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Présentation

Ce texte est remis à titre limité aux participants du Mastère Management des villes et des ter-
ritoires de l’ISCAE-ESSEC. Il présente, dans une perspective pédagogique les concepts les
plus fréquemment évoqués dans l’approche des organisations.

Trois points sont abordés :


1) la conception classique de l’organisation et la pensée rationnelle qui la sous-tend,
2) la pensée systémique et ses applications à la connaissance des organisations,
3) l’approche constructiviste qui aborde l’organisation comme une réalité construite par
les acteurs.

J’invite les participants à lire ce document et à retenir les idées sur lesquelles ils souhaiteraient
développer un débat à l’occasion de la prochaine rencontre.

Lhassen Hannaoui, Management des organisations -mars 2008-


LA RATIONALITE DE L’ORGANISATION

LA RATIONALITE ECONOMIQUE CHEZ MAX WEBER

Max Weber (1864-1920)1 étudie le capitalisme en le rattachant directement à l’entreprise qui


en constitue la substance. La recherche du profit est le but de l’entreprise capitaliste,
l’organisation rationnelle du travail et de la production en est le moyen. Max Weber précise
que cette recherche du profit ne constitue pas, à elle seule, le capitalisme, car elle se retrouve
dans toutes les activités humaines (garçon de café, médecin, voleur, mendiant, etc.) ; elle doit
se coupler avec la discipline du travail au sein d’une entreprise rationnellement organisée.
Comment se déroule alors la rationalité de l’organisation ? C’est sans doute Max Weber qui a
poussé jusqu’à ses extrêmes limites l’approche rationnelle de l’organisation qui reste, malgré
tout, « humaine ». La forme suprême de l’organisation est, selon lui, le modèle « bureaucra-
tique », parce qu’il accorde une importance primordiale à la règle comme référence incontes-
table pour l’ensemble des travailleurs. Il prend le cloitre comme modèle idéal, pour dire qu’il
a été la première entreprise économique rationnelle de l’Occident.
La rationalité de l’organisation repose sur les principales caractéristiques suivantes :
- les tâches de chacun des membres de l’organisation sont stables et définies de manière
explicite, 2
- la séparation claire existe entre la fonction et l’homme qui l’occupe de manière à interdire
toute possibilité d’appropriation des individus sur leur fonction et sur les moyens qu’ils
utilisent,
- le pouvoir hiérarchique est fixé par des règles impersonnelles, qui ne laissent aucune place
à la subjectivité relationnelle,
- les travailleurs sont choisis sur le critère de leurs qualifications techniques et uniquement
sur ces critères.

Mais Max Weber ne se départage pas d’une conception constructiviste de la réalité, quand il
affirme qu’il s’agit beaucoup plus de construire conceptuellement la réalité sociale que de
simplement l’observer. Il considère que pour comprendre les rapports de causalités qui déter-
minent les faits sociaux, il est nécessaire de les construire.

LE MODÈLE « BUREAUCRATIQUE »

1. La théorie weberienne de la bureaucratie, largement inspirée des idées de Hegel et d


Marx, s’en démarque pourtant sur l’approche adoptée. Plutôt que d’emprunter la voie de
l’abstraction, Weber opte pour une description empirique des règles qui président à la forma-
tion et au fonctionnement de la bureaucratie comme organisation. Le modèle d’organisation

1
Max Weber, L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, Pocket 1990

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moderne pour Weber est l’Etat qui s’inspire du Droit, non plus de l’Eglise. N’étant pas direc-
tement impliqué dans les conflits qui déchirent la société, il répond aux conditions d’une ad-
ministration rationnelle efficace en tant qu’instrument de gestion des conflits sociaux.
Le phénomène bureaucratique s’est construit sur la convergence de deux logiques qui
s’articulent pour engendrer et faire progresser la bureaucratie moderne. L’une est historique et
civilisationnelle ; elle répond au besoin croissant d’administration suscité par le progrès hu-
main, lequel évolue vers la maîtrise et la possession de la nature. Dans l’Etat moderne, on
assiste à des demandes croissantes d’administration en réponse à la complexité croissante de
la civilisation. La seconde logique vient de la rationalisation des affaires économiques, poli-
tiques et juridiques, qui trouve son expression et sa supériorité technique dans l’organisation
bureaucratique. En accordant une valeur positive à la bureaucratie, Weber insiste sur sa supé-
riorité technique par comparaison à toutes les autres formes d’administration. Son principe
découle de son mode de fonctionnement. Le fonctionnement de l’appareil bureaucratique est
comparable à celui d’une machine. Son principe est la neutralité de ses mécanismes appliqués
aux différentes sphères dans lesquelles il intervient. Mais pour son bon fonctionnement, il doit
être centralisé et organisé selon une structure hiérarchique, de manière à permettre le contrôle
de ses propres actes et d’offrir la possibilité de recours en cas d’arbitraire.
De tels attributs de l’organisation bureaucratique en font une sorte de machine « déshumani-
sée ». Weber ne s’en défend pas ; il y voit, au contraire, l’aspect le plus positif de
l’organisation, car, d’après lui, la déshumanisation est signe de l’émancipation de la bureau-
cratie qui se dégage des considérations subjectives, telles que l’intérêt, l’amour, la haine et les 3
émotions.

2. Henri Fayol (1841-1925)2 s’intéresse, de son côté, aux principes qui inspirent la gestion
administrative des organisations. Il prend l’exemple sur la hiérarchie militaire, ce qui le con-
duit à mettre en évidence les notions d’autorité et de discipline, qui sont, d’après lui, les deux
conditions d’une gestion administrative efficace. La hiérarchie suppose l’unité du comman-
dement, ce qui veut dire qu’un agent ne reçoit ses ordres que d’un seul chef. L’unité de direc-
tion est nécessaire pour coordonner un ensemble d’activités différentes orientées vers le
même but.
La structure d’organisation est ainsi construite sur le modèle hiérarchique par lequel la déci-
sion est centralisée. La communication au sein de la structure suit la ligne hiérarchique et
lorsque la voie horizontale est nécessaire, elle doit être autorisée par le supérieur hiérarchique
qui sera informé, en retour, sur son contenu et ses résultats.
En plus du commandement et du contrôle, Fayol introduit trois autres fonctions aussi impor-
tantes que les précédentes : prévoir, organiser et coordonner. Si bien qu’une organisation
fonctionne de manière équilibrée quand elle est soumise à cinq règles majeures :
- Commander est nécessaire pour la bonne marche de l’organisation et porte de manière
essentielle sur la direction des hommes. Le commandement repose sur deux critères : la
personnalité du dirigeant, et donc sa capacité à se faire obéir, et sa connaissance des af-
faires.

2
Henri Fayol, Administration industrielle générale, Gauthier-Villard, 1981

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- Contrôler consiste à vérifier la bonne application des plans de travail et des procédures
d’exécution. Le contrôle fait appel à la sanction lorsqu’une défaillance est relevée par le
contrôle.
- Prévoir revient à établir des plans d’évolution pour le futur en s’appuyant sur la créativité
et le calcul. La prévision sert à indiquer la direction dans laquelle l’entreprise doit évo-
luer ; elle devra être suffisamment claire pour éviter des confusions ou des interprétations
contradictoires.
- Organiser consiste à définir et à mettre en place les organes indispensables au fonction-
nement de l’entreprise. Cette tâche devra préciser les fonctions, les responsabilités et les
procédures.
- Coordonner est une action qui vise à mettre en liaison les activités spécialisées afin de
préserver une harmonie organisationnelle d’ensemble. Elle est pratiquée sur la base de
conférences périodiques qui réunissent les différents responsables et cadres de
l’organisation.

