Les autres grévistes — Marc Hoffsess, 57 ans, Pierre Rosenzweig, 69 ans, Rachel Kuhn, 42 ans, sa
petite sœur Aurélie, 35 ans et Jean-Jacques Pion, 79 ans, militant d’Alsace Nature — prennent la
parole à tour de rôle, sans oublier de rendre hommage aux absents — Élisabeth Dupeux, 66 ans,
membre du collectif GCO non merci et Maurice Wintz, 59 ans, vice-président d’Alsace Nature.
Tous ou presque sont originaires ou vivent dans des communes situées à proximité du projet.
« Pour les soutenir et protester contre le projet, vous pouvez sauter le repas de midi, encourage
Michaël Kugler, membre du collectif et ancien habitant de la Zad du Moulin, à Kolbsheim, qui
anime le tour de parole en faisant tourner son mégaphone. Vendredi 2 novembre, nous vous invitons
à jeûner toute la journée et à inscrire vos repas sautés sur le site du collectif. Vous pouvez aussi
porter un badge anti-GCO de manière bien visible et envoyer un courrier à Emmanuel Macron —
pas besoin de timbrer les lettres à destination de l’Élysée, c’est prévu pour. » Lundi soir, 163
journées complètes de jeûne solidaire avaient déjà été comptabilisées sur le site. Rendez-vous est
aussi pris le soir d’Halloween pour une grande marche sur le tracé du projet d’autoroute, « déguisés
en arbres coupés, en ouvriers de Vinci… bref, en tout ce qui fait peur ! »
Michaël Kugler, opposant au GCO, a œuvré à nouer des liens entre les zadistes du Moulin et
le collectif GCO non merci.
« La Bible nous appelle à prendre soin de la Création, ce jardin qui nous a été
confié »
Johnny Gaîtée profite d’une pause dans les discours pour inscrire une phrase de soutien sur un gros
veau en plastique. « Je suis venu me renseigner parce que j’aimerais faire quelque chose pour cette
lutte, explique-t-il. J’habite Strasbourg mais on entend peu parler du GCO, à part lors de coups
d’éclat, comme l’expulsion de la Zad en septembre. Certains habitants pensent que comme les
travaux sont en cours, il n’y a plus rien à faire. Mais on voit bien que certains continuent à se
mobiliser. »
C’est le cas de nombreuses personnes présentes ce vendredi midi sur la place. Isabelle Ingrand-
Hoffet, pasteure à Kolbsheim, participe à la lutte depuis 2016 : « Nous avons organisé des
célébrations en plein air ouvertes à tous sur le tracé du projet, en soutien aux oppositions. Nous
avons aussi soutenu les zadistes du Moulin. La Bible nous appelle à prendre soin de la Création, ce
jardin qui nous a été confié, et les Évangiles nous invitent à la frugalité et à l’accueil inconditionnel
de l’autre. Dans ces circonstances, ce sont des messages subversifs, qui bousculent l’Église dans
son confort. En tant que pasteure, femme et mère et en tant que personne, la rencontre avec les
zadistes m’a ouverte. »
Caroline Ingrand-
Hoffet, pasteure de Kolbsheim.
À la sortie de la Zad, un portillon ouvert l’invite à faire un petit tour au château de Kolbsheim. « On
a fêté ses 300 ans au début des années 2000. Bien qu’il soit privé, les habitants l’appellent “notre
château” et peuvent se promener régulièrement dans les jardins classés comme remarquables »,
indique Dany Karcher en pénétrant dans le parc. La promenade ensoleillée est seulement troublée
par le bruit du motoculteur de José, le jardinier. Du sommet d’une terrasse agrémentée d’un jardin à
la française, la vue plonge vers des massifs et des bosquets de plus en plus exubérants jusqu’à un
bois aux chaudes couleurs d’automne. « C’est à ce niveau que s’érigera le viaduc de la Bruche, où
doit passer l’autoroute. Des simulations ont été faites pour minimiser l’impact sur le jardin, mais je
ne vois pas comment on peut cacher une autoroute ! Sans parler du bruit. »
L’autoroute passerait juste derrière les arbres surplombés par les jardins du château de
Kolbsheim.
Didier, zadiste, et son chien Nabot se sont installés à Kolbsheim il y a dix mois et au Spot
depuis dix jours.
Les bras couverts de tatouages, Mike, 26 ans, répare un vélo utilisé pour recharger les portables —
« comptez une bonne demi-heure de pédalage pour recharger de 15 % ». Il a grandi à Dachstein, où
ses parents vivent encore, juste à côté de la future autoroute. « Ce matin, j’ai bloqué les machines
pendant deux minutes et demie en m’allongeant sur le chantier avec mon sac de couchage, raconte-
t-il. Mais ce n’est pas facile. Depuis l’expulsion de la Zad, toutes les décisions de justice
concernant les recours nous sont défavorables. On se sent abandonnés par les tribunaux, avec cette
impression que l’argent gagne toujours. »
D’autres zadistes sont allés renforcer les troupes à Vendenheim, au nord du tracé, où la Sanef mène
des projets de déboisement. Après avoir salué les grévistes de la faim et les amis place Kléber,
Claire Audhuy et Baptiste Cogitore s’y sont rendus pour prêter main-forte. Le site, situé juste à côté
d’un club canin, est délimité par une grille flanquée de panneaux indiquant « accès interdit ».
Depuis lundi 22 octobre, un petit groupe d’opposants se relaie devant pour empêcher les machines
d’y faire leur travail. L’opération est un succès, puisque les travaux n’ont pas commencé. Ce
vendredi après-midi, six personnes, dont une toute petite fille endormie dans sa poussette, y font le
pied de grue, en papotant avec deux vieux gendarmes réservistes et plutôt amicaux. « Comment ça
s’est passé à Strasbourg ? » interroge l’un d’eux. « Pas mal, on a eu 150 personnes au moins ! »
répond la metteuse en scène. À son tour, Gilles donne les nouvelles du blocage. « Les machines
sont arrivées lundi matin. L’une d’elles a réussi à se faufiler, mais des lutins — c’est comme ça
qu’on appelle les zadistes par ici — étaient dans la forêt et ils ont dû l’arrêter. Trois machines sont
déjà reparties vers d’autres chantiers. » Peu après 16 h, les ouvriers abandonnent le site. « Enfin,
seulement pour le week-end, corrige Baptiste Cogitore. Lundi, il faudra à nouveau être là pour les
empêcher de revenir. » Et tenir bon, avec les autres, dans la lutte des protecteurs de la forêt contre la
voracité autoroutière.