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Comment l’Eglise évangélique a peu à peu
conquis le Brésil politique
PAR LAMIA OUALALOU
ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 20 MARS 2019
Une messe évangélique le 18 octobre 2018 à Rio de Janeiro © Reuters / Ricardo Moraes.
Alors que Jair Bolsonaro se trouve aux États-
Unis ce lundi pour y rencontrer Donald Trump et
sceller l’alliance ultraconservatrice entre Washington
et Brasilia, retour sur la montée en puissance de
l’Église évangélique au Brésil, et son rôle clé dans
l’élection de Bolsonaro.
Ce 12 mai 2016, Jair Bolsonaro est encore un inconnu
pour la majorité des Brésiliens quand il se fait filmer,
tout de blanc vêtu, dans les eaux du fleuve Jourdain.
C’est ici, dit la Bible, que Jésus se serait fait baptiser.
Le député d’extrême droite en fait de même, et c’est au
pasteur Everaldo, président de la formation politique
qu’il vient de rejoindre, le Parti social chrétien (PSC),
qu’il confie la cérémonie.
Réaffirmer sa foi dans les eaux du Jourdain est
devenu assez banal, remarque le professeur de
sciences politiques et théologien Valdemar Figueredo,
directeur de l’institut Mosaico :« Cela fait désormais
partie du paquet touristique d’un voyage en Israël,
mais dans le cas de Bolsonaro, c’est différent », note-
t-il, rappelant que c’est un pasteur issu de l’église
évangélique Assemblée de Dieu qui, au nom de Jésus,
le plonge dans le fleuve.
Jair Bolsonaro se déclare catholique et n’a jamais cessé
de l’être, malgré ce prétendu baptême. Mais ses fils
sont évangéliques, tout comme sa troisième et actuelle
épouse, Michelle de Paula Firmo Reinaldo Bolsonaro,
qui officie comme traductrice en langue des signes
dans des temples où elle traîne fréquemment son
époux. Ils ont d’ailleurs été mariés par Silas Malafaia,
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l’un des pasteurs les plus puissants du Brésil, à
la tête de l’Assemblée de Dieu Victoire dans le
Christ. « Personne n’était conscient à l’époque que
ce baptême constituait le premier acte de campagne
de Bolsonaro. C’est à partir de ce moment qu’il
surgit d’Israël, comme le Messie, qui est d’ailleurs son
second prénom », fait remarquer Valdemar Figueredo.
Jair Messiah Bolsonaro est le premier président
chrétien tenant un discours évangélique pentecôtiste à
être porté par le vote populaire au palais présidentiel
du Planalto. Sa première apparition publique, le 28
octobre 2018, après l’annonce de sa victoire, prend la
forme d’une prière, dirigée par le pasteur Magno
Malta et retransmise en direct sur tous les écrans.
Dans la foulée, l’élu prononce un discours dans lequel
il place explicitement son mandat sous la tutelle du
Dieu chrétien, rappelant sa devise de campagne : « Le
Brésil au-dessus de tout, Dieu au-dessus de tout. » Ce
slogan, précise-t-il, il est « allé le chercher dans ce
que beaucoup appellent la boîte à outils pour réparer
l’homme et la femme, c’est-à-dire la Bible sacrée ».
Un acte de reconnaissance qui s’explique par l’analyse
des chiffres de l’élection. Bolsonaro a emporté le
second tour avec 57,8 millions des votes valides (soit
55,13 %), contre 47 millions pour Fernando Haddad,
le candidat du Parti des travailleurs (PT) (44,87 %).
Une différence de 10,76 millions de voix.
L’écart est peu ou prou celui prédit trois jours avant
le scrutin par l’institut Datafolha. Les enquêteurs
avaient alors ventilé les réponses par religion, en
considérant le poids de chacune d’entre elles dans
l’électorat, avec notamment 56 % pour les catholiques,
30 % pour les évangéliques, 7 % pour les « sans
religion », et 1 % pour les religions afro-brésiliennes,
etc.
Dans la réalité des urnes, les catholiques se divisent
entre les deux candidats, avec un léger avantage pour
Bolsonaro, alors qu’Haddad s’impose chez les fidèles
des rites afro-brésiliens et chez les « sans religion ».
«Mais ce qui fait véritablement la différence, ce sont
les évangéliques, avec un fossé de 11 millions de voix
en faveur de Bolsonaro au sein de cet électorat »,
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analyse José Eustaquio Diniz Alves, démographe à
l’École nationale des sciences statistiques de Rio de
Janeiro.
