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Le Figaro - samedi 3 novembre 2018

SOCIÉTÉ

Stéphane Joulain : « Croire que le mariage


des prêtres réglerait la question de la
pédophilie est une aberration scientifique »
JEAN-MARIE GUÉNOIS

Le père Stéphane Joulain est l’un des spécialistes internationaux de la lutte contre les abus
sexuels commis par le clergé.

Missionnaires d’Afrique

STÉPHANE JOULAIN, psychothérapeute et prêtre membre de la Société des missionnaires


d’Afrique (Pères Blancs), est l’un des spécialistes internationaux de la lutte contre les abus sexuels
commis par le clergé. Au printemps dernier, il a publié Combattre l’abus sexuel des enfants : qui
abuse ? Pourquoi ? Comment soigner ? (Desclée De Brouwer).

LE FIGARO. - Les évêques français accueillent ce samedi après-midi à Lourdes des victimes de
prêtres pédophiles. Un tel acte public est-il une bonne méthode pour aider les victimes ?

Stéphane JOULAIN. - Cette rencontre est une attente forte des victimes, depuis de nombreuses
années. Accepter de cheminer avec elles est sain pour tout le monde. Cela peut réparer certaines
des blessures profondes. Cet acte est également une reconnaissance de leur histoire dramatique
et de la souffrance subie. Cette rencontre doit aussi se vivre avec l’ensemble de la « famille » où
ces victimes ont été blessées. En ce sens, l’Assemblée plénière des évêques de France peut porter
cette charge symbolique d’une Église « famille de Dieu ».

On reproche à l’Église de France de ne pas en faire assez, mais sur quoi porter l’effort
aujourd’hui ?

D’un côté, de nombreuses victimes disent que l’Église de France n’en fait pas assez. De l’autre,
nous entendons des évêques déclarer que l’Église catholique en France fait son maximum
« comme jamais auparavant ». Étrange différence de perspectives. Il est vrai que l’Église catholique
a mis certains moyens en place, y compris dans le domaine de la formation. Mais ce que les
victimes reprochent, c’est de ne pas avoir été consultées, comme si elles n’étaient pas
concernées ! Beaucoup de victimes ont ressenti cela comme un nouvel abus. De l’institution, elles
ont perçu ce message : « on pense pour vous, et l’on sait mieux que vous ce dont vous avez
besoin. » Dans ces conditions, toute réponse de l’épiscopat leur apparaît inadaptée et
superfétatoire.

Deux suicides de jeunes prêtres français âgés de 38 ans en un mois… Est-ce que l’Église n’en
ferait pas trop à présent, passant d’une culture du silence à une suspicion systématique des
prêtres accusés ?

Le clergé vit depuis déjà plusieurs dizaines d’années sous une pression forte. Celle des médias et
l’effet loupe de l’attention portée à ces affaires, qui jettent sur l’ensemble des prêtres une honte qui
devrait être celle de quelques-uns, ceux qui commettent des actes répréhensibles. Tout cela crée
un climat malsain. Je le résumerais ainsi : on est coupable avant d’être jugé puisque prêtre…
Cependant, il serait injuste de mettre la responsabilité de ces deux drames sur le compte de
l’action de l’Église - légitime et indispensable - de la prévention des abus sexuels.

Mais comment expliquez-vous qu’un jeune prêtre puisse se donner la mort ?

Le suicide d’une personne est toujours dramatique. La pulsion de mort peut submerger une
personne. Si quelqu’un n’a pas la force suffisante pour faire face à une blessure narcissique, il peut
alors considérer la mort comme plus souhaitable. Le fait que ce soit des prêtres choque d’autant
plus l’opinion publique : ne sont-ils pas, par définition, les porteurs d’une espérance pour des temps
difficiles ? On oublie parfois un peu vite qu’ils sont avant tout des hommes, avec leur fragilité et
leurs limites qui ne sont pas toujours évaluées à leur juste mesure.

Comment prévenir ce genre de drame ?

Dans le travail de prévention, il manque un volet important à l’action de l’Église : c’est l’attention aux
personnes mises en cause. Dans des congrégations comme la mienne, nous nommons dès les
débuts d’une enquête préliminaire un « conseiller », qui doit veiller à soutenir celui qui en fait l’objet.
Spirituellement, humainement et dans l’accompagnement de la procédure.

Avec le procès de Mgr André Fort cette semaine, puis celui de Mgr Barbarin en janvier prochain,
l’épiscopat est sur la sellette. Quand l’Église va-t-elle réformer le système structurel qui l’a
conduite à l’omerta ?

Bonne question, à laquelle je n’ai pas de réponse.

Le célibat sacerdotal est-il en cause dans la pédophilie ?


Le célibat n’est pas en cause quant à la formation de la pulsion pédophile ou de comportements
criminels sur les enfants. Aucune recherche sérieuse ne met en avant un lien de causalité entre
célibat et abus sexuel des enfants. 94 % des prêtres et religieux célibataires ne sont ni des
pédophiles ni des auteurs d’abus. Il y a comme une fixation quasi obsessive sur la question du
célibat consacré. Croire que le mariage des prêtres réglerait la question de la pédophilie de
certains prêtres est donc une erreur et une aberration scientifique. Par contre, la question du
célibat pose celle de l’équilibre affectif de nombreux prêtres. Et il devient urgent et indispensable
de sortir d’une certaine forme d’hypocrisie institutionnelle : tout en professant l’importance et la
légitimité du célibat consacré, des prêtres qui ont une double vie sont maintenus en fonction. Et
parfois avec des enfants, condamnés avec leurs mères à la clandestinité… Il est possible de
discuter de cette question de manière sereine, mais pas pour de mauvaises raisons.

Au-delà des mesures juridiques, quelles actions préventives faudrait-il imposer pour empêcher
ce genre de comportement dans le clergé ?

Il est important de donner une place plus grande à la maturité affective des personnes qui vont
devenir des prêtres. Et d’essayer de repérer les signaux d’alerte qui pourraient indiquer un risque de
comportement inapproprié ou bien dangereux pour les plus vulnérables. Mais la formation en
séminaire ne permet pas une maturation affective suffisante. Le séminaire est un milieu artificiel,
qui ne met pas les personnes en contact quotidien avec une réalité qui permettrait une véritable
croissance humaine. En cela, l’intuition du cardinal Lustiger sur la formation des prêtres vivant en
maisonnée dans des presbytères est une bien meilleure piste. Les personnes mûrissent en se
confrontant au réel. Le format « séminaire » pour la formation du clergé a fait son temps. Il faut
inventer autre chose. ■ PROPOS RECUEILLIS PAR J.-M. G.

Le Figaro - samedi 3 novembre 2018

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