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MON AMI BOB ET SON “MEURTRIER D’ISRAËL”

J
’ai rencontré Bob Newman chez mes cousins américains lors d’un séjour aux Etats-Unis et nous
sommes restés amis. C’est, peut-on dire, un personnage hors du commun, aux antipodes de ceux et
celles que Herbert Marcuse désignait sous le vocable peu louable d’Homme Unidimensionnel.
Universitaire, polyglotte, grand voyageur, très érudit et en même temps modeste, les deux qualités allant
souvent de pair. Et un bon vivant. Quand j’ai fait sa connaissance, j’avais visité Boston quelques années
auparavant, en simple touriste, en suivant le “freedom trial”, cette fameuse ligne rouge tracée au sol qui
permet aux touristes de suivre un circuit pour découvrir les principaux monuments et hauts-lieux de la ville
et de l’Indépendance américaine, sur environ 4 kilomètres. Depuis, j’ai revisité Boston avec Bob pour
guide. İl m’a également conduit à Salem, un autre lieu historique de sinistre mémoire avec son cimetière de
“sorcières”, femmes injustement accusées de sorcellerie, condamnées et exécutées à l’issue des procès
truqués (1692), pour que la société de l’époque, celle des premiers immigrants puisse se faire bonne
conscience.

M
arblehead est une petite ville agréable, au bord de l’Atlantique, à 25 km environ de Boston et
proche de Salem. Il fait bon d’y vivre. Un coin plein de quiétude. C’est ici que Bob a grandi
avant de partir à la découverte du monde et des autres. Après sa retraite d’une Université en
Australie, où il enseignait l’anthropologie, il s’est réinstallé avec son épouse Sudha dans la ville de son
enfance. Issu d’une famille d’immigrants de l’Europe de l’Est, il a une grande ouverture sur le monde et les
autres, y compris sur le plan culinaire, ce qui m’a permis de découvrir, en compagnie du couple Newman,
ou seul avec Bob, un certain nombre de lieux que je n’aurais jamais trouvé seul. J’ai fait la connaissance
d’un certain nombre de ses amis qui m’ont invité à des soirées culturelles. Nous avons eu l’occasion de
nous rencontrer aussi en Tchéquie, lors d’un séjour en famille, avec nos épouses, à Prague et à Zelezna
Ruda, petite ville de villégiature de la Bohême occidentale, en compagnie de ma cousine BJ et de son mari

1
Bülent. A peine sorti de la presse, Bob m’a dédicacé en ces termes, son livre “Marblehead traveller”, lors
de mon dernier séjour aux USA au cours de ce vigoureux hiver 2014 : “Pour Salih, d’un voyageur à un
autre. Le voyage nous procure ensemble toutes les joies de vivre. Continuons d’apprécier. Bonne chance et
bonne santé. Et gardons le contact pour une prochaine rencontre. Bob. Le 27 Décembre 2014”. Depuis les
rangs de l’école, j’ai aimé lire et écouter les récits des autres et coucher sur papier les miens. Dans le récit
de Bob, la problématique de “nous” et “les autres”, avec en ce qui me concerne “moi et les autres” qui
occupe mes pensées depuis mes années d’adolescence, en arrière plan, m’a incité à en faire une rapide
traduction, tant bien que mal, en amateur, cela va de soi, pour partager avec mes amis.

L
’anglais n’est pas mon domaine fort. Je vous souhaite bonne lecture.

Photo : Une vue de Marblehead

MARBLEHEAD TRAVELLER (VOYAGEUR DE MARBLEHEAD) est un recueil de récits


autobiographiques de Bob Newman qui grandit à Marblehead, Massatchussets (USA) avant d’étudier à
l’Université Cornell. Il participa ensuite aux “Volontaires de la Paix” en Inde, se maria avec une femme
indoue au milieu des années 60 et partit enseigner en Australie pendant de nombreuses années. Il travailla
en Israël, au Japon, en Corée et en Chine, et voyagea dans de nombreux pays. Ses récits contiennent des
observations judicieuses sur la vie et décrivent multiple aspects de la vie de Marblehead et “d’ailleurs”.
Certains sont pleins d’humour, et d’autres sont tristes. Le thème récurrent est l’humanité commune à nous
tous. La première édition est entièrement épuisée (Amazon) .