3. L’organisation scientifique du travail, telle qu’elle a été imaginée par F. W. Taylor3 (1856 –
1915) repose sur un certain nombre de principes simples, parmi lesquels :
- la rationalisation du travail qui consiste à diviser les tâches en opérations élémentaires
traduites dans des mouvements simples qui soient à la portée es opérateurs,
- la séparation entre les tâches d’exécution et les tâches de planification. Ces dernières sont 4
confiées à un bureau de méthodes chargé de définir les tâches, les opérations et les procé-
dures d’exécution,
- un système de salaires motivant qui reflète la productivité des salariés.
Sans remettre en question l’importance de l’organisation hiérarchique préconisée par Fayol,
Taylor, créateur de l’ « organisation scientifique du travail », reconnaît les limites du pouvoir
du chef. L’organisation type est fondée sur la division verticale du travail, mais ce modèle ne
garantit pas une productivité optimale. Les supérieurs ne maîtrisant pas parfaitement les
tâches exécutées par les subordonnés, ils ne peuvent pas les contrôler avec précision. C’est
cette insuffisance technique des chefs qui pousse Taylor à introduire la compétence de
l’expert qui a pour rôle de définir les standards des méthodes de travail. Un double contrôle
s’exerce alors que l’ouvrier opérationnel : a priori, il est sensé appliquer des méthodes prédé-
finies ; a posteriori, la standardisation permet de mesurer la productivité par référence à des
normes préétablies.

3
Frederick Winslow Taylor a publié deux principaux textes : Shop Management (1903) et Principles of Me-
chanical Engineers (1911)

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LES APPORTS FONDAMENTAUX DES COURANTS CLASSIQUES

La fonction Organisation

En nous situant dans la perspective de la rationalisation du travail, nous ne pouvons pas faire
l’économie de son organisation, en tant qu’activité de gestion. Il nous semble donc que le mé-
rite fondamental de Taylor, en particulier, en matière de management a été d’avoir érigé la
fonction Organisation en entité distincte spécialisée dans les questions de planification des
tâches et de leur simplification, d’élaboration de standards d’activité, de choix des outils et
d’affectation des travailleurs. Il fallait, d’après lui, mettre le travail industriel à la portée des
ouvriers qualifiés, mais aussi de ceux qui ne sont pas qualifiés.
Le finalité globale de la fonction est essentiellement d’ordre humain ; elle a pour point de
départ de corriger les pertes de temps qui sont attachées à la « flânerie systématique » des
travailleurs et à leur paresse naturelle, en introduisant des techniques d’organisation et des
instruments de motivation destinés à maintenir une allure toujours plus vive4. C’est là le pre-
mier objectif autour duquel devra se structurer l’organisation. On y parvient à travers une po-
litique du personnel qui s’articule sur les principales mesures suivantes :
1. Les relations sociales : instaurer des rapports harmonieux entre employeurs et employés
conscients de leurs intérêts mutuels,
2. La direction : créer une direction administrative fonctionnelle composée de 8 chefs (pré-
5
sentés ci-dessous),
3. La motivation des salariés : pratiquer des salaires élevés pour les employés,
4. La planification : connaître exactement le temps nécessaire pour accomplir chaque tâche
ou partie de tâche,
5. Le contrôle : assigner à l’ouvrier une tâche journalière exigeante et claire,
6. L’auto-contrôle : fournir à l’ouvrier l’occasion de mesurer fréquemment sa vitesse,
7. La sanction : montrer par l’exemple que les ouvriers trop lents sont remplacés.
Au vu de ces principes, il nous semble bien que bon nombre de commentateurs se sont laissé
aller à l’exagération de l’idée de « déshumanisation du travail » pour traduire le processus de
travail à la chaîne et la soumission de l’ouvrier au rythme de la machine. Si cette tendance est
vraie pour ce qui concerne le « taylorisme » en tant que philosophie et modèle d’organisation
de l’entreprise, elle devra être plus atténuée quand elle est rapportée aux idées exprimées par
Taylor lui-même.
Sur un second plan, les travaux de Taylor ont ouvert un large champ à l’ergonomie qui va
connaître un grand essor par la suite. Par ailleurs, l’introduction de la mesure objective du
travail, à base d’expérimentation, a été l’un des apports importants du taylorisme, ce qui a
conduit d’ailleurs à donner un caractère scientifique à cette approche de l’organisation.
La comptabilité du temps et des frais de main d’œuvre préconisée par Taylor a conduit à dé-
velopper des instruments méthodologiques qui vont servir pour le calcul du prix de revient
pratiqué appliqué dans la comptabilité industrielle. Dans l’optique taylorienne, la connais-

4
R. Kanigel (The one best way : F.W. Taylor and the enigma efficiency, 1997) rappelle que Taylor fut surnommé
« Speedy Taylor »

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sance du coût de la production répond à trois finalités majeures : la fixation du prix de vente,
la position concurrentielle de l’entreprise et l’accroissement des bénéfices.

La Supervision

Nous avons dit plus haut que Taylor préconise la création d’une direction comprenant 8 chefs.
Ils seront spécialisés chacun dans un aspect qui concerne l’homme au travail, c’est à dire :
- le chef de brigade : préparation des tâches antérieures au travail de la machine,
- le chef d’allure : veille sur l’adéquation des outils employés pour chaque pièce. « Sa mis-
sion commence seulement lorsque la pièce est montée sur le tour ou la raboteuse et finit
avec l'usinage proprement dit »
- le surveillant : veille sur la qualité du travail exécuté par les ouvriers (on peut l’assimiler
au contremaître),
- le chef d’entretien : s’assure que chaque ouvrier tienne sa machine en bon état de propreté,
- le préposé aux ordres des travaux : réalise les plannings des travaux d’après
l’ordonnancement fixé par le bureau des méthodes,
- le rédacteur des fiches d’instruction : établit une description détaillée des tâches que doit
effectuer un ouvrier,
- le comptable du temps et des frais de main d’œuvre : gère et suit les fiches d’imputation,
6
- le chef de discipline : assure le maintien de l’ordre dans l’atelier.
Une telle disposition administrative a maintenu pendant un certain temps une polémique entre
le taylorisme et le fayolisme qui se sont opposés sur la question du commandement. Dans la
vision taylorienne, « chaque ouvrier, au lieu d’être en contact avec la direction par un seul
point, c’est à dire son chef d’équipe, reçoit directement ses ordres journaliers et son aide de
huit chefs différents, dont chacun remplit une fonction particulière ». Fayol, de son côté, dé-
fend le principe de l’unité de commandement. Pour une action quelconque, « un agent ne doit
recevoir des ordres que d’un seul chef ». Et lorsque la communication est nécessaire en de-
hors de la ligne hiérarchique directe, elle devra être autorisée par le chef direct. Fayol
s’inspire ainsi de la hiérarchie militaire qui conçoit que pour chaque objectif on doit désigner
un officier et un seul. Si la coordination peut être atteinte par la coopération entre plusieurs
responsables spécialisés, sa réalisation en sera meilleure si un seul officier en revêt toutes les
responsabilités.
A considérer ces deux approches de plus près, on peut relever qu’il n’y a pas véritablement
une opposition entre les deux auteurs, il y a simplement une différence de vision. Alors que
Taylor se situe dans une optique fonctionnelle rendue indispensable par le fait qu’un même
chef ne peut pas maîtriser l’ensemble des fonctions qui interviennent dans la réalisation du
travail, le second aborde la supervision d’un point de vue hiérarchique et opérationnel. Une
seconde différence qui peut expliquer la divergence entre Taylor et Fayol est que le premier
voit l’entreprise à partir de l’atelier de production, alors que le second se situe d’un point de
vue administratif global. Taylor, formé dans les ateliers, se préoccupe davantage des condi-
tions nécessaires au bon fonctionnement d’un atelier. Fayol, par contre, semble avoir un pen-
chant plus prononcé pour la procédure administrative.

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D’ailleurs cette problématique n’est toujours pas résolue dans les entreprises modernes, no-
tamment celles qui sont organisées sur le mode de la décentralisation géographique : une unité
décentralisée reproduit toutes les fonctions de l’organisation (production, commercial, fi-
nance, personnel, technique, etc.). La question revient à s’interroger sur le fonctionnement des
relations entre les unités décentralisées et le siège. Apparemment, les différents scénarios
d’organisation adoptés montrent des faiblesses plus ou moins importantes sur les plans du
commandement et de la coordination.

