‬Yehoshua. La forme longue archaïque Yehoshua
– ‫ – ۆہۂۖۏ‬se rencontre, par exemple, en Exode 17, 10 et en Nombres
26, 65 et plus de cent-cinquante fois dans le livre de Josué. La forme
courte tardive – ‫ – ۆۖۂۏ‬Yeshua figure, elle, une dizaine de fois dans
le livre d’Esdras 222 et une quinzaine de fois dans celui de Néhé-
mie 223. Dans les deux cas (Yehoshua, Yeshua) les Septante l’ont rendu
par ЮϢϮϪӍϭ. Afin d’éviter toute confusion – et par tradition – les
traducteurs de la Bible rendent à leur tour le plus souvent ЮϢϮϪӍϭ
par « Josué » 224, lorsqu’il s’agit d’une figure de l’Ancien Testa-
ment 225, et par « Jésus » 226 lorsqu’il s’agit du Nazaréen 227. Il convient
de noter qu’à l’époque d’Esdras déjà, – ‫ – ۆۖۂۏ‬Yeshua s’écrivait de la
même façon en araméen (Esd 5, 2) qu’en hébreu 228. Mais qu’en est-il
de la forme prétendument « mutilée » 229 Yeshu – ‫ – ۆۖۂ‬que l’on
trouve dans le Babli ? Concernant la transcription syriaque du nom
– ‫ – ۆۖۂۏ‬Fr. Bernard-Marie a fait l’observation suivante :
« Quant aux versions syriaques, soit elles copient le grec en tran-
scrivant tout simplement Yèsous (Codex Climaci, Lectionnaire Pal-
estinien de Lewis-Gibson), soit plus généralement elles s’en tiennent

221. G.R.S. ψEAD, Did Jesus Live 100 B. C.?, Londres/Bénarès, 1903,
p. 136 ; E. WEILL-RAYNAL, « Yeshou dans le Talmud », Cahiers du Cercle
Ernest Renan 17 [66], 1970, p. 1-2.
222. Esd 2, 2, 6, 36, 40 ; 3, 2, etc.
223. Ne 7, 7, 11, 39, 43 ; 8, 7, 17, etc.
224. En anglais : Joshua ; en latin : Iosue.
225. À l’exception notable de Jésus ben Sirach (le Siracide) : Prol. Si 2 ;
Si 50, 27 ; 51 30.
226. En anglais : Jesus ; en latin : Iesus.
227. En Ac 7, 45 et He 4, 8 certains traducteurs rendent ЮϢϮϪӍϭ par Josué,
d’autres par Jésus (Iesus, dans la Vulgate).
228. Esd 2, 2, 6, 36, 40 ; 3, 2, 8, 9 ; 4, 3 ; 8, 38 ; 10, 18.
229. En Nombres 13, 16 le nom d’« Osée » – ‫ –ہۂۖۏ‬est transformé en
« Josué » – ‫ –ۆہۂۖۏ‬par l’adjonction d’un Yod initial. Dans la tradition rabbi-
nique l’allongement du nom – « Abram » devient « Abraham », « Osée »
devient « Josué », etc. – est considéré comme une marque d’honneur (voir
T. Berakhot 1, 12-14). En théorie, la suppression d’une lettre pourrait donc
avoir la signification inverse. On remarque toutefois que l’exégèse rabbinique
ne s’est jamais intéressée au passage progressif, dans la Bible, de la forme
longue Yehôshua à la forme courte Yeshua – qui passe également par la perte
d’une lettre – ce qui montre bien les limites philologiques de ce genre
d’« explications ».

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 199

à la forme sémitique évoluée Yèshou’ (Tatien, Peshitta, Sinaïtique,


Curetonienne, Harkléenne). Quand elles proposent une vocalisa-
tion, le “a” final n’est jamais noté, ce qui milite en faveur d’une pro-
nonciation à la grecque de longue date » 230.
De fait, dans la Peshitta, le ‫ ۏ‬final de – ‫ – ۆۖۂۏ‬n’est pas ponctué,
ce qui signifie qu’il ne se prononce pas 231. Que l’on prononce donc
– ‫– ۆۖۂۏ‬, Yeshu‘ [Yeshou], à la façon des chrétiens jacobites (syriaque
occidental), ou Isho‘, à la façon des chrétiens nestoriens (syriaque
oriental) 232, force est de constater que, dans les deux cas, le ‫ ۏ‬final
(ici : ‘) – quoiqu’il soit toujours écrit – n’est jamais vocalisé. Le
même phénomène s’observe chez les marcionites de langue syriaque,
les manichéens et les mandéens. Au IVe siècle, et sans doute avant,
les marcionites orientaux translittéraient ЮϢϮϪӍϭ par – ‫ – ۆێۂ‬233 et
disaient donc Yesu, Isu 234 voire Isô. Les manichéens, eux, disaient
« Jésus » à la façon des nestoriens : Yishô‘ 235 ou Isho‘ 236. Quant aux
mandéens, dont la langue « est étroitement apparentée à celle du
Talmud babylonien » 237, ils prononçaient (et prononcent toujours)

