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Marc Angenot

L'Inconscient politique. A propos de Frederic Jameson : The


Political Unconscious. Narrative as a Socially Symbolic Act
In: Littérature, N°47, 1982. Le lit la table. pp. 113-119.

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Angenot Marc. L'Inconscient politique. A propos de Frederic Jameson : The Political Unconscious. Narrative as a Socially
Symbolic Act. In: Littérature, N°47, 1982. Le lit la table. pp. 113-119.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/litt_0047-4800_1982_num_47_3_2172
Marc Angenot, Université Mac Gill, Montréal.

L'INCONSCIENT POLITIQUE

Frederic Jameson : « The Political Unconscious. Narrative


as a Socially Symbolic Act », Ithaca NY, Cornell University
Press, 1981. 305 pp.

L'œuvre de Fredric Jameson, professeur à l'université de Yale- cinq


volumes et de nombreux articles et travaux collectifs - compte sans doute
parmi les plus importantes aux États-Unis en théorie culturelle et littéraire;
elle représente aussi une contribution de première grandeur à la critique
marxiste dont Jameson est le représentant le plus original et le plus significatif
en Amérique du Nord.
C'est parfois un sujet d'étonnement de la part des intellectuels européens
que la vigueur dont fait preuve la recherche d'inspiration marxiste aux États-
Unis et dont témoignent, entre autres, des revues de qualité comme la
Minnesota Review et The Social Text (Jameson étant du reste un des
promoteurs de cette dernière). Cependant le marxisme américain répond à
une tradition spécifique, implantée depuis la fin du xixe siècle, contaminée
parfois de populisme ou de cet éclectisme « radical » (au sens U.S. du mot)
répandu en milieux universitaires. Chez les meilleurs économistes, sociologues
et esthéticiens de filiation marxiste, on rencontre toutefois un dynamisme
critique et une largeur de l'information jointe à une sensibilité intellectuelle
ouverte sur le monde contemporain qui se distinguent heureusement du
dogmatisme exsangue ou du crépuscularisme post-soixante-huitard dans quoi
baignent bien des écrits français actuels. Je ne voudrais pas pousser plus loin
que de raison ce « tableau contrasté », ni insinuer que tout est pour le mieux
dans ce marxisme d'intellectuels américains, souvent refoulé, par force, dans
l'atmosphère « serine » des campus. Cependant, face aux positivismes et aux
empirismes divers qui dominent les sciences sociales en Amérique du Nord,

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le petit groupe des marxistes de renom se trouve avoir acquis une position
souvent redoutable et finalement très respectée, faisant contrepoids à
l'« antihistoricisme » qui semble bien être le commun dénominateur des autres
traditions, notamment dans le domaine des lettres et des arts. « Marxisme
d'importation » a-t-on dit parfois, dont beaucoup des principales figures, cher
cheurs de l'École de Francfort notamment, ont depuis cinquante ans trouvé
refuge aux États-Unis avec la montée des fascismes en Europe. Le qualificatif
ne me paraît pourtant avoir guère de sens : certes, il existe un melting pot
intellectuel en Amérique qui a tiré grand bénéfice, indirectement, des vagues
successives de répression qui ont déferlé sur l'Europe depuis le début de ce
siècle, mais chaque tradition culturelle a acquis sur le sol américain une
autonomie propre. Fredric Jameson, professeur de littérature comparée, inté
ressera d'autant plus le lecteur d'outre-Atlantique qu'il prend largement en
considération l'ensemble des travaux de poétique et de sciences humaines qui
ont marqué la recherche française depuis vingt ans. Son premier livre était
une étude sur Sartre: The Origin -of a Style (1961). Ses deux ouvrages les
plus connus, Marxism and Form et The Prison-House of Language, comportent
chacun un panorama, résolument polémique du reste, de la critique française.
The Political Unconscious comporte deux parties qui se répondent et
s'étayent : des chapitres théoriques, visant à établir une base nouvelle pour
l'interprétation socio-historique non de la seule littérature, mais de toute
l'instance de production symbolique, et des chapitres d'analyse de textes et
d'auteurs qui, de Balzac à Conrad, sont censés non seulement illustrer les
thèses de Jameson, mais aussi rendre raison de leur « nécessité » et du
déplacement des points de vue qu'elles impliquent.
Dans la préface et le premier chapitre, Jameson pose la question de
l'approche marxiste du texte à travers le problème philosophique général de
V interprétation (de sa nécessité et de sa validation) et dans un panorama
historique des préceptes herméneutiques que la civilisation occidentale a
successivement produits, du Moyen-Age (les quatre niveaux de l'allégorèse
scolastique) à nos jours. C'est sur ces moyens historiques et culturels d'appro
priation des textes, sur l'acte allégorique au sens large, sur le déjà-là proprement
historique des modes de lecture et non sur une prétendue immanence du texte
que porte l'ouvrage tout entier. A cette démarche théorique, Jameson rattache
résolument une tâche d'ordre pratique et polémique immédiat, qui est de
procéder à une vaste réévaluation des herméneutiques - et des antiherméneut
iques - influentes aujourd'hui des deux côtés de l'Atlantique. S'il s'agit pour
le marxiste, à titre de premier principe, de reconnaître l'histoire comme totalité
dynamique, il n'est pas de théorie sans polémique, pense Jameson, et rien
n'est plus stérile que la bonne entente universitaire si ce n'est l'ignorance
dogmatique. Il va donc évaluer a contrario les besoins actuels d'une interpré
tation marxiste contre ce qu'il perçoit de réductionnisme antidialectique et de
positivisme dans les autres traditions des études littéraires dont le trait commun
est qualifié, de façon ironiquement « reaganienne », de strategy of containment.