Le récit suivant est extrait de “Marblehead Traveller” de Bob Newman

2
LE MYSTERE RÉVÉLÉ D’UN MEURTRE EN ISRAEL

Bob Newman

L es russes s’amusent à débiter des histoires drôles sur les tchouktches, ces habitants au fin
fond de la Sibérie, à l’Extrême-Orient du pays, aux confins de l’Alaska. En Inde, les gens
racontent des blagues à propos des Sikhs tandis qu’en Australie, les cibles des blagues sont
les irlandais, de même que les polonais en Amérique, ainsi de suite et l’on pourrait multiplier ces
exemples ad infinitum. Nous racontons toujours des blagues sur les « autres » que nous
considérons drôles, manquant de bon sens ou tout simplement idiots. Leur qualité première, la
plus convenable, est de rester dans l’ignorance. Même si nous les ridiculisons, ils n’en sauront
rien. Nous avons en fait besoin de ces « autres » pour nous mettre en valeur nous mêmes, comme
diront des universitaires avertis. Nous leur attribuons des étiquettes qui les font apparaître avec
des défauts que nous ne souhaitons pas avoir, et cela nous permet de nous valoriser. Nous ne
façonnons pas les « autres » uniquement dans le but de les tourner en dérision, mais aussi parce
que nous nous considérons civilisés en comparaison avec eux. C’est la raison pour laquelle,
certains de ces « autres » sont situés loin d’ici, dans des lieux fort exotiques. Cela peut être le cas
des zoulous, des tibétains, des aborigènes d'Australie ou des habitants de Pukapuka (1).A travers
les siècles, beaucoup de gens ont voyagé loin pour les rencontrer. Ces voyageurs rédigent des
récits intéressants, font des dessins ou prennent des photos, et à leur retour, ils sont conviés
gratuitement à des diners au cours desquels ils font part de leurs découvertes aux autres convives.
National Geographic est précisément bâti sur ces « autres ».

I l est bien évident que certaines versions de ces “autres” vivent plus près de nous. Ils ont une
différente couleur, une religion différente ou un mode de vie qui diffère du notre, et même s’il
nous arrive de croiser leur chemin dans un supermarché ou dans le métro, ils peuvent nous
être moins familiers que les tibétains.

E n ce qui me concerne, et pour les avoir souvent rencontrés lors de mes voyages, je suis
convaincu qu'il est intéressant de contacter les «autres». Mais le plus étonnant, c’est que
ces autres me ressemblent toujours autant. Vous êtes amenés à concocter des histoires pour
montrer qu'ils sont différents ou parler de leur nourriture, accoutrement et mœurs inhabituels,
pour la simple raison que ceux qui vous écoutent ne voudrons pas entendre que vous ayez
parcouru toute cette distance pour y trouver simplement « nous » !

I l existe également une autre catégorie des “autres” qu’il vaut mieux ne pas rencontrer. Nous
en connaissons les spécimens les plus notoires tels que Hitler, Staline, Beria, Pol Pot, Idi
Amin, Eichmann, Mao Tsétoung, Demjanjuk, qui sont des monstres, des assassins en série.
Ainsi définissons-nous l’humanité par défaut, en comparaison avec ceux-là. Quelques soient nos
petits péchés, nous nous considérons vertueux en comparaison de ces individus monstrueux.
Nous avons ensuite les tueurs malades, pervers de la société moderne, qui occupent les médias
durant des jours ou des semaines. Ils nous servent de critère pour nous trouver plus moraux, avec
de meilleures intentions. Quant à moi, je pense que le meurtre est humain. Les prisons sont
pleines de gens qui ont commis des meurtres. Qui sont-ils donc? Nous avons toujours tenu pour
une évidence qu’ils ne peuvent être comme nous, qu’ils sont des étrangers dont les actes ne
peuvent être compris d’une personne normale. Je n’en suis pas si sur. Le monde est plein de gens
qui ont commis des meurtres sans jamais être punis, et certains sont devenus des héros et
hautement récompensés à ce titre. Que feriez-vous si vous étiez terriblement en colère ou si vous
aviez atrocement peur?