LA LOGIQUE DE LA SEPARATION

La conception classique de l’organisation obéit au schéma analytique issu de la tradition car-


tésienne (Descartes, Le discours de la méthode -règle du dénombrement des entiers-), selon
lequel la connaissance d’un phénomène doit commencer par la distinction et l’étude des élé-
ments constitutifs de ce phénomène.
Appliquée à l’étude de l’organisation, cette démarche, que nous désignons ici par ‘logique de
séparation’ consiste à opérer un quadrillage qui distingue une série d’éléments : organisation
/ environnement ; administration / production ; tâches de supervision / tâches d’exécution ;
mais aussi : espace de travail / espace de repos ; temps de travail / temps de repos. L’usine 7
elle-même est dessinée sous forme de postes de travail disposés dans l’espace de telle sorte
qu’ils facilitent le contrôle.

La séparation des fonctions

La séparation des fonctions est, sans doute le point central sur lequel s’est construit le taylo-
risme. Il est de loin l’aspect le plus développé dans les écrits des théoriciens de l’organisation
rationnelle du travail.
Les activités, les tâches et les fonctions sont séparées en deux catégories : les activités de pro-
duction proprement dite et les activités de conception situées à l’amont et l’aval de ces der-
nières. Les premières trouvent leur champ dans l’action en rapport direct avec la matière,
alors que le champ des secondes se trouve dans la réflexion abstraite. Ce qui sépare les
équipes opérationnelles des services fonctionnels, c’est à la fois la finalité de leur travail et les
instruments qu’ils utilisent. L’ouvrier a pour finalité professionnelle de faire ou de fabriquer,
c’est à dire de transformer, non pas avec ses idées à lui, mais avec les idées des autres. Ces
idées sont celles qui touchent à la manière de faire, définies par les experts comme normes à
suivre obligatoirement. On a parfois tendance à distinguer les « fonctionnels » et les « opéra-
tionnels » sur le critère de la relation à l’objet fabriqué pour qualifier de relation médiate celle
des premiers et de relation immédiate ou directe pour les seconds.

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L’abstraction de la personne

La théorie de l’entreprise développée par Max Weber nous offre un excellent modèle de la
séparation des rôles. On peut retenir trois composantes structurelles dans la définition de la
bureaucratie. Elle est d’abord une organisation permanente de la coopération entre plusieurs
individus qui exercent chacun une fonction spécialisée, c’est à dire dont les activités sont dif-
férentes les une des autres, mais qui entrent dans un rapport de complémentarité. La seconde
composante que nous avons mentionnée plus haut est la séparation géographique, sociale,
culturelle, entre le métier et la vie familiale. La troisième composante, enfin, est la séparation
entre la personne et le rôle professionnel qu’elle assume. « Quand nous sommes en relation
avec un fonctionnaire des postes derrière son guichet, nous ne sommes pas en relation avec
une personne, mais avec un exécutant anonyme »5 Il est d’ailleurs caractéristique, dans ce
même exemple, de constater que le guichetier est séparé du public par un « guichet », assimilé
à une barrière qui trace une frontière entre le dedans du dehors.
Nous avons donc d’un côté l’employé, qui n’est rien d’autre qu’une fonction incarnée par un
individu et, de l’autre côté, un public d’usagers, lui-même anonyme. Cet anonymat est cons-
truit sur une abstraction des relations. L’usager qui se présente devant le guichetier est perçu
par ce dernier comme une « demande », une « réclamation » ou un paiement de redevance.
Le caractère impersonnel de la relation n’est pas une conséquence de la bureaucratie, il en est
un de ses principes fondateurs, en ce sens qu’il garantit l’objectivité du travail et l’impartialité
du service. Il n’y a pas de service adapté à la personne, mais un service adapté à un besoin 8
particulier de l’usager et qui constitue la seul justification de la relation.

LA LOGIQUE DU TEMPS

La structure temporelle

L’horloge est la référence clé de l’âge industriel. Elle permet de rythmer le temps du travail et
le temps du repos, d’une part et les séquences de préparation, d’exécution et de contrôle en
milieu de travail, d’autre part.
Le temps de travail d’usine appartient à l’entreprise et est strictement réglementé par cette
dernière ; il s’oppose au temps passé à l’extérieur de l’usine qui, lui, appartient à l’individu. Et
pour marquer la différence le premier et le second se manifestent par un certain nombre de
signaux et de rituels partagés : sonnerie d’entrée et de sortie, ouverture et fermeture du portail,
inscription à l’entrée, fouille à la sortie, etc. L’étalon de mesure de la quantité de production
est le temps, l’instrument de mesure est le chronomètre.
A l’intérieur de l’usine, le temps n’est plus une succession d’événements et d’expériences,
mais une forme de structuration et de mesure des tâches et des mouvements réguliers. Et pour

5
Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique, Editions Gallimard, 1967, p. 533

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préserver cette régularité, les unités de temps et leur articulation sont décidées par la machine,
parce qu’elle seule peut garantir, en vertu de son automatisme, la mesure juste du temps.
Mais pour que l’homme puisse suivre le rythme de la machine, il doit être dépouillé de tout ce
qui peut relever de ses facultés intellectuelles et imaginatives pour être réduit à l’exécution de
mouvements simples et automatiques : le corps humain et la machine sont dans un rapport
synchronique.
Michel Foucault nous livre d’excellentes analyses de l’organisation temporelle dans les insti-
tutions ecclésiastiques, carcérales, scolaires et productives. Soumis à une discipline de du ri-
tuel et de la cadence, l’homme devient un corps dont les actes sont pénétrés et rythmés par le
temps « Dans le bon emploi du corps, écrit-il, qui permet un bon emploi du temps, rien ne
doit rester oisif ou inutile : tout doit être appelé à former le support de l’acte requis»6. Ce qui
est oisif ou inutile détourne l’individu de la règle institutionnelle et crée le désordre ; il doit
donc être sévèrement réprimé. L’institution ne souffre pas le désordre et son fonctionnement
doit être réglé comme une machine. Cette conception du temps, préfigure les procédés du
« juste à temps », des « flux tendus » et les démarches de reengineering de notre époque, qui
conditionnent la performance et la compétitivité par l’élimination de tout ce qui peut être con-
sidéré comme superflu.

Le temps et la rationalité économique


9
Le temps est aussi une donnée incompressible à l’intérieur de laquelle le travailleur produit de
la valeur. Il sert dans ce cas à s’assurer que la valeur prévue a été effectivement obtenue, en
même temps qu’il fournit la référence pour augmenter la masse d’activité : l’augmentation du
rendement fait varier le facteur production à l’intérieur d’un temps fixe. On augmente ainsi la
vitesse de réalisation des tâches, non pas le temps de travail. Une multitude d’expressions
populaires exprime cette idée : « le temps, c’est de l’argent », « la course contre la montre »,
« gagner du temps », etc. La planification et la préparation des tâches, l’organisation spatiale
de l’atelier, la disposition physique des machines, l’accès aux outils, le mouvement de la
chaîne, etc. sont autant de facteurs qui se destinent à supprimer les temps morts. L’esprit ra-
tionnel est incompatible avec les événements imprévus, le hasard et la diversion. Il faut or-
donner les tâches et les opérations de telle sorte que l’imprévu et l’irrationnel ne viennent pas
déstabiliser la logique productive.

La libération du temps

Le mot d’ordre de l’entreprise industrielle est de faire toujours plus en un temps toujours ré-
duit. Il faut donc libérer continuellement le temps pour de nouvelles tâches. On peut
s’attendre naïvement à ce que la libération du temps conduise à aménager plus de temps au
loisir et à la détente. Mais on serait en contradiction avec les principes de la rationalité indus-
trielle qui tient compte de deux facteurs : individuel et social.