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Sa démarche va moins consister à rejeter une à une ces traditions philoso
phiques et méthodologiques qu'à montrer leur caractère sectoriel, limité, -
fragmentation des méthodes interprétatives qu'il montre isomorphes de la
fragmentation même de la vie sociale à l'ère impérialiste. Il va chercher à
repenser d'un point de vue totalisant certaines théories à la mode dont la
fausse universalité s'appuie cependant à son avis sur une pertinence restreinte.
On soupçonne le risque de cette démarche : elle pourrait correspondre à cette
tendance répandue de la nouveauté intellectuelle post-structuraliste et qui
s'appelle « syncrétisme ». Si un travail non dogmatique d'évaluation et de
refaçonnement critiques s'impose face au « pluralisme » libéral dont l'Université
se fait mérite en Occident, il importe de voir ce qui le distingue de ce
confusionnisme, homologue au désespoir politique, qu'est le syncrétisme
contemporain. Il peut être bon de retourner au Lalande pour définir ce qu'on
entend ici par « syncrétisme » : à savoir, un amalgame factice d'idées essen
tiellement hétérogènes ou de thèses qui ne semblent compatibles que dans la
mesure où elles ne sont pas clairement conçues {Vocabulaire de la Philosophie,
légèrement modifié). Le syncrétisme est, selon Eisler, Vereinigung ohne Verar-
beitung, accumulation sans réélaboration. Il me semble qu'ainsi définies, des
tendances syncrétiques dominent bien les études littéraires de notre génération,
et que la tentation y est grande du labeur synoptique et du cocktail théorique
à tout prix. A la lecture superficielle, rien ne ressemblerait plus au syncrétisme
qu'un panorama critique englobant des savoirs sectoriels qui ont la faveur du
moment et une tentative de les réinterpréter en fonction de procédures
cognitives systématiques. C'est cependant cette finalité régulatrice qui permet
d'éviter l'agrégat euphorique de bribes et de morceaux et qui, chez Jameson,
détermine à chaque coup, pour chaque tradition interrogée, un changement
de perspective, c'est-à-dire - à la fois - la circonscription d'une certaine validité
et la mise en lumière d'un proton pseudos, d'un mensonge originel, qui rend
ambiguë la méthode critiquée. Le lecteur jugera par lui-même si Jameson est
toujours à la hauteur de cette ambition avouée, mais au moins donne-t-il les
moyens d'un tel jugement et est-il conscient des enjeux qu'elle comporte.
Étude sur l'acte socio-historique d'interprétation, The Political Unconscious
reconnaît la dépendance de toute lecture, « même » marxiste, avec le moment
historique où elle se développe et avec les simulacres auxquels la « société de
spectacle » peut donner à croire.
Le livre porte, comme l'indique son sous-titre, sur le récit - non pas les
seuls genres historiques de la narration lettrée, mais sur cette fonction essent
ielle de la connaissance humaine qui est Darstellung, représentation, et qui
traverse le champ littéraire sans s'y fixer. Dès le premier chapitre, Jameson
pose la priorité nécessaire sur toute autre de l'interprétation politique, énigme
résolue de l'histoire littéraire et nullement opération sectorielle, éclectique ou
ancillaire. Entreprenant d'abord une critique des idéologies du « Texte » (ou
la reification du langage semble venir se substituer à l'ancienne dogmatisation
téléologique de l'histoire), Jameson cherche à inscrire le matérialisme histo-

