O. SPEVAK
A
The aim of this article is to analyse the ordering of obligatory constituents
(subject, object, indirect object) in the Itinerarium Egeriae (fourth century
AD). The point of departure for the analysis is the valency of the verb
and the number of its syntactic positions. This approach allows consider-
ing together several models in which the obligatory constituents usually
carry the same pragmatic function. Thus, the frequent postverbal position
of the object in the Itinerarium is not a result of some syntactic constraint
but of its pragmatic function as carrier of Focus. Directional complements
and subjects in passive constructions present usually also new information
and occupy the final position in the sentence. Topics are often (but not
always) found in initial position; anaphoric and demonstrative pronouns
occur, facultatively, to co-mark the topic function. However, due to its
content, the degree of topic continuity is higher in the first part of the
Itinerarium, which describes entities, than in the second part, which describes
events.
1. Introduction
L’Itinerarium Egeriae, remontant au IVe siècle, est un texte écrit
dans un registre proche de la langue parlée, qualifiée de latin ‘popu-
laire’, et son ordre des constituants a déjà attiré beaucoup d’atten-
tion. En particulier parce qu’au point de vue statistique, il montre
la place postverbale de l’objet: l’ordre Verbe—Objet (VO), ou, sujet
exprimé, Sujet—Verbe—Objet (SVO) que l’on rencontre dans les
langues romanes. Pour ne donner que quelques références: Nocentini
1990, 152, Hinojo Andrés 1986, 83, ou Adams 1976a, 93. L’objet
se fixe dans la position postverbale suite à la perte des marques
flexionnelles, surtout celles de l’accusatif—une telle explication a été
proposée par Vennemann (1975, 289), et adoptée pour l’ordre VO
chez Egérie par Nocentini (1990, 151 et 156) et Adams (1976a, 98).
Or, Schøsler (1984) a montré, pour l’ancien français, qu’il n’y a pas
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Première partie:
(1) In quo itinere iens uidi super ripam fluminis Iordanis uallem pul-
chram satis et amoenam, abundantem uineis et arboribus, quo-
niam . . . Nam in ea ualle uicus erat grandis, qui appellatur nunc
Sedima. In eo ergo uico, qui est in media planitie positus, in medio
loco est monticulus non satis grandis, sed factus sicut solent esse
tumbae, sed grandes. Ibi ergo in summo ecclesia est . . . (13.2-3)
‘Sur cet itinéraire, en chemin, j’ai vu sur la rive du fleuve du
Jourdain une vallée très belle et agréable, avec des vignes et des
arbres en abondance, car . . . Dans cette vallée, il y avait un grand
village appelé aujourd’hui Sedima. Dans ce village, qui est situé
au milieu d’une plaine, il y a en plein centre un monticule pas
très grand, fait comme le sont d’ordinaire les tombes, mais les
grandes tombes. Là, au sommet, se trouve une église . . .’3)
Le récit part d’un point topical (in quo itinere); l’action de uidi est
suivie de l’information nouvelle—uallem. Cette entité, développée par
une apposition (avec une subordonnée), devient topique (in ea ualle)
pour introduire une nouvelle entité—uicus, qui servira de topique
(in eo ergo uico) pour localiser monticulus; la description continue en
topicalisant ce dernier élément (ibi ). Outre l’enchaînement de topiques,
on remarquera dans ce passage que Égérie construit des phrases
complexes sans former des périodes avec le verbe en position finale.
Seconde partie:
(2) Lecto ergo euangelio exit episcopus et ducitur cum ymnis ad Crucem
et omnis populus cum illo. Ibi denuo dicitur unus psalmus et fit
oratio. Item benedicit fideles et fit missa. Et exeunte episcopo
omnes ad manum accedunt. (24.11-2)
‘L’évangile lu, l’évêque sort; il est conduit avec des hymnes à la
Croix et tout le peuple l’accompagne. Là, on dit à nouveau un
psaume et on fait une prière. Ensuite il bénit les fidèles et le ren-
voi a lieu. Quand l’évêque sort, tous s’approchent à la portée de
sa main.’