6
Michel Foucault, Surveiller et punir, Editions Gallimard, 1975, p. 154

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Au niveau individuel, la libération du temps a pour finalité d’accroître la productivité de ma-
nière à accroître la rémunération. Les salariés aspirent toujours à des salaires plus élevés qui
sont acquis par un travail plus intensif. De ce point de vue, il n’est pas surprenant de constater
que l’ouvrier d’usine répugne généralement à changer ses habitudes de travail. Beaucoup
d’idées ont été développées dans une vision éthique et philosophique qui mettent en cause la
robotisation de l’ouvrier au travail, alors que l’ouvrier lui-même cherche à se perfectionner
dans sa robotisation, parce qu’elle source de gain. Tout changement d’activité signifie pour lui
un ralentissement de sa cadence et par conséquent, de son salaire. Mais cet attachement au
même travail s’explique aussi par le sentiment de liberté qu’il procure à l’ouvrier. Il sait qu’il
doit répondre à un standard de référence, mais il sait aussi qu’il peut dépasser ce standard et
cela ne dépend que de sa libre volonté. C’est pourquoi on voit souvent des équipes qui con-
viennent de se maintenir à un certain niveau d’activité habituel, pour monter que le dépasse-
ment occasionnel de ce niveau est consécutif à un effort exceptionnel qui ne peut pas être hu-
mainement maintenu sur une longue période.
La dimension collective est mise en corrélation avec la croissance économique et sociale qui
suppose une augmentation continue de la productivité globale dans les limites des horaires de
travail. Le travail devient l’indicateur de la santé d’une société. Cette relation économique est
maintenue par des idéologies institutionnelles destinées à valoriser symboliquement la pro-
ductivité. A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, le capitalisme américain avait com-
mencé à développer l’idée de « l’économie politique de la citoyenneté ». Le bon citoyen est
celui qui met sa force de travail et sa créativité au service de son pays. Le « stakhanovisme » 10
soviétique se situe dans une logique équivalente.

LA RATIONALITE LIMITEE

Dans un article, « De la rationalité substantive à la rationalité procédurale », traduit et publié


en langue française en 19927, H.A. Simon propose une distinction entre deux formes de ra-
tionalité : « substantive » et « procédurale ».
Il définit la première comme suit : « Le comportement est substantivement rationnel quand il
est en mesure d’atteindre les buts donnés ». L’auteur ajoute que la détermination des buts dé-
pend de l’acteur, alors que le comportement de ce dernier dépend, quant à lui, des caractéris-
tiques de l’environnement dans lequel il opère.
De ce point de vue, Simon semble adhérer au contextualisme, étant donné la force de déter-
mination qu’il accorde au contexte dans lequel se déroule le comportement de l’acteur. Con-
sidérée sous cet angle, la rationalité substantive suppose, par conséquent, une incertitude
quant à l’atteinte du but visé : plus l’environnement est complexe et indéterminé, plus
l’incertitude est grande.
« Le comportement est rationnel de manière procédurale quand il est le résultat d’une ré-
flexion appropriée »8 Simon conçoit que ce type de rationalité est celui généralement entendu

7
Revue Pistes, n°3, octobre 1992

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par les psychologues, lorsqu’ils opposent le comportement rationnel, c’est à dire qui obéit à la
réflexion et au calcul, au comportement irrationnel qui prend la forme d’une réponse déclen-
chée par des mécanismes impulsifs.
A la différence de la rationalité substantive, qui s’attache au but, la rationalité procédurale
porte sur le processus de réflexion qui accompagne l’action. Elle et présente, de manière la
plus fréquente dans des situations problématiques dont la solution exige la recherche et
l’analyse de l’information préalable, l’étude des hypothèses d’actions, le choix de la solution
la plus avantageuse et la planification des activités pour y arriver.
Parmi les hypothèses les plus largement développées en sociologie de l’acteur social il y a
celle qui considère que ce dernier est en permanence confronté à des choix de comportement :
il est doué de la volonté de réussir, mais sa décision est limitée par trois types de contraintes :
les règles sociales et bureaucratiques (les normes), la complexité et l’incertitude de son envi-
ronnement (l’information), le niveau de ses capacités cognitives et ses états affectifs du mo-
ment (le sujet).

11

8
Id.

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LE SYSTÈME ET LA STRUCTURE

LE SYSTEME

La notion de système a exercé un important attrait sur la plupart des disciplines scientifiques,
philosophiques et littéraires tout au courant de la seconde moitié du XXème siècle. Si son
application intensive, dans les sciences humaines notamment, est relativement récente, le
terme lui-même est déjà fort ancien, puisqu’on le trouve chez Aristote qui l’utilise pour dési-
gner les être vivants et les sociétés.
L’abbé Condillac (1715-1780), dans son Traité des systèmes (1749) pose déjà les principes de
la vision systémique. Parlant de l’univers, il considère que ce dernier « n’est qu’un sistême,
c’est à dire une multitude de phénomènes, qui, liés les uns aux autres, comme causes ou ef-
fets, résultent tous d’une première loi. Chaque partie, un peu composée, est un sistême. Si
donc on renonce aux sistêmes, comment sera t-il possible d’approfondir quelque chose ? ».
Nous retrouvons chez ce philosophe les principaux fondements de l’approche systémique :
l’organisation (partie « un peu composée »), les éléments (« multitude de phénomènes »), les
liaisons (« liés les uns aux autres ») et la hiérarchie système / sous-système (« chaque partie..
est un système »). 12
Condillac poursuit que le système est aussi une méthode, c’est à dire « la disposition de diffé-
rentes parties d’un art ou d’une science dans un ordre où elles se soutiennent toutes mutuelle-
ment. », ou encore « Une science bien traitée est un système bien fait. »
Nous entendons aujourd’hui par système une démarche intellectuelle destinée à modéliser une
réalité complexe pour en rendre possible une interprétation scientifiquement acceptable.
La réflexion que nous développons ici porte sur le système comme démarche d’investigation
et d’interprétation appliquée à un champ disciplinaire dans lequel on cherche à mettre en évi-
dence des propriétés de totalité, de relations et d’équilibrage. A travers ces trois composantes,
la démarche systémique est un modèle qui se propose de décrire ces mêmes propriétés pour
montrer en quoi la réalité étudiée est un découpage qui se suffit totalement ou partiellement à
lui-même. Nous soulignons l’acte de décrire, parce qu’il occupe la position centrale de la mé-
thode : il s’agit de décrire et de restituer discursivement et complètement l’ordre et la régula-
rité d’un objet apparemment désordonné et irrégulier.

LA THEORIE DES SYSTEMES

Dans le domaine des sciences humaines, nous devons à T. Parsons9 les premières applications
de la vision système dans sa théorie de l’action sociale. Il considère la société comme un sys-
tème d’interactions commandées par des motivations rationnelles des acteurs sociaux, mais
aussi par des valeurs qui s’expriment dans le comportement de ces acteurs sous une forme

9
Talcot Parsons, The Structure of Social Action (1937) et The Social System (1951)

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symbolique. Le maintien de l’équilibre social fait intervenir trois éléments fondamentaux qui
régissent les interactions internes. Le premier est celui de statut, qui signifie que l’acteur oc-
cupe une place particulière par laquelle il s’identifie au sein du système social. Le second est
celui de rôle qui désigne l’activité par laquelle l’acteur met en œuvre son statut. L’interaction
des rôles et des statuts sociaux incarnés par les acteurs obéit à des normes qui commandent la
conformité des actions et garantit la stabilité du système.
Mais cette stabilité n’est jamais définitive, car des dysfonctionnements peuvent apparaître
dans les systèmes organisés. Ces dysfonctionnements alimentent la dynamique sociale et sont
résolus par la création de rôles nouveaux qui exercent un effet sur l’ensemble du système en
introduisant une nouvelle une différenciation des rôles.
La « Théorie générale des systèmes » de L. von Bertalanffy10 est une référence incontour-
nable pour les différentes études consacrées à l’approche systémique. L’auteur part du constat
suivant : « Nous trouvons fréquemment dans divers domaines des lois identiques sur le plan
formel ou isomorphe. Dans beaucoup de cas, des lois isomorphes sont valables pour certaines
classes ou sous-classes de ‘systèmes’, sans tenir compte de la nature des êtres impliqués. Il
semble exister des lois générales des systèmes s’appliquant à tout système d’un certain type
indépendamment de ses propriétés, particulières ou de ses éléments »11. De ce constat, L. von
Berltalanffy se propose de construire un projet épistémologique ou science générale des sys-
tèmes qui se veut « une intégration des diverses sciences, naturelles et sociales »12
Reprenant l’approche de Parsons, qu’il qualifie de « fonctionnaliste », von Bertalanffy lui
reproche d’accorder une trop grande importance au maintien et à la stabilité du système social 13
et de conduire, de ce fait, à une théorie du conservatisme et du conformisme où la déviation
est considérée comme un phénomène négatif. Craignant qu’on oppose ces mêmes griefs à sa
théorie générale des systèmes, von Bertalanffy s’accorde une très large extension en incorpo-
rant à sa théorie « à la fois le maintien et le changement, la préservation du système et le con-
flit interne… »13
Mais on peut voir facilement que l’insuffisance de cette théorie réside justement dans sa trop
grande extension. En se voulant générale et universelle, elle s’apparente à une tautologie et se
vide, en conséquence, de son potentiel opérationnel.