3
J ’ai lu, il y a quelque temps, l’interview d’un soldat américain qui combattait les japonais
pendant la Deuxième Guerre Mondiale, sur la ligne du front en Nouvelle Guinée. İl était
uniquement avec quatre ou cinq gars quand ils ont été attaqués par d’importantes forces
japonaises. Les autres américains ont été tués ou blessés, et lui, seul survivant, s’est servi des
mitraillettes des autres, en courant d’une position à une autre , tout en faisant feu sans cesse et
lançant des grenades à main dans une totale frénésie. Quand il a été enfin secouru par d’autres
américains, il s’est avéré qu’il avait tué plus de 200 japonais, ce qui lui a valu d’être récompensé
de la Médaille d’Honneur du Congrès. Quand les journalistes l’ont interviewé 40 années plus
tard, il leur a répondu qu’il ne savait pas comment il avait fait tout cela. “J’étais complètement
fou!”, dit-il, “et j’ai honte de ce que j’ai fait. Ça devait être quelqu’un d’autre, car je ne suis pas
un héros!”. Et pourtant, il l’avait bel et bien fait. Il a rencontré “l’autre”, et cet autre n’était que
lui-même.

E n 1963, je suis parti en Israël travailler dans un kibboutz(2). Mon grand-père ne cessait de
m’interroger pourquoi j'avais été au Japon à deux reprises mais jamais en Israël. Il a
finalement acheté lui-même mon billet parce qu'il rêvait d'un membre de notre famille
partant en Israël pour y vivre de manière permanente. Il pensait que le pire pouvait arriver en
Amérique, comme cela s’était passé en Allemagne, où les Juifs vivaient auparavant en citoyens
heureux et loyaux. Il voulait que quelqu'un se trouve en Israël pour fournir une base arrière, au
cas où la famille serait amenée à fuir le Massachusetts. Je ne partageais pas du tout ses craintes
vis-à-vis de l'Amérique, même si je devais admettre, au vu de l’Histoire ou des statistiques, que
cela pourrait arriver. La nuance entre "pourrait" et "serait" semble extrêmement grande dans ce
cas. J'étais néanmoins heureux d'avoir le billet en poche!

A
rrivé en Israël, je me suis trouvé sur le front de mer de Tel-Aviv, dans un hôtel à bon
marché qui n’avait jamais connu de touriste. En fait, il accueillait des prostituées turques
et leurs clients ainsi que des israéliens de passage, juifs ou arabes qui séjournaient dans
cette grande ville pour une nuit ou deux. Le gérant, vieil homme fatigué vêtu d’une chemise
blanche effilochée, aimait converser avec moi. Je suppose que cela devait être une sorte de jeu
pour lui, compte tenu de mon jeune âge et de ma naïveté. İl m’a autorisé à garder au frais des
raisins et des oranges dans son réfrigérateur. Je me suis rendu au local de « l’association des
kibboutzim et du kvutz », situé dans un vieil immeuble délabré à proximité et j’ai postulé pour un
emploi dans un kibboutz. J’ai été envoyé au Nord, dans la vallée de Jezreel (Emek Yisrael, en
hébreu), dans un kibboutz appelé Geva. Le bus que j’ai pris m’a laissé en bas d’une route étroite
bordée d’oliviers menant au village perché sur une colline.