230. Fr. BERNARD-MARIE, La langue de Jésus. L’araméen dans le Nouveau


Testament, Paris, 19992, p. 36.
231. Trop anciens, le palimpseste du Sinaï (Codex Sinaïticus = Syrsin)
et le manuscrit de Cureton (Codex Curetonianus = Syrcur) ne peuvent pas
ici servir de témoins : à l’époque de leur rédaction (antérieure au Ve siècle),
les voyelles n’étaient pas encore notées. Voir F.C. BURKITT, Evangelion da-
mepharreshe: The Curetonian Version of the Four Gospels, with the readings
of the Sinai Palimpsest, and the early Syriac Patristic evidence, I-II, Londres,
1904. De la même façon, dans le manuscrit syriaque (également en estran-
gelo) de l’Apologie d’Aristide qui date du VIe ou du VIIe siècle, le nom de Jésus
– ‫ –ۆۖۂۏ‬apparaît deux fois (Apologie 2, 4 et 17, 3) mais il n’est pas vocalisé :
B. POUDERON – M.-J. PIERRE, Aristide, Apologie, Paris, 2003, p. 188 et p. 250
(SC 470).
232. F.C. BURKITT, Evangelion da-mepharreshe: The Curetonian Version of
the Four Gospels, with the readings of the Sinai Palimpsest, and the early Syriac
Patristic evidence, II, Londres, 1904, p. 97 ; E. W. BROOKS, « Names (Syriac) »,
Encyclopaedia of Religion and Ethics IX (19302), p. 175-177.
233. F.C. BURKITT, The Syriac Forms of New Testament Proper Names,
Londres, 1912, p. 6.
234. F.C. BURKITT, « Introductory Essay », dans C.W. MITCHELL ,
S. Ephraim’s Prose Refutations of Mani, Marcion and Bardaisan. Transcribed
from the Palimpsest B.M. Add. 14623, Londres, 1921, II, p. 118.
235. H.-C. PUECH, « Le Manichéisme », dans Histoire générale des reli-
gions 3 (1948), p. 92.
236. H.-C. PUECH., « Le Manichéisme », dans H.-Ch. PUECH (éd.), His-
toire des religions, II, 1, Paris, 1972, p. 575, p. 579.
237. J. SCHMITT, « Mandéisme », dans Dictionnaire de la Bible. Supplé-
ment V (1957), col. 767. Voir également M.-J. LAGRANGE, « La gnose man-
200 T. MURCIA

à la façon des chrétiens jacobites : Yeshu 238 ou Yshu‘ 239. D’où qu’on y
regarde, la forme – ‫ – ۆۖۂ‬que l’on rencontre dans le Babli n’a donc
rien d’insolite. Elle correspond tout simplement au nom de « Jésus »
tel qu’il était prononcé par les chrétiens d’Orient : Yeshu [Yeshou],
voire même Ishô 240. À ces diverses considérations, il convient ici
d’ajouter un témoignage de poids : celui d’Irénée qui écrit vers 180
de notre ère. L’évêque de Lyon précise en effet :
« Quant au nom de “Jésus”, suivant la langue hébraïque à laquelle il
appartient, il se compose de deux lettres et d’une demi-lettre, comme
disent les savants juifs, et il signifie : “le Seigneur qui possède le ciel
et la terre” : car, dans l’hébreu primitif, “Seigneur” se dit Iah, et “ciel
et terre”, shamaim wa’arets » 241.
Si nous laissons de côté l’aspect purement herméneutique de
cette affirmation, nous pouvons remarquer deux choses. D’une part,
Irénée semble avoir été parfaitement renseigné : ses observations sur
« l’hébreu primitif » s’avèrent, en effet, parfaitement exactes 242.
D’autre part – et surtout – Irénée, qui commente l’orthographe
hébraïque du nom de Jésus, ne mentionne ici que trois lettres