LES PROPRIETES DES SYSTEMES

P. Watzlawick, J. Helmick Beavin et Don D. Jackson14 appréhendent le système à partir de


trois propriétés : la totalité, la rétroaction et l’équifinalité.
La « totalité » apparaît comme la propriété centrale par laquelle se définit un système. C’est
par elle que l’on explique les liens entre les éléments d’un système et la relation qui existe
entre la modification d’un élément et la modification de tous les autres éléments et du système

10
Ludwig von Bertalanffy, Théorie générale des systèmes (1968), trad. fr. Dunod, 1973
11
p. 36
12
p. 36
13
p. 201
14
P. Watzlawick, J. Helmick Beavin et Don D. Jackson, Une logique de la communication (1967), Editions du
Seuil, 1972

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entier. C’est encore sur la notion de totalité que les auteurs cités ci-dessus s’appuient pour
faire la différence entre les démarches analytiques et mécanistes classiques qui procèdent par
sommation et les démarches systémiques modernes.
Le développement de la cybernétique a aidé à comprendre les interactions qui caractérisent un
système en remplaçant la causalité par la rétroaction. On parle de rétroaction lorsque les liai-
sons entre les éléments sont multiples et complexes et que la modification d’un élément pro-
voque la modification de plusieurs autres éléments. Il faut aussi préciser que la dynamique de
rétroaction est mise en œuvre soit pour maintenir la stabilité du système dans un état homéos-
tatique, soit pour le changer. Le principe de l’équifinalité pose que les conséquences de cette
dynamique peuvent être les mêmes bien que leurs origines soient différentes. C’est, en fin de
compte, la structure qui est déterminante, non ses conditions initiales, elle est, dans ce cas,
indépendante des conditions qui ont présidé à sa constitution.

LA SPECIFICITE DE L’APPROCHE SYSTEMIQUE

Pour mieux préciser cette définition, l’attitude systémique – que nous apparentons très forte-
ment au structuralisme – se démarque de l’attitude de type historique ou génétique15 et de la
méthode analytique sur les notions de synchronie et de diachronie, d’une part et sur la ma-
14
nière d’aborder la partie et la totalité, d’autre part.
Pour la systémique, les caractéristiques d’un phénomène s’expliquent par sa structure actuelle
qui est elle-même le résultat des interactions actuelles de ses éléments. Dans la méthode histo-
rique, ces mêmes caractéristiques sont comprises comme le résultat d’un processus
d’évolution qui les a conduites à être ce qu’elles sont.
Pendant que la systémique saisit des totalités, c’est à dire des ensembles d’éléments combinés,
la méthode analytique s’intéresse à chaque élément pris isolément en procédant à son extrac-
tion de l’ensemble auquel il appartient. Le second principe du Discours de la Méthode de
Descartes nous invite à « diviser chacune des difficultés que j’examinerais en autant de par-
celles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les mieux résoudre »16
Le raisonnement par les systèmes se distingue encore du raisonnement de type causal lors-
qu’on s’intéresse aux relations entre les éléments du système. Dans le raisonnement causal,
pris au sens linéaire, tel qu’il est traditionnellement appliqué aux phénomènes physiques, on
met en avant les lois du déterminisme, en vertu desquelles les mêmes causes produisent les
mêmes effets. On reconnaît ainsi l’antériorité de l’action (cause) sur la réaction (effet). La
régularité de cette relation a conduit à faire de la causalité la démarche scientifique par excel-
lence, parce qu’elle permet de fonder le raisonnement inductif qui se situe à la base de
l’élaboration des lois universelles : la connaissance des conditions initiales conduit à prédire
les conditions finales, et lorsqu’on modifie les conditions initiales, les conditions finales se-
ront modifiées en conséquence. A cette linéarité séquentielle de l’approche causale,
l’approche systémique substitue la « rétroaction » : la modification d’un élément du système

15
Au sens d’étude de la genèse des phénomènes
16
René Descartes (1637), Discours de la méthode, les Editions de l’Ecole, 1959, p.8

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provoque la modification de tout le système, ce qui entraîne la modification des autres élé-
ments du système.

L’APPLICATION DE LA THEORIE DE SYSTEMES A LA CONNAISSANCE DE L’ENTREPRISE

Beaucoup de scénarios sont présentés par les théoriciens des organisations dans la perspective
de la théorie de systèmes. Pour certains l’entreprise s’apparente à un système mécanique
soumis à une régularité de fonctionnement et permettant des prévisions plus ou moins par-
faites, d’autres tentent une analogie entre l’entreprise et l’organisme vivant (organicisme)
dans la mesure où ils présentent une architecture similaire, d’autres, enfin, assimilent
l’entreprise à un système social et font une large utilisation des enseignements des sciences
sociales.
Faire appel à des références et à des analogies différentes révèle, tout au moins, que la science
de gestion n’est pas parvenue à se constituer en discipline scientifique autonome et révèle, par
la même occasion, que le système de l’entreprise est en lui-même complexe, qu’il est en inte-
raction constante avec un environnement aussi complexe. C’est cette double complexité qui
confère toute son importance à la gestion, considérée comme fonction qui coordonne les acti-
vités des différents sous-systèmes de l’organisation et les liaisons entre cette dernière et son
15
environnement. Il est d’ailleurs caractéristique que la gestion s’est développée sur les nou-
veaux horizons qui ont été ouverts par la révolution industrielle et que son importance s’est
accrue avec l’augmentation de la complexité interne et externe de l’entreprise. P. Drucker fait
remarquer, à propos de cette évolution concomitante entre l’émergence de la gestion comme
fonction essentielle dans l’entreprise et la complexité de l’environnement : « rarement, et
même peut-être jamais, une nouvelle institution fondamentale, un nouveau groupe dirigeant
ne se sont implantés aussi rapidement que ne l’a fait la gestion dans la deuxième moitié de ce
siècle. Rarement dans l’histoire humaine une institution s’est révélée aussi rapidement indis-
pensable. Et il est encore plus rare de voir une nouvelle institution s’établir avec moins
d’opposition, moins de désordre et de controverses… »17

LA STRUCTURE

Un volume considérable d’écrits a été consacré à la structure et au structuralisme, notamment


à la suite des travaux de Ferdinand de Saussure publiés par ses élèves dans le « Cours de lin-
guistique générale » en 1916. Les idées développées dans ce livre ont bouleversé la linguis-
tique de l’époque qui avait pour principal souci de comprendre les langues à partir de leur
évolution. Pour Saussure, la linguistique est une science du langage qui étudie le fonctionne-

17
Peter F. Drucker, The Practice of Management Decision, cité par R. A. Johnson, Fremont E. Kast et James E.
Ronsenzweig, in Théorie, conception et gestion des systèmes, Dunod, 1970, p. 15