A
yant montré ma lettre à l’agent d’accueil du kibboutz, j’ai été aussitôt conduit vers mon
nouveau lieu de vie constitué d’une cabane en bois à l'extrémité du kibboutz, utilisée par
les bataillons de travail de l'armée durant la récolte des olives en septembre. De
nombreuses petites cabanes similaires avoisinaient la mienne, toutes dans l’abandon et calmes, à
l'exception de mes allées et venues. Les fissures du plancher étaient si larges que l'herbe poussait
dans ma chambre. Mon seul compagnon était une souris qui a immédiatement élu domicile dans
ma valise, la considérant comme la maison de ses rêves. Quoique je fasse, il y croyait dur. Ulpan,
une école pour les nouveaux immigrants dispensant des cours intensifs en hébreu, se trouvait
juste au pied d'une colline et accueillait un groupe animé composé de jeunes venus d'Argentine,
d'Uruguay, de France, d'Angleterre, de Roumanie, d'Iran et du Liban. Plusieurs étudiants non
juifs, dont une fille venue de Suède ainsi que deux femmes originaires d’Angleterre en faisaient
également partie. Ils étudiaient dans la matinée et travaillaient ensuite dans les champs ou les
vergers dans l'après-midi. N’étant pas étudiant, je travaillais toute la journée.

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M a routine quotidienne variait peu. Je me levais à cinq heures, au lever du soleil. Dans la
fraîcheur sereine du matin et avant que le soleil brulant ne prenne place dans le ciel
chaud du Moyen-Orient, je m’asseyais à même le sol avec mes collègues, Dudu et
Natan, pour boire du thé accompagné de pain et de confiture. Ensuite, nous nous dirigions vers
les oliveraies pour commencer le travail. À 8 heures du matin, nous faisions une pause pour
prendre un petit-déjeuner copieux dans la salle commune- salade, œufs durs, yaourt, céréales
chaudes si vous en aviez envie et pain. Après un temps de repos, nous reprenions le travail
jusqu’à 13 heures. Le déjeuner consistait généralement en viande ou poisson servis avec la même
salade, le même pain et le même yaourt. Après le déjeuner, nous faisions la sieste ou nous
reposions jusqu'à 15h30, pour travailler ensuite jusqu'à 17h. À cinq heures, nous nous rendions
aux douches collectives. Après avoir fait la lessive suivie d’un temps de repos, nous nous
réunissions pour le dîner qui ressemblait au petit-déjeuner. Ils nous donnaient du savon et des
serviettes, des vêtements de travail et du dentifrice ainsi que les trois repas servis, mais pas
d’argent. L'aide médicale, en cas de besoin, était gratuite. Concernant la vie culturelle, un film
était projeté presque tous les soirs, en plus d’un programme de musique occasionnel, et la
bibliothèque était bien fournie, mais principalement en hébreu.

L a plupart du temps, je travaillais en compagnie de Dudu et de Natan dans les oliveraies. Il


y avait plus de 1500 arbres rien que pour nous trois. Natan qui n'était qu'un gamin de 12 ou
13 ans, ne se trouvait pas là pour se divertir, ayant déjà le sens de responsabilité des
kibboutznik. Comme il ne parlait pas anglais, notre communication restait à un niveau très
élémentaire. Dudu avait 33 ans, soit treize ans de plus que moi. Après avoir été commandant de
char en tant que réserviste de l’armée israélienne, il avait vécu un an en Amérique. Je trouvais
intéressant de discuter avec lui, mais au fond, je passais beaucoup de temps seul, car dans un
verger de cette taille, on se perdait souvent au milieu des arbres argentés et verts. J'ai dû
également fertiliser ces plantations. Nous manœuvrions un petit tracteur tractant un grand chariot
rempli d'engrais chimique dans les bosquets. Nous garions le véhicule dans un endroit stratégique
pour charger de gros bidons de 20 litres remplis d’engrais. Nous parcourions ensuite les rangées
vertes de longues feuilles effilées et légèrement brillantes pour l’épandage de substance par
poignées entières au pied de chaque arbre.