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rique, de Marx à nos jours, dans l'ensemble des philosophies de l'histoire qui,
d'Augustin à la pensée bourgeoise du Progrès, scandent l'évolution des idéo
logies occidentales. Répondant en quelque sorte à l'Introduction des Grun-
drisse, Jameson pose que seul le marxisme rend raison du mystère essentiel
des formes culturelles du passé et de leur « survie » ou de leurs lisibilités
successives. L'œuvre n'est pas seulement déterminée par le moment historique
qui l'a vu naître, elle est aussi, en toute rigueur, un épisode d'une seule
Intrigue inachevée, d'un récit multivoque, ininterrompu, qui est l'histoire
même, à quoi correspond cet « inconscient politique » dont il fera l'objet de
son livre. Il va montrer qu'on ne peut en effet concevoir l'histoire comme hors-
texte causal ou expressif, comme détermination extérieure du récit littéraire;
que le dualisme du texte et de l'histoire, de toutes les manières dont il a été
conçu, est une erreur axiomatique; que l'histoire n'est autre que ces pratiques
collectives par lesquelles le réel et le devenir ont été diversement rendu
signifiants; qu'il n'y a pas une histoire transcendantale (une historia historians)
et ensuite des récits de l'histoire et qu'il faut affirmer à plein un monisme de
la représentation. Ici, se greffe aussitôt une polémique contre l'hostilité prin-
cipielle des « post-structuralistes » à l'idée même d'interprétation. Analysant
les positions tant d'Althusser que de Derrida, de Deleuze et Guattari et
d'autres, Jameson va démontrer que, - de deux choses l'une -, ou l'immanen-
tisme et la « déconstruction » aboutissent à un cul-de-sac, ou en fait (ce serait
le cas de Deleuze et Guattari) on oppose à ce qui est conçu comme un
allégorisme appauvri ou réducteur, une « nouvelle » herméneutique qui sim
plement refuse de s'avouer telle. A l'issue d'un long réexamen des thèses
d'Althusser, de son rejet des « causalités mécaniques » et « causalités expres
sives», et de sa conception anti-hégélienne de l'histoire « sans télos ni sujet »,
Jameson reformule son hypothèse de l'« inconscient politique ». Si l'interpré
tation historique est si « tentante », quoique souvent surdéterminée par une
téléologie c'est que le récit multiple de l'histoire, dans sa polyphonie, a
nécessairement informé tous les récits (littéraires et autres), de même que,
corrélativement, ce « Master Narrative » informe et détermine notre pensée
et, partant, notre lecture. Jameson distingue une telle conception de toute
prétention à connaître la vérité historique, mais c'est pour affirmer que le seul
horizon interprétatif possible correspond aux manières dont le réel a été connu
(narré, représenté) à travers des pratiques antagonistes dont la somme est
l'Histoire même et dont la présence - nécessairement lacunaire dans chaque
récit - se nommera « inconscient politique ». On peut percevoir ici des rappro
chements frappants avec les thèses du jeune Bakhtine, récemment mises à
jour par T. Todorov. En tant que « cause absente » et non-finalisme, l'Histoire
en elle-même et pour elle-même n'est rien; elle n'existe justement pour chaque
groupe humain que dans les pratiques connaissantes/narrantes qui Yidentifient.
Loin du monologisme hégélien d'un Lukâcs, Jameson relativise et justifie une
interprétation politique-expressive, non de l'être de raison que serait l'Histoire,
transcendantalement aux pratiques qui la connaissent, mais de ces pratiques