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ment de celui-ci. Un langage et, de manière plus restrictive, une langue est un système de
signes obéissant, dans son fonctionnement, à des codes rigoureux.
Les travaux de Saussure ont inspiré les différentes écoles de linguistiques connues : tchèque
(Troubetskoy, Jakobson), danoise (Hjelmslev), française (Benveniste, Martinet) et américaine
(Sapir, Bloomfield, Chomsky). Mais le retentissement des modèles structuralistes18 appliqués
à l’étude du langage et des langues s’est rapidement étendu aux sciences humaines : anthro-
pologie (Cl. Levi-Strauss), psychologie (Piaget) psychanalyse (Lacan, Foucault).
Né de la linguistique qui a réussi à lui donner un caractère opératoire, le modèle structuraliste,
comme le modèle systémique, se présente comme une référence méthodologique pour toutes
les sciences humaines. « Dans l’ensemble des sciences sociales auxquelles elle appartient in-
discutablement, la linguistique occupe cependant une place exceptionnelle : elle n’est pas une
science sociale comme les autres, mais celle qui, de loin, a accompli les plus grands progrès ;
la seule, sans doute qui puisse revendiquer le nom de science et qui soit parvenue, à la fois, à
formuler une méthode positive et à connaître la nature des faits soumis à son analyse »19. Par
cette affirmation, Cl. Levi-Strauss apporte une réponse à une problématique déjà posée par
Emmanuel Kant sur ce qui fait le succès de la physique et qui fait défaut à la philosophie. Il
redresse aussi l’assimilation grossière opérée par Auguste Comte lorsqu’il traite de la « phy-
sique sociale ». Avec le modèle linguistique, les sciences humaines n’ont plus à aller chercher
leur inspiration dans les disciplines expérimentales.

16

LES PRINCIPES DU STRUCTURALISME

Jean Piaget présente dans « Le structuralisme »20 une définition épurée des multiples contra-
dictions qui ont pu apparaître dans ses différentes applications. Une structure, est une réalité
qui a la propriété d’être intelligible à partir de ses propres éléments, elle « se suffit à elle-
même, et ne requiert pas, pour être saisie, le recours à toutes sortes d’éléments étrangers à sa
nature »21 Cette définition pose d’emblée le caractère « fermé » de la structure, puisque
l’auteur insiste sur la notion de frontières qui séparent la structure de son environnement exté-
rieur. Il apparente ainsi la structure à un système axiomatique qui ne fait appel à autre chose
qu’à ses propres hypothèses préalablement explicitées. Cette parenté est confirmée par la pos-
sibilité de formalisation offerte par la structure et pouvant se traduire « en équations logico-
mathématiques ou passer par l’intermédiaire d’un modèle cybernétique »22
Selon Piaget, la structure se définit par trois caractéristiques majeures, qui sont aussi les règles
du système que nus avons abordé précédemment :

18
F. de Saussure considéré comme le père du structuralisme linguistique avait utilisé le terme de « système »
non pas celui de « structure »
19
Claude Levi-Strauss, Anthropologie structurale, Plon, 1958, p. 252
20
Jean Piaget, Le structuralisme, Presses Universitaires de France, 1970
21
p. 6
22
p. 7

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La totalité

Par cette caractéristique, les structures se distinguent des agrégats, éléments hétérogènes et
indépendants du tout. Les structures, par contre, sont régies par des lois de composition in-
terne qui leur confèrent la propriété de constituer des totalités indépendantes des éléments qui
les composent. Il faut bien préciser que la composition n’est pas une association cumulative,
mais une structuration des éléments pour former des ensembles.
L’idée de totalité soulève plusieurs problèmes, parmi lesquels nous retenons ici celui de
l’antériorité de la structure aux éléments et celui des propriétés des éléments qui les disposent
à entrer dans une structure. Le premier problème pose la question suivante : l’organisation est-
elle antérieure aux individus ou bien est-elle construite par un appel à ces individus ? La ré-
ponse à cette question conduit à faire une distinction entre les organisations dites « natu-
relles » et celles qui sont construites. Les premières, telles la société globale ou les colonies
animales, sont des structures permanentes traversées par des flux d’individus. Les entreprises
sont, quant à elles des organisations construites à partir d’un rassemblement d’individus ré-
pondant à des caractéristiques particulières. Ces caractéristiques répondent à notre second
problème et montrent que les structures construites fixent des critères et des conditions aux-
quelles doivent répondre et se conformer les individus qui en constituent les éléments in-
ternes. Autrement dit, seuls les éléments qui, a priori, présentent des aptitudes à appartenir à la
17
structure et à cohabiter avec les autres éléments de cette structure sont admis à y participer.
Nous avons donc affaire ici à des structures ouvertes qui s’organisent et se modifient en fonc-
tion des emprunts extérieurs.

Les transformations

Régies par des lois de composition, les structures sont, par nature, structurantes, en ce sens
que les relations dynamiques entre les éléments qui les constituent, d’une part, et leurs rap-
ports avec l’extérieur, d’autre part, les poussent à opérer des transformations endogènes pour
maintenir leur équilibre. L’équilibre d’une structure n’est donc pas immobile, et lorsque le
structuralisme privilégie la synchronie sur la diachronie, ce n’est pas pour dire que la structure
est immuable, c’est pour désigner un angle de vue à partir duquel cette structure est saisie et
interprétée : l’approche structuraliste cherche à saisir l’intelligibilité d’un système à partir de
la coexistence des éléments de ce système. « Le synchronique, écrit Hjelmslev à propos de la
langue, est une activité, une energeia »23. La notion de transformation apparaît de la manière
la plus évidente dans les écrits de Noam Chomsky sur la « grammaire générative », appelée
aussi « grammaire transformationnelle » ou encore « théorie standard étendue ». Cet auteur
montre comment des lois en nombre fini appliquées à un système comprenant des éléments
eux aussi finis, peuvent conduire à générer de manière infinie de structures signifiantes. Parler

23
Louis Hjelmslev (1899-1965), Principes de grammaire générale, Det Kgl. Danske Videnskabernes Selskab,
Copenhague, 1928, p. 56.

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une langue signifie que le sujet qui parle invente, chaque fois qu’il prend la parole, des
phrases et des discours nouveaux en utilisant des mots et des règles grammaticales connus.

L’auto-réglage

C’est la capacité qu’ont les structures à s’auto-équilibrer pour préserver leur conservation, ce
qui signifie que les transformations qui touchent à la structure sont opérées à l’intérieur de
cette structure, avec des éléments et des lois qui lui appartiennent. Selon la nature du système
auquel on a affaire, les opérations d’auto-réglage et leur fonctionnement sont différents. Parler
de l’auto-réglage, c’est reconnaître que les structures produisent leurs propres règles de fonc-
tionnement et d’équilibre. Ces lois déterminent la manière avec laquelle les éléments sont en
relation et interagissent les uns sur les autres et sur la totalité ; elles disposent également d’une
certaine automaticité pour intervenir lorsque la structure se trouve menacée par un déséqui-
libre ou, dans le cas limite, par une désagrégation. Le modèle le plus parfait qui illustre cette
situation est celui de la cybernétique dans laquelle non seulement le système opère spontané-
ment pour corriger des erreurs éventuelles, mais il remplit également une fonction de contrôle
destinée à assurer le maintien du système. Le monde biologique réagit sur ce même modèle,
mais, tout en restant ouverts à un flux d’échange avec l’extérieur.
L’autoréglage renvoie au mécanisme de résilience, terme emprunté à la physique pour dési-
gner la capacité dont disposent les systèmes vivants de se reconstituer après avoir subi un
18
choc qui a déstabilisé leur équilibre.
Hjelmslev met l’accent sur la dimension interne de la structure en la définissant comme une
entité indépendante de relations externes. Ce qui fait la structure ce ne sont pas les éléments,
mais les relations et les interactions qui se développent entre ces éléments. Elle a, en second
lieu, la propriété d’être indépendante, ce qui veut dire qu’elle est dotée d’une organisation
interne qui lui est propre.