Après une indication d’ordre temporel (lecto euangelio), une action
se produit (exit) attribuée à episcopus (entité déjà connue). Le même
personnage est conduit (ducitur) vers un lieu (ad Crucem), servant de
cadre spatial (ibi ) pour les actions suivantes (dicitur, fit); benedicit a
pour sujet episcopus, un sujet maintenu (non exprimé). La cérémonie
terminée ( fit missa), la séquence est clôturée par le procès accedunt
3. Principes de classement
La présente analyse de l’ordre des constituants dans l’Itinerarium
prendra comme point de départ le type syntaxique des verbes en
fonction du nombre de compléments obligatoires (voir Dik 1997;
Pinkster 1995; Happ 1976). Ainsi, séparerons-nous les verbes biva-
lents transitifs (a), les verbes trivalents (b), les verbes bivalents intran-
sitifs (c) et les verbes monovalents (d), exemplifiés ci-dessous. Les
verbes avalents ne se manifestent pas, dans l’Itinerarium, de manière
significative.
(a) benedico {Verbe, Sujet—Actant 1, Objet direct—Actant 2}
(b) dico {Verbe, Sujet—Actant 1, Objet direct—Actant 2, Objet
indirect—Actant 3}
(c) peruenio {Verbe, Sujet—Actant 1, Complément de direction}
(d) uiuo {Verbe, Sujet—Actant 1}
(a) benedicet fideles episcopus (24.6) ‘l’évêque bénit les fidèles’
(b) dixit nobis ipse sanctus presbyter (15.3) ‘ce saint prêtre nous a dit’
(c) peruenimus Edessam (19.2) ‘nous sommes arrivés à Édesse’
(d) rubus uiuet (4.6) ‘le buisson est vivace’
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A1VA2 3 8 11 - 8 8 19
A1A2V 1 11 12 - 6 6 18
A2A1V (1) 3 4 - 2 2 6
VA2A1 - 3 3 - 14 14 17
VA1A2 - 2 2 - 5 5 7
A2VA1 - - - - 2 2 2
Total 32 37 69
A2V 15 3 18 4 7 11 29
VA2 28 18 47 1 24 25 72
65 36 101
Au total 48 48 97 5 68 73 170
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Sanctus ipse réactive un sujet connu, aussi bien que sanctus episco-
pus; duxit sans sujet exprimé témoigne d’un sujet maintenu. En ter-
mes de grammaire fonctionnelle, il s’agit d’un ‘resumed topic’ (voir
Bolkestein 2000, 123), utilisé en particulier pour revenir à la ligne
principale du récit après une digression. Les sujets-topiques peuvent
donc jouir d’une certaine mobilité dans la phrase et occuper une
place ultérieure, sauf celle de focus car ils ne sont pas porteurs de
l’information essentielle (dans ce cas, ce serait la place finale). Sanctus
episcopus dans l’exemple 10 montre, entre autres, qu’il n’est pas néces-
saire de signaler explicitement un sujet de caractère topical même
là où il n’occupe pas la position initiale.
Un constituant peut également avoir la fonction pragmatique de
topique du fait qu’il est déductible du contexte. Ainsi, au départ de
Pharan, Egérie emprunte un chemin par le désert et mentionne les
pratiques des habitués—des Pharanites. On notera que ce type de
sujet n’est pas précédé par un anaphorique:
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facit commemorationem (24.5); iter fecimus (9.4); feci septimana (22.1); fecimus biduum (20.7);
biduanas facit (28.3); fecimus mansionem (23.6). Toutefois, le tour ancien et classique
iter facere montre plutôt l’antéposition (voir Väänänen 1987, 143).
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(34) Tunc dixit nobis ipse sanctus presbyter: ‘In hodie . . .’ (15.3)
‘Alors ce saint prêtre nous a dit: Aujourd’hui encore . . .’
(35) [ Tunc ego requisiui, ubi esset puteus ille . . .] Et ait mihi episco-
pus: ‘In sexto miliario est . . .’ (20.11)
‘[ J’ai demandé alors où était le puits . . .] L’évêque me dit:
L’endroit se trouve à six milles d’ici . . .’
La réactivation du sujet se produit et dans les phrases de type
‘qu’est-ce qui s’est passé après’ (exemple 34) qui apportent en soi une
information, et dans les phrases qui introduisent l’information même
(exemple 35). En effet, dans ce dernier cas, seule la réponse de
l’évêque est importante (qu’est-ce qu’il a répondu); la phrase introduc-
trice (et ait mihi episcopus) n’a pour fonction que de clarifier l’attri-
bution des paroles et pourrait, de ce fait, être supprimée.
Avec les verbes ‘dire’, le bénéficiaire est dans tous les cas exprimé
par un pronom personnel (mihi, nobis) ou par un syntagme (ad me)
placés après le verbe, ou assez souvent omis par l’ellipse contextuelle.