déenne et la tradition évangélique », Revue biblique 36 (1927), p. 322 : « La


langue est l’araméen qui ressemble le plus à celui du Talmud de Babylone ».
Voir P.T. CAMELOT, « Mandéens », dans Catholicisme 8 (1979), col. 297
(bas) : « Araméen oriental, apparenté à la langue du Talmud de Babylone ».
238. F. BARDEAU, Livre d’Adam (Ginzâ Rabba), Paris, 1980, dans sa tra-
duction française du Ginzâ, s’est le plus souvent contenté de rendre le nom
mandéen de Jésus par « Jésus » (p. 115-116, 138-139, 227), mais on trouve
également les translittérations Jeschu (p. 34, 52) et Iesehu (p. 49). De son
côté, M. LIDZBARSKI, Ginzâ, der Schatz oder das große Buch der Mandäer,
Göttingen, 1925, p. 29, p. 47, p. 51-52, p. 186-187, p. 225, p. 228, p. 410,
dans sa traduction allemande, a systématiquement traduit par Jesus.
239. H.-Ch. PUECH., « Le Mandéisme », dans Histoire générale des reli-
gions 3 (1948), p. 73 ; J. SCHMITT, « Mandéisme », Dictionnaire de la Bible.
Supplément V (1957), col. 773, 777. G. BARDY, « Mandéens », Dictionnaire
de théologie catholique IX/2 (1927), col. 1820, de son côté, écrit : « Jischu »
(à prononcer à l’allemande : « Yishou »).
240. La vocalisation Yeshu est conventionnelle. La Gemara du Babli
n’étant pas vocalisée, nous ignorons en fait, de façon précise, comment les
rabbins de Babylone prononçaient ce nom. Il n’est pas absolument exclu
qu’on ait dit – comme les chrétiens nestoriens et jacobites – Ishô à Babylone
et Yeshu en Israël.
241. Irénée de Lyon, Contre les hérésies II, XXIV, 2, traduction A. ROUS-
SEAU, Paris, 1991, p. 222.
242. Irénée (de même qu’Origène) pourrait avoir eu, dans son entourage,
un ou plusieurs chrétiens d’origine juive et maîtrisant l’hébreu. Voir égale-
ment en ce sens : Contre les hérésies I, XV, 6 ; IV, XXVII, 1 ; XXXII, 1 ; V, V, 1.

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 201

hébraïques : Yod, Shin et Waw 243, ce qui donne très exactement – ‫ۆۖۂ‬
– Yeshu, sans le ayin final 244.
De ces diverses observations, il ressort que la forme singulière du
nom de Jésus, Yeshu, sans le ayin final – ‫ – ۆۖۂ‬ne doit strictement
rien à la malveillance des scribes, contrairement à ce qu’ont soutenu
plusieurs critiques. Si, par la suite, une certaine polémique juive
antichrétienne n’a pas manqué de tirer avantage de l’absence de
cette lettre pour en faire une arme, elle n’en est pas à l’origine 245.
C’est tout simplement ainsi – Yeshu ou Isho – que les chrétiens
d’Orient appelaient leur Seigneur et Maître et on comprend donc
pourquoi c’est également de cette façon précise que, dans le Babli 246,
Jésus est nommé, à l’exclusion de tout autre personnage. Son utilisa-
tion par les scribes atteste donc seulement, de façon indirecte, de
l’existence d’échanges entre Juifs et chrétiens à Babylone à l’époque
de la rédaction de ces textes (fourchette large : Ve-VIIIe siècle de
notre ère).

243. Yod, initiale de Yah (YHWH – Adonaï – « Seigneur »), Shin pour
Shamaïm (« Cieux »), Waw pour We-hâ-‘ârets (« Et la terre ») : YShW – ‫– ۆۖۂ‬.
244. D. LEVENE, A Corpus of Magic Bowls: Incantations Texts in Jewish
Aramaic from Late Antiquity, Londres, 2003, p. 124 et 127, a publié une ins-
cription sur coupe (voir P. SCHÄFER, Jesus in the Talmud, Princeton/New Jer-
sey, 2007, p. 38) écrite en judéo-araméen de Babylone (la langue du Babli) et
dans laquelle Jésus est mentionné. Il s’agit d’une incantation magique dont
voici une traduction partielle : « Par le nom de Je Suis qui Je Suis – ‫ڽہۆہ ڽۖە‬
‫ – ڽہۆہ‬YHWH « Sabaoth » – ۗ‫ – ۆہۂہ ۓھڽۂ‬et par le nom de ’Yeshu – ‫ڽۆۖۂ‬
– qui a conquis la hauteur et la profondeur par sa croix – ‫ – ۃ۔ۆۑۆہ‬et par le
nom de son Père élevé et par le nom des esprits saints, à jamais et pour l’éter-
nité » (Magic Bowl 163.29, ma traduction). Le texte original m’a été trans-
mis par Daniel Stökl-Ben Ezra que je remercie une nouvelle fois. Ce docu-
ment est intéressant à plus d’un titre. Il s’agit clairement d’une incantation
réalisée par un « magicien » Juif (mais pas nécessairement pour un Juif ).
Jésus n’est pas discrédité (au contraire) et il est appelé ’Yeshu, sans ayin final
mais avec un aleph initial. On notera, en outre, l’utilisation du substantif
zeqifa pour désigner la Croix (voir Th. MURCIA, « Jésus adorateur d’une
brique ? B. Sanhédrin 107b : L’épisode talmudique du séjour de Yeshu en
Égypte », Revue des études juives 170 (2011), p. 369-398 – plus spécialement :
p. 393-398).
245. Voir, en ce sens, M. GOLDSTEIN, Jesus in the Jewish Tradition, New
York, 1950, p. 270, n. 22 : « This manipulation of words may have suggested
itself in later times when Christians persecuted the Jews ».
246. Les Toledot Yeshu hésitent, en revanche, entre les formes Yeshu
(Tol. V. ; Tol. S. ; Tol. W. ; Tol. L. ; Tol. Sl. ; Tol. P. ; Tol. C. ; Tol. M.),
Yeshua (Tol. H. ; Tol. A.), voire Yezus (Tol. H.). Le Sitz im Leben peut suf-
fire à expliquer ces variantes.
202 T. MURCIA