L’ARTICULATION ENTRE LA TOTALITE ET LES PARTIES

Le modèle biologique de l’organisme vivant est assez fortement présent dans l’analyse des
interactions entre la totalité et les parties, notamment pour ce qui concerne la distribution des
fonctions de ces dernières, leur spécialisation et leurs interactions au sein de l’unité englo-
bante. Déjà Aristote concevait l’organisme comme « une convergence d’organes-outils rigou-
reusement spécialisés, c’est à dire différenciés, en vertu du principe général selon lequel
n’importe quelle matière ne peut pas être informée par n’importe quelle forme »24 Selon Aris-
tote il existe une interaction essentielle entre les parties et le tout, les premières contribuant à
constituer la seconde, cette dernière déterminant, de son côté, la place et la fonction de cha-
cune des parties. En introduisant l’idée de finalité organique, à laquelle Aristote donne un
sens mécanique, ce philosophe précise que le tout n’est pas indifférent à la disposition des

24
Georges Canguilhem, Le tout et les parties dans la pensée biologique, Les Etudes philosophiques, n°1, PUF
1966, p. 6

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éléments, en vertu de la spécialisation de ces derniers, il est, au contraire asservi à une forme
de distribution structurale.
Cette conception suggère deux idées complémentaires. Premièrement, la spécialisation méca-
nique des parties, telle qu’elle est présentée par Aristote exclut la possibilité de la polyvalence
fonctionnelle. Il mentionne, dans sa Politique, que le plus parfait des instruments n’est pas
celui qui peut servir à plusieurs usages, mais à un seul. La seconde idée est annonce le fonc-
tionnalisme qui va faire l’objet de théories spécifiques ultérieures. La dynamique du système
repose sur des fonctions et ce sont ces fonctions qui déterminent les organes correspondants.

19

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LE SYSTEME ORGANISATIONNEL

Le détour précédent nous a semblé utile pour situer le contexte épistémologique de l’approche
systémique appliquée aux organisations. Nous voulons aussi montrer que la connaissance de
l’entreprise fait référence à des théories, à des concepts et à des approches qui sont dévelop-
pées dans d’autres disciplines qui constituent, en même temps, les références pour leur meil-
leure compréhension.
Nous abordons dans cette partie une réflexion sur les applications des concepts abordés plus
haut à l’organisation de l’entreprise, en nous limitant à deux aspects : l’organisation comme
système ouvert et comme structure construite.

L’ORGANISATION COMME SYSTEME OUVERT

Le développement des entreprises conduit à l’accroissement de leur complexité interne, mais


aussi à la multiplication des relations d’échange qu’elles entretiennent avec leur environne-
ment externe. Elles ne peuvent donc plus être considérées comme des systèmes fermés, dans
la mesure où leur équilibre devient de plus en plus soumis aux influences des facteurs exo-
gènes. Il faut ajouter encore que ces facteurs ne sont pas toujours stables et réguliers, ni pour
ce qui concerne leur occurrence, et encore moins pour ce qui concerne leurs effets sur 20
l’équilibre de l’organisation.
L’un des thèmes centraux du courant « sociotechnique » est l’articulation entre l’organisation
et son environnement. Il introduit de ce fait une analogie entre l’organisation et le système
biologique en s’appuyant sur le fait que l’être vivant tire les ressources nécessaires à sa survie
de son environnement vis-à-vis duquel il est dépendant. Ce parallélisme peut être valable-
ment opéré sur le plan des principes généraux, mais il devient récusable dès qu’on introduit la
variabilité incessante de l’environnement économique, social, culturel, technique, etc. qui
appellent à des transformations incessantes et rapprochées dans le temps. L’accélération du
changement de l’environnement a suscité, durant la décennie 1960 – 1970, de nouveaux cou-
rants de pensée qui se sont attachés aux questions de l’adaptation des organisations, appré-
hendées désormais comme des systèmes ouverts, sinon comme processus.
On aboutit par là à une nouvelle conception de l’organisation qui vient en rupture du le mo-
dèle classique. Elle peut être résumée en trois idées : il n’y a pas d’organisation idéale ; la
bonne organisation est celle qui sait accompagner les contextes et les changements de son
environnement externe ; les frontières qui séparent l’extérieur de l’organisation de son inté-
rieur deviennent moins nettes.
Ces idées préfigurent les développements ultérieurs de la théorie des organisations qui
s’ouvrent progressivement sur le management stratégique. Ce dernier prendra en compte le
constat relatif à l’instabilité et à l’incertitude de l’environnement et ses implications pour la
pérennité et le développement de l’entreprise. On entre ainsi dans un univers où dominent les
notions de contingence (par opposition à la nécessité) et de construction (par opposition au
système établi).

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LA CONTINGENCE

La pensée de la contingence

Si l’entreprise, sous l’effet de son propre développement, évolue vers une ouverture de plus
en plus grande sur son environnement, là n’est pas le problème majeur. Il est dans le caractère
instable, aléatoire et donc contingent des transformations de cet environnement.
Etymologiquement le terme « contingence » provient du terme latin contingentia qui veut dire
hasard. Le contingent est ce qui peut indifféremment être ou ne pas être. Il traduit l’absence
de déterminisme, et, en conséquence, de prévisibilité. Dans La Nausée (1938), Sartre écrit :
" l'essentiel est la contingence. Je veux dire que par définition, l'existence n'est pas la nécessi-
té. Exister c'est être là, simplement ; les existants apparaissent, se laissent rencontrer, mais on
ne peut jamais les déduire. Il y a des gens, je crois, qui ont compris ça. Seulement ils ont es-
sayé de surmonter cette contingence, en inventant un être nécessaire et cause de soi. Or aucun
être nécessaire ne peut expliquer l'existence : la contingence n'est pas un faux-semblant, une
apparence qu'on peut dissiper ; c'est l'absolu, par conséquent la gratuité parfaite. Tout est gra-
tuit, ce jardin, cette ville et moi-même. "
La pensée de la contingence peut apparaître comme étant le contraire du déterminisme si on
les aborde dans la perspective de l’opposition entre l’aléatoire pris comme ce qui n’obéit à
aucune loi et le nécessaire, c’est à dire rattaché à des lois de causalité régulières. Or, il n’en
21
est rien lorsqu’on introduit la notion de complexité : un phénomène est qualifié de contingent
pare qu’il est déterminé par des causes dont la complexité échappe à l’intelligence humaine.
Pour réduire cette complexité, la plupart des théories qui se sont intéressé aux facteurs expli-
catifs de la structuration des organisations ont abordé cette question d’un point de vue instru-
mental en cherchant à décrire des relations causales qui existent entre des caractéristiques
particulières de l’environnement et les modes de structuration de l’organisation. Au courant
des années 1960, plusieurs modèles sont proposés autour de la question du changement de
l’environnement et de ses effets sur les organisations.
T. Burns et G.M. Stalker25 considèrent que dans un environnement stable, il convient
d’adopter un agencement mécanique, parce qu’il est plus favorable à l’efficience interne. Ils
recommandent, par contre, de mettre en face d’un environnement instable une structure de
type organique pour qu’elle puisse s’adapter aux situations changeantes.
Pour F.E. Emery et E.L. Trist26, la structure d’organisation varie selon le degré de complexité
de son environnement. Ils proposent la typologie suivante :
- Un environnement stable et aléatoire favorise les petites unités ;
- Un environnement stable et structuré encourage à des organisations de grande taille qui
disposent de services de planification structurés ;
- Un environnement instable et réactif connaît des organisations flexibles et décentralisées ;
- Un environnement turbulent appelle des structures de type matriciel.

25
T. Burns et G.M. Stalker, The management of innovation, Travistock, 1961
26
F.E. Emery et E.L. Trist (1964), La trame causale de l’environnement des organisations, Socilogie du Travail
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Appuyant cette même logique, P. Lawrence et J. Lorsch27 font observer que les entreprises
leader dans un secteur stable conservent une structure d’organisation simple et stable. A
l’inverse, celles qui se trouvent dans un secteur en évolution rapide adoptent des structures
plus décentralisées.