Onze millions de voix, c’est l’équivalent de l’écart
entre les deux candidats au second tour. «Même si
les évangéliques représentent moins d’un tiers de
l’électorat, leurs leaders récoltent les fruits d’années
d’activisme politique, et leur vote a été décisif
en 2018 », poursuit-il. Comment expliquer cette
concentration des voix ? D’abord par la dynamique
démographique. Le Brésil connaît une transition
religieuse accélérée, unique au monde pour un pays
d’une telle dimension.
Une messe évangélique le 18 octobre 2018 à Rio de Janeiro © Reuters / Ricardo Moraes.
En 1970, neuf Brésiliens sur dix se disaient
catholiques, mais ils n’étaient plus que deux tiers
en 2010. Si cet effondrement reflète une plus
grande diversité religieuse, il a essentiellement
profité au groupe qualifié d’« évangélique », qui
regroupe les protestants traditionnels, dont le poids
ne varie guère dans la population, et les fidèles des
églises pentecôtistes et néopentecôtistes. En 2010, ils
atteignaient 22,2 % de la population. Une évolution
qui s'explique notamment par le rôle actif des pasteurs
dans des zones abandonnées par l’État.
L’Institut brésilien de géographie et de statistiques
(IBGE) organise tous les dix ans un recensement
de la population ; le prochain aura lieu en 2020 et
nous n’en connaîtrons le résultat qu’un ou deux ans
plus tard. En attendant, les démographes dépendent
des enquêtes effectuées au cours de la décennie par
des instituts privés nationaux (comme Datafolha)
ou étrangers (PEW, Gallup, Latinobarômetro entre
autres). « Évidemment, ce n’est pas comparable avec
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la précision de l’IBGE, mais tous indiquent que le
basculement de religion est en voie d’accélération »,
pointe José Eustáquio Alves.
Le chercheur souligne qu’entre 1990 et 2010, la
population catholique perdait 1 % de fidèles par an,
alors que les évangéliques augmentaient de 0,7 %.
Le déclin du nombre de catholiques semble avoir
atteint 1,2 % par an depuis 2010, alors que le gain
des évangéliques serait passé à 0,8 % par an. « Si on
projette ces chiffres dans le futur, cela signifie que
les catholiques représenteront moins de la moitié de
la population dès 2022, l’année du bicentenaire de
l’indépendance du Brésil », résume José Eustáquio
Alves. Dix ans plus tard, ils seraient déjà minoritaires :
38,6 % de catholiques contre 39,8 % d’évangéliques.
Or, les analyses montrent des corrélations entre
évangélisme et vote en faveur de Bolsonaro. Ainsi,
les États de la fédération où les évangéliques ont
le plus avancé (Rondônia, Roraima, Acre et Rio de
Janeiro) ont offert à l’ex-capitaine de l’armée une
victoire spectaculaire. Les seuls États où Fernando
Haddad l’a emporté sont ceux du Nordeste, où la
présence des évangéliques est moins importante. Le
Piauí est un cas d’école, avec la plus faible proportion
d’évangéliques nationale et le meilleur résultat du
Parti des travailleurs. Bien sûr, la variable religieuse
n’explique pas tout : l’État de Santa Catarina, dans
le sud du pays, est peu évangélique, mais a acclamé
Bolsonaro le jour du scrutin.
Plus présents partout sur le territoire, les évangéliques
ont voté en masse pour un seul candidat, et ce dès
le premier tour, un fait inédit au Brésil. « Même
les protestants traditionnels, comme les luthériens,
les baptistes et presbytériens, ont joué la carte
Bolsonaro, s’étonne Valdemar Figueredo, soit en
appelant clairement à voter pour lui, soit en affichant
une neutralité dont personne n’était dupe. Pourtant,
jusque-là, ils ne votaient pas comme les pentecôtistes.
» En outre, l’offre électorale était importante, à
commencer par l’écologiste Marina Silva, membre de
l’Assemblée de Dieu, qui avait attiré près de 20 %
des voix en 2014. À droite, côté vers lequel le vote
évangélique penche, plusieurs figures évangéliques
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étaient aussi en course, comme le gouverneur de l’État
de São Paulo Geraldo Alckmin, candidat malheureux
contre l’ex-président Luiz Inacio Lula da Silva en
2006.