Généalogie 1: généalogies matthéenne et lucanienne

Luc247 Matthieu248
David
O P
Nathan249 Salomon

Melchi
L 
Lévi
L
Matthat Matthan
L L
Héli Jacob
P O
Joseph250

247. Lc 3, 23-24 et 31.


248. Mt 1, 6 et 15-16.
249. « Natham » (en Lc 3, 31) dans les meilleurs manuscrits (Sinaïticus
et Vaticanus).
250. Les deux généalogies de Joseph conservées dans les évangiles sont
incompatibles : Selon Matthieu, Joseph est fils de Jacob et descend de David
par Salomon. Selon Luc, il est fils de Héli et descend de David par Nathan.

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 203

Généalogie 2 : généalogie africanienne251

David

Nathan Salomon

Secondes 1SFNJÍSFT
/PDFT /PDFT

Melchi Estha † Matthan

1SFNJÍSFT 4FDPOEFT
/PDFT /PDFT
-ÊWJSBU

Héli † N2 Jacob

1ÍSF
1ÍSF OBUVSFM
MÊHBM

Joseph

251 Noms en italique (ex. Nathan) = branche lucanienne (Lc 3, 23-24


et 31). Noms soulignés (ex. Salomon) = branche matthéenne (Mt 1, 6 et
15-16). La contradiction entre les deux généalogies (Matthieu / Luc) a rapi-
dement été levée par les Pères : dès l’époque de Julius Africanus (ca 220-230
de notre ère) – voir Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique I, VII, 1-17 ;
Questions évangéliques à Stephanos IV, 2 – la généalogie matthéenne a été
retenue comme étant celle de Joseph, via son père naturel ( Jacob). Celle pro-
posée par Luc a été comprise comme étant celle de Joseph, via son père légal
(Héli), en vertu de la loi du lévirat qui veut que le frère d’un homme mort
sans enfant épouse la veuve de celui-ci pour lui donner une descendance
(Dt 25, 5-10). On note chez Africanus l’absence de Lévi et de Matthat. Cette
généalogie africanienne a été intégrée à la généalogie jacobienne (voir infra).
204 T. MURCIA

Généalogie 3 : généalogie épiphanienne (modèle A)252

Épiphane
Jacob (surnommé Panther)253
O P
Joseph Clopas

 .PEÍMF " 1BOUIFS TVSOPN EF +BDPC


 FTU MF QÍSF EF +PTFQI BÐFVM
EF +ÊTVT DÔUÊ QBUFSOFM .PEÍMF MF QMVT BODJFO DB 
 JOUÊHSBOU j1BO
UIFSBv NBJT EFNFVSÊ QSBUJRVFNFOU PSQIFMJO Æ NB DPOOBJTTBODF  ­QJQIBOF
1BOBSJPO     
 FO FTU MVOJRVF UÊNPJO UFYUVFM TJ MPO FYDFQUF "OBTUBTJPT
MF 4JOBÐUF 7**F TJÍDMF
 RVJ  EBOT TFT *OUFSSPHBUJPOFT FU 3FTQPOTJPOFT 1(  
DPM # <>  2VŽTUJP 153
 DJUF FYQSFTTÊNFOU ­QJQIBOF
253. La généalogie matthéenne est respectée mais amendée : Panther
devient un surnom de Jacob (présenté comme étant le père de Joseph en
Mt 1, 16). C’est l’aïeul de Jésus. Clopas ( Jn 19, 25) est présenté comme étant
le frère de Joseph.