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mêmes. (De même que la linguistique ne devient opérante que lorsqu'elle
cesse de prétendre s'occuper des sons tels qu'ils existent dans la nature,
transcendantalement à la fonction phonologique, à la pertinence, qui pour
chaque langue leur confère une identité - si, mutatis mutandis, un tel
rapprochement est permis.) Tournant le dos aux analyses mécanistes et volon
taristes de Lukâcs, Jameson montre également le caractère irrecevable des
conceptions goldmanniennes de la « médiation » (p. 43). Il renvoie le « signifiant »
de Lacan, non à l'idéalisme mais, horribile dictu, au matérialisme mécaniste
(p. 45). Le caractère critique de l'attitude jamesonienne est bien illustré par
son développement sur le « bon usage » de Greimas. Que les greimasiens usent
de catégories du maître comme de préconstruits anthropologiques, D'Urstruk-
ture à validité universelle, c'est un leurre. Il n'empêche que le carré sémiotique
(simple avatar, disons-le en passant, du vieux carré logique aristotélicien) est
particulièrement apte à modeler l'étude de l'idéologie au sens étroit, c'est-
à-dire l'étude de ces discours de « closure » renfermés sur leurs dyades oppo-
sitionnelles. Reste à voir comment cette réinterprétation vinaigrée sera accueill
ie par les zélateurs de Greimas! (p. 83).
Jameson s'attarde à démontrer qu'une critique « purement immanente »
est une impossibilité, un slogan ou une imposture, que les tenants de la
Déconstruction pratiquent en fait une forme d'interprétation (pas hégélienne,
on le concédera volontiers) et que, l'interprétation étant inévitable dans le
continuum historique, la règle heuristique première est au moins de préférer
les interprétations fortes, « strong rewritings ». Cette règle implique qu'il y a
toujours dans un discours donné un degré variable de réprimé ou de mystifié
par rapport à la totalité narrative et qu'il appartient au critique d'opérer, par
une réécriture intertextuelle, ce que Marx appelait une Enthùllung, une mise
à nu. Jameson réclame ici et dans de nombreux passages, une historisation
radicale de la psychanalyse. Le désir est, dans l'histoire, cette fin (non
nécessaire) qui ne saurait elle-même être moyen d'une autre fin et qui s'identifie
à l'utopie, comme horizon ultime du Récit historique.
Le rejet de tout hégelianisme appelle une nouvelle conception, non linéaire,
de la périodisation. « L'histoire est l'expression de la nécessité », dit Jameson
(p. 102), elle est ce qui s'éprouve comme douleur et manque (Bloch), elle n'est
pas ce roman à happy-end du volontarisme stalinien. Appréhendée par les
pratiques antagonistes qui la « connaissent » et qui la parlent, l'histoire n'est
pas cette « force réifiée » qui signifierait par elle-même. Ici aboutit le chemin
critique de Jameson à rencontre de sa longue référence à Lukâcs. Je voudrais
clarifier à ma façon la position de Jameson par une analogie qui me paraît un
peu insolente, mais parlante : Jameson est à la philosophie de l'histoire de
Hegel (et de Marx) ce que Kant est à la Théodicée; de même que l'objet
traditionnel de la métaphysique est rendu par Kant transcendant, mais que
demeure d'autant plus ferme la conscience morale et l'impératif catégorique,
de même l'histoire est ici radicalement privée de finalité positive, d'une
dialectique du dévoilement actuel du sens historique, mais la volonté des

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groupes sociaux défaire sens dans l'histoire, comme manque et indétermination
radicaux, n'en est que mieux affirmée. Dira-t-on que ce « néo-criticisme » n'est
pas sans refléter le trouble des intellectuels progressistes occidentaux dans une
atmosphère mondiale qui ne se prête pas au triomphalisme? On voit en tout
cas quelle longue route a éloigné Jameson de Lukâcs auquel pourtant il rend
à plusieurs reprises un sincère hommage comme au grand penseur de la totalité
(p. 52, 56, 162 notamment.)
Le chapitre II porte sur le domaine de la typologie des genres et, on s'en
doute, sur une réévaluation des taxinomies génologiques statiques, y compris
celles des esthétiques marxistes. On y trouvera notamment une discussion de
Northrop Frye, tellement influent en Amérique, et de Propp et sa postérité
française d'autre part. Pour l'époque moderne, Jameson rapporte la problé
matique des genres littéraires à la constitution du sujet bourgeois et à sa
présente dissolution « schizoïde ». Il va poser les linéaments d'une théorie des
genres non comme formes immanentes, mais comme classes de moyens express
ifs pertinents à une fin « protopolitique » et en relation directe avec des genres
coexistants. Je dois passer sur les nombreuses analyses de cas et de problèmes
qui indiquent ici des avenues à explorer.
Le chapitre III, sur Balzac, est en relation directe avec le précédent.
« Réalisme et désir chez Balzac », dont l'interaction engendre la production
fictive du sujet à l'âge de l'hégémonie bourgeoise et non, selon le dogme
lukâcsien, le seul «grand réalisme» comme «reflet correct» de la totalité
extensive de l'histoire. « C'est pourquoi en fin de compte Lukâcs a raison à
propos de Balzac, mais pour de mauvaises raisons, conclut-il; ce n'est pas le
sens profond de la réalité politique historique qu'avait Balzac, mais son
irrépréhensible exigence imaginante qui font en fin de compte que l'histoire
le dépasse, comme cette Cause absente, comme cela à quoi le désir doit
s'affronter. Le réel est dès lors, - et par définition dans le monde dégradé du
capitalisme-, ce qui résiste au désir, ce socle contre lequel se brise l'espoir
du sujet et par lequel il se connaît et peut prendre la mesure de tout ce qui
s'oppose à son accomplissement. Il s'ensuit que le Réel, qui échappe fonda
mentalement à la représentation et au récit et ne se détecte que dans ses effets
ne peut être mis à nu que par le désir lui-même dont les mécanismes
d'accomplissement permettent d'explorer la surface résistante » (p. 1 84).
Je passerai rapidement sur les chapitres consacrés à George Gissing (où
se développent les concepts jamesoniens de « discontinuité générique » et
d'« idéologème ») et à Conrad (où la forme, la construction de l'intrigue sont
perçus comme des moyens d'« enfermement » idéologique). Je reprocherais
néanmoins à Jameson le choix des écrivains analysés, qui, appartenant tous
au panthéon de la littérature canonique, répond mal à la volonté théorique de
prendre en compte toutes les formes et les niveaux de la production des « biens
symboliques ». Il reste que Jameson s'est donné mandat, on l'a vu plus haut,
non d'explorer adamiquement des espaces vierges, mais de faire un comment
aire sur les formes du commentaire, - Metacommentary - et que l'interpré-