« Théologie de la prospérité »
En septembre 2018, quand le Parti des travailleurs
reconnaît enfin que Lula, en prison depuis avril, ne
pourra pas être candidat, il lance dans la précipitation
son dauphin, Fernando Haddad, un professeur de
sciences politiques au profil progressiste. Du pain
bénit pour les leaders évangéliques, qui s’étaient déjà
attaqués à lui en 2011, lorsqu’en tant que ministre
de l’éducation de Dilma Rousseff, il avait essayé
d’instaurer un guide contre l’homophobie dans les
écoles.
Le pasteur Silas Malafaia avait qualifié le matériel
didactique de « kit gay », assurant que l’objectif
du gouvernement était de convertir les enfants à
l’homosexualité. À l’époque, c’est le député Jair
Bolsonaro qui vociférait le plus contre cette initiative,
symbole de la dépravation du Parti des travailleurs.
Dilma Rousseff avait aussitôt ordonné une marche
arrière. Mais l’expression « kit gay » n’a cessé
d'être utilisée depuis et durant la campagne de 2018,
accompagnée de montages diffusés sur les réseaux
sociaux montrant notamment des bébés nourris dans
des crèches publiques avec des biberons en forme de
pénis.
La majorité des évangéliques a choisi son camp.
Jair Bolsonaro se présente comme celui qui va en
finir avec le système politique traditionnel, représenté
notamment par le candidat Geraldo Alckmin. Il a aussi
capté la puissance du rejet du PT, présenté depuis des
années par la presse et la justice comme le parti de la
corruption.
Ses proches ont aussi pris conscience de la
sourde vague qui remue le Brésil contre ce qui
est qualifié de manière méprisante d’« ère des
droits », ceux des femmes, des Noirs, des Indiens,
des homosexuels…, en clair, des minorités. Et
cette détestation est savamment travaillée depuis
des années dans les temples évangéliques. Avec
Bolsonaro, les fidèles trouvent un porte-parole, qui
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est également reconnu comme « chrétien » par la
frange conservatrice des catholiques, avec l’appui de
personnalités comme l’archevêque de Rio de Janeiro,
le cardinal Orani João Tempesta.
Le candidat Jair Bolsonaro avec l'archevêque Orani Tempesta après un
meeting à Rio de Janeiro, le 17 octobre 2018. © REUTERS/Ricardo Moraes
Le PT incarne les politiques progressistes envers
les minorités. Il prend aussi le visage de
l’interventionnisme de l’État, désormais décrié. Pour
José Eustaquio Alves, « les leaders du PT n’ont
pas compris que les périphéries n’adoptaient plus
l’idéal d’un État très présent dans l’économie, et là
encore, la droite et les églises évangéliques en ont
profité en mettant en avant un esprit d’entreprise
populaire ». Pourtant, le parti avait en main, dès
2017, une enquête sur les valeurs en vogue dans
les quartiers pauvres de São Paulo, réalisée par son
propre think tank, la Fondation Perseu Abramo. Il
en ressortait une célébration de la consommation, de
l’esprit d’entreprise et des églises évangéliques.
Anthropologue à l’université d’Unicamp, à Campinas,
une ville universitaire proche de São Paulo, Ronaldo
de Almeida tempère ce prétendu libéralisme des
périphéries. « Avec la crise économique, on a tout mis
sur le dos du PT, mais les personnes qui survivent
dans la précarité, coupant des cheveux le matin et
conduisant un Uber l’après-midi, ne sont pas contre
l’action de l’État mais contre un État qui, estiment-
elles, ne fait rien pour elles, préférant s’occuper des
misérables, et des “minorités”, comme des LGBT »,
dit-il.
La campagne de Bolsonaro comprend vite le courant
croissant d’une grande partie de l’opinion contre
les politiques compensatrices de l’État qui ont pour
objectif de réduire la pauvreté. L’allocation « Bolsa
Familia » versée aux plus pauvres et la discrimination
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positive en faveur des Noirs dans les universités sont
montrées du doigt comme favorisant la paresse aux
dépens des méritants et de l’initiative individuelle.
La « théologie de la prospérité », concept
évangélique par excellence, renforce le rejet d’un
État interventionniste. Elle met en avant le mérite
individuel, soulignant que l’accumulation de biens
matériels est le signe de la présence de Dieu dans
la vie. Une ascension qui repose sur un esprit
d’entreprise constamment célébré dans les temples
évangéliques. « Cette conception a trouvé un terrain
d’épanouissement dans le contexte d’informalité et
de précarisation du travail qui s’installe avec les
récessions des années 1980 et 1990 au Brésil»,
souligne Ronaldo de Almeida.