Les verbes ‘demander’ se construisent avec l’accusatif et leur actant
3 est exprimé par un nom ou groupe nominal, ou avec un syn-
tagme prépositionnel (requisiui ab eo). Leur force lexicale impliquant
un échange d’informations entraîne souvent l’expression du sujet à
la première personne par contraste:
(36) Ac sic ergo nos alia die mane rogauimus episcopum, ut faceret obla-
tionem. (16.7)
‘Pour nous, le lendemain matin, nous avons demandé à l’évêque
de faire l’oblation.’
L’actant 2 est, dans la plupart des cas, représenté par une propo-
sition (complétive, interrogative indirecte); elle se trouve à droite de
la phrase et est parfois annoncée par un cataphorique (illud, hoc)
focalisé par etiam en tête de phrase.
(37) Illud etiam presbyter sanctus dixit nobis, eo quod . . . (15.5)
‘Ce saint prêtre nous a dit également que . . .’
A1VA2C 5 occurrences
VA2C 4 occurrences (sans sujet exprimé, une fois à la 1ère
personne)
Le complément de direction obligatoire pour le verbe duco représente
un constituant important à placer. À une exception près, il figure
en position finale de phrase, car il contient l’information importante
servant de cadre spatial pour le développement suivant. Le com-
plément est continué soit par un pronom (38), soit par un syntagme
(39).
(38) Itaque ergo duxit me primum ad palatium Aggari regis et ibi . . .
(19.6)
‘Il m’a conduite tout d’abord au palais du roi Abgar et m’y a
montré . . .’
(39) Duxit nos episcopus ad puteum illum, ubi . . . ad quem puteum cum
uenissemus. (21.1)
‘L’évêque nous a conduits au puits où . . . Dès notre arrivée au
puits . . .’
6. Le passif
Le passif consiste en une réduction de l’actant 1 et peut con-
cerner les verbes bivalents transitifs aussi bien que les verbes triva-
lents. Le tableau suivant montre leur nombre d’occurrences dans la
première et dans la seconde partie:
Tableau 3. Le passif
Première partie Seconde partie Au total
A2V 23 55 78
VA2 29 116 145
10) Trois verbes seuls apparaissant dans la seconde partie ont été éliminés.
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dans la seconde partie (voir infra, 6.2. pour plus de détails). La plu-
part du temps, il est construit à partir des verbes de mouvement
(50 occurrences) et requiert, de ce fait, un complément direction-
nel.11) Ce dernier se positionne de préférence après le verbe (34
occurrences) plutôt qu’avant (16 occurrences).
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(71) Nam ecce ista uia, quam uidetis transire inter fluuium Iordanem
et uicum istum, haec est qua uia regressus est sanctus Abraham . . .
(14.3)
‘Et cette route que vous voyez passer entre le fleuve du Jourdain
et ce village, c’est celle par laquelle saint Abraham est revenu . . .’
10. Conclusions
Les deux parties de l’Itinerarium sont différentes quant au type de
texte: la première décrit des entités et comporte de nombreux élé-
ments assignés comme topiques, la seconde décrit des événements
et le degré de topicalité est plus faible. Cet aspect se manifeste, de
façon importante, dans l’ordre de mots.
En prenant comme point de départ le type de verbes et le nom-
bre de constituants obligatoires et en nous limitant à eux, nous
avons essayé de montrer qu’une telle approche permet de réunir
des constituants syntaxiques différents, porteurs assez souvent d’une
même fonction pragmatique. L’ordre des constituants dans l’Itinerarium
dépend effectivement des fonctions pragmatiques assignées aux con-
stituants. La place postverbale de l’objet—Actant 2 n’est pas re-
quise par des contraintes syntaxiques, mais correspond à la fonction
pragmatique de focus. C’est, par ailleurs, la même place que celle
des compléments de direction ou des sujets dans les constructions
passives. Le fait que l’objet puisse figurer à l’initiale de la phrase
témoigne des libertés de l’ordre des constituants. En outre, les caté-
gories ‘défini’ et ‘indéfini’ ne sont pas associées à un ordre parti-
culier. Dans de nombreux cas, le topique et le focus ne sont pas
formellement dissociés; l’élément ‘connu’ a tendance à se position-
ner à l’initiale, l’élément ‘nouveau’ à la fin, mais leur place ne
garantit pas une telle interprétation. Les anaphoriques et les démon-
stratifs ne font qu’accompagner le topique tout en restant faculta-
tifs. L’Itinerarium ne montre pas un ordre des constituants figé: il s’agit
bien d’un ordre latin.
BIBLIOGRAPHIE