Les postulats

Les idées développées par les auteurs qui se rattachent au courant de la contingence partent de
deux postulats. Le premier est que l’entreprise est un système ouvert sur l’extérieur ; elle en
subit les forces qui la poussent à se restructurer. Le second est que l’environnement externe
obéit à des changements qui sont souvent aléatoires, conduisant l’organisation vers une adap-
tation a posteriori. On met en vis-à-vis le registre descriptif de l’environnement et le registre
normatif de l’entreprise qui doit réduire l’incertitude.
Schématiquement les entreprises qui s’inspirent des théories de la contingence suivent le plus
généralement un cheminement structuré en trois étapes :
- l’observation de la réalité des organisations en relations avec les transformations de leur
environnement,
- la modélisation de l’observation consistant à répertorier les facteurs qui font que certaines
organisations réussissent mieux que d’autres,
22
- la construction de systèmes normatifs qui décrivent les propriétés auxquelles les organisa-
tions doivent se conformer pour réussir.
C’est, nous semble t-il, cette sélection des facteurs de succès puisés dans des expériences con-
textuelles diverses et leur « mise en système » qui posent problème. Car un facteur considéré
comme porteur de succès l’est effectivement dans un contexte particulier dans lequel il est en
rapport avec d’autres facteurs auxquels il s’associe et auxquels il réagit. S’il est transposé
d’une organisation vers une autre, ses effets ne le sont pas automatiquement. Autrement dit,
un facteur de succès dans une organisation répondant à des caractéristiques singulières, peut
agir négativement dans une organisation différente. Notons, au passage, qu’il s’agit ici de
l’une des faiblesses importantes du benchmarking.

27
Paul Roger Lawrence et J. William Lorsch, Adapter les structures de l’entreprise, Editions d’organisation,
1973

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L’ORGANISATION : SYSTEME CONSTRUIT

LES PRINCIPES

Quelques principes de base sur lesquels s’appuie la conception constructiviste en matière


d’organisation sont :
1. Tout d’abord, l’organisation est une réalité construite par les hommes et qui est soumise à
une dynamique de transformations où chaque étape se réalise sur des pré-construits anté-
rieurs et prépare des construits futurs,
2. Les formes de l’organisation présentes traduisent les interactions sociales de la vie quoti-
dienne des acteurs,
3. L’organisation est en même temps une réalité intériorisée sous forme de représentations
chez les acteurs et objectivée par sa configuration matérielle.
En se définissant à partir de ces principes, le constructivisme abandonne, non seulement les
paradigmes rationalisateurs de l’organisation formelle, mais également les conceptions de
l’organisation définie « par le sommet », c’est à dire par la volonté de ses dirigeants. A
l’inverse du structuralisme, il admet le processus historique qui devient fondamental dans la
mesure où la construction est une série d’actions qui s’interpénètrent pour créer un mouve-
ment continu. 23

L’ÉMERGENCE DU CONSTRUCTIVISME

L’approche constructiviste a été introduite en sciences de gestion au courant des années 1960
– 1970. Mais elle n’a connu son niveau de succès le plus élevé que durant la décennie 90. Ce
courant, postule que la réalité est toujours une réalité construite par l’homme. Elle est faite
d’organisations et de réorganisations successives et évoluant vers des niveaux plus com-
plexes. Il serait, à notre avis, fastidieux de remonter aux origines des différents emprunts qui
ont inspiré le constructivisme. On en retrouve les pensées les plus éloignées historiquement
dès lors qu’on admet le principe que l’homme – ainsi que l’animal – construit son milieu pour
répondre à ses besoins. Cette question, fort ancienne – on la trouve déjà chez les sceptiques
grecs de l’antiquité - a été reprise par plusieurs écoles de pensée, telles que le
l’évolutionnisme, le marxisme, le fonctionnalisme, le structuralisme, la théorie de la relativité,
l’utilitarisme, etc.
En tant que méthode, le constructivisme – ou constructionnisme - se trouve encore présent
dans la plupart des sciences formelles, expérimentales et humaines : mathématique, physique,
biologie, sociologie, pédagogie, psychologie, etc. Il met en relief le principe que le chercheur
scientifique ne se limite pas à constater les phénomènes qu’il étudie, il participe à leur cons-
truction en les organisant et en les modifiant.

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LA VISION DE L’ORGANISATION

Dans les sciences de gestion, les auteurs qui se sont intéressés à la démarche constructiviste
se réfèrent le plus souvent à l’ouvrage de Peter Berger et Thomas Luckmann « La construc-
tion sociale de la réalité »28 où ces deux sociologues développent une réflexion autour de
l’idée que la réalité sociale et sa représentation sont le résultat d’un processus de construction
permanent.
Malgré que la logique des thèses constructivistes soit discutable sur plusieurs aspects, leur
principale contribution à la connaissance de l’organisation porte, à notre sens, sur la capacité
de l’organisation à créer les conditions de possibilité de ses propres activités. Cette thèse ap-
porte un argument précieux à la notion de différenciation des organisations à travers la singu-
larité de leur expérience et de leur culture interne. Le management cesse de faire référence à
la structure et aux rôles qui y sont assumés pour saisir de plus près les interactions et les
communications qui s’y déroulent au quotidien. Ce qui revêt une importance dans les discours
produits sur la réalité environnante, est moins la compréhension de cette réalité que les repré-
sentations auxquelles elle donne lieu et les dispositifs institutionnels qui rendent cette descrip-
tion justifiable.

LES ACTEURS DE L’ORGANISATION


24

Au courant des années 70, on commence à parler de l’organisation comme « système cons-
truit » qui influence le comportement des individus en même temps qu’il est influencé par
eux. Pour D. Silverman, « on peut considérer le comportement comme le reflet de la structure
d’organisation (…) on peut tout aussi bien avancer qu’une organisation est elle-même le ré-
sultat de l’interaction des personnes motivées cherchant à résoudre leurs propres pro-
blèmes »29. Emboîtant le pas à Silverman, M. Crozier et E. Friedberg, dans « L’acteur et le
système »30 mettent l’accent sur la notion d’incertitude comme expression de la liberté des
acteurs et comme espace où se déroule le jeu de pouvoir entre ces acteurs. L’organisation
n’est plus un système monolithique soumis à des règles immanentes, mais un construit qui
résulte d’une compétition orientée vers le contrôle des « zones d’incertitude » créées par le
système.
La plupart des idées développées sur le constructivisme organisationnel se situe dans le sillage
des travaux de March et Simon et plus particulièrement leur principe de « rationalité limitée »
D’après ce principe, qui remet en cause les idées de planification déterministe héritée de F.
Taylor, on ne peut pas viser la maximisation, parce qu’on ne peut pas connaître tous les fac-
teurs qui interviennent dans l’organisation, ni les effets qu’ils auront les uns sur les autres et
sur le système ; on peut, par contre, rechercher les solutions les plus satisfaisantes, compte
tenu des informations dont on dispose.

28
Editions Méridiens Klincksieck, 1966
29
David Silverman, La théorie des organisations, Dunod, 1973, p.110
30
Michel Crozier – Erhard Friedberg, L’acteur et le système, Editions du Seuil, 1977

Lhassen Hannaoui, Management des organisations -mars 2008-


LE PROCESSUS DE CONSTRUCTION

Comme démarche d’analyse de l’organisation, le constructivisme n’est pas un processus li-


néaire à travers lequel on parcourt le chemin de l’idée au construit. Ce schéma est valable
dans la construction mécanique ou dans le génie civil où l’architecte établit un plan, les diffé-
rents corps de métier réalisent les parties de l’ouvrage et le propriétaire réceptionne le bâti-
ment fini. Dans le domaine social, un système qui se construit sur le principe d’interaction,
obéit nécessairement à une démarche récursive. Cela veut dire que le système se construit, se
corrige, se déconstruit, se reconstruit indéfiniment. Giddens dit qu’on est en face d’une seule
et même réalité qui présente un double aspect, un « double caractère structurant et structuré
des activités humaines, autrement dit, le fait que les propriétés structurelles sont à la fois les
conditions et les résultats de ces activités »31. On entre ainsi dans un processus continu où les
effets produits deviennent des causes et qui s’enchaîne par actions et rétroactions. Il n’y a
donc pas de faits isolables, comme il n’y a pas d’observation strictement limitée à un fait.

25

31
Alain Eraly, La structuration de l’entreprise. La rationalité en action, Editions de l’Université de Bruxelles,
1988, p. 7

Lhassen Hannaoui, Management des organisations -mars 2008-

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