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tation a justement engendré et confirmé les « grandes » œuvres. Si Jameson
appelle à une « herméneutique positive » (p. 292), il insiste aussi sur le fait
qu'elle ne saurait être pratiquée sur une « critique critique », à moins de tomber
dans le moralisme. Il n'est pas d'« œuvre pure »; ni de pur Kitsch (les
paralittératures portent toujours un élément biaisé d'émancipation), ni d'Art
pur (les œuvres canoniques les plus grandes sont toujours partie prenante de
l'idéologie, au sens le plus vulgaire : il y a des intérêts de classe à défendre);
pour le meilleur et le pire, et il n'est pas de Wertfreiheit de l'Art. « Chercher
à construire le sens des grands monuments culturels ne peut se séparer d'une
évaluation passionnée et partisane de tout ce qu'ils comportent d'oppresseur
et où s'avoue la complicité avec des privilèges et des dominations de classe,
marqués ainsi par une culpabilité qui n'est pas celle de la culture en particulier,
mais celle de l'histoire tout entière comme un long cauchemar » (p. 299).
Jameson qui revient ici de façon insistante à Benjamin, semble reprendre à
son compte l'opposition « Idéologie et Utopie », mais c'est d'un point de vue
opposée à celui de Mannheim. Ayant placé le récit de l'histoire et de ses
« refoulés » entre le Réel et le Désir, Jameson pose qu'utopie et idéologie sont
toujours là en même temps et du même coup. Que rien n'est plus faux que
d'opposer des écrits idéologiques à des écrits utopiques. Il n'y a pas d'art
purifié de la fausse conscience, mais celle-ci n'est pas jugée à l'aune d'une
connaissance vraie (validée par une histoire finalisée ou par une « base »
économique). Dans ses conclusions, Jameson arrive à la « kritische Théorie »,
présente d'ailleurs en filigrane dès le début, et surtout à Bloch et à Bakhtine.
La « dialectique négative » d'Adorno lui semble un peu trop contrebalancée
par un plaidoyer très « positif » en faveur de la haute culture. A l'alternative
formulée par Luxemburg, « socialisme ou barbarie », Jameson répond, en
endossant un aphorisme célèbre de Benjamin, selon qui tous les monuments
de la civilisation sont aussi des monuments de la barbarie. La critique marxiste
a largement consisté dans le passé à remplir la tâche hygiénique nécessaire
qui est de montrer les « déterminations idéologiques » de l'art - ou contraire
ment, avec Lukâcs, à bâtir une esthétique hégélienne sur la valeur de « reflet
correct » dans l'œuvre de la réalité historique. La dialectique de l'idéologie et
de l'utopie consiste pour Jameson à repérer dans leur coexistence simultanée
les mystifications de l'idéologie et le « désir historique » investi dans le texte.
En centrant mon compte rendu sur les thèses générales, j'ai conscience
d'avoir laissé dans l'ombre toutes les analyses de textes faites par Jameson,
qui sont bien plus qu'une illustration de la théorie et dont la perspicacité
suscite un grand intérêt. L'ouvrage peut se lire de plusieurs façons et aussi -
comme je l'ai laissé entendre - comme un pamphlet dirigé contre le provin
cialisme mondain de plusieurs théories actuelles. The Political Unconscious
est un livre qui fera date et dont la variété des développements et l'érudition
véritablement cosmopolite font également une source de références critiques
inestimable.

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