A
mes débuts, j’y arrivais difficilement, devant tenir le bidon de 20 litres avec un bras tout
en répandant le produit de ma main libre. À la fin du premier jour, j'étais tellement épuisé
que je ne pouvais plus me tenir debout. Chaque jour, j’aguerrissais davantage et au bout
d’une semaine, je pouvais lever des sacs entiers d'engrais de 110 livres, les ouvrir et verser leur
contenu dans le panier. Je suis devenu extrêmement fort. Quand je vois une photo de moi à cette
époque, je ne puis croire que c'était moi.

M on deuxième boulot consistait à arroser les oliviers. Les israéliens avaient mis au point
un système spécial permettant à une seule personne d’irriguer très facilement tout le
verger par installation de robinets d'eau au bout de chaque rangée de douze arbres. Je
devais raccorder au robinet le premier tuyau en aluminium, puis y connecter douze sections,
chacune étant pourvue d’un arroseur. Quand tout était connecté, je mettais l’eau en marche qui
commençait à arroser chaque arbre de la rangée. Au bout d'une demi-heure, je fermais le robinet
l'eau et déplaçais les douze sections à la rangée suivante. Je devais couvrir six lignes
simultanément, ce qui signifie que les 72 arroseurs fonctionnaient à la fois.

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C
e travail n'était pas très ardu. Les tuyaux en aluminium étaient très légers et je me
mouillais très souvent, ce qui était agréable dans la chaleur de l’été israélien. Je séchais en
trois minutes. C'était tranquille et apaisant, dans la solitude avec les oiseaux et les
caméléons dans les oliveraies, et pensant à des choses et à d’autres. Cependant, deux aspects du
travail ne me convenaient pas. Premièrement, dès que l'eau a été coupée, les tuyaux, frappés par
le soleil, devenaient extrêmement chauds. Je devais donc porter des gants, ce qui n’était pas
confortable sous le soleil. Deuxièmement, il me fallait cinq minutes pour débrancher les tuyaux,
puis déplacer chaque section, une par une, jusqu'à la rangée suivante. Pendant ce temps, les souris
et les grenouilles décidaient souvent, pour des raisons obscures, de s’engouffrer dans les tuyaux
sombres. Au moment où j’attrapais soudain le tuyau pour le déplacer, ils avaient peur de sortir et
c'était ensuite trop tard. Quand je raccordais le tuyau à nouveau, il était possible que certains
d'entre eux soient entrés pendant ce laps de temps…sans pouvoir en ressortir une fois que tout
étais remis en place. Avec le passage de l’eau, ils se noyaient instantanément. Leurs corps se
coinçaient dans les arroseurs sous la pression et les arroseurs concernés cessaient donc de
fonctionner. Mon travail consistait alors à les nettoyer et à faire couler l'eau le plus rapidement
possible. Je portais à la ceinture un long morceau de fil d'acier épais avec une extrémité
tranchante. Je devais saisir ce fil et le fourrer dans l'arroseur, en essayant de dégager les lambeaux
de souris (ou de grenouille) déchiquetés. J'avoue que j’ai eu des emplois plus appétissants dans
ma vie !

Q uand j'avais du temps libre, je rendais habituellement visite aux autres jeunes de l'Ulpan
scindés de fait en trois groupes, et principalement en raison de la langue. Il y avait donc un
groupe hispanophone, un groupe composé des francophones du Liban et de Roumanie,
ainsi que de ceux venus France, et un groupe anglophone. Je pouvais communiquer avec les trois
groupes, mais j’ai trouvé que les francophones manquaient quelque peu de finesse. J’ai alterné
entre les hispanophones d’Argentine et d’Uruguay et les Anglais et Scandinaves. Deux outsiders
faisaient bande à part : les deux gars d'Iran, qui ne parlaient que le farsi. En raison de cette
barrière linguistique, ils ont appris l'hébreu plus rapidement que les autres et ils s’adressaient en
hébreu à tous, mais tout le monde utilisant une autre langue dans les relations quotidiennes, de
fait, ils n’ont jamais pu intégrer un groupe. Seul dans les oliveraies, je n’avais pu acquérir
suffisamment de notions en hébreu et ne pouvais donc pas du tout converser avec iraniens.

L 'un d'eux était un type de petite taille, plutôt grassouillet, avec un visage rond et de grands
yeux. Il donnait l’impression de craindre en permanence l'insécurité, comme s'il avait peur
que quelqu'un ne le frappe. Sa peur était palpable. Pour la conjurer, il essayait d'être dur,
apprenant à tout le monde de gros mots en persan, parlant fort et brusquement, faisant des
grimaces exaspérées au moindre prétexte. J'ai essayé d'être amical mais cela s’avérait impossible.
Il n'avait confiance à personne. Une fois, dans la douche, je n’ai pas trouvé ma savonnette, que
quelqu’un a probablement récupérée par erreur, mais c’était quand même pénible de me rhabiller,
aller au bureau et me procurer un nouveau savon. L’iranien suspicieux était là, et je lui ai
demandé, en langage gestuel et avec quelques mots d’hébreu, si je pouvais emprunter le sien, en
lui promettant de le lui rendre plus tard. Il m'a regardé avec méfiance. Pourquoi ? Je n'en ai
aucune idée. Le savon était gratuit. Tout ce que vous aviez à faire, c'était d'en demander un de
plus au bureau. Il m'a cependant donné son savon. Epuisé par le travail de la journée, j'ai oublié
son savon dans la douche. Ce soir-là, il m'a vu à l'Ulpan et demandé son savon. Je me suis
souvenu seulement à ce moment-là et me suis excusé. Je lui ai dit que je lui apporterais une
nouvelle savonnette. Il n'a pas compris, ou il a cru que j'essayais de le ridiculiser (ce qui était son
obsession) ou le dominer. Le mot «diss»(3) vient à l’esprit, mais il n’a pas encore été inventé. Il a
commencé à me proférer ses insultes favoris en farsi, et sur ce, je n’ai fait que rire. De toute
façon, ces mots me semblaient dénués de toute réalité. L'un des britanniques que j'ai vu m'a dit

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d'oublier l’incident, cet iranien était un cas difficile. Après cela, chaque fois qu'il me croisait,
l'iranien utilisait des mots cruels à mon égard et ne cessait de réclamer son savon. Je tâchais de lui
dire de se procurer son propre savon. En fait, il l’avait déjà mais il voulait être désagréable.

P lusieurs semaines se sont écoulées et je ne pensais presque jamais à cet incident. Un jour,
après la sieste de l'après-midi, je suis venu au réfectoire pour y récupérer le wagonnet d’un
tracteur. Dudu et moi avions été chargés de déblayer les mauvaises herbes et nettoyer un
étang à poissons en bas de la colline. Une douzaine d’autres jeunes gens étaient assis au sol,
alignés, attendant d’aller accomplir leurs tâches. J'étais encore à moitié endormi. Il faisait très
chaud et les mouches bourdonnaient dans l'herbe, les rayons acérés du soleil piquaient comme
une ombre d'eucalyptus. Je me suis assis à côté de la dernière personne dans la file. J'ai entendu le
gros mot habituel en farsi - quelque chose à voir avec ma mère – et je m'étais assis par
inadvertance à côté de mon bon ami. Je viens de secouer la tête avec dégoût. Ce crétin n'avait
donc jamais abandonné la partie. Je ressentais déjà la chaleur, essayant de me préparer au dur
travail à venir. L’Iranien grassouillet s’est approché et a tiré les lacets de mes bottes, en déliant
l’un d’eux. Je savais qu'il ne comprenait pas l'anglais, mais je lui ai dit brusquement: "Arrête ça,
imbécile." Il a essayé de répéter cette phrase en se moquant de moi, puis s’est penché pour
dénouer à nouveau mes lacets. J’ai repoussé sa main et me suis déplacé hors de sa portée. Il
n'arrêtait pas de répéter son gros mot préféré. Il s'est levé en venant vers moi pour arracher mon
chapeau de ma tête. Je me suis levé également aussi et lui ai dit: "Rends-le-moi!" Il a éclaté de
rire et l’a jeta parterre. Je l'ai ramassé et me suis assis à nouveau. Je savais que ce crétin voulait se
battre. Il est revenu et il a repris mon chapeau. Quand j’ai sursauté, il a commencé à s'enfuir avec
mon chapeau. Je l'ai poursuivi. C'était facile de l’attraper- le type grassouillet n'était pas un bon
coureur- et j'avais fait partie de l'équipe d'athlétisme à Marblehead High, et le travail du kibboutz
m'avait mis en pleine forme. J'ai attrapé son bras et essayé de saisir mon chapeau. L'iranien m'a
regardé avec des yeux remplis de haine, sifflant à nouveau le même mot. Il a agité mon chapeau
avec son bras tendu loin de moi.

S
oudain, un inconnu s’est emparé de moi avec un bruit à peine audible. J'ai perdu le contrôle
de tout. Je ne savais pas où j'étais, qui j'étais ni ce que je faisais. J'ai saisi mon bourreau, je
l'ai jeté à terre et je lui ai sauté dessus. En même temps, j'ai sorti de ma ceinture ce long fil
pointu et épais, celui avec lequel j'avais l'habitude de nettoyer les lambeaux de souris et de
grenouille encombrant les tuyaux. Tout ce dont je me souviens, c’est de son visage effrayé qui me
fixait. J'allais le tuer à coup sûr. J'avais le fil pointu dans la main droite et il était brandi en l'air.
Deux vies pendaient là: la sienne et la mienne.

Q uatre ou cinq personnes qui assistaient à la scène se sont accourus. Ils ont attrapé mon fil
tranchant et libéré l'iranien. Je tremblais de colère et de manière incontrôlable. Des
couleurs étranges tourbillonnaient devant mes yeux et un rugissement fort résonnait dans
mes oreilles, le monde entier semblait déformé. Ils ont laissé l'iranien au sol. Personne ne l'a aidé.
Je suis revenu à la raison en quelques secondes et je me suis retourné. Quelqu'un m'a rendu le fil
tranchant et je l'ai replacé à ma ceinture. En une minute, le tracteur est arrivé et j'ai rejoint Dudu à
bord. Alors que nous descendions lentement la colline, je pouvais voir l'iranien effrayé qui
continuait de me fixer. Il ne m'a plus jamais adressé la parole, ni moi à lui.

T el est le mystère du meurtre en Israël. J'ai eu de la chance que cet incident se soit produit
près de personnes qui ont gardé le cap. Je ne suis pas allé en prison. Je suis revenu en
Amérique, j'ai terminé mes études universitaires, je me suis marié et j'ai construit ma vie.
Dieu sait ce qui est arrivé à ce pauvre garçon. Son avenir ne me semblait pas si bon. Mais le
mystère m’a été révélé très clairement en ce dernier après-midi israélien. Qui sont les monstres?

7
Qui sont les meurtriers? Qui sont les gamins qui se tirent dessus dans les rues d'Amérique? Ils
sont « nous ». Dans la même situation, personne ne peut dire ce qu’il ferait. Nous préférons
penser que "nous" sommes différents d"eux".

'ai rencontré un meurtrier et c’était « moi ».

Traduction : Salih Bozok – Octobre 2018

Notes du traducteur :

(1) Pukapuka: atoll des iles Cook dans l’Océan Pacifique, dont le nom traditionnel “Te Ulu-o-Te-Watu” signifie “tête
de pierre”.(A rapprocher, par une curieuse coincidence, de “Marblehead”, littéralement “tête de marbre”)

(2) Kibboutz: “ unité de peuplement à vocation essentiellement agricole dont les membres sont organisés en
collectivité sur la base de la propriété commune des biens, préconisant le travail individuel, ”. Au pluriel
:”kibboutzim”. Membre de kibboutz: “kibboutznik”. Kibboutz religieux:”Kvutz”

(3) “Diss”: mot de l’argot “afro-américain” qui signifie “manque de respect” (disrespect)

Photo : Avec Bob Newman à Marblehead – Décembre 2014

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