« Cela ne veut pas dire que les évangéliques n’ont
pas profité des programmes sociaux mis en place
par les gouvernements du PT, mais que la prospérité
matérielle est vue comme le résultat des sacrifices
financiers sous forme de dons à l’Église et de l’esprit
d’entreprise », dit-il. D’ailleurs, les enquêtes montrent
régulièrement que les Brésiliens attribuent leurs succès
à Dieu, et au gouvernement leurs difficultés. Ils y
étaient même poussés par la rhétorique des années
Lula, qui faisait de l’augmentation de la capacité de
consommation de la population le principal critère de
progrès social, au lieu de mettre en avant les principes
d’égalité et de protection sociale.
Les scandales de corruption, l’incapacité du PT de
reconnaître ses erreurs et le matraquage médiatique
et judiciaire font le reste. Dans plusieurs temples, le
Parti des travailleurs est littéralement présenté comme
Satan. « Aujourd’hui, ce n’est pas que les pauvres
soient convaincus par les privatisations et la réduction
des droits des travailleurs, c’est qu’on leur a répété
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que c’est la seule option, sinon le Brésil deviendrait
le Venezuela, et ils le croient », conclut Ronaldo de
Almeida.
Jair Bolsonaro juste après avoir été poignardé pendant un rassemblement
de la campagne présidentielle brésilienne, à Juiz de Fora dans l’État du
Minas Gerais, le 6 septembre 2018. © REUTERS/Raysa Campos Leite
Le coup de couteau dont Jair Bolsonaro est victime,
le 6 septembre 2018, lui profite doublement. Il en
ressort auréolé d’une image de survivant, soulignée
avec brio par un discours religieux. Surtout, l’attentat
lui permet d’échapper aux débats face aux autres
candidats, alors que son incapacité de développer un
raisonnement laissait espérer qu’il apparaîtrait à la
population comme un choix inconsidéré.
D’ailleurs, à quatre jours du premier tour, alors que
ses adversaires s’écharpent en direct sur la Globo, la
principale chaîne du pays, Bolsonaro donne depuis
son domicile une interview exclusive et complaisante
à la Record, deuxième chaîne brésilienne et principal
outil médiatique de l’une des plus puissantes, et
la mieux organisée, des églises évangéliques du
pays, l’Assemblée universelle du royaume de Dieu,
communément appelée « l’Universelle ». L’entretien
scelle un pacte entre Jair Bolsonaro et Edir Macedo, le
leader de l’Universelle.
« C’est un choix purement pragmatique, l’Universelle
n’est pas, au contraire des autres, dans une bataille
pour des valeurs conservatrices, comme l’interdiction
de l’avortement », souligne la sociologue Maria das
Dores Campos Machado, spécialiste des questions de
mœurs et de religion. « Mais Edir Macedo ne veut pas
perdre la bataille du pouvoir, y compris celle qui fait
rage entre les églises évangéliques ; il se positionne en
tant que chef d’entreprise, la Record va y gagner en
publicité institutionnelle, en législation favorable ou
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en effacement de ses dettes par le gouvernement. Tout
cela n’a rien à voir avec des questions républicaines
ou théologiques », poursuit-elle.
L’appui de l’Universelle est crucial. Il implique un
discours répété par des centaines de pasteurs dans
tout le pays, relayé par les chaînes de télévision, les
radios et les sites internet du groupe. « Edir Macedo
offre aussi sur un plateau les données de ses fidèles
et des réseaux sociaux WhatsApp, d’une capillarité
incroyable et inestimable », précise Maria das Dores
Campos Machado. Ce qui circule obéit toujours à la
même rhétorique, celle de la peur, de l’effondrement
de l’ordre et de la famille. « Et cela va bien au-delà des
classes populaires. Même dans les classes moyennes,
tout le monde a un membre de sa famille qui reçoit et
relaye ces images et discours, le plus souvent des fake
news », ponctue-t-elle.
La victoire de la stratégie des « alliés des
évangéliques »
Un frère vote pour un frère, dit-on dans les temples,
présentés comme de gigantesques fraternités. « Bien
sûr, ce n’est pas automatique, mais les enquêtes
montrent que les évangéliques ont, plus que le reste
de la population, le sentiment que leurs pasteurs sont
leurs relais dans le monde politique, estime Ronaldo
de Almeida. Et ce lien de confiance se traduit en report
de voix dans les urnes. »
Cet engagement ne se traduit pas non plus par
une conduite absolument grégaire. Une quarantaine
de députés évangéliques n’ont pas été réélus
l’année dernière, jugés inefficaces, corrompus ou
représentatifs de la vieille politique. Magno Malta, le
pasteur qui a dirigé la prière de la victoire de Bolsonaro
et qui avait même été envisagé par ce dernier comme
candidat à la vice-présidence à ses côtés, a perdu son
pari de rempiler pour un nouveau mandat au Sénat.
Mieux, cette figure de l’homophobie a été battue
par un candidat ouvertement gay. Comme disait le
chanteur brésilien Tom Jobim, « le Brésil n’est pas un
pays pour débutants ».
Le soir du 28 octobre, les analystes politiques ont
rivalisé de métaphores météorologiques pour qualifier
l’élection de Bolsonaro, de la tempête à l’ouragan,
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en passant par le tsunami. Une façon d’expliquer que
sa victoire résultait de la conjonction des efforts d’au
moins trois groupes : les militaires, les néolibéraux
et les évangéliques. Certains admettaient même la
complaisance complice des médias et de l’appareil
judiciaire, le tout dans un contexte d’effondrement
de la gauche. Pour Ronaldo de Almeida, la victoire
du capitaine réformé n’est pourtant pas une surprise.
«Nous avons déjà vu ce film à Rio de Janeiro, deux ans
auparavant», explique-t-il.
Le sénateur Marcelo Crivella dans un bureau de vote à Rio de Janeiro, juste avant
son élection comme maire, le 30 octobre 2016. © REUTERS/Ricardo Moraes
Jusqu’en 2016, il semblait impossible qu’un
évangélique s’impose à la tête de la deuxième ville
du pays, la capitale du carnaval et de la plage. Les
évangéliques étaient très présents dans le reste de
l’État, mais la métropole semblait résister, comme une
exception. Le sénateur Marcelo Crivella, par ailleurs
évêque de l’Église universelle et neveu du leader
Edir Macedo, a mis fin à cette idée reçue en attirant
l’essentiel des électeurs avec un discours mêlant rejet
du PT, guerre contre l’« idéologie de genre » et remise
en question du rôle de l’école, présentée comme
centre de promotion du marxisme et de la dépravation
sexuelle.
Sa victoire met aussi à bas l’idée selon laquelle
l’activisme politique des évangéliques leur permettrait
de s’imposer au niveau législatif – fédéral et régional
–, mais qu’ils seraient incapables d’emporter des
mandats majoritaires – maire, sénateur, gouverneur
ou président. C’est aussi le cas de Wilson Witzel,
qui, à partir du moment où il a été adoubé par les
grands pasteurs, est passé en quelques semaines de 3
% des intentions de vote à la victoire lors de l’élection
au poste de gouverneur de l’État de Rio de Janeiro.
Là encore, il s’agit d’un catholique aux références et
métaphores évangéliques.
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Chargée par l’Institut des études de la religion (ISER)
et la Fondation Heinrich-Böll d’analyser les résultats
des élections de 2018 dans les États de Rio de Janeiro
et São Paulo, Christina Vital, professeure à l’université
fédérale Fluminense (Niteroi), est parvenue à la
conclusion que l’émergence de personnalités comme
Witzel et Bolsonaro est le résultat d’une stratégie
qu’elle baptise « Alliés des évangéliques ».
Depuis 1989, le nombre de pasteurs candidats au
Parlement ne cesse d’augmenter, faisant un bond de 40
% entre 2010 et 2014. En 2018, on relève une nouvelle
progression, mais beaucoup moins spectaculaire : 8,2
%. Car ce qui a explosé, c’est le nombre de candidats
ayant une base religieuse, sans pour autant avoir une
place dans la hiérarchie religieuse. Bolsonaro en est
le meilleur exemple, avec une identité clairement
évangélique, tout en étant incapable de citer la Bible
sans se tromper.
Dans un entretien accordé peu après l’élection au site
d’investigation brésilien Agência Pública, Christina
Vital précise qu’à Rio de Janeiro et São Paulo, les
candidatures confessionnelles n’ont représenté que 46
% des candidatures religieuses (122 sur 260). Autre
nouveauté : de nombreux prétendants n’étaient pas liés
aux formations politiques traditionnellement proches
des églises – le Parti républicain brésilien (PRB) à
l’Église universelle et le Parti social-chrétien (PSC)
à l’Assemblée de Dieu – mais au Parti social-libéral
(PSL) qu’avait rejoint Bolsonaro.
Pour la sociologue, les évangéliques ont tenté
de s’associer à des identités professionnelles, en
particulier celles liées à la justice et à la sécurité
publique. « Cela vient certainement de l’observation
qu’il y avait dans la société une demande autoritaire
et un poids spécial de la justice dans les médias avec
l’opération Lava Jato», déclare Christina Vital dans
l’interview, en référence au scandale révélé au sein de
l’entreprise nationale d’hydrocarbures Petrobras.
L’alliance est d’autant plus naturelle qu’il y a des
années que les temples ont adopté un discours
très conservateur sur les questions de sécurité, en
faveur du rabaissement de la majorité pénale, de
l’alourdissement des peines de prison ou de la
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facilitation du port d’armes, et d’une plus grande
action répressive de l’appareil de sécurité de l’État.
Présenter des « alliés des évangéliques » plutôt
que des religieux permet ainsi de surmonter le rejet
que rencontrent les évangéliques dans les couches
plus favorisées et éduquées. Pour cette partie de
la population, Bolsonaro est un député du monde
militaro-sécuritaire, Witzel est juge, on ferme les yeux
sur leurs amitiés avec les plus rétrogrades des pasteurs.
Une stratégie très efficace à en juger par les résultats
dans les deux premières villes du pays. Des 260
candidats estampillés « religieux », 23 % ont été élus.
Les évangéliques représentent 13 % de l’Assemblée
municipale de São Paulo et 24 % de celle de Rio de
Janeiro. Plus impressionnant encore, relève Christina
Vital, «pratiquement 30 % des députés fédéraux de Rio
sont évangéliques ».
Le scrutin de 2018 a démontré que les évangéliques
sont profondément ancrés dans le paysage électoral,
tant au niveau législatif qu’exécutif. Certes, tous les
conservateurs ne sont pas évangéliques et tous les
évangéliques ne sont pas conservateurs – 30 % d’entre
eux ont tout de même voté pour Fernando Haddad
en octobre 2018, soulignant la diversité interne de cet
univers religieux. Il n’en demeure pas moins, pour
reprendre les mots du sociologue Ronaldo de Almeida,
que «la tendance évangélique la plus hégémonique est
constituée par cette vague conservatrice en cours au
Brésil, et qu’elle y contribue». Et son empreinte sur la
société est d’autant plus grande que l’Église catholique
est divisée, une partie de sa hiérarchie adoptant sans
état d’âme les positions du chef d’État d’extrême
droite, y compris les plus violentes.
Reste à savoir quel sera l’impact politique de cette
mouvance chrétienne dans les quatre prochaines
années. Son poids au sein du gouvernement est réel,
mais une partie des militaires, majoritaires autour
de Jair Bolsonaro, font déjà sentir leur malaise, à
commencer par le vice-président, le général Hamilton
Mourão. C’est également le cas de l’élite néolibérale,
qui n’adhère pas à la totalité de l’agenda conservateur
des Églises.
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« Ce qui est clair, c’est qu’il y a une acceptation des
évangéliques dans la société beaucoup plus grande
qu’auparavant, leur capital social et politique est
plus large, tout comme leur influence », s’inquiète
Maria das Dores Campos Machado. Elle estime que
les minorités doivent s’attendre à des attaques tant
sur le terrain législatif que dans la rue ou dans les
espaces d’éducation. Le démographe José Eustáquio
Diniz Alves est du même avis : « Il n’y a pas de
doute que nous sommes dans un cycle qui, au moins à
court et moyen terme, favorise l’influence évangélique
au Brésil, et avec elle, une vague conservatrice qui
s’étend à tous les domaines», conclut-il.
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Lamia Oualalou, spécialiste de l’Amérique latine, a
été correspondante de Mediapart au Brésil de 2008
à 2016. Ses articles peuvent être retrouvés ici.
Elle a publié en février 2018 un livre sur le poids
des Églises évangéliques au Brésil, Jésus t’aime !
La déferlante évangélique (éditions du Cerf), dont
les bonnes feuilles peuvent être lues ici. Elle vit
aujourd’hui au Mexique et travaille pour l’Icrict, une
ONG qui se bat contre les paradis fiscaux et pour une
meilleure taxation des grandes transnationales.
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