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'fSji~No&n~ÏtM~eM~
L'ÏNFLUENCE DE MONTAÎGNE
:SUR r
L~ PËDÀGOGIQUES
de~~tiKE et de ROUSSEAU
P!ËRRE VttJLEY :l
MaKMdeCoaf6reaces&t'Un!verstt6deCMn
L'E~E MONTAIGNE
=
~pt~
t.E~Î)ÉES PÉDAGOGIQUES
de LOCKE et de ROUSSEAU
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET C"
79,BOULEVARD 79
SAtSI'-CERMAtK,
t9it
Droits de traduction et de reproduction réservés
DU MÊMEAUTEUR
SOUS J~BE-SSE
EN f~~p~RAr/ON
(i) Celle de <744, qni ne diftëre des précédentes que par un petit
nombre de corrections et par l'addition de quelques notes 11 y
a lieu d'observer que l'édition di737, bien qu'elle porte te titre de
Cinquième édition, n'est en réalité que la reproduction de la
quatrième, ceite de i7M. J'en dirai autant des exemplaires qui
pottenttàdate de 1743. Coste a présenté t'édition de 1744 comme
la cinquième qu'it ait revue et corri~ëe. On y lit en note, au
paragraphe Vt « C'est ce que faisait constamment le célèbre
chevalier Newton, comme it me t'a dit )ui-même quetques années
avantsitmort. B
PREMIÈRE PARTIE
S~CEMtESOEJO~~MCKE
~=~
CHAPITRE PREMIER
~oataigne et ~oe~e
(t)L~traductton deFiorioavaitétér~Rnprimée
en1613et en 1632.
(2)Il y est restépendantprèsdequatreans(t6T6M79), partageant
sontempsentrePariseUemidide la Prance.Précédemment à cette
époque,il y avaitfait decourtsvoyagesen M68et 167iApartirde
M73ii s'appliquaa t'étudede la JaLOgue et certainement
française,
it la lisaitsanspeine.
(3)VpirKt!<8,<Ae J,~ <~ Jo/tM LocA'<*tct<A e.r<<'<M<s ~-<~ A~
cO~MS/)0~(<eM<;c,
coilï,é8pondencoe yoMf/ta~ anci
journal,4 bool,:s, 183t),
<tM(<eoNtfKOM-/)<ttee&oots,
contrnon-place MM, t. t.t, 1,
p. 296.
~i~
~=s~V~YW^
WUt,xm.Mdébut.
(2)« !)t,tv,S t wilinothèretroublemysetfto provethat ail
termsare notdettnabte, ft'omthat progressin intinitum,wtchit
wittvtstMy ie~dustnto,tfAveshoatd aHowthataitnamcscontdbc
deOaed." »
(3)nt. M,éd. Jouaust,t. VU,p. 0
;7
(l)Ut.<3,p. 6-7.
(S)tV,xx,B. « Thereis a. dtffct'cnce
of degrees)n tnen'sxn.
dM'stnadiHRSt appréhensions,MdreMontngs.to
Mgréât tt httttMdc,
thatooemay,wtthoutdotngtnjuryto mantdnd.atMt'm, th:tttherc
ts a grenterdistancebetweensomomonandothersin thtst'uspect.
thanbetwcchsomentcttandsorncbcMta.
Iw
prëctsedéj~supMen~~
elle tes réaoxMnsëparsës de Montaigne.
Je N'en dirai pas autantde ses idées pëdagogiquos.
Ce que Loc&e nte semb~e~ appr8cié citez'
Montaigne, c'est sou art de guider l'esprit dans
la recherche de la vérité, sa prudente méthode, sou
hygiène intellectuelle, si je puis dire, pour former
et conduire Je jugement dans ta bonne voie. tl
rappelle en cela sou compatriote Bacon qui, certai-
nement, a pronte des idées de Montaigne plus
pour construire sa méthode expérimentale que
lorsque! écrivait ses propres essais. ALocke comme
à Bacon. Montaigne apparaît surtout comme un
homme de jugement et de bonsens, très avisé pour
échapper à l'erreur, très souple pour se dégager des
préjugés, très psychologue pour communiquer aux
autres les procédés par lesquels il a su se mettre en
garde contre les causes ordinaires d'erreur. Aussi
je retrouve des conseils chers à Montaigne dans un
petit opuscute que Locke a intitulé ~e c~M~
«!e~spr~~<s~r6c/tcrc/te~e/a!
Je ne m'attarderai pas à analyser cet opuscule
dont la composition est sans doute de plusieurs
années postérieure à celle des l'enséesSM~' ~'c~MM~oM.
Presque à chaque page, irrésistiblement il évoque
le souvenir de Moutaigue et de Bacon. C'est le plus
attachant des écrits de Locke par la {inesse de
l'observation etsa pénétrante justesse. N'y cherchez
pas uu traité dogmatique, solidement composé. Ce
n'est qu'une collection de remarques sur les défauts
Habituels (te l'esprit &t~e conseils pour les éviter.
Loche a reconnu M-ïnônM) j(i) qu'en tout ceci,
!'auteur du A~ôcMtM c~a~MW était son devancier. Le
ton, simple et famitier, est beaucoup plus celui de
Montaigne que celuide Bacon. Le but aussi qu'il se
propose est non de faire avancer la science, ce qui
~st ta préoccupation constante de Bacon, mais de
``
disposer !ës esprits à la recëv ef\ie les'habityer à
raisonner juste dans~le cours ordinaire de la vie.
Ënnn parmi tou~s les recettes que donno Locke~`
beaucoup se trouvaient déjà dans les jEssotM.
Certes on n'y retrouvera pas le môme ë!oge des
tmathématiques. Aux yeux de Locke, l'étude des
mathématiques est la plus fructueuse des disciplines
pour l'esprit. Il voudrait voir les gens du monde en
iaire leur distraction ordinaire et y consacrer une
bonne partie de leurs loisirs (2). Que de points
communs en revanche! Critique du principe d'au
torité, haine du pedantisme, souci de cultiver le
jugement bien plus que la mémoire, de le défendre
contre les passions, de l'obliger à examiner ses
principes, de !e meubler d'idées justes et nom-
breuses, de te tenir à l'abri des ergotismesde l'école,
grande importance attachée à la lecture et même
manière de la comprendre, etc.
Il faudrait faire de nombreuses citations pour
mettre en évidence ce paraUélisme entre tes méthodes
~t)Vofrpar. 1.
(2)Par.3.
que Montaigne et I<ockepréconisent pour condmre
t'esprit. Je me contenterai de l'avoip indiqué. Rarë-
tnent d'aiiieurs a la ressemblancedes idées s'ajoute
une similitude frappante dans l'expression, qui
prouve rinnuence directe de Montaigne. Pourtant
quand Locke, tourne en dérision, corn meMontaigne
aimait tant à te faire, Jes pédants qui ~vee ieurs
ergotismes et leurs fausses méthodes parviennent a
démon trer tou tes ies fan ta isies de !eu rs J maginati ons
niata~des, fise souvien~ôvidentmpM des Bssa~. « Un
atchimiste, écrit-it,a!!égorisera toute ïa Bible et il y
trouvera !a pierre pbi!osophate dans les mystères
que Dieu nous a révélés (i))). I! avait lu dans
l'Apologie de Se&oM<?e« ïî n'est aucun sens ny
visage, ou droict, ou amer, ou dur, ou courbe, que
l'esprit humain ne trouve aux escrits qu'il entre-
prend de fouiller. En la parole la plus nette, pure et
parfaicte qui puisse estre, combien de fauceté et de
mensonge a Ion fait nais're ? QueIle hérésie n'y a
trouvé des fondements assez et tesmoignages, pour
entreprendre et pour se maintenir. Un personnage
de dignité, me voulant approuver par autbot ité cette
queste de la pierre philosophale où il est tout
piongé, m'aHegua dernièrement cinq ousix passages
de la Bibie, sur lesquels il disoit s'estre première-
ment fondé pour !adescbarge de sa conscience (car
it est de profession ecclésiastique) et, a ta vérité,
l'invention n'en estoit pas seulement plaisante, mais
(l)Piir.S.
2
–~8'- =
encore bien proprement accpmmodëo à la décence
de cette belte science (i) H. Je~r~ et~£are,:
chez l'un et chez l'autre une même image pour
exprimer l'inconstance des hommes. « SembIaMes
au camétéou, dit Locke, ils prennent la couleur de
tout ce qui tes environne et ils en changent sitôt
qu'un nouvel objet les approcher) a. Montaigne
avait écrit de môme « Nous. changeons comme
ce~animal qui prend la couleur lieu où on le
couche (3) M..
Quoi qu'on veuille penser de ces dëtaits et de
quelques autres qu'on y pourrait joindre, il ne
pourrait en aucune sorte être question de prétendre
que Locke a fait des emprunts à Montaigne, qu'il
l'a imité volontairement. Je crois seulement qu'il
s'est nourri des Essais et qu'il a profité de leurs
leçons pour élaborer ses propres idées. Peut-être ne
les relit-il plus à !a fin de sa carrière: il semble être
assez loin du texte de Montaigne et n'en retrouve
plus les mots. Mais l'identité des idées fait supposer
qu'à une époque quelconque un commerce a existé
entre ces deux esprits. C'est une impression qui
s'impose fortement à la lecture de l'essai s:M*
conduite de <'esprK. Nous serons disposés à nous y
(1)~,12,éd. de Bordeaux,
p. 346.
(2) Par. 27.
(3, H, 1. éd. de BordeaMf, p. 3. Remarquons toutefois que Mon-
ta)f!<)o doit cette im~ge a Ptntarqne. Locke pn la prendre (itrec-
temeut chez Plutarque. Toutefois, comme it ne semble pas tire
ordimm'ement Ptutarque, it n'est pas improbable q<Ht la doit à
Montaigne.
i9.
~e~ertaths eMants~s~td'un~n~
qu'on ne peut pas en venir à bout par la douceur.
Il «appréhende bien que cette objection ne vienne
que des collèges; et d'une coutume invétérée qui a
empêché d'éprouver les voies de douceur avec les
précautions nécessaires dans lesoccasions où l'on
pourrait les mettre en usage(i) H.« Les châtiments
rudes ne sauratentprpduire que fort peu de bien,
etitscansënt au contraire beaucoup de mal et je
suispersuadé qu'à tout prendre, on trouvara~
ïes enfants qui ont été fort châtiés deviennent
rarement gens de bien (2) H.Je ne yeux pas « disait
Montaigne de son disciple )) qu'on l'abandonne à la
colère et humeur métancbotique d'un furieux
maistre d'escote.ny ne veux gaster ses meurs
généreuses par l'incivilité et barbarie d'autruy(3)M.
H montre ailleurs (4) que les châtiments sont
infligés le plus souvent avec passion, et que !a
passion leur ôte' toute valeur. C'est une idée que
Locke a reprise et développéeà son tour « Comme
(2) Ch. nî. par. 44. « am very apt to think that great severity
of punishment does but very tittte good, nay, gréât harm, in
éducation; and t betieveit wi!ibe found that, eœteris paribus,
those children, who have been most chastised, seldom make thé best
men. x
(i)n.8,éd.deBordeaux.p.2TS.
(9y I. 36,
(3) 2S, éd,
éd. de tlordeaa~, p. 3ib:.
Bordeaux, p. 2H.
(3) i[, 8, p. ~S.
une méthode de djou~r~a'on leur a souvent
reprochée, pour poser en principe qu'on ne doit
rien imposer aux enfants ou presque rien, qu'il ne
faut leur demander de faire que ce qu'ils ont ptaisir
à faire, et seulement dans le temps où ils ont
le
ptaisir à le fa)re (i}. On se souvient combien
>
père de Montaigne s'était mon~
sur ce point faisait réveittèr te jeune Michet en
musique {2) pour tur épargner des tmpM
péniMes, iï ïmàginaur des jjeux afin dé lui ïàîre
apprendre !e grec sans enort. « ï! avoit esté conseiHé
de me fatre gouster!asc!euceet le devoir par une
votonté non forcée et de mon propre desir, et
d'eslever mon âme en toute douceur et liberté, sans
rigueur et sans crainte (3) ». EUeuis se !oue de cette
méthode, où il trouve autant de prudence que
d'affection. Locke pose le mômeprincipe avec autant
de fermeté. « Le vrai moyen d'enseigner aux enfants
ces sortes de choses, c'est de leur inspirer de
l'inclination pour ce que vous voulez leur faire
apprendre, car par là vous exciterez leur industrie
et les engagerez à faire tous leurs efforts pour
réussir dans ce que vous leur proposerez. faut
premièrement faire en sorte que rien de ce qu'on
veut apprendre aux enfants' ne leur 'devienne
onéreux, ou ne leur soit imposé comme une tâche à
& little Latin and Greek, how many years are spent in it, and wliat
a noise and business it makesto no pnrpose, t ean hardiy forbear
thinking that tho parents of ctntdren stiti live in fear of thé
schootmiistet-'s rod, which they look on as thé only instrument of
éducation; as a langaage or two to be its whoie business. Howelse
is it possibte HMt a chiid shonid be ctmined to ttte oar seven, eigth,
or ten of thé best years of his life, to get a language or two, which
1 think mtght bc !)ad at a great deai cheaper rate of pains and time
and be learned almost in ptay ? x»
(<) Ch. XXHt, par. 168. « Can there be anything more ridicutous
than ttctt a fatitershottid waste hisownmoney. andhisson's timo
in settiug him to ieitm t))e Itoman tangnage, when at ttte same time
lie designs ttitu for a trade, wherein lie havittg no use for Latin
faits not to forget that little which be brougitt from schaul, aud
whtch tt is ton to one he abhot's for thé i!) usage it procured hitn? a»
(3) Ch. XXitf, par. iû8. « Latin 1 looli upon asabsotutcty necessary
to a genttcm.tn
-36
(Otbtd.
(3)ï. 90,M. de Bordeaux,
p.9i8.
(!!)Ch.XXUt.8eti?9.
-~a~
davantage h<panYrë~ë<!e~~ o.
Montaigne avait lait une remarque anatogue &
propos des écrivains de son temps. « Les escrivains
indiscrets do hostre siècle, qui,p~ v.
de néant, vont semant des lieux entiers des anciens
autheurspourse taire honneur, font le contraire.
Car cett' innnie dissemblance de lustres rend un
visage si pasle, si terni et si laid à ce qui est leur,
qu'ils y perdent beaucoup plus qu'ils n'y gai-
gnent. (2) )). 'l
Locke dit encore « Je n'ai vu que fort rarement,
ou, pour mieux dire, jamais, que personne ait
appris à bien raisonner, ou à bien parler en étu-
diant les règles par lesquelles on prétend enseigner
ces deux choses (3) ». Et Montaigne « Qui n'entre
en deffiance des sciences, et n'est en double s'il s'en
peut tirer quelque solide truict au service de la vie,
à considérer l'usage que nous en avons ? Qui a pris
de l'entendement en la logique? Où sont ses belles
promesses ? Voit-on plus de barbouillage au caquet
des haraugeres qu'aux disputes publiques des
hommes de cette profession ? J'aimeroy mieux que
(~t!t,8,M~ou.n~t.t.Vt,p.M.
qu'on luy faisoit ~t si estoit homme de lettres et
de réputation, et qui avait une belle robe (1). H
II ne veut pas qu'on entretienne les enfants de
dialectique « Ciceron disoit que, quand il vivroit
la vie de deux hommes, il ne prenderoit pasie
loisir d'estudier les poètes liriques. Et je trouve ces
~rgotistespïus tristement, encore inutHes. Nostre
énîànt est bien plus presse H ne doit au paida-
~Ogisme que les premtet's quinse ou sese ans de sa
vte te demùrahtest ~ieu à l'action. Empioions un
temps si court aus instructions necesseres. Ce sont
obus ostez toutes ces subtititez espineuses de la
dialectique, dequoy nostre vie ne se peut amender,
prenez les simples discours de la philosophie (2) M.
Et tous les deux, Locke et Montaigoe, pëaétrés de
respect pour le caractère du gentilhomme qu'ils
ont à façonner, haussent !e ton pour dire le mépris
que le maniement de pareilles arguties leur inspire,
pour montrer avec éloquence qu'elles sont indignes
d'un homme de bonne compagnie, pour lui recom-
mander de contester avec ordre et bon sens, mais
sans subtilité, et de rendre les armes à la vérité
sitost qu'elle est aperçue (3).
La conclusion de Locke est que « le savoir.. pour
un enfant de bonne famille. est la chose du monde
(t)ï, 83,éd.deBordeaux,
p.179.
(2) 26, éd. de Bordeaux, p. 2ii.
(9) LocM.ch XXt~,par. 194 MosTAMMt. M, e<I.de Bordeamx,
p. MO;!tt,8,éd.Jouaust,t. Vt,p.86.
-43~
thé leastpart. »
« t thinkit()e!n'ning)
(<)Ch.XXttt.par.<SO.
(S)Ch.XXHt.par. 20t. « Ris tutor shouldrememberthat his
businessis notsomnchto teachhim att that is knowabte, as to
raisein hima toyeand esteemof knowtedge. andto put himin
thert~htw~yof knowingand improving himsetf,whenho bas a
mindtott."n
(3) t, 96.6d.de Bordeaux, p. 307.
(<) LocM, ch. XXttt. par. <SO.« This making usuatty thé chief, if
not on!y &Hst)a and f!t<t' atMHt ohitdt'eH, this be!ng &hmost that
atone which isthought on, when people talk of éducation. a
s'opposeraplus a ce que l'enseignementsoit agréable.
débarrassé de toute contrainte, plus &e,mblab!eà un
jeu qu'à un trayait. Dans ta partie positive de leur
programmenous allons retrouver le même paraUe*
ïisme e~tre les vues de Locke et tes vues de
Montaigneaussi frappant que dans;!a partie négative.