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 205

Généalogie 4 : généalogie jacobienne (modèle B)254

David

Nathan [1] Salomon [2]

Lévi [3]

Panther Melchi N1 [5] †Matthan

Barpanther [4]

Joachim Anne Héli † N2 [6] Jacob

Marie Joseph

254. Modèle B : Panther est un ascendant de Marie : bisaïeul ou trisaïeul


de Jésus côté maternel. Témoins : Doctrina Jacobi (ca 640), André de Crète
(mort ca 720/740), Jean Damascène (mort ca 749), Épiphane le Moine
(ca 800), Andronicus (ca 1310).
206 T. MURCIA

Commentaire du modèle B

[1] Noms en italique (ex. Nathan) = branche lucanienne (Lc 3,


23-24 et 31).
[2] Noms soulignés (ex. Salomon) = branche matthéenne (Mt 1,
6 et 15-16).
[3] Ici, la généalogie lucanienne est bouleversée. Chez Luc – y
compris dans la Peshitta – Lévi est le fils de Melchi et le père de
Matthat. Matthat (absent du modèle B) est père de Melchi. Cette
séquence fautive « Héli fils de Melchi », que l’on retrouve (de
même que l’absence de Matthat) chez tous les témoins du Modèle
B, remonte à Julius Africanus (ca 220-230 de notre ère) – via
Eusèbe255 – la source dont le rédacteur de la Doctrina Jacobi s’est
servi pour composer sa généalogie.
[4] Barpanther : Seule addition de Jean Damascène, et d’Épiphane
le Moine à sa suite – mais non d’Andronicus – par rapport à la Doc-
trina Jacobi. Chez André de Crète : Karpanther.
[5] N1: nommée Estha chez Africanus256. Veuve de Matthan
remariée avec Melchi.
[6] N2 : Jacob et Héli sont frères utérins (tous deux fils de N1).
Héli épouse N2 mais meurt sans enfant. En vertu de la loi du lévirat
(Dt 25, 5-10), Jacob épouse N2 pour assurer une descendance à son
frère décédé. De leur union naît Joseph : Jacob est son père naturel
(Matthieu), Héli son père légal (Luc). N1 et N2 (déjà présentes
chez Julius Africanus) sont les « chevilles » qui permettent à la fois
de concilier les généalogies matthéenne et lucanienne et de faire la
jonction entre les deux branches.

255. Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique I, VII, 5-10, 16 ; Questions


évangéliques à Stephanos IV, 2. Voir ci-dessus la généalogie africanienne.
256. Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique I, VII, 8. Voir ci-dessus la
généalogie africanienne.

© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.
YESHUA BEN PANTHERA 207

Doctrina Jacobi I, 42 : une réponse à l’utilisation de M. Yebamot


IV, 13 comme arme polémique – tableau récapitulatif

Document M. Yebamot IV, 13 Doctrina Jacobi I, 42


Rédaction ca 200 de notre ère ca 640 de notre ère
Rédacteur réel Le Juif Jacob (nou-
R. Yehuda ha-Nasi
ou supposé vellement converti)
Juifs nouvellement
Public visé Juifs
convertis
Thème généalogie généalogie
257
Protagoniste Docteur de la Loi Docteur de la Loi
Lieu de référence Tibériade Tibériade
Sujet « Untel » (peloni) Jésus
naissance
Chef d’accusation naissance illégitime
illégitime
[ϧϗϧϡϤϬϪϭ –
Terme employé – ‫ – ۋۋۃە‬mamzer
mamziros]258
Écrit (rouleau Parole (tradition
Canal
manuscrit) orale)
Document de – ‫ – ۋڿۉہ‬megilla = ϧϠϞϜϦϠҾϪϨ259 =
référence rouleau Évangile

Quid de « Ben Panthera » ?

Panthera père de Jésus aïeul de Jésus

257. Shimon Ben Azzaï.


258. Pas directement dans ce passage. Quatre occurrences dans la Doc-
trina Jacobi : I, 40 ; III, 3, 4 et 11 (V. DÉROCHE, « Doctrina Jacobi nuper
Baptizati », dans Travaux et Mémoires 11 (1991), p. 223 – Index).
259. Quatre occurrences en Doctrina Jacobi : I, 41-42, sur les six que
compte la Doctrina (140 pages de texte).
© BREPOLS PUBLISHERS
THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY.
IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER.

Anda mungkin juga menyukai