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SOS D’UN MEDECIN EN DETRESSE

Être médecin en 2019, qu’est ce que c’est ? Une vocation ? Un sacerdoce ? Un


sacrifice ? Une récompense ? Il est compliqué de répondre à cette question parce que
c’est un peu tout ça à la fois… J’ai 35 ans, je suis médecin généraliste et je suis
convaincue de faire le plus beau métier du monde, le plus noble, le plus utile, le plus
sincère, mais probablement l’un des plus exigeants. Parce qu’être médecin en 2019 c’est
aussi souffrir. Souffrir de ne pas pouvoir offrir aux patients les chances qu’ils méritent.
Souffrir de conditions de travail qui ne font que se dégrader et ne cessent de mettre en
péril la sécurité des patients mais aussi celle des soignants.
Je me suis beaucoup interrogée sur ces mots : soignant… Soigner… Prendre soin… Ne
soulignent-ils pas « juste » le besoin d’une attention à l’autre, d’humanité ? N’est ce pas
ça, soigner ? Mais comment prendre soin sans temps ? sans moyen ? La médecine de
ville souffre, l’hôpital souffre : pire, ils se meurent. Ils se meurent sous les restrictions
budgétaires, les coupes de personnels, les fermetures de lits et d’hôpitaux de proximité,
les départs à la retraite des médecins libéraux, la disparition de toutes les médecines
préventives, scolaires et du travail. Jamais le nombre de patients n’a été aussi important
quand celui des médecins continue de diminuer. Jamais nous n’avons couru un tel
danger en termes d’offre de soins. Actuellement nous bricolons pour soigner
correctement et bientôt nous ne pourrons plus soigner… du tout. Et personne ne s’en
occupe, personne ne prend la mesure de cette simple phrase. Ou plus exactement, on
s’en rend compte, on ferme les yeux et on passe à autre chose, comme pour la menace
écologique ou le réchauffement climatique. Le risque est là, tout le monde le sait, mais
on ne peut pas s’arrêter de vivre alors on continue de faire semblant que tout va bien.
Malheureusement, la réalité est tout autre. Nous ne pourrons plus soigner parce que
bientôt nous n’aurons plus de soignants. Nulle part. Pas plus dans les « déserts
médicaux » que dans les grandes villes. Nous, soignants, mourrons si rien n’est fait et la
santé mourra avec nous.
Regardons les choses en face. En réalité, nous mourons déjà de notre engagement. Tués
par des politiques ancestrales qui font croire à la population qu’on s’intéresse à eux,
qu’on se préoccupe d’eux alors que seule une logique budgétaire régit notre politique de
santé. Tués par le désengagement d’un état qui oublie la valeur de l’individu, qui a perdu
toute humanité et ne nous permet plus de prendre le temps nécessaire à la protection de
la santé de chacun. Tués par les demandes de prises en charges des patients, toujours
plus nombreuses qui estiment légitimement avoir le droit d’être soignés. Généralistes,
spécialistes, libéraux, hospitaliers, urbains, ruraux, personnels médicaux, sages-femmes,
paramédicaux, nous mourons. J’ai 35 ans et je suis en arrêt de travail, pour « burn-out »,
concept fourre-tout pas très clair, une sensation d’avoir littéralement explosé, majorée
par une angoisse colossale de voir la santé tel un gigantesque château de cartes, à deux
doigts de s’effondrer au prochain coup de vent. Pour ma part, j’ai l’impression d’avoir
explosé et de ne plus pouvoir exercer correctement mon métier, il ne m’est plus possible
pour l’instant d’aider, d’écouter, d’être psychiquement présente pour mes patients. Etre
médecin c’est faire face à la souffrance quotidienne d’une société qui va de plus en plus
mal. Etre médecin c’est diagnostiquer, orienter, dépister, prévenir, conseiller, écouter,
répondre à la demande de soins. Etre médecin c’est être médecin, psychiatre, scribe,
avocat, conseiller conjugal, ami, confident, psychologue, assistant social. Pour chaque
patient. Comme si chaque jour qui passait nous chargions nos hottes de vos tristesses,
angoisses, souffrances, inquiétudes, histoires de vie et que nous rentrions chez nous
avec. Petit à petit, celles-ci envahissent nos vies, nos nuits, nos temps libres, nos familles
et nous usent, dans une lente mais inexorable érosion. Ne vous méprenez pas dans mon
propos : je reste convaincue de faire le plus beau métier du monde mais je déplore que
personne ne nous protège. Que font les pouvoirs publics, que font nos tutelles ? Ils
continuent de nier l’évidence : l’hôpital ne peut plus fonctionner parce qu’il n’en a plus
les moyens, la ville ne peut plus assurer la prise en charge de tous les patients dont les
médecins partent en retraite, changent d’orientation ou explosent. Et le plus inquiétant
c’est que nous ne sommes qu’au début de la catastrophe sanitaire…
A vous, patients, j’ai aussi envie de dire un mot : je vous supplie de devenir raisonnables
et d’ouvrir les yeux. Vous aussi êtes en train de nous tuer. Nous sommes à l’aube d’une
crise démographique sans précédent : nous ne pouvons pas faire toujours tout « en
urgence », entre deux, « juste » un certificat, « juste » un duplicata, « juste » une
ordonnance, « juste » jeter un coup d’œil. Si nous disons que nous ne pouvons pas ce
n’est pas que nous ne voulons pas. C’est bel et bien que nous ne pouvons pas. Soyez
raisonnables et comprenez que nous aussi avons besoin de déconnecter. Nous ne
pouvons pas – et surtout ne voulons – pas devenir prestataires de service et vous
envoyer des ordonnances, des duplicatas, répondre à vos mails, à vos messages toujours
urgents, le soir, le weekend, entre deux, sans rendez-vous, quand ça vous arrange.
Lorsque nous vous prenons en charge, nous engageons nos responsabilités. Faites-le
pour nous, faites-le pour les autres patients. Parce que, même si pour vous c’est anodin,
nous sommes déjà en retard, parce que nous souhaiterions déjeuner, parce que nous
avons nous aussi nos enfants à récupérer le soir, parce que d’autres que vous ont pris
rendez-vous et que, quoi que vous croyiez, le retard n’est pas une satisfaction. Si nous
sommes en retard c’est parce soigner prend du temps. Vos dossiers sont de plus en plus
complexes et chronophages. Annoncer une maladie grave ne peut – et ne doit – pas se
faire en cinq minutes. Epauler un patient en souffrance, maltraité ou avec des idées
suicidaires ne peut pas s’improviser dans un couloir. L’imprévu fait partie de nos
journées : nous avons prêté un Serment qu’il nous est de plus en plus difficile de tenir
mais qui empreint nos esprits et nos comportements. Nous sommes devenus soignants
parce que c’est ce que nous voulions, par vocation. Chacun de nos patients a un
diagnostic, une histoire de vie, un parcours qui lui est propre et qui impacte directement
sur son état de santé et ça prend du temps de le comprendre. Nous ne pouvons pas
continuer à traiter vos cinq motifs de consultations sous prétexte que nous ne vous
voyons qu’une fois par an « alors autant en profiter » ! Soyez raisonnables dans vos
recours, dans vos demandes de consultations « urgentes » et rendez vous compte de
l’état dans lequel nous sommes. Soyez raisonnables avant de vous rendre aux urgences
dont la vocation est de soigner des choses réellement urgentes. Vous êtes en difficulté
dans votre recours au soin ? Nous ne le savons que trop ! Alors joignez-vous à notre
combat face aux pouvoirs publics. Obligez-les à entendre nos voix et aidez-nous à leur
dire que nous ne pouvons plus continuer comme ça. Nous, soignants, finissons par
mettre vos vies en danger dans notre incapacité à résoudre une équation insoluble : le
nombre de soignants ne cesse de diminuer quand la population ne cesse de croitre… On
ne peut pas faire le plus, prôner la qualité des soins, avec le moins, quand tout vient à
manquer : personnels, ressources, matériel médical, lits d’aval, hôpitaux de proximité,
communication, humanité. Combien de drames auraient pu être évités ? Combien de
suicides de soignants resteront passés sous silence avant qu’on ouvre enfin les yeux ?
Combien de millions d’économies nous annoncera t-on encore avant de voir
réapparaitre les épidémies, les maladies disparues ? Combien de soignants auront mis la
clé sous la porte avant que l’on comprenne ? Il n’y a plus de kinés, plus d’infirmiers, plus
de sages-femmes, plus de spécialistes, plus de psychiatres, ni dans les villes, ni dans les
campagnes. Et ça n’est que le début.
Il n’y a pas que moi qui suis en burn-out je le crains, c’est tout le système qui l’est. Je ne
suis pas politicienne : je suis médecin mais aussi patiente, maman, inquiète au plus
profond de mon âme de cette décrépitude vers laquelle nous allons en courant à grands
coups de coupures budgétaires et de restrictions « nécessaires ». La vraie question
pourtant est la suivante : que voulons-nous laisser à nos enfants ? Une société en miettes
qui ne sait plus ce que soigner veut dire ? Ou une société où l’individu aura retrouvé une
dignité, une place, une possibilité de se faire soigner quels que soient son âge, sa ville,
ses revenus ou sa couleur de peau ? Nous sommes à l’aube d’une société que nous
devons réinventer : à l’heure du grand débat, où sont les réflexions sur l’écologie,
l’éducation nationale, la lutte contre la pauvreté, l’égalité des chances ? A nous de
redéfinir les piliers qui doivent être les nôtres. Seuls, nous n’y arriverons pas. Soignants,
patients, ouvrons les yeux, serrons-nous les coudes, ce n’est que réunis et solidaires que
nous y arriverons.

Madeleine LHOTE

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