Tout d'abord ils sont d'accord sur le mode
d'éducation à adopter. Ni l'un ni l'autre ne demandé
à l'exempte de tant d'autres pédagogue~ une-
réforme des coltèges ils substituent à l'éducation
en communl'éducation particutiëre. « Pardonnez-
moi,déclare Locke.si je dis queje nesaurais penser
sans emportement que pour former et potir l'esprit
d'un jeune homme de bonne maison, il faille le
mettre dans un collège avec une troupe d'autres
enfants, et le faire travailler à coups- de fouet,
comme s'il devait faire ses classes en passant, pour
ainsi dire, par les baguettes (1). » Et Montaigne « je
ne veux pas qù'on emprisonne ce garçon. Je ne
veux pas qu'on l'abandonne à l'humeur métancotique
d'un furieux maistre d'escole. Je ne veux pas
corrompre son esprit à le tenir à la gebene et au
travail, à la mode des autres, quatorze ou quinze
heures par jour, comme un portefaiz. Ny né veux
gaster ses meurs généreuses par l'incivilité et
barbarie d'autruy(2). » C'est te principe môme de
1, 26,éd.deBordeaux,
p. 193.
(!)Ch.XXIII,par.t80."Whenyouconsiderof thé breedingof
yourson.andare tookingoat or a tutor, you
for ft schootmaster
wouldnothâve(asis nsua))Latinandtogiconlyinyourthoaghts.
p. <9t.
(3)t, 26,éd.de Bordeaux,
-M-
sçait i! dugree ou du ïatin ? escrit-il en vers ou en
prose. Mais s'it est devenumetHeurou plus advisé,
c'estoit le principal, ~t c'est ce qui demeure
derrière (lit..
S'il a vraiment « la teste bien faite notre gou-
verneur ne risquera pas de tomber dans l'erreur
commune de! ne cultiver dans son -disciple que~a
mémoire au détriment de toutes ses autres {acuités.
« Ce n'est pas une âme, ce n'est pas un corps qu'on
dresse c'est un homme il n'en faut pas faire à
deux. Et, comme dict Platon/il ne faut pas les
dresser l'un sans l'autre, mais les conduire égale-
ment, comme une couple de chevaux attelez à
mesmetimon(2) ». C'est l'avis de Montaigne. C'est
aussi celui de Locke, qui pose en principe, dès la
en ce
première page de son livre, que le bonheur
monde « se réduite avoir l'esprit bien réglé, et le
corps en bonne disposition )) et que l'éducation,
ne
ayant pour objet de nous assurer le bonheur,
doit pas négliger le corps plus que l'âme.
na Oai~e Physi~e
tR~
A propos des somsqu'exige le corps~Lockeentrc
même daDSbeaucoup plusdedétails que Montaigne.
Montaigne se borne à exprimer quelques principes
généraux. Locke, qui est médecin de profession, est
autorisé à nous donner beaucoup d'indications pré-
cises, à multiplier des conseils d'hygiène dont
l'auteur des Essais, avec son mépris bien connu de
la médecine, aurait peut-être souri. C'est ainsi qu'il
nous entretient de l'âge auquel il convient de
donner de la viande aux enfants, de la part qu'il
faut faire aux fruits dans leur alimentation, des
boissons qui lui semblent recommandables, du
temps qu'il est à propos de consacrer au sommeil.
I! préconise l'usage de l'eau froide pour les pieds
comme' pour les mains, et interdit les vêtements
étroits qui entravent la liberté des mouvements.
Mais pour les principes généraux il est bien
d'accord avec Montaigne. L'essentiel leur parait à
l'uncomme à l'autre d'élever -les enfants sans mol-
lesse, afin de leur préparer une grande liberté
-d'action dans !a vie. « Ongâte!a constitution de la
plupart des enfants, dit JLocke, par trop d'indul-
gence et de tendresse (1). Et it voudrait que les
~entitshommestraitassent leurs enfants comme les
bons paysans traitent les leurs. Montaigne se félicite
<ïëmême que son père l'ait envoyé « dès le berceau
nourrir a un pauvre voltage des dressant
a la plus basse et commune façon de vivre M,et tî
souhaite qu'on t'imite en cela. (2). A tout !e moins,
il ne veut pas qu'un enfant de qualité soït etevé
<ians sa famitte parce que ses parents n'auraient pas
le courage de le voir « nourryr grossièrement,
<otnme il le faut, et hasardement. H ne le sçau-
roient souffrir, revenant suant et poudreux de son
exercice, boire chaut, boire froit. ny le voir sur un.
cheval rebours, ny contre un rude tireur, le floret
au poing, ny la première harquebouse. Car it n'y a
remede: qui en veut faire un homme de bien, sans
doubte it ne le fautespargneren cette jeunesse, et
faut souvent choquer les règles de la médecine (3) M.
Tous deux sont très persuadés de cette vérité, et
la répètent bien des fois, que la coutume peut
beaucoup sur notre constitution physique comme
sur notre constitution morale, qu'on ne Saurait
imaginer jusqu'où va sa puissance (4). It suffit donc
<t) Ch. I, par. 10. '< Whenhe is grown np, ft is to tatc to use hhn
to it. )t must be got earty and by de-grees. Thus thé
b&dy may ba
MtH(ji!ttttobearatmostanyHi)ng." »
(2)Ch.pM.23.
(3) t, 26, éd. de Bot-deaux, p. SM 11t, i3, 6d. JottMst, t. Vtt,}). 33.
se rendre «commodes à toutes nattons et compa-
gnies pu!squ'U est appeté à vivre dans le monde
souvent a voyager, et que par suite son bonheur
dépendra en bonne partie de sa sociabilité.
Il sait encore que les exercices physiques tiennent
une grande place dans l'existence d'un noble « la
course, la lutte, la danse, la chasse, le maniement
des chevaux et des armes)), aussi ne les oubliera'
t-il pas. Voilà encore un point sur lequel l'enseigne-
ment des collèges répond mal aux besoins dé la
noblesse. Locke est de son avis. H consacre un
chapitre a cette question (I). La danse lui semble
particulièrement recommandable, et il veut qu'on
l'enseigne le plus tôt possible parce qu'elle répand
sur les mouvements un air d'agrément et de liberté
qui sied aux jeunes gens, et parce qu'assouplissant
les membres elle les prépare aux autres exercices.
Voilà pour les idées générales. On pourrait croire
jusqu'à présent qu'il n'y a eu que rencontre, entre
Locke et Montaigne mais dans le détail aussi,
lorsqu'il arrive par hasard & Montaigne d'aborder
le détait, on trouve parfois des ressemblances
frappantes entre leurs remarques. Montaigne avait
observé qu'il n'est pas nécessaire pour la santé de se
vêtir beaucoup, qu'il faut éviter de multiplier les
vêtements et de les choisir trop chauds, parce qu'on
s'y accoutume sans profit, que, puisque la peau est
une protection suulsantea nos mainsetâ notre visage,
ch.2t.
(t) LocKE,
"–sr–
(1) 0). t, p!tt'.6. « tt ts use atone hnrdens lt (thé face) and mn~cs
tt mot'f thle tu cnduM thc cold And thet'cfot'othc Scythtan phito-
~phpf ~nvett VM'y8)jj')ti()cu(tt answefto t!)H Athent~n. who
\VMm)ct'"d hnw hc fontd go n~kod ht ft'os'tund snow. How, s~id
tho Scytittnn, catt yon endure yon)' f~'e expost'd to tho shm')'
wtnter nt)'? « My h\ec H used to it, sutd thé Atht'tdm).
« T))tt)kme ait face, t'cpUcd thé Scythian.
.34
~~ot~upaUo<t<E~~ tr~ubl®(Ij,
LocKedëutandela mômeregu!arM~ et l'heùre `q.u'i~
propose est &peu de chose près la mètne « Après
Mvotrmangéïe mat~(2) H.E~~je sais qu'il appûie.
son conseil sur toutes sortes de considêraUons
mëd!ea!es et de rénexions quîne sont pas chez
Montaigne et qui le rendent très -personnel. La
rencontre n'en est pas moins frappante.
na C~ltut~ nao~ate
<-<~B<~<r<
fena~
est entre les mains des nourrisses, C'est passétemps
aus meres de voir enfant tordre le col a unpoulet
et s'osbattre & Messer un cniën et un toi
père est si sot de prendre à bon augure d'un' âme
martialle, quand il voit son 61s gourmertnjurieuse-
ment un paisan ou un laquai qui ne se défaut point,
et à jantitlesse, quandil Jeyoit atHnersonçompaignon
par quelque maUtieuse desioiaute et tromperie.
Ge sont pourtant tes vraies sein au-ceset racines de
ta cruauté de la ttrannie, de la trahison e!!es se
germent !a, et s'estëvent après gai!!ardement, et
profitent a force entre les- mains de la costume. Et
est une tresdangereuse institution d'excuser ces
vileines inclinations par la foiblesse de i'eage et
légiereté du subjet. La laidur ne de la piperie ne
despent pas de la difference des escus aus esplingues.
Elle despant de soy. Je trouve bien plus juste de
conc!urre ainsi: pour quoy ne tromperoit H aus
escus, puis qu'il trompe aus espiingues Il que corne
ils font: ce n'est qu'aus esplingues, il n'auroit garde
de le faire aus escus. H faut apprendre souigneu-
sement aus enfans de hair les vices de leur propre
contexture et leur en faut aprandre !a naturelle
difformité, a ce qu'ils les fuient, non en leur action
seu!ement, mais sur tout en leur cœur. (1). Locke
écrit de même « Queles pères et les mères aiment
leurs petits enfants, rien de plus juste, leur devoir
(t))t,i2,èd.det!orde:mx,p.2M.
(2) ta, éd. de Bordeaux, p. 278.
d'hérésie. pour toute raison de sa créance se
rapportôit a celle de son maistre, jeune eschpUier,
se
prisonnier avec !ui, et àyma mieux mourir, que
laisser persuader que son maistre peut faillir (1).
Les loix de la conscience, que nous disons naistre
de nature, naissent de la fortune chacun aiant en
vénération interne les opinions et meurs approuvées
et receues autour de luy, ne s'en peut despreudre
sans remors, ny s'y appliquer sans applaudisse-
m~nits(3) N a montré dans dës~natibnsentières
Ïes enfants, tes femmess'exposant &de vives dou-
leurs ou à la mort par imitation, par tradition, et
pour une traditionsouventqui n'a aucun fondement
rationnel. Et Locke écrit dans le même sens
« Si l'on réduisait à leur juste prix la morale et les
différentes religions du monde, on trouverait que la
les
plus grande partie des hommes ont adopté
ils sont
opinions el les cérémonies pour lesquelles
prêts à mourir, plutôt parce qu'elles sont reçues
dans le pays où ils vivent et approuvées par les
aucune
personnes de leur connaissance que par
raison qui les persuade de la vérité de ces
choses (4) o. La conséquence de pareilles convic-
!i!.H.
(1)Cf.en particulier
(2) I,i4, M. de Bordeaux, p. 60.
(3) l, 23, éd. de RordCMX, p. t46.
(4) Ch. XXH, par. H9. If a true estimate were nmde of thé
thé far
moratttyand retirions of thé would, \e shoutd ttnd that
and cérémonies
grotte'' part of mnuking received even those opituons
thé would die for. rather from thé tashions of theh' countries and
the constant practise or th~e about them, thuti fMMuny CONViction
of their reasons. »
~'6~-S
tiens est que la morale doit s'enseigner beaucoup
moins par des préceptes et des théories que par
l'exemple et par !a pratique. C'est leur avis à l'un
commua l'autre.
« Permettez-moi, dit Locke, de remarquer ici
une chose où l'on manque. dans la manière ordi-
naire d'élever les enfants, c'est qu'en toute rencontre
on leur charge la mémoire de règles et de préceptes
que souvent ils n'entendent point, et qu'ils oublient
certainement aussitôt qu'on les leur a donnés (1).
« N'oubliez pas, je vous prie, qu'il ne faut point
instruire les enfants par de simples règles, qui leur
échapperont incessamment de la mémoire. Mais ce
que vous jugez qu'il est nécessaire qu'ils fassent,
attachez vous à le leur faire pratiquer exactement,
aussi souvent que l'occasion s'en présentera, et s'il
est possible, faites-en naitre les occasions. Cela
produira en eux des habitudes, qui, étant une fois
établies, agiront d'elles-mêmes, facilement et natu-
rellM;ent, sans le secours de la mémoire (2).
Montaigne estime de même que, de son temps,
l'enseignement de la morale est purement verbal,
parce qu'il se fait au moyen de préceptes qu'on se
contente de répéter. « Notre institution ne nous a
pas apris de suivre et embrasser la vertu et la
(i)tt.t7.ed.deBordoaLUX,)).447.
(2) Cf. t, a< édit. de Bordeaux, p. at7 et suivantes.
<n~meavis.l! parait faire pourtant plus large que v
Montaigne ta part des parents, Il compte sur leurs
exemples, sur leurs conversations ftnnnieres/ II °
intitule un de ses chapitres ainsi Les parents
doivent se familiariser avec /eMrseM/a~<s.Montaigne
(nous l'avons vu) redoute leséjour de la maison
pour l'enfant en bas âge; mais, bien qu'il ne l'ait
pas dit expressément, lorsque les années dange-
reuses sont passées, il attend sans doute des parents
autant que du gouverneur. Tout son système sem-
ble impliquer leur collaboration avec te gouverneur.
Quoi qu'it en soit, jusque dans le chapitre que
Locke consacre a cette question, on sent passer,
-semble-t-il, quelques souvenirs de Montaigne par-
ticulièrement des souvenirs de l'essai intitulé:
De ~~c~OM des pM'es aux enfants (i). Le respect,
disent-ils, l'un et l'autre, que les enfants doivent
à leur parents ne doit pas empocher qu'une
douce familiarité règne entre eux. S'ils causent
ensemble simplement de toutes choses et particuliè-
rement des affaires domestiques, l'esprit des jeunes
gens y gagnera en sérieux et en jugement, et puis
des relations très douces s'établiront entre eux,
précieuses aux uns comme aux autres.« J'essayeroy,
disait Montaigne, par une douce conversation,
de nourrir en mes enfants une vive amitié et
bienveillance non feinte en monendroict ce qu'on
gaigne aiséetnent en une nature bien née. C'est
<t)'t.8.
-?-
injustice et folie de priver tes énfans qui sont en
aage de ia {amiliarité des pères, et vouloir main-
tenir en leur endroict une morgue austére ét desdéi-
gueuse, espérant par là les tenir en crainte et obeis-
sance (t). Et ailleurs: « Quant à moy, je trouve que
c'est cruauté et injustice de ne les recevoir (les
enfants) au partage et sociétés de nos biens, et
compaignons en l'intelligence de nos aSaires domes-
tiques, quand ils en sontcapaMeS.Fen~&
le mareschal de Monluc, ayant perdu son nix qui
mourut en l'isie de Madère, brave gentil'homme à la
vérité et de grande espérance, me faisoit fort valoir,
entre ses autres regrets, le desplaisir et crève-coeur
qu'ilsentoit de ne s'estre jamais communiqué à luy
et, sur cette humeur d'une gravité et grimace pater-
nelle, avoir perdu la commodité de gouster et bien
connoistreson fils, et aussi de luy déclarer l'extrême
amitié qu'il luy portoit et le digne jugement qu'il
faisoit de sa vertu. Et ce pauvre garçon, disoit-il, n'a
rien veu de moy qu'une contenance refroignée et
pleine de mespris, et a emporté cette creance que
je n'ay sçeu ny l'atmer, ny l'estimer selon son
mérite. A qui gardoy-jeà découvrir cette singuliere
affection que je luy portoy dans mon âme?Estoit-ce
pasiuyqui en devoit avoir tout le plaisir et toute
l'obligation? Je me suis contraint et geiné pour
maintenir ce vain masque et y ay perdu le plaisir
de sa conversation, et sa volonté quant et quant,
(<)H,8,M.deBot'dtMmx,p.79.
S
-?-
qu'il ne mepeut avoir portée autre que bien froide
m'ayant jamais~r~ cte rrtoi ;querucles~e; ny s0 nti
qu'une façon tyrannique (d).))o Voici comment
Locke s'exprime sur le mêmesujet « Unpère fera
très bien, lorsque son enfantdevient grand, et qu'i!
est capable d'entendre raison, de s'entretenir fami-
lièrement avec lui, et même de lui demander son
avis sur les choses dont il a quelque connaissance
ou qu'il peut comprendre. Vous gagnerez parla
son amitié, ïl y a plusieurs pères qu! accordent
libéralement à leurs enfants toutes les permissions
qui conviennent à leur âge et à leur condition, mais
qui ne leur donnent pas plus de counoissance de
leurs biens et de leurs affaires que s'ils étaient des
étrangers. Si ce n'est pas par jalousie qu ils en
usent de la sorte, du moins peut-on dire qu'il ne
paraît dans ce procédé aucune marque de cette
tendresse et de cette ouverture de cœur qu'un père
doit témoigner à son enfant et il ne faut pas douter
qu'une telle conduite ne réprime ou ne rabatte bien
souvent ces mouvements de joie et de satisfaction
avec lesquels un enfant s'adresserait a son père ou
se reposerait sur lui. Pour moi, ]t' )n; puis assez
m'éton'ier toutes les, fois que je vois des pcres qui,
ma)grc !'atnour tendre et sinccro qu'ttsont pour
leurs enfants, se font une affaire, )).)r je ne sais
quelle fermeté ma! entendue, de les traiter toujours
avec hauteur, et de n'entretenir aucum; tamitiarité
<))JI,8,cd.deBordeaux,
pp.7~et84.
-67-
avec eux, comme si cespauvres enfants ne devaient
recevoir aucun plaisir ni aucun bien des personnes
(') Ch.X, par. 98et 99. « Afather will do weiï, as his son grows
np,and is capable of it, to talk famillarity with htm. nay, ask bis
advice and RoMnttwith him about those things whereia he bas any
knowtedgeorunderstanding.. Another thins. ~hich you will
obtain by snch a way of treating ))im. will be his friendshit). Many
f).t;hers, thongh they proportion to hett sons liberal attowanees*
according to their age and condition, yet they keep thé knowlodge
oftheir estates and concorns from them with as mnch reso'vednes:;
as if they were guarding a secret of s'ato ft'om a spy ot' an cnemy.
This. if it looks not iiko ieatousy. yet it wants thoso marks of
kiudness and intimacy which a father shoutd show to his son. and
no donbt often hinders or :)))atcs thut cheerfutncss and satisfaction
who'ewiih a son shou!d addi-ess himsetfto andt'eiy upon his father.
And 1 cannothut often wonder to sec fathers, who love theh- sons
very wei), yet so order thc nmttct' by a constant stifïoess, and a
mien of anthority and distance to them, ail thcif tives, as If they
wcre neVefto ë')Jt)y, ")''tta Vfanycomfort from thosë thé tc've best
it) thé wortd, tiU th~'y had iost them, by being removed into
another. Kothing ciments and estabtishcs Mondsitip and goodwiU
so tnnch as coundcnt cotnmnnicatiun of concet'nments and airairs.
Otiter kindocsscs, wititout tins, tcavc stit! sonte doubts but when
~"68~–
ftois~encor~
&l'empressemëtttqu
'durement traités de succéder à leurs pères dans
la possession de leurs Mens. ~< Vousnesaùriez plus
ïnal faire que de les traiter d'uh~~ Sév~l'-(},et
impérieuse, lorsque, devenus hommes; ils ont leur
propre raison pour leur servir de guide à moins
que vous ne vouliez obliger vos- enfants & se
dégoûter de vous lorsqu'ils serdnt~rands, et à dire
secrètement en eux-mêmes, quand mourrez-vous
donc, mon père ? {1) ?. La même allusion est chez
Montaigne « Voulons-nous estre aimex de nos
enfants ? Leur voulons nous ester l'occasion de
souhaiter notre mort (combien que nulle occasion
d'un si horrible souhait peut estre ny juste ny excu-
sable. ? Accommodons leur vie raisonnablement
de ce qui est en nostre puissance (2).
Si, en conversant ainsi familièrement avec leurs
enfants, les parents savent se faire aimer d'eux, ils
pourront seconder très eSicacement le gouverneur
dans sa tâche. Leur rôle sera le même. H consistera
à mettre l'enfant en face des cas moraux que la vie
~ïM~na!h'e~t à le ~ira~ra~o tc Il `
îaudrat~ dss cas suc-"la",morale,
sur !e moyen de conduire prudemment ses aiïaires
dansée monde, et sur lacivi!ité,jeHui en demander
sonavis(i) H. C'est exactement i~apptication delà
méthode que Montaigne avait précontseep! us d'un
siècle auparavant.
ËUeavait ceci de nouveau qu'eue reposàitessen-
tieUëment sur la raison, et qu'eUeréjetait rautorité.
Aussi servait-elle puissamment a Texërcice de ta
raison. Chez Montaigne là culture moraîe et ïa
cuMure inteHecttteHe àlt~ ~e pair. Les exemples
moraux servaient de matière au jugement l'intein-
gence se {ormait dans l'examen des idées moraïes.
Là est peut-être le trait caractéristique de ses
théories,et ce trait, nous le retrouvons chez Locke.
ha Guitare ia~lleei'aeUe
(i) Cf. ch. XX!)t, par. 180-200et aussi De <« conduite de l'esprtt
<<<tMS la fecAe~e/te t~ vérité, eh. VU.
D'UMiacomgen~ra~
qu'en~ ~tout ceci ~cke~~préciser M~ programma de
Montaigne, il ne le contredit pas.
Le point essentiel n'est d'ailleurs pas ici dans la
matïëre enseignée, maisdans la manièred'enseigner.
il ne faut pas user- de leçons -ex professo. Elles ne
peuvent qu'ennuyer tes enfants et les dégoûter de
l'étude. L'enfant doit apprendre sans s'en apercevoir,
en se jûuànt. La leçon se greffera Sur tes occupations;
quotidiennes et se glissera dans l'esprit à leur
faveur. Quand elle reclamera son heure à elte,
autant que possiMe on devra imaginer un jeu qui
la dissimule et la rende aimable. « Quant au grec~
dit Montaigne. mon père desseigna me le faire
apprendre parart, mais d'une voie nouvelle, par
forme d'ebat et d'exercice. Nous pelotions nos décli-
naisons à la manière de ceux qui par certains jeux
de tablier, apprennent l'Arithmétique et la Geome-
trie (1) )). Locke use du même procédé. « J'ai pensé
que si les jeux étaient tournés de ce côté là, au lieu
que d'ordinaire ils ne tendent à rien, on pourrait
trouver plusieurs moyens d'apprendre à lire aux
enfants, pendant qu'ils s'imagineraient ne faire
autre chose que jouer. On pourrait fah'e, part'
exemple, une boule d'ivoire semblable à celtes dont
on se sert dans la loterie du Royal oak, laquelle eût
trente-deux faces, ou plutôt vingt-quatre. ou vingt-
cinq. Et sur plusieurs de ces faces on collerait un A,
(t) Ch. XXttt, par. <S3et <S4. « t have therefore thonght that if
pt~y-thiogs were fttted to this pnrpose. as they are nsuaUy to none,
contrivances might be mado tu teach children to read, whitst they
thoupht they were only ptaying. For example what if an ivory
bat! were made like that of thé Royat-oak lottery, with thirty-two
sides. 0)' ono rather of twonty-four. or twcuty-<tve stdes. and upon
several of those side; pasted on a A, upon several others B, on
others C, and on others D ? When by this means, he knows the
tetters. by changtng them into syHabes, he ntay tearn to read,
without knowing how he did so, and nevec have any chiding or
trouble about-it hoc fatt ont with books, because of thé hard usage
and vexation they had caused him. »
l, 36, éd. de Bordeaux, p. <97.
->~
<< Au Ueu d'ehTptoyér tout le~t~ lqu'IIs s©nt
ensemble a lui faire des leçons et à lui dicterd'un
ton de maître ce qu'il prétend lui faire observer, il
faut qu'iL!'ecqute& son tour~e qu'il 'r<.1CCotltumeà' `_
raisonner sur les choses qu'i! lui propose. Ses règles
seront par ce moyen reçues plus agréablement et
feront de plus fortes impressions.(i) H.
Quant au fond des choses: on sait que Montaigne
proposait comme objet principal à son disciple la
connaissance des hommes. C'est en effet de cette
connaissance la qu'un gentilhomme a besoin pour
se rendre agréable dans le monde. « Les arts servent
toutes aucunement en quelque manière à l'instruc-
tion de nostre vie et à son usage, corne toutes autres
choses y servent en quelque manière aussi. Mais
choisissons celle qui y sert directemant et professoi-
rement. Si nous sçavions restreindre les apartenances
de notre vie à leurs justes et naturels limites, nous
trouverrions que la meillure part des sciences qui
sont en usage est hors de nostre usage, et en celles
mesnies qui le sont, qu'il y a des estendues et
enfonceures tres inutiles que nous tairions mieux
de laisser la et, suivant l'institution de Socrates,
borner !e cours de nostre estude en icelles où faut
l'utilité (2) )). C'est sur ce principe que se fonde
(t) Ch. tX, p. 97. < A great part ofthe learning now in fashion in
thé schools of Europe, and that goes ordmarity into thé round of
éducation a gentleman may in a good measure be uniurnished
with, without any great disparagement to himself. or préjudice to
his affairs. But prudence and good-breeding are m at[ thé stations
and occurrences of tife necessary; and most young men sunër in
tite want of them. and corne.. These qualities, which are of att
others the most neeessary to be taught, and stand most in need of
the assistance and help of a teacher, are generally neg)ected and
thought bnt a siight. or no part of a tutor's business. Latin and
learning make ail thé noise; and thé main stress id laid upon his
proticiency in things, a great part wherepi belong not a gentleman's
calling; which is to have the knowtedgeofa. man of business, a
carriage suttabic to his fank. and to be eminent and usefut in this
cou(ttry,accord!t)Kto his station. Since it cannot be hoped he
shouid have time and strength to tearn att things, most pains shoutd
be taken about that which isTnost. neeessary and thaf principaHy
looked after, which witi be of most and frequentest use to him in
thé wortd. Non vitae sed schotae disctmus. »
(2)t,aï, Èd.dcBordoaM~ p. M!~
(3) ï. M éd. de Bordeaux, p. <8(.
–T7'
apprenons pour récote, non pour la vie. Notre
instruction est vaine; c'est une instruction deparade.
Et pour réformer cet voici, un des principaux
conseils de Locke. « Le gouverneur de vos enfants
doit non seulement être bien élevé, il faut encore
qu'i! connaisse bien le monde,c'est-à-dire le génie,
les caprices, les folies, les fourberies et les défauts
de son siècle, et surtout du pays ou il vit p.
Il faut qu'il puisse faire voir toutes ces choses a
son élève, à mesure qu'il l'en trouve capable. Il doitt
lui apprendre à connaître les hommesetleurs diué-
rents caractères, les lui montrer tels qu'ils sont, en
leur ôtant le masque dont leurs diSérentes profes-
sions, ou divers prétextes les obligent à se couvrir,
et lui faire discerner ce qui est caché véritablement
sous ces fausses apparences, afin qu'il ne lui arrive
point, comme à la plupart des jeunes gens sans
expérience, de prendre une chose pour une autre
de juger par l'extérieur, et de se laisser tromper par
debeauxsemblants, et par des manières flatteuses
et insinuantes. H devrait l'instruire à observer les
desseins de ceux avec qui il a à faire, sans être ni
trop soupçonneux ni trop crédule, et selon que son
naturel le fait plus pencher d'un côté que de l'autre;
le redresser et lui faire prendre la route opposée.
Il devrait l'accoutumer autant qu'il est possible, à
juger sainement les hommes par les marques qui
servent le mieux à faire connaître ce qu'ils sont, et
à découvrir leur intérieur qui bien souvent se
montre dans de petites choses, surtout lorsqu'ils ne
78
(2) Ch. )X, par. 97. « Besides being weli-bred. the tntor shoutd
kuow thé vorid wet) thé ways, thé humours, thé fotties, thé citeats,
the fanits of the age he bas fa.)ten tnto, and particularly of thé
country he lives in. Thèse he shotdd abte to show to his pupU as he
ftnds him capable; teach him skitt in mon, and theirmanners, pull
off thé mask which their several cattings and pretenc~ cov~r them
with, and make his pupit discern wltat lies at thé bottom. under
such appearances. that he may not, as MMcxperienccd yonng men
are apt to do, if they are unwarne.i. take one thit)~ for another*
judge by the outside and givo himsetf op to show, and thé
insinuation of faircarriage, ofan obtiging app'ication. A governor
shoutd to:tch bis schotar to gtK'ss at, and heware of thc designs of
menhe bath to do wiU'.neithcr with top mneh saspicion, nor to
mnch confidence but as thé young man is by nature most inctincd
to other sidc, rectify ttin), and bcnd itin) thé other way. He should
accustotn itim to tnake, as ntnctt as is possible, a true Jndgtnent of
menby those mark~ \\hiuit ser\'H bt'st to show what thcy are, and
gtve a prcspt':t into their inside, which often shows Mse)f in tittte
th)ngs, especiatly wifen the aro not in parade, and npon theit*
gnard." 1)
M
(DGh.Tit.par.?~
(2)Ch.IX,par.M.
(3)Ch.XXtt,~r. 147. Thet'ots imoterf~utt!n goodmannors
.81 ï
des hùmmes incivils par trop de civilité, et impor- 0
tuns de courtoisie. M(i) Locke demande qu'on ne
bridé pas les manières des jeunes gens par un trop
grand nombre de règles de c:vi!ité, (2) Montagne
avait aKectéte même mépris pour les cérémonies
trop superstitieuses. (3)
Un autre vice, sinon plus grave, du moins plus
fréquent, que l'excès de civilité, c'est un manque
de civilité qui procède de notre vanité. Nous ne
songeons dans la conversation qu'à faire paradé de
notresavoir et de notre jugement, qu'à éblouir de
notre « suffisanoe ) ceux qui s'entretiennent avec
nous. Au lieu de les écouter et de profiter de leurs
idées nous prenons sans cesse la parole pour exposer
les nôtres, nous discutons pourgarder le dernier mot
et nous assurer toujours la victoire. De là ces contes-
tations perpétuelles où les deux adversaires n'ont
aucun souci de s'éclairer l'un l'autre et de parvenir à
la vérité, et querellent à perte de vue. C'est une des
leçons principales que Montaigne donne dans son
essai Der<ït'<de co~'er, (4) et lorsqu'il met à la portée
des enfants les principaux préceptes de cet art il dit
expressément « En cette escho!e du commerce des
hommes, j'ay souvent remarqué ce vice, qu'au lieu
Mdthatjhic~cessof cercmony, andobsttnate
pct'sistingto force
uponanothet-
w)mti snothis due,andwhatheMtttMttakewithout
o r
<bHy shame.
~)!.<3.
(~Ch.XX~par.lM.
~t!t.8.
<S)!.t3.
~)UI,8,
6
Ne prendre connoissance d'autruy nous ne tràvaH-
!ons qu'a ïa donner de nous, et som mes ptus en
peine d'emploi ter nostre marchandise que d'en
acquérir de nouvelle. Le siténce et la modestie sont
qualitez très commodes à ta conversation. On
dressera cet enfant a estre espargnant et mesnagier
de sa sufMsance,quand il l'aura acquise~ (i) Locke
recommande instamment la môme reserve. « n y a
une sorte ~'inc) vin te q ue!es jeunes gens contràctën
fôrtaisement, si ronne ies en détour~n~ bO,nne=
heure c'est un empressement à interrompre ceux
qui parlent et à les arrêter en les contredisant. Je
ne sais si cetempressement des jeunes gens à relever
ce qui se dit en leur présence, et à ne pas laisser
échapper la moindre occasion de faire paraître leur
esprit, vient de la coutume de discuter si fort établie
dans les écoles, et de la réputation d'esprit et de
savoir qu'on y attache ordinairement, comme si la
dispute était la-seule preuve d'habileté; mais je
trouve que les savants de profession sont le plus
b!âmés de ce défaut. Ce n'est pas l'opposition aux
sentiments d'autrui que je blâme, mais la manière
de contredire. H faudrait apprendreaux jeunes gens
à ne pas s'empresser de dire leur avis qu'ils ne
soient priés de le faire, ou que les autres n'aient
achevé de parler. (3))). Sans faire remonter, comme
(t) t, 26,éd.deBordeaux,
p.t98.
(3)Cf.LocKE, par.2t9.aM.
ch. XXVn,
86
peopte.withoutforfeiting
theifgoodopinion.Hethat is sent ont
to travetat thé age,andwiththé thoughtsof a mandesigmng to
improvetumseif. maygetintothé conversation and acquaintance
of personsof condition
wherehe corneswhich,thougha thing of
conditionwherehe cornes which,thougha. thingof most
advantageto a gentlemanthat travels yet. t ask,amongstour
youngmen.that goabroadundertutors, whatone is tttereofMt
hundred,that evervisitsanypersonof quaHty ? muchiessmake
an acquaintance withsueh,fromwi)oseconversationhe mayteam
whatis goodbreedingin that eountry,andwhatis worthobser-
vationin it; thoughfromsuchpersonsit is, onemay learnmoro
tn oneday,thanin a year'srambiing fromoneinnto another.
~89-:
(DU,10.
(2) LocKE,ch. XXt)t. par. M9.
Locee, ch.
(3) LocKE. ch. XICtlI, pâr. 4R7,
XXUt,par.!87.
(4) LocKE,ch. XXttf, par. M8.
'MT-
'Soael~sioo
H@ ~o~et ~edaeatiOQ
~e de SaïQ~~a~
~s~
Bien- avant d'écrire l'~Ht~e Rousseau avait eu
l'occasion de s'essayer aux réflexions pédagogiques.
Au printemps de 1740 M'"a de Warrens lui avait
trouvé un emploi de précepteur. ï! se rendit à Lyon
chez le grand prévôt, M. de Mably, qui lui confiait
l'éducation de ses deux enfants. Il y resta toute une
année, plus, nous dit-il, par sympathie pour M. de
Mably, qui se montrait avec lui d'une extrême
indulgence, que par goût pour l'enseignement. Les
qualités du précepteur lui manquaient. L'un de mes
disciples, dit-il dans ses ~OM/M.MOtM, « de 8 à 9 ans,
appelé Sainte-Marie, était d'une jolie figure, d'esprit
assez ouvert, assez vif, étourdi, badin, malin, mais
d'une malignité gaie. Le cadet, appelé Condillac,
paraissait presque stupide, musard, têtu comme une
mule, et ne pouvant rien apprendre. On peut juger
qu'entre ces deux sujets je n'avais pas besogne faite.
Avec de la patience et du sang-froid peut-être aurais-
je pu réussir mais faute de l'une et de l'autre je ne
~?8-–
us rien qui vaille~ très
mal (I). Entr~ Ja légèreté e~piègleLde Tu~Ha
pesanteur stupide de l'autre c'étaient de perpétuels
emportements. Son ëchec fut complet.
Defait, dans la vie aventureuse qu'il avait menée
jusque la rien n'avait préparé Rousseau à la tâche
qu'il entreprenait. Peut être le futur théoricien
devait il prontérdecette expérience fM
de ses élèves je ne sais. L'intérêt qu'elle. présente
pournous est surtout de lui avoir dQnné.i'occa~
derecueilHr~êsidéëssurlesquestionspëdagogtq
et de les exprimer dans un court opuscule présenté
à M. de Mably pour lui faire connaitre son plan
déducation..
II ne faut pas chercher là à proprement parler un
traité de pédagogie. Ce n'est qu'une courte esquisse.
Rousseau donne « une légère idée de la route »
qu'il se propose de suivre (2). Le frère de M. de
Mably a promis de diriger le jeune précepteur de
ses neveux, ce sont ses instructions à lui qui doivent
servir ~e guide. Peut-être est-ce pour ce motif que
Rousseau a été si bref peut-être aussi ce précepteur
improvisé n'avait-il pas grand'chose à dire de
nouveau sur son art. Toujours est-il que le P~e<
d'éducation de ?. de ~M~e-.W~M est dépourvu de
toute originalité.
En lisant ces quelques pages de Rousseau, on a
<t)T.t,p.399.
(:)T.X)î,p.9?.
-109
«)Cf.,p.iO.
-4il
(i) T. i, p.349.
-Ha
« l'authorité du gouverneur. doit estre souveraine a
sur son disciple, et il craignait que la présence des =
parents n'y fit obstacle.Donnez-moi vos conseils et
faites-moi vos réprimandes, dit Rousseau à M. de
MaMy, mais devant les enfants entourez moi de
respect. Et Loche « A&n que i'autprtté que ïe
gouverneur doit avoir sur votre enfant- se conserve
en son entier, vous devez non seulement ne pas-
donner à connaitre qu'il n'a pas le droit d'user de
la verge, mais encore le traiter vous môme avec
beaucoup de respect et engager toute votre famille à
faire la même chose. Car vous ne devez pas attendre
que votre fils ait aucun égard pour un homme qu'il
voit méprisé dans la famille, ou de vous, ou de sa
mère, ou de quelques autres personnes (1) )).
A deux reprises Rousseau se déclare adversaire de
toute violence dans l'éducation (2). « La violence,
dit-i!, n'y doit concourir en rien. » II veut même
n'user de contrainte d'aucun genre, car la contrainte
ne fait qu'inspirer aux enfants du dégoût pour les
objets auxquels on prétend les appliquer (3) H.Nous
avons entendu déjà ses deux devanciers affirmer ces
mêmes principes (4). Mais voici d'autres rencontres
plus significatives.
Rousseau ne veut pas que l'éducation consiste
«) T.Xtt,p. t2.
«) T.xn.pp.it-ts.
(3)T.X(t,p.<9.
8
-~4
C'est un enseignement qui se donne par « conver-
sations ? et par « promenades H. Et l'un des bons
résùitats qu'il attend de cette méthode c'est
« d'accoutunier a bonne heure l'esprit à la réflexion
et à considérer les choses par leurs suites et par
leurseiîets.))
Le jugement proRtera donc en mômetemps, car
Rousseau est encore très loin de la théorie, si
dogmatiquement affirmée par lui plus tard, d'après
laquelle on ne doit pas faire raisonner l'enfant. En
i740,conform6ment à la méthode de Montaigne et
de Locke, c'est sur l'exercice de la réflexion que
repose toute sa pédagogie. L'objet principal sur
lequel doit s'exercer le jugement, c'est la connais-
sance des hommes. « S'il est quelque point important
dans son éducation, c'est sans contredit celui là, et
l'on ne saurait trop bien lui apprendre à connaître
les hommes, à savoir les prendre par leurs vertus et
même par leurs faibles, pour les amener à son but,
et à choisir toujours le meilleur parti dans les occa-
sions difficiles » (1). Si l'objet est le môme que chez
Montaigne et chez Locke, les moyens employés ne
sont pas différents. H faut que le père consulte
l'enfant sur des questions pratiques très simples
pour l'habituer à regarder les choses sous toutes
leurs faces. Il faut surtout qu'on le conduise beau-
coup daas le monde, qu'on le- retienne avec les
étrangers qui viennent visiter ses parents, qu'on
«) T.Xtt,p.20.
(2) t, 26, éd. de Bordeaux, p. St5.
(3) T. Xtt, p. S5.
ii6-
~exercice fastidieux du tl~me latin, mais c'est bien
probaNement Locke qui lui suggère de faire
étudier par son élève les ouvrages de 6rotius et de
Pufendor<ï (1). Locke seul, que je sache, leur avait
donné droit de cité dans un programme d'édu-
cation~ 'J
Au reste, en tout cela, c'est peut être plus sou-
vent encore de Locke que deMontaigne que Rousseau
s'inspire. H voit dans ies sentiments d'estime ou de
mépris un ressort puissant pour agir sur l'enfant, et
il recommande à diverses Feprises a M, de Mably
d'en faire usage (2). Or, c'est là un ressort, avons-
nous dit, que Locke a ajouté à Montaigne. N'est-ce
pas encore un souvenir de Locke que nous trouvons
dans la phrase que voici « Il ne sera point du tout
nécessaire d'expliquer au jeune enfant, dans l'occa-
sion, qu'on lui accorde quelque faveur précisément
parce qu'il a bien fait son devoir; mais il vaut
mieux qu'il conçoive que les plaisirs et les douceurs
sont les suites naturelles de la sagesse et de là
bonne conduite, que s'il les regardait comme des
récompenses arbitraires qui peuvent dépendre du
caprice, et qui, dans le fond, ne doivent jamais être
proposées pour l'objet et le prix de l'étude et de la
vertu » (3). Nous verrons plus tard quelle impor-
tance capitale cette idée là prendra dans IJEMM~.Etie
(t)T.XH,p.M.
(~ T. Xt), pp. 6 et M.
(3)T.Xtt.p.7.
T~est encore ici qu'à Fêtât de germe, et cegermeétait
chexLocke.(< Je suis d'avis.~ leur ~~rmettede
goûter pleinement tous les innocents plais pour
lesquels ils sentent deTinctination pourvuqu'on le
fasse avec cette précaution de ne leur accorder ces
plaisirs que comme des suites de l'approbation
qu'ils ont acquise par leur bonne conduite
l'esprit de leurs parents et de leurs gouverneurs, et
jamais commedés récompenses~ie ce qu'ils se sont
acquittés de quelque devoir particulier, pour lequel
ils ont del'aversion, ou qu'ils n'auraient pas voulu
faire sans cela (1). Locke insiste beaucoup sur les
iâcheux enets des récompenses, et, plus radical que
le précepteur de M. de Sainte-Marie, il les proscrit
sans réserve.
Quelles que soient les parts relatives d'influence
qui reviennent à Locke et à Montaigne, une chose
est certaine, c'est qu'en 1740 Rousseau est leur
disciple en matière pédagogique. Je ne dirai pas
à proprement parler, qu'il adopte leur système,
puisqu'il n'expose pas un système complet. Mais
beaucoup de ses remarques font penser à eux. Elles
s'inspirent de leur méthode commune. Et cela nous
invite à penser que Montaigne et Locke seront
encore pour quelque chose dans les idées de
Rousseau en 1760. Sans doute le point de vue
de l'auteur à cette date aura bien changé. Beaucoup
des préceptes de l'EtM~cn'en ont pas moins leur
~(Ms;et~reverenc~de~~
monienne, si grande, si admirable et si longtemps
aeunssante~h vertu et en bon heur, sans aucune
institution ny exercice de lettres. Ceux qui reyten-
nent de ce mondenouveau qui a esté descouvert du
nous peuvent
temps de nos peres par les Espaignols,
sans magistrat
tesmoignér combien ces nations,
et sans loy, vivent plus legttimement et plus
ouil y a plus d'oulciers
regleement que les hostres,
et de lôixqu'iLn'y a d'autres hommes et qu'ïm'y
ad actions. t.'incivtMtë, l'ignorance, I~simplesse,
la rudesse s'accompaignent volontiers de l'inno-
cence la curiosité, la subtilité, le sçavoir trainent
la malice à leur suite; l'humilité, la crainte,
l'obeissance, la debonnaireté (qui sont les pieces
la société
principales pour la conservation, de
docile et
humaine) demandent une âme vuide,
presumant peu de soy ». (1)
Il n'est pas utile de donner ici une liste complète'
des rapprochements qu'on peut établir entreTœuvre
de Montaigne et le premier discours de Rousseau.
Cette liste a été faite déjà. On l'a dressée dès le
XVIIIesiècle (2), du vivant de Rousseau, et pour bon
nombre de ces rapprochements la tâche était facile,
de les
puisque Rousseau a pris lui-même la peine
le travail
indiquer. Il serait superflu de critiquer
«)n,M,6d.deBordeMx.p.2i9.
«Mr !(~e(tMoM.
de Ge~oe sttr Idd(40ation.
<9)ZM Plagiats de M. J.
jO.J.C..&m~f<tyee<<t~
-!S~
(1) T. tV, p. lt; attusion &l'essai 1..3l, qui est effectivement rempli
de pareils exemptes, et ouitest dit expressément: tt me desplaist
que Lycnrgns et Phtton m n'aient pas eu connaissance de ces
Américains, « car it me semble que ce que nous voyons en ces
nations la surpasse, non seulement toutes les peintures dequoy la
poésie a embelly l'age doré, et toutes ces inventions à feindre une
heureuse condition d'hommes, mais encore la conception et te desir
mesme de la philosophie, Hs n'ont peu imaginer une naifveté si
pure et simpte comme nous la voyons par expérience ny n'ont pen
croire que nostre societé se peut maintenir avec si peu d'artiueo
et de soudeure humaine. C'est une nation, diray-je A Maton, en
taqnetteit n'y a aucune espece de trafique, nulle cognoissance de
lettres, nulle science de nombres. Les paroies mesmes qui signiuent
le mensonge, ta trahison, la diMimutation, l'avarice, l'envie, la
detraction, te pardon, inpuies. Combien trouveroit it la repubtiqtte
qu'il a imaginée estoignée do cettè~erfectioN a (éd.de Bordeaux,
p. 270). Les motifs cités par Rousseau terminent 1essai.
(2) T. IV, p. H.
Ï26
de son temps. « ï!s apprenoieat !a vertu à leurs
enfants, commetes autres nations font~ let-
très. M(i). Comme roppositton de Sparte et
d'Athènes~), l'opposition des deux Romelui était
familière, de la Rome républicaine à l'ignorance
rustique mats aux vertus rigides, et de la Romedes
empereurs aux esprits raHinës, mais aux cœurs
corrompus. « Qui nous contera par nos actions
et dêportemens, il s'en trouvera pius grand nombre
d'excellens entre les ignorans qu'entre les scavans
je dy en toute sorte de vertu. La vieille Rome
me semble en avoir bien porté de plus grande
valeur, et pour la paix et pour la guerre, que
cette Rome sçavante qui se ruyna soy-mesme.
Quand le demeurant seroit tout pareil, au moins
la preud'homieet l'innocence demeureroient du
costé de l'ancienne, car elle loge singulierement
bien avec la simplicité (3) H. « C'estoit ce que
disoit un senateur romain des derniers siecles, que
leurs predecesseurs avoient l'aleine puante à l'ail, et
l'estomac musqué de bonne conscience, et qu'au
rebours ceux de son temps ne sentoient au dehors
que le parfum, puans au dedans toute sorte de vices,
c'est à dire, comme je pense qu'ils avoient
beaucoup
de sçavoir et de suffisance, et grand faute de
preud'uommie )) (4). Socrate était pour Montaigne,
«)t,as,éd.deBordeaHx,p.i83.
(2)RoussEAu, t. tV, p. te; MottTAMSE,
essa! t, 2S,ijta Nn.
(9) H,18,éd. de Bordeaux, p. 206.
(t) H, <8,éd. de Bordeaux, p. ~0.
i~7
comme pour Rousseau, un précepteur d'ignorance,
eti'essai De~p~!OMOMM(i)ntOuslepeintcomplai'
samment sous ces traits.
On pourra dire que ces rapprochements n'ont
que peu d'importance à tout lettré désireux de
soutenir une pareille thèse, nécessairement les
souvenirs de Sparte, des Perses, de Rome, de
Socrate, devaient se présente!' d'eux mêmes. Nous
songerions à peine ici à parier d'une dette envers-
Montaigne si Rousseau ne nous y invitait. H ajoute
d'ailleurs de nouveaux exemples à ceux de
Montaigne, quand i! nous parle. de l'Egypte, de
Constantinople, de la Chine, etc. D'autres faits, en
revanche, constituent une dette p!us sérieuse en ce
qu'ils étaient de notoriété moins commune. H avait
rencontré chez Montaigne tous ceux qui lui four-
nissent des exemples de résistance aux progrès de
la science les Athéniens interdisant l'usage de
l'éloquence devant le tribunal de l'Aréopage, les
Romains repoussant la médecine, les Espagnols
évitant d'envoyer des gens de justice dans le
nouveau monde. (2) Dans le dernier de ces traits
«)T.!V,p.23.
-189'
(DT.tV.p.M.
(2) ï,9.éd. do Bordeaux, p. 41:
(3) U, t2, éd. de Bordeaux, p. 309.
r.~M~<~ de ~&ot)~quei'orguei! du savoir engendre
t'incréduMtë (1). Pour montrer que !es sciences
ruineMt les qualités nTorates,Rouss~
l'enseignement des coUèges, et su ce sujet ce sont
les expressions même:!de Montaigne qui se glissent
sous sa ptume:« C'est dès nos premières années
qu'une éducation insensée orne notre espriL et
corrompt notre jugement. Je vois de toutes parts
des étaMissements immenses où l'on élève à gr~ands
frais la jeunesse pour lui apprendre toutes choses,
excepte ses devoirs. Vos enfants ignoreront leur
propre tangue, mais ils en parieront d'autres qui ne
sont en usage nulle part; ils sauront composer des
vers qu'à peine ils pourront comprendre sans savoir
démeterrerreurdeiâ vérité, ils posséderont l'art
de les rendre méconnaissables aux autres par des
argumentsspécieux mais ces mots de magnanimité,
d'équité, de tempérance, d'humanité, de courage,
ils ne sauront ce que c'est. J'aimerais autant, disait
un sage, que mon écolier eût passé le temps dans un
jeu de paume au moins le corps en serait plus
dispos. Je sais qn'ii faut occuper les enfants, et que
l'oisiveté est pour eux le danger le plus à craindre.
Que faut-il donc qu'ils apprennent ? Voilà certes une
belle question Qu'ils apprennent ce qu'its doiventt
faire étant hommes, et non ce qu'ils doivent
oublier (2) M.Ce sage, c'est Montaigne, et dans le
(t)EsS!uit,<2,p.220etSMtv.
(2)T.tV,p.3t.
~en~~ssa~DM~ouRou~
autorité, il trouve rapporté !e mot d'ÂgésUasqu'ilcite
également sur l'utilité de faire apprendreaux enfants
« ce qu'ils doivent j{aire estants homes(1) ?. Le
même principe utilitaire dictait à Montaignesa
méthode. Nous l'avons entendu déjà condamner la
stérile étude des langues, la dialectique, et réclamer
pour les enfants renseignement moraï que négttgent
lès coUèges. Et Rousseau poursuit dans une note
« Teite était l'éducation des Spartiates, au rapport
du p!us grand de leurs' rois. C'est, dit Montaigne,
chose digne de très grande considération, qu'en cette
excellente police de Lycurgus, et à la vérité Ilions-
trueuse par sa perfection, si soigneuse pourtant de
la nourriture des enfants, comme de sa principale
charge, et au giste même des muses, il s'y fasse si
peu mention de la doctrine comme si cette
genereuse jeunesse desdaignant tout autre joug, on
lui ayt deu fournir, au lieu de nos maistres de
science, seulement des maistres de vaillance,
prudence et justice H. La note se continue longue-
ment en citation. Tout cela est encore emprunté à
l'essai ~Mpe~enKMMM, dont le dernier tiers presque
en entier passe ainsi chez Rousseau.
Remarquons enfin que certaines réminiscences
plus discrètes, plus sujettes à contestation par
conséquent, mais pourtant très probables, semblent
révéler vers 1750 un commerce intime, habituel de
(<)1,25,edit. de Borde!fmx.p.t78ÈH8S.
–~33–'
~Ronssea~avM.Je'~ `
avoués ou tacites & déterminer
plus des emprunts
ce sont des imitations insensibies, ce sont des
souvenirs qu'il ne reconnaît peut ôtrepas, et qm,tui
remontant spontanément a la pensée, indiquent
inteUectuene.
qu'il faisait des EsMts sa nourriture
Voici une phrase, par exemple, qui se glisse sous sa
contentés
plume « Jusqu'alors les Romainss'ëtaient
de pratiquer la vertu, tout Ïut perdu qu~ndHs
commencèrent à !'étudier(ï) ?. C'est la traduction
d'une sentence de SénëqNCavec laquelle, Monta)gn&
ï'a famn'arisë. L'a ti! reconnue? « Postquam docU
et
prodierunt, boni desunt H, disaient Sénèque
une anti-
Montaigne (2). Le discoursS'achèvesur
thèse, qui n'appartenait pas moins à son Montaigne
son Plutarque, l'opposition du bien dire et du
qu'à
bien faire: « Tâchons de mettre entre eux et nous
cette distinction glorieuse qu'on remarquait jadis
entre deux grands peuples, que l'unsavait bien dire et
l'autre bien faire (3)H.l! est si plein des ~oMsque par-
fois des souvenirs de Montaigne provoquent des asso-
ciations inattendues qui donnent une forme piquante
à ses idées. Il reprocheaux sages de son temps, comme
de toutes les .époques savantes, leur « raffinement
a.
d'intempérance Metteur « artificieuse simplicité
(t)T.tV,p.M.
(2)EsM}t.as.ed.de Bordeaux, p. <82.
cf.
(31Ces deux peuples sont les Athéniens et les Spartiates
Mo~TANNE, encore dans l'essai ÛM/t~t/t~~e, t, 2S, éd. de Bordeaux,
p.ii}8., 1-1
.4'
U~ntotdeMot~a~ne~cesu~
<c J'ayme contester et a dtscourTr,mais~ c'est avec
peu d'hommes, et pour moy. Car de servtr de spec-
tac!e aux grands, et faire à l'envie parade de son
espri et de son caquet, je trouve que c'est un mestïer
très messeant à un homme d'honneur M(i). Et voilà
tous ses contemporains tournés en ridicule: « C'est
celui (le métier) de tous nos beaux esprits hors
un »(2). Voici encore un mouvement où j'entends
passerunëchodeMontaigTie: « Répondez-moi donc,
philosophesillustrés, vous par~q
queHes raisons les corps s'attirent dans le vide,
quelles sont, dans les révolutions des pianètes, tés
rapports des aires parcourues en temps égaux,
quelles courbes ont des points conjugués, des points
d'inflexion et de rebroussement, comment l'homme
voit tout en Dieu, comment l'âme et le corps se
correspondent sans communication, ainsi que
feraient deux horloges; quels astres peuvent être
habités; quels insectes se reproduisent d'une
manière extraordinaire répondez moi, dis je, vous
de qui nous avons reçu tant de sublimes connais-
sances quand vous ne nous auriez jamais rien
appris de ces choses, en serions-nous moins
nombreux, moins bien gouvernés, moins redou-
tables, moins florissants, ou plus pervers (3) ? ».
Avec l'apostrophe en moins, qui est un tour cher à
éd.Jouaust,t. Vt,p. 83
<(t)Essai111,8,
~T.tV.p.M.notet. 1.
(3)T.tV,p.93.
~3S"–
~ousseauWnous~i~vo~
rëssatsarnHS~fMMoM~~ :£nra~t$el1lreles sciences
vaines et celles qui nous importent: « C'est une
grande simptesse d'apprendre à nos enfants
Quid moveant pisces, animosaque signa leonïs, =
Lotus et Hesperiaquidcapricornusaqua~
La science des astres et le mouvement de la
huitiesme sphère avant que les leurs propres..(!))).
De cesobservations nous pouvons conclure que,
vers n50, Rousseau est tout pénétré de la lecture
dé Montaigae. Ce n'est pas une rafson suNï-
sante pour déclarer qu'il a emprunté à Montaigne
son paradoxe, qu'il le lui doit, ou pour parier
comme l'a fait un critique attemand, de « pensées
étrangères )) chez Rousseau. Le paradoxe des arts
et des sciences est bien à Rousseau. Il a sa source
dans son tempérament, dans sa naissance genevoise
quil'incite à juger sévèrement le luxe eti'immoraiité
de la haute société, dans son passé de déceptions,
d'ambitions inassouvies, qui l'aigrit contre un
monde où il n'est pas parvenu à se faire la place
qu'il espérait, dans la gaucherie timide dont il
n'a jamais pu se défaire en fréquentant les salons
et qui l'y ont fait paraître toujours comme un
étranger désorienté et désemparé. Son discours
ampoutë, mais ardent, est le cri de vengeance de sa
nature longtemps comprimée contre toutes les
contraintes sociales dans lesquelles il s'eiîorçait de
Wl, S6,éd.deBonieMx,p.906.
J~.garm~-<~M~ ~x~aNS~~
d'inspi ration ent~
de Vincennes n'est pasvraie d'une mérite Mslorique,
elle l'est du moins, si je puis dire, d'une vérité
symbolique, elle nous laisse entrevoir ta sincérité =
passionnée de l'auteur. Marmontel a tort de voir
dans le Discours de Dt~w un froid paradoxe
conseiité par Diderot à sou ami dans le dessein de
fuir la banaHté. Diderot lui mômea détruit cette
légende; il a dit que Rousseau avait écrit ce
discours parce qu'il étatt Rousseau, parce qu'it
portait ta peine de tout son passé d'aventurier et
de vagabond.
Les j~s~s lui ont donné courage. Le courant de `
la tradition était si fort que jusqu'alors Rousseau
s'était laissé entrainer par lui. Il s'était travaillé à
se polir, à faire le bel esprit, à composer des
morceaux de salon, à surpasser les autres dans
tous les travers qu'il va bafouer maintenant. Braver
l'opinion de tous est une tentative hardie. L'exemple
de Montaigne l'a animé. li n'était pas fâché de se
cacher de temps à autre sous son autorité. Montaigne
jouissait alors d'un grand prestige, il n'était pas
de meilleur garant. Et voilà pourquoi tes notes de
Rousseau nous renvoient si volontiers aux EsstMS.
Mais Montaigne a fait plus. A la faveur de fré-
quentes lectures, it avait déposé pour ainsi dire
dans l'esprit de Rousseau les matériaux dont il
bâtira son discours. Rousseau n'avait pas besoin
d'être enflammé par personne. Le sentiment de la
–w–
~~ïït~t~~
plusquë tout autre, j~e~
ment à toute démonstration. aniérieurement à tout~
idée claire. C'estia traduction des sentrmentsenidée&
qui quëlquefôtschez lui était d~tl'~ciÎé~ Elle a dû ~tre
très facilitée dans le cas présent par cette circons-
tance queles idées et les faits dont il avait besoin, il
tes avait rencontrés en bonne partie chez Montaigne.
interprétés par Montaigne dans le sens oùlui mém&
avaità les interpréter. Et c'est ce qui fait que dans
sa déclamation tantd'idées rappellent les ~s<fts, que
non seulement des exetnptës leursont empruntés~
mais que tnème pour des exemples de notoriété
commune; je dirai presquepour des exemples qu'il
devait rencontrer dans ses souvenirs d'écolier,
Rousseau trouve encore le moyen de rappeler
Montaigne.
La thèse de Rousseau était sincère, sincère de
cette sincérité limitée dont sont capables les
hommes très imaginatifs, très enthousiastes, aux
convictions déclamatoires, si l'on peut ainsi dire~
mais elle était pleinement d'accord avec la pensée
intime de l'auteur. Elle était originale, non pas
qu'elle fût nouvelle et inédite comme ont pu le
croire quelques contemporains, mais en ce qu'elle
jaillissait du fond de sa nature. Toutefois les œuvres
qui correspondent le plus à notre nature ne sont
pas nécessairement les fruits les pius spontanés Je
notre esprit. Témoin ces longues années durant
lesquelles Rousseaua paru écrire comme en marge
i38
de sa pensée propre. S'il a fallu un accident et
<;omme une chiquenaude du sort pour ïe mettre
dans son vrai chemin, pourquoi ne pas accorder
que des influences littéraires yont encore beaucoup
contribue. Je crois que l'influence de Montaigne a
été importante. On a cité encore d'autres auteurs:
Corneille Agrippa, auteur d'un Ce ~cc~M~MM et-
~M~a<e ~c~M~-MMt dont Montaigne avai fait usage,
Lilio Giraldi, Mandëville. Il- est possible que
Rousseau ait lu l'un ou l'autre de ces ouvrages, et
que tel ou tel détail leur soit imputable en tout
cas il ne s'agit que de détails. Une influence de
Plutarque, du Plutarque de son enfance, plus
dinuse, p!us profonde, est probable, mais elle se
confond ici avec celle de Montaigne. Montaigne a
semé dans la pensée de Rousseau des germes que
le jour venu, son enthousiasme n'a plus eu qu'à
vivifier. C'est lui qui a encouragé aussi Rousseau à
prendre conscience de lui-même en face de son
siècle.
Le discours de Dijon suscita une polémique très
vive (1). On parle de soixante-huit réponses ou
articles dirigés contre Rousseau. Ce qui confère
quelque intérêt à cette querelle de beaux esprits,
c'est qu'elle incita Rousseau à s'entêter dans sa
thèse, a s'enfoncer de plus dans son paradoxe. H
répondit aux plus marquants de ses adversaires, et
<1)T.tV.p.SS.
H40
Je ne crois pas que Montaigneai t été pour quelque
chose dans cette transformation. Montaigne, en~
revanche, continue à jouer le mêmerôle que dans
te premier discours. D'une part, toujours pénétré
des Essais, Rousseau continue à leur faire des
emprunts, tantôt plus et tantôt moins conscients
d'autre part H aime a alléguer à ses contradicteurs
lautorité de leur auteur
Dansla réponse à M. Gautier~ou, p!us exactemen t
dans la Z.eM~~Gr;)MM sur la. réfutation de M. Gau-
tier, commele professeur défendait l'éducation des
collèges, c'est Montaigne que Rousseau charge de
lui répondre « Nous nous enquerons volontiers,
saitildugrecoudu latin ?. Ëscritit en vers ou en
prose ? Ma~ss'il est devenu meil!eur ou plus advisé,
c'estoit le principal et c'est ce qui demeure derriere.
Criez d'un passant à nostre peuple, o ie savant
homme! et d'un aultre, oie bon homme! Il ne
fauldra pas de tourner ses yeulx et son respect vers
le premier. I! fauldroit un tiers crieur, o les
lourdes testes )) Et pour qu'on n'ait garde de s'y
tromper il a bien soin de signaler que la citation est
de Montaigne (i).
(itT.Vt,p.93i:essat!n,M.6d.JouaMst,t.
Vt.p.a73.
T.
<a) Xl,p.230.
(3< T. XI, p. 235.
Ce n'est pas qu'il n'att exprimé avant Rousseau
quelques unes des idées qui s'y rencontrent. Sans
doute;il n'a pas recherché l'origine de l'inégalité
qui est entre les hommes, et c'était la proprement
te sujet propose à Rousseau par les académiciens
de Dijon. H n'a pas dénonce la propriété indi-
viduelle comme étant le point de départ de tous
nos malheurs, et it n'en a pas suivi 1.outes les
conséquences sociales. Toute Ïa seconde partîe du
discours ou Rousseau prétend retrouver te~
successifs par lesquels rhbmme a passé de l'état
de nature à !a société policée n'a pas d'équiva!ënt
dans les Essais. La première partie, en revanche,
est remplie par une peinture idéalisée -de l'état
de nature. L'homme, sortant des mains du créateur,
menait une vie exempte de vices et de misères. Ses
membres vigoureux et ses sens aiguisés le mettaient
à l'abri des attaques; il ne connaissait pas les
désirs et les passions qui nous assiègent, les
maladies dont nous sommes accablés. Ces idées la
ne sont pas étrangères à Montaigne. Lui aussi a.
aimé à se représenter l'état de nature comme un
état de félicité et de vertu. Par esprit de réaction
contre les mœurs de son pays il peignait volontiers
les sauvages sous des traits idéalisés. Son essai
DesC(MtM~fS est bien significatif & ce point de
vue. Ce n'était chez lui qu'un paradoxe accidentel,
une exagération à la manière de Tacite décrivant
les mœurs des Germains pour humilier ses comna
triâtes; ii n'en était pas moins d'accord avec
10
-~6- `:
~Rousseau ~ourvoir~~a~ l'âbus de- l' dé~>
ta raison~i'originede bien dosmaux. « Ce n'est pas
raison que l'art gaigne le point d'honneur sur
nostre grande et puissante mère nature. Nous avons
tant recharge la beauté et richesse de ses ouvrages-
par nos inventions que nous l'avons du tout
estounée. Si est-ce que, par tout où sa pureté reluit,
elle fait une merveiHeuse honte à nos vaines et
frivoles entreprinses. (1). MLes productions de
Fart déstgnent pour Montaigne tout ce qui vient de
t'homme. Tout- ceta indistinctemeat ne peut que
gâter la nature. Et il nous fait admirer longuement
les mœurs des cannibales Ce sont des nations
« fort voisines de leur naiivetéoriginette. Les lois
naturelles leur commandent encore, fort peu abas-
tardies par les nostres », car ils n'ont aucune
institution sociale, ne connaissent ni commerce ni
industrie, et la félicité de leur condition surpasse
toutes les peintures de l'âge doré.
Il suffira de passer en revue rapidement les
principaux endroits du discours où l'on peut croire
à des réminiscences des Essais pour se persuader
que, en dépit de ces points de contact, Rousseau
ne doit ici que bien peu à Montaigne.
Dans la préface je relève au début ce lieu commun
qu'aucune connaissance n'est difficile à acquérir
comme la connaissance de l'homme. « J'ose dire que
ta seule inscription du temple de Mphes contenait
(i)T.tV,p.2M.
(!)EssaisH,<3.et H!,M/)<tMt~.
<3)T.tV,p.2M.
(4)Ed.de Bordeaux,p. 909.
(5)Voi)'ci'desSNS,p.<43.
da~& 4' n18:ts:I~er-mt\~ sunt t::C$i~
dtSérents de part ët~d est
douteuse. Pourtant Rousseau pense aux ~SM~s
sans doute quand il écrit « Quelques philosophes
ont avancé qu'il y a plus de diMrence de têt
homme à tel homme que de tel homme à telle bête M.
Montaigne à dit cela au début de l'essai I, 42, et
encore dans Fessai tÏ,i2. Il est vrai que Locke avait
répète cet aphorisme et que PJutarque avait dit
quelque chose d'analogue (~). Si Rousseau met~e
pluriel, c'est peut être parce qu'il pense Atous les
trois. r' ~t'
3" p. 243,mention du fait qu'Alexandrede Phëres,
si crue!, ne pouvait supporter ïes représentations
tragiques Mais cette anecdote également peut venir
ou de Montaigne tï, 27, ou de Plutarque.
4" p. 276, une citation latine d'Ovide. Chez Ovide
elle exprime la stupeur de Midas et son repentir
lorsque, son voeu exaucé, tous les objets qu'il
touche se convertissent en or; chez Rousseau !a
stupeur et le repentir de la race humaine lorsqu'elle
constate tous lès maux qu'elle a attirés sur elle par
là cupidité, qui lui a fait instituer la propriété.
Chez Montaigne (3) il s'agit de Midas comme chez
Ovide, et nous n'y retrouvons pas la mêmeappli-
cation que chez Rousseau. Dans ces conditions la
source est douteuse.
(~ Ed.de Bordeaux,
p.163.
(9) Voir ci-dessus p. il.
(3))t,<S,éd.de Bordeaux,
p.33:.
-~9"
'i~scours~s~S~~u~
a H est mamf6sten~t c6h loi de nature,
de quelque manière qu'on la dénnisse, qu'u~
enfant comthande a un vieHtard, qu'un tmbécile
conduise un homme sage, et qu'une poignée dë~~
tandis que ta multi-
gens regorge de superauités,
tude atïamée manque du nécessaire M, Montaigne
rencontrai Rouen des sauvages qu'il mterrogea
sur leurs impressions, et voict deux da teurs
observattons dont iiavai!. gardé le souvenir :<ftla
dirent ~u'itstrouvoient, en premier Jieu,.ïor~
estrange que tant de grands ttommes, portans barbe,
forts 61 armez, qui éstoient autour du Roy (il est
Suisses de sa
vray setnMabte que Us partoient des
à un entant/et
garde), se soubs-missent à obeyr
d'entr'eux
qu'on ne choisissoit plus tost quelqu'un
une Ïaçon
pour commander; secondetnent (ils ont
de leur langage telle qu'ils nomment les hommes
moitié les uns des autres) qu'ils avoyent aperçeu
et
qu'il y avoit parmy nous des hommes pleins
de toutes sortes de commoditez, et que leurs
gorgez
moitiez éstoient mendians à leurs portes, decharnez
de faim et de pauvreté et trouvoient estrange
comme ces moitiez icy necessiteuses pouvoient
souHrir une telle injustice, qu'ils ne prinsent les
autres à la gorge, ou missent le feu à leurs
maisons M (1).
6" p. 3i4, la neuvième des notes ajoutées par
(i)t't'. 96?,a84.aM.M9.
présumer encore que quelques amis de Rousseau
comme Condillac et Diderot l'ont aidô par leurs
conversations à dégager ses idées. En tout cas 1~
part de Montaigneest très réduite (i).
Rousseau est maintenant en possession de son
système. Il considère comme démontré que la,
nature a fait l'homme heureux et bon, que la
propriété et la vie sociale l'ont rendu méchant et
malheureux. H suivra désormais dans ses d'nérents
écrits les cohséquences de <~tt~ ~üt=,
férence essentielle que nous allons- reconnattre
entre le ~'6; d'~Mea~oM<~ jf. ~e ~îM<e ~aWeet
l'E~~ procède de ce système. Rousseau ne se défiait
pas encore de la société lorsqu'il conseillait de faire
fréquenter de nombreuses compagnies à son
disciple, lorsqu'il demandait à M. de Mabty de lui
indiquer des maisons où il pût le conduire. Il ne
se proposait pas d'en faire l'enfant de la nature.
Maintenant toutes ses idées pédagogiques vont se
subordonner à ce concept que la nature a fait
l'homme bon et qu'il faut la conserver en lui aussi
intacte qu'il est possible elles se teinteront de
nuances nouvelles, et, au besoin, se transformeront
radicalement suivant les exigences de ce principe
fondamental. Le système de Rousseau tiendra une
et de la simplicité, en admirateur de
l'ignorance
l'état de nature et eu détracteur de la société,
Mais quand Rousseau a voulu passer des paradoxes
très du premier discours à une doctrine bien
simples
(t) Préface,fin.
(*)T~Vttt,p.338.
(t;1';VIff.J}. 335;
(3..T.Vtn,p.M.
-~ST–~
On dmt~pprendre aon~ en~ï~ « a ~HpportM-tes~
coups du~sûrt, a braver r~~ et la>ll1isère,
a vivre, s'itieiaut, dans les glaces d'Islande ou sur
te brû!ant rocher de Matte~~H. N'aiiez pas rëpti-
qùer qae vraisemMâMementde pareits accidents ne
t'atteindront pas, que ta sagesse serait de prévoir
sa conditioBLprobabte et de~ prëparer~ Rousseau
vous répondra q ue vous ignorez t'avenir. Si !ës
hommesuaissaiën~aMachës~u sot d'un pays, si !a~
même saison durait toute~ ,chacun tenâitr
a sa {orfune de manière a ~'en pouvoir jamais
changer, la pratique ëtabMe serait bonne a certains
égards; l'enfant élevé pour son état, n'en sortant
jamais, ne pourrait être expose aux inconvénients
d'un autre. Mais vu !a mdbititédes choses humaines,
vu l'esprit inquiet et remuant de ce temps, qui
bouleverse tout à chaque génération, peutoïï
concevoir une méthode plus insensée que d'étever
un enfant comme n'ayant jamais à sortir dé sa
chambre, comme devant être sans cesse entouré de
ses gens? (2) M.Vous vous fiez à l'ordre actuel de !a
société sans songer que cet ordre est sujet à des
révolutions inévitables, et qu'il vous est impossible
de prévoir ni de prévenir cette qui peut regarder
vos enfants. Le grand devient petit, te riche devient
pauvre, te monarque devient sujet: les coups du
(t)T.VÏH,p.M6.
(8)T.VHt,p.43.
toutes ses manifestations pour la sauvegarder, ~&L
nature sous toutes sesfdrmes, la nature de l'homme~
la nature de l'enfant en général, la nature particu-
lière de chaque disciple, voil&la mission essentieno
du gouverneur, qui doit « empêcher que !es soins
de Ja nature ne soient contrariés (1) M. Rousseau
semble vouloir la préserver seulement, tant il a en
elle uneconaanceardente Montaigne vise à autre
choseencore. j
..0. 'o'
J~Mi,e~ar~e but qu'ils se proposent, et par la
conception qu'ils se font de ta nature et de ses
rapports avec l'éducation, Rousseau et Montaigne
semblent être en opposition, Il ne faut cependant
pas exagérer le contraste. Si Montaigne veut faire
de son disciple un honnête homme, l'honnête
homme, au sens où il le conçoit, ne saurait se
passer de la sagesse. Or, la sagesse, pour ce iervent
de l'antiquité, comporte une appréciation exacte des
hommes et des choses, qui élève l'individu au-dessus
des préjugés de caste comme de tous les préjugés,
et une possession de soi-même qui le met en mesure
de résister à tous les accidents de !a fortune. L'état
de sagesse de Montaigne est un peu l'état de nature
de Rousseau, puisque pour Rousseau la société est
la source de tous les préjugés et. de toutes les
faiblesses. Montaigne enseigne à bien vivre et a bien
mourir. II aurait bien volontiers dit avec Rousseau
« Celui d'entre nous qui sait le mieux supporter les
«)T.VHt,p.i8.
~3) Voir ci.dessus p. 94._
M
@husage (iesôn~ et toute sa pGilôsop~iië~~oûs
montre en tui un défenseur de la bonne nature
contre tes contraintes de tout genre, ausst bien
celles de ta médecine que celles de la phitosophM
stoïcienne. Entre sa cohnanco et celle- de Rousseau
il n'y a qu'une dinérence de degré. H n'a pas'le
dogmatisme intransigeant de Rousseau qui écrit
((Posons pour maxime incontestable, que les
pretniers mouvements de !a nature sont toujours
droUs it n'ya point do perversité originelle dans
tecœurhumain;it ne s'y~t~ pas un seul-vice
dont on ne puisse dire comment et par où il y est
entré(i) M. Montatgnesent que la nature est bonne,
et son sentiment oriente ses théories pour Rousseau
it y a là un postulat fondamental, et c'est de ce
postulat que tous lesprincipespédagogiquesdoivent
être déduits par voie de conséquence.
Rousseau reste donc assez près de Montaignepour
pouvoir profiter largement de ses réfiexions. A ne
regarder que tes principes, il est plus loin de Locke,
qui n'a pas exprimé la même confiance dans la bonté
de la nature humaine. Pour Locke, dont toute la
philosophie tend à faire aussi petite que possible la
part des éléments innés, la nature semble être à peu
près indifférente c'est le milieu qui fait l'homme.
Mais si la nature ne donne à proprement parler aux
enfants ni malice ni bonté, eUeleur donne du moins
des aptitudes, des goûts, des besoins, et si Locke
(Of.vM.t~aa.
ii
-'i~
~~Ssan~jï~~
souvent arbitratre.pl~s jaloux de ses droits~ H~
demande des reformes beaucoup plus radicales
encore. ~7
Sans doute Moutaigne et Lociteo -eu-raisou de
Combattre toute contrainte dans l'ëducaUon, de
s'élever contre les châtiments corporels, de poser en
faire qu'avec
principe que l'enfant ne doit rien
libre epa-
plaisir (~. Le plaisir est un signe du
nouissement des forces naturelles, toute contrainte J
t
s'oppose ce !tMr~epaHouissetnem:,et~ar sutte elle j
est mauvaise. Mais ce ne, sont là que des précau-
tiens très insunisantes pour sauvegarder la nature.
Nombreuses sont les causes qui contrarient Éon
développemeut, et Montaigne n'a pourvu qu'aux ¡.
abus les plus criants. Les habitudes sont des limi- f
tations de la liberté naturelle. Montaigne demandait t
qu'on eût soin d'en rester maître, qu'on pût toujours 1
s'en affranchir; Rousseau va plus loin, il ne veut 1
Les J
pas que l'enfant en contracte aucune (2).
exemples qui entourentl'enfant sont pour lui comme
des invitations perpétuelles à sortir de la voie de 4
nature pour s'engager dans les routes de la vie
artificielle. Montaigne et Locke voulaient les utiliser: `'
ils écartaient les mauvais et retenàient les bons. v'
~Tou~sontma~~
tous. H exiges que l'enfant en soit;prëséfvëe~pouF
cela on l'isole'-a de ses semblables. On le tiendra à
là campagne. Et sans doute l'isolement absolu n'est
pasréàlisable, pas plus que le complet aKranchisse-
ment de toute habitude, c'est dumoins le butidéa! où
it faut tendre. Lockecompta-itheaucoupsur l'influence
des parents et sur celle du gouverneur Rousseau les
Hïnite autant qu'ii est possible, et H ne veut pas
entendre parler d'ordres et de défenses quiseraient
autant de contraintes ~ppqrtëes à là trberté de t'en-
fant II rejette encore les mobi!esd'action que Locke
demandaitaux sentimëntsdet'honnëuretdu mépris
ils îont appel a t'opinion des hommes. Aucun prin-
cipe ne saurait être plus dangereux. Locke avait eu
raison de défendre l'usage des récompenses et de
dire qu'elles engendrent et entretiennent toutes les
passions dans le cœur des enfants. Rousseau l'imite
en cela, et se plaint que « depuis qu'on se môle
d'élever des enfants, on n'ait imaginé d'autre ins-
trument pour les conduire que l'émulation, la
jalousie, l'envie, la vanité, l'avidité, la vile crainte,
toutes les passions les plus dangereuses, les plus
promptes à fermenter et les plus propres à cor-
rompre l'âme (1) M;mais pourquoi Locken'a.t-il pas
été jusqu'au bout de son principe et a-t-il proposé
~M~ësT~anit~ de--l'honneur-qui
jaourrtt~en eux~l'orgueil~e~
C'est que, de même que le but de l'éducation est
de faire vivre l'enfant conformément à lu nature,
les seuls ressorts dont elle doit user sont ceux que
fournit la nature. Elle se charge de punir ceux qui
manquent a ses ordonnances. Laissons-la faire, et ne
joignons ni nos ordonnances ni nos punitions aux
siennes. « Maintenez l'enfant, nous dit Rousseau,
dans la seule dépendance des choses, vous aurez
suivi l'ordre de la nature dans le progrès de son
éducation. Noffrez jamais a ses volontés indiscrètes
que des obstacles- physiques ou des punitions qui
naissent des actions mêmes, et qu~i! se rappelle
dans l'occasion ')(!). Ou encore « Ne donnez à
votre élève aucune espèce de leçons verbales il n'en
doit recevoir que de l'expérience ne lui infligez
aucune espèce de châtiment car il ne sait ce que
c'est qu'être en faute (2). Un enfant brise les vitres
de sa chambre n'allez pas le réprimander, sa
punition sera de s'enrhumer. S'il ment, ne le
frappez pas, ne l'accablez pas de votre mépris, ne
jouez pas la stupéfaction comme le voulait Locke
laissez-lui seulement supporter les conséquences
naturelles de son mensonge. Voilà, pense Rousseau,
la base véritable de l'éducation naturelle Montaigne
et Locke n'ont fait quel'entrevoir.
Et de môme Montaigne et Locke ont très bien
«) T. VH!.p. M7.
<8)T.Vtt!,p. Mt.
-66–
reconnu que l'instruction doit se subordonner à
l'éducation morale Dès 1740 Rousseau leur donnait
raison sur ce point. Mais faute d'étudier suSïsam
ment ïa nature Us ne sont pas allés assez loin dans
cette voie. Ils ont bien vu que l'homme n'a que faire
~e ta plupart des sciences qu'on lui enseigne, qu'elles
aie servent de rien à son bonheur, que son bonheur
dépend au contraire de ses sentiments~ du calme,le
ses passions, de létatde son cœur. tis ontprouvé par
ta qu'ils connaissaient mieux que leurs devancière
la nature humaine. Mats s'ils avaient été plus
perspicaces encore, ils auraient reconnu que la part
de l'instruction doit être plus réduite qu'ils ne l'ont
voulue, diSéréé beaucoup plus tard, jusqu'à la
douzième année, qu'au-dessous de cetàge l'esprit de
l'enfant n'est pas capable de la recevoir. Et Rousseau
pose avec une autorité impérieuse la conception
personnelle qu'il se fait de la nature enfantine.
Jusqu'à la douzième année le corps seul est suscep-
tible d'être cultivé avec profit (i). Alors commence
le temps de la première instruction intellectuelle.
Plus tard, après quinze ans, viendront l'enseignement
moral, l'enseignement religieux et'le complément
de la culture de l'esprit. Modifier cet ordre, parler de
Dieu avant l'adolescence ou faire lire les Fîcsde
Plutarque à un enfant de dix ans, c'est bouleverser
l'ordre de la nature et transgresser ses volontés.
Rousseau prétend tirer cette méthode de la seule
<i)T.Vttt,p. 240.
-i67l-–
<<)CtMp.tX,p!M'.99.
(8) T. Vm, p. 3S.
<3)T.vnt,p.<a.
~69-
part et d'autre très nettement !a même. Voyons
maintenant- comment s'exercera cette amiçaie
f direction. Les enseignements se succèdent chex
Rousseausans se méter. Ce n'est pas à dire que
chacun d'eux n'empiète pas sur le temps qui est
réservé aux autres. Noussuivrons pourtant à peu
près l'enfant de sa naissance à sa vingtième .année
en examinant successivement les idées de Rousseau
sur renseignement physique sur rens~~
intellectuel, et sur l'enseignementmorai.
CHAPITRE!V
na 6t<l~~ Physiqae
(1)T.Vt!t,p.M4.
1
roidir !'ame, H faut, dit-il, lui durcir tes muscles
en t'accoutumant au travail on l'accoutume A Ïa
douleur. Il le faut rompre à l'&preté~
pour le dresser à de la dislocation, de la
colique et de tous les maux)) (i). Ces mentions et
citations de Montaigne nous prouvent l'influence
des Essais sur lé dévetoppeihent de semb!aMesidées.
Est ce Rousseau ou bien Montaigne, qui nous dit
« Armons toujours l'homme contre les accidents
imprévus. Qu'Emile coure les matins S pieds nus,
en toute saison, par ta chambre, par l'escalier,
par le jardin. (2) M
Ne s'est ii pas encore, sans le nommer, souvenu
de Montaigne quand il a écrit: « Sansdouteil faut
s'assujettir aux règles, mais la première est de
pouvoir les eu freiudresans risque quand la nécessité
le veut. N'allez donc pas amollir indiscrètement
votre élevé dans la continuité d'un paisible sommeil.
qui ne soit jamais interrompu. Livrez-le d'abord
sans gêne à la loi de la nature mais n'oubliez pas
que parmi nous il doit être au dessus de cette loi
il doit pouvoir se coucher tard, se lever matin,
être éveillé brusquement, passer les nuits debout
sans en être incommodé. H(3) Et encore « En toute
chose ne lui donnons point une forme si déterminée
qu'il lui en coûte trop d'en changer au besoin. Ne
faisons pas qu'il meure de faim dans d'autres pays
(UT.Vm.tMM.
(9)T. vm, p,aa9.
(3)T. VIII,p. Mt.
s'il ne traîne partoutà sa suite uncmsinier!françats,
ni qu'il dise un jour qu'on ne sait manger qu'en
France ))(i). Nousavons vu quelle importanceMon-
taigne attachait à ce précepte (2). Us'accommodait
aux cuisines de toutes les nations comme à leurs
« humeurs » (3), et voulait que son disciple en pût
faire autant. Locke avait repris la môme recomman-
dation, et nous avons constate (4) qu'avant Rous-
seau il a conseillé de changer souvent pour l'enfant
les dispositions de son lit, afin qu'il ne fût assujettt
à aucune.
CommeMontaigne aussi Rousseaufait une grande
place aux jeux et aux exercices de toutes sortes.
Lui reproche-t-on d'y trop sacrifier ? Il se rappelle
l'avis de Montaigne « Vous êtes alarme de voir
un enfant consumer ses premières années à ne rien
faire!De sa vie it ne sera si occupé. Platon,
dans sa République, qu'on croit si austère, n'élève
les enfants qu'en fêtes, jeux, chansons, passe.-temps,
on dirait qu'il a tout fait quand il leur a bien appris
à se réjouir; et Sénèque parlant de l'ancienne
noblesse romaine; elle était, dit il, toujours debout,
on ne lui enseignait rien qu'elle dût apprendre
assise. Il (5) Or ces deux autorités de Platon et de
«)T.Vn).f.47.
<9) T. VtH, p. 47.
-177. <
~!MsM~Mm~ëG!i~t~ï)t~tara~
tu ne la sentiras qu'unefois, tandis qu'ils la portent ï
chaque jour dans ton imagination trouMëe, et que
leur art mensonger, au Heu de prolonger tes jours,
t'en ôte la jouissance. Je demandera! toujours quel
vrai bien cet art a fait aux hommes. Quelques-uns
de ceux qu'il guérit mourraient, il est vrai, mais des
millions qu'il tue resteraient en vie. Homme sensé,
ne mets point a cette loterie b~ trop de~ sont
contre toi. Souffre, meurs ou guéris, mais surtout
vis jusqu'à ta dernière heure (t) M. ~pourrait t
rapprocher de ceci beaucoup de passages de
Montaigne, car ces idées lui sont tout à fait familières.
II avait dit que se livrer aux médecins était une
entreprise très hasardeuse où le risque de perdre
était grand. « Si encor nous estions asseurez, quand
ils se mescontent, qu'il ne nous nuisist pas, s'il
ne nous profite, ce seroit une bien raisonnable
composition, de se hazarder d'acquérir du bien sans
se mettre en danger de perte. (2) M.Il avait montré
tous les troubles que la connaissance des maladies et
lesouci de les guérir portent dans les imaginations.
L'essai de la physionomie (3), est rempli de cette
idée. Il dit encore ailleurs « Combien en a rendu
de malades la seule force de l'imagination Nous en
voyons ordinairement se faire soigner, purger et
medeciner pour guérir des maux qu'ils ne sentent.
(i)T.V!n.p.MO.
(2)H,37,éd.de Bordeaux,
p. M8.
(9) H),H.
179
!u~n~eHr~scours~
nous taillent, la ~science ~ous preste iles siens.
Comparés~ la vie d'un homme asservy & telles
imaginations a celles d'un laboureur se laissant aller
après son appétit naturel, mesurant tes choses au
seul sentiment présent, sans science et sans
prognosttque, qui n'a du mal que lors qu'il l'a, ou
l'autre a souvent ~la pierre en l'âme avant qu'il
l'ait aux reins cbmmes'il n'estoitpas assez à temps
pour souMrir le mal lors qu'U y sera, ils l'anticipent
par fantaisie, et lui courent au deyant~ avait
longuement exposé tout le désordre apporte aux
habitants de Lahontan par le premier notaire et par
le premier médecin qui s'étabUrent chez eux~
médecin surtout avait causé leur malheur en'leur
enseignant à être malades et en abâtardissant leurs
courages. « Us jurent. que, depuis l'usage de cette
médecine, ils se trouvent accablés d'une légion
de maladies inaccoutumées, et qu'ils apperçoivent
un general deschet en leur ancienne vigueur, et
leurs vies de moitié raccourcies (2) ».
En ce qui concerne iamédecineet les médecins,
Rousseau pensait sans doute que le dernier mot de
la sagesse avait été prononcé par Montaigne. « Nous
nous perdons d'impatience, avait-il dit, « les maux
ont leur vie et leurs bornes, leurs maladies et leur
santé. La constitution des maladies est formée au
(1)H,M,éd.deBordeaux, p. MO.
(8)tt, 37,éd. deBordeaux,
p. 60?.
~80"-
(t)T.VH,p.M4.
182
(l)T.Vttt,p.20<.
(2)Ch.t,par.23.
(3) Locn~eh. par. 3t RocasMc,t Vtt!, p. 'MM.
(4) LocKE,ch. t. par. 8; RocsssAC, t. ViH, p. 67.
(9) LocM, ch. par. 9; RocssEAU,t. YtH,p. 306.
i86~
(U T. VïH, p. M9.
-~87
n~~seig~a~ Rate~i~
~J;J~s~
(OT.VOt.p.tM.lM.
<9)T.VtH,p.itS.
–'w-
d'abord Ern~te~ Fobservation~ des ciiôses qui
frappent t'hotnme de la nature les premtères. Il ne
faudra pas s'écarter des phénomènes sensibles.
<(Remarquez que ce n'estpas moi nousdit Rousseau,
qui fais arbitrairement ce choix, c'est la nature eiïe
même qui rindique(l).M sur
~mesur~ desf facultës~de t'immme ses différents
âges et sur Je choix des occupations qui conviennent
a ses facultés (~). ML'étude ~fe !a mora!ë ne doit
veniF~u&pMstard(3)~ '=,.
~insi, tant ~ur Fage ~e première~instrùc~
que sur sa matière la conception que Rousseau se
fait de la nature lui défend d'accepter les idées de
Montaigne et de Locke. Il veut, comme eux, que
l'éducation soit essentiellemènt utilitaire. Son utili-
tarisme se rencontre avec le leur en ce qu'il lui fait
condamner à peu près tes mêmesétudes la logique,
la dialectique, la rhétorique (4). Avec eux il estime
que presque tout ce qu'on enseigne habituellement
aux enfants est perdu pour eux « Parmiles diverses
sciences qu'ils se vantent de leur enseigner, ils se
gardent, bien de choioir celles qui leur seraient
véritablement utiles, parce que ce seraient des
sciences de choses, et qu'ils n'y réussiraient pas
«rr.vtn,p.a76.
(3)T.Vtjï,p.M:.
(3)On co))co)t
aisémentp~t' ta que Roosseans'tndiguocontre
-Locke-pouravoirvoutu« qu'oncommencepaft'ôtadodesesprits
c'est'&-d)t'eptn'desnottoosm6tap!)ys)qttes(f.V!H,p.460).
(4)Voirct-dessus
p. 30.
i3
194
LocM,ch.XXV;RoussEAC,
(<) Comparer t. VIII,p. 339.343.
;–i97–
(t)T.Vttt,p.a3.
(9) T. VIII, p. 867.
(3)T.Vttf,p.3!2.
(4) T. IX, p. 14!. Voir aussi Nouvelle .H<~otM V, t. VII, p. M5~
(5) III, it, éd. Joaaast. t. Vf, p. 338.
l'autre ?» (1).
l'atttrë (3j: LIestime
u. que-c'est
qnè ~c'estune.
une~clsôse
chose très -y
dMeneque~e savoir ignorer (2) et il décIajK!qu'iÏ
enseigne l'ignorance (3). C'était suivre le conseit
que Montaignë donne d'un bou t à l'autre de son
essai De !ct))~s!OMO)M!e(4). tenons d'ores en
avant escolle de bestise M,dit-il, et Socrate y est
présente commeun mettre d'tgnorance (a). Ce qui
les inquiète surtout c'est Jtedem~savoir. Us admet-
tent qu't! y a une science très haute qui produit de É
bonseKets,des enetsâussi~s~ yue ceux-
de Ï'ignorance. Matsentre les deux il y a le demi- 1
savoir qui ne siège qu'en iamëmoire et qui gâte
tout. C'est là une idée obère a Montaigne. Rousseau i
la lui a probablement empruntée. « L'ignorant qui
ne prévoit rien sent peu le prix de la vie et craint h
peu de la perdre l'homme éclairé voit des biens
d'un plus grand prix qu'il préfère à celui-là. Il n'y
a que le demi-savoir et la fausse sagesse qui,
prolongeaut nos vues jusqu'à. la mort, et pas au-
delà, en font pour nous le pire des maux » (6). s
Il dira ailleurs « Ce qu'il y a de pis pour la
sagesse est d'être savant à demi H(7). i
D'autres expressions encore et d'autres pensées~ l,
(i)T.Vm,p.36t.
(2)T.tX,p.M.
(3)T.Vttt.p.i93.
(4)!U,t2.
(5) ttt, ta, éd. Jouaust, t. Vt, p. 394.
(0)T.Vnt,p.M.
(?)T.iX,p.M4.
,02-~
(l)T.VHt,p.2S7.
(2) Rappelons le texte des Essais, auquel il est fait aHusioa
« Les belles âmes, ce sont les âmes universelles et prestes à tout, si
non iMtt'uites, du moins tnstrtusabtes n, i7, éd. de BordeMX;
p. 436.
LJ~-
mefa etconfpndra~~ é\1il ouvrabe tÓut'
sien.~sçavMr~so~ugement~ so~ 'SOlln~
travail et~BstudeTne~vise qu'à~ le former (4)~). Et
Rousseaude même ~<<Quand~ l'entende
pt-oprie les clïôses avant de les déposer dans la
mémoire,ce qu'ir en tire est à ~lul, au Heu qu'en
surchargeant la mémoirea son insu on s'expose à
n'en jamais rten~rerquïlu~~ propre. 'nnl a
peu de connaissances, mats celles qu'il a sont
véritablement siennes j~) M..
Âpt'esîa~ quinzième ann~, ceMe cuM~
s'acMèvera chez Rbusseaû "l' eludede2
jugement
L'homme,c'est à-dire par l'étude que Montaigne, et
que Rousseau lui-même en 1740, proposaient à leur
non
disciple dès sa plus tendre entance. Désormais
seulement la méthodede l'enseignement et le proHt
mêmes
qu'on en espère pour l'intelligence seront les
de part et d'autre, mais la matière enseignée leur
sera commune elle aussi. Emile, qui jusqu'alors n'a
observé que des phénomènes physiques, va désor-
mais observer le monde moral afin de connaître les
hommes. Il ne s'agit pas pour lui d'agir, mais de
regarder afin de former son jugement, d'acquérir
des idées justes sur le monde moral. Montaigne
avait emprunté à Cicéron une image pour exprimer
cette attitude toute contemplative de son disciple.
<(Nostre vie, disoit Pythagoras, retire à la grande et
Wf.VtH,p.4a:.
t. VIII,p. 4M MoMAMNE,
(a) RocssEAtf, H, M, M. de Bordeaux,
p.M9.
(~Retfsst!*u,t.Vt!),p.42e:MoNTAmNE,!t.iP,p.tH.
-1
"ë~
~cos~nïêpOMr~ ~;e] lè-lîë1é~'sulCpoit}'r(râÍ}s~sit'
maison~ dang son ~ab~nët~ dans sa famille, au
miHeu de ses amis eîte ne !e peint ~n'en répré-
senta tion c'est bien p!us son habi f que sa personne
qu'eue pemt.~J'aHMeratS mteux la jeotut'ed~~
particu!ieres pour commencer i'étudë du
~utnain car ators l'homme a beau se dérober,
rhistotten le pou rsu! t partout il ne hu iaisse
aucun nMniehtd l'elâclie{ atlcUlireêohl~p'QUévitel-
l'œit perçant du spectateur et c'est quandl'un croit
mieux se caciier, que i'autre!e fait m'euxco~
naitt''e. Ceux, dit Montaigne, qui escrivent les
vieSt d'autant qu'Us s'amuséhtptusau~
qu'aux evënetnents.prus à ce qui part du dedans
qu'à ce qui arrive au dehors ceux !a me sont plus
propres, voyta pourquoy, en toutes sortes, c'est
mon homme que Piutarque (4). )) Montaigue avait
dit I'uti!ité de suivre jusque dans leur intimité les
héros de l'histoire pour les juger avec équité (S), de
les surprendre « en leur a tous les jours )) et non
dans leur habit de parade (6). En d'autres endroits
encore que dans le passage cité par Rousseau, il
avait montré !a valeur éducative des F<Mde Piu-
tarque. I! t'avait fait en particulier dans l'essai De
~<Ms<~Mt!OMCM/<M~ (7). Tous deux s'accordent
louer hautement le maître du genre, Piut.n'que, qui
(('s'MM grâee~innMi~
hommes dansles petites choses; il est si heureux
dans le chpïx.dë -ses trai~ que souvent un mot,
un sourire, un geste, lui sufSt pour caractériser-
sonlitéros (1) H. Rousseaucite divers ëxen~ples pour
montrer cet art de peindre chez Phttarque.Pïusie~~
d'entre eux a vaient ét~ mis en valeur par Mon~*
taigne (2). Y j"
~uand, grâce aux bistoires, ~E aura fait de
loin connaissance avec les Itommes, il pourra les
approcher davantage, se nTéierun~~ plus à, Ia_
soctetë.~ H devra aussi, mais plus tard encore,
entreprendre des voyagessous l'étroite surveil
de son gouverneurJOMontaigue a eu tort (et Locke
après lui) d'exposer si tôt son disciple à !a visite des
pays étrangers. Elle ne convient qu'à ceux qui
« peuvent voir l'exemple du vice sans se laisser
entrainer (3) )). Il a très bien vu, en revanche
comment et pourquoi l'on doit voyager. Comme lui,
Rousseau critique ceux qui sont tout occupés de
minuties archeotogiques, de recherches savantes et
Montaigne,26.éd. de Bordeaux,
(t) T. Vin,p. 429.«approcher
p.202.
(2) t'onr Agesttascf. MosTAtGNE.t. as. p. 2St pour Ccssr. it!. 7,
pottrA)exaMdt'e,t,24;pourPt)itopoemet),it,I7; pour Pyrrhus et
Ciucas, t. 42.N'o))b!iotMpas d'atitem's qoo ttoussp~ntisitit bcimcoop
Ptntin'qne, et qu'il :t dA puiser directement ces exemples chei!
Ptutut'qne. Montuignoles :t pent'ett'csignâtes :t son attention, mais,
si je nomme Ici Montagne à côté de Mousser), c'est btcn ft~tôt pour
montrerquotexrcMt'tosite à tous les deux va anx mêmescxctnptcs
de Ptutat'quc.
(3) 'r. tX, p. M2.
208
diseuses (i),eontm&~uteac&re,n nién~lge pasles
sarcasmes au Français qui «-plein de ses usages,
oonfondtout ce qui n'y ressemble pas (2) ». il assigne
~ux voyages d'Emile un but auquel Montaigne
n'avait pas songé, auquel il n'avait pas pu songer
Emile apprendra à y connattre les dinérehtesformes
de gouvernement, et a choisir entre elles. Un tel
desseinauXVI~siècle eût été tout à. fait séditieux,
~t d'ailleurs l'élève de Montaigne était trop jeune
pour aborder les problèmes politiques. A cela près,
Rousseau escompte des voyages les mêmes profits
que Montaigne et Locke. Emile y apprendra les
langues bien entendu (3), mais surtout le contact des
étrangers lui sera précieux pour triompherde ses pré-
jugés (4). L'essentiel, au gré de Rousseau, est de savoir
« observer (5) » et le but est non de « voir du pays ))
mais de « voir les peuples (6) H. La manière de
voyager est aussi semblable de part et d'autre. Elle
est déterminée d'ailleurs par l'objet du voyage.
« Nous ne voyageons point en courriers, dit Rous-
seau, mais en voyageurs. Nous ne songeons pas
seulement aux deux termes, mais à l'intervalle qui
les sépare. Le voyage même est un plaisir pour
éd.de Bordeaux,
(i) T.IX,p. 428 MoxTAMKE, p.iM.
(3) T. !X, p. 396. Rapprocher chez Mo~TAMNE,
en particulier, III, 9,
~d.JoaMtst.t~Vt.iSS.
(3)T. IX,p. M(!.
W T. tX, p. 439.
?) T. IX, p. 396 et p. 43S.
?; P. 40t.
309
(i)T.tX,p.3t3.
14
incommunicables se defendans de la contagion d'un
airincogneu(2).
Avec l'histoire et les fables d'abord, avec la
fréquenta)bion du inonde et tes voyagea ensuite, nous~
retrouvons toutes les formes du « commerce des
hommes)) tel que Montaigne le concevait~Oé
un enseigne ment moral positif marchede pair avec
renseignement intellectuel Commechez Montaigne
et chez Locke, les idées morales sont devenues le
principat instrument de la cutture du jugement.
Mais pour voir quelle a été sur la formation morale
d'Emite t'innuencede Montaigneet de Locke il nous
faut revenir en arrière et remonter à ses premières
années.
Eu ce qui concerne l'instruction proprement dite
nous venons de constater des ressemblances frap-
pantes entre les théories de Montaigne et celles de
Rousseau. C'est de part et d'autre la même fin
proposée à la culture de l'intelligence, c'est la même
manière d'enseigner après la quinziènM année
ennn les connaissances enseignées, elles aussi, sont
les mêmes et l'histoire devient pour Rousseau
comme pour Montaigne l'instrument essentiel de la
formation de l'esprit. Des emprunts avoués de
Rousseau à Montaigne, et, à leur défaut, des simili-
tudes d'expression ne permettent pas de penser qu'it
y ait là simple coïncidence. Certainement la lecture
des E~oUsa été pourquelque cho&edans la formation
I~édûeatio~~€~ = -1
MT.VtH.piM.
(â)T.VHt.p.204.
~ÏS-
<i)T.Vnï.p.H6
-Lm~-
~oudra~tuer étant grand H Montaigne et Locke
avaient recommaudé dans des termes analogues de~
veniez sur les nicimations naissantes des enfants
qui, sous des apparences ano~ cacheyt parïoi~
de dangereuses menaces, et le penchant à la violence
ou a la cruauté leur avait parudigne d'une partï'
culiere attention~).
Mais surtout Locke àvan mtttulê un d& ses ~tapi-
tres Il ne /at« pas laisser prendre aux enfants
trop d'en)pireret.pourquoh~(~~
et dans le ctutpttre suivant intitulé: ~tM<JMS
soM~nr ~Me~s eK/a~Ms'accoMtMMtetKp~Mt' que
Rousseau a puisé une idée qui tient une place-
considérable dans I'JM< Locke disait (3) que les
enfants aiment « naturellement M à prendre de
l'empire sur ceux qui les entourent, et il voyait
dans ce penchant « la première cause H de la
plupart des habitudes déréglées où ils s'engagent
ordinairement. Rousseau proteste ce n'est pas
la nature, ce sont les services inconsidérés que nous
rendons aux enfants qui leur inspirent cette
mauvaise inclination (4). Mais il reconnaît qu'elle
traine après elle les suites les plus funestes (5). C'est
l'enfant
par ses pleurs, disent-ils l'un et l'autre, que
tespassagesct-dessus
(1)Outre indiques,voirt. VOf,pp.69et408.
et NouvelleHéloïseV,t[t,t. VH,p.2S4.
~t&
(i)Gh.Xtt,(MU'.«)7<'t«'8.
(a)Ch.Xttt.pat'.<14.
-o"-
~Ms~M ë~ âücûn~
attentïon.oubienon~ettesureuxunreg~ sévère,
ou bien on imagine quelque moyen de les distraire,
rarement il eh faut venir aux coups M(i ). Rousseau
o
viendra jamais aux coups, nous
n'en vieu(lrajan1Í'Îsauxcoup$,
n'en n ? savons~
8
mais sur tout le reste il est est pleinement d'accord
avec Locke. Lui qui (nous l'avons vu) p!ace le
bonheur dans réquilibre des besoins etdes forces (~,
que ne fera-t-il pas pour empêcher réveil des
besoins d'opinion ? « Loin d'avoir des forces super-
flues, les enfants n'en ont pas mêmede sufnsantes
pour-tout ce que leur demande la- nature; il faut
donc leur laisser l'usage de toutes celles qu'eUe leur
donne et dont ils ne sauraient abuser. Première `
maxime. H faut les aider, et suppléer à ce qui
leur manque, soit en intelligence, soit en force,
dans tout ce qui est du besoin physique. Deuxième
maxime. I! faut, dans les secours qu'on leur donne,
se borner uniquement à l'utile réel, sans rien accor-
der à la fantaisie ou au désir sans raison, car la
fantaisie ne les tourmentera point quand on ne
l'aura pas fait nattre, attendu qu'elle n'est pas de la
nature. Troisième maxime, ït faut étudier avec soin
leur langage et leurs signes, afin que, dans un âge
où ils ne savent point dissimuler, on distingue dans
leurs désirs ce qui vient immédiatement de la
nature, et ce qui vient de l'opinion. Quatrième
«)Ch.X)n,pa)-.<i6.
(8)Votrt.vn[,p.a<;etsu!v
T-~2r-
~~m~ësp~t~ëë~r~ës~a~
étants plus~~e~~ véritable et. moins d~è,nd
de ce qu'Us
p,t-(i}0u encore~ On doit se~ner et que
désirent sans le pouvoir faire eux-mêmes,
d'autres sont oblitgés de faire pour~eux.¡\Jo"rsHfa(jt
soin le vrai besoin, te besoin naturel
distinguer avec
commence à naître, ou de
du besoinde fantaisie qui
ne delà surabondance de vie dont
celui qui vient que
Mreq~and un
j'ai parté.~ai déjà dit~e qu'il faut
enfant pleure pour avoir ceci oucela.J'ajouterat
seulement que, des qu'il peut demander en parlant
l'obtemr plus vUe ou
ce qu'il désire, etque pour
il appuie de pleurs sa
pour vaincre u~ refus, refusée.
demande,elle lui doit être irrévocablement,
le savoir et
Si le besoin l'a fait parler, vous devez
céder quelque
faire aussitôt ce qu'il demande, mais
verser (2L
choseà ses larmes, c'est l'excitera en
on estime qu'il n'y a pas lieu de céder aux
Quand comme
larmes de l'enfant, Rousseau est d'avis,
faut « n'y faire aucune attention H ce
Locke, qu'il
de l'habitude de pleurer on peut encore
qui provient et frap.
«les distraire par quelque objet agréable
voulaient pleurer.
pant, qui leur fasse oublier qu'ils bien
des nourrices excellent en cet art, et,
La plupart
ménagé, il est très utile ') (3).
entreles besotna
Mscntte'te
(i) T.VU),p. Stn-t~ dtsUMcHon et ~sst
n~ets et lesbe~ns de hu~i.ie. voirencorep.
~o~e~~<V-,n!.t.VH.P.Mi.
(a) T. VHf, p. 108.
(3)t'.V)tt,P.77.
.~2;
(t)Ch.Xnt,p!U\U6.
223
«)T.VtH,p.90.
onfant. Accoutumex-le premièrement a jeter les
yeux dessus, et quandil peut faire cela sans peine,
à l'approcher de plus près et à la voir sauter sans .`
émotion, et ensuite à la toucher légèrement pendant
qu'un autre la tient ferme entre ses tnains, conti-
nuant ainsi par degrés à lui rendre cet ammai
familier, jusqu'à ce qu'il puisse te manier avec autant
d'assurance qu'il manie un papillon ou un moineau.
Par la mêmeméthode vous pourrez affranchir votre
enfantde toute autre frayeur chimérique, si vous
prenez bien garde de n'aller pas trop vite, et que
vous n'exigiez point de lui un nouveau degré
d'assurance, avant qu'il soit entièrement confirmé
dans celui qui précède immédiatement (1) a.
Rousseau paraît s'être souvenu précisément de ce
passage de Locke quand il a exprimé à son tour les
mêmes idées. « Je veux qu'on habitue l'enfant à
voir des objets nouveaux, des animaux laids, dégoû
tants, bizarres, mais peu à peu, de loin, jusqu'à ce
qu'il y soit accoutumé, et qu'à force de les voir
manier à d'autres il les manie eh8n lui-même. Si
durant son enfance il a vu sans effroi des crapauds,
des serpents, desécrevisses, il verra sans horreur,
étant grand, quelque animal que ce soit.Tous les
enfants ont peur des masques. Je commence par
montrer à Emile un masque d'une figure agréable;
ensuite quelqu'un s'applique devant lui ce masque
sur le visage je me mets à rire, tout le monde rit,
«) T.~tn,p. ?.
i5
`
326.
«) T.Vttt.p.96-97.
(3) T. VUt, p. Mi.
.328.
())t~M,éd.deBoïde~ux,B.a97.
(2) Il,n, éd. de Bordeaux, p. 372.
(2)n.l3.6d.deBot'deaax,p.3?2.
(3) !tt, <0, éd. Jouaust, t. Vt, p. 227.
(4)1,39.
p.3M.
(5)t, S9.éd.de Bordeaux,
etc.
t6) T. tX, p. 383: Voir aussi pp. 379, 3M, 437,
dont il pouvait être un jour victime, afin de s'appri-
voiser a elles et de n'ea être pas
a pensé au contraire que -toute cette préparation
philosophique nuit plus qu'elle ne sert, il s'est
proposé de jouir du présent sans se préoccupée
désormais de l'aventr. Mais Rousseaune pouvait pas
connaître cette évolution de l'auteur des JE~ats.
Montaigne lui semblait n'avoir pas choisi, et lui*
même, comme Montaigne, se sentait attiré à ta fois
par les deux attitudes contraires. Il s'est pourtant
avisé parfois de la dimculté et il a. tenté une cuncii
liation «Hy a un excès de rigueur et un excès
d'indulgence, tous deux éga!ement à éviter. Si vous
laissez pâtir les enfants, vous exposez leur santé,
leur vie vous les rendez actuellement misérables
si vous !eur épargnez avec trop de soin toute espèce
de malaise, vous leur préparez de grandes misères,
vous les rendez délicats, sensibles. Vous me direz
que je tombe dans le cas de ces mauvais pères, É
auxquels je reprochais de sacrifier le bonheur des ¡
enfants à la considération d'un temps éloigné qui
peut ne jamais être. Non pas car la liberté que ¡
je donne à mon étève~te dédommage amplement =
des légères incommodités auxquelles je le laisse
exposé~) (1). tt explique que, pourvu qu'on le laisse F~
libre, un enfant transi, jouera sur la neigesanss
même sentir le froid qui le bleuit. H s'endurcit au Ji
froid et pourtant cette prévoyancene gâte point son
«) T. Viti, p. <(?.
iii3-0-
u
~230~–
bonheur présent. Le sophisme est manifeste Rous-
seau compte sans les menaces de fluxion de poitrine.
Maisn'importe, on voit dequer~ va'Gtteréler
la solution du problème. Misen demeure de s'expli-
quer, Uaurait dit, je crois, qu~ilne faut pas préparer
l'esprit aux maux futurs, vu que tes préparations de
la philosophie sont nuisibles, mais qu'it conYient
d'aguerrir te corps, que les exercices fortifient et
disposent à mieux supporter l'avehir sans gâter le
présent. Aussi est ce surtout pour l'éducation du
corps qu'il suit les leçons d'énergie de Montaigne.
Nous t'avons entendu à ce sujet ci ter longuemenHes
Essais (1). Il ne s'en est pourtant peut-être pas
toujours tenu au corps. Ne semble-t-il pas faire
allusion aussi à une préparation philosophique
quand il dit « Plus on familiarisera l'enfant avec
toutes ces idées (de douleur et de mort), plus on le
guérira de l'importune sensibilité qui ajoute au mal
l'impatience de l'endurer. (2) )). En tout cas, il
aime, comme Montaigne, à jeter des déus à la
fortune, et on lit dans l'ËMM~aussi bien que dans
les Essais l'arrogante apostrophe des ?'MSCMJ'<tMM:
<( Occupavite, fortuna, atque cepi omnesque aditus
tuos interclusi ut ad me aspirare non posses H(3).
Rousseau revient avec beaucoup plus d'insistance
sur le précepte épicurien de ne pas se tourmenter
<i)Voirci-deM)M,p.M3.
(2)T.V<n,p.:04.
(3)T. ViH,p. M;~ss<tts,
t), 2,tid.de Bordeaux,
p. 20.
-23i~-
a prévoir t'avenir. Nous l'ayons entendu déjà
condamner la prévoyance des médecins (i).H n'est
pas moins sévère pour celle des pHilosophes. Il se
souvient ici surtout de l'essai De ~sMKOMt~.
Dans l'état de nature, nous dit-il, l'homme. spunre
atsément les mauxqui sont attachés a son espèce, la
douleur et la mort. <<Naturellement Thommesait
sounrtrconstamtnent et~nëurten paix (~ Combien
t'KÔmmevivant ~ànsiasunpticite primitive ~est sujet
à peu de maux. It vit presque sans maladies ainsi
q uë sans passions et ne prévoitt ni ne sent -la mort ·,
quand il la sent, ses misères la lui rendent dési-
rable dès lors elle n'est plus rien pour lui. Si nous
nous contentions d'être ce que nous sommes, nous
n'aurions point à déplorer notre sort, mais pour
chercher unbien être imaginaire, nous nous donnons
mille maux réeis. Au mal qu'on sent on ajoute celui
qu'on craint; la prévoyance de la mort la rend
horrible et l'accélère; plus on la veut fuir, plus on
la sent, et l'on meurt de frayeur durant toute sa
vie, en murmurant contre la nature des maux qu'on
s'est fait en l'offensant » (3).C'est bien ainsi que dans
l'essai Dela physionomie,Montaigne avait parlé de la
condition des paysans. La douleur et la mort ne leur
pèsent guère. «Regardons à terre les pauvres gens
que nous y voyous espandus, la teste penchante
apres leur besogne, qui ne sçavent ny Aristote, ny
(t) Cf.ci-dessus,
p.t76.
(9) T. VUt, p 46.
(~T.tX.p.H.
-g~
(t)t'.Vt)!,p.3M.
~)tt),M.M.JounLn8t.t.V!,p.MO.
–g3S–
<it)tt!.t9,cd.Jo))Mst.t.Vi.p.m
"23~–
~)T.Vttt.p.4S3.
i6
CHAMTM VU
~rë"rettg~autres~smotngs~p~ =,
messes et menasses Nous pourroyén~~itnpri me1jpar
mesme voye une croyance contraire. Nous sommes
chrestiens à mesmetitre que nous sommes ou
Perigordins ou AlomansH {!). C'est dans la ~es$e
de Charron, le disciple servile des Essors, que
Rousseau a cherché l'écho de cette pensée. Il était
un prêtre
piquant d'en trouver l'expression; chez
Il
beaucoup plus que chez un ph itosophe sceptique.
cite les mots mêmesde la Sagesse Les « religions
~ont, quoÏ qu'on die, ~nues par ~matns et moyens
humains tesmoing premièrement ta manière que `
les religions ont été reçues au mondeet sont encore
tous les jours pur les particuliers la nation, le
pays, le lieu, donne la retigion: l'on est de celle que
le lieu auquel on est né et e!evé tient. Les
de
religions positives, qui toutes s'entre accusent
mensonge, n'ont pas plus de fondementles unes que
les autres puisque ce n'est pas pour des raisons
solides que nous allons à elles (2).
Si les religions sont vaines (3) les philosophies ne
p. t49.
(Utt, 12,éd. de Bordeaux,
de Charron faite
(9) T. )X, p. 76. Notez encore dans la citation
« ta religion n'est pas de notre
par Rousseau les mots que voict
choix et etection tesmoing, après la vie et tes mœurs si mat
accordants avec ta religion tesmoing que, par occasions humaines,
Tout cela
et bien legere l'on va contre la teneur de sa retigion
est encore'mité du mêmepassage de Montaigne.
(3) La religion cathotioue présente cette dimcutté particntière
tes dogmes et de
qu'elle ne permet pas de faire un choix parmi
le plus dimcitement. « 0"
rejeter ceux que la raison approuve
ecctc-
il fautse snbmettre du tout a t'authorité de nostre potit-c
-~46~
Ïesont pas~n ëst liëïcdi c©ntcë
pf=ys
ïes philosophes que contre tes "'pl'ètt,~s..11 a parlé
de cette « mer vaste, trouble et ondoyante ~es
opinions humaines )) ou la raison se perd et s'embar-
rasse, tournoyant et nottant~ {1). Rousseau
~~at~s~t~tv~~
orageuses, sans autre guide qu'un piloté inexpé-
rimenté qui méconnaît sa route, et qui lie sait
m d'où il vient ni où H va M(f). Quand !e vicaire
Savoyard consulté les feuillette tours
livres, exatnine leurs -opinions, pour apprendre
de sa longue étude qu'ils sont tous dogmatiques
et présomptueux, mais n'établissent aucune vérité,
il semble dégager'la conclusion de l'~F~ <~
~OH~(2). Il est encore d'accord avec Montaigne
~uandir~éclareque,<< l'abus du ~avorr produit
l'incréduilté (3) )). C'est que ie but unique des
et l'autre, est de
philosophes, nous diaent-its l'un
se signaler par la nouveauté de leurs idées, de
satisfaire leur vanité (4).
Au resté, Dieu n'est pas concevable pour la raison
humainé. Il la dépasse trop en tous sens. Il n'y a
donc pas lieu de s'étonner si elle se trompe en le
cherchaut. « Nous disons bien, puissance, venté,
justice: ce sont paroles qui signifient quelque
chose de grand; mais cette chose là nous ne la
aucunement, ny ne la concevons. Nous
voyons
disons que Dieu craint, que Dieu se courrouce,
que Dieu ayme,
ïmmortaliamortali sermone notantes;
(i)T.tX,p. i4.
(2)T.IX, US.
(3)1'.IX,p. «~ MoNTAMNE d)tcc)apat-toutdansr~M~f'f voir
surtout li. 206 et 111/
~Rot~EAu.t. tX.p. 15. MoMAMKE. tt. t3. éd. do Bordeaux,
p. MO, estdepenserautrementquelesautresM
9.« l'esseutiel
~'?<~onj~toutës~gnaHoN~
loger ~h Dieu selon' nostre ïormë, ny nous l'ima-
giner -selon ta sienne (1~)). « Quand mous disons
que l'inSnité des siècles, tant passez qu'àvetïir,
n'est à Dieu qu'un instant que sa bobte, sapiençe,
puissance, sont mesmechose avecquesson essence,
nostre parole le dtct, mais nostre intelligence ne
l'appréhende point. Et toutesfois nostre outrecui-
dance veut iaire passe!' la divinité par notre~
estamine. (2) « Somme le bastiment et le des-
bastimeht, les conditions de la divinitë se forgent
par l'homme, selon la relation à soy (3). M
Rousseau fait, lui aussi, son procès à l'an thrôpo-
morphisme. « Dieu est éternel, sans doute, mais
mon esprit peut-il embrasser l'idée de l'ëterNité?
Pourquoi me payer de mots sans idées? » (4)
Montaigne reprochait à l'homme de « ramener
Dieu à sa mesure (8) », et « parce que nous ne
pouvons estendre nostre veuë jusques en son
glorieux siège. » de c l'avoir ramené ça-bas à
nostre corruption et à nos misères (6). » Rousseau
(i)n,M.éd.deBordeMX,p.2M).
(3)Ibidem,p.263.
(3)Ibidem,p.367.
(4)T.!X.p. 61
(S)H,t2,éd.do Bordeaux, p. 363.
(6)Ibtdemp. 2H.Rapprocher allsslle motde Cicéron tu'tt cite
p. 848:« Puisque l'hommedëstrotttantde s'apparierà Dieu,t)east
mieuxfait de ramonerà soyles condtUonN divineset les attirer
ca-basque d'envoyerlà haut sa corruptionet sa misèresmais,
ajoute-t-ii.&le bienprendre.JIa faiten plusieursfaçonset l'un
ett'autredepareillevanitéd'opinion
-~717
(t)T.'X,p.73.
(8) Notez cependant que Rousseau prétend faire usage de ta
méthode ax()6t'[mentctoqui étattdej&. cette de Montaigne. « Je n'ai
(t'one ville
pM renferme mes oxpértences duns l'enceinte des murs
ni dans un sent ordre de gens; ntats. après avoir eotnparé tout
amtant de rangs et de pouples que J'en ni pu voir dans une vie
ce qui était
passée a les observer, J'ai retranché comme artincio)
-~Mr-
dans un très
(t) T. <X. p. 3S. Mon ami Maurice M~sson a montré
intéressant article (~c' Me ~ffs~otre <<«cf(n)'e <<ela ~f<t/tcf, t9n,
est probabtement dirigée
p. M~ que t'iavMtive qui suit ce passage
centre Helvetins. Mais cette invective qui, ainsi que plusieurs
ne figure pas dans
phrases égatement dirigées contre Hetvetius
t'une des premières rédactions de t'M~, a certainement été
insérée dans la P/'o/CMtoM postérieurenMnt au texte que je viens
on
decitér Cetui-ct a donc été sans doute écrit avant Fépoque
Rousseau a lu te livre De ~'jE~ et it me parait que c'est
Montaigne qu'it vise bien plutôt qu'Hetvetius.
'? ~e
~253-
t. IX,2iC,MoKTAtGXE,
(<)RocssEAC. p.70,et
t, H.éd. de Bordeaux
23,p. i44;
(3) HOUSSE.H',t. Vft:, p. Mt); MOXTAICXE. t, 24, p. «M.
(3) RoussEAC,t. Vt!~ p. MoxTAtGXE, t. H. a<).
(URoussEAU.t. VHt.p.440;Mox'rAMSE,ï.4i,p.3n.
(3) m.
(~) VHt, p. laî.
T. Vtlt, i!i7. Itapproclter rloaraicYe r.
Happrocho' MexTAto~E t. ~G
26 p. a6:
SM. Montaigne
ilton)aigne
ne nommepasle seigneurde Langey,matsune note de Coste
ledés~ne.
l'on peu f voir dans les écrits d n fils queUe vigueur
et quelle gaieté conservait le père à plus de
soixante ans (i) H.J'y joindrai, sans grand risque de
me trompey, cet autre fait de tnème espëce qui se
trouve à la métne page et que Montaigne avait prisa
César chez les Germains, un jeune homme qui
perdait sa virginité avant cet âge (20ans) en restait
~iKamé! et ïesauteQrsattribneht,ave& raiso~
ïa cdntinenee de ces peuples durant leur jeunesse
la vigueur de teur constitution et~
multitude. de
leurs enfants (2) H.Rousseau ne semble guère lire
Diogène Laerce. Je crois bien qu'iL n'est pas aUë
cl~ercber chez Diogène!a remarque d'Empêdocle que
voici, et qu'il l'a prise simplement dans son Mon-
taigne Empédocie reprochait aux Agrigentins
d'entasser les plaisirs comme s'ils n'avaient qu'un
jour à vivre, et de bâtir comme s'ils ne devaient
jamais mourir (3) )). Tous ces faits valent par les
ré&exions morales que Montaigne y épingle et
portent instruction.
Trois citations de divers auteurs enchâssées par
Montaigne dans les JEssaM se retrouvent dans
l'E~M~.L'une d'elles, qui est en vers français, peut
venir directement de la traduction de Plutarque
par Amyot (4) pour les deux autres, au contraire,
(t)!n.9.cd..tonMst,t.V!,p.Mt.
(2) RoussEAc, t. tX, p. 2t0, MoMAtGXE. Il. 1, éd. de nordGMX. p. -9.
3.
ît est vrai que l'image est chez PtutM'qne, c*o"MM~< <M peut
t<Mc6<'Me<«.~<'ftrf<"ftacc~'ttmt,pat'.S.
(3) RoessEAL-.t. )X. p. <86. MoNTAtoxKIl. 12, p. ai2. et ansst n.
<, p. S. ttfitutajonter toutefois que le même trait s&MtfQave dans
les Co~es de ttucc~ce et de La Fontaine.
CHAPITRE ~H
Coaelusio~
L:< transfôrmaHpnyien
qu'ilacônstruitentre temps. Il veutsuivrela nature,
qui est bonne, faire mener à reniant ta vie de Ïa
hature. Ce n'est pas que Montaigne se soi t proposé
un but dHîérent, mais nulle maxime n'est plus
flexible que celle-là, Les stoïciens s'en recomman-
daient aussi bien que les épicuriens. Rousseau
l'entend autrement que Montaigne. Par exemple,
l'idée de nature, chez Rousseau, te plus souvent
exclut l'idée de société ebezMontaigne elle est plus
compréhënsive, et la vie sociale est conçue comme
une conséquence dé là nature huMaine.
Du précepte de se soumettre&la nature telle qu'il,
la conçoit, -Rousseau déduit trois concepts les
concepts de l'éducation intégrale, de l'éducation
progressive et de l'éducation négative. Pour donner
à Emile une éducation intégrale, Rousseau a cru
devoir ajouter au programme de culture physique
élaboré par Montaigne et par Locke la culture~
rationnelle des sens. En vertu du principe d'éduca-
tion progressive, il a reculé jusqu'à un Age avancé
le développement de l'intelligence et l'acquisition
des idées morales qui, chez Montaigne et chez Locke,
commençait avec la première enfance. En consé-
quence du. principe d'éducation négative, il s'est
contenté, durant les premières années de tenir l'en-
fant &l'abri des exemples, tandis que Locke et
Montaigne formaient ses mœurs.
A cette première cause de transformation s'en
ajouté Une autre l'influence du temps auquel
–26t–;
Pages
AVANT-PROPOS. VH
NOTE BIBLIOGRAPHIQUE Xï
PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE
I. Moataigoo et Locke. 1
CHAPITRE!I. Les pensées sur l'édacation. Cri-
tique des méthodes en usage. 21
CHAPITRE111. La coltare physique. 47
CttAPHRË IV. La c~tture morale 55
CHAPITREV. La culture intellectuelle 71
CHAPITREVI. Conclusion. 93
DEUXIÈME PARTIE r
;r
CHAPITRE Le projet d'ëdacattpn de M. de
Sainte-Marie. 107
GttAFïTRE
II. Da protêt d'éducation de M. de
Sainte-Marieat'Ëmne. 11!~
CHAUtRËIII. L'ËmUe lés principes généraux. 155
CHÀPtfRElV. La cuituce physique.171
CHAPITREV. L'enseignement intellectuel et pra-
tique 189
CHAPITRE
VI. L'éducation morale 213
CHAPITRE
VII. De que)q'!es autres rétnin~seenees~
des Essais. .)a
CHAPITRE VIII. \g5~
Conclusion.